CA Versailles, ch. civ. 1-5, 13 novembre 2025, n° 25/00605
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Coiffissimo (SASU)
Défendeur :
Generik (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme de Rocquigny du Fayel
Vice-président :
M. Parodi
Conseillers :
Mme de Rocquigny du Fayel, M. Maumont
Avocats :
Me Gourion-Richard, Me Dumeau, Me Bes, Me Cohana, Me Ottavi
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Generik a pour objet le développement et la distribution de produits de coiffure professionnels.
M. [C] [W] était salarié et actionnaire de la société Generik jusqu'au 23 février 2023.
Le 21 juin 2023, il a créé la SAS Coiffissimo ayant pour objet le commerce de gros de parfumerie et de produits de beauté, dont il est le directeur général.
Estimant avoir été victime d'actes de dénigrement et de concurrence déloyale de la part de la société Coiffissimo et son dirigeant, M. [W], la société Generik a, par courriers délivrés les 11 juillet et 7 novembre 2024, mis en demeure ces derniers de cesser leurs agissements à son égard.
Par acte de commissaire de justice délivré le 26 novembre 2024, la société Generik a fait assigner en référé la société Coiffissimo et M. [W] aux fins d'obtenir principalement :
- l'injonction faite à la société Coiffissimo et à M. [W] de cesser toute communication dénigrante vis-à-vis de la société Generik sur tous supports, sous astreinte de 5 000 euros par jour et par infraction constatée à compter du prononcé de l'ordonnance ;
- l'injonction faite à la société Coiffissimo et à M. [W] de supprimer entièrement de l'intégralité de leurs réseaux sociaux, dès signification de l'ordonnance, le post du 4 juillet 2024 et le post du 30 octobre 2024, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par réseau social ;
- l'injonction faite à la société Coiffissimo et à M. [W] de publier un post (à l'exclusion de toute publication éphémère ou par l'intermédiaire d'un lien hypertexte) visible par tout internaute comprenant exclusivement une photographie nette de l'entièreté du dispositif de l'ordonnance sur les pages Facebook et LinkedIn de M. [W], ainsi que sur les pages Facebook et Instagram de la société Coiffissimo et d'épingler ce post, le tout durant trente jours consécutifs à compter du prononcé de l'ordonnance et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par réseau social ;
- l'autorisation de publier le dispositif de l'ordonnance en pleine page, aux frais de Coiffissimo sans que le coût total n'excède 3 000 euros, dans une revue spécialisée de son choix ;
- la condamnation solidaire de la société Coiffissimo et M. [W] à verser une somme de 10 000 euros à la société Generik au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ordonnance contradictoire rendue le 8 janvier 2025, le juge des référés du tribunal des activités économiques de Versailles a :
au principal,
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
cependant, dès à présent et par provision,
- ordonné à la société Coiffissimo et à M. [W] de supprimer des réseaux sociaux toute communication sur les thèmes '[R] [E]' et 'Coup de pouce', sous astreinte de 1 000 euros par infraction et par jour de retard passé un délai d'un mois suivant la signification de l'ordonnance, et pendant deux mois ; après quoi il appartiendra à la société Generik de faire une nouvelle demande d'astreinte, le cas échéant, par infraction constatée ;
- débouté la société Generik de ses autres demandes ;
- condamné in solidum la société Coiffissimo et M. [W] au paiement de la somme de 10 000 euros au bénéfice de la société Generik en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum la société Coiffissimo et M. [W] aux dépens dont les frais de greffe qui s'élèvent à la somme de 54,82 euros.
