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Décisions

TUE, 7e ch. élargie, 19 novembre 2025, n° T-367/23

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Amazon EU Sàrl

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

S. Papasavvas

Juges :

K. Kowalik‑Bańczyk, E. Buttigieg, I. Dimitrakopoulos, B. Ricziová

Avocats :

A. Conrad, M. Frank, R. Spanó, I. Ioannidis, R. van der Hout, V. Lemonnier, A. Fratini

TUE n° T-367/23

18 novembre 2025

Arrêt

1  Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Amazon EU Sàrl, venant aux droits de Amazon Services Europe Sàrl, demande l’annulation de la décision C(2023) 2746 final de la Commission, du 25 avril 2023, désignant sa plateforme Amazon Store comme une très grande plateforme en ligne au titre de l’article 33, paragraphe 4, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil (ci-après la « décision attaquée »).

I.  Antécédents du litige

2  La requérante exploite la plateforme Amazon Store, une boutique en ligne de produits de consommation commercialisés par elle ou par des vendeurs tiers. Cette boutique est accessible à partir de différents sites Internet dont « www.amazon.fr », « www.amazon.de », « www.amazon.es », « www.amazon.it », « www.amazon.nl », « www.amazon.pl », « www.amazon.se » et « www.amazon.com.be ».

3  Le 17 février 2023, la requérante a indiqué sur ses sites Internet, au titre de l’article 24, paragraphe 2, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) (JO 2022, L 277, p. 1), que le nombre mensuel moyen de destinataires actifs dans l’Union européenne (ci-après le « NMM ») de la plateforme Amazon Store était supérieur à 45 millions.

4  Le 22 février 2023, d’une part, la Commission européenne a communiqué à Amazon.com, Inc. et à la requérante ses conclusions préliminaires selon lesquelles la plateforme Amazon Store remplissait les conditions pour être désignée comme une très grande plateforme en ligne au sens de l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065.

5  D’autre part, la Commission a informé le Grand-Duché de Luxembourg, au titre de l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065, de son intention de désigner la plateforme Amazon Store comme une très grande plateforme en ligne.

6  Le 27 février 2023, le Grand-duché de Luxembourg a informé la Commission qu’il n’avait pas d’observations à formuler.

7  Le 15 mars 2023, la requérante a présenté ses observations sur les conclusions préliminaires de la Commission et n’a pas contesté le fait que la plateforme Amazon Store remplissait les conditions pour être désignée comme une très grande plateforme en ligne au sens de l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065.

8  Par la décision attaquée, la Commission a désigné la plateforme Amazon Store, au titre de l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065, comme une très grande plateforme en ligne au sens de l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement.

II.  Conclusions des parties

9  La requérante et Bundesverband E-Commerce und Versandhandel Deutschland eV (bevh) concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–  à titre principal, annuler la décision attaquée ;

–  à titre subsidiaire, annuler partiellement la décision attaquée en tant qu’elle impose à la requérante, d’une part, l’obligation de proposer au moins une option pour chaque système de recommandation qui ne repose pas sur du profilage en vertu de l’article 38 du règlement 2022/2065 et, d’autre part, l’obligation de tenir et de mettre à la disposition du public un registre en vertu de l’article 39 de ce règlement.

–  condamner la Commission aux dépens.

10  La Commission, le Parlement européen et le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–  rejeter le recours ;

–  condamner la requérante aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

11  Le Conseil de l’Union européenne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

III. En droit

12  À l’appui du recours, la requérante soulève trois moyens tirés de l’exception d’illégalité respectivement de l’article 33, paragraphe 1, de l’article 38 et de l’article 39 du règlement 2022/2065.

A.  Sur le premier moyen, tiré de l’exception d’illégalité de l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065

13  La Commission, le Conseil et le BEUC soutiennent que le premier moyen n’est pas recevable.

1.  Sur la fin de non-recevoir du Conseil

14  Le Conseil soutient que le premier moyen doit être écarté comme irrecevable au motif que la requérante ne l’a pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé. Il relève, à cet égard, qu’il existe une « contradiction » entre les points 166 et 203 de la requête et qu’il n’est, en conséquence, pas possible de déterminer si la requérante conteste uniquement la légalité de la décision attaquée ou si elle excipe, en outre, de l’illégalité de certaines dispositions du règlement 2022/2065. Par ailleurs, il fait valoir que, dans l’hypothèse où la requérante exciperait de l’illégalité de telles dispositions, il ne serait pas possible de déterminer s’il s’agit de l’article 33 ou des articles 34 à 43 dudit règlement.

15  À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et les arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, ressortent d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même (arrêt du 29 mars 2012, Commission/Estonie, C‑505/09 P, EU:C:2012:179, point 34).

16  En l’espèce, il y a lieu de relever qu’il est possible de déterminer avec suffisamment de précision la portée du premier moyen à la lecture de la requête pour pouvoir en apprécier le bien-fondé.

17  En effet, aux points 10 et 12 de la requête, la requérante indique que, par son premier moyen, elle entend contester la légalité de l’article 33 du règlement 2022/2065 au motif que cette disposition viole les articles 7, 11, 16, 17 et 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). De même, dans le cadre des arguments au soutien de la recevabilité de ses moyens, elle rappelle en substance, aux points 134  et 135 de la requête, que l’exception d’illégalité soulevée dans le cadre du premier moyen est dirigée contre l’article 33 de ce règlement. En outre, il ressort du titre relatif à ce même moyen, tel qu’il figure dans la requête, que la requérante conteste la légalité du critère de désignation des très grandes plateformes en ligne visé à l’article 33, paragraphe 1, dudit règlement. Enfin, il résulte notamment des points 166 à 169 et 187 à 189 de la requête que la requérante conteste la légalité dudit critère et, par suite, celle de l’article 33, paragraphe 1, du règlement en question en tant qu’il la soumet aux obligations prévues aux articles 34 à 43 de ce même règlement.

18  Par ailleurs, la circonstance, invoquée par le Conseil, selon laquelle la requérante considère que les obligations prévues aux articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 sont illégales n’est pas incompatible avec le fait que, par son premier moyen, elle excipe de l’illégalité de l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement au motif qu’il lui impose de telles obligations qui seraient, elles aussi, illégales.

19  Dans ces conditions, si la requérante indique, certes, au point 203 de la requête, que la décision attaquée lui impose des obligations contraires à la Charte, il convient de considérer qu’elle fait, en réalité, valoir que cette décision est une mesure d’application de l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 qui serait lui-même illégal pour autant qu’il conduit à lui imposer de telles obligations.

20  Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient le Conseil, il ressort avec suffisamment de clarté de la requête que, par son premier moyen, la requérante excipe de l’illégalité de l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065. Au demeurant, il convient de constater que le Conseil a, lui-même, développé dans ses écritures une argumentation subsidiaire tendant à rejeter au fond ce moyen en se basant sur une telle interprétation dudit moyen.

21  En conséquence, il y a lieu d’écarter la fin de non-recevoir invoquée par le Conseil.

2.  Sur la fin de non-recevoir de la Commission et du BEUC

22  La Commission et le BEUC soutiennent que le premier moyen doit être écarté comme irrecevable au motif que, par ce moyen, la requérante excipe de l’illégalité de dispositions du règlement 2022/2065 qui ne constituent pas la base juridique de la décision attaquée ni entretiennent un lien juridique direct avec elle.

23  En effet, d’une part, la Commission relève que la décision attaquée a été adoptée sur le fondement de l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065 et que la requérante n’excipe pas de l’illégalité de cette disposition. En outre, si la Commission fait valoir qu’un moyen tiré de l’exception d’illégalité de l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement aurait été recevable, elle constate toutefois que, alors même que le premier moyen vise formellement à exciper de l’illégalité de cette disposition, la requérante ne conteste en réalité que le fait que les places de marché puissent être soumises aux obligations prévues aux articles 34 à 43 de ce règlement lorsque leur NMM atteint 45 millions. Or, les articles 34 à 43 dudit règlement n’entretiendraient pas de lien juridique direct avec la décision attaquée.

24  D’autre part, le BEUC soutient que la requérante aurait été recevable à contester l’applicabilité des obligations prévues aux articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 aux places de marché. Toutefois, il fait valoir que, par son premier moyen, la requérante conteste en réalité la légalité desdites obligations en tant que telles, alors que celles-ci n’entretiennent pas de lien juridique direct avec la décision attaquée.

25  La requérante, soutenue par bevh, fait valoir que le premier moyen est recevable.

26  Aux termes de l’article 277 TFUE, nonobstant l’expiration du délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union européenne, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263 TFUE, deuxième alinéa, pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

27  Cette disposition constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui lui est adressée, la validité des actes de portée générale qui forment la base d’une telle décision (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 67 et jurisprudence citée).

28  L’article 277 TFUE n’ayant pas pour but de permettre à une partie de contester l’applicabilité de quelque acte de portée générale que ce soit à la faveur d’un recours quelconque, l’acte dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 68 et jurisprudence citée).

29  C’est ainsi que, à l’occasion de recours en annulation intentés contre des décisions individuelles, la Cour a admis que peuvent valablement faire l’objet d’une exception d’illégalité les dispositions d’un acte de portée générale qui constituent la base desdites décisions ou qui entretiennent un lien juridique direct avec de telles décisions (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 69 et jurisprudence citée).

30  En revanche, la Cour a jugé qu’est irrecevable une exception d’illégalité dirigée contre un acte de portée générale dont la décision individuelle attaquée ne constitue pas une mesure d’application (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 70 et jurisprudence citée).

31  À cet égard, premièrement, il résulte des points 17 à 20 ci-dessus que la requérante excipe, dans la requête, de l’illégalité de l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, pour autant que cette disposition soumet certaines places de marché aux obligations prévues aux articles 34 à 43 de ce règlement.

32  Deuxièmement, il convient de relever que la requérante est recevable à exciper de l’illégalité de l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, ainsi que le reconnaissent en substance la Commission et le BEUC.

33  En effet, l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 dispose que les obligations supplémentaires de gestion des risques systémiques, prévues par les articles 34 à 43 de ce règlement, s’appliquent aux plateformes en ligne qui ont un NMM égal ou supérieur à 45 millions, et qui sont désignées comme des très grandes plateformes en ligne en vertu de l’article 33, paragraphe 4, dudit règlement.

34  Selon l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065, la Commission adopte une décision désignant comme une très grande plateforme en ligne la plateforme en ligne dont le NMM est égal ou supérieur au nombre visé à l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement.

35  Il s’ensuit que, si l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065 habilite la Commission à désigner une plateforme en ligne comme une très grande plateforme en ligne, l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement détermine les plateformes en ligne qui doivent faire l’objet d’une telle désignation aux fins de l’application des articles 34 à 43 dudit règlement.

36  Ainsi, la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que la plateforme Amazon Store devait être désignée comme une très grande plateforme en ligne « au sens de l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 ».

37  Dans ces conditions, il convient de considérer que la décision attaquée, bien qu’elle fût adoptée sur la base de l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065, fait application du critère énoncé à l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement. Ainsi, l’éventuelle illégalité de cette dernière disposition, dont résulterait son inapplicabilité en vertu de l’article 277 TFUE, devrait nécessairement entraîner l’annulation de ladite décision.

