Livv
Décisions

CA Rennes, 7e ch prud'homale, 13 novembre 2025, n° 22/03220

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 22/03220

13 novembre 2025

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°362/2025

N° RG 22/03220 - N° Portalis DBVL-V-B7G-SYTK

M. [K] [S]

C/

S.A. BOCCARD

RG CPH : 19/00332

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de RENNES

Copie exécutoire délivrée

le : 13/11/25

à : Me Blanchet Magon

Me [Localité 5]

Copie certifiée conforme délivrée

le: 13/11/25

à: France Travail

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 13 NOVEMBRE 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 Septembre 2025 devant Monsieur Hervé BALLEREAU, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame [Y], médiateur judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe, date à laquelle a été prorogé le délibéré fixé au 06 Novembre 2025

****

APPELANT :

Monsieur [K] [S]

né le 13 Octobre 1983 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Comparant en personne par Me Quentin BLANCHET MAGON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

S.A. BOCCARD prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Christian BROCHARD de la SCP AGUERA AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LYON substitué par Me DUPERRON, avocat au barreau de LYON

EXPOSÉ DU LITIGE

La SA Boccard a pour activité la réalisation d'ensembles de tuyauterie clés en main dans le domaine de la pétrochimie et des industries agro-alimentaires et pharmaceutiques, ainsi que de la maintenance industrielle.

Selon un contrat à durée indéterminée en date du 6 septembre 2010, M. [K] [S] était embauché en qualité d'automaticien selon un contrat de travail à durée indéterminée, statut cadre, position I - indice 80.

Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.

Par lettre remise en mains propres contre décharge le 20 juin 2018, M. [S] était convoqué à un entretien préalable à son licenciement fixé le 28 juin 2018.

Par courrier du 20 juillet 2018, il se voyait notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Il lui était notamment reproché de multiples connexions non professionnelles d'environ 25 jours de travail sur une période de 7 mois en dépit d'un précédent entretien de recadrage à ce sujet et ce, au préjudice de la bonne réalisation de ses missions.

***

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 20 juin 2019 afin de voir :

- Dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par conséquent,

- Condamner la SA Boccard au paiement d'une indemnité de

79 293,60 euros

- Dire et juger qu'il a subi un préjudice lié à une surveillance de ses connexions personnelles.

- Enjoindre à la SA Boccard :

- d'avoir à produire les ordres de mission du salarié, lesquels doivent faire figurer les différentes missions du salarié et la durée des missions qui lui ont été confiées.

- d'avoir à produire les plannings de temps pour les missions confiées au salarié et notamment sur le projet Boclub la production de ces contrats de mission pour permettre au conseil de constater que la société n'hésitait pas à placer M. [S] sur plusieurs projets en même temps : 3 000 euros

- Condamner la SA Boccard au paiement d'une indemnité de 3 000 euros en réparation de la violation de la vie privée de M. [S],

- Dire et juger que la SA Boccard n'a pas respecté le droit à la déconnexion de M. [S].

Par conséquent,

- Condamner la SA Boccard au paiement d'une indemnité en réparation de la violation au droit à la déconnexion : 3 000,00 euros

- Dire et juger que la SA Boccard n'a pas respecté les augmentations salariales prévues par la convention collective.

Par conséquent,

- Condamner la SA Boccard au paiement d'un rattrapage de salaire de: 5 638,00 euros

- Ordonner l'exécution provisoire sur l'ensemble des condamnations à intervenir.

- Dire et juger que la SA Boccard sera condamnée à remettre au salarié l'ensemble des documents sociaux et des documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision à intervenir.

- Dire et juger que le conseil de prud'hommes de céans se réservera la liquidation de l'astreinte prononcée.

- Condamner la SA Boccard au paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000,00 euros

- Condamner la SA Boccard aux entiers dépens.

La SA Boccard a demandé au conseil de prud'hommes de :

A titre principal :

- Dire et juger que le licenciement pour cause réelle et sérieuse de M. [S] est bien fondé.

- En conséquence le débouter de l'intégralité de ses demandes

A titre subsidiaire :

- Réduire à de plus juste proportion les dommages et intérêts attribués à M. [S]

En tout état de cause :

- Constater que M. [S] ne démontre aucune violation de sa vie privée, ni aucun préjudice permettant de lui octroyer des dommages et intérêts à ce titre

- Constater que M. [S] ne démontre aucun préjudice permettant de lui octroyer des dommages au titre du droit à la déconnexion

- Dire et juger que M. [S] a bénéficié d'une évolution conforme aux dispositions conventionnelles,

En conséquence,

- Débouter M. [S] de l'intégralité de ses demandes,

- Indemnité au titre de 1'article 700 du code de procédure civile :

2 000 euros

- Dépens.

Par jugement en date du 25 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Rennes a :

- Débouté M. [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

- Mis les dépens éventuels à la charge de M. [S].

***

M. [S] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 22 mai 2022.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 13 août 2022, M. [S] demande à la cour d'appel de :

- Réformer le jugement en l'ensemble de ses dispositions et faire droit aux demandes de M. [S], à savoir :

- Dire et juger illégale la surveillance opérée par la SA Boccard au moyen du logiciel TeamViewer,

- Dire et juger que la SA Boccard n'a pas respecté le droit à la déconnexion de M. [S],

- Dire et juger que M. [S] a subi un préjudice lié à une surveillance de ses connexions personnelles,

- Dire et juger que le licenciement de M. [S] est sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner la SA Boccard au paiement d'une indemnité de 79 293,60 euros,

- Condamner la SA Boccard au paiement d'une indemnité en réparation de la violation au droit à la déconnexion de 3 000 euros.

- Enjoindre à la SA Boccard d'avoir à produire les ordres de mission du salarié, lesquels doivent faire figurer les différentes missions du salarié et la durée des missions qui lui ont été confiées,

- Enjoindre à la SA Boccard d'avoir à produire les plannings de temps pour les missions confiées au salarié et notamment sur le projet Boclub,

- Condamner la SA Boccard au paiement d'une indemnité de 3 000 euros en réparation de la violation de la vie privée de M. [S],

- Dire et juger que la SA Boccard n'a pas respecté les augmentations salariales prévues par la convention collective,

Par conséquent,

- Condamner la SA Boccard au paiement d'un rattrapage de salaire de 5 638 euros.

- Condamner la SA Boccard au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et à 1 500 euros au titre des frais irrépétibles devant le conseil de prud'hommes,

- Condamner la SA Boccard aux entiers dépens de l'instance et de ceux devant le conseil de prud'hommes de Rennes.