Par déclaration reçue au greffe le 21 janvier 2025, M. [W] et la société Coiffissimo ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
- débouté la société Generik de ses autres demandes.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 11 septembre 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [W] et la société Coiffissimo demandent à la cour, au visa des articles 4, 5, 16, 463, 464, 484, 488, 700 et 873 du code de procédure civile, de :
'- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 8 janvier 2025 par le président du tribunal des activités économiques de Versailles en ce qu'elle a :
- ordonné à la SAS Coiffissimo et a M. [W] de supprimer des réseaux sociaux toute communication sur les thèmes '[U]' et 'Coup de pouce' sous astreinte de 1 000 par infraction et par jour de retard passé un délai d'un mois suivant la signification de l'ordonnance, et pendant deux mois ; après quoi il appartiendra à la SAS Generik de faire une nouvelle demande d'astreinte, le cas échéant, par infraction constatée ;
- condamné in solidum la SAS Coiffissimo et à M. [W] au paiement de la somme de 10 000 euros au bénéfice de la SAS Generik en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum la SAS Coiffissimo et M. [C] [W] aux dépens dont les frais de greffe qui s'élèvent à la somme de 54,82 euros,
et y faisant droit :
à titre principal,
- juger qu'il n'y a plus lieu à référé sur les demandes de la société Generik dès lors que les post des 4 juillet 2024 et du 30 octobre 2024 ne sont plus en ligne ;
- juger irrecevables toutes demandes ajoutées dans le dispositif des conclusions de la société Generik régularisées le 26 août 2025, en violation des dispositions de l'article 915-2 alinéa 2 du code de procédure civile, à savoir :
1/juger que le post « Qui veut tuer les coiffeuses ' » en date du 4 juillet 2024 constitue un acte de dénigrement au préjudice de Generik ;
2/faire injonction à M. [C] [W] et à Coiffissimo de supprimer de l'intégralité de leurs réseaux sociaux le post « Qui veut tuer les coiffeuse ' » en date du 4 juillet 2024 ;
3/condamner solidairement Coiffissimo et M. [C] [W] au paiement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens. »
- débouter la société Generik de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions d'autant qu'elle n'a pas formulé appel incident à l'encontre de la décision dont appel, dans son délai imparti par l'article 906-2 alinéa 3 du code de procédure civile,
à titre subsidiaire,
- juger irrecevables toutes demandes ajoutées dans le dispositif des conclusions de la société Generik régularisées le 26 août 2025, en violation des dispositions de l'article 915-2 alinéa 2 du code de procédure civile,
- juger qu'il n'y a pas lieu à référé sur la demande de la société Generik au titre de la communication [U] ;
- juger qu'il n'y a plus lieu à référé sur la communication 'Coup de pouce' au motif que le caractère dénigrant du post du 30 octobre 2024 n'a pas été démontré ;
- juger qu'il n'y a plus lieu à référé à communication du post du 4 juillet 2024 au motif que le caractère dénigrant du post n'a pas été démontré ;
à titre infiniment subsidiaire,
- juger irrecevables toutes demandes ajoutées dans le dispositif des conclusions de la société Generik régularisées le 26 août 2025, en violation des dispositions de l'article 915-2 alinéa 2 du code de procédure civile,
- débouter la société Generik de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que les dépens de première instance resteront à la charge des parties ;
en tout état de cause,
- débouter la société Generik de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Generik à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile engagé en cause d'appel,
- condamner la société Generik aux entiers dépens d'appel,
- dire qu'ils pourront être directement recouvrés par Me Julie Gourion-Richard, Avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 15 septembre 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Generik demande à la cour, au visa des articles 4, 5, 463, 464, 700, 873 du code de procédure civile, 1240 du code civil, de :
'- débouter la société Coiffissimo et M. [C] [W] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;
- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 8 janvier 2025 par le président du tribunal des activités économiques de Versailles ;
y ajoutant :
- juger que le post « Qui veut tuer les coiffeuses ' » en date du 4 juillet 2024 constitue un acte de dénigrement au préjudice de Generik ;
- faire injonction à M. [C] [W] et à Coiffissimo de supprimer de l'intégralité de leurs réseaux sociaux le post « Qui veut tuer les coiffeuses ' » en date du 4 juillet 2024 ;
- condamner solidairement Coiffissimo et M. [C] [W] au paiement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la suppression des réseaux sociaux de toute communication sur les thèmes « [U]» et « Coup de pouce » sous astreinte de 1 000 euros par infraction et par jour de retard et la condamnation à la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens.