38  Par conséquent, il convient de considérer que la décision attaquée entretient un lien juridique direct avec l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement.

39  Il s’ensuit qu’il y a lieu d’écarter les fins de non-recevoir invoquées par la Commission et le BEUC.

3.  Sur le bien-fondé du premier moyen

40  Ainsi qu’il a été indiqué au point 31 ci-dessus, par son premier moyen, la requérante excipe de l’illégalité de l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, pour autant qu’il soumet certaines places de marché aux obligations prévues aux articles 34 à 43 de ce règlement.

41  Le premier moyen est, en substance, composé de cinq branches, tirées de ce que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 viole respectivement l’article 7, l’article 11, paragraphe 1, l’article 16, l’article 17, paragraphe 1, et l’article 20 de la Charte.

a)  Sur la première branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 16 de la Charte

42  La requérante, soutenue par bevh, relève que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, en tant qu’il soumet certaines places de marché aux obligations prévues aux articles 34 à 43 de ce règlement, viole l’article 16 de la Charte. Plus particulièrement, elle fait valoir que ces obligations lui font supporter une charge importante et qu’elles constituent, en conséquence, une ingérence dans la liberté d’entreprise. Elle ajoute que lesdites obligations ne sont pas appropriées pour atteindre les objectifs dudit règlement. Elle relève, à cet égard, que les obligations en question visent à réduire des risques systémiques qui ne sont pas causés par les places de marché. En outre, elle constate que les places de marché ne constituent pas un « système » et que dès lors elles ne sont pas susceptibles d’engendrer des risques « systémiques ». Enfin, elle fait valoir que le législateur de l’Union aurait pu adopter d’autres mesures moins contraignantes pour parvenir à ses objectifs.

43  La Commission, soutenue par le Parlement, le Conseil et le BEUC, conteste l’argumentation de la requérante.

1)  Sur l’existence d’une ingérence dans la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de Charte

44  La requérante soutient que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, en tant qu’il soumet certaines places de marché aux obligations prévues aux articles 34 à 43 de ce règlement, constitue une ingérence dans la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte.

45  Aux termes de l’article 16 de la Charte, la liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales.

46  Conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, il convient de prendre en considération les explications relatives à la Charte (JO 2007, C 303, p. 17) pour l’interprétation de celle-ci.

47  Dans les explications relatives à la Charte, il est précisé que « [l’] article [16 de la Charte] se fonde sur la jurisprudence de la Cour de justice [de l’Union européenne], qui a reconnu la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale […] et la liberté contractuelle […], ainsi que sur l’article 119, paragraphes 1 et 3[, TFUE], qui reconnaît la concurrence libre », que « [c]e droit s’exerce bien entendu dans le respect du droit de l’Union et des législations nationales » et qu’« [i]l peut être soumis aux limitations prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ».

48  Ainsi, il convient de considérer que la protection conférée par l’article 16 de la Charte comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre (voir arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C‑283/11, EU:C:2013:28, point 42 et jurisprudence citée).

49  Le droit à la liberté d’entreprise comprend notamment le droit, pour toute entreprise, de pouvoir librement disposer, dans les limites de la responsabilité qu’elle encourt pour ses propres actes, des ressources économiques, techniques et financières dont elle dispose (arrêts du 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien, C‑314/12, EU:C:2014:192, point 49, et du 21 décembre 2021, Bank Melli Iran, C‑124/20, EU:C:2021:1035, point 78).

50  En conséquence constitue une ingérence dans la liberté d’entreprise une mesure qui fait peser sur son destinataire une contrainte qui restreint la libre utilisation des ressources à sa disposition, puisqu’elle l’oblige à prendre des mesures qui sont susceptibles de représenter pour celui-ci un coût important, d’avoir un impact considérable sur l’organisation de ses activités ou de requérir des solutions techniques difficiles et complexes (voir, en ce sens, arrêts du 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien, C‑314/12, EU:C:2014:192, point 50, et du 27 juin 2024, Gestore dei Servizi Energetici, C‑148/23, EU:C:2024:555, point 64).

51  En l’espèce, l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 soumet les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne, dont des places de marché, aux obligations prévues aux articles 34 à 43 de ce règlement.

52  Il résulte des articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne doivent recenser, analyser et évaluer tout risque systémique découlant de la conception ou du fonctionnement de leur service (article 34), qu’ils peuvent devoir, en conséquence, adapter la conception, les caractéristiques et le fonctionnement de leur service, modifier leurs conditions générales et limiter la présentation des publicités (articles 35 et 36), qu’ils doivent, à leurs propres frais, faire l’objet d’un audit indépendant (article 37), proposer une option pour chacun de leurs systèmes de recommandation qui ne repose pas sur du profilage (article 38), publier, sur leur interface, des informations relatives aux publicités qu’ils diffusent (article 39), permettre l’accès de certaines de leurs données à des chercheurs (article 40), créer une fonction de contrôle de conformité en leur sein (article 41), publier des rapports de transparence (article 42) et verser une redevance de surveillance à la Commission (article 43).

53  Dans ces conditions, il convient de considérer que les articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 obligent les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne à prendre des mesures susceptibles de représenter, pour eux, un coût important, d’avoir un impact considérable sur l’organisation de leurs activités ou de requérir des solutions techniques difficiles et complexes.

54  Par conséquent, il y a lieu de considérer que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 constitue une ingérence dans la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte, dès lors qu’il impose aux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne de se soumettre aux articles 34 à 43 de ce règlement.

2)  Sur la justification de l’ingérence dans la liberté d’entreprise

55  Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés consacrés par celle-ci doit être prévue par la loi, respecter leur contenu essentiel et, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées à ces droits et libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

56  À cet égard, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité exige, selon une jurisprudence constante, que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de ces objectifs (voir arrêt du 8 avril 2014, Digital Rights Ireland e.a., C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, point 46 et jurisprudence citée).

57  S’agissant du contrôle juridictionnel, la Cour a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un large pouvoir d’appréciation lorsque son action implique des choix de nature politique, économique et sociale et lorsqu’il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes (voir arrêt du 30 janvier 2019, Planta Tabak, C‑220/17, EU:C:2019:76, point 44 et jurisprudence citée). Elle a précisé que l’action du législateur dans le domaine de la protection des consommateurs impliquait de tels choix (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2015, Neptune Distribution, C‑157/14, EU:C:2015:823, point 76, et du 8 juin 2017, Dextro Energy/Commission, C‑296/16 P, non publié, EU:C:2017:437, point 49).

58  Dans ces conditions, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée dans un domaine tel que celui de l’espèce, qui implique un large pouvoir d’appréciation par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure [voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, point 123, et du 4 mai 2016, Pologne/Parlement et Conseil, C‑358/14, EU:C:2016:323, point 79].

59  En outre, il résulte du libellé de l’article 16 de la Charte que la liberté d’entreprise peut être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique (arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C‑283/11, EU:C:2013:28, point 46). Ainsi, il y a lieu rappeler que la liberté d’entreprise ne constitue pas des prérogatives absolues et qu’elle doit, dans un contexte tel que celui en cause en l’espèce, être conciliée avec l’article 38 de la Charte qui, à l’instar de l’article 169 TFUE, tend à assurer, dans les politiques de l’Union, un niveau élevé de protection des consommateurs (arrêt du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 49). Plus particulièrement, il convient de noter que l’importance que revêt l’objectif de protection des consommateurs est susceptible de justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs économiques (arrêts du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 50, et du 2 septembre 2021, Association of Independent Meat Suppliers et Cleveland Meat Company, C‑579/19, EU:C:2021:665, point 97).

60  En l’espèce, la requérante ne conteste pas que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 n’affecte pas le contenu essentiel de la liberté d’entreprise des fournisseurs de places de marché. Au demeurant, force est de constater que les obligations prévues par les articles 34 à 43 de ce règlement n’empêchent pas l’exercice de l’activité entrepreneuriale en tant que telle de ces fournisseurs, à savoir permettre aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec des professionnels. De même, la requérante ne conteste pas que ces obligations sont prévues par un acte législatif et qu’elles doivent, en conséquence, être regardées comme étant prévues par la loi au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

61  En revanche, la requérante soutient que l’ingérence dans la liberté d’entreprise est manifestement disproportionnée au motif, premièrement, que les places de marché n’engendrent pas de risques systémiques au sens du règlement 2022/2065, deuxièmement, que des mesures moins contraignantes pour les fournisseurs de ces places de marché permettent d’atteindre les objectifs de ce règlement et, troisièmement, que les coûts supportés par lesdits fournisseurs sont significatifs.

i)  Sur l’existence de risques systémiques engendrés par les places de marché

62  L’article 1er du règlement 2022/2065 dispose que ce règlement a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur des services intermédiaires en établissant des règles harmonisées pour un environnement en ligne sûr, prévisible et fiable, qui facilite l’innovation et dans lequel les droits fondamentaux consacrés par la Charte, y compris le principe de protection des consommateurs, sont efficacement protégés.

63  Le considérant 75 du règlement 2022/2065 explique que « [c]ompte tenu du rôle important que jouent les très grandes plateformes en ligne, en raison de leur portée, exprimée notamment en nombre de destinataires du service, s’agissant de faciliter le débat public, les transactions économiques, et la diffusion au public d’informations, d’opinions et d’idées, et d’influencer la manière dont les destinataires obtiennent et communiquent des informations en ligne, il est nécessaire d’imposer aux fournisseurs de ces plateformes des obligations spécifiques venant s’ajouter aux obligations applicables à toutes les plateformes en ligne ».

64  Le considérant 76 du règlement 2022/2065 ajoute que « [l]es très grandes plateformes en ligne […] peuvent engendrer des risques pour la société, qui diffèrent, par leur ampleur et leur incidence, de ceux qui sont imputables aux plateformes de plus petite taille ». Ce considérant précise également que « [l]es fournisseurs de ces très grandes plateformes en ligne […] devraient donc être soumis aux normes les plus strictes en matière d’obligations de diligence, proportionnellement à leurs effets sur la société », que « [l]orsque le nombre de destinataires actifs d’une plateforme en ligne […], calculé comme une moyenne sur une période de six mois, représente une part significative de la population de l’Union, les risques systémiques présentés par la plateforme en ligne […] peuvent produire des effets disproportionnés dans l’Union » et qu’« [o]n peut considérer qu’une portée significative est atteinte lorsque ce nombre dépasse un seuil opérationnel fixé à 45 millions, c’est-à-dire un nombre équivalent à 10 % de la population de l’Union ».

65  À cet égard, l’article 34, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 contient une liste de risques systémiques susceptibles d’être engendrés par les très grandes plateformes en ligne.

66  D’abord, l’article 34, paragraphe 1, sous a), du règlement 2022/2065 prévoit que les risques systémiques incluent la diffusion de contenus illicites par l’intermédiaire des très grandes plateformes en ligne. Conformément à l’article 3, sous h), de ce règlement, il s’agit plus précisément des risques liés à la diffusion de « toute information qui, en soi ou par rapport à une activité, y compris la vente de produits […], n’est pas conforme au droit de l’Union ou au droit d’un État membre qui est conforme au droit de l’Union, quel que soit l’objet précis ou la nature précise de ce droit ».