M. [S] fait valoir en substance que :

- En premier lieu, il convient de distinguer l'utilisation des outils professionnels pour accéder durant les heures de travail à des sites internet sans lien avec l'emploi et l'utilisation faite d'un logiciel dont l'identifiant utilisé est personnel et installé sur différents périphériques pour une utilisation à des fins personnelles et professionnelles ; en second lieu, il utilisait ses périphériques personnels pour dépanner des collègues ou des clients de sorte que ces connexions apparaissent sous la qualification 'sans nom' ; l'entreprise détournait l'utilisation 'personnelle' du logiciel TeamViewer, lui évitant d'acquérir une licence professionnelle et sollicitait de ses salariés qu'ils se connectent via un identifiant personnel et non via un identifiant professionnel ;

- S'il se connectait à la domotique de son domicile via son téléphone personnel ou sur l'un de ses ordinateurs personnels non équipés de claviers en dehors du temps de travail et parfois la nuit, son employeur pouvait le savoir en utilisant le listing qu'il a utilisé pour prononcer le licenciement ; le listing du logiciel TeamViewer ne distingue pas les connexions personnelles et les connexions professionnelles puisque le login utilisé est son identifiant personnel ; cet accès pose difficulté dans la mesure où l'employeur a accès à toutes les connexions professionnelles mais également personnelles, sans que le salarié, n'ait été informé de ce contrôle ;

- La société Boccard fonde son licenciement sur un système d'enregistrement dont la déclaration auprès de la CNIL fait défaut et rend de ce fait, le système automatisé inopposable au salarié ; à défaut d'avoir dûment été déclaré, le listing utilisé ne saurait être recevable et devra être écarté des débats; le fait que l'employeur soit dans l'incapacité d'établir si le logiciel a été utilisé à des fins personnelles ou professionnelles, que le listing transmis comporte des temps de connexions sur les week-ends et temps de repos ainsi que des connexions via ses appareils personnels suffit pour établir que l'utilisation de cette preuve a nécessairement porté atteinte au caractère équitable de la procédure, le droit à la preuve ne pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à sa vie personnelle ;

- Il apparaît que le contrôle du logiciel TeamViewer a été réalisé en violation des prescriptions en la matière et n'a pas fait l'objet d'une information du Comité d'entreprise (CE) ou du Comité social économique (CSE) ; la charte informatique ne fait pas état de la surveillance des logiciels, pas plus qu'une journalisation des connexions mais uniquement la journalisation des accès internet ; l'employeur n'a jamais informé les salariés qu'il avait récolté des informations personnelles et nominatives au sein de son système informatique ; la finalité du logiciel TeamViewer est une prise à distance des ordinateurs des clients ou ceux de l'entreprise mais en aucun cas il n'a été présenté comme un moyen de contrôler les connexions des salariés ;

- La preuve de l'abus dans l'utilisation du logiciel TeamViewer n'est pas rapportée, le listing fourni par l'employeur affiche des connexions après le temps de travail, sur la pause déjeuner, le soir, les week-ends et durant ses congés, démontrant que le listing ne distingue pas les connexions personnelles et professionnelles ; il est impossible d'identifier sur ledit listing, les ordinateurs personnels ou professionnels non répertoriés ; la société est dans l'incapacité d'établir que les connexions invoquées sont personnelles ; sur les 2275 minutes de connexions il est impossible de juger du temps réel passé en connexion ;

- L'entretien annuel de 2015 ne fait état d'aucune difficulté particulière s'agissant de la prétendue baisse de productivité ; le projet Boclub a bel et bien été terminé et a même été rendu au client final; il s'agissait d'un projet interne à l'entreprise qui n'avait que très peu d'impact financier ou organisationnel ; si le projet a pu prendre du retard, la responsabilité n'en incombe pas au salarié mais à la mauvaise gestion du service ; aucun mail ne lui a été adressé pour faire état d'un problème de gestion du projet, de difficultés avec le client ou autre ;

- Le plafond instauré par l'ordonnance du 22 septembre 2017 met à mal le principe de la réparation intégrale du préjudice ; cette ordonnance ne satisfait aucunement aux exigences du Comité Européen des droits sociaux (CEDS) ; le plafond, non conforme à la charte sociale européenne doit être écarté au profit de l'appréciation souveraine du juge et il sera fait droit à la demande de dommages et intérêts à hauteur de 24 mois de salaires ;

- L'entreprise Boccard a mis en place une charte informatique qui ne comporte pas de dispositions relatives au droit à la déconnexion des salariés; il était dans l'obligation de se connecter, via le logiciel TeamViewer, aux différents programmes dont il assurait la maintenance, que ce soit durant les week-ends, ses vacances ou lors de déplacements professionnels à l'étranger;

- La société n'a pas respecté la convention collective s'agissant de la hausse systématique de l'indice salarial, impliquant une augmentation de sa rémunération minimum légale ; un rattrapage est dû à ce titre.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 7 novembre 2022, la SA Boccard demande à la cour d'appel de:

- Confirmer le jugement rendu le 25 avril 2022 par le conseil de prud'hommes de Rennes en ce qu'il a :

- Débouté M. [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

Par conséquent

A titre principal,

- Juger le licenciement pour cause réelle et sérieuse de M. [S] bien fondé,

En conséquence,

- Le débouter de l'intégralité de ses demandes formulées à ce titre.

A titre subsidiaire,

- Réduire à de plus juste proportion les dommages et intérêts attribués à M. [S]

En tout état de cause,

- Juger que M. [S] ne démontre aucune violation de sa vie privée ni aucun préjudice permettant de lui octroyer des dommages et intérêts à ce titre

- Juger que M. [S] ne démontre aucun préjudice permettant de lui octroyer des dommages au titre du droit à la déconnexion.

- Juger que M. [S] a bénéficié d'une évolution conforme aux dispositions conventionnelles,

En conséquence,

- Débouter M. [S] de ses demandes

Y ajoutant en cause d'appel,

- Le condamner aux dépens ainsi qu'au versement de la somme de

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société fait valoir en substance que :

- La charte informatique énonce qu'une consultation ponctuelle et raisonnable, pour un motif personnel, de sites internet dont le contenu n'est pas contraire l'ordre public et aux bonnes moeurs, est tolérée par l'entreprise; M. [S] avait déjà fait l'objet d'un recadrage en raison d'une utilisation excessive d'internet à des fins personnelles ;

- La journalisation des données collectées par le logiciel TeamViewer permet d'établir la facturation pour les clients ; M. [S] avait une parfaite connaissance de ce logiciel qui ne traite pas les connexions pour alerter la société mais permet seulement le constat de l'utilisation d'internet à des fins non professionnelles du fait de la journalisation ;

- Le rapport de connexions fait ressortir 10 704 minutes de connexion, soit environ 25 jours de travail sur une période de 7 mois, sur des serveurs 'sans nom' avec l'identifiant de M. [S] ; ces connexions ont bien eu lieu sur des plages horaires où le salarié était en poste ;

- M. [S] tente d'amoindrir l'impact de son retard sur le projet Boclub et justifie sa baisse de productivité par le fait que le projet n'était pas urgent, alors qu'il n'est pas à la discrétion des salariés de déterminer le degré d'urgence des projets confiés ; la lecture du compte rendu d'entretien fait état d'une estimation des temps approximatifs et de dépassements des délais estimés ; M. [S] était affecté à 13 projets tandis que son homologue, M. [G] était affecté sur la même période à 20 projets;