Les appelants, faisant valoir que :
- l'ordonnance querellée ne précise pas auquel des deux posts, en date respectivement du 4 juillet 2024 et du 30 octobre 2024, se rapporteraient les prétendues communications intitulées '[R] [E]' et 'Coup de pouce',
- les demandes de la société Generik ne portaient aucunement sur des considérations générales de communication, mais exclusivement et limitativement sur deux posts déterminés,
- le tribunal des activités économiques n'était pas saisi d'une demande de suppression des réseaux sociaux sous astreinte d'une éventuelle communication «[R] [E]» qui aurait été effectivement en ligne au jour de l'assignation ou qui se rattachait explicitement aux deux post querellés des 4 juillet et 30 octobre 2024,
- le premier juge n'a procédé à aucune analyse du post du 4 juillet 2024 qui ne portait en tout état de cause sur aucune communication commerciale à thème « [R] [E] et « Coup de pouce »,
en déduisent que le juge des référés a statué ultra petita en leur ordonnant de supprimer toute communication sur ces thèmes '[R] [E]' et 'Coup de pouce', mais infra petita en ne se prononçant pas sur le post du 4 juillet 2024, modifiant ainsi l'objet du litige.
Ils soulignent que le juge des référés a ensuite inversé les 2 demandes d'astreinte qui avaient été formées par la société Generis.
Les appelants concluent en conséquence à l'infirmation de l'ordonnance querellée et affirment que, les post des 4 juillet et 30 octobre 2024 ayant été spontanément supprimés, il n'y a plus lieu à référé.
Ils soutiennent que, dès lors qu'ils n'ont demandé que l'infirmation de l'ordonnance attaquée, et que la société Generik n'a pas interjeté appel principal ou incident de cette décision dans les délais qui lui étaient impartis, l'effet dévolutif de l'appel est limité et 'n'entraîne aucunement la réouverture des débats sur l'ensemble des demandes initiales développées par la société Generik devant le tribunal de commerce de Versailles par la société Generik'.
Ils précisent que, dès lors que la société Generik s'est appropriée dans ses premières conclusions les moyens du tribunal et a conclu à la confirmation de l'ordonnance, elle est mal fondée à modifier par la suite ses demandes, en application des dispositions de l'article 915-2 du code de procédure civile.
Subsidiairement, les appelants exposent que le post du 30 octobre 2024 ne contenait aucun dénigrement puisque leur post n'a pas été publié en même temps que celui de la société Generik du 26 octobre, que ce dernier n'a d'ailleurs pas été diffusé de manière publique mais de façon restreinte, que l'expression 'coup de pouce' est une expression commune de la langue française.
Ils expliquent que la société Generik ne les a pas mis en demeure de retirer leur communication afin de faire cesser tout trouble imminent, que leur post ne fait pas référence à la société ou aux produits de la marque Generik, que leur post est rédigé en des termes convenus, mesurés et non malveillants, que le message commercial correspond à ses précédents messages et qu'il était sans lien avec le post de la société Generik.
S'agissant du post du 4 juillet 2024, les appelants indiquent qu'il s'agit d'un 'post organique', qu'il n'est plus matériellement accessible au regard de son ancienneté, qu'il ne fait pas référence aux produits de la marque Generik, qu'il est rédigé en des termes convenus et non outranciers et que, au regard de sa date, il n'existe plus de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite.
La société Generik fait valoir en réponse que, si elle sollicitait devant le premier juge uniquement la suppression des posts « Qui veut tuer les coiffeuses ' » du 4 juillet 2024 et « Coup de pouce » du 30 octobre 2024, et qu'elle reconnaissait que la communication « [U] » avait d'ores et déjà été supprimée, elle demandait cependant au juge des référés de faire injonction à la société Coiffissimo et à son dirigeant 'de cesser toute communication dénigrante vis-à-vis de la SAS Generik sur tous supports'.
