TUE, 7e ch., 19 novembre 2025
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
LGAI Technological Center, jtsec Beyond IT Security
Défendeur :
Agence de l’Union européenne pour le programme spatial
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
K. Kowalik‑Bańczyk
Juges :
E. Buttigieg, B. Ricziová
Avocats :
X. Codina García-Andrade, J. M. Martínez Gimeno, M. Vélez Fraga, T. Hokr, M. Nedelka, G. Bayas Fernández, J. Exner
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, LGAI Technological Center, SA et jtsec Beyond IT Security, SL, demandent l’annulation des décisions de l’Agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA) du 16 janvier et du 22 février 2024 par lesquelles celle-ci les a informées que l’offre qu’elles avaient présentée dans le cadre de l’appel d’offres EUSPA/OP/01/23 pour la fourniture de « services d’accréditation de sécurité » n’avait pas été retenue (ci-après, respectivement, la « première décision attaquée » et la « seconde décision attaquée »).
Antécédents du litige et procédure
2 Le 17 juillet 2023, l’EUSPA a lancé l’appel d’offres portant la référence EUSPA/OP/01/23 par procédure ouverte pour la fourniture de « services d’accréditation de sécurité ».
3 L’avis de marché précisait que cet appel d’offres visait la conclusion d’un contrat-cadre qui permettrait de conclure une série de contrats spécifiques à l’appui des activités d’accréditation menées par le service d’accréditation de sécurité de l’EUSPA.
4 La valeur maximale du marché s’élevait à 6 000 000 euros.
5 Les requérantes sont des filiales d’une société cotée en Bourse, la société X, dont le siège social est établi à Madrid (Espagne).
6 Elles ont déposé leur offre dans le délai fixé par l’EUSPA, en tant que membres d’un consortium.
7 Entre le mois d’octobre et le mois de décembre 2023, l’EUSPA a envoyé cinq lettres aux requérantes pour leur demander des clarifications sur leur offre.
8 Le 16 janvier 2024, l’EUSPA a notifié aux requérantes la première décision attaquée. Dans cette décision, elle a indiqué que leur offre n’avait pas été retenue dans le cadre de l’appel d’offres litigieux et a annoncé la conclusion du contrat‑cadre avec le soumissionnaire retenu à l’issue d’un délai de dix jours. Il ressort de cette décision que l’offre des requérantes n’a pas été retenue au motif qu’elles n’avaient pas démontré le respect de la condition de participation définie au point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges, en vertu de laquelle l’entité juridique éligible n’est pas soumise au contrôle d’un pays tiers ou d’une entité de pays tiers (ci-après la « condition d’absence de contrôle »).
9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 janvier 2024, les requérantes ont introduit un recours visant à l’annulation de la première décision attaquée.
10 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont introduit une demande en référé, dans laquelle elles demandaient, en substance, au Tribunal d’ordonner le sursis à exécution de la première décision attaquée.
11 Par lettre enregistrée au greffe du Tribunal le 7 février 2024, l’EUSPA a informé le Tribunal que l’ordonnateur de l’EUSPA avait décidé d’« annuler » la première décision attaquée et a introduit une demande de non-lieu à statuer.
12 Par lettre du 13 février 2024, l’EUSPA a demandé aux requérantes des informations sur les actionnaires de la société X détenant au moins 5 % du capital social ou des droits de vote de cette société.
13 Le 22 février 2024, l’EUSPA a notifié aux requérantes la seconde décision attaquée. Dans cette décision, elle a indiqué que l’offre qu’elles avaient soumise n’avait pas été retenue dans le cadre de l’appel d’offres litigieux au motif qu’elles n’avaient pas démontré le respect de la condition d’absence de contrôle et a annoncé la conclusion du contrat‑cadre avec le soumissionnaire retenu à l’issue d’un délai de dix jours.
14 Par lettre enregistrée au greffe du Tribunal le 1er mars 2024, les requérantes ont demandé au président du Tribunal d’ordonner le sursis à exécution de la seconde décision attaquée.
15 Par un mémoire en adaptation, déposé au greffe du Tribunal le 3 mars 2024 dans l’affaire principale, les requérantes ont demandé au Tribunal d’annuler la seconde décision attaquée.
16 Par ordonnance du Tribunal (septième chambre) du 13 mars 2024, la demande de non-lieu à statuer sur le recours introduit à l’encontre de la première décision attaquée a été jointe au fond et les dépens ont été réservés.
17 Par ordonnance du 7 juin 2024, LGAI Technological Center et jtsec Beyond IT Security/EUSPA (T‑41/24 R, non publiée, EU:T:2024:371), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé au motif que les requérantes n’étaient pas parvenues à établir l’existence d’un fumus boni juris.
Conclusions des parties
18 Dans la requête, les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la première décision attaquée ;
– condamner l’EUSPA aux dépens.
19 Dans la demande de non-lieu à statuer, l’EUSPA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de constater que le recours introduit à l’encontre de la première décision attaquée est devenu sans objet et qu’il n’y a plus lieu de statuer.
20 Dans leurs observations sur la demande de non-lieu à statuer, les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter la demande de non-lieu à statuer ;
– à titre subsidiaire, et dans l’hypothèse où cette demande est accueillie, condamner l’EUSPA aux dépens.
21 Dans le mémoire en adaptation, les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la seconde décision attaquée ;
– condamner l’EUSPA aux dépens.
22 Dans le mémoire en défense, l’EUSPA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
En droit
Sur la demande en annulation de la première décision attaquée
23 Dans sa demande de non-lieu à statuer, l’EUSPA a soutenu que, compte tenu de l’annulation de la première décision attaquée par l’ordonnateur, le recours contre cette décision était devenu sans objet et il n’y avait plus lieu de statuer.
24 Les requérantes ont contesté cette demande au motif qu’il existait un risque que l’EUSPA adopte une nouvelle décision qui ne fasse que renforcer la motivation de la première et qu’une suspension de la procédure assurerait un meilleur équilibre entre le droit à une protection juridictionnelle effective et le bon fonctionnement de l’administration de la justice.
25 Selon une jurisprudence constante, l’intérêt à agir d’une partie requérante doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci sous peine d’irrecevabilité. Cet objet du litige doit perdurer, de même que l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2023, Versobank/BCE, C‑803/21 P, non publié, EU:C:2023:630, point 159 et jurisprudence citée).
26 Si, dans le cadre d’un recours en annulation, l’objet du recours disparaît au cours de la procédure, le Tribunal ne peut pas se prononcer sur le fond, dès lors qu’une telle décision de sa part ne saurait procurer aucun bénéfice à la partie requérante. La disparition de l’objet du litige peut notamment provenir du retrait ou du remplacement de l’acte attaqué en cours d’instance (voir arrêt du 6 octobre 2021, Ukrselhosprom PCF et Versobank/BCE, T‑351/18 et T‑584/18, EU:T:2021:669, point 89 et jurisprudence citée).
27 En l’espèce, il ressort du dossier que la première décision attaquée a été « annulée » par l’ordonnateur de l’EUSPA. Dans ces circonstances, l’objet du litige, tel que défini dans la requête et avant adaptation de celle-ci, a disparu et les requérantes ne conservent aucun intérêt à obtenir l’annulation de ladite décision par le Tribunal.
28 Par conséquent, il n’y a plus lieu de statuer sur le présent recours en ce qu’il est dirigé contre la première décision attaquée.
Sur la demande en annulation de la seconde décision attaquée
29 Les requérantes invoquent cinq moyens. Le premier moyen est tiré de la violation du droit d’être entendu, garanti par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE, à l’article 41 de la Charte et à l’article 170 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier »). Le troisième moyen est tiré de la violation de l’obligation d’évaluer les offres conformément aux critères précisés dans le cahier des charges, telle que prévue aux articles 160, 167 et 170 du règlement financier, lus en combinaison avec l’article 41 de la Charte. Le quatrième moyen est tiré d’une application manifestement erronée de la condition d’absence de contrôle énoncée au point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges et à l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement (UE) 2021/696 du Parlement européen et du Conseil, du 28 avril 2021, établissant le programme spatial de l’Union et l’EUSPA et abrogeant les règlements (UE) no 912/2010, (UE) no 1285/2013 et (UE) no 377/2014 et la décision no 541/2014/UE (JO 2021, L 170, p. 69, ci-après le « règlement sur le programme spatial »), en violation de l’article 160, de l’article 167, paragraphe 2, et de l’article 170 du règlement financier ainsi que du point 29.3 de son annexe. Enfin, le cinquième moyen est tiré de la violation du principe de proportionnalité et du principe de mise en concurrence la plus large possible tels que prévus à l’article 160, paragraphes 1 et 2, du règlement financier ainsi que des principes de passation des marchés publics découlant du droit primaire et des libertés de circulation garantis aux articles 18, 49, 56 et 63 TFUE.
Sur le premier moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu, garanti par l’article 41 de la Charte
30 Les requérantes font valoir que, conformément à l’article 41 de la Charte, l’EUSPA aurait dû les entendre avant d’adopter la seconde décision attaquée, dès lors que cette décision serait une mesure individuelle les affectant défavorablement. Or, l’EUSPA ne leur aurait accordé aucune audience avant d’adopter ladite décision. En outre, dans les demandes de clarification qu’elle leur a adressées, l’EUSPA n’aurait exprimé aucune inquiétude quant au non‑respect de leur part de la condition d’absence de contrôle et n’aurait pas davantage évoqué la possibilité qu’elles soient exclues de la procédure d’appel d’offres pour non-respect de ce critère. Ces demandes de clarification ne sauraient donc être considérées comme leur ayant permis d’être entendues avant l’adoption de la seconde décision attaquée.