- La charte informatique de la société Boccard prévoit la journalisation et le contrôle de l'activité informatique des salariés ; cette charte a fait l'objet d'une consultation du Comité d'entreprise et a été déposée auprès de la DIRECCTE et du conseil de prud'hommes de sorte qu'elle est parfaitement opposable aux salariés ; la traçabilité des connexions internet a fait l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL de sorte que M. [S] ne peut pas arguer de la déloyauté de la consultation de la journalisation de ses connexions ; si par extraordinaire la cour estimait que les listings TeamViewer étaient illicites, elle ne pourrait pour autant les écarter des débats, leur production étant nécessaire dans le cadre du droit à la preuve ;

- Au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation du 11 mai 2022, pourvois n°21-14.490 et 21-15.247, la cour d'appel ne pourra aucunement allouer à M. [S] une indemnité supérieure au montant maximum prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail ;

- M. [S] n'apporte aucun élément de preuve quant à l'existence et au quantum d'un éventuel préjudice nécessitant une indemnisation spécifique ;

- L'application de la grille de classification de l'accord national du 29 janvier 2000 est exclusive de l'application de la grille de classification classique, ces deux grilles n'ayant pas vocation à s'appliquer de façon distributive ; M. [S] ne pouvait prétendre à une évolution automatique puisqu'il ne satisfait pas aux conditions posées par les dispositions conventionnelles.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 24 juin 2025 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 16 septembre 2025.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la contestation de la cause réelle et sérieuse de licenciement

La lettre de licenciement datée du 20 juillet 2018, qui circonscrit l'objet du litige, est rédigée comme suit:

« Le 28 mai 2018, lors d'un suivi de temps de connexion pour la facturation de l'assistance poste client à l'aide de notre outil TeamViewer permettant d'effectuer un support informatique à distance pour nos clients, votre supérieur hiérarchique a constaté des connexions informatiques de votre part à des serveurs externes non liés à des projets clients en cours.

Il ressort de ce suivi de temps de connexions que nombres de vos journées de travail sont ponctuées et interrompues par de multiples connexions non professionnelles. Cet état fait en effet ressortir

10 704 minutes de connexion depuis votre ordinateur professionnel sur des serveurs « sans nom » avec votre identifiant, entre le 5 octobre 2017 et le 27 avril 2018 soit l'équivalent d'environ 25 jours de travail sur une période de 7 mois.

Pour ne citer que quelques exemples pris à différentes périodes et de manière non exhaustive, vous vous êtes connectés de la façon suivante :

' Le 28 février 2018 :

' 13 connexions personnelles entre 9h28 et 17h25 pour un temps total de 99 minutes

' 1 connexion professionnelle de 98 minutes sur le projet Saransk

' 1 connexion professionnelle de 178 minutes sur le projet Ghana

' Le 11 avril 2018 :

' 4 connexions personnelles de 346 minutes entre 08h56 et 16h26

' Le 17 avril 2018 :

' 3 connexions personnelles entre 11h31 et 15h26 pour un temps total de 127 minutes

' 1 connexion professionnelle de 444 minutes sur le projet [T]

' 2 connexions professionnelles de 103 minutes sur le projet Ghana

' Le 18 avril 2018 :

' 3 connexions personnelles entre 9h19 et 17h43 pour un temps total de 138 minutes et une dernière connexion à partir de 17h43

' 1 connexion professionnelle de 411 minutes sur le projet [T]

' 3 connexions professionnelles de 76 minutes sur le projet Ghana

Ces connexions personnelles multiples ne correspondent à aucune activité pour nos clients et reflètent par conséquent une activité personnelle conséquente de votre part sur vos journées de travail.

Lors de l'entretien préalable, vous avez totalement reconnu ces connexions personnelles.

Vous avez en effet reconnu avoir pris pour habitude de faire notamment de la domotique pendant vos journées de travail notamment pour l'alarme de votre maison.

Or, nous vous rappelons que la charte informatique qui vous est pleinement applicable prévoit :

« Seuls ont vocation à être consultés les sites internet présentant un lien direct et nécessaire avec l'activité professionnelle de l'utilisateur. »

Même si cette même charte tolère une consultation ponctuelle et raisonnable, pour un motif personnel, de sites internet dont le contenu n'est pas contraire à l'ordre public et aux bonnes m'urs, la fréquence de vos connexions sur des serveurs extérieurs non professionnels tout au long de ces semaines démontre que vous n'êtes absolument pas dans ladite consultation ponctuelle et raisonnable tolérée.

Vous utilisez pour ce faire notre infrastructure réseau et notre ligne Internet.

Votre attitude est donc constitutive d'un manquement grave à vos obligations professionnelles que nous ne pouvons accepter.

Votre comportement est d'autant plus regrettable que vous avez été reçu le 22 juillet 2016 par votre management pour un entretien de recadrage au cours duquel nous vous reprochions déjà des activités d'ordre personnel à votre poste de travail sans lien avec vos missions et vous vous étiez pourtant engagé à l'époque à stopper toute activité personnelle sur votre temps de travail.

Nous constatons donc que vous avez poursuivi vos agissements faisant ainsi fi des observations que nous vous avions formulées à l'époque.

Force est de constater que vous avez fait preuve d'une insubordination caractérisée qui ne saurait être tolérée.

Cette attitude est d'autant plus préjudiciable qu'elle perturbe le bon déroulé de votre mission.

En effet, le temps que vous passez sur ces différents serveurs vous empêche d'accomplir correctement vos fonctions. Vous êtes en retard sur vos objectifs et vous n'avez pas produit le reporting de votre activité légitimement demandé par votre supérieur hiérarchique.

Comme mentionné dans votre dernier entretien annuel d'évaluation réalisé avec votre manager le 23 janvier 2018, la qualité et la productivité de votre travail sont également inférieures aux attentes.

A titre d'exemple, le projet Boclub, qui relevait de votre responsabilité, devait être prêt pour décembre 2017. Or, à ce jour, nous restons dans l'attente de la réalisation de celui-ci. Ce projet devait pourtant servir de rampe de lancement pour TrackAdvance version 4 début 2018. Le retard accumulé de votre fait sur ce projet est donc pour le moins considérable.

Vous avez affirmé au cours de l'entretien préalable ne pas avoir suffisamment de temps pour avancer sur ce projet mais nous constatons cependant que le temps ne semble pas vous manquer pour effectuer des tâches personnelles pendant vos journées de travail.

Enfin, nous devons systématiquement procéder à des recadrages réguliers à votre encontre afin d'obtenir de votre part la simple réalisation des missions qui vous incombent.

Vous comprendrez donc que nous ne pouvons envisager, dans ces circonstances, la poursuite de nos relations contractuelles.

De plus, les explications que vous nous avez fournies lors de votre entretien préalable ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Nous sommes donc au regret de vous notifier, par la présente lettre, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse... » (pièce n°3 société).

1-1 Sur la licéïté du moyen de preuve de la faute

Il résulte de l'article 6 §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code de procédure civile que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats.

Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Plus précisément, pour envisager qu'une preuve illicite puisse, malgré cela, être déclarée recevable, il faut qu'elle soit indispensable, c'est à dire qu'elle doit être le seul moyen d'établir la réalité du fait allégué ou encore qu'aucun autre moyen de preuve moins attentatoire au respect de la vie privée (ou à tout autre droit fondamental mis en cause) ne puisse être offert (Ass. plén., 22 décembre 2023, pourvois n°20-20.648 et n°21-11.330).

