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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 7, 13 novembre 2025, n° 22/01882

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/01882

13 novembre 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRET DU 13 NOVEMBRE 2025

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/01882 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFEVY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Décembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 21/02546

APPELANTE

Madame [W] [F]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Alizée CERVELLO, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

Association CLUB KINERET

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Stéphanie ALA, présidente , chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre,

Madame Stéphanie ALA, présidente,

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller,

Greffière, lors des débats : Madame Estelle KOFFI

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Stéphanie ALA, présidente et par Madame Estelle KOFFI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [W] [F] a été engagée par contrat à durée déterminée par l'association Club Kineret le 2 juillet 2020 en qualité d'animatrice au centre de [Localité 5] pour la période du 6 au 23 juillet 2020 moyennant une rémunération forfaitaire brute de 500,00 euros.

L'association Club Kineret organise des colonies de vacances en France et à l'étranger, ainsi que des séjours linguistiques.

L'association emploie moins de dix salariés.

La convention collective applicable est la convention collective nationale des métiers de l'éducation, de la culture, des loisirs et de l'animation agissant pour l'utilité sociale et environnementale, au service des territoires du 28 juin 1988 ( IDCC 1518).

Le 25 mars 2021, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir des dommages et intérêts pour harcèlement moral, exécution déloyale du contrat de travail, manquement à l'obligation de sécurité, manquement à la législation sur le temps de travail (repos), retard de paiement de salaire et de frais et défaut de remise des documents de fin de contrat.

Par jugement en date du 9 décembre 2021, notifié le 25 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- Condamné l'association Club Kineret à payer à Mme [F] :

* 100,00 euros au titre du retard de paiement des salaires et des frais ;

Rappelé qu'en application de l'article R.1454-28 du code du travail ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire, calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire ;

Fixé la moyenne à la somme de 500,00 euros ;

Ordonné le paiement des intérêts moratoires sur le salaire au taux légal à compter de la demande de paiement du 24 juillet 2020 et jusqu'au règlement le 21 décembre 2020 ;

Rappelé qu'en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les intérêts courent à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, pour les créances de nature salariale et à compter du prononcé du jugement pour les créances à caractère indemnitaire.

* 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné la remise d'un bulletin de paie rectifié ;

- ordonné la capitalisation des intérêts ;

- débouté Mme [F] du surplus de ses demandes ;

- débouté l'association Kineret de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamné l'association Kineret aux dépens.

Le 1er février 2022, Mme [F] a interjeté appel de la décision.

Aux termes de ses dernières conclusions, transmises par voie électronique le 13 décembre 2022, Mme [F], appelante, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* ordonné le paiement des intérêts moratoires sur le salaire au taux légal à compter de la demande paiement du 24 juillet 2020 et jusqu'au règlement le 21 décembre 2020,

* ordonné la remise d'un bulletin de paie rectifié,

* ordonné la capitalisation des intérêts,

* débouté l'association Club Kineret de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* condamné l'association Club Kineret à lui payer la somme de 100,00 euros au titre du retard de paiement des salaires et de frais,

* condamné l'association Club Kineret à lui payer la somme de 500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* l'a déboutée du surplus de ses demandes,

Statuant à nouveau :

- condamner l'association Club Kineret à lui verser les sommes de

* 2 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral à titre principal, et subsidiairement pour exécution déloyale du contrat de travail ;

* 2 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;

* 1 250,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison du défaut de remise préalable et de l'imprécision du contrat d'engagement éducatif ;

* 2 500,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison des manquements à la législation sur le temps de travail (repos) ;

* 2 500,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison du retard de paiement de salaire et des frais ;

- condamner l'association Club Kineret à lui remettre, sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision à intervenir, le bureau de jugement se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte :

* son certificat de travail,

* son attestation pôle emploi,

* reçu pour solde tout compte,

- condamner l'association Club Kineret à lui verser les sommes de :

* 250,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison du défaut de remise des documents de fin de contrat ;

* 1 528,00 euros pour les frais d'avocat en première instance et à la somme de 1 500,00 euros pour les frais d'avocat en appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'association Club Kineret aux entiers dépens en ce compris les frais d'huissier (53,20 euros de signification de déclaration et conclusions d'appel et 54,43 euros de citation devant le Bureau de conciliation), ainsi que les frais éventuels de signification et d'exécution ;

- condamner l'association Club Kineret à lui verser les intérêts au taux légal sur ces sommes, à compter de l'acte introductif d'instance et ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, ;

- rejeter les demandes de l'association Club Kineret.