67  Ensuite, l’article 34, paragraphe 1, sous b), du règlement 2022/2065 énonce que les risques systémiques incluent « tout effet négatif réel ou prévisible pour l’exercice des droits fondamentaux, en particulier le droit fondamental à la dignité humaine consacré à l’article 1er de la Charte, au respect de la vie privée et familiale consacré à l’article 7 de la Charte, à la protection des données à caractère personnel consacré à l’article 8 de la Charte, à la liberté d’expression et d’information, y compris la liberté et le pluralisme des médias, consacré à l’article 11 de la Charte, et à la non-discrimination consacré à l’article 21 de la Charte, les droits fondamentaux relatifs aux droits de l’enfant consacrés à l’article 24 de la Charte et le droit fondamental à un niveau élevé de protection des consommateurs consacré à l’article 38 de la Charte ».

68  Enfin, l’article 34, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement 2022/2065 précise que les risques systémiques comprennent « tout effet négatif réel ou prévisible sur le discours civique, les processus électoraux et la sécurité publique » ainsi que « tout effet négatif réel ou prévisible lié aux violences sexistes et à la protection de la santé publique et des mineurs et les conséquences négatives graves sur le bien-être physique et mental des personnes ».

69  À cet égard, en premier lieu, la requérante soutient que les places de marché n’engendrent pas de risques systémiques dans la mesure où elles ne font pas partie d’un « système », à la différence des institutions financières. En effet, alors que ces dernières formeraient un « système financier mondial » en raison de la « nature interconnectée [de leurs] activités », les places de marché ne seraient pas interdépendantes et ne constitueraient, en conséquence, pas un système. Elle en déduit que les places de marché ne sont pas susceptibles d’engendrer des risques systémiques. Elle soutient également que les places de marché, les réseaux sociaux, les services de partage de contenus et les services de recherche ne constituent pas non plus un « système » et qu’il n’existe pas de risque de contagion entre ceux-ci.

70  Toutefois, il suffit de relever que, contrairement à ce que suggère la requérante, le règlement 2022/2065 ne tend pas à prévenir les risques systémiques que les places de marché pourraient poser en tant qu’elles feraient partie d’un « système ». En effet, ainsi qu’il ressort du point 64 ci-dessus, ce règlement a pour objectif d’atténuer les risques systémiques pour la société dans son ensemble en tant qu’ils pourraient affecter une partie significative de la population de l’Union. Il s’ensuit que la circonstance selon laquelle les places de marché sont indépendantes les unes des autres ainsi que des autres types de plateformes en ligne et qu’elles ne constituent pas, ensemble, un système ne permet pas d’exclure que ces places de marché puissent engendrer certains des risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, du règlement 2022/2065.

71  En deuxième lieu, la requérante soutient que les publicités et les commentaires des clients présents sur les places de marché concernent principalement les produits commercialisés sur ces mêmes places de marché. Elle en déduit que les places de marché n’engendrent pas de risques liés aux processus démocratiques, à la santé publique, à la désinformation, à la dignité humaine, à la liberté d’expression et d’information, à la vie privée, à la protection des données, à la discrimination et aux droits de l’enfant. Elle ajoute qu’il n’est pas établi que les très grandes plateformes en ligne présenteraient des risques pour les consommateurs ni qu’elles joueraient un rôle important dans la commercialisation illégale d’animaux ou de produits contrefaisants ou dangereux.

72  Toutefois, premièrement, la requérante ne conteste pas que des destinataires du service peuvent utiliser des publicités ou des commentaires pour véhiculer des contenus illicites ou de nature politique et religieuse. Au contraire, elle fait elle-même valoir que les places de marché ont prévu, dans leurs conditions générales, des règles visant à prévenir la diffusion de contenus illicites ou ayant un effet négatif, notamment, sur l’exercice des droits fondamentaux, le discours civique, les processus électoraux ou la protection de la santé publique et des mineurs. Elle précise ainsi que, dans ses conditions générales relatives à la publicité, elle a expressément interdit les « publicités montrant des enfants en situation dangereuse, comme la conduite à vélo sans casque ; les contenus mensongers, faux ou trompeurs ; les publicités obscènes, controversées, diffamatoires, illégales ou intrusives à l’égard de la vie privée d’autrui ; les contenus politiques, tels que les campagnes pour ou contre un homme politique ou un parti politique, ou en lien avec une élection, ou les contenus liés à des questions politiques du débat public ; le plaidoyer religieux, qu’il s’agisse de défendre ou de critiquer une religion ; [et] les contenus discriminants ».

73  Deuxièmement, la requérante reconnaît que des produits illégaux sont susceptibles d’être commercialisés sur des places de marché, bien qu’elle considère que la commercialisation de tels produits est plus probable sur les petites places de marché au motif que les grandes places feraient davantage attention à leur réputation. Dans ces conditions, il convient de considérer que les places de marché peuvent être utilisées pour diffuser des contenus illicites, notamment en rapport avec la vente de produits dangereux ou non conformes, et qu’elles peuvent, en conséquence, avoir un effet négatif sur la protection des consommateurs. D’ailleurs, la requérante ne conteste pas le fait, constaté par le BEUC, que des contenus illicites sont effectivement présents sur la plateforme Amazon Store, en dépit de ses efforts pour les enlever.

74  En outre, la requérante fait valoir qu’un produit dangereux ne se diffuserait pas plus rapidement sur une plateforme en ligne ayant un NMM élevé. Toutefois, elle ne produit aucun élément susceptible d’étayer cette affirmation. Par ailleurs, le fait qu’une plateforme en ligne possède un NMM élevé est de nature à accroître le nombre de personnes susceptibles de se procurer le produit en cause.

75  En troisième lieu, bevh fait valoir que les obligations prévues aux articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 ne permettent pas d’améliorer la protection des consommateurs afin de leur offrir un niveau de protection comparable à celui dont ils bénéficient hors ligne ni, par voie de conséquence, à prévenir des risques systémiques au sens de l’article 34, paragraphe 1, de ce règlement. Plus particulièrement, elle soutient que les obligations prévues spécifiquement aux articles 34 à 37 du règlement 2022/2065 « vont au-delà des dispositions relatives à l’“environnement hors ligne” » et qu’elles sont vagues.

76  À cet égard, le considérant 12 du règlement 2022/2065 indique certes qu’« il convient, aux fins [de ce règlement], que la notion de “contenu illicite” corresponde de manière générale aux règles en vigueur dans l’environnement hors ligne ». Toutefois, d’une part, contrairement à ce que suggère bevh, il ne saurait en être déduit que le législateur ne pouvait pas adopter des mesures plus contraignantes pour les places de marché que pour les magasins « physiques » afin de protéger les consommateurs. D’autre part, bevh n’apporte aucun élément susceptible d’établir que le manque de précision des articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 ne leur permettrait pas de contribuer à la protection des consommateurs.

77  Dans ces conditions, il convient de relever que le législateur n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que les places de marché dont le NMM a atteint 45 millions étaient susceptibles d’engendrer divers risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, sous a) à d), du règlement 2022/2065.

ii)  Sur les mesures alternatives moins contraignantes permettant d’atteindre les objectifs du règlement 2022/2065

78  La requérante soutient que le législateur aurait pu adopter des mesures alternatives moins contraignantes pour atteindre les objectifs du règlement 2022/2065.

79  Toutefois, il résulte du point 58 ci-dessus que la liberté d’entreprise n’est méconnue que lorsque le législateur adopte une mesure manifestement inappropriée par rapport à l’objectif poursuivi par la réglementation en cause. Il s’ensuit que le seul fait que le législateur aurait pu adopter des mesures moins contraignantes ne saurait suffire pour établir une violation de l’article 16 de la Charte.

80  En outre, il convient de constater que les mesures moins contraignantes invoquées par la requérante ne permettent, en tout état de cause, pas d’atteindre les objectifs du règlement 2022/2065 de manière aussi efficace.

81  En effet, premièrement, la requérante fait valoir que le législateur aurait pu exclure les places de marché des très grandes plateformes en ligne visées à l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 afin de limiter l’application des articles 34 à 43 de ce règlement aux seuls services susceptibles d’engendrer les risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, dudit règlement.

82  Toutefois, ainsi qu’il résulte du point 77 ci-dessus, les places de marché sont susceptibles d’engendrer de nombreux risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, sous a) à d), du règlement 2022/2065. Par conséquent, exclure les places de marché des très grandes plateformes en ligne visées à l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement pourrait nuire à la capacité dudit règlement d’atténuer lesdits risques.

83  Deuxièmement, la requérante et bevh font valoir que le législateur aurait pu adopter des critères « qualitatifs », comme il l’aurait fait dans d’autres branches du droit de l’Union, dont le secteur des télécommunications, ou retenir un système de présomption simple, comme il l’aurait fait dans le règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil, du 14 septembre 2022, relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 (règlement sur les marchés numériques) (JO 2022, L 265, p. 1). La requérante ajoute que la désignation comme très grandes plateformes en ligne ne concerne qu’un nombre restreint de plateformes en ligne. Elle en déduit que l’effort supplémentaire demandé à la Commission pour mettre en œuvre ces critères n’aurait pas été disproportionné au regard de l’importance des coûts résultant, pour lesdits fournisseurs, d’une telle désignation.

84  À cet égard, il est constant que la Commission avait indiqué, dans l’analyse d’impact annexée à la proposition de règlement 2022/2065, avoir envisagé d’autres critères que le seul critère du NMM, dont des critères « qualitatifs » tenant compte de l’effet sociétal et économique de la plateforme en ligne considérée. Elle a toutefois considéré que la prise en compte de tels critères qualitatifs requerrait une approche au cas par cas susceptible d’entraîner une incertitude juridique et un processus plus long et plus coûteux pour désigner les très grandes plateformes en ligne.

85  Or, ni la requérante ni bevh ne contestent qu’un tel processus aurait été plus long et plus coûteux pour la Commission. Dans ces conditions, il suffit de constater que les critères invoqués par la requérante étaient de nature à retarder la mise en œuvre des obligations visées aux articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 et à priver la Commission d’une partie de ses ressources nécessaires pour mener à bien les missions que lui confie ce règlement.

86  Troisièmement, la requérante fait valoir que le législateur aurait pu soumettre, par le biais de l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne à l’obligation visée à l’article 39 de ce règlement uniquement pour autant que celle-ci prévoyait la mise à disposition du registre à des chercheurs et à des autorités, mais non au public dans son ensemble.

87  L’article 39 du règlement 2022/2065 dispose que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne tiennent et mettent à la disposition du public, dans une section spécifique de leur interface en ligne, à l’aide d’un outil de recherche fiable permettant d’effectuer des recherches multicritères et par l’intermédiaire d’interfaces de programme d’application, un registre contenant notamment le contenu de la publicité, y compris le nom du produit, du service ou de la marque, ainsi que l’objet de la publicité, la personne physique ou morale pour le compte de laquelle la publicité est présentée, la période au cours de laquelle la publicité a été présentée, le fait que la publicité était ou non destinée à être présentée spécifiquement à un ou plusieurs groupes particuliers de destinataires du service et, dans l’affirmative, les principaux paramètres utilisés à cette fin, y compris, s’il y a lieu, les principaux paramètres utilisés pour exclure un ou plusieurs de ces groupes particuliers et le nombre total de destinataires du service atteint et, le cas échéant, les nombres totaux ventilés par État membre pour le ou les groupes de destinataires que la publicité ciblait spécifiquement.