Elle indique que la suppression du post 'coup de pouce' correspond à l'évidence au post au 30 octobre 2024. S'agissant du post du 4 juillet 2024, elle fait valoir que les déclarations des appelantes sont contradictoires.
L'intimée explique que, à supposer que le premier juge ait statué ultra petita s'agissant du post '[U]' et infra petita pour le post du 4 juillet 2024, la sanction de ces irrégularités ne saurait consister en l'infirmation totale de l'ordonnance de référé, étant précisé que la cour est compétente pour se prononcer sur ces questions et qu'elle est naturellement saisie des questions soumises au premier juge mais non tranchées par lui mais que, s'agissant des questions auxquelles il a été fait droit ultra petita, seule la voie du retranchement serait ouverte aux appelants.
Elle souligne que, dès lors que le premier juge ne s'est pas prononcé, elle ne peut attaquer aucun chef du dispositif, sans que cela puisse lui être reproché.
La société Generik conclut à la confirmation de l'ordonnance déferrée et au caractère dénigrant du post du 4 juillet 2024. Elle expose pourquoi M. [W] a adopté un comportement déloyal et violemment critique, en laissant sciemment apparaître des éléments permettant de l'identifier dans sa publication.
S'agissant du post du 30 octobre 2024, l'intimée expose qu'il est une réponse à sa publication du 26 octobre 2024 par laquelle elle communiquait sur une offre promotionnelle, intitulée « Coup
de pouce donné aux coiffeurs » sur un mode parodique.
Elle affirme que la société Coiffissimo et M. [W] espèrent détourner une partie de sa clientèle et que les communications dénigrantes à son égard sont constamment accompagnées d'annonces commerciales au profit des produits de Coiffissimo, ou d'éloges faites à la société Coiffissimo ou à son dirigeant.
Elle soutient que cette situation constitue un trouble manifestement illicite dans la mesure où les appelants se rendent coupables d'un nombre très élevé d'agissements déloyaux via leurs réseaux sociaux, et plus précisément de dénigrement, à l'encontre de Generik.
Sur ce,
sur l'étendue de la saisine de la cour
Aux termes de l'article 901, 6° et 7° du code de procédure civile, la déclaration d'appel doit mentionner, à peine de nullité de cette déclaration :
- l'objet de l'appel en ce qu'il tend à l'infirmation ou à l'annulation du jugement ;
- les chefs du dispositif du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est, sans préjudice du premier alinéa de l'article 915-2, limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement.
L'alinéa premier de l'article 562 du code de procédure civile dispose quant à lui que 'l'appel défère à la cour la connaissance des chefs du dispositif de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.'
En l'espèce, la déclaration d'appel de la société Coiffissimo et M. [W] indique que sont critiqués les chefs de dispositif suivants :
- Ordonné à la SAS Coiffissimo et à M. [W] de supprimer des réseaux sociaux toute communication sur les thèmes « [U] » et « Coup de pouce » sous astreinte de 1 000 par infraction et par jour de retard passé un délai d'un mois suivant la signification de l'ordonnance, et pendant deux mois ; après quoi il appartiendra à la SAS Generik de faire une nouvelle demande d'astreinte, le cas échéant, par infraction constatée ;
- Condamné in solidum la SAS Coiffissimo et à M. [W] au paiement de la somme de
10 000 € au bénéfice de la SAS Generik en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné in solidum la SAS Coiffissimo et à M. [W] aux entiers dépens dont les frais de greffe qui s'élèvent à la somme de 54,82 €.