Aux termes de ses dernières conclusions, transmises par voie électronique le 6 juillet 2022, l'association Club Kineret, intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [F] les sommes de

* 100,00 euros au titre du retard de paiement des salaires et de frais,

* 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* ordonné le paiement des intérêts moratoires sur le salaire au taux légal à compter de la demande paiement du 24 juillet 2020 et jusqu'au règlement le 21 décembre 2020, ordonné la remise d'un bulletin de paie rectifié,

* ordonné la capitalisation des intérêts,

* débouté l'association Club Kineret de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [F] du surplus de ses demandes.

Statuant à nouveau :

- débouter Mme [F] l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Mme [F] à lui payer la somme de 4 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La cour se réfère expressément aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens et des prétentions des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2025.

MOTIFS

- Sur l'existence d'un harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il convient de préciser que les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral si elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Au cas présent, pour soutenir l'existence d'un harcèlement moral, la salariée fait état de méthodes de gestion déplorables concernant l'organisation de l'emploi du temps des animateurs, la gestion des enfants et des activités, l'obligation d'effectuer des tâches dégradantes, des brimades, du chantage et de l'intimidation. Elle ajoute que cette situation a conduit à la dégradation de ses conditions de travail causant une atteinte potentielle à ses droit, sa dignité , sa santé ou sa carrière.

L'employeur oppose le caractère non probant des éléments de preuve versés. Il souligne les dénonciations tardives de pression et de harcèlement, intervenues après la fin du contrat de travail. Il rappelle qu'à son retour de la colonie de vacances, la salariée ne s'est vue prescrire que de la lisopaïne et du doliprane. Il s'étonne, eu égard aux accusations de harcèlement moral de l'absence de plainte pénale.

A titre liminaire, les éléments produits par la salariée ne permettent pas de retenir, ainsi qu'elle l'affirme, qu'il lui a été fait obligation d'exécuter des tâches dégradantes. Il sera ajouté qu'elle ne peut se prévaloir de faits survenus postérieurement à la rupture du contrat de travail pour étayer l'existence de faits de harcèlement moral.

Pour le reste, et contrairement à ce que soutient l'employeur, la salariée verse des éléments qui permettent d'étayer et corroborer ses dires ainsi que les photographies qu'elle produit.

En effet, il ressort des plannings versés par la salariée ( pièce 9 de l'appelante), que les prénoms [N] et [L] figurent bien sur les emplois du temps.

Ainsi, il est établi que les faits dont ils témoignent se rapportent à la période durant laquelle la salariée était employée par l'association Kineret et affectée sur le site de [Localité 5].

Le fait, par ailleurs non établi que ces salariés auraient rencontré des difficultés avec leur employeur, ne permet pas en soi, faute d'élément produit par l'employeur de considérer leurs déclarations comme mensongères.

C'est ainsi que Mme [N] [S], animatrice, ( pièce 30 de l'appelante) témoigne:

- du fait que la plupart des animateurs n'étaient pas titulaires du Bafa,

- elle ajoute ' les directrices nous testaient jours après jours, analysant nos points faibles auprès des enfants pour pouvoir en fin de journée, entre 2h00 et 3h00 du matin, alors que debout depuis 7h00, hurler sur chacun d'entre nous à tour de rôle, jusqu'à faire pleurer, sans la moindre trace de pédagogie, de respect et d'humanité',

- elle explique que les enfants leur manquaient de respect, les insultaient et que les directrices n'ont pas appris aux animateurs à faire de la pédagogie mais plutôt qu'elles les rabaissaient en leur imputant la situation,

- elle précise ' nous n'étions plus seulement harcelés moralement par les doléances et les jugements de la part des directrices, nous étions également devenus les 'esclaves' de ces enfants.'

