CA Toulouse, 3e ch., 12 novembre 2025, n° 24/01177
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Michel (SAS)
Défendeur :
AS&FL (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vet
Conseillers :
M. Balista, Mme Gaumet
Avocats :
Me Marfaing-Didier, Me Reynes, Me Sorel
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 2 mars 2023, la Sci AS&FL a donné à bail commercial à la Sas [Localité 10]-Etienne, des locaux dépendant d'un ensemble immobilier situé [Adresse 9] et [Adresse 6].
Par acte du 25 janvier 2024, la Sci AS&FL a fait assigner la Sas [Localité 10]-Etienne devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse aux fins de voir :
A titre principal,
- constater l'acquisition de la clause résolutoire par l'effet du commandement signifié le 14 novembre 2023,
- ordonner, en conséquence, l'expulsion de la société [Localité 10]-Etienne, ainsi que celle de tous occupants de son chef des locaux situés [Adresse 9] et [Adresse 7],
- ordonner l'expulsion du défendeur et de tout occupant de son chef, avec, au besoin, l'assistance de la force publique et d'un serrurier,
- dire que le sort des meubles se trouvant dans les lieux sera réglé conformément aux articles L433-1 et suivants et R.433-2 du code des procédures civiles d'exécution,
- assortir l'obligation de quitter les lieux d'une astreinte d'un montant de 300 € par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et ce jusqu'au jour de complète libération des lieux et de remise des clés,
- condamner le défendeur à payer au requérant à titre provisionnel une somme de 10 343,73 €, au titre de paiement des loyers, charges locatives et taxes du mois de février jusqu'au 14 décembre 2023,
- condamner le défendeur à payer au requérant une indemnité d'occupation égale à
2 400 € par mois, du jour de la résiliation à celui de la libération des locaux et de la restitution des clés,
- dire que si l'occupation devait se prolonger plus d'un an après l'acquisition de la clause résolutoire, l'indemnité d'occupation ainsi fixée serait indexée sur l'indice trimestriel, nommé ILC, publié par l'lNSEE, l'indice de base étant le dernier indice paru à la date de l'acquisition de la clause résolutoire,
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le preneur formerait une demande de délais, avec suspension des effets de la clause résolutoire concernant le défaut de paiement des loyers et accessoires, qui serait accueillie, dire et juger en toute hypothèse que, faute de paiement en son entier et à bonne date, d'une seule des échéances prévues à l'ordonnance à intervenir, ainsi que des loyers et accessoires courants à leur échéance contractuelle:
* la déchéance du terme sera encourue, la totalité de la dette devenant immédiatement exigible,
* la clause résolutoire sera acquise par le bailleur, autorisé à poursuivre l'expulsion du preneur ainsi que de celle de tous occupants de son chef dans les conditions visées ci-dessus,
- condamner le défendeur à payer au requérant les charges du jour de la résillation à celui de la libération des locaux et de la restitution des clés,
- condamner le défendeur aux dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer signifié le 14 novembre 2023,
- condamner le défendeur au paiement de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Par ordonnance réputée contradictoire du 12 mars 2024, le juge des référés a :
- constaté la résiliation du bail liant les parties, avec effet au 14 décembre 2023,
- ordonné, en conséquence, l'expulsion de la Sas [Localité 10]-Etienne et de tout occupant de son chef des locaux situés [Adresse 9] et [Adresse 6], occupés sans droit, avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique si besoin est,
- dit n'y avoir lieu à fixation d'une astreinte,
- dit que le sort des meubles demeurant éventuellement dans les lieux après l'expulsion suivra les dispositions du code des procédures civiles de l'exécution,
- condamné la Sas [Localité 10]-Etienne à payer par provision à la Sci AS&FL :
* la somme de10 343,73 € à valoir sur les arrérages de loyer et des charges au 14 décembre 2023, et
* chaque mois à compter du 15 décembre 2023 et jusqu'à parfaite libération des lieux et remise des clés, le montant du loyer à valoir sur l'indemnité d'occupation, soit 2.400 €, outre les charges,
- dit que si l'occupation devait se prolonger plus d'un an après l'acquisition de la clause résolutoire, l'indemnité d'occupation ainsi fixée serait indexée sur l'indice trimestriel, nomme ILC, publié par l'INSEE, l'indice de base étant le dernier indice paru à la date de l'acquisition de la clause résolutoire,
- condamné la Sas [Localité 10]-Etienne aux dépens, y compris le coût du commandement de payer,
- condamné la Sas [Localité 10]-Etienne à payer à la Sci AS&FL la somme 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 5 avril 2024, la Sas [Localité 10]-Etienne a relevé appel de la décision.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La Sas [Localité 10]-Etienne, la Selarl BDR & Associés prise en la personne de Maître [D] [W] et la Scp CBF & Associés prise en la personne de Maître [R] [L] dans leurs dernières conclusions du 2 octobre 2025, demandent à la cour au visa des articles 1771 et 1343-5 du code civil, l'article 834 du code de procédure civile, et les articles L.145-41 et L.442-1 du code de commerce, de:
- ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture de l'instruction et la fixer au jour des plaidoiries,
- juger recevable les interventions volontaires de la société BDR & Associés prise en la personne de Maître [D] [W] et de la Scp CBF & Associés prise en la personne de Maître [R] [L] ,
- réformer l'ordonnance rendue le 12 mars 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau :
A titre principal,
- débouter la Sci AS&FL de ses demandes, fins et prétentions du fait de l'incompétence du juge des référés en présence de contestations sérieuses,
A titre subsidiaire,
Si par extraordinaire la cour estimait que le juge des référés était compétent,
- débouter la Sci AS&FL de ses demandes, fins et prétentions, du fait de l'ouverture de la procédure de sauvegarde de justice, laquelle interrompt les instances en cours et paralyse l'acquisition de la clause résolutoire,
- condamner la Sci AS&FL au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.