Dans ses premières conclusions, la société Generik demandait à la cour de :
'- débouter la société Coiffissimo et M. [C] [W] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;
- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 8 janvier 2025 par le Président du Tribunal des activités économiques de Versailles ;
- juger que le post « Qui veut tuer les coiffeuses ' » en date du 4 juillet 2024 constitue un acte de dénigrement au préjudice de Generik ;
- faire injonction à M. [C] [W] et à Coiffissimo de supprimer de l'intégralité de leurs réseaux sociaux le post « Qui veut tuer les coiffeuses ' » en date du 4 juillet 2024 ;
- condamner solidairement Coiffissimo et M. [C] [W] au paiement d'une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens'.
Dès lors, il apparaît que la cour est régulièrement saisie de demandes de suppression concernant les publications suivantes :
- les publications « [U] » et « Coup de pouce » du fait de l'appel principal de M. [W] et la société Coiffissimo,
- le post du 4 juillet 2024 du fait des demandes figurant dans les premières conclusions de la société Generik,
étant précisé qu'il ne peut être sérieusement contesté que le post 'coup de pouce' tel que visé dans le chef de dispositif susmentionné correspond à celui du 30 octobre 2024, ce qui ressort à la fois de l'examen de ce document et de l'assignation délivrée devant le premier juge qui mentionne 'le 26 octobre 2024, Generik publiait une annonce commerciale sur sa page Facebook intitulée 'coup de pouce aux coiffeurs' (...). M. [C] [W] et Coiffissimo n'ont pu s'empêcher d'y répondre de manière dénigrante et moqueuse par une publication du 30 octobre 2024 (le 'post du 30 octobre 2024", pièce n°31)'.
Dès lors, il appartient à la cour de statuer au fond sur les demandes d'injonction relatives aux publications des 4 juillet et 30 octobre 2024, étant précisé que, le trouble manifestement illicite s'appréciant à la date à laquelle le premier juge a statué, la circonstance que ces publications aient supprimés est inopérante.
En revanche, il ressort des explications concordantes des parties qu'aucune demande n'avait été formée devant le premier juge s'agissant des publications sur le thème '[R] [E]' et le premier juge a donc statué ultra petita de ce chef. Aucune demande n'étant davantage portée à hauteur d'appel, il y a lieu en conséquence d'infirmer l'ordonnance querellée de ce chef.
sur le trouble manifestement illicite
Aux termes de l'article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite s'entend de toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. Le dommage est réalisé et il importe d'y mettre un terme.
L'illicéité du trouble suppose la violation d'une obligation ou d'une interdiction préexistante et doit être manifeste. Il appartient à la partie qui s'en prévaut d'en faire la démonstration avec l'évidence requise devant le juge des référés.
La concurrence déloyale est constituée de l'ensemble des procédés concurrentiels contraires à la loi ou aux usages, constitutifs d'une faute intentionnelle ou non et de nature à causer un préjudice aux concurrents tels que la confusion (créer dans l'esprit du public une confusion avec l'entreprise concurrente de telle sorte que la clientèle se trompe et soit attirée), le dénigrement et le parasitisme (se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissement consentis).
Des actes de concurrence déloyale peuvent être constitutifs d'un trouble manifestement illicite et il entre dans les pouvoirs du juge des référés de les constater et d'en ordonner la cessation.
La nécessité toutefois, d'assurer une concurrence libre et loyale doit se concilier avec le droit à la liberté d'expression, laquelle comprend la libre critique des produits.
La Cour européenne des droits de l'homme a admis que des informations à caractère commercial pouvaient entrer dans le champ d'application de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH, 20 novembre 1989, Markt Intern Verlag GmbH c. Allemagne, n 10572/83, §26).
Cependant, la jurisprudence de cette Cour prévoit que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour écarter le dénigrement, sur le fondement de la liberté d'expression :
- l'information doit se rapporter à un sujet d'intérêt général.
- l'information doit reposer ' sur une base factuelle suffisante'.
- l'information doit ' être exprimée avec une certaine mesure'.
Ont trait à un débat d'intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu'il peut légitimement s'y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu'elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité. Tel est le cas également des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important, ou qui ont trait à un problème dont le public aurait intérêt à être informé.