- elle décrit également l'absence de respect par la direction de gestes barrières alors que les animateurs l'avaient alertée sur les symptômes présentés par des enfants,

- elle conclut en ces termes ' Nous étions en perpétuel état de stress et de fatigue. Nous étions épuisés et moralement détruits.'

M. [L] [M], animateur, ( pièce 31 de l'appelante) témoigne :

- de ce que la directrice, Mme [X], l'a insulté devant les enfants,

- qu'il a dormi une semaine dans le couloir sur un matelas au sol,

- que les réunions se terminaient aux alentours de 3/4 heures du matin, avec un lever à 7h30,

- de l'interdiction de se doucher après la réunion quotidienne.

Ce témoignage corrobore la capture extraite de la vidéo effectuée par la salariée qui montre un matelas installé au sol dans un couloir (pièce 11-1 de l'appelante).

Il convient en outre d'ajouter les avis google produits par la salariée ( pièce 32 de l'appelante) émanant de parents d'enfants envoyés en colonie de vacances avec le club Kineret qui mentionnent une absence totale de communication avec la direction, des directeurs tyranniques, des animateurs terrorisés et des enfants malheureux, ou encore d'absence de réponse face à des enfants présentant les symptômes du covid.

Enfin, il ressort des échanges entre la salariée et sa mère que la première lui a fait part de son grand épuisement, que sa mère n'a pu joindre la direction afin qu'un rendez vous médical soit organisé ( pièces 6 et 7 de l'appelante) et que le médecin qui l'a examinée dès son retour le 23 juillet 2020, a constaté que la salariée présentait des signes de fatigue et de lassitude ( pièces 14 et 15 de l'appelante).

Il en résulte une dégradation de sa santé mais également de ses conditions de travail.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la salariée présente des faits matériellement établis concernant une ambiance délétère entretenue par la direction de la colonie consistant à adopter à l'égard des animateurs un comportement humiliant et dégradant, à laisser des animateurs dépourvus d'expérience gérer un groupe d'enfants qu'ils ne pouvaient pas contrôler, organiser des réunions tardives, faire dormir les animateurs dans le couloir pour surveiller les allers et venues des adolescents.

Pris dans leur ensemble, ces éléments permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Il revient dès lors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A cet égard, l'employeur, qui ne verse aucune pièce, soutient que les éléments de preuve versés par la salariée ne sont pas probants, que la salariée ne s'est pas manifestée avant la rupture de son contrat de travail, qu'elle n'a pas porté plainte, qu'elle n'a pas rompu son contrat avant son terme, que bien que se plaignant de harcèlement moral, elle n'a pas saisi la médecine du travail, n'a pas consulté de psychiatre ou de psychologue, n'a pas saisi l'inspection du travail, n'a pas déposé plainte, n'a pas évoqué l'idée d'un harcèlement et que les symptômes constatés par le médecin sont somme toute mineurs.

Il a précédemment été retenu que les éléments produits par la salariée étaient probants. Pour le reste, l'existence d'un harcèlement moral est indifférente au fait que la salariée a poursuivi l'exécution du contrat de travail ou n'a pas entrepris de démarches spécifiques pour s'en plaindre.

Ainsi, l'employeur ne rapporte pas la preuve que les agissements précédemment énoncés ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts et de condamner l'employeur à lui verser la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Dans la mesure où il a été fait droit à la demande de la salariée au titre du harcèlement moral, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail présentée à titre subsidiaire.

- Sur le manquement à l'obligation de sécurité

Aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Au, cas présent, la salarié soutient que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité car, en dehors des deux directrices, elle était la seule animatrice titulaire du diplôme du BAFA pour encadrer un groupe de 57 enfants.

Elle ajoute que le protocole Covid-19 n'a pas été respecté.

L'employeur dément tout manquement à l'obligation de sécurité.

Il résulte des éléments précédemment développés que les manquements invoqués par la salariée sont établis.

Ces manquements lui ont causé un préjudice dans la mesure où elle s'est retrouvée la seule personne diplômée pour encadrer un groupe d'enfants et a été confrontée à un risque sanitaire à défaut de mesure de prévention prise par les directrices de la colonie de vacances pourtant informées de son existence.

Il sera alloué à la salariée une somme de 300 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de cette demande.

