CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 10 novembre 2025, n° 23/00884
NÎMES
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/00884 - N° Portalis DBVH-V-B7H-IXZF
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES
23 février 2023
RG:F 22/00306
[I]-[A]
C/
Me [D] [R] - Mandataire liquidateur de S.A.R.L. CEMA CONSTRUCTION EUROPEENNE DE MENUISERIE ALUMINI UM
AGS CGEA [Localité 8]
Grosse délivrée le 10 NOVEMBRE 2025 à :
- Me DUBOURD
- Me ANDRES
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NIMES en date du 23 Février 2023, N°F 22/00306
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président,
Mme Gaëlle MARZIN, Présidente,
Mme Aude VENTURINI, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 5ème chambre sociale, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 24 Septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Novembre 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
Madame [E] [I]-[A]
née le 03 Mai 1950 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Christophe DUBOURD, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
Me [R] [D] - Mandataire liquidateur de S.A.R.L. CEMA CONSTRUCTION EUROPEENNE DE MENUISERIE ALUMINI UM
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Delphine ANDRES de la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocat au barreau de NIMES
AGS CGEA [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 8]
n'ayant pas constitué avocat ou défenseur syndical
ARRÊT :
Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 10 Novembre 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
A la retraite depuis le 26 juillet 2022, Mme [E] [I]-[A] a occupé le poste de secrétaire comptable au sein de la SARL Construction Européenne de Menuiserie Aluminium (ci-après CEMA) à compter du 15 mai 2006, suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel.
La salariée a démissionné le 30 juin 2008 avant d'être de nouveau embauchée le 1er juin 2011 par la même entreprise, toujours en qualité de secrétaire comptable, selon contrat à durée indéterminée à temps partiel, l'ancienneté de Mme [I]-[A] étant reprise au 15 mai 2006.
La salariée, victime d'un accident de travail en date du 21 février 2022, a été arrêtée jusqu'au 25 février 2022 inclus avant de reprendre en mi-temps thérapeutique du 26 février 2022 au 25 mai 2022.
Selon avis du médecin du travail en date du 17 mai 2022, la salariée a été déclarée apte à la reprise de son poste de travail à temps complet.
Mme [I]-[A] a estimé subir depuis sa reprise une mise à l'écart qu'elle a dénoncée à son employeur par courrier du 12 mai 2022.
Face à l'absence de réponse de l'employeur, la salariée a réitéré sa dénonciation par courriel du 30 mai 2022, auquel la SARL CEMA a répondu le jour même. Elle n'a plus travaillé depuis le 30 mai 2022. Elle a bénéficié de ses droits à pension de retraite à compter du 26 juillet 2022.
Par requête en date du 22 juin 2022, Mme [I]-[A] a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail au jour de la rupture du contrat par l'employeur, et de le voir condamné pour harcèlement moral.
Par jugement contradictoire rendu le 23 février 2023, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :
- dit que la demande de résiliation judiciaire n'est pas fondée,
- donné acte à la SARL CEMA qu'elle s'engage à régulariser auprès de Mme [E] [I]-[A] le versement des salaires à hauteur de 608 euros bruts, et l'y condamne en tant que de besoin,
- débouté Mme [I]-[A] de ses demandes,
- débouté la Société CEMA de ses demandes,
- dit que les dépens seront partagés.
Par acte du 13 mars 2023, Mme [I]-[A] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 24 février 2023.
En cours de procédure, le tribunal de commerce de Nîmes a placé la SARL CEMA en redressement judiciaire par jugement du 09 août 2023.
La procédure collective ouverte a été convertie en liquidation judiciaire par décision du 15 septembre 2023, Me [D] [R] étant désigné en qualité de mandataire liquidateur de la SARL CEMA.
Par ordonnance en date du 25 juin 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 06 novembre 2024. L'affaire a été fixée à l'audience du 06 décembre 2024 puis renvoyée à la mise en état du 20 mars 2025 ce même jour en l'absence de mise en cause de l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 8].