Sur la publication du 4 juillet 2024
S'agissant du post du 4 juillet 2024, celui-ci est ainsi rédigé :
'Qui veut tuer les coiffeuses de Coiffissimo '
Il y a 2 semaines, je vous faisais part de ma visite au tribunal de Nanterre, suite au harcèlement judiciaire dont je suis la victime. En effet, une société concurrente a jugé bon de s'attaquer à [N] et [D] en saisissant le tribunal de Nanterre pour tenter de faire licencier mes collaboratrices. Sans aucune autre demande : pas de demande d'indemnité en réparation d'un quelconque préjudice, rien' juste la volonté de les mettre à la rue, au simple motif qu'elles ont décidé de changer de société pour rejoindre Coiffissimo professionnal. Comment peut-on haïr à ce point ses anciens collaborateurs ' Haïr à ce point les coiffeuses au point de vouloir les mettre sur la paille '
Jeudi dernier, j'ai reçu la décision du tribunal. Est-il nécessaire de vous indiquer que je me suis battu pour [D] et [N] et que j'ai gagné mon procès. Tant que je serai à la tête de Coiffissimo je ne laisserai rien arriver à mes collaborateurs. Personne n'a le pouvoir de vous empêcher de travailler avec moi, malgré ce que l'on essaie de vous faire croire avec tant d'aplomb.
Mais ce qui m'a choqué par-dessus tout dans cette histoire, c'est le relent de misogynie ignoble qui se démarque de cette attaque' qu'on s'attaque à moi, c'est une chose que j'ai acceptée le jour où j'ai lancé Coiffissimo. On ne peut pas arriver comme je suis en train de le faire sur un marché établi et ne pas récolter au passage quelques procès pour tenter de freiner mon ascension. Mais qu'une société supposément au service des coiffeurs essaie de mettre à la rue des coiffeuses, mères de famille, qui se sont battues pour en arriver là où elles sont' ça me donne juste envie de gerber. Alors aujourd'hui c'est un jour de fête' je suis soulagé que le juge ne se soit pas laissé berner par cette initiative ignoble. Je suis extrêmement fier d'[N] et de [D] qui ont fait face avec beaucoup de courage et de dignité, malgré l'incroyable épée de Damoclès qu'on leur a mise au-dessus de la tête'
Mais aujourd'hui j'ai mal' j'ai mal car je ne conçois pas qu'il puisse encore exister en 2024 des comportements misogynes comme celui-ci. J'ai mal qu'il existe encore des sociétés au service des femmes qui n'hésitent pas à tenter par tous les moyens de détruire la vie de coiffeuses' j'ai mal parce que malgré la multiplication des initiatives de défense de la représentativité des femmes dans les entreprises de coiffure il existe encore des comportements arriérés comme celui-ci, qui visent à sacrifier la vie de coiffeuses sur l'autel de la vengeance...
Mesdames, le combat est loin d'être fini !'.
En réalité, il ressort de l'ordonnance de référé du 27 juin 2024 que la société Generik avait saisi le conseil de prud'hommes en demandant que soient dit illicites les contrats de travail liant ces 2 femmes à la société de M. [W] en raison de la clause de non-sollicitation dont celui-ci était tenu au terme de son contrat de travail.
Le conseil de prud'hommes a indiqué : « la clause de non sollicitation telle qu'elle est rédigée ne souffre d'aucune interprétation. M. [W] a violé cette clause en embauchant, via sa société Mesdames X et Y. Néanmoins, la société Generik ne démontre pas en quoi cette violation lui causerait un trouble manifestement illicite si important qu'il nécessiterait de mettre fin immédiatement aux 2 contrats de travail. Elle n'explique pas en quoi la continuation de ces contrats lui causerait un dommage quelconque'.
Il y a lieu de constater en conséquence que ce litige ne concerne pas un débat d'intérêt général en ce que, contrairement à ce qu'indiquent les appelants dans cette publication, la politique de la société Generik à l'égard de son personnel n'est pas en cause, seul faisant l'objet du débat le respect par M. [W] de ses obligations contractuelles .