Le juge doit ensuite apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie privée au regard du but poursuivi en vérifiant qu'en l'espèce et de manière concrète, le moyen de preuve illicite ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée de l'une des parties par rapport à l'objectif poursuivi par l'autre.

Par ailleurs, il convient de rappeler que le règlement général sur la protection des données (Règl. (UE) 2016/679, 27 avr. 2016), dit 'RGPD'qui abroge la directive 95/46/CE, a été adopté par le Conseil et le Parlement européen le 27 avril 2016.

Son entrée en vigueur dans les États membres de l'Union européenne a été fixée au 25 mai 2018.

En l'espèce, M. [S] conteste la loyauté de l'obtention des listings de connexions internet du logiciel TeamViewer aux motifs que :

- D'une part, la société Boccard n'a pas procédé à la déclaration des contrôles informatiques auprès de la CNIL,

- D'autre part, la société n'a pas procédé à la déclaration des contrôles auprès du Comité d'entreprise ou du Comité social et économique.

Il convient de relever que la charte informatique de l'entreprise, dont l'opposabilité n'est pas utilement contestée par le salarié, est datée du 4 avril 2013 et que les listings querellés couvrent la période du 5 octobre 2017 au 27 avril 2018, soit avant l'entrée en vigueur du RGPD.

Aux termes de l'article L. 1222-4 du code du travail, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.

En vertu de l'article L. 2323-32 du code du travail, dans sa version applicable du 1er mai 2008 au 1er janvier 2016, désormais codifié à l'article L. 2312-38 du même code, le comité d'entreprise est informé, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés.

La protection des données à caractère personnel est régie au cas d'espèce par les dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dite loi informatique et libertés, telle que modifiée par la loi n°2004-801 du 6 août 2004 qui a transposé la directive 95/46 CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD).

En application des articles 2 et 22 de la loi informatique et libertés, modifiée par la loi n°2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du RGPD, les traitements automatisés de données à caractère personnel font l'objet d'une déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

S'agissant de la déclaration, l'article 23 de la loi précitée dispose :

'I. - La déclaration comporte l'engagement que le traitement satisfait aux exigences de la loi.

Elle peut être adressée à la Commission nationale de l'informatique et des libertés par voie électronique.

La commission délivre sans délai un récépissé, le cas échéant par voie électronique. Le demandeur peut mettre en oeuvre le traitement dès réception de ce récépissé ; il n'est exonéré d'aucune de ses responsabilités.

II. - Les traitements relevant d'un même organisme et ayant des finalités identiques ou liées entre elles peuvent faire l'objet d'une déclaration unique. Dans ce cas, les informations requises en application de l'article 30 ne sont fournies pour chacun des traitements que dans la mesure où elles lui sont propres.'

L'article 30 de la loi informatique et libertés impose une description détaillée du traitement opéré et prévoit que les déclarations adressées à la CNIL doivent préciser :

' [...]

2° La ou les finalités du traitement [...]

3° Le cas échéant, les interconnexions, les rapprochements ou toutes autres formes de mise en relation avec d'autres traitements ;

4° Les données à caractère personnel traitées, leur origine et les catégories de personnes concernées par le traitement ;

5° La durée de conservation des informations traitées...'

Il est constant que les adresses IP, qui permettent d'identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, au sens de l'article 2 de la loi informatique et libertés, de sorte que leur collecte par l'exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel et doit faire l'objet d'une déclaration préalable auprès de la CNIL en application de l'article 23 de la loi précitée (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n°17-19.523 ; Soc., 9 avril 2025, pourvoi n°23-13.159).

La SA Boccard verse aux débats la charte informatique de l'entreprise datée du 4 avril 2013 prévoyant :

- En son article 3.3. Utilisation des services internet : 'Chaque utilisateur doit respecter les principes généraux et les règles propres des différents sites visités ainsi que la législation en vigueur.

Seuls ont vocation à être consultés les sites internet présentant un lien direct et nécessaire avec l'activité professionnelle de l'utilisateur. Toutefois, une consultation ponctuelle et raisonnable, pour un motif personnel, de sites internet dont le contenu n'est pas contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs et ne mettant pas en cause l'intérêt et la réputation de l'entreprise est tolérée...' ;

- En son article 4.2. Analyse et contrôle de l'utilisation des ressources : 'L'utilisation des ressources informatiques et des services internet peuvent être analysés et contrôlés par le service informatique pour des nécessités :

* de maintenance,

* de contrôle à des fins statistiques,

* de traçabilité,

* de respect des règles de la charte informatique,

* de sécurité ou de détection des abus et dans le respect de la législation applicable et notamment de la loi informatique et liberté...' ;

- En son article 4.4. Prise de main à distance : 'Le service informatique utilise des logiciels de prise de main à distance afin d'accéder à distance à l'ensemble des postes informatiques à des fins de maintenance...'

- En son article 6. Traçabilité : 'L'entreprise a mis en place un système de journalisation des accès internet. Il est précisé que l'entreprise s'est conformée aux prescriptions de la loi informatique et libertés.' ;

- En son article 10. Respect de la loi informatique et libertés : ' [...] Toute personne est informée de l'existence d'un fichier informatique comportant des informations nominatives la concernant, de sa finalité, de l'existence d'un droit d'accès et des modalités de mise en oeuvre de celui-ci, dès la collecte des informations la concernant...'

- En son article 11. Sanctions : 'Le non-respect de la charte est passible de l'une des sanctions disciplinaires prévues par le règlement intérieur et / ou de poursuites judiciaires en cas de violation des dispositions légales et réglementaires en vigueur. Toute utilisation des outils informatiques non conformes à la présente charte peut donner lieu à la suspension immédiate de ces outils par la direction.' (pièce n°6).

L'employeur produit également :

- Le compte rendu de la réunion du 26 mars 2013 du Comité d'entreprise faisant état de la consultation de la charte informatique : 'Cette charte a été envoyée à tous les membres du CE en même temps que la convocation soit le lundi 18 mars (8 jours calendaires avant la réunion) afin de permettre à chaque élu de lire le document et de préparer ses observations. [...] L'entrée en vigueur de la charte est soumise au respect de certaines conditions : consultation du CE pour avis et envoi à la DIRECCTE ainsi qu'au greffe du conseil de prud'hommes...' (pièce n°7 - page 4) ;

- Le compte rendu de la réunion du 25 avril 2013 du Comité d'entreprise mentionnant une seconde consultation de la charte informatique : 'Certains élus sont favorables à un deuxième vote en raison de l'absence de certains représentants du personnel lors du précédent CE.

Résultats du vote : 5 votes favorables 1 défavorable 2 abstentions et 1 absent

Cette charte est à la signature auprès de la Direction et fera l'objet des formalités d'enregistrement après signature.' (pièce n°8) ;

- Deux courriers recommandés avec accusé de réception datés du 13 juin 2013 portant transmission de la charte informatique de la société Boccard à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ainsi qu'au conseil de prud'hommes de Lyon (pièces n°9 et 10) ;

- Un formulaire Cerfa de déclaration auprès de la CNIL daté du 17 avril 2013 duquel il ressort que :

* Dans l'encadré n°3 : Finalité du traitement, il est fait état de la 'traçabilité des connexions web' visant les salariés de l'entreprise et les visiteurs.