En l'état de ses dernières écritures en date du 13 octobre 2023, la salariée demande à la cour de :
Recevant Mme [I]-[A] en son appel,
- le dire régulier en la forme et justifié au fond,
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [I]-[A] quant au harcèlement moral et à la résiliation judiciaire du contrat de travail,
Statuant à nouveau,
Vu la rupture du contrat de travail pour mise en retraite à compter du 26 Juillet 2022,
Vu les pièces versées aux débats et la faute commise par l'employeur,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,
- dire et juger que la résiliation portera ses effets au jour de la mise en retraite de Mme [I]-[A],
En conséquence,
- dire et juger que Me [R], es qualité de liquidateur de la SARL CEMA, sera tenu d'inscrire au passif de la société CEMA, les sommes suivantes :
- préavis : 4684,82 euros,
- congés payés sur préavis : 468,48 euros,
- indemnité conventionnelle de licenciement : 15 000 euros,
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
13,5 mois X 2342,41 euros = 31 622,53 euros,
Sur le harcèlement moral,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu les dispositions de l'article L 1152-2 et suivants du Code du travail,
- dire et juger que l'employeur a commis sur Mme [I]-[A] un harcèlement moral,
- dire et juger que Me [R], es qualité de liquidateur de la SARL CEMA, sera tenu d'inscrire au passif de la société CEMA, la somme de 50 000 euros à titre de dommages-et intérêts,
- dire et juger que Me [R], es qualité de liquidateur de la SARL CEMA, sera tenu d'inscrire au passif de la société CEMA, la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.'
Mme [I]-[A] expose que :
- le conseil de prud'hommes n'a pas motivé sa décision concernant le rejet des demandes de harcèlement moral et de résiliation judiciaire, omettant d'indiquer pourquoi les pièces versées aux débats n'étaient pas suffisantes ou recevables :
- le jugement a totalement ignoré l'aveu de l'employeur (M. [V]) qui, dans un courriel (pièce 7), expliquait la suppression de ses fonctions par un manque de confiance et son "incompétence flagrante",
- les conseillers prud'homaux ont estimé, par déduction de leur motivation sur le harcèlement, qu'elle n'était "pas mise à l'écart comme elle le prétend au vu des photos" et qu'elle était "même placée à proximité de la salariée en formation avec qui elle travaille en collaboration"
- ils ont également retenu que sa charge de travail était réduite car elle était en mi-temps thérapeutique, et qu'elle "n'apporte pas la preuve qu'elle n'avait plus de travail" ce qui vient en contradiction avec les attestations et l'aveu de l'employeur.
- sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :
- les manquements de l'employeur sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
- elle était l'"indispensable" de la société et exerçait des fonctions de secrétaire comptable, étant le "bras droit" de M. [V], avec toutes les tâches (commandes, devis, relations clients, réception téléphonique, prise de responsabilités en l'absence du patron) passant par elle.
- après un accident cardiaque survenu sur son lieu de travail en février 2022 et un retour progressif (mi-temps thérapeutique puis temps complet), elle a été "placardisée",
- elle a été déplacée d'un bureau spacieux (25-30 m²) à un bureau beaucoup plus petit (moins de 10 m², voire 3 m² selon une attestation),
- l'intégralité de ses fonctions lui a été retirée, elle était "payée à ne rien faire", "mise carrément au placard sans travail", sans accès à quoi que ce soit et écartée de la vie de l'entreprise,
- l'employeur a admis lui-même la suppression de ses fonctions dans un courriel du 29 mai 2022, déclarant qu'il n'avait "plus confiance" en elle et que son "incompétence dans certains domaines est devenue flagrante",
- des attestations de collègues et connaissances (MM. [M] [C], [P] [L], Mme [G] [O]) confirment sa "placardisation", le bureau exigu, l'absence de travail et de responsabilités, et le fait qu'elle servait de "bouc émissaire",
- Sur le harcèlement moral :
- les actes répétés de l'employeur ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail, une atteinte à ses droits et à sa dignité, une altération de sa santé physique ou mentale, et des menaces pour son évolution professionnelle, contrevenant aux articles L 1152-2 et suivants du code du travail,
- la modification substantielle de son contrat de travail (diminution du bureau et retrait des fonctions) est un acte constitutif de harcèlement,
- elle a subi des insultes orales de la part de M. [V], enregistrées dans le cahier des doléances de l'entreprise le 3 août 2021 : "je suis une conne, une abrutie, que je la ferme et que j'aille me faire foutre",
- M. [V] a également eu des propos insultants par écrit, notamment dans un courriel du 21 juillet 2022 où il lui écrivait : "il n'y a pas un moment où vous allez réfléchir, je vais finir par croire que vous avez le QI d'une huitre' Alors, à ce sujet, vous dites de grosses conneries... vos menaces, vous pouvez vous prendre la température avec. Si vous avez que ça à foutre de mettre la merde partout où vous passez, c'est votre problème'".