31 L’EUSPA conteste les arguments des requérantes.
32 Il convient de rappeler que l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte dispose que le droit à une bonne administration comporte, notamment, le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre.
33 Le droit d’être entendu garantit ainsi à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (voir arrêt du 28 octobre 2021, Vialto Consulting/Commission, C‑650/19 P, EU:C:2021:879, point 121 et jurisprudence citée).
34 Il importe également de rappeler que le droit d’être entendu fait partie des droits de la défense et que le principe du respect de ces derniers constitue un principe général du droit de l’Union européenne qui trouve à s’appliquer, même en l’absence d’une réglementation spécifique à ce sujet. Ce principe exige que les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible les intérêts de ceux-ci soient mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue au sujet des éléments retenus à leur charge pour fonder ces décisions (voir arrêt du 28 octobre 2021, Vialto Consulting/Commission, C‑650/19 P, EU:C:2021:879, point 122 et jurisprudence citée).
35 En outre, une violation des droits de la défense, dont fait partie le droit d’être entendu, doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce (voir arrêt du 28 octobre 2021, Vialto Consulting/Commission, C‑650/19 P, EU:C:2021:879, point 123 et jurisprudence citée).
36 Il découle de la jurisprudence citée aux points 33 et 34 ci-dessus que le droit d’être entendu, consacré par l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, s’applique également aux procédures de passation des marchés et que, par conséquent, le soumissionnaire doit être mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entend fonder sa décision (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2023, Instituto Cervantes/Commission, T‑376/21, EU:T:2023:331, point 149).
37 Ce droit est assuré au moment du dépôt de son offre, ainsi que par la possibilité du soumissionnaire de demander des clarifications concernant les dispositions du cahier des charges. Partant, le fait que, après l’évaluation des offres, aucune étape ultérieure pour fournir des explications complémentaires n’est prévue ne saurait constituer une violation de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2023, Instituto Cervantes/Commission, T‑376/21, EU:T:2023:331, point 149).
38 En outre, ce droit peut également être assuré par la possibilité pour l’autorité contractante de le contacter, sur le fondement de l’article 151, deuxième alinéa, du règlement financier, pour obtenir des informations manquantes ou des clarifications.
39 En l’espèce, il convient de relever que, d’une part, ainsi que les requérantes l’ont indiqué dans leur requête, elles ont présenté leur offre accompagnée de la documentation requise par les points 2.2.1.1 et 3.2.1 du cahier des charges afin de démontrer le respect des conditions de participation à l’appel d’offres, dont la condition d’absence de contrôle fait partie. En particulier, elles ont fourni à l’EUSPA une déclaration de propriété et de contrôle des entités participantes ainsi que les graphiques des structures de leur actionnariat respectif.
40 D’autre part, il ressort des annexes de la requête et du mémoire en adaptation que l’EUSPA a adressé plusieurs demandes de clarification aux requérantes s’agissant des conditions de participation, dont la condition d’absence de contrôle. En particulier, elle les a interrogées sur la structure de leur actionnariat respectif ainsi que sur la structure de leur société mère. Ainsi, par la demande de clarification du 27 octobre 2023, l’EUSPA a demandé aux requérantes des informations sur les actionnaires de la société X détenant au moins 5 % de son capital social ou des droits de vote, jusqu’aux propriétaires bénéficiaires finaux, et si l’un de ses actionnaires détenant 5 % de participation dans le capital de la première requérante, LGAI Technological Center, disposait d’un droit spécial, tel que le droit de nommer un ou plusieurs conseillers. Par la demande de clarification du 8 novembre 2023, l’EUSPA a demandé aux requérantes de lui indiquer la ou les nationalités de chacun des directeurs actuels de la société X et s’il existait des accords entre actionnaires au sein de cette société. Par la demande de clarification du 1er décembre 2023, l’EUSPA a demandé aux requérantes des informations concernant le directeur général de la première requérante et les pouvoirs du conseil d’administration qui ne peuvent pas être délégués à des directeurs individuels. Enfin, par la demande de clarification du 13 février 2024, l’EUSPA a demandé aux requérantes des informations sur l’offre publique d’acquisition (OPA) en cours, par une entité établie aux États-Unis, des actions de la société X ainsi qu’une version actualisée de la déclaration de propriété et de contrôle des entités participantes qui avait été jointe à l’offre des requérantes.
41 Il ressort donc des demandes de clarification adressées par l’EUSPA aux requérantes que celle-ci nourrissait des doutes quant au respect par ces dernières de la condition d’absence de contrôle. Il convient, en outre, de relever que les requérantes ont donné suite à ces demandes.
42 Par conséquent, il y a lieu de considérer que, tant dans leur offre que dans leurs réponses aux demandes de clarification de l’EUSPA, les requérantes ont été en mesure de faire utilement valoir leur point de vue s’agissant du respect de la condition d’absence de contrôle, conformément à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte.
43 Partant, il y a lieu de rejeter le premier moyen.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE, à l’article 41 de la Charte et à l’article 170 du règlement financier
44 En premier lieu, les requérantes soutiennent que la motivation de la seconde décision attaquée est insuffisante. En effet, dans cette décision, l’EUSPA se serait limitée à indiquer que la condition d’absence de contrôle n’était pas remplie sans fournir d’autres explications, alors qu’elle aurait théoriquement dû analyser les informations fournies en suivant les « lignes directrices » énoncées à la partie 1 et à la partie 3 de l’annexe I.K du cahier des charges.
45 En second lieu, la motivation de la seconde décision attaquée serait incohérente.
46 L’EUSPA conteste les arguments des requérantes.
47 À titre liminaire, il convient de rappeler, d’une part, que l’article 296, deuxième alinéa, TFUE dispose que les actes juridiques des institutions de l’Union sont motivés et, d’autre part, que le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, prévoit l’obligation pour les institutions, les organes et les organismes de l’Union de motiver leurs décisions.
48 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la motivation exigée à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et à l’article 41 de la Charte doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de ces dispositions doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2020, Close et Cegelec/Parlement, C‑447/19 P, non publié, EU:C:2020:826, point 40 et jurisprudence citée).
49 Pour ce qui est de l’obligation de motivation à laquelle le pouvoir adjudicateur doit se conformer, l’article 170, paragraphe 2, du règlement financier prévoit, notamment, que le pouvoir adjudicateur « communique à tout candidat ou soumissionnaire les motifs du rejet de sa demande de participation ou de son offre ».
50 Toutefois, il découle de la jurisprudence qu’il ne saurait être exigé du pouvoir adjudicateur qu’il transmette à un soumissionnaire dont l’offre n’a pas été retenue, d’une part, outre les motifs du rejet de cette dernière, un résumé minutieux de la manière dont chaque détail de son offre a été pris en compte au titre de l’évaluation de celle‑ci et, d’autre part, dans le cadre de la communication des caractéristiques et des avantages relatifs de l’offre retenue, une analyse comparative minutieuse de cette dernière et de l’offre du soumissionnaire évincé (voir arrêt du 14 octobre 2020, Close et Cegelec/Parlement, C‑447/19 P, non publié, EU:C:2020:826, point 37 et jurisprudence citée).
51 De même, le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de fournir à un soumissionnaire évincé, sur demande écrite de ce dernier, une copie complète du rapport d’évaluation (voir arrêt du 3 mai 2018, EUIPO/European Dynamics Luxembourg e.a., C‑376/16 P, EU:C:2018:299, point 58 et jurisprudence citée).
52 Enfin, il convient de rappeler que l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67 ; du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, EU:C:2001:178, point 35, et du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 146).
53 En l’espèce, en premier lieu, ainsi que l’a relevé l’EUSPA, il ressort clairement de la seconde décision attaquée que le motif du rejet de l’offre des requérantes était qu’elles n’avaient pas démontré qu’elles remplissaient la condition d’absence de contrôle, prévue au point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges et à l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial, en vertu de laquelle l’entité juridique éligible n’est pas soumise au contrôle d’un pays tiers ou d’une entité de pays tiers.
54 En second lieu, il convient de relever que la seconde décision attaquée précise que des informations additionnelles sur les motifs de ladite décision figurent dans le résumé des conclusions du comité d’évaluation des offres de l’EUSPA (ci-après le « comité d’évaluation ») relatives à l’évaluation du respect des conditions de participation à l’appel d’offres litigieux joint en annexe à ladite décision.