- Sur l'absence de remise et de précision du contrat d'engagement éducatif

La salariée soutient que l'employeur ne lui a pas remis son contrat de travail au moment de sa signature le 2 juillet 2020, mais qu'une copie lui a été remise par courrier, suite à sa demande, le 27 juillet 2020. Elle dénonce également le manque de précision de son contrat de travail, notamment eu égard aux exigences réglementaires de programme indicatif des jours travaillés et aux cas éventuels de réduction ou de suppression du repos quotidien.

L'association Club Kineret affirme qu'une copie du contrat de travail a été remise à la salariée le jour de sa signature.

Aucun des éléments versés par la salariée ne permet de retenir que son contrat de travail lui a été remis avec retard.

En revanche, il est établi que le contrat ne comporte pas toutes les mentions prévues par l'article D.432-5 du code de l'action sociale et des familles concernant le programme indicatif ou les jours de repos.

Pour autant, la salariée ne démontre pas l'existence du préjudice subi de ce chef.

Le jugement est confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

- Sur le temps de travail

Le contrat d'engagement éducatif comporte des dispositions dérogatoires en matière de durée du travail.

C'est ainsi que l'article L.432-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que ne sont pas applicables à une personne titulaire d'un contrat d'engagement éducatif les dispositions suivantes de la troisième partie du code du travail :

1° Le titre II du livre Ier relatif à la durée du travail, à la répartition et à l'aménagement des horaires, à l'exception de l'article L. 3121-1 relatif à la durée du travail effectif, de la sous-section 1 de la section 2 du chapitre Ier relative au temps de pause et des articles L. 3122-1, L. 3122-2, L. 3122-5, L. 3122-8 à L. 3122-16 et L. 3122-19 à L. 3122-23 relatifs au travail de nuit ;

2° Les chapitres Ier et II du titre III du livre Ier relatifs au repos quotidien et au repos hebdomadaire.

L'article L.432-5 du même code dispose que la personne titulaire d'un contrat d'engagement éducatif bénéficie au cours de chaque période de vingt-quatre heures d'une période minimale de repos de onze heures consécutives.

Cette période de repos peut être soit supprimée, soit réduite, sans pouvoir être inférieure à huit heures. La personne titulaire d'un contrat d'engagement éducatif bénéficie alors d'un repos compensateur égal à la fraction du repos dont elle n'a pu bénéficier. Ce repos est accordé en tout ou partie pendant l'accueil dans des conditions fixées par décret.

A cet égard, les articles D.432-3 et D.432-4 du même code organisent les modalités d'un repos compensateur lorsque l'organisation de l'accueil a pour effet de supprimer ou de réduire la période minimale de repos prévue au premier alinéa de l'article L. 432-5.

L'article L.432-6 du même code dispose que la personne titulaire d'un contrat d'engagement éducatif bénéficie, au cours de chaque période de sept jours, d'une période minimale de repos de vingt-quatre heures consécutives.

Il apparaît d'une part, que les dispositions concernant le temps de pause s'appliquent au contrat d'engagement éducatif, d'autre part, que les dispositions dérogatoires prévues en matière de repos participent de l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.

Le seul constat du dépassement de ces seuils et plafonds ouvre droit à réparation.

La salariée fait valoir qu'elle n'a pas été informée de la suppression de ses temps de repos et que les seuls plannings qui lui avaient été remis n'en faisaient figurer aucun. Elle affirme ne pas avoir bénéficié de repos compensateur ni des repos hebdomadaires minimum pour un séjour d'une durée de 18 jours. Elle soutient que cette absence de temps de repos et de pause lui a causé un important préjudice, notamment eu égard à sa santé.

L'employeur ne produit aucun élément permettant de considérer qu'il a respecté - dans un cadre dérogatoire ou non- le temps de repos quotidien de la salariée, il ne justifie pas non plus du respect du temps de repos hebdomadaire et des temps de pause.

Les éléments produits établissent que les temps de repos ou de pause n'ont pas été respectés.

Il convient d'allouer à la salariée une somme de 300 euros de dommages et intérêts à titre de réparation.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de cette demande.

- Sur le défaut de paiement du salaire et de remboursement des frais

Aux termes de l'article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.

Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.

Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.