- son style d'écriture et de langage est inapproprié, avec des termes virulents même dans la correspondance officielle (lettre à l'URSSAF),
- elle a été placée en arrêt maladie pour trouble anxio-dépressif, sa belle-s'ur et amie, Mme [X], a attesté de la dégradation de son état physique et psychologique.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 05 novembre 2024, Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA, demande à la cour de :
- confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Nîmes du 23 février 2023 en toutes ses dispositions,
- juger l'absence de toute situation de harcèlement moral au préjudice de Mme [I]-[A],
- juger la demande de résiliation judiciaire sans objet en l'état de notification de la mise en à la retraite le 26 juillet 2022.
En conséquence,
- débouter Mme [I]-[A] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme [I]-[A] à payer à Me [R], ès qualité de mandataire liquidateur de la société CEMA, la somme de 2 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.'
Il fait valoir que :
Sur l'absence de toute situation de harcèlement moral :
- il convient de distinguer le harcèlement des contraintes de gestion ou d'organisation, des difficultés relationnelles, ou de l'exercice normal du pouvoir de direction de l'employeur,
- Mme [I]-[A] ne démontre l'existence d'un harcèlement moral : le cahier de doléances produit est un carnet personnel de la salariée dont la seule écriture y apparaît ne constituant pas une preuve sérieuse, de plus, les propos datent d'août 2021, alors que la dégradation de la relation de travail est invoquée après février 2022, les différents courriers et courriels personnels sont des éléments émanant de la seule salariée et ne sont corroborés par aucun élément objectif, le courriel du 21 juillet 2022 évoquant un conflit entre associés de la société CEMA ne concerne pas la relation de travail salariée de Mme [I]-[A] mais son mandat social, et ne peut donc étayer une situation de harcèlement moral, de même la correspondance adressée à l'URSSAF est sans aucun intérêt car elle ne concerne pas Mme [I]-[A], elle reconnaît un déplacement de bureau mais conteste l'allégation d'une pièce de 3m² ou d'une mise à l'écart, le déménagement visait à faciliter la collaboration entre Mme [I]-[A] et Mme [H], embauchée pour être formée par elle en vue de son départ à la retraite, des photographies du bureau sont fournies pour prouver l'absence de "placardisation", le défaut de fourniture de travail n'est pas démontré, Mme [H] a attesté avoir travaillé en binôme avec Mme [I]-[A] et que cette dernière n'avait pas achevé la transmission professionnelle attendue avant son départ, Mme [I]-[A] n'a jamais été privée de ses missions qu'elle accomplissait en toute autonomie, est produite par la salariée une correspondance dénuée de pertinence car non datée et masquant l'historique des échanges, faisant référence à un contrat d'apprentissage du petit-fils de Mme [I]-[A],
- les attestations versées par Mme [I]-[A] ne sont pas probantes : soit émanant de membres de sa famille (Mmes [O] et [X]) et retranscrivant ses allégations alors qu'il est remarquable de constater l'absence de témoignages des fils et petit-fils de Mme [I]-[A], pourtant également employés au sein de la société CEMA, soit ne relatant aucun fait personnellement constaté (M. [L]), soit contredites par d'autres témoignages (M. [C])
- un unique avis d'arrêt de travail mentionnant "trouble anxio dépressif" est insuffisant pour prouver un lien entre l'état de santé et les conditions de travail, d'autant que Mme [I]-[A] a été déclarée apte à son poste par le médecin du travail le 17 mai 2022,
Sur la rupture du contrat de travail:
- la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est devenue sans objet, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes le 22 juin 2022 pour cette demande, mais l'employeur lui a notifié sa mise à la retraite le 26 juillet 2022,
- la demande de résiliation judiciaire injustifiée (en toute hypothèse) : même si la demande n'était pas sans objet, les manquements de l'employeur (qui reprennent les griefs de harcèlement moral) ne sont pas d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail. Il n'y a donc pas de manquement grave qui aurait justifié la résiliation judiciaire.