La mention d'un 'équipement Fortigate filtrage URL' est portée dans une sous-rubrique indiquant: 'Si vous utilisez une technologie particulière, merci de préciser laquelle (facultatif)'.

* Dans l'encadré n°4 : Données traitées, il est précisé qu'il s'agit de données de connexion de types 'adresses IP, logs, etc.' collectées de manière indirecte, ces données étant conservées 3mois,

* Dans l'encadré n°7 : Sécurité et confidentialité, il est précisé qu'une journalisation des connexions est effectuée (pièce n°11).

* Dans l'encadré n°9, il est indiqué que le droit d'accès des personnes concernées par le traitement des données est assuré par voie d'affichage et l'adresse du service de la société Boccard chargé de répondre aux demandes de droit d'accès est mentionnée.

* Dans l'encadré n°10 figure le nom de la personne à contacter au sein de l'entreprise, également signataire de la déclaration.

La charte informatique fait mention de l'utilisation de logiciels de prise en main à distance ainsi que le contrôle desdits logiciels via la journalisation des connexions à des fins de maintenance ou encore de respect des règles de la charte. Il est donc établi que contrairement aux allégations de M. [S], le Comité d'entreprise, désormais Comité social et économique (CSE), a été préalablement consulté s'agissant des moyens informatiques permettant un contrôle de l'activité des salariés.

Il est également établi que la société Boccard a régulièrement procédé à la déclaration du traitement automatisé des données à caractère personnel via la journalisation des connexions de ses salariés.

Le fait qu'à la question posée dans le formulaire de déclaration de la 'technologie particulière' utilisée, n'appelant qu'une réponse facultative du déclarant, il a été fait mention d'un 'équipement Fortigate filtrage URL', dont il n'est pas discuté qu'il s'agit d'un outil de type 'pare-feu', ne remet nullement en cause la sincérité de la déclaration effectuée qui visait bien à informer la CNIL de la mise en place par la société Boccard d'un contrôle de traçabilité des connexions internet des salariés de l'entreprise, étant ici observé qu'il ne résulte pas des dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, notamment de son article 30 susvisé, que l'indication précise de la dénomination du logiciel utilisé pour accéder à ces informations de connexion constitue une condition de validité de la dite déclaration.

Dès lors, M. [S] est mal fondé à demander à la cour de juger comme étant illégale la surveillance opérée par la SA Boccard au moyen du logiciel TeamViewer, alors que cette surveillance était expressément prévue par l'article 4-2 de la charte informatique de l'entreprise du 4 avril 2013 et qu'elle avait fait l'objet d'une déclaration en bonne et due forme à la CNIL.

Les listings de connexions versés aux débats par la société Boccard ne sont donc pas illicites et ils ne contreviennent pas au principe de loyauté dans l'administration de la preuve.

1-2: Sur l'analyse des griefs:

En premier lieu il doit être relevé que l'employeur ne s'explique pas sur la durée de conservation des données issues des rapports de connexions TeamViewer sur la période du 5 octobre 2017 au 27 avril 2018, soit une période de 7 mois, telle que visée dans la lettre de licenciement comme constituant la période de contrôle du temps de connexion non-professionnel, alors qu'au terme de la déclaration susvisée effectuée auprès de la CNIL, la durée de conservation des données est limitée à 3 mois.

Les contrôles effectués sur la période antérieure au 27 janvier 2018 sont donc dénués de pertinence, étant d'ailleurs ici observé que les exemples visés dans la lettre de licenciement portent sur une période allant du 28 février 2018 au 18 avril 2018.

En second lieu, le listing intitulé 'Rapports de connexion' que produit l'employeur s'avère dénué de portée pratique sur le terrain de l'administration de la preuve du grief tiré de ce que 'nombre de vos journées de travail sont ponctuées et interrompues par de multiples connexions non professionnelles'.

En effet, le fait que M. [S] ait pu être conduit à se connecter à des ordinateurs identifiés sur ce listing comme étant 'sans nom' ne signifie pas nécessairement, aucun autre élément de preuve n'éclairant le document litigieux, que ces ordinateurs soient parfaitement étrangers à l'activité de l'intéressé et qu'ils illustrent une absence de travail au profit de connexions 'non professionnelles'.

A ce titre, M. [S] n'est pas utilement contredit lorsqu'il indique que 'tous les ordinateurs des automaticiens mais également les ordinateurs de développement et les machines de tests, étaient équipés du logiciel TeamViewer, alors même qu'ils ne figuraient pas pour autant dans la liste des ordinateurs connus des administrateurs' (conclusions salarié page 16).

En outre, le listing fait ressortir diverses invraisemblances en ce qui concerne les temps de connexion qualifiés de non professionnels.

Ainsi, peut-on relever au titre des connexions sur des ordinateurs désignés 'sans nom':

- 1.002 minutes entre le 6 décembre 2017 à 19h38 et le 7 décembre 2017 à 12h19 (16,70 heures)

- 1.466 minutes entre le 13 octobre 2017 à 15h25 et le 14 octobre 2017 à 15h50 (24,43 heures)

- 1.466 minutes entre le 16 octobre 2017 à 11h32 et le 17 octobre 2017 à 10h57 (24,43 heures)

- 1.201 minutes entre le 3 novembre 2017 à 13h34 et le 4 novembre 2017 à 9h34 (20 heures).

En outre, le listing fait apparaître que s'agissant des connexions nommées, certaines dépassent les 24 heures d'affilée, ainsi la connexion 'Saransk-Server01" entre le 1er mars 2018 à 9h47 et le 2 mars 2018 à 16h11 pour une durée de 1.824 minutes, soit 30,4 heures ou encore la connexion 'Ghana - StationDev' entre le 9 février 2018 à 9h26 et le 11 février 2018 à 02h55 pour une durée de 2.489 minutes soit 41,48 heures.

Le salarié n'est d'ailleurs pas utilement contesté lorsqu'il indique qu'il est 'possible d'ouvrir une connexion et de laisser cette dernière ouverte/active pendant plusieurs jours sans même qu'elle soit utilisée, puisqu'elle n'est qu'un simple accès sur d'autres ordinateurs.

Ainsi, des connexions sur des ordinateurs 'sans nom' (mais également sur des ordinateurs 'nommés') ont pu être effectuées par le salarié sur de longues périodes, hors de proportion avec une journée de travail effectif, sans qu'il puisse en être tiré la conclusion que durant ces périodes le salarié n'effectuait aucune prestation de travail répondant aux exigences du contrat qui le liait à la société Boccard.

Le défaut de production de rapports de connexion, fussent-ils anonymisés, d'autres salariés, n'autorise aucune comparaison avec le cas de M. [S], s'agissant des temps de connexion habituellement constatés sur des ordinateurs désignés comme étant 'sans nom'.

L'attestation de M. [D] versée aux débats par la société Boccard ne peut être considérée qu'avec d'importantes réserves dans la mesure où le témoin n'est autre que le supérieur hiérarchique direct du salarié, étant en outre observé que le témoignage se borne à des considérations générales, non illustrées d'exemples chiffrés, sur le fait que l'intéressé se serait connecté 'régulièrement et longuement sur différents sites à des fins personnelles pendant ses heures de travail', ce dont il aurait été 'avisé par quatre salariés'.