88  À cet égard, le considérant 69 du règlement 2022/2065 précise que les destinataires du service sont soumis à des « effets négatifs particulièrement graves » lorsqu’ils « reçoivent des publicités fondées sur des techniques de ciblage optimisées pour répondre à leurs intérêts et potentiellement exploiter leurs vulnérabilités ». Le considérant 95 de ce même règlement ajoute que les systèmes publicitaires utilisés par les très grandes plateformes en ligne nécessitent un « contrôle public et réglementaire plus poussé en raison de leur envergure et de leur capacité à cibler et à atteindre les destinataires du service en fonction de leur comportement à l’intérieur et à l’extérieur de l’interface en ligne » de ces plateformes et que le registre devrait « comprendre des informations relatives tant aux critères de ciblage qu’aux critères de diffusion, en particulier lorsque les publicités sont diffusées auprès de personnes en situation de vulnérabilité, comme les mineurs ».

89  Dans ces conditions, il convient de constater que les informations publiées au titre de l’article 39 du règlement 2022/2065 permettent d’informer les consommateurs concernant les publicités auxquelles ils sont exposés. En outre, ainsi que le relève le Conseil, elles permettent également aux médias et aux associations de protection des consommateurs de contrôler les publicités diffusées sur les très grandes plateformes en ligne, notamment en vue de prévenir la promotion de produits illégaux ou inappropriés auprès de certains publics, comme les mineurs. Par conséquent, il convient de considérer que cette disposition est notamment susceptible de limiter la diffusion de contenus illicites, de contribuer à un niveau élevé de protection des consommateurs et d’éviter des effets négatifs liés à la protection des mineurs. Il s’ensuit qu’elle est susceptible de prévenir différents risques systémiques au titre de l’article 34, paragraphe 1, de ce règlement. Or, un tel objectif serait plus difficilement atteint si seuls les chercheurs et les autorités avaient accès aux informations concernées.

90  Dans ces conditions, il convient de considérer que la requérante n’est pas fondée à soutenir que le législateur aurait pu adopter des mesures alternatives moins contraignantes pour établir une violation de l’article 16 de la Charte.

iii) Sur l’importance des coûts supportés par les fournisseurs de places de marché

91  La requérante soutient que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 fait supporter aux fournisseurs de places de marché des coûts significatifs en les soumettant aux obligations prévues aux articles 34 à 43 de ce règlement.

92  En premier lieu, la requérante reproche à la Commission d’avoir retenu, dans son analyse d’impact, des hypothèses économiques peu crédibles et de ne pas avoir tenu compte de certains coûts résultant de la mise en œuvre des articles 38 et 39 du règlement 2022/2065. Elle soutient que la Commission a considéré, à tort, dans l’exposé des motifs accompagnant la proposition de règlement 2022/2065, que « [e]n ce qui concern[ait] la liberté d’entreprise des fournisseurs de services, les coûts supportés par les entreprises [étaie]nt compensés par la réduction de la fragmentation du marché intérieur », que « [l]a proposition introdui[sai]t des garanties pour alléger la charge qui p[esait] sur les fournisseurs de services, notamment des mesures contre les notifications répétées et injustifiées et le contrôle préalable des signaleurs de confiance par les autorités publiques » et que, « [e]n outre, certaines obligations vis[ai]ent les très grandes plateformes en ligne, où les risques les plus graves se manifest[ai]ent souvent et qui [avaie]nt la capacité d’absorber la charge supplémentaire ».

93  À cet égard, il convient de relever que le législateur de l’Union n’est pas tenu de disposer d’une analyse d’impact en toutes circonstances et qu’une telle analyse d’impact ne le lie en tout état de cause pas [voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Lituanie e.a./Parlement et Conseil (Paquet mobilité), C‑541/20 à C‑555/20, EU:C:2024:818, point 230]. Il s’ensuit que, même à le supposer établi, le fait que la Commission se soit fondée, dans son analyse d’impact, sur des hypothèses économiques trop optimistes et ait sous-estimé les coûts devant être supportés par les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne ne saurait suffire, à lui seul, à démontrer que les dispositions dudit règlement constituent en tant que telles une ingérence manifestement disproportionnée dans la liberté d’entreprise.

94  En deuxième lieu, la requérante soutient que l’obligation visée à l’article 38 du règlement 2022/2065 limite sa capacité à informer ses clients des offres proposées sur sa plateforme Amazon Store. Elle fait valoir que cette obligation, d’une part, porte préjudice à ses clients en ne leur permettant pas de trouver facilement les produits les plus susceptibles de les intéresser et, d’autre part, ne permet pas de prévenir un risque systémique au sens dudit règlement. En outre, elle considère que les systèmes de recommandation reposant sur du profilage permettent de promouvoir les produits des petites et moyennes entreprises (PME) et que, en leur absence, elle serait contrainte de promouvoir ceux des entreprises plus connues. Par ailleurs, elle fait valoir qu’il ressort de la communication du 26 avril 2018 de la Commission au Parlement, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « Lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne » [COM(2018) 236 final], que cette disposition visait à assurer l’accès du public à diverses sources d’informations sur les réseaux sociaux, les services de partage de contenus ou les services de recherche. Or, un tel objectif ne serait pas pertinent s’agissant des places de marché.

95  À cet égard, l’article 38 du règlement 2022/2065 dispose que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne qui utilisent des systèmes de recommandation proposent au moins une option pour chacun de leurs systèmes de recommandation qui ne repose pas sur du profilage, tel qu’il est défini à l’article 4, point 4, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1).

96  L’article 4, point 4, du règlement 2016/679 définit le profilage comme « toute forme de traitement automatisé de données à caractère personnel consistant à utiliser ces données à caractère personnel pour évaluer certains aspects personnels relatifs à une personne physique, notamment pour analyser ou prédire des éléments concernant le rendement au travail, la situation économique, la santé, les préférences personnelles, les intérêts, la fiabilité, le comportement, la localisation ou les déplacements de cette personne physique ».

97  S’agissant des systèmes de recommandation, le considérant 70 du règlement 2022/2065 explique que « [l]a manière dont les informations sont hiérarchisées et présentées sur l’interface en ligne d’une plateforme en ligne afin de faciliter et d’optimiser l’accès aux informations pour les destinataires du service occupe une place essentielle dans les activités de la plateforme » et que « [c]ela consiste, par exemple, à suggérer, classer et hiérarchiser les informations de manière algorithmique, en les distinguant par le texte ou par d’autres représentations visuelles, ou en organisant de toute autre manière les informations fournies par les destinataires ». Ce considérant indique également que « [c]es systèmes de recommandation peuvent avoir une incidence significative sur la capacité des destinataires à récupérer les informations en ligne et à interagir avec elles, y compris pour faciliter la recherche d’informations pertinentes pour les destinataires du service et contribuer à améliorer l’expérience utilisateur » et qu’« [i]ls jouent également un rôle important dans l’amplification de certains messages, la diffusion virale de l’information et la stimulation du comportement en ligne. »

98  Premièrement, il convient de relever que l’article 38 du règlement 2022/2065 tend à permettre aux destinataires des très grandes plateformes en ligne de choisir, dans une certaine mesure, les informations auxquelles ils sont exposés, ainsi que cela résulte du considérant 70 de ce règlement. Plus particulièrement, l’article 38 dudit règlement confère aux destinataires la possibilité de ne se voir recommander que des produits dont la sélection n’a pas été influencée par la collecte de leurs données personnelles.

99  Dans ces conditions, d’une part, il y a lieu de constater que l’article 38 du règlement 2022/2065 n’empêche pas les destinataires d’une très grande plateforme en ligne d’utiliser un système de recommandation reposant sur du profilage. En outre, cette disposition permet à ces destinataires de revenir à une option reposant sur du profilage dans l’hypothèse où ils ne seraient pas satisfaits des recommandations qui leur auraient été faites en l’absence d’un tel profilage.

100  Par conséquent, il convient de considérer que, contrairement à ce que soutient la requérante, l’article 38 du règlement 2022/2065 ne saurait porter préjudice aux consommateurs des places de marché.

101  D’autre part, il convient de considérer que l’article 38 du règlement 2022/2065 renforce les droits des consommateurs en leur offrant la possibilité d’exprimer un choix quant aux produits qui leur sont proposés. Cette disposition est donc à tout le moins susceptible de contribuer à un niveau élevé de protection des consommateurs et, par voie de conséquence, de prévenir un risque systémique au titre de l’article 34, paragraphe 1, sous b), de ce règlement.

102  Deuxièmement, il convient de relever que le fait, invoqué par la requérante, que l’article 38 du règlement 2022/2065 favorise les grandes entreprises au détriment des PME sur les places de marché n’est pas de nature à démontrer une violation de la liberté d’entreprise des fournisseurs de ces places de marché.

103  En outre, d’une part, pour autant qu’il ressort de l’étude économique figurant à l’annexe A.2 de la requête (ci-après l’« étude économique de la requérante ») que les systèmes de recommandation reposant sur du profilage permettent une meilleure commercialisation des « produits de niche », cela ne permet pas d’expliquer la raison pour laquelle les grandes entreprises ne seraient pas susceptibles de développer, parmi leur gamme de produits, de tels produits destinés à un public spécialisé. Ainsi, même à supposer que les systèmes de recommandation reposant sur du profilage favorisent la commercialisation des produits de niche, il n’est pas possible d’en déduire que de tels systèmes seraient, par nature, favorables aux PME.

104  D’autre part, ainsi que le relève en substance la Commission, la requérante n’explique pas la raison pour laquelle les places de marché ne seraient pas en mesure de permettre aux consommateurs d’effectuer des recherches par critères dans leur interface permettant d’identifier des produits de niche.

105  Par conséquent, la requérante n’établit pas que l’article 38 du règlement 2022/2065 est de nature à engendrer des coûts significatifs pour les PME ni, par voie de conséquence, pour les fournisseurs de places de marché.

106  Troisièmement, il y a lieu de constater que la requérante ne saurait utilement invoquer la communication COM(2018) 236, qui émane uniquement de la Commission et qui n’a pas de valeur contraignante, afin de remettre en cause la légalité du règlement 2022/2065. Au demeurant, s’il ressort de cette communication que la Commission souhaitait que les « utilisateurs » de plateformes en ligne puissent avoir accès à des « outils de personnalisation et d’interaction en ligne pour leur permettre de découvrir plus facilement des contenus et d’accéder plus aisément à des sources d’information différentes offrant des points de vue contrastés » et, ainsi, de lutter contre la désinformation, il ne saurait en être déduit que l’article 38 dudit règlement ne pourrait pas permettre, en outre, d’améliorer l’information des consommateurs sur les places de marché.