Dès lors, les propos accusant la société Generik de misogynie dans ce contexte apparaissent factuellement totalement erronés.
En effet, M. [W] se livre à une transformation complète du sens de la décision dont il fait état, dès lors que :
' les 2 coiffeuses n'étaient pas parties à la procédure,
' le conseil de prud'hommes a reconnu la violation évidente par M. [W] lui-même de ses obligations contractuelles de non-sollicitation,
' c'est l'attitude de M. [W], qui a procédé à l'embauche des 2 coiffeuses alors qu'il s'était obligé à n'engager aucun personnel de la société Generik durant un délai déterminé, qui est à l'origine de la précarité de la situation professionnelle de ces coiffeuses.
En conséquence, à supposer même que ce sujet puisse être qualifié d'intérêt général, si la société Generik s'était effectivement rendue coupable d'agissements discriminatoires à l'égard des femmes employées par sa société, cette publication ne repose sur aucune base factuelle suffisante.
Au surplus, l'information n'est exprimée avec aucune mesure puisqu'au contraire des termes particulièrement critiques et violemment péjoratifs sont utilisés ('volonté de les mettre à la rue', 'Haïr à ce point les coiffeuses au point de vouloir les mettre sur la paille ', 'relent de misogynie ignoble', ' initiative ignoble' notamment).
Enfin, alors que le nom de la société Generik est grossièrement caviardé sur l'ordonnance jointe à la publication, son identification est clairement possible facilement puisque la première et la dernière lettre sont visibles et qu'au surplus, les publications antérieures de M. [W] indiquent clairement que son ancien employeur est la société Generik et qu'il se trouve en conflit avec elle depuis son licenciement.
Il en résulte que M. [W] a dépassé les limites de la liberté d'expression dans cette publication.
Cependant, la qualification de dénigrement n'est applicable qu'aux seuls propos dépréciant les produits ou services d'une entreprise, ceux qui portent atteinte à la considération de la personne physique ou morale pouvant éventuellement relever de la seule qualification de diffamation.
Dès lors, au regard de l'argumentation de la société Generik et de l'existence d'une réglementation spécifique applicable à la diffamation, non visée et non mise en oeuvre en l'espèce, aucune violation évidente de la règle de droit n'est caractérisée en l'espèce.
En conséquence, la demande de retrait de cette publication sur le fondement du trouble manifestement illicite n'est pas justifiée et sera rejetée.
Sur la publication du 30 octobre 2024
La publication de la société Coiffissimo et de M. [W] sur Facebook du 30 octobre 2024 comportait une photographie d'un homme flou en arrière plan et, en premier plan, la photographie nette de sa main droite avec le pouce levé et le texte suivant :
'Ceci est un coup de pouce donné aux coiffeurs. Donner un coup de coup de pouce aux coiffeurs, ce n'est pas une vulgaire opération commerciale, c'est un engagement de tous les jours...
- Donner un coup de pouce aux coiffeurs, c'est vendre sa coloration à un prix juste TOUTE L'ANNÉE. Chez Coiffissimo professionnal, c'est 2,90€ ht le tube de 100ml TOUTE L'ANNÉE (la kératine et l'huile d'argan c'est cadeau)
- Donner un coup de pouce aux coiffeurs, c'est ne pas augmenter ses prix et s'engager à ne pas le faire dans le futur
- Donner un coup de pouce aux coiffeurs, c'est maintenir ses frais de livraison offerts à partir de 79 € ht d'achats pour ne pas forcer les coiffeurs à stocker plus de produits
- Donner un coup de pouce aux coiffeurs, c'est maintenir ses paliers à 24 / 48 / 72 tubes pour atteindre les remises lors des promotions sur la coloration
- Donner un coup de pouce aux coiffeurs, c'est offrir des facilités de paiement en 2, 3 ou 4 fois dès 50€ d'achats
- Donner un coup de pouce aux coiffeurs, c est remercier les clients qui parlent de nous en offrant 50€ de produits pour chaque parrainage
- Donner un coup de pouce aux coiffeurs, c'est simplement aimer les coiffeurs et tout mettre en oeuvre pour préserver l'équilibre fournisseur / coiffeur. Tous les jours. Dans toutes les décisions que je prends.