Le témoin ajoute avoir constaté une difficulté de M. [S] à tenir les délais fixés pour l'exécution du travail, ce qui aurait conduit à une vérification de ses temps de connexion via le logiciel TeamViewer, pour constater des temps de connexion personnelles excessifs, qui auraient engendré des retards et un mécontentement manifesté par les clients.

Sur ce dernier point, aucune justification de réclamations formées par la clientèle en lien avec les agissements fautifs reprochés à M. [S] dans la célérité requise pour le traitement des missions confiées, n'est produite.

Aucune justification, telle que des témoignages, n'est en outre produite quant à l'alerte qui aurait été donnée par quatre collègues de travail de M. [S] sur des temps de connexion informatique excessifs à des fins personnelles.

S'agissant du retard sur les objectifs et de la baisse de productivité reprochée au salarié, il convient de relever que:

- Par mail du 22 juillet 2016, M. [L] [D], Responsable service automatisme, adressait à M. [S] le compte rendu d'un entretien de recadrage du même jour, au terme duquel il indiquait : '[...] Activités annexes sur le temps de travail

J'ai pu constater à plusieurs reprises et plusieurs collègues m'ont remonté que [K] menait des activités d'ordre personnel sur son poste de travail et sans aucun lien avec ses missions.

Navigation internet sur :

- Sites marchands.

- Forums.

- Domotique.

- Skype Perso.

Développement PHP perso sur des adresses IP qui ne sont ni Boccard ni clients.

[K] reconnaît mener quelques activités annexes sur son temps de travail, mais précise qu'elles ne durent pas si longtemps que cela et qu'elles l'aident à se former à son travail d'informaticien industriel.

Ce comportement n'est pas acceptable car :

- Le temps de travail est rémunéré par l'entreprise, celle-ci attend donc en contrepartie un travail à plein temps directement lié à l'activité de l'entreprise

- Génère une baisse significative de la confiance que peut lui accorder son hiérarchique et ses collègues

- Est contaminante dans un environnement à la vue de tous tel que l'est un open-space

- Démotivante pour les collègues ayant une charge de travail et un engagement fort se demandant bien pourquoi tous ces efforts si le collaborateur d'à côté peut se la 'couler douce'

Ces activités doivent cesser, comme donné en objectif lors de l'entretien individuel du 06/01/2016...

[...]

Charge de travail

À ta demande, nous allons te donner plus de travail afin d'augmenter ton temps de travail effectif' (pièce n°13) ;

- Par mail daté du 26 juillet 2016, M. [S] contestait la teneur du compte-rendu établi par son supérieur hiérarchique, indiquant notamment que sa productivité n'avait jamais été contestée et ajoutant que s'il reconnaissait des temps de connexions personnelles, 'ce temps est principalement axé sur le développement en langage Web ce qui constituait à mon sens une formation continue et une étape de recherche sur le domaine du développement Web, soit la tâche qui m'est affectée par Boccard. Sachant que j'ai fait plusieurs demandes de formations qui ont été refusées à cause du planning projet (...)'.

Dans le même temps, il reconnaissait les faits: 'Comme dit, en effet, je ne nie en rien ces faits, toutefois comme retranscrit par ABR ([L] [D]), cela n'a pas un poids conséquent sur mon emploi du temps (...)' en concluant: 'Aujourd'hui, mes temps annexes semblent devenir une véritable plaie pour l'entreprise, ainsi donc, comme conclu lors de cet entretien, ces activités vont cesser conformément aux directives de ma hiérarchie'.

- Le 5 février 2018, M. [I] [E], Business Development Manager, indiquait au salarié : 'Salut [K], je ne vois pas beaucoup d'activité sur GH. Peux-tu faire un point précis du reste à faire stp' Merci' (pièce n°14-2) ;

- Par mail du 6 mars 2018, M. [E] indiquait à M. [S] : '[K], la visibilité sur ce que tu fais est extrêmement faible. J'ai l'impression que rien n'avance, zéro activité sur Git depuis plus d'un mois par exemple. Merci de remédier à cela.' (pièce n°14-1) ;

- M. [S] répondait par mail du 7 mars suivant en ces termes : '[...] Effectivement: Ghana: réparation de multiples bugs + ajout d'améliorations + corrections des tags (...) Quelques temps passé en support de [P] sur le recettage + généalogie, [T] en cours. Ajoute à cela des congés pour moi et pour enfants malade. Effectivement je n'ai pas touché à Boclub depuis un mois, d'où l'inactivité. Je vais être sur encore [T] pendant encore au moins 2 semaines...' (pièce n°26) ;

- Au terme du compte rendu d'entretien annuel d'évaluation réalisé le 6 janvier 2016, il était indiqué que l'objectif 'engagements sur les délais' était 'partiellement atteint sur l'info. Non atteint sur l'autom.' Et s'agissant des points à améliorer : 'Implication sur la partie autom. Rigueur dans l'info indus. Productivité à améliorer.' (pièce n°15) ;

- Au terme du compte rendu d'entretien annuel d'évaluation réalisé le 23 janvier 2018, il était mentionné la difficulté suivante : '- = Auto-formation, estimation fin de projet' s'agissant du projet Boclub cité parmi les missions principales de l'année ; étant observé que la compétence 'productivité : respecte les temps prévus et les coûts estimés ; fait preuve d'efficacité' était notée inférieure aux atteintes 'estimation des temps approximatifs et quelques dépassements', de même que l'item 'Qualité' était noté inférieur aux attentes (pièce n°16).

Toutefois, aucune donnée chiffrée n'est fournie quant aux dépassements de temps reprochés alors qu'il résulte des échanges de mails versés aux débats que le salarié devait suivre simultanément plusieurs missions dont certaines se sont heurtées à des difficultés techniques (cf mails susvisé de M. [S] du 7 mars 2018) et que, par ailleurs, ainsi que cela résulte des mails adressés par M. [S] à MM. [F] et [D] les 16 mars et 21 juillet 2017, il existait une problématique relative à la définition précise des missions de l'intéressé, lequel indiquait notamment alors qu'il était envisagé de lui confier un nouveau poste de 'Superviseur de développement sur TrackAdvance': 'Comme convenu, voici un rapport sur les mesures que je souhaiterais mettre en oeuvre au sein du service info-indus, si toutefois le poste n'était confié. Celui-ci se base sur les nombreux retours de mes collègues, ainsi que sur leur crainte de voir le service s'effondrer si nous ne prenons pas les devants (...). Aujourd'hui, chaque développeur fait un peu de tout sans pour autant pouvoir s'exprimer pleinement dans chaque domaine', ajoutant: '(...) Si l'organisation au sein du service ne s'améliore pas, nous allons arriver à un stade de saturation où nous ne pourrons plus faire évoluer TrackAdvance ou corriger les bugs qui traînent encore (...)'.

S'agissant du projet dénommé 'Boclub' cité dans la lettre de licenciement, force est de constater que l'employeur ne s'explique nullement dans ses écritures sur la question de l'imputablité du retard allégué à un manque d'investissement professionnel de la part de M. [S].