55 En particulier, dans ce résumé, après avoir indiqué qu’il convenait d’entendre par « contrôle », au sens du point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges, la capacité d’exercer une influence déterminante sur une entité juridique, soit de manière directe, soit de manière indirecte par l’entremise d’une ou de plusieurs entités juridiques intermédiaires, le comité d’évaluation a relevé qu’il ressortait de la structure de propriété de la première requérante qu’elle était détenue à 95 % par une société espagnole, la société Y, elle-même détenue par une autre société espagnole, cotée en Bourse, à savoir la société X. Il a également relevé que quatre actionnaires de la société X détenaient au moins 5 % de son capital social et des droits de vote. À cet égard, il a précisé que deux d’entre eux – détenant, respectivement, 11,346 % et 7,449 % des droits de vote – étaient des entreprises établies aux États-Unis, que l’un d’entre eux – détenant 21,851 % des droits de vote – était une entreprise détenue par une entité établie aux États-Unis et que le dernier était un particulier détenant 5,266 % des droits de vote. Il a également relevé que, sauf exception, l’assemblée des actionnaires était valablement organisée avec une participation d’« au moins 25 % du capital social » lors de la première convocation et sans quorum minimal lors de la seconde convocation, et que les décisions de cette assemblée étaient prises avec la « majorité du capital social qui assiste à ladite assemblée ». Enfin, il a indiqué que « la réunion du conseil d’administration se tenait valablement avec – et les décisions étaient prises avec le vote favorable de – la majorité de ses membres ».
56 Le comité d’évaluation a considéré, au regard des éléments susmentionnés, d’une part, que la société X, en tant qu’actionnaire majoritaire de la première requérante, exerçait un « contrôle » sur celle-ci au sens de l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial et, d’autre part, que les actionnaires de pays tiers de la société X pouvaient adopter des résolutions autonomes sur toutes les questions courantes lors de l’assemblée des actionnaires, telles que des décisions stratégiques et la nomination du conseil d’administration de la société X, de sorte qu’ils pouvaient exercer une influence déterminante sur cette société, ce qui, selon lui, constituait une situation de « contrôle » au sens de l’article 24 du règlement sur le programme spatial. Il en a conclu que la première requérante ne respectait pas la condition d’absence de contrôle prévue au point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges.
57 Il ressort également de ce résumé qu’en ce qui concerne la seconde requérante, à savoir jtsec Beyond IT Security, le comité d’évaluation est parvenu à la même conclusion pour les mêmes motifs, étant donné que la seconde requérante est indirectement détenue à 100 % par la société X.
58 Il s’ensuit que les requérantes ont été clairement informées, par la seconde décision attaquée et le résumé des conclusions du comité d’évaluation joint à cette décision, des raisons pour lesquelles le non-respect de la condition d’absence de contrôle avait été constaté, de sorte qu’elles ne sauraient soutenir que la motivation de la seconde décision attaquée était insuffisante.
59 L’EUSPA s’est donc acquittée, dans la seconde décision attaquée, de son obligation, prévue à l’article 170, paragraphe 2, du règlement financier, de communiquer aux requérantes les motifs du rejet de leur offre ainsi que de son obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE et à l’article 41 de la Charte.
60 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments des requérantes.
61 D’une part, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel l’EUSPA aurait dû analyser les informations qu’elles ont fournies en suivant les lignes directrices énoncées à la partie 1 et à la partie 3 de l’annexe I.K du cahier des charges, il suffit de relever que, par cet argument, les requérantes visent en réalité à contester la méthode suivie par le comité d’évaluation pour évaluer le respect des conditions de participation à l’appel d’offres litigieux, dans le résumé de ses conclusions joint en annexe à ladite décision, et, partant, le bien-fondé de cette analyse. Cet argument ne relève donc pas du présent moyen et sera examiné ultérieurement.
62 D’autre part, s’agissant de l’argument des requérantes tiré de l’existence d’une contradiction dans la seconde décision attaquée entre deux affirmations, selon lesquelles, premièrement, elles n’ont pas démontré le respect de la condition d’absence de contrôle et, deuxièmement, elles semblent être soumises au contrôle d’une entité de pays tiers, il suffit de relever que si la seconde de ces affirmations figurait dans la première décision attaquée, elle ne figure plus dans la seconde décision attaquée. Cet argument manque en fait s’agissant de cette dernière décision. Certes, lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, les requérantes ont affirmé que même si la seconde affirmation ne figurait plus dans la seconde décision attaquée, la contradiction alléguée persistait. Toutefois, elles n’ont pas expliqué la raison pour laquelle cette prétendue contradiction persisterait, de sorte que leur argument, soulevé lors de l’audience, est, en tout état de cause, insuffisamment étayé. Au demeurant, ces deux affirmations n’apparaissent pas contradictoires, la première étant la conséquence de la seconde.
63 Partant, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation d’évaluer les offres conformément aux critères précisés dans le cahier des charges telle que prévue aux articles 160, 167 et 170 du règlement financier, lus en combinaison avec l’article 41 de la Charte
64 Les requérantes invoquent, en substance, deux griefs au soutien de ce moyen.
65 Par un premier grief, les requérantes font valoir que la condition d’absence de contrôle définie au point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges n’est pas remplie si une entité est soumise au contrôle d’un pays tiers ou d’une entité de pays tiers, et non si elle est seulement susceptible d’être soumise à un tel contrôle, ce qui serait pourtant la condition appliquée dans la seconde décision attaquée. En appliquant une condition ne figurant pas dans le cahier des charges, l’EUSPA aurait violé l’obligation d’évaluer les offres conformément audit cahier, qui résulte des principes d’égalité de traitement des soumissionnaires et de transparence garantis à l’article 160 du règlement financier ainsi que des articles 167 et 170 de ce règlement et du point 29.3 de l’annexe dudit règlement.
66 Par un second grief, les requérantes font valoir que le principe de bonne administration, garanti à l’article 41 de la Charte, obligeait l’EUSPA, si elle avait des doutes s’agissant du respect de la condition d’absence de contrôle définie au point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges, à leur demander tous les documents nécessaires pour parvenir à une conclusion définitive s’agissant de l’existence ou non d’une influence déterminante sur elles exercée par une entité de pays tiers. Malgré cela, l’EUSPA aurait décidé de ne pas retenir leurs offres et leur réclamerait la preuve impossible d’un fait négatif, à savoir l’absence d’influence déterminante d’une entité étrangère.
67 L’EUSPA conteste les arguments des requérantes.
68 En ce qui concerne le premier grief, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 160, paragraphe 1, du règlement financier, tous les marchés financés totalement ou partiellement par le budget de l’Union respectent les principes de transparence, de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination.
69 Le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires, qui a pour objectif de favoriser le développement d’une concurrence saine et effective entre les entreprises participant à un marché public, impose que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que celles-ci soient soumises aux mêmes conditions pour tous les soumissionnaires. Le principe de transparence, qui a essentiellement pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et de comportement arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur, implique que toutes les conditions et les modalités de la procédure de passation de marché soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges (voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2022, Lenovo Global Technology Belgium/Entreprise commune EuroHPC, T‑717/20, non publié, EU:T:2022:640, points 29 et 31 et jurisprudence citée).
70 Il ressort de l’article 167, paragraphe 1, du règlement financier que les marchés sont attribués sur la base de critères d’attribution, pour autant que le pouvoir adjudicateur ait notamment vérifié que l’offre est conforme aux exigences minimales précisées dans les documents de marché et que le candidat ou le soumissionnaire répond aux critères de sélection précisés dans les documents de marché.
71 En outre, l’article 170, paragraphe 1, du règlement financier prévoit que l’ordonnateur compétent désigne l’attributaire dans le respect des critères de sélection et d’attribution précisés dans les documents de marché.
72 Enfin, il ressort du point 29.3 de l’annexe I du règlement financier, qui renvoie aux points 12.2 et 12.3 de cette annexe, que ne sont pas admissibles notamment les offres qui ne sont pas conformes aux exigences minimales définies dans les documents de marché et celles qui n’atteignent pas les niveaux de qualité minimaux pour satisfaire aux critères d’attribution.
73 Il résulte donc des points 68 à 72 ci-dessus que l’EUSPA est tenue d’évaluer les offres conformément aux conditions énoncées dans le cahier des charges.
74 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de la seconde décision attaquée que le motif du rejet de l’offre des requérantes était qu’elles n’avaient pas démontré qu’elles remplissaient la condition d’absence de contrôle définie au point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges.
75 Il ressort du point 2.2.1.1 du cahier des charges qu’afin de protéger les intérêts essentiels de la sécurité de l’Union et de ses États membres, conformément à l’article 24 du règlement sur le programme spatial, la participation à l’appel d’offres en cause est ouverte aux opérateurs économiques remplissant les trois conditions cumulatives énoncées à ce point, dont la condition prévue au paragraphe 2, sous c), en vertu de laquelle « les entités juridiques ne sont pas soumises au contrôle d’un pays tiers ou d’une entité de pays tiers ». De même, « [a]ux fins du[dit] point, il convient d’entendre par “contrôle” la capacité d’exercer une influence déterminante sur une entité juridique, soit de manière directe, soit de manière indirecte par l’entremise d’une ou de plusieurs entités juridiques intermédiaires ».
76 Partant, ainsi que l’a relevé, en substance, l’EUSPA, il ressort du point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges et de l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial que la notion de « contrôle », au sens de ces dispositions, renvoie à la capacité d’exercer une influence déterminante sur le soumissionnaire, que cette influence soit ou non effectivement exercée.
77 Ainsi, en estimant, dans la seconde décision attaquée, que la condition d’absence de contrôle n’était pas remplie au motif que « les actionnaires de pays tiers peuvent exercer une influence déterminante sur [la société X] [...] en adoptant des résolutions autonomes sur toute question “ordinaire” au sein des assemblées générales des actionnaires, telles que, sans limitation, les décisions stratégiques relatives aux affaires et à la nomination du conseil d’administration [de la société X] » ou que les « actionnaires étrangers ont la capacité d’exercer une influence déterminante sur les décisions et la gestion de LGAI [Technological Center] », l’EUSPA a appliqué la condition d’absence de contrôle conformément au cahier des charges.