107  En troisième lieu, la requérante relève que l’article 39 du règlement 2022/2065 conduit à divulguer des informations confidentielles relatives aux activités publicitaires des annonceurs sur la plateforme Amazon Store. Elle en déduit que cette plateforme sera moins attractive pour les annonceurs, notamment au regard des plateformes en ligne qui ne sont pas désignées comme des très grandes plateformes en ligne. Par ailleurs, elle fait valoir que la mise en œuvre de l’obligation prévue par ladite disposition engendre des coûts supérieurs à ceux estimés par la Commission dans son analyse d’impact.

108  Ainsi qu’il a été relevé au point 87 ci-dessus, l’article 39 du règlement 2022/2065 prévoit la diffusion d’informations au public qui incluent, notamment, le contenu de la publicité, y compris le nom du produit, du service ou de la marque, ainsi que l’objet de la publicité, la personne physique ou morale pour le compte de laquelle la publicité est présentée, la période au cours de laquelle la publicité a été présentée, le fait que la publicité était ou non destinée à être présentée spécifiquement à un ou plusieurs groupes particuliers de destinataires du service et, dans l’affirmative, les principaux paramètres utilisés à cette fin, y compris, s’il y a lieu, les principaux paramètres utilisés pour exclure un ou plusieurs de ces groupes particuliers et le nombre total de destinataires du service atteint et, le cas échéant, les nombres totaux ventilés par État membre pour le ou les groupes de destinataires que la publicité ciblait spécifiquement.

109  Or, la requérante n’apporte aucun élément susceptible d’établir que la diffusion des informations mentionnées à l’article 39 du règlement 2022/2065 aurait une incidence négative sur l’attractivité de la plateforme Amazon Store pour les annonceurs.

110  En effet, l’étude économique de la requérante se borne à relever que des informations relatives au contenu, au ciblage et au succès d’une publicité permettraient aux concurrents de l’annonceur de copier sa stratégie. Cette étude précise, à cet égard, que les informations relatives au « succès » d’une publicité sont « cruciales ».

111  Toutefois, certaines informations, dont celles relatives au contenu des publicités sont, par nature, accessibles au public, indépendamment de l’article 39 du règlement 2022/2065. En outre, la requérante ne développe aucune argumentation tendant à établir que les informations relatives au ciblage ne pourraient pas être déduites en observant la plateforme concernée et en tenant compte de la nature du produit faisant l’objet de la publicité en cause. D’ailleurs, à la différence des informations relatives au succès d’une publicité, elle ne qualifie pas celles relatives au ciblage de « cruciales ».

112  Quant aux informations relatives au succès d’une publicité, l’étude économique de la requérante renvoie à une précédente étude économique de 1953, dont il n’est pas certain que les conclusions puissent être applicables aux plateformes en ligne. En outre, cette étude de la requérante ne précise pas la manière dont elle définit le succès d’une publicité. Si la requérante entend faire référence à une éventuelle augmentation des ventes du produit faisant l’objet de la publicité en cause, alors il suffit de relever que l’article 39 du règlement 2022/2065 ne prévoit pas la diffusion d’informations à cet égard.

113  En quatrième lieu, la requérante fait valoir que l’article 40, paragraphes 4 et 12, du règlement 2022/2065 la contraint à divulguer une quantité « illimitée » de données, dont des données confidentielles, dans le but d’étudier des « risques systémiques », alors que l’existence de tels risques ne serait pas établie.

114  Aux termes de l’article 40, paragraphe 4, du règlement 2022/2065, sur demande motivée du coordinateur pour les services numériques de l’État membre d’établissement, les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne fournissent, dans un délai raisonnable spécifié dans la demande, l’accès aux données à des chercheurs agréés qui satisfont aux exigences énoncées à l’article 40, paragraphe 8, de ce règlement à la seule fin de procéder à des recherches contribuant à la détection, au recensement et à la compréhension des risques systémiques dans l’Union, tels qu’ils sont énoncés à l’article 34, paragraphe 1, dudit règlement, ainsi qu’à l’évaluation du caractère adéquat, de l’efficacité et des effets des mesures d’atténuation des risques prises en vertu de l’article 35 de ce même règlement.

115  Parmi les conditions énoncées à l’article 40, paragraphe 8, du règlement 2022/2065, les chercheurs doivent démontrer qu’ils sont à même de respecter les exigences spécifiques en matière de sécurité et de confidentialité des données correspondant à chaque demande ainsi que de protéger les données à caractère personnel. En outre, ils doivent décrire, dans leur demande, les mesures techniques et organisationnelles appropriées qu’ils ont mises en place à cet effet.

116  Par ailleurs, l’article 40, paragraphe 5, du règlement 2022/2065 précise que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne peuvent demander au coordinateur pour les services numériques de l’État membre d’établissement de modifier la demande, lorsqu’ils considèrent ne pas être en mesure de fournir l’accès aux données demandées au motif, notamment, que fournir un tel accès entraînera d’importantes vulnérabilités pour la protection d’informations confidentielles, en particulier des secrets d’affaires.

117  Enfin, l’article 40, paragraphe 12, du règlement 2022/2065 ajoute que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne donnent accès, sans retard injustifié, aux données, y compris, lorsque cela est techniquement possible, aux données en temps réel, à condition que ces données soient publiquement accessibles sur leur interface en ligne aux chercheurs, y compris ceux qui sont affiliés à des organismes et des associations à but non lucratif, qui remplissent les conditions énoncées à l’article 40, paragraphe 8, sous b) à e), dudit règlement et qui utilisent les données uniquement à des fins de recherches contribuant à la détection, à la détermination et à la compréhension des risques systémiques dans l’Union en vertu de l’article 34, paragraphe 1, de ce même règlement.

118  À cet égard, premièrement, ainsi qu’il a été relevé au point 77 ci-dessus, les places de marché dont le NMM atteint 45 millions sont susceptibles d’engendrer divers risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, du règlement 2022/2065. Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, l’article 40 de ce règlement, qui vise à permettre des recherches contribuant à la détection, au recensement et à la compréhension de ces risques systémiques, est de nature à contribuer à la réduction des risques systémiques posés par ces places de marché.

119  Deuxièmement, il convient de relever que l’article 40, paragraphe 5, du règlement 2022/2065 prévoit la possibilité, pour le fournisseur d’une très grande plateforme en ligne, de demander la modification de la demande d’accès aux données aux fins de la protection des données confidentielles. En outre, si malgré la modification de la demande, ledit fournisseur devait communiquer de telles données, il convient de constater que l’article 40, paragraphe 8, du règlement 2022/2065 impose aux chercheurs concernés de démontrer qu’ils sont en mesure de préserver la confidentialité des données qu’ils reçoivent. À cet égard, contrairement à ce que soutient la requérante, le législateur n’était pas obligé de décrire, dans ce règlement, les mesures concrètes que les chercheurs devaient adopter afin de préserver la confidentialité des données qu’ils reçoivent. Il pouvait, en effet, se contenter d’obliger les chercheurs, d’une part, à démontrer qu’ils avaient, pour chaque demande d’accès, la capacité de préserver la sécurité et la confidentialité des données faisant l’objet de cette demande et, d’autre part, à décrire eux-mêmes les mesures techniques et organisationnelles qu’ils avaient prises à cette fin.

120  En cinquième lieu, la requérante et bevh font valoir que la mise en œuvre des obligations figurant aux articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 impose aux fournisseurs de places de marché des charges importantes, y compris afin d’apporter des modifications complexes à leurs systèmes informatiques. Toutefois, elles ne produisent aucune estimation des coûts liés à ces modifications, y compris dans l’étude économique de la requérante. Par ailleurs, à supposer que ces coûts soient réellement significatifs, y compris pour des fournisseurs de très grandes plateformes en ligne susceptibles d’avoir accès à de vastes ressources, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il a été indiqué au point 59 ci-dessus, l’importance que revêt l’objectif de protection des consommateurs est susceptible de justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs économiques.

121  Dans ces conditions, la requérante et bevh ne sont pas fondées à soutenir que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 est manifestement inapproprié pour atteindre les objectifs de ce règlement ni, par conséquent, qu’il viole l’article 16 de la Charte.

122  Par conséquent, il convient d’écarter la première branche du premier moyen , sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité, contestée par la Commission, de certains arguments soulevés à son soutien dans la réplique.

b)  Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 17, paragraphe 1, de Charte

123  La requérante, soutenue par bevh, relève que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, en tant qu’il soumet certaines places de marché aux obligations prévues aux articles 34 à 43 de ce règlement, viole l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Elle fait valoir que ces obligations ont une incidence significative sur ses activités et qu’elles constituent, en conséquence, une ingérence dans son droit de propriété.

124  La Commission, soutenue par le Parlement, le Conseil et le BEUC, conteste l’argumentation de la requérante.

125  Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, « toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer » et que « [n]ul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte ». Cet article dispose également que « [l]’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général ».

126  La protection conférée par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte porte sur des droits ayant une valeur patrimoniale dont découle, eu égard à l’ordre juridique, une position juridique acquise permettant un exercice autonome de ces droits par et au profit de leur titulaire (arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C‑283/11, EU:C:2013:28, point 34). Ainsi, la Cour a jugé que les charges de nature administrative ne constituent pas une ingérence dans le droit de propriété (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 11 juillet 1989, Schräder HS Kraftfutter, 265/87, EU:C:1989:303, points 16 et 17).

127  En l’espèce, il y a lieu de constater, à l’instar de la Commission, que la requérante ne développe aucune argumentation au soutien de son affirmation selon laquelle les obligations prévues aux articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 constituent une ingérence dans son droit de propriété.

128  Au surplus, il convient de relever que les obligations, prévues aux articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 et décrites au point 52 ci-dessus, imposent certes des charges administratives aux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne, mais qu’elles ne privent pas ces derniers de la propriété desdites plateformes. En outre, à supposer même que ces obligations puissent être regardées comme des ingérences dans le droit de propriété des fournisseurs en question, il y a lieu de considérer que ces ingérences seraient, en tout état de cause, justifiées par des motifs analogues à ceux exposés aux points 62 à 120 ci-dessus s’agissant de l’article 16 de la Charte.

129  Il s’ensuit que la requérante et bevh ne sont pas fondées à soutenir que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 viole l’article 17 de la Charte.

130  Par conséquent, il convient d’écarter la deuxième branche du premier moyen.

c)  Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 20 de la Charte

131  La requérante, soutenue par bevh, relève que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, en tant qu’il soumet certaines places de marché aux obligations prévues aux articles 34 à 43 de ce règlement, viole le principe d’égalité de traitement consacré à l’article 20 de la Charte. À cet égard, elle constate que l’article 33, paragraphe 1, dudit règlement traite de la même manière les différents types de plateformes en ligne, ainsi que d’ailleurs les moteurs de recherche en ligne, alors que ces derniers, les réseaux sociaux et les services de partage de contenus engendrent des risques spécifiques que n’engendrent pas les places de marché. En outre, elle relève que cette disposition traite différemment des situations comparables en excluant de son champ d’application les détaillants et les places de marché dont le NMM est inférieur à 45 millions.