Or, pour sa part, le salarié produit divers échanges de mails avec son supérieur hiérarchique mais également avec M. [O], Chef de projet automation, dont aucun ne met en évidence le moindre manquement du salarié quant au suivi du projet Boclub, pas plus que le moindre mécontentement exprimé par le client en lien avec un manquement qui soit imputable à M. [S], le nombre et le contenu des échanges dénotant au contraire un suivi régulier et le traitement des difficultés qui se sont présentées lors de la mise en oeuvre du projet, non seulement d'ordre technique, mais aussi quant à la détermination de dates de rendez-vous avec le client, ces différents échanges démentant l'affirmation de ce que le salarié soit en tout ou partie responsable de ce que le projet n'ait pas été 'prêt pour décembre 2017" comme l'affirme la lettre de licenciement, alors que le 5 juin 2018, M. [O] relançait de nouveau le client pour déterminer une nouvelle date de réunion sur le suivi du projet.

Enfin, les attestations de collègues de travail versées aux débats par M. [S] relèvent la disponibilité et les compétences manifestées par l'intéressé, y compris sur ses temps de repos.

Au résultat de l'ensemble de ces éléments et sans qu'il soit justifié d'enjoindre à la société Boccard de produire les ordres de mission et plannings du salarié, les conditions cumulatives de réalité et de sérieux des motifs invoqués, exigées par la loi pour fonder un licenciement pour motif personnel, ne sont manifestement pas réunies au cas d'espèce pour justifier la rupture unilatérale du contrat de travail de M. [S], de telle sorte que le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.

En vertu des dispositions du même article L1235-3 du code du travail, le salarié qui compte 7 années révolues d'ancienneté dans l'entreprise est en droit de percevoir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant est compris entre 3 et 8 mois de salaire brut.

Ces dispositions et celles des articles L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

Ensuite, les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, permettant d'allouer au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.

M. [S] ne justifie en outre nullement de ce que la réparation assurée dans les limites prévues par le barème fixé par l'article L1235-3 susvisé du code du travail ne serait pas adéquate au sens des dispositions de la Charte sociale européenne.

Compte-tenu des circonstances de l'espèce, de l'ancienneté de M. [S] (7 ans et 10 mois), du salaire brut moyen des six derniers mois tel qu'il résulte des bulletins de paie versés aux débats et de l'attestation Pôle emploi (3.350,62 euros) et des difficultés de réinsertion sur le marché du travail justifiées par la production d'un relevé Pôle emploi en date du 8 février 2021, il est justifié de condamner la société Boccard à payer à M. [S] la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail, la société Boccard sera condamnée à rembourser à l'organisme gestionnaire de l'assurance chômage, les allocations servies à M. [S] dans la limite de six mois.

2- Sur l'indemnisation du préjudice tiré de la violation de la vie privée du salarié

Selon l'article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée ; les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée.

Il est constant que la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation (Soc., 6 mai 2025, pourvoi n°23-23.294).

Il résulte des précédents développements précédents que l'exploitation des connexions informatiques du salarié via le logiciel TeamViewer a fait l'objet d'une déclaration régulière auprès de la CNIL en conformité avec la loi informatique et libertés et que cette exploitation a en outre été réalisée conformément aux prévisions de la Charte informatique de l'entreprise dûment soumise à l'approbation des représentants du personnel.

A cet égard et contrairement aux allégations de M. [S], la journalisation des connexions internet est régulièrement mentionnée aux articles 4.2 et 6 de la charte informatique portée à la connaissance du Comité d'entreprise de la société Boccard, de sorte que les salariés soumis aux dispositions de ladite charte ont été régulièrement informés des possibles contrôles des ressources informatiques par l'employeur pour des nécessités de maintenance, de contrôle à des fins statistiques, de traçabilité, de respect des règles de la charte informatique ou de sécurité et de détection d'abus.

En outre, si le relevé produit par l'employeur fait apparaître des connexions effectuées parfois sur de longues périodes couvrant pour partie des temps de pause ou de repos, il ne résulte d'aucun élément du dossier que, contrairement à ce que soutient M. [S], l'intégralité de ses connexions effectuées à titre privé, depuis un outil numérique personnel (ordinateur, tablette, smartphone) aient été consultées par l'entreprise au mépris de son droit au respect de la vie privée, ce qui ne ressort nullement ni du relevé litigieux, ni de tout autre élément objectif.

Dans ces conditions, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée.

3- Sur la demande de dommages-intérêts pour absence de contrôle du droit à la déconnexion

Il résulte des dispositions de l'article L. 1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

À ce titre, l'employeur a un devoir de loyauté dans l'exécution du contrat de travail aussi bien en ce qui concerne la mise en 'uvre du contrat que l'application de la législation du travail.

En outre, l'article L. 2242-17 du code du travail, 7°, dans sa version en vigueur du 24 septembre 2017 au 7 septembre 2018, dispose que : 'La négociation annuelle sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail porte sur : [...] Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques, en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. À défaut d'accord, l'employeur élabore une charte, après avis du comité social et économique.

Cette charte définit ces modalités de l'exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en 'uvre, à destination des salariés et du personnel d'encadrement et de direction, d'actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.'

L'article L. 3121-64 du même code prévoit : '[...]

II.-L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;

3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-17.'

Selon l'article L. 3121-65 du code du travail : '[...] II.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues au 3° du II de l'article L. 3121-64, les modalités d'exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l'employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, ces modalités sont conformes à la charte mentionnée au 7° de l'article L. 2242-17.'

Il n'est pas utilement contesté par la société Boccard que le droit à la déconnexion du salarié ne faisait l'objet d'aucune modalité de sorte que ni la charte informatique (pièce n°6 société), ni le contrat de travail (pièce n°1 société), ni les comptes rendus d'entretien annuel (pièces n°15 et 16 société), ou tout autre document, ne font état du droit à la déconnexion de M. [S], cadre soumis à une convention de forfait jours sur l'année.

Dans ces conditions où l'employeur ne justifie d'aucune mesure permettant au salarié d'exercer son droit à la déconnexion, affectant l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle de M. [S], il y a lieu d'indemniser le préjudice subi par le salarié de ce chef par l'allocation de la somme de 500 euros de dommages et intérêts.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

4- Sur la demande de rappel de salaire au titre de la reclassification conventionnelle

En application de l'article R. 3243-1 du code du travail, le bulletin de paie doit comporter un certain nombre de mentions au nombre desquelles figure le nom et l'emploi du salarié ainsi que sa position dans la classification conventionnelle qui lui est applicable.

La position du salarié est notamment définie par le niveau ou le coefficient hiérarchique qui lui est attribué.

En cas de contestation sur la catégorie professionnelle dont relève le salarié, le juge doit rechercher la nature de l'emploi effectivement occupé par ce dernier et la qualification qu'il requiert.

La charge de la preuve pesant sur le salarié qui revendique une autre classification que celle qui lui a été attribuée, il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu'il assure effectivement de façon habituelle, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique.