78 Partant, le premier grief doit être rejeté.
79 En ce qui concerne le second grief, tiré de ce que le principe de bonne administration, garanti à l’article 41 de la Charte, obligeait l’EUSPA, si elle nourrissait des doutes quant au respect de la condition d’absence de contrôle définie au point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges, à demander aux requérantes tous les documents nécessaires pour parvenir à une conclusion définitive s’agissant de l’existence ou non d’une influence déterminante, il convient de le rejeter, dès lors qu’il est fondé sur la prémisse erronée selon laquelle il n’est possible de constater l’existence d’un contrôle, au sens de cette disposition, que lorsqu’une entité de pays tiers exerce une influence déterminante sur le soumissionnaire, et non lorsqu’elle dispose seulement de la capacité d’exercer une telle influence.
80 En tout état de cause, il convient de rappeler que l’EUSPA a adressé plusieurs demandes aux requérantes afin d’obtenir des clarifications et des documents pour évaluer le respect de la condition d’absence de contrôle et que les requérantes ont donné suite à ces demandes (voir points 40 et 41 ci-dessus). Il convient, en outre, de relever que les requérantes ne précisent pas quels documents supplémentaires l’EUSPA aurait dû leur demander pour évaluer le respect de cette condition. Les requérantes soutiennent donc, à tort, que l’EUSPA a méconnu le principe de bonne administration en ne leur demandant pas d’autres documents afin de dissiper ses doutes s’agissant du respect de ladite condition.
81 Par ailleurs, les requérantes n’expliquent pas en quoi le fait d’exiger la preuve d’un fait négatif, à savoir la preuve de l’absence de capacité d’une entité étrangère d’exercer une influence déterminante, reviendrait à exiger une preuve impossible.
82 Partant, il y a lieu de rejeter le second grief et, par conséquent, le troisième moyen dans son ensemble.
Sur le quatrième moyen, tiré d’une application manifestement erronée de la condition d’absence de contrôle énoncée au point 2.2.1.1, sous c), du cahier des charges et à l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial, en violation de l’article 160, de l’article 167, paragraphe 2, et de l’article 170 du règlement financier ainsi que du point 29.3 de son annexe
83 À l’appui de ce moyen, les requérantes invoquent une série d’arguments qui peuvent être regroupés, en substance, en deux branches, la première, tirée de l’interprétation erronée de l’EUSPA en ce qui concerne la condition d’absence de contrôle énoncée à l’article 24, paragraphe 2, du règlement sur le programme spatial et, la seconde, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation lors de l’application de cette condition en l’espèce.
Sur la première branche, tirée d’une interprétation erronée de l’EUSPA en ce qui concerne la condition d’absence de contrôle
84 En premier lieu, dans leurs écritures, les requérantes font valoir qu’il ressort de l’interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial ainsi que du cahier des charges qu’il convient d’exclure de la procédure d’appel d’offres les entités soumises au contrôle d’une seule entité de pays tiers et non de plusieurs entités.
85 Dans leur demande d’audience, les requérantes ont cependant précisé qu’elles ne contestaient pas qu’il y aurait une situation de « contrôle » si plusieurs entités agissaient de manière concertée pour exercer une influence déterminante. En effet, selon les requérantes, il s’agirait de l’une des hypothèses dans lesquelles « une entité » exercerait le contrôle (par le biais d’une action concertée). En outre, les requérantes ont confirmé lors de l’audience, en réponse à une question posée par le Tribunal, qu’elles estimaient que le contrôle pouvait être exercé par plusieurs actionnaires.
86 Les requérantes font cependant valoir, en substance, que l’EUSPA a commis une erreur en suggérant que la simple présence de plusieurs actionnaires dans le capital d’une société implique une concertation entre eux. En effet, cette concertation devrait être démontrée soit par des accords exprès, soit par des indices permettant de conclure que l’existence d’une telle concertation est possible. En effet, seul un accord entre ces actionnaires (exprès, tacite, public ou secret), qui leur permettrait d’avoir une influence déterminante, pourrait donner lieu à un « contrôle » ainsi que cela ressortirait de la partie 3 de l’annexe I.K du cahier des charges. Par conséquent, selon les requérantes, l’influence déterminante devrait être le fait d’un actionnaire ou le fait d’un actionnaire agissant de concert, de manière évidente et démontrable, avec d’autres. Or, un tel accord n’existerait pas entre les actionnaires de la société X.
87 En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que l’interprétation de la notion de « contrôle », visée à l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial, retenue par l’EUSPA, est contraire à l’interprétation de cette notion dans d’autres domaines du droit de l’Union. À cet égard, les requérantes font notamment valoir que, dans le domaine du contrôle des investissements étrangers comme dans les domaines du droit de la concurrence et des OPA, les positions individuelles d’investisseurs étrangers non liées et n’agissant pas de concert ne sauraient être agrégées pour apprécier l’existence d’un contrôle d’une société par des États tiers.
88 En troisième lieu, les requérantes soutiennent que l’interprétation retenue par l’EUSPA est contraire à l’article 160, paragraphe 2, du règlement financier, qui impose aux pouvoirs adjudicateurs de veiller à ce que les marchés fassent l’objet d’une mise en concurrence la plus large possible, dès lors que cette interprétation restreint arbitrairement le nombre de soumissionnaires susceptibles de se voir attribuer le marché. Cette interprétation serait également contraire aux articles 167 et 170 du règlement financier et au point 29.3 de son annexe, qui imposeraient, en substance, aux pouvoirs adjudicateurs de désigner l’adjudicataire dans le respect des critères de sélection et d’attribution.
89 L’EUSPA conteste les arguments des requérantes.
90 Il résulte, en substance, du résumé des conclusions du comité d’évaluation joint en annexe à la seconde décision attaquée (voir points 55 à 57 ci-dessus) que l’EUSPA a considéré que la condition d’absence de contrôle, énoncée à l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial, devait être interprétée en ce sens que le contrôle agrégé de plusieurs entités non liées par un accord était pertinent pour évaluer si ladite condition était remplie.
91 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [voir arrêt du 21 décembre 2023, G. K. e.a. (Parquet européen), C‑281/22, EU:C:2023:1018, point 46 et jurisprudence citée].
92 En premier lieu, en ce qui concerne le libellé de l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial, il convient de rappeler que, d’une part, l’entité juridique éligible n’est pas soumise au contrôle d’un pays tiers ou d’une entité de pays tiers. S’il est vrai que l’expression « une entité de pays tiers » est formulée au singulier, cela n’implique pas nécessairement qu’une seule entité doive à elle seule être en mesure d’exercer ce contrôle. En effet, il pourrait être considéré, à l’instar, en substance, de l’EUSPA, que le singulier est utilisé de manière générique et que cette expression couvre tant le contrôle détenu par une entité que le contrôle détenu par plusieurs entités, ainsi que les requérantes l’ont admis lors de l’audience.
93 D’autre part, en vertu de l’article 24, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement sur le programme spatial, « [a]ux fins du[dit] article, on entend par “contrôle” la capacité d’exercer une influence déterminante sur une entité juridique, soit de manière directe, soit de manière indirecte, par l’entremise d’une ou de plusieurs entités juridiques intermédiaires ».
94 Comme cela est indiqué au point 76 ci-dessus, la notion de « contrôle » au sens de l’article 24, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement sur le programme spatial renvoie à la capacité d’exercer une influence déterminante sur le soumissionnaire, que cette influence soit ou non effectivement exercée. Or, l’interprétation des requérantes, selon laquelle le constat d’un contrôle doit reposer sur un accord d’actionnaires coordonnant l’exercice des droits de vote ou le processus décisionnel, reviendrait à exiger une coordination concrète se traduisant par l’exercice effectif d’une influence déterminante, alors que la seule capacité d’exercer une telle influence suffit à établir un contrôle. Partant, cette interprétation doit être écartée.
95 Ainsi, l’article 24, paragraphe 2, du règlement sur le programme spatial peut être interprété dans le sens retenu par l’EUSPA, à savoir, en substance, que le « contrôle » au sens de cette disposition peut être exercé par plusieurs entités non liées par un accord.
96 En deuxième lieu, s’agissant du contexte de cette disposition, il convient de relever qu’elle doit être interprétée en tenant compte des dispositions du règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil, du 19 mars 2019, établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union (JO 2019, L 79 I, p. 1). En effet, il ressort du considérant 60 du règlement sur le programme spatial que les principes et critères du règlement 2019/452 devraient être pris en compte pour évaluer s’il s’agit d’une personne morale contrôlée par un pays tiers ou par une entité de pays tiers.
97 Selon l’article 4 du règlement 2019/452, les facteurs à prendre en considération lors de l’évaluation des investissements directs étrangers sont, notamment, leurs effets potentiels sur les infrastructures et les technologies critiques (y compris l’industrie de l’espace), l’accès à des informations sensibles ou la capacité de contrôler ces informations.
98 Or, ainsi que l’a relevé l’EUSPA, ces facteurs plaident en faveur d’une interprétation de la notion de « contrôle » au sens de l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial dans le sens retenu par l’EUSPA.