Alors quand je vois tout ça, je suis fier de pouvoir répondre «tous les jours'' à la question « Et toi c'est quand la dernière fois que tu as fait un truc bien pour les coiffeurs ''' #Coiffissimo See less'
Il convient en premier lieu de dire que ce post ne se rapporte manifestement à aucun débat d'intérêt général mais a une fin purement commerciale et publicitaire, aucune protection au titre de la liberté d'expression ne pouvant en conséquence être retenue.
Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur un produit commercialisé par une personne ou une entreprise, dans le but de l'évincer, tandis que le parasitisme désigne le comportement d'un acteur économique qui se place délibérément dans le sillage d'un autre pour exploiter, sans contrepartie ni effort propre, les investissements, le savoir-faire ou la notoriété de ce dernier.
En l'espèce, il convient de constater que la publication du 30 octobre de la société Coiffissimo et M. [W] constitue manifestement une réponse à la communication du 26 octobre de la société Generik qui comportait la photographie de deux mains tenant un tube de coloration avec le pouce levé avec le slogan 'COUP DE POUCE AUX COIFFEURS' et le texte : 'Generik donne un coup de pouce aux coiffeurs! Nous savons que cette année a été pleine de défis mais vous avez tenu bon et continué à embellir la vie de nos clients avec passion et talent. Nous voulons donc vraiment vous donner un coup de pouce pour terminer l'année en beauté ! C'est pourquoi nous vous proposons toutes nos colorations Generik à seulement 2, 90 € ht !'
Il s'agissait en conséquence pour les appelants de répondre, de manière publique et ciblée, à une action publicitaire précise de son concurrent, en le critiquant et en utilisant des termes manifestement péjoratifs.
En outre, il y a lieu de souligner que les appelants avaient déjà effectué une action exactement identique lors de la communication de la société Generik relative à [U] en décembre 2023 ce qui démontre le caractère malveillant de ces publications et la volonté de la société Coiffissimo et de son dirigeant de s'attaquer exclusivement à la société Generik.
Il convient en conséquence de dire que ce post constitue un trouble manifestement illicite.
Le fait d'ordonner à la société Coiffissimo et à M. [W] de retirer ces publications constitue une mesure proportionnée pour mettre fin au trouble manifestement illicite ainsi constitué et l'ordonnance querellée sera donc confirmée en ce qu'elle a statué en ce sens.
Sur les demandes accessoires
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance, étant souligné que le montant de l'indemnité procédurale, qui relève du pouvoir discrétionnaire du premier juge, a été correctement évalué en ce qu'il s'agissait de faire cesser des agissements déloyaux répétitifs utilisant des réseaux sociaux à forte visibilité pour causer un préjudice important à la société Generik.
Parties essentiellement perdantes, M. [W] et la société Coiffissimo ne sauraient prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devront en outre supporter les dépens d'appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Generik la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. Les appelants seront en conséquence condamnés à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Confirme l'ordonnance querellée sauf en ce qu'elle a ordonné à la société Coiffissimo et à M. [W] de supprimer des réseaux sociaux toute communication sur le thème '[U]' sous astreinte,
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Constate qu'aucune demande n'a été formée par les parties s'agissant des publications sur le thème '[U]' ;
Déboute la société Generik de sa demande au titre de la publication du 4 juillet 2024 ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne aux dépens d'appel.
Condamne M. [C] [W] et la société Coiffissimo aux dépens d'appel ;
Condamne M. [C] [W] et la société Coiffissimo à verser à la société Generik la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente, et par Madame Marion SEUS, Ajointe faisant fonction de Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.