132  La Commission, soutenue par le Parlement, le Conseil et le BEUC, conteste l’argumentation de la requérante.

133  À cet égard, il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré notamment par l’article 20 de la Charte, lequel dispose que toutes les personnes sont égales en droit.

134  Il ressort d’une jurisprudence constante que le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié [arrêts du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a., C‑550/07 P, EU:C:2010:512, point 55, et du 6 juin 2023, O. G. (Mandat d’arrêt européen à l’encontre d’un ressortissant d’un État tiers), C‑700/21, EU:C:2023:444, point 42]. Pour pouvoir déterminer s’il y a ou non une telle violation dudit principe, il convient notamment de s’en remettre à l’objet et au but poursuivi par la disposition dont il est allégué qu’elle le violerait (voir arrêt du 6 septembre 2018, Piessevaux/Conseil, C‑454/17 P, non publié, EU:C:2018:680, point 79 et jurisprudence citée).

135  En outre, dans un domaine tel que celui de l’espèce, dans lequel le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le principe d’égalité de traitement n’est méconnu que lorsque ce législateur procède à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate par rapport à l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 127, et du 9 mars 2023, Grossetête/Parlement, C‑714/21 P, non publié, EU:C:2023:187, point 48).

136  En l’espèce, en premier lieu, la requérante soutient que les places de marché, d’une part, et les réseaux sociaux, les services de partage de contenus et les moteurs de recherche en ligne, d’autre part, ne se trouvent pas dans une situation comparable aux fins de l’application des obligations prévues par les articles 34 à 43 du règlement 2022/2065. Plus particulièrement, elle relève que ces obligations visent à prévenir des risques susceptibles d’être engendrés par des réseaux sociaux, des services de partage de contenus et des moteurs de recherche en ligne, mais non par des places de marché. Elle en déduit que l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement s’applique, à tort, à ces dernières.

137  Toutefois, premièrement, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il résulte du point 77 ci-dessus, les places de marché dont le NMM atteint 45 millions sont susceptibles d’engendrer de nombreux risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, sous a) à d), du règlement 2022/2065.

138  Deuxièmement, pour autant que la requérante affirme, sans plus d’explications, que « bon nombre » des obligations prévues par les articles 34 à 43 du règlement 2022/2065 ne tendraient pas à protéger les consommateurs ou à prévenir la commercialisation de produits contrefaisants ou dangereux, il suffit de relever qu’elle n’identifie pas les dispositions auxquelles elle fait référence. En outre, si elle soutient par ailleurs que l’article 38 de ce règlement ne permet pas de réduire la probabilité qu’un consommateur soit exposé à des offres de produits illégaux, il convient de constater que cette disposition contribue néanmoins à renforcer les droits des consommateurs pour les raisons indiquées au point 101 ci-dessus. Par ailleurs, il résulte des points 71 à 74 et 77 ci-dessus que, contrairement à ce que suggère la requérante, les risques engendrés par les places de marché ne se limitent en tout état de cause pas à ceux ayant un effet négatif sur la protection des consommateurs ni à ceux relatifs à la commercialisation de produits contrefaisants ou dangereux.

139  Troisièmement, la requérante fait valoir que, s’agissant de la « diffusion de discours, de contenus et d’informations », les places de marché devraient être traitées de la même manière que les services d’informatique en nuage (cloud computing) et les services d’hébergement de sites Internet, qui ne constituent pas des plateformes en ligne au sens du règlement 2022/2065 et qui, en conséquence, ne sont pas visés par l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement.

140  À cet égard, il convient de relever que le considérant 13 du règlement 2022/2065 précise que « les services d’informatique en nuage et les services d’hébergement de sites Internet ne devraient pas être considérés comme une plateforme en ligne lorsque la diffusion d’informations spécifiques au public constitue une caractéristique mineure et accessoire ou une fonctionnalité mineure de ces services ». Or, la requérante ne conteste pas que la diffusion d’informations au public à la demande d’un destinataire du service ne constitue pas une caractéristique mineure et accessoire ou une fonctionnalité mineure des places de marché. Par voie de conséquence, il y a lieu de considérer que l’article 33, paragraphe 1, dudit règlement, en tant qu’il vise les places de marché et non certains services d’informatique en nuage et certains services d’hébergement de sites Internet, ne procède pas à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate aux fins de la prévention des risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, dudit règlement.

141  Dans ces conditions, il convient de considérer que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, en tant qu’il s’applique à la fois aux places de marché, aux réseaux sociaux, aux services de partage de contenus et aux moteurs de recherche en ligne, n’apparaît pas manifestement inadéquat pour prévenir les risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, de ce règlement.

142  En deuxième lieu, la requérante fait valoir que l’ensemble des fournisseurs de places de marché, indépendamment de leur NMM, devraient être traités de la même manière aux fins de l’application des obligations prévues par les articles 34 à 43 du règlement 2022/2065. Elle en déduit que l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement s’applique, à tort, aux fournisseurs de place de marché dont le NMM est supérieur ou égal à 45 millions.

143  À cet égard, premièrement, la requérante soutient que les risques relatifs à la diffusion de contenus illicites sont plus importants sur les petites places de marché que sur les grandes et qu’il est donc paradoxal d’imposer des obligations supplémentaires aux fournisseurs de ces dernières. Plus particulièrement, elle relève que les produits illégaux, dont les produits dangereux ou contrefaisants, sont principalement commercialisés sur les petites places de marché, via les réseaux sociaux ou dans le darknet. Elle fait valoir que le risque que tels produits puissent être commercialisés sur des grandes places de marché est faible. Elle ajoute qu’il résulte du considérant 72 du règlement 2022/2065 que ce règlement impose à l’ensemble des places de marché différentes obligations visant à les « dissuader […] de vendre des produits ou des services en violation des règles applicables ». Elle en déduit que le législateur reconnaissait, lui-même, que les risques liés à la commercialisation de produits illégaux ne constituaient pas des risques systémiques et qu’ils n’augmentaient pas avec le nombre de destinataires actifs.

144  Toutefois, d’une part, la requérante reconnaît que des places de marché, indépendamment de leur taille, peuvent être utilisées afin de faciliter la commercialisation de produits dangereux ou illégaux.

145  D’autre part, même à le supposer établi, le fait que la requérante ou les autres fournisseurs de places de marché dont le NMM atteint 45 millions ont, jusqu’à présent, procédé à un contrôle efficace des informations diffusées sur leurs plateformes n’est pas de nature à exclure que ces dernières puissent, à l’avenir, exposer un grand nombre de personnes à des contenus illicites dès lors que leur NMM demeurerait supérieur ou égal à 45 millions. Par conséquent, et ainsi qu’il résulte des points 73, 74 et 77 ci-dessus, il convient de considérer qu’une place de marché dont le NMM atteint 45 millions est susceptible d’exposer une partie significative de l’Union à des contenus illicites et, par suite, de causer un risque systémique au sens de l’article 34, paragraphe 1, sous a), du règlement 2022/2065.

146  Dans ces conditions, il convient de relever, à l’instar du législateur au considérant 76 du règlement 2022/2065, que des places de marché dont le NMM atteint 45 millions peuvent engendrer des risques pour la société qui diffèrent, par leur ampleur et leur incidence, de ceux qui sont imputables aux plateformes de plus petite taille.

147  Par ailleurs, le fait, invoqué par la requérante, que le règlement 2022/2065 impose des obligations à l’ensemble des places de marché visant à prévenir la commercialisation de produits dangereux ou illégaux ne suffit pas à établir que les obligations supplémentaires imposées aux places de marché dont le NMM atteint 45 millions seraient manifestement inadéquates pour prévenir les risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, dudit règlement.

148  Deuxièmement, la requérante soutient que, pour atteindre un NMM s’élevant à 45 millions, les très grandes plateformes en ligne doivent, en pratique, nécessairement opérer dans plusieurs États membres. Elle en déduit que les obligations imposées aux fournisseurs de ces très grandes plateformes en ligne ne s’appliquent pas aux fournisseurs de plateformes en ligne opérant dans un seul État membre, y compris lorsqu’une partie importante de la population de cet État membre est exposée aux contenus desdites plateformes. Elle relève, à cet égard, que cette différence de traitement n’est pas justifiée par la prévention de certains risques systémiques, dont ceux relatifs au processus démocratique, lesquels présenteraient un caractère national.

149  Toutefois, d’une part, la requérante n’explique pas la raison pour laquelle certains risques ne présenteraient qu’un caractère national, et ce alors même qu’existe, au niveau de l’Union, un processus démocratique, ainsi qu’il découle de l’article 10 TUE et de l’article 22, paragraphe 2, TFUE.

150  D’autre part, il résulte de l’article 33, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 et du considérant 76 de ce règlement que le législateur a considéré qu’une plateforme en ligne était susceptible d’engendrer des risques systémiques à l’échelle de l’Union lorsque son NMM atteignait ou dépassait 10 % de la population de l’Union. Or, il convient de relever que les plateformes en ligne qui ne seraient présentes que dans un seul État membre et dont le NMM serait inférieur à 45 millions, même si une partie importante de la population de cet État membre était exposée à leurs contenus, seraient moins susceptibles d’engendrer des risques systémiques à l’échelle de l’Union que les plateformes en ligne dont le NMM dépasserait 45 millions.

151  Par conséquent, il y a lieu de considérer que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, pour autant qu’il ne s’applique qu’aux fournisseurs des places de marché dont le NMM atteint 45 millions, ne procède pas à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate aux fins de la prévention des risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, de ce règlement.

152  En troisième lieu, la requérante fait valoir que les fournisseurs de places de marché devraient être traités de la même manière que les détaillants aux fins de l’application des obligations prévues par les articles 34 à 43 du règlement 2022/2065. Elle constate, en effet, que les détaillants, à savoir les entreprises ne commercialisant sur Internet que leurs propres produits, ne sont pas visés par l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement, alors que, à l’instar des places de marché, ils permettent également aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec un professionnel.

153  Toutefois, d’une part, à la différence des sites Internet des détaillants, les plateformes en ligne diffusent des informations fournies par un destinataire du service. Ainsi, alors que les sites Internet des détaillants ne diffusent, en principe, que leurs propres informations, les plateformes en ligne sont susceptibles de diffuser des informations provenant d’un grand nombre de personnes. Il ressort ainsi de l’étude économique de la requérante que plusieurs millions de vendeurs commercialisent leurs produits sur la plateforme Amazon Store.

154  Dans ces conditions, il convient de relever que, contrairement aux détaillants, les fournisseurs de plateformes en ligne n’ont pas nécessairement connaissance de l’ensemble des informations diffusées sur leurs plateformes. Au demeurant, il convient de relever qu’ils bénéficient, pour cette raison, d’exemptions de responsabilité, dont la requérante ne conteste pas la légalité. Ainsi, il résulte de l’article 6 du règlement 2022/2065 que ces fournisseurs ne sont pas responsables des informations stockées à la demande d’un destinataire du service lorsqu’ils n’ont pas connaissance d’une activité illégale ou d’un contenu illicite. L’article 8 de ce règlement ajoute, à cet égard, que ces mêmes fournisseurs ne sont soumis à aucune obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent ou de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illégales.