99 Il convient d’ailleurs de relever que, contrairement à ce que les requérantes soutiennent, l’interprétation retenue par l’EUSPA est conforme aux lignes directrices énoncées à la partie 3 de l’annexe I.K du cahier des charges.
100 En effet, il est indiqué à la page 3 de cette annexe que les « “entités juridiques” doivent [...] évaluer, tout au long de la chaîne de contrôle de leur entité jusqu’aux propriétaires finaux, qu’il n’y a pas de “contrôle” de l’“entité juridique” par des “pays tiers” ou des “entités de pays tiers” ». Il est également indiqué à cette page que, « [d]ans les cas où la participation est largement répartie et où un ou plusieurs actionnaires de “pays tiers” sont les actionnaires les plus importants, même si la participation est inférieure à 25 %, il convient de procéder à une évaluation détaillée du contrôle de tous les éléments susmentionnés », à savoir notamment la structure de propriété de l’entreprise, les droits des actionnaires, la gouvernance d’entreprise, les liens commerciaux et financiers qui confèrent le contrôle et d’autres sources de contrôle.
101 Il ressort en outre d’un extrait de la page 4 de cette annexe, invoqué par les requérantes, que, « [l]orsque tous les propriétaires ultimes ne peuvent être identifiés (en raison de la présence dans la chaîne de contrôle de sociétés cotées avec un capital flottant important), le représentant légal de la personne morale doit veiller à ce que, en vertu des dispositions législatives nationales, aucun actionnaire inconnu ne [puisse], seul ou de façon concertée, être en mesure d’exercer une influence déterminante sur la personne morale ». Il ressort également de cette annexe que, afin d’évaluer si un actionnaire, seul ou de façon concertée, peut exercer une telle influence, il convient de prendre en considération des circonstances de fait telles que les décisions qui sont adoptées par l’assemblée des actionnaires et le quorum nécessaire pour adopter ces décisions.
102 Partant, il ressort de cette annexe que, afin d’apprécier le respect de la condition d’absence de contrôle, il doit être évalué si un contrôle d’un ou de plusieurs actionnaires, de façon concertée, est possible au vu de l’analyse des éléments mentionnés aux points 100 et 101 ci-dessus. En revanche, il ne ressort pas de cette annexe que cette concertation doit être établie. En tout état de cause, ainsi que cela ressort de la page 2 de cette annexe, elle vise à fournir des lignes directrices qui sont indicatives et non exhaustives.
103 En troisième lieu, s’agissant des objectifs du règlement sur le programme spatial, il convient de relever que la préservation des intérêts essentiels de sécurité de l’Union est un objectif essentiel. Cet objectif est en effet rappelé tout au long de ce règlement. Ainsi, il y est fait référence aux considérants 6, 51, 52, 57, 60 et 65. En particulier, il ressort du considérant 51 qu’« [e]n raison de l’importance des activités spatiales pour l’économie de l’Union et la vie des citoyens de l’Union [...] atteindre et maintenir un degré élevé de sécurité devraient constituer une priorité majeure du programme, notamment pour sauvegarder les intérêts de l’Union et de ses États membres, y compris pour ce qui est des informations classifiées et autres informations sensibles non classifiées ».
104 Il est également fait référence à cet objectif de sécurité à l’article 4 du règlement sur le programme spatial ainsi qu’à l’article 7 de ce règlement, qui régit, ainsi que cela ressort de son intitulé, la participation des pays tiers à ce programme. Le paragraphe 3 de ce dernier article prévoit que les pays tiers ne peuvent participer au programme spatial qu’à condition que les intérêts essentiels de sécurité de l’Union et de ses États membres soient préservés, en mettant particulièrement l’accent sur la protection des informations classifiées. Il ressort de cette disposition que la participation des pays tiers au programme spatial de l’Union n’est pas de droit, mais conditionnée à la préservation des intérêts essentiels de sécurité de l’Union et de ses États membres.
105 Ledit objectif de sécurité est encore rappelé à l’article 14 du règlement sur le programme spatial, intitulé « Principes de la passation des marchés », qui prévoit, à son paragraphe 1, sous f), que, dans le cadre des procédures de passation de marchés aux fins du programme, le pouvoir adjudicateur doit respecter les exigences de sécurité des composantes du programme spatial et contribuer à la protection des intérêts essentiels de sécurité de l’Union et de ses États membres.
106 L’importance de cet objectif ressort encore de l’intitulé même de l’article 24 du règlement sur le programme spatial, à savoir « Conditions d’éligibilité et de participation pour préserver la sécurité, l’intégrité et la résilience des systèmes opérationnels de l’Union ».
107 Certes, ainsi que les requérantes l’ont relevé, il ressort du considérant 60 du règlement sur le programme spatial que celui-ci vise non seulement à assurer la sécurité de ce programme, mais aussi à maintenir une économie ouverte, un commerce libre et équitable et à assurer la compétitivité et la rentabilité. Toutefois, il ressort des points 103 à 106 ci-dessus que l’objectif de sécurité est un objectif essentiel de ce règlement auquel il convient de donner une priorité majeure. Or, ledit objectif conforte l’interprétation de la notion de « contrôle » au sens de l’article 24, paragraphe 2, du règlement sur le programme spatial en ce sens que le contrôle agrégé de plusieurs entités non liées par un accord est pertinent pour évaluer si la condition d’absence de contrôle est remplie.
108 Il s’ensuit que l’EUSPA n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, dans la seconde décision attaquée, que cette condition devait être interprétée en ce sens que le contrôle agrégé de plusieurs entités non liées par un accord est pertinent pour évaluer si ladite condition est remplie. Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments des requérantes.
109 Premièrement, s’agissant de leur argument selon lequel l’EUSPA ne saurait retenir une définition de la notion de « contrôle » au sens de l’article 24, paragraphe 2, du règlement sur le programme spatial qui soit différente de l’interprétation faite dans d’autres domaines du droit de l’Union, tels que le droit des concentrations et le droit des OPA, il convient de relever, à l’instar de l’EUSPA, que, en incluant une définition spécifique de la notion de « contrôle » à l’article 24, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement sur le programme spatial, le législateur de l’Union a cherché à établir une notion de « contrôle » spécifique à la passation de marchés liés au programme spatial qui n’est pas nécessairement la même que la notion de « contrôle » dans d’autres domaines du droit.
110 À cet égard, il y a lieu de relever que la notion de « contrôle » définie dans un domaine du droit de l’Union n’est pas nécessairement transposable à d’autres domaines de ce droit et qu’il convient d’interpréter cette notion en tenant compte des objectifs propres au règlement dans lequel cette notion figure (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Fish Legal et Shirley, C‑279/12, EU:C:2013:853, points 63 à 65).
111 Il ressort des considérants 6 et 24 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1) que celui-ci vise à instaurer un contrôle effectif de toutes les concentrations en fonction de leur effet sur la structure de concurrence dans l’Union, notamment pour garantir une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur et pour assurer une politique conforme au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre (arrêt du 13 juillet 2023, Commission/CK Telecoms UK Investments, C‑376/20 P, EU:C:2023:561, point 106). En outre, il ressort notamment des considérants 1 à 3 et 9 de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d’acquisition (JO 2004, L 142, p. 12) que celle-ci a pour objectif de protéger les intérêts des détenteurs de titres de sociétés dont le contrôle a été pris par une personne physique ou morale et vise, dans cette perspective, à assurer la clarté et la transparence des règles en matière d’OPA [arrêts du 20 juillet 2017, Marco Tronchetti Provera e.a., C‑206/16, EU:C:2017:572, point 24, et du 10 décembre 2020, Euromin Holdings (Cyprus), C‑735/19, EU:C:2020:1014, point 38]. Or, l’objectif de protéger le marché intérieur de l’Union et celui de protéger certains acteurs du marché diffèrent de l’objectif principal de l’article 24, paragraphe 2, du règlement sur le programme spatial, qui est d’assurer l’intégrité, la sécurité et la résilience des composantes du programme spatial de l’Union par l’examen et la limitation éventuelle de l’influence d’une entité établie en dehors de l’Union sur les composantes de ce programme.
112 Par conséquent, à supposer que l’interprétation de la notion de « contrôle » au sens du règlement no 139/2004 ou de la directive 2004/25 diffère de celle retenue par l’EUSPA (voir point 108 ci-dessus) dans le cadre de l’article 24, paragraphe 2, du règlement sur le programme spatial, cela ne remettrait pas en cause la validité de cette dernière interprétation.
113 Deuxièmement, s’agissant de l’argument des requérantes tiré de la modification apportée par le Conseil de l’Union européenne à la rédaction de la condition d’absence de contrôle au cours du processus législatif, il convient de relever que l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial contenait initialement une définition positive de cette condition, à savoir que les entités juridiques participantes doivent être « effectivement contrôlées par des États membres ou des ressortissants d’États membres ». À la suite de l’amendement du Conseil, une définition négative de cette condition a été adoptée, à savoir « ne pas être soumis au contrôle d’un pays tiers ou d’une entité de pays tiers ». En outre, la définition de la notion de « contrôle », en ce sens qu’il s’agit de la capacité d’exercer une influence déterminante sur une entité juridique, soit de manière directe, soit de manière indirecte par l’entremise d’une ou de plusieurs entités juridiques intermédiaires, a été ajoutée. Or, il n’apparaît pas que cette modification puisse soutenir l’interprétation de la notion de « contrôle » défendue par les requérantes. Au contraire, ladite modification reflète la volonté du législateur d’adopter une approche prudente en ne limitant pas la notion de « contrôle » aux cas où celui-ci est effectivement exercé par un pays tiers ou une entité de pays tiers. De même, le fait que, à la suite de l’amendement du Conseil, le règlement sur le programme spatial précise que, pour l’évaluation des entités juridiques soumises au contrôle d’un pays tiers ou d’une entité de pays tiers, la Commission devrait tenir compte des principes et critères prévus dans le règlement 2019/452 ne remet pas en cause l’interprétation retenue par l’EUSPA de la notion de « contrôle » énoncée à l’article 24, paragraphe 2, sous c), de ce règlement (voir points 96 à 98 ci-dessus).