La Sci AS&FL dans ses dernières conclusions du 3 octobre 2025, demande à la cour de:
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la résiliation du bail liant les parties avec effet au 14.12.2023 et condamné la Sas [Localité 10]-Etienne à payer à la société la somme de 10.343,73 € à valoir sur les arrérages de loyers et charges au 14 décembre 2023 et chaque mois à compter du 15 décembre 2023 et jusqu'à parfaite libération des lieux et remise des clés, le montant du loyer à valoir sur l'indemnité d'occupation, soit, 2.400 €, outre les charges,
- prendre acte de l'effet suspensif de la procédure de sauvegarde judiciaire ouverte à l'encontre de la Sas [Localité 10]-Etienne,
- fixer le montant de la créance de la Sci AS&FL à la somme de 22.343,73 €, à titre privilégié conformément aux dispositions de l'article L.622-16 du code de commerce,
En toute hypothèse,
- condamner la Sas [Localité 10]-Etienne à verser à la concluante la somme de 3.000 € TTC sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 octobre 2025.
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence à la décision déférée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS
La clôture de l'instruction étant intervenue au jour de l'audience, il n'y a pas lieu de statuer de ce chef.
Par ailleurs, il convient de recevoir la Selarl BDR & Associés prise en la personne de Maître [D] [W] et la Scp CBF & Associés prise en la personne de Maître [R] [L] en leur intervention volontaire.
Les appelantes font valoir que:
' la Sas [Localité 10]-Étienne a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde de justice le 30 mai 2024, Maître [D] [W] de la Selarl BDR & Associés ayant été désigné comme mandataire judiciaire et Maître [R] [L] de la Scp CBF & Associés comme administrateur et que la procédure a été convertie en redressement judiciaire selon jugement du 26 juin 2025 du tribunal de commerce de Toulouse publié le 13 juillet suivant,
' la clause résolutoire insérée au bail crée un déséquilibre entre les parties en ce qu'elle prive le preneur de son droit au double degré de juridiction, prévoyant au surplus que la résiliation pourrait s'opérer de plein droit sans qu'il soit nécessaire qu'elle soit constatée par décision de justice, qu'elle doit être qualifiée d'abusive ne pouvant dès lors fonder le commandement qui lui a été délivré,
' subsidiairement elles sollicitent la suspension de la clause résolutoire en application des articles L 145-41 et L 622-21 du code de commerce, la procédure de sauvegarde ayant suspendu les effets de la clause résolutoire, l'ouverture de la procédure collective imposant l'arrêt des poursuites,
' l'apurement de la dette de la Sas [Localité 10]-Étienne sera fixé dans le cadre d'un plan et dans l'hypothèse où elle ne respecterait pas ce plan seul le commissaire à l'exécution du plan ou le juge commissaire serait compétent pour en connaître.
La Sci AS&FL oppose que :
' le juge des référés est compétent pour connaître du jeu de la clause résolutoire dans le cadre d'un contrat de bail,
' le bail a été négocié entre les parties et leurs conseils respectifs, concomitamment à l'acte réitératif de cession de fonds de commerce, librement négocié et il ne peut être qualifié de contrat d'adhésion ni la clause résolutoire d'abusive,
' par lettre recommandée avec accusé de réception 14 juin 2024 elle a déclaré au mandataire judiciaire sa créance de 22'343,73 € à titre privilégié, les textes applicables suspendant les effets de la clause résolutoire depuis le 30 mai 2024.
Sur ce
L'article L 145-41 du code de commerce prévoit : «Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.».
Par acte du 14 novembre 2023, la Sci AS&FL a fait délivrer à la Sas [Localité 10]-Étienne un commandement de payer la somme de 7200 € en principal visant la clause résolutoire.