La qualification d'un salarié s'apprécie au regard des fonctions qu'il exerce réellement au sein de l'entreprise et de la définition des emplois donnée par la convention collective.

Le salarié ne peut prétendre à obtenir la classification qu'il revendique que s'il remplit les conditions prévues par la convention collective.

M. [S] a été embauché en qualité d'automaticien, statut cadre, position I, indice 80, selon un contrat à durée indéterminée daté du 22 juillet 2010 renvoyant aux dispositions de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 et de ses avenants cadres (pièce n°1 salarié).

Au dernier état des relations contractuelles, le salarié occupait les mêmes fonctions, statut cadre, position II, indice 108 (pièce n°2 salarié).

L'article 21 de la Convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 et de ses avenants cadres prévoit :

' A. - Années de début

Position I :

Les titulaires des diplômes actuellement définis à l'article 1er de la présente convention, qui débutent comme ingénieurs ou cadres administratifs ou commerciaux, bénéficient à leur entrée dans l'entreprise d'un taux minimum garanti.

Le coefficient qui résulte de l'article 22 ci-après est majoré pour chaque année d'expérience acquise par les intéressés au-delà de vingt-trois ans jusqu'au moment où ils accèdent aux fonctions de la position II et de la position III où sont classés les ingénieurs et cadres confirmés.

Le calcul des années d'expérience se fait sur les bases suivantes :

Toute année de travail effectuée comme ingénieur ou cadre dans l'entreprise liée par le présent accord ou dans une activité en rapport avec la fonction envisagée est comptée comme une année d'expérience ;

Les études à plein temps postérieures au premier diplôme et ayant conduit à l'obtention d'un deuxième diplôme parmi ceux actuellement définis à l'article 1er de la présente convention, et utilisable éventuellement par l'entreprise à la condition que ces études aient une durée supérieure ou égale à un an, sont comptées comme une année d'expérience.

Dans le cas où les titulaires de diplômes ainsi définis à l'article 1er de la présente convention débutent comme ingénieurs ou cadres administratifs ou commerciaux avant vingt-trois ans, ils bénéficient d'un taux d'engagement minimum fonction de leur âge ; leurs appointements minima doivent être augmentés par la suite de façon que ces appointements correspondent, lorsque les intéressés atteignent vingt-trois ans, au taux minimum garanti d'embauche des ingénieurs et cadres âgés de vingt-trois ans.

Les ingénieurs et cadres débutants accèdent au classement de la position II et de la position III prévues pour les ingénieurs et cadres confirmés dès que leurs fonctions le justifient. Ce passage a un caractère obligatoire lorsqu'ils ont accompli une période de trois ans en position I, dont une année au moins de travail effectif dans l'entreprise, et atteint l'âge de vingt-sept ans. Les études à plein temps, telles que définies à l'alinéa 3 ci-dessus, équivalent à une période d'un an d'ancienneté en position I.

Les taux minima d'engagement dans l'entreprise et la majoration de coefficient par année d'expérience sont fixés dans le barème annexé.'

L'article 22 de la convention collective prévoit les évolutions suivantes :

'La situation relative des différentes positions, compte tenu éventuellement pour certaines d'entre elles de l'âge ou de l'ancienneté, est déterminée comme suit :

Position I (années de début) :

- 21 ans : 60.

- 22 ans : 68.

- 23 ans et au-delà : 76.

- Majoration par année d'expérience acquise au-delà de 23 ans dans les conditions prévues à l'article 21 : 8.

Position II : 100.

- Après 3 ans en position II dans l'entreprise : 108.

- Après une nouvelle période de 3 ans : 114.

- Après une nouvelle période de 3 ans : 120.

- Après une nouvelle période de 3 ans : 125.

- Après une nouvelle période de 3 ans : 130.

- Après une nouvelle période de 3 ans : 135.

Position repère III A : 135.

Position repère III B : 180.

Position repère III C : 240.'

Au terme d'un Accord national du 29 janvier 2000 portant révision provisoire des classifications dans la métallurgie, de nouveaux coefficients ont été institués aux articles 3 et 4.

Selon l'article 3 - Classification de cet accord : 'Aux articles 1er, 21 et 22 de la Convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 modifié, il est ajouté, parallèlement à la position I et sans condition d'âge ou d'ancienneté, les six coefficients de classement suivants: 60, 68, 76, 80, 86, 92.'

L'article 4 - Grille de transposition prévoit : 'Il est institué, à partir de l'an 2000 et à titre transitoire, une grille de transposition permettant, pour les salariés qui remplissent les conditions définies à l'article 2, de bénéficier de la qualité de cadre au sens des conventions collectives de branche de la métallurgie, et de déterminer le coefficient de classement résultant de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 modifiée, correspondant au coefficient de même niveau résultant de l'accord national du 21 juillet 1975 modifié relatif à la classification.'

Cet article prévoit également une 'grille de transposition' établie sur 4 colonnes indiquant :

- La classification de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de 1972 prévoyant des indices allant de 60 à 240 incluant les nouveaux indices issus de l'accord (60, 68 76, 80, 86 et 92),

- La classification de l'accord national du 21 juillet 1975 prévoyant des coefficients de 140 à 395,

- Les indices de classification actuelle répartis en trois sous catégories (ouv., AT et AM) allant du niveau II au niveau IIIC,

- Les différents niveaux de la grille de transposition allant de 1 à 24.

M. [S] sollicite la stricte application des dispositions des articles 21 et 22 de la convention collective nationale de 1972 prévoyant un avancement automatique de l'indice salarial des cadres de la métallurgie sous conditions d'âge et d'ancienneté.

Or, contrairement aux allégations du salarié qui soutient que seule la grille 'classique' de la convention collective devait s'appliquer, l'intéressé ayant été embauché en qualité de cadre au coefficient 80 issu de l'accord national du 29 janvier 2000, bénéficiait de la classification professionnelle sans condition d'âge et d'ancienneté en vertu des dispositions prévues par le dit accord de sorte qu'il ne peut prétendre au bénéfice du mécanisme de progression automatique triennal tel que prévu pour les ingénieurs et cadres confirmés à l'article 22 de la convention collective nationale.

Partant, il y a lieu de débouter M. [S] de ses demandes à ce titre, par voie de confirmation du jugement.

5- Sur les dépens et frais irrépétibles

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société Boccard, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Condamnée aux dépens, elle sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande en revanche de condamner la société Boccard, sur ce même fondement juridique, à payer à M. [S] une indemnité d'un montant de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée et de sa demande de rappel de salaire ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y additant,

Déboute M. [S] de ses demandes de production de pièces ;

Juge le licenciement notifié par la société Boccard à M. [S] sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SA Boccard à verser à M. [S] les sommes suivantes :

- 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 500 euros de dommages et intérêts au titre du non-respect du droit à la déconnexion ;

Condamne la SA Boccard à rembourser à l'organisme gestionnaire de l'assurance chômage France Travail les allocations servies à M. [S] dans la limite de six mois ;

Déboute M. [S] de sa demande de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée ;

Confirme pour le surplus le jugement entrepris ;

Déboute la SA Boccard de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA Boccard à payer à M.[S] la somme globale de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA Boccard aux dépens de première instance et d'appel.

La greffière Le président

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site