La salariée fait valoir que l'employeur a refusé de lui verser son salaire et de rembourser les frais qu'elle avait avancé et a exigé qu'elle se présente dans les locaux en personne, alors même qu'elle avait donné procuration à ses parents pour récupérer le règlement. Elle affirme que l'employeur a subordonné le versement de son salaire à la remise d'une vidéo et à la signature d'une renonciation à toute action à son encontre. Elle fait valoir qu'il n'a été procédé au règlement de son salaire qu'après l'intervention de son conseil, près de six mois après la fin de son contrat.

L'employeur réplique que la salariée avait été invitée à venir récupérer le chèque de règlement de son salaire à l'occasion d'un bilan du séjour au siège de l'association.

Il résulte des éléments produits que :

- la salariée a dû avancer sur ses deniers personnels une somme de 56 euros pour permettre le déroulement d'une activité de plein air au groupe,

- le contrat de travail a pris fin le 23 juillet 2020

- la salariée n'a été remboursée de cette somme et rémunérée qu'au mois de décembre 2020 après plusieurs mises en demeure et réclamations de son conseil.

Il résulte également des éléments produits que l'employeur, alors que le salaire n'est pas quérable, a subordonné le paiement des sommes dont il était débiteur à la venue de la salariée et au fait qu'elle lui remette une vidéo qu'elle avait tourné sur les lieux.

Cette rétention injustifiée d'une créance alimentaire caractérise la mauvaise foi de l'employeur et permet de considérer que l'octroi d'intérêts moratoires ne permet pas de couvrir l'intégralité du préjudice causé à la salariée par le paiement tardif de son salaire.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à la salariée une somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts et dit que les intérêts moratoires au taux légal devaient courir sur le salaire dû à la salariée entre le 24 juillet - dans la mesure où il résulte une interpellation suffisante à compter de cette date- et le 21 décembre 2020.

- Sur le défaut de remise des documents de fin de contrat et de bulletins de salaire

La salariée soutient que l'employeur ne lui a toujours pas remis les documents de fin de contrat et affirme que d'autres salariés ont pu les recevoir sans avoir à se déplacer dans les locaux de l'association.

L'employeur affirme que les demandes de la salariée sont contra legem en raison du caractère quérable des documents sollicités.

Il convient de faire droit à la demande de la salariée, en ordonnant à l'employeur de transmettre à la salariée, dans les deux mois de la signification du présent arrêt les documents suivants :

- un bulletin de salaire conforme au présent arrêt,

- un certificat de travail,

- une attestation France travail,

- un reçu pour solde de tout compte.

Il n'est pas nécessaire d'assortir la condamnation d'une astreinte.

En revanche, la salariée qui ne rapporte pas la preuve du préjudice causé par le défaut de remise de documents de fin de contrat sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Le jugement est infirmé sur le rejet de la demande de remise de documents et confirmé sur le rejet de la demande de dommages et intérêts.

- Sur les autres demandes

Aux termes de l'article 1231-7 du même code, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.

En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa.

En application de ces dispositions, il convient de dire que les créances de nature indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les prononce.

Le jugement est confirmé sur la capitalisation des intérêts, sur la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'employeur est débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il est condamné à verser à la salariée la somme de 1 000 euros à ce titre.

L'employeur supportera la charge des entiers dépens sans que, à ce stade, ceux-ci comprennent les frais d'exécution.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition de la décision au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

INFIRME le jugement en ce qu'il a débouté Mme [W] [F] de ses demandes au titre :

- des dommages et intérêts pour harcèlement moral, manquement à l'obligation de sécurité, manquement à la législation sur le temps de travail (repos),

- de la remise des documents de fin de contrat,

Le CONFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE l'association Club Kineret à verser à Mme [W] [F] les sommes de :

- 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 300 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 300 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à la législation sur le temps de travail (repos),

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que les créances de nature indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les prononce,

CONDAMNE l'association Club Kineret à remettre à Mme [W] [F] :

- un bulletin de salaire conforme au présent arrêt,

- un certificat de travail,

- une attestation France travail,

- un reçu pour solde de tout compte,

Dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,

DIT n'y avoir lieu à astreinte,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs prétentions,

CONDAMNE l'association Club Kineret à supporter la charge des entiers dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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