114 Troisièmement, en ce qui concerne l’argument des requérantes résumé au point 88 ci-dessus, il convient de relever que l’interprétation retenue par l’EUSPA de la condition d’absence de contrôle énoncée à l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial ne restreint pas arbitrairement le nombre de soumissionnaires susceptibles de se voir attribuer le marché. En effet, il ressort des points 92 à 107 ci-dessus que cette interprétation repose sur le libellé de cette disposition ainsi que sur celui de l’article 24, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ce règlement, qui définit la notion de « contrôle », et est confortée par le contexte et les objectifs de ce règlement dont il ressort que la participation des soumissionnaires n’est pas automatique, mais notamment subordonnée au respect de la condition d’absence de contrôle. En outre, il ressort des points 73 à 77 ci-dessus que cette interprétation est conforme aux critères d’attribution et de sélection figurant dans le cahier des charges.
115 Partant, il y a lieu de rejeter la première branche du quatrième moyen.
– Sur la seconde branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation lors de l’application de la condition d’absence de contrôle
116 Selon les requérantes, l’EUSPA a commis une erreur manifeste d’appréciation lors de l’application de la condition d’absence de contrôle en l’espèce.
117 Tout d’abord, elles font valoir que l’EUSPA aurait dû analyser les informations qu’elles ont fournies en suivant les lignes directrices énoncées à la partie 1 et à la partie 3 de l’annexe I.K du cahier des charges (voir point 61 ci-dessus).
118 Ensuite, elles soutiennent que l’affirmation figurant dans le résumé des conclusions du comité d’évaluation selon laquelle elles « n’ont pas identifié les bénéficiaires effectifs finaux (personnes physiques ou entités publiques) des actionnaires [de la société X] détenant au moins 5 % de ses actions, comme requis au titre des spécifications de l’appel d’offres » est erronée et témoigne d’un arbitraire à leur égard.
119 En outre, les requérantes font valoir que l’affirmation figurant dans le résumé des conclusions du comité d’évaluation selon laquelle les « actionnaires extracommunautaires » de la société X « sont effectivement en mesure (c’est‑à‑dire qu’ils ont la capacité) de tenir valablement des assemblées générales et de prendre des décisions importantes, y compris la nomination des administrateurs » repose sur un scénario improbable où seuls les actionnaires significatifs étrangers seraient présents à l’assemblée générale de la société X et où ils adopteraient à l’unanimité une décision concertée. Ce scénario ne tiendrait pas compte du fait que la société X est une entité cotée en Bourse qui dispose d’un important capital flottant.
120 Enfin, les requérantes contestent l’affirmation figurant dans le résumé des conclusions du comité d’évaluation selon laquelle elles n’ont apporté « aucun élément de preuve démontrant [...] que l’entité n’est pas soumise au contrôle d’un pays tiers ou d’une entité de pays tiers ». Elles auraient, en effet, respecté leur obligation de soumettre toute la documentation requise avec leur offre et auraient répondu à toutes les demandes de clarification formulées par l’EUSPA.
121 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le pouvoir adjudicateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de prendre la décision de passer un marché à la suite d’un appel d’offres et que le contrôle du Tribunal doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (arrêt du 9 septembre 2010, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑387/08, non publié, EU:T:2010:377, point 77 ; voir arrêt du 19 octobre 2022, Lenovo Global Technology Belgium/Entreprise commune EuroHPC, T‑717/20, non publié, EU:T:2022:640, point 64 et jurisprudence citée).
122 Il convient de relever qu’il ressort de la partie 1 et de la partie 3 de l’annexe I.K du cahier des charges que, s’agissant de l’évaluation du respect de la condition d’absence de contrôle, les soumissionnaires doivent fournir des éléments de preuve concernant la structure de propriété de l’entreprise, les droits des actionnaires, la gouvernance d’entreprise, les liens commerciaux et financiers conférés par le contrôle et d’autres sources de contrôle.
123 Or, il résulte du résumé des conclusions du comité d’évaluation (voir points 55 à 57 ci-dessus) que celui-ci s’est fondé sur les informations fournies par les requérantes pour démontrer le respect de la condition d’absence de contrôle et qu’il a examiné les éléments énumérés au point 122 ci-dessus tant en ce qui concerne les requérantes qu’en ce qui concerne la société X, la société mère des requérantes.
124 Conformément également à cette annexe I.K du cahier des charges, le comité d’évaluation a identifié les actionnaires significatifs de la société X détenant 5 % ou plus des actions, qui sont des entités établies en dehors de l’Union ou détenues par de telles entités. À cet égard, il convient de relever que les requérantes ont indiqué dans leur mémoire en adaptation qu’elles ne contestaient pas l’affirmation de l’EUSPA selon laquelle « les actionnaires significatifs [de la société X] sont […] des entités constituées en dehors de l’Union européenne ou sont détenus […] par des entités établies en dehors de l’Union européenne ».
125 En outre, conformément également à la partie 3 de cette annexe, le comité d’évaluation a examiné dans quelle mesure ces actionnaires avaient la capacité d’exercer une influence déterminante au regard de leurs droits de vote et du quorum nécessaire pour prendre les décisions des organes de la société.
126 Or, compte tenu du fait que ces actionnaires cumulent plus de 40 % des droits de vote de la société X, de la nature des décisions pouvant être adoptées par l’assemblée des actionnaires, du quorum nécessaire pour tenir l’assemblée des actionnaires (à savoir au moins 25 % du capital social lors de la première convocation et sans quorum minimal lors de la seconde) et de la majorité requise pour prendre sa décision (à savoir la majorité simple), le comité d’évaluation n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que ces actionnaires avaient la possibilité d’exercer conjointement une influence déterminante sur les requérantes et donc un « contrôle » au sens de l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial.
127 Par conséquent, les requérantes ne sont fondées à soutenir ni que le comité d’évaluation n’a pas examiné les informations qu’elles ont fournies en suivant les lignes directrices énoncées à la partie 1 et à la partie 3 de l’annexe I.K du cahier des charges, ni qu’il a commis une erreur manifeste d’appréciation lors de l’application de la condition d’absence de contrôle en l’espèce.
128 Les autres arguments des requérantes ne remettent pas en cause cette conclusion.
129 Tout d’abord, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l’affirmation figurant dans le résumé des conclusions du comité d’évaluation selon laquelle elles « n’ont pas identifié les bénéficiaires effectifs finaux (personnes physiques ou entités publiques) des actionnaires [de la société X] détenant au moins 5 % de ses actions, comme requis au titre des spécifications de l’appel d’offres » n’est pas manifestement erronée et ne témoigne pas d’un arbitraire à leur égard. Cette affirmation dudit comité visait uniquement à expliquer pourquoi il s’est fondé sur les informations publiquement accessibles auprès de la Comisión Nacional del Mercado de Valores (commission nationale des marchés de valeurs, Espagne), relatives à l’actionnariat de la société X.
130 Ensuite, contrairement à ce que les requérantes soutiennent, l’EUSPA n’a pas fondé sa conclusion sur un scénario improbable. En effet, la conclusion à laquelle est arrivé le comité d’évaluation se fonde sur les faits rappelés au point 126 ci-dessus. Elle est en outre confortée par les informations présentées par les requérantes, selon lesquelles le quorum des assemblées n’aurait jamais été inférieur à 64,24 % du capital social et aurait généralement été de l’ordre de 70 %. En effet, avec plus de 40 % des droits de vote cumulés, les « actionnaires extracommunautaires » de la société X pourraient toujours avoir une majorité simple au sein de l’assemblée générale. En outre, compte tenu des quorums des assemblées générales de la société X, dans certains cas, cette majorité pourrait même être atteinte par seulement les deux actionnaires détenant le plus de droits de vote, ceux-ci détenant ensemble 33,197 % des droits de vote.
131 Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel l’EUSPA aurait affirmé, à tort, que les requérantes n’avaient apporté « aucun élément de preuve démontrant [...] que l’entité n’est pas soumise au contrôle d’un pays tiers ou d’une entité de pays tiers » au motif qu’elles ont soumis toute la documentation requise, il suffit de relever que, par cette affirmation, l’EUSPA ne reproche pas aux requérantes de ne pas avoir fourni les documents qui leur étaient demandés, mais estime que ces documents ne démontrent pas que la condition d’absence de contrôle était remplie. Cet argument procède donc d’une lecture erronée du résumé des conclusions du comité d’évaluation et, partant, doit être rejeté.
132 Partant, il y a lieu de rejeter la seconde branche du quatrième moyen et, par conséquent, ce moyen dans son ensemble.
Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité et du principe de mise en concurrence la plus large possible tels que prévus à l’article 160, paragraphes 1 et 2, du règlement financier ainsi que des principes de passation des marchés publics découlant du droit primaire et des libertés de circulation garantis aux articles 18, 49, 56 et 63 TFUE
133 Les requérantes soutiennent que l’EUSPA a violé le principe de proportionnalité, combiné au principe de mise en concurrence la plus large possible, tous deux prévus à l’article 160 du règlement financier, et les principes de passation des marchés découlant du droit primaire et des libertés de circulation garantis par les articles 18, 49, 56 et 63 TFUE, en ce qu’elle ne leur a pas demandé d’explications sur les aspects de la condition d’absence de contrôle qui la préoccupaient et en ce qu’elle s’est abstenue de prendre en compte et d’appliquer le mécanisme de dérogation à la condition d’absence de contrôle prévu à l’article 24, paragraphe 4, du règlement sur le programme spatial.
134 Les requérantes reconnaissent que cette dérogation prévoit que la Commission européenne « peut déroger » à la condition d’absence de contrôle si l’entité juridique établie dans un État membre fournit certaines garanties. Cependant, ladite disposition devrait être lue à la lumière du principe de proportionnalité et des principes et libertés susmentionnés.
135 En effet, les conditions de participation seraient une exception au principe de mise en concurrence la plus large possible prévu à l’article 160, paragraphe 2, du règlement financier qui concrétiserait les principes et les libertés garantis aux articles 18, 49, 56 et 63 TFUE, dont le caractère « nécessaire et approprié » devrait être analysé et justifié en suivant la procédure prévue à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, du règlement sur le programme spatial. Cette disposition exigerait de la Commission, premièrement, qu’elle informe le comité du programme visé à l’article 107, paragraphe 1, sous e), de ce règlement (ci-après le « comité du programme ») et, deuxièmement, qu’elle tienne compte de l’avis des États membres à cet égard. Or, il ne ressortirait pas des documents fournis par l’EUSPA que ces deux étapes de la procédure aient été respectées. Pour ce motif également, le principe de proportionnalité, lu à la lumière des principes et libertés susmentionnés, aurait été violé.
136 De plus, conformément à l’article 24, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement sur le programme spatial, la Commission aurait dû effectuer un examen complet du caractère nécessaire, approprié et proportionnel de l’adoption de conditions d’éligibilité excluant la possibilité d’invoquer le mécanisme de dérogation prévu à l’article 24, paragraphe 4, dudit règlement. Or, il ressortirait des annexes B.1 et B.2 du mémoire en défense que cet examen a été effectué par l’EUSPA, et non par la Commission, au regard uniquement de l’objectif de sécurité. Dans son examen, l’EUSPA n’aurait pas pris en compte les autres objectifs du règlement sur le programme spatial et n’analyserait pas pourquoi le mécanisme de dérogation prévu à l’article 24, paragraphe 4, de ce règlement ne serait pas efficace pour atténuer les risques détectés pour la sécurité.
137 Les requérantes ajoutent que l’application du principe de proportionnalité ne devrait pas permettre d’exclure de façon automatique des entités dont les actionnaires appartiennent à des pays tiers, tels que les États-Unis, qui sont identifiés par le règlement sur le programme spatial comme un partenaire international important.
138 L’EUSPA conteste les arguments des requérantes.
139 Il y a lieu de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés. Ce principe impose au pouvoir adjudicateur, lorsqu’il est confronté à une offre ambiguë et qu’une demande de précisions sur le contenu de ladite offre permettrait de garantir la sécurité juridique de la même manière que le rejet immédiat de l’offre en question, de demander des précisions au candidat concerné plutôt que d’opter pour le rejet pur et simple de l’offre de celui-ci (voir arrêts du 10 décembre 2009, Antwerpse Bouwwerken/Commission, T‑195/08, EU:T:2009:491, point 57 et jurisprudence citée, et du 6 octobre 2021, Global Translation Solutions/Parlement, T‑7/20, non publié, EU:T:2021:649, point 62 et jurisprudence citée).
140 En premier lieu, s’agissant de l’argument des requérantes tiré de ce que l’EUSPA aurait violé le principe de proportionnalité, combiné aux principes et libertés mentionnés au point 133 ci-dessus, au motif qu’elle ne leur aurait pas demandé d’explications sur les aspects de la condition d’absence de contrôle qui la préoccupaient, il convient de le rejeter pour les motifs exposés aux points 40 à 42 ci-dessus.
141 En deuxième lieu, s’agissant de l’argumentation des requérantes, soulevée pour la première fois dans la réplique, selon laquelle, en substance, l’EUSPA aurait violé le principe de proportionnalité, combiné aux principes et libertés mentionnés au point 133 ci-dessus, au motif que la procédure de consultation prévue à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, du règlement sur le programme spatial n’aurait pas été suivie, il convient, à titre liminaire, de relever que, en vertu de l’article 24, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement, la Commission applique les conditions d’éligibilité et de participation énoncées à l’article 24, paragraphe 2, de ce règlement aux marchés tels que celui en cause si elle estime que cela est nécessaire et approprié pour préserver la sécurité, l’intégrité et la résilience des systèmes opérationnels de l’Union, compte tenu de l’objectif visant à promouvoir l’autonomie stratégique de l’Union, en ce qui concerne l’ensemble des technologies et chaînes de valeur clés, tout en préservant une économie ouverte.
142 En vertu du second alinéa du paragraphe 1 de l’article 24 du règlement sur le programme spatial, avant d’appliquer les conditions d’éligibilité et de participation conformément au premier alinéa, la Commission informe le comité du programme et tient le plus grand compte des avis des États membres sur le champ d’application de ces conditions d’éligibilité et de participation et leur justification.
143 Dans la mesure où l’argumentation des requérantes résumée au point 141 ci-dessus a été soulevée pour la première fois dans la réplique, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.
144 Un moyen, ou un argument, qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et présentant un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 46). De plus, pour pouvoir être considéré comme une ampliation d’un moyen antérieurement énoncé, le nouvel argument doit présenter, avec les moyens initialement exposés dans la requête, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2013, Groupe Gascogne/Commission, C‑58/12 P, EU:C:2013:770, point 31).
145 Lors de l’audience, les requérantes ont expliqué, en substance, qu’elles avaient soulevé cette argumentation dans la réplique étant donné qu’elles n’avaient eu connaissance de la procédure suivie pour l’appel d’offres litigieux qu’en lisant les deux lettres jointes aux annexes B.1 et B.2 du mémoire en défense.
146 À cet égard, il convient de relever que la première de ces lettres est adressée par l’EUSPA à la Commission. L’EUSPA y explique les raisons pour lesquelles elle estime que, s’agissant de l’appel d’offres litigieux, il y a lieu d’appliquer les conditions de participation énoncées à l’article 24, paragraphe 2, du règlement sur le programme spatial et de ne pas appliquer le mécanisme de dérogation prévu à l’article 24, paragraphe 4, de ce règlement, et sollicite l’approbation de la Commission concernant cette approche. La seconde lettre mentionnée par les requérantes est adressée par la Commission à l’EUSPA. La Commission y approuve l’approche décrite par l’EUSPA pour l’appel d’offres litigieux.
147 Or, les requérantes auraient pu contester, dès le mémoire en adaptation, la procédure suivie pour l’appel d’offres litigieux, dès lors qu’il ne ressortait ni de la seconde décision attaquée ni du résumé des conclusions du comité d’évaluation joint en annexe à cette décision que la procédure prévue à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, du règlement sur le programme spatial avait été suivie. En outre, l’argumentation des requérantes résumée au point 141 ci-dessus revient à remettre en cause l’application de la condition d’absence de contrôle prévue à l’article 24, paragraphe 2, sous c), du règlement sur le programme spatial en raison de la violation de l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, de ce règlement. Dans la requête, les requérantes n’ont pas invoqué la violation de cette dernière disposition ni même contesté le fait que cette condition leur ait été appliquée. Cette argumentation ne présente donc pas, avec les arguments initialement développés dans la requête, un lien suffisamment étroit pour qu’elle puisse être considérée comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse. Partant, elle doit être considérée comme un moyen nouveau qui doit être rejeté comme irrecevable.
148 En tout état de cause, il ressort de la note de la Commission du 3 mars 2022, jointe en annexe à la duplique, que, conformément au second alinéa du paragraphe 1 de l’article 24 du règlement sur le programme spatial, la Commission a, après discussion avec les États membres, informé le comité du programme de la méthodologie qu’il convenait de suivre d’une façon générale pour déterminer quand les conditions de participation énoncées à l’article 24 de ce règlement devaient être appliquées.
149 S’agissant du mécanisme de dérogation prévu au paragraphe 4 de l’article 24 du règlement sur le programme spatial, il est précisé dans cette note que, « par défaut, pour les contrats d’engagement à long terme avec des intérêts essentiels de sécurité, le programme mettra en œuvre une politique de non-dérogation pour le contractant principal, [puisqu’il ne peut] se fier à un contractant principal qui serait sous l’influence d’un pays tiers » et que la Commission souhaite toutefois « accorder plus de souplesse pour la participation à l’équipe centrale et à d’autres sous-traitants ».
150 Enfin, il ressort, en substance, de cette note que l’approche qui y est expliquée est générale et que l’avis du comité du programme ne sera pas demandé pour chaque appel d’offres.