155  Par conséquent, il convient de noter que, à la différence des détaillants, les fournisseurs de grandes plateformes en ligne sont susceptibles de faciliter la diffusion de contenus illicites à leur insu et sans que leur responsabilité puisse être engagée.

156  D’autre part, la Commission a relevé, dans son analyse d’impact, que « la situation unique des plus grandes plateformes en ligne, telles que les réseaux sociaux ou les places de marché en ligne, constitu[ait] un facteur important des problèmes recensés », qu’« [u]n nombre relativement limité de plateformes en ligne concentr[ait] un très grand nombre d’utilisateurs, tant des consommateurs que des professionnels » et que « [l]es très grandes plateformes présent[ai]ent un niveau plus élevé de risque sociétal et économique, car elles [étaie]nt devenues de fait des espaces publics et jou[ai]ent un rôle systémique pour des millions de citoyens et d’entreprises ». La Commission a également relevé que, « [e]n d’autres termes, elles [avaie]nt une incidence nettement plus importante sur la société et sur le marché unique que les plateformes de plus petite taille car elles touch[ai]ent un large public ». La Commission avait ainsi relevé que les très grandes plateformes en ligne jouaient un rôle significatif à la fois pour les consommateurs et les vendeurs commercialisant leurs produits sur ces plateformes. Or, il n’est pas contesté que les détaillants ne jouent pas un tel rôle, à tout le moins en ce qui concerne ces vendeurs.

157  Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, en tant qu’il s’applique aux fournisseurs de places de marché et non aux détaillants, ne procède pas à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate aux fins de la prévention des risques systémiques mentionnés à l’article 34, paragraphe 1, de ce règlement.

158  Il s’ensuit que la requérante et bevh ne sont pas fondées à soutenir que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 viole l’article 20 de la Charte.

159  Par conséquent, il convient d’écarter la troisième branche du premier moyen.

d)  Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 11, paragraphe 1, de la Charte

160  La requérante, soutenue par bevh, relève que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, en tant qu’il soumet certaines places de marché à l’obligation prévue par l’article 38 de ce règlement, viole la liberté d’expression et d’information consacrée à l’article 11, paragraphe 1, de la Charte. En effet, elle relève que cette obligation consiste à proposer, pour chaque système de recommandation, une option qui ne repose pas sur du profilage. Ainsi, ladite obligation porterait atteinte à la liberté d’expression commerciale des places de marché dans la mesure où elle les empêcherait de présenter les produits les plus pertinents aux consommateurs. Elle entraverait, en outre, la capacité des vendeurs tiers présents sur les places de marché à promouvoir efficacement leurs produits et à communiquer avec leurs clients. Enfin, elle ne serait pas justifiée pour prévenir les risques systémiques mentionnés par ledit règlement.

161  La Commission, soutenue par le Parlement, le Conseil et le BEUC, conteste l’argumentation de la requérante.

162  Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, de la Charte, toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières.

163  Dans les explications relatives à la Charte, il est précisé que l’article 11 de la Charte correspond à l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

164  Il y a lieu de rappeler, à cet égard, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que l’article 10 de la CEDH, qui protège la liberté d’expression et d’information, s’applique en particulier à la diffusion par un entrepreneur des informations à caractère commercial, notamment sous la forme de messages publicitaires (voir arrêt du 3 février 2021, Fussl Modestraße Mayr, C‑555/19, EU:C:2021:89, point 81 et jurisprudence citée).

165  Ainsi qu’il a été rappelé au point 95 ci-dessus, l’article 38 du règlement 2022/2065 dispose que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne qui utilisent des systèmes de recommandation proposent au moins une option pour chacun de leurs systèmes de recommandation qui ne repose pas sur du profilage.

166  À cet égard, d’une part, il convient de relever que la requérante n’explique pas la raison pour laquelle l’article 38 du règlement 2022/2065, qui ne s’applique qu’aux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne, serait de nature à pouvoir restreindre la manière dont les vendeurs commercialisant des produits sur une place de marché peuvent présenter leurs informations à caractère commercial, dont leurs messages publicitaires. Il s’ensuit que la requérante n’est pas fondée à soutenir que cette disposition constitue une ingérence dans la liberté d’expression et d’information desdits vendeurs.

167  D’autre part, il convient de relever que l’article 38 du règlement 2022/2065, en tant qu’il oblige les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne à proposer au moins une option pour chacun de leurs systèmes de recommandation qui ne repose pas sur du profilage, restreint la manière dont ces fournisseurs peuvent présenter les produits commercialisés sur leurs plateformes dans l’hypothèse où le destinataire choisirait une telle option.

168  L’article 38 du règlement 2022/2065 constitue donc une ingérence dans la liberté d’expression et d’information des places de marché.

169  Toutefois, il y a lieu de rappeler que les droits consacrés à l’article 11 de la Charte n’apparaissent pas comme étant des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société (arrêt du 6 octobre 2020, Privacy International, C‑623/17, EU:C:2020:790, point 63). Ainsi qu’il résulte du point 55 ci-dessus, toute limitation à ces droits doit être prévue par la loi, respecter leur contenu essentiel et, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

170  Or, en l’espèce, premièrement, il n’est pas contesté que la limitation résultant de l’article 38 du règlement 2022/2065 est prévue par un acte législatif et qu’elle doit, en conséquence, être regardée comme étant prévue par la loi.

171  Deuxièmement, le contenu essentiel de la liberté d’expression et d’information des fournisseurs de très grandes plateformes en ligne n’est pas affecté. En effet, d’une part, l’article 38 du règlement 2022/2065 ne contient pas de règles restreignant la liberté dont jouissent ces fournisseurs pour présenter les produits commercialisés sur leurs plateformes dans le cadre d’un système de recommandation qui ne repose pas sur du profilage. D’autre part, cette disposition n’interdit pas auxdits fournisseurs de proposer des systèmes de recommandation fondés sur du profilage dès lors qu’ils offrent, en plus, une option pour chacun de ces systèmes, qui ne soit pas fondée sur du profilage.

172  Troisièmement, la limitation résultant de l’article 38 du règlement 2022/2065 poursuit un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union. En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 101 ci-dessus, cette disposition est susceptible de contribuer à un niveau élevé de protection des consommateurs consacré à l’article 38 de la Charte.

173  Quatrièmement, quant à la proportionnalité de l’ingérence constatée, il importe de souligner qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH que les autorités concernées jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un besoin social impérieux susceptible de justifier une restriction à la liberté d’expression. Selon cette jurisprudence, cela est particulièrement indispensable en matière commerciale et spécialement dans un domaine aussi complexe et fluctuant que la publicité (voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2021, Fussl Modestraße Mayr, C‑555/19, EU:C:2021:89, point 91).

174  À cet égard, il y a lieu de relever que l’obligation de proposer au moins une option pour chaque système de recommandation qui ne repose pas sur du profilage, figurant à l’article 38 du règlement 2022/2065, procède d’une mise en balance entre la liberté d’expression à caractère commercial des fournisseurs de très grandes plateformes en ligne et la protection des consommateurs. Ainsi, le législateur a pu considérer, sans dépasser son importante marge d’appréciation, que la protection des consommateurs nécessitait que ces derniers puissent avoir accès, s’ils le souhaitaient, à une option qui ne reposait pas sur du profilage pour chacun des systèmes de recommandation utilisés sur les très grandes plateformes en ligne.

175  Par conséquent, il convient de considérer que la requérante et bevh ne sont pas fondées à soutenir que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 viole l’article 11 de la Charte.

176  Il s’ensuit qu’il convient d’écarter la quatrième branche du premier moyen.

e)  Sur la cinquième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 7 de la Charte

177  La requérante, soutenue par bevh, relève que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, en tant qu’il soumet certaines places de marché aux obligations prévues à l’article 39 et à l’article 40, paragraphes 4 et 12, de ce règlement, viole la protection des données confidentielles consacrée à l’article 7 de la Charte. En effet, d’une part, la divulgation au public des informations mentionnées à l’article 39 dudit règlement serait susceptible de causer aux fournisseurs de places de marché un préjudice commercial important. D’autre part, l’article 40, paragraphes 4 et 12, de ce même règlement pourrait conduire à communiquer un grand nombre d’informations à des chercheurs. En outre, cette disposition ne prévoirait pas de garanties suffisantes pour préserver la confidentialité de ces informations. Enfin, ni l’article 39 ni l’article 40, paragraphes 4 et 12, du règlement en question ne seraient justifiés pour prévenir les risques systémiques visés par ce règlement.

178  La Commission, soutenue par le Parlement, le Conseil et le BEUC, conteste l’argumentation de la requérante.

179  Aux termes de l’article 7 de la Charte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.

180  Dans les explications relatives à la Charte, il est indiqué que les droits garantis à l’article 7 de la Charte correspondent à ceux qui sont garantis par l’article 8 de la CEDH. Il en résulte que, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les limitations susceptibles de leur être légitimement apportées sont les mêmes que celles tolérées dans le cadre de l’article 8 de la CEDH.

181  Il y a lieu de rappeler, à cet égard, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la notion de « vie privée » n’exclut pas les activités professionnelles ou commerciales des personnes physiques et des personnes morales (voir, en ce sens, arrêts du 14 février 2008, Varec, C‑450/06, EU:C:2008:91, point 48, et du 29 juillet 2024, Belgian Association of Tax Lawyers e.a., C‑623/22, EU:C:2024:639, point 126).

182  En l’espèce, d’une part, ainsi qu’il résulte du point 87 ci-dessus, l’article 39 du règlement 2022/2065 prévoit que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne tiennent et mettent à la disposition du public un registre contenant des informations relatives à leurs activités publicitaires, pendant toute la durée pendant laquelle ils présentent les publicités concernées et jusqu’à un an après la dernière présentation de celles-ci. Cette disposition précise, en outre, que lesdits fournisseurs doivent veiller à ce que ce registre ne contienne aucune donnée à caractère personnel des destinataires du service auxquels ces publicités ont été ou auraient pu être présentées.

183  D’autre part, il résulte des points 114 et 117 ci-dessus que l’article 40, paragraphes 4 et 12, du règlement 2022/2065 prévoit que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne puissent devoir communiquer différentes informations, dont des informations confidentielles, à des chercheurs agréés sur demande motivée du coordinateur pour les services numériques de l’État membre d’établissement.

184  Dans ces conditions, il convient de relever que l’article 39 et l’article 40, paragraphes 4 et 12, du règlement 2022/2065, en tant qu’ils contraignent les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne à divulguer des informations susceptibles d’être confidentielles, constituent une ingérence dans le droit au respect de la vie privée garanti à l’article 7 de la Charte.

185  Toutefois, les droits consacrés à l’article 7 de la Charte n’apparaissent pas comme étant des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société (arrêts du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems, C‑311/18, EU:C:2020:559, point 172, et du 29 juillet 2024, Belgian Association of Tax Lawyers e.a., C‑623/22, EU:C:2024:639, point 134). Ainsi qu’il résulte du point 55 ci-dessus, toute limitation à ces droits doit être prévue par la loi, respecter leur contenu essentiel et, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

186  En l’espèce, en premier lieu, il n’est pas contesté que les limitations résultant de l’article 39 et de l’article 40, paragraphes 4 et 12, du règlement 2022/2065 sont prévues par un acte législatif et qu’elles doivent, en conséquence, être regardées comme étant prévues par la loi.