Par acte du 25 janvier 2024, la Sci AS&FL a fait assigner la Sas [Localité 10]-Etienne devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse pour voir constater l'acquisition de la clause résolutoire et obtenir l'expulsion de la locataire outre sa condamnation au paiement de sommes.
Par jugement du 30 mai 2024 publié le 7 juin suivant, le tribunal de commerce de Toulouse a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la Sas [Localité 10]-Étienne.
La Sci AS&FL fonde sa demande sur l'article 808 du code de procédure civile, lequel a été remplacé par l'article 834 du même code depuis le 1er janvier 2020.
Ce texte prévoit: «Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ».
Par ailleurs, les appelantes ne contestent pas que lorsque, comme en l'espèce, le bail attribue au juge des référés compétence pour constater la résiliation du bail, le juge qui statue n'a pas à relever l'urgence.
Le juge des référés n'a pas le pouvoir de statuer en cas de contestation sérieuse laquelle survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
La seule existence d'une défense au fond n'exclut pas que le juge des référés statue lorsque la contestation est manifestement dépourvue de fondement.
En l'espèce, les appelantes font valoir que la clause résolutoire insérée au bail est déséquilibrée en ce qu'elle prévoit : « La résiliation interviendra alors [ en cas d'impayés d'un seul terme de loyer ou de charges] de plein droit sans qu'il soit besoin de former aucune demande judiciaire. En cas de résiliation du bail pour les causes énoncées ci-dessus ou en cas de résiliation judiciaire, le preneur devra quitter les lieux loués sans terminer délai. S'il refusait de quitter les lieux loués, il suffirait pour l'y contraindre d'une ordonnance rendue par M. Le président du tribunal judiciaire du lieu de situation des lieux loués, statuant en la forme des référés, lequel reçoit expressément compétence aux termes des présentes.
Cette ordonnance ne sera pas susceptible d'appel' ».
Cette clause prévoit la possibilité d'une résiliation sans demande judiciaire et, en cas de refus par le preneur de quitter les lieux le recours à une procédure de référé non susceptible d'appel.
Elle est manifestement contraire à l'article L 145-41 du code de commerce et aux règles de procédure civile sur les voies de recours.
Cette clause, en empêchant l'exercice d'une voie de recours judiciaire porte atteinte à l'exercice des droits de la défense et paraît susceptible de créer un déséquilibre entre les parties.
Dès lors, les critiques soulevées par les appelantes sur l'application de la clause résolutoire n'apparaissent pas immédiatement vaines.
Par ailleurs, la société locataire a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde par jugement du 30 mai 2024.
L'article L. 622-21 du code de commerce interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers pour des causes antérieures au jugement d'ouverture.
La règle de l'interdiction des poursuites ne concerne que les actions en résiliation ou en résolution fondée sur un défaut de paiement.
Et comme le relèvent les appelantes, il résulte de la combinaison des articles L. 145-41 et L. 622-21 du code de commerce que l'action introduite par un bailleur, avant le placement sous sauvegarde de justice la locataire, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut être poursuivie après ce jugement.
Or en l'espèce, la Sci AS&FL a engagé la présente instance par acte du 25 janvier 2024 et ce n'est que par jugement du 30 mai 2024 que le tribunal de commerce de Toulouse a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la Saint-Étienne. La bailleresse a déclaré sa créance par lettre recommandée du 14 juin 2024.
Ainsi, les demandes de la Sci AS&FL tendant à voir constater le jeu de la clause résolutoire, ordonner l'expulsion de la locataire et obtenir sa condamnation en paiement de sommes se heurtent à cette autre contestation sérieuse empêchant qu'il y soit fait droit pas infirmation de la décision déférée.
Par contre, il doit être fait droit à la demande de la Sci AS&FL de voir fixer le montant de sa créance à la somme de 22'343,73 € à titre privilégié.
L'équité commande rejeter les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, pas confirmation de la décision déférée est en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme la décision déférée,
Statuant à nouveau et y ajoutant:
Reçoit en leur intervention volontaire la Selarl BDR & Associés prise en la personne de Maître [D] [W] en qualité de mandataire judiciaire de la Sas [Localité 10]-Étienne et la Scp CBF & Associés prise en la personne de Maître [R] [L] en qualité d'administrateur de la Sas [Localité 10]-Étienne,
Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la Sci AS&FL de voir constater le jeu de la clause résolutoire, de constater sa résiliation, d'ordonner l'expulsion de la Sas [Localité 10]-Étienne, de statuer sur le sort des meubles et de condamner la Sas [Localité 10]-Étienne au paiement de sommes,
Fixe la créance de la Sci AS&FL au passif de la Sas [Localité 10]-Étienne à la somme de 22'343,73 € à titre privilégié,
Condamne la Sas [Localité 10]-Étienne aux dépens de première instance et d'appel qui seront passés en frais privilégiés de la procédure collective
Rejette les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, par infirmation de la décision et en cause d'appel.