151 Partant, étant donné, d’une part, que la Commission a suivi la procédure prévue à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, du règlement sur le programme spatial pour déterminer la méthodologie générale qu’il convenait de suivre pour appliquer les conditions de participation énoncées à l’article 24, paragraphe 2, de ce règlement et le mécanisme de dérogation prévu au paragraphe 4 de cet article et, d’autre part, que les requérantes n’ont pas soutenu, lors de l’audience, que l’approche suivie pour l’appel d’offres litigieux dérogeait à cette méthodologie, ce qui, au demeurant, n’apparaît pas être le cas, il y a lieu de considérer que leur argumentation résumée au point 141 ci-dessus est, en tout état de cause, non fondée.
152 En troisième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel l’EUSPA aurait violé le principe de proportionnalité étant donné que l’application du mécanisme de dérogation prévu à l’article 24, paragraphe 4, du règlement sur le programme spatial constituerait une mesure moins contraignante que le rejet de l’offre, il y a lieu de relever que cette disposition prévoit que la Commission peut déroger à la condition d’absence de contrôle si l’entité juridique soumissionnaire établie dans un État membre fournit certaines garanties.
153 Il ressort donc du libellé de cette disposition que l’application du mécanisme de dérogation qui y est prévu n’est pas obligatoire, mais optionnelle.
154 En l’espèce, l’avis de marché précisait que cet appel d’offres concernait un contrat d’une durée initiale d’un an, renouvelable automatiquement jusqu’à trois fois pour des périodes successives de douze mois chacune, soit un contrat d’une durée maximale totale de quatre ans. Il précisait également que cet appel d’offres visait la conclusion d’un contrat-cadre qui permettrait de conclure une série de contrats spécifiques à l’appui des activités d’accréditation menées par le service d’accréditation de sécurité de l’EUSPA et que ces activités comprenaient des examens des documents d’accréditation ; un soutien en matière d’assurance de sécurité, tel que l’assistance d’experts dans le cadre de l’évaluation de la sécurité de l’état de conformité aux exigences de sécurité, l’évaluation des risques en matière de sécurité, les déclarations d’homologation de sécurité ; des tâches d’assurance telles que des audits de sécurité (audit d’architecture, audit de configuration, audit d’organisation et audit physique) et des tests de pénétration dans les systèmes informatiques.
155 Le point 2.2.1.2 du cahier des charges indique que, en raison de la dimension sécuritaire et des intérêts essentiels liés aux activités faisant l’objet du marché, des exemptions des conditions de participation ne sont pas acceptées pour les contractants principaux, les membres de l’équipe centrale et les sous‑traitants participant à des activités sensibles du point de vue de la sécurité.
156 Il ressort de ce point du cahier des charges que l’EUSPA a estimé que la non-application du mécanisme de dérogation prévu à l’article 24, paragraphe 4, du règlement sur le programme spatial était nécessaire pour la préservation de la sécurité, de l’intégrité et de la résilience des systèmes opérationnels de l’Union. Or, les requérantes ne contestent pas le fait que l’appel d’offres litigieux portait sur des tâches hautement sensibles dont la mise en œuvre impliquerait l’accès à des informations classifiées de l’Union.
157 En outre, il y a lieu de considérer que le mécanisme de dérogation prévu à l’article 24, paragraphe 4, du règlement sur le programme spatial a pour objectif le maintien d’une économie ouverte et vise à mettre en œuvre le principe de mise en concurrence la plus large possible prévu à l’article 160 du règlement financier. Partant, en évaluant si ce mécanisme pouvait s’appliquer en l’espèce, l’EUSPA a nécessairement mis en balance cet objectif et ce principe.
158 Cependant, eu égard à la durée et à l’objet de l’appel d’offres litigieux et au fait que la préservation de la sécurité, de l’intégrité et de la résilience des systèmes opérationnels de l’Union est un objectif essentiel du règlement sur le programme spatial, ainsi que cela ressort des points 103 à 107 ci-dessus, l’EUSPA n’a pas méconnu le principe de proportionnalité, combiné au principe de mise en concurrence la plus large possible, en estimant que le mécanisme de dérogation prévu à l’article 24, paragraphe 4, de ce règlement ne s’appliquait pas à cet appel d’offres.
159 Par ailleurs, l’argument des requérantes par lequel elles reprochent à l’EUSPA d’avoir examiné le caractère proportionné de l’adoption de conditions d’éligibilité, sans possibilité d’invoquer le mécanisme de dérogation prévu à l’article 24, paragraphe 4, du règlement sur le programme spatial, à la place de la Commission ne saurait prospérer. D’une part, dans la note du 3 mars 2022, la Commission a fait état d’une méthodologie à cet égard (voir point 148 ci-dessus) et il ressort de cette note que cette méthodologie est fondée sur une pondération des différents intérêts en présence conformément au premier alinéa du paragraphe 1 de cet article. D’autre part, il ressort des annexes B.1 et B.2 du mémoire en défense que la Commission, pour approuver la non-application de ce mécanisme par l’EUSPA, a nécessairement analysé les raisons invoquées par cette dernière à cet égard (voir point 145 ci-dessus). Partant, la non-application de ce mécanisme en l’espèce est également fondée sur l’examen de la Commission.
160 En quatrième lieu, s’agissant du principe de non-discrimination garanti à l’article 18 TFUE et des libertés de circulation garanties aux articles 49, 56 et 63 TFUE, également invoqués par les requérantes en combinaison avec le principe de proportionnalité, il convient de relever que les requérantes se bornent à invoquer ce principe et ces libertés sans expliquer en quoi ils seraient violés par la non-application de la dérogation. En tout état de cause, la condition d’absence de contrôle s’appliquant à tous les soumissionnaires, quel que soit leur État membre d’origine, il n’y a pas lieu de considérer que l’application de cette condition implique une violation du principe de non-discrimination garanti à l’article 18 TFUE, ou des libertés fondamentales garanties aux articles 49, 56 et 63 TFUE.
161 Partant, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen.
Sur la demande d’adoption de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction
162 Dans la requête, les requérantes ont demandé que le Tribunal adopte une mesure d’organisation de la procédure ou une mesure d’instruction à défaut d’exécution volontaire afin d’inviter ou d’enjoindre à l’EUSPA de fournir tous les documents pertinents relatifs au dossier d’appel d’offres EUSPA/OP/01/23 ayant servi de base à l’adoption de la première décision attaquée. Elles ont précisé, d’une part, que ces documents comportaient notamment, mais non exclusivement, le rapport d’évaluation mentionné dans la première décision attaquée ainsi que le nom du ou des adjudicataires et les caractéristiques et avantages de l’offre ou des offres retenues et, d’autre part, qu’ils contribueraient à établir les faits reprochés et en particulier à démontrer que l’EUSPA n’avait aucune raison valable de considérer qu’elles étaient sous l’influence déterminante d’une entité de pays tiers. Lors de l’audience, les requérantes ont indiqué, en substance, qu’elles maintenaient cette demande s’agissant de la seconde décision attaquée.
163 Il convient de rappeler que le résumé des conclusions du comité d’évaluation a été fourni aux requérantes en annexe à la seconde décision attaquée. Partant, la demande des requérantes portant sur la production du rapport d’évaluation n’est plus pertinente.
164 Il y a également lieu de rappeler que, s’agissant de l’appréciation de demandes de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction soumises par une partie à un litige, le Tribunal est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi (voir arrêt du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 77 et jurisprudence citée).
165 Or, en l’espèce, eu égard à l’analyse des moyens soulevés par les requérantes, le Tribunal considère que le dossier est complet et que son contenu lui permet de se prononcer sur le recours.
166 Eu égard aux considérations qui précèdent, les demandes de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction sont rejetées.
167 Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
168 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, aux termes de l’article 135, paragraphe 1, de ce règlement, à titre exceptionnel, lorsque l’équité l’exige, le Tribunal peut décider qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre. De plus, aux termes de l’article 137 dudit règlement, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens.
169 En l’espèce, les requérantes ont succombé en ce qui concerne leurs conclusions présentées dans le mémoire en adaptation visant à l’annulation de la seconde décision attaquée et il n’y a plus lieu de statuer sur leurs conclusions dans la requête visant à l’annulation de la première décision attaquée.
170 S’agissant de cette décision, il convient de rappeler que l’EUSPA, après l’introduction du recours, a décidé de l’« annuler ». Il ressort du dossier que cette « annulation » était notamment motivée par les « observations » soumises par les requérantes et qu’elle avait été effectuée en vue de convoquer à nouveau le comité d’évaluation pour réévaluer les offres reçues dans le cadre de la procédure de passation concernée et d’adopter une nouvelle décision d’attribution sur la base d’un nouveau rapport d’évaluation. À la suite de cette « annulation », les requérantes ont dû demander également le sursis à exécution de la seconde décision attaquée ainsi que son annulation. Partant, une partie des dépens afférents à la procédure de référé et une partie des dépens afférents à la présente procédure sont dues à ladite « annulation », décidée par l’EUSPA.
171 Ces circonstances justifient que chaque partie soit condamnée à supporter ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (septième chambre)
déclare et arrête :
1) Il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision de l’Agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA) du 16 janvier 2024 portant rejet de l’offre soumise par LGAI Technological Center, SA et jtsec Beyond IT Security, SL dans le cadre de la procédure d’appel d’offres portant la référence EUSPA/OP/01/23.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) LGAI Technological Center et jtsec Beyond IT Security ainsi que l’EUSPA sont condamnées à supporter leurs propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.