187  En deuxième lieu, le contenu essentiel du droit au respect à la vie privée des fournisseurs de très grandes plateformes en ligne n’est pas affecté.

188  En effet, premièrement, l’article 39 du règlement 2022/2065 ne prévoit la diffusion d’informations que pour une durée limitée et qu’en ce qui concerne une partie restreinte de l’activité économique des places de marché. À cet égard, la requérante reconnaît elle-même que ses revenus publicitaires ne représentent que 7 % de l’ensemble de ses revenus. En outre, ainsi qu’il a été relevé aux points 110 et 112 ci-dessus, cette disposition ne prévoit pas la diffusion des informations relatives au succès d’une publicité, dont la requérante fait valoir qu’elles sont les plus sensibles sur le plan commercial. Par ailleurs, une partie de ces informations, telles que celles relatives au contenu des publicités, des produits et des marques faisant l’objet des publicités en cause, ne sont pas confidentielles. Enfin, cette même disposition exclut la diffusion de toute donnée à caractère personnel des destinataires du service exposés auxdites publicités.

189  Par ailleurs, la requérante a certes fait valoir, en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, que l’article 39, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/2065 requerrait la divulgation de l’identité de la personne physique pour le compte de laquelle la publicité était présentée ou qui avait payé celle-ci. Toutefois, il y a lieu de constater qu’une telle divulgation ne permet pas, à elle seule, d’avoir un aperçu de la vie privée et familiale de la personne concernée. Dans ces conditions, il n’apparaît pas que la divulgation de la seule l’identité d’un annonceur puisse constituer une atteinte au contenu essentiel des droits garantis à l’article 7 de la Charte [voir, en ce sens et par analogie, avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017, EU:C:2017:592, points 150 et 151 ; arrêts du 22 novembre 2022, Luxembourg Business Registers, C‑37/20 et C‑601/20, EU:C:2022:912, points 50 à 52, et du 21 mars 2024, Landeshauptstadt Wiesbaden, C‑61/22, EU:C:2024:251, points 80 et 81].

190  Deuxièmement, l’article 40, paragraphes 4 et 12, du règlement 2022/2065 ne prévoit la communication d’informations que sur demande motivée du coordinateur pour les services numériques de l’État membre d’établissement et à l’usage de chercheurs agréés ayant notamment démontré, conformément à l’article 40, paragraphe 8, sous d), de ce règlement, qu’ils sont à même de respecter les exigences spécifiques en matière de sécurité et de confidentialité des données.

191  En troisième lieu, s’agissant du respect du principe de proportionnalité, il convient de s’assurer, premièrement, que les obligations prévues à l’article 39 et à l’article 40, paragraphes 4 et 12, du règlement 2022/2065 sont aptes à réaliser un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union, deuxièmement, que l’ingérence dans le droit fondamental au respect de la vie privée qui est susceptible de résulter desdites obligations est limitée au strict nécessaire, en ce sens que l’objectif poursuivi ne pourrait raisonnablement être atteint de manière aussi efficace par d’autres moyens moins attentatoires à ce droit, et, troisièmement, pour autant que tel soit effectivement le cas, que cette ingérence n’est pas disproportionnée et n’occasionne pas des inconvénients démesurés par rapport audit objectif, ce qui implique notamment une pondération de l’importance de celui-ci et de la gravité de ladite ingérence (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2024, Belgian Association of Tax Lawyers e.a., C‑623/22, EU:C:2024:639, point 139). À cet égard, il convient toutefois de rappeler que le droit d’ingérence dans la vie privée est susceptible d’aller plus loin pour des activités professionnelles ou commerciales que dans d’autres cas (voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 29, et du 29 juillet 2024, Belgian Association of Tax Lawyers e.a., C‑623/22, EU:C:2024:639, point 127).

192  Or, premièrement, contrairement à ce que soutient bevh, les limitations résultant de l’article 39 et de l’article 40, paragraphes 4 et 12, du règlement 2022/2065 sont aptes à réaliser un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union. En effet, ainsi qu’il a été relevé aux points 89 et 118 ci-dessus, ces dispositions visent à réduire les risques systémiques afin notamment de contribuer à un niveau élevé de protection des consommateurs consacré à l’article 38 de la Charte.

193  Deuxièmement, ainsi qu’il résulte des points 86 à 89 ci-dessus, les mesures alternatives à l’article 39 du règlement 2022/2065, invoquées par la requérante, ne permettraient pas d’atteindre un même niveau de protection des consommateurs.

194  En outre, la requérante n’apporte aucun autre élément susceptible d’établir que l’article 39 du règlement 2022/2065 irait au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour permettre aux consommateurs de connaître les publicités diffusées sur les très grandes plateformes en ligne, y compris celles auxquelles ils ne seraient pas exposés compte tenu des paramètres de ciblage utilisés, et de comprendre les raisons pour lesquelles, eu égard auxdits paramètres, ils sont exposés à certaines publicités plutôt qu’à d’autres. Elle n’apporte pas non plus d’élément susceptible d’établir que cette disposition irait au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour permettre aux médias et aux associations de protection des consommateurs de contrôler les publicités diffusées sur les très grandes plateformes en ligne, notamment en vue de prévenir la promotion de produits illégaux ou inappropriés auprès de certains publics, comme les mineurs.

195  De même, la requérante n’apporte aucun élément permettant de considérer que l’article 40, paragraphes 4 et 12, du règlement 2022/2065 irait au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour pouvoir procéder à la détection, au recensement et à la compréhension des risques systémiques dans l’Union. D’ailleurs, la requérante ne fait pas valoir l’existence de mesures alternatives à cette disposition permettant d’atteindre cet objectif.

196  Troisièmement, d’une part, ainsi qu’il a été relevé aux points 111 et 188 ci-dessus, il convient de relever que les informations diffusées au titre de l’article 39 du règlement 2022/2065 ne portent que sur une partie limitée de l’activité économique des places de marché. En outre, une partie de ces informations, telles que celles relatives au contenu des publicités, des produits et des marques faisant l’objet des publicités en cause, ne sont pas confidentielles et les informations commercialement les plus sensibles pour la requérante, à savoir celles relatives au succès d’une publicité, ne font pas partie des informations diffusées au titre de ladite disposition.

197  De plus, pour autant que la requérante a invoqué, lors de l’audience, la divulgation de l’identité des personnes physiques visées à l’article 39, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/2065, il y a lieu de relever que cette divulgation ne concerne que les annonceurs qui ont choisi d’afficher des publicités sur une très grande plateforme en ligne. En outre, il résulte de ladite disposition que le registre ne contient pas d’informations relatives à une personne physique lorsque la publicité a été présentée et payée par une personne morale. Ainsi, il demeure loisible, pour ces annonceurs, d’établir une personne morale afin de ne pas divulguer leur identité.

198  D’autre part, l’article 40, paragraphes 4 et 12, du règlement 2022/2065 se limite à prévoir, dans des cas particuliers, la communication d’informations à des chercheurs agréés de façon à préserver l’éventuel caractère confidentiel de celles-ci.

199  Par ailleurs, la Cour a mis l’accent, dans sa jurisprudence, sur la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels (voir arrêt du 3 avril 2019, Aqua Med, C‑266/18, EU:C:2019:282, point 43 et jurisprudence citée). Or, l’objectif de protéger les consommateurs est d’autant plus important à l’égard des fournisseurs de très grandes plateformes en ligne, tels que la requérante, qui, ainsi qu’il a été relevé au point 77 ci-dessus, sont susceptibles d’engendrer des risques systémiques pour la société.

200  Dans ces conditions, il convient de considérer que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, en tant qu’il soumet certaines places de marché aux obligations prévues à l’article 39 et à l’article 40, paragraphes 4 et 12, de ce règlement, ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée garanti à l’article 7 de la Charte et n’occasionne pas des inconvénients démesurés par rapport aux objectifs poursuivis.

201  Il s’ensuit que la requérante et bevh ne sont pas fondées à soutenir que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 viole l’article 7 de la Charte.

202  Enfin, bevh soutient que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 viole la protection des données personnelles protégée à l’article 8 de la Charte, en tant qu’il soumet certaines places de marché aux obligations prévues à l’article 39 de ce règlement. Elle fait valoir que, parmi les informations diffusées en vertu de cette dernière disposition, figurent « l’identité ou la personne morale pour le compte de laquelle la publicité est présentée et payée ». Or, il suffit de constater que les données personnelles ne peuvent avoir trait qu’aux personnes physiques et non aux personnes morales, ainsi que cela résulte des explications relatives à la Charte et de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO 1995, L 281, p. 31), à laquelle ces explications renvoient. Au surplus, à supposer que bevh entendait faire référence aux personnes physiques visées à l’article 39, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/2065, il y a lieu de relever qu’une violation de l’article 8 de la Charte serait, en tout état de cause, exclue pour les motifs exposés aux points 189 et 197 ci-dessus.

203  Par conséquent, il convient d’écarter la cinquième branche du premier moyen, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité, contestée par la Commission, de certains arguments soulevés à son soutien dans la réplique.

204  P ar voie de conséquence, il y a lieu de rejeter le premier moyen dans son intégralité.

B.  Sur les deuxième et troisième moyens, tirés de l’exception d’illégalité respectivement de l’article 38 et de l’article 39 du règlement 2022/2065

205  Par ses deuxième et troisième moyens, la requérante excipe de l’illégalité respectivement de l’article 38 et de l’article 39 du règlement 2022/2065.

206  La requérante soutient que l’argumentation développée dans le cadre des deuxième et troisième moyens doit s’entendre comme étant également développée dans le cadre du premier moyen.

207  Plus particulièrement, ainsi qu’il a été relevé aux points 19 et 31 ci-dessus, par son premier moyen, la requérante soutient que l’article 33, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 est illégal au motif qu’il soumet certaines places de marché aux obligations visées aux articles 34 à 43 de ce règlement, qui seraient elles-mêmes illégales. Il résulte du point 32 de la réplique que son argumentation relative spécifiquement aux articles 38 et 39 dudit règlement, développée dans le cadre du premier moyen, doit être regardée comme étant également développée dans le cadre des deuxième et troisième moyens, et inversement.

208  Par conséquent, dès lors que le premier moyen a été écarté comme non fondé, il y a lieu, par voie de conséquence, d’écarter également les deuxième et troisième moyens comme non fondés, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité, contestée par la Commission, le Parlement, le Conseil et le BEUC.

209  Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité, contestée par la Commission, du deuxième chef de conclusions.

IV.  Sur les dépens

210  Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens de la Commission, y compris ceux afférents à la procédure de référé, conformément aux conclusions de celle-ci.

211  En outre, aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. Le Parlement et le Conseil supporteront donc leurs propres dépens.

212  De même, en application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le BEUC et bevh supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)  Le recours est rejeté.

2)  Amazon EU Sàrl supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, y compris les dépens afférents à la procédure de référé.

3)  Le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) et Bundesverband E-Commerce und Versandhandel Deutschland eV (bevh) supporteront leurs propres dépens.

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