L'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 8] appelée en intervention forcée par acte du 9 janvier 2025 remis à une personne habilitée à recevoir l'acte n'a pas constitué avocat.
L'affaire a été fixée à l'audience du 24 septembre 2025.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
MOTIFS
Il convient de relever liminairement que, en exécution du jugement déféré, la société CEMA
a procédé au règlement de la somme de 608,00 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires, ce que ne conteste pas l'appelante. Ce chef de jugement n'est critiqué d'aucune des parties.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement
au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Mme [E] [I]-[A] avance qu'elle a été victime d'actes de harcèlement moral de la part de son employeur se traduisant par :
- la modification substantielle de son contrat de travail (diminution du bureau et retrait des fonctions), l'employeur ayant admis lui-même la suppression de ses fonctions dans un courriel du 29 mai 2022, déclarant qu'il n'avait "plus confiance" en elle et que son "incompétence dans certains domaines est devenue flagrante", elle a été déplacée d'un bureau spacieux (25-30 m²) à un bureau beaucoup plus petit (moins de 10 m², voire 3 m²), après un accident cardiaque survenu sur son lieu de travail en février 2022 et un retour progressif (mi-temps thérapeutique puis temps complet), elle a été "placardisée", l'intégralité de ses fonctions lui a été retirée, elle était "payée à ne rien faire", "mise carrément au placard sans travail", sans accès à quoi que ce soit et écartée de la vie de l'entreprise,
- elle a subi des insultes orales de la part de M. [V], enregistrées dans le cahier des doléances de l'entreprise le 3 août 2021 : "je suis une conne, une abrutie, que je la ferme et que j'aille me faire foutre",
- M. [V] a également eu des propos insultants par écrit, notamment dans un courriel du 21 juillet 2022 où il lui écrivait : "il n'y a pas un moment où vous allez réfléchir, je vais finir par croire que vous avez le QI d'une huitre' Alors, à ce sujet, vous dites de grosses conneries... vos menaces, vous pouvez vous prendre la température avec. Si vous avez que ça à foutre de mettre la merde partout où vous passez, c'est votre problème'".
- son style d'écriture et de langage est inapproprié, avec des termes virulents même dans la correspondance officielle (lettre à l'URSSAF),
- elle a été placée en arrêt maladie pour trouble anxio-dépressif, sa belle-s'ur et amie, Mme [X], a attesté de la dégradation de son état physique et psychologique.
A l'appui de ses allégations, Mme [E] [I]-[A] verse aux débats les éléments suivants :
- des photographies de bureaux,
- une lettre recommandée avec accusé de réception 12 mai 2022 adressée à l'employeur dans laquelle elle écrivait « 'depuis mon accident cardiaque survenu le 21 Janvier 2022, au travail, à 8h10, les choses ont bien changé.
J'ai accepté de venir quelques heures pendant le mois qui a suivi cet incident car ma remplaçante n'était pas au courant du travail.
Du reste, vous trouverez en annexe le détail de mes heures car je n'ai même pas eu une petite prime, même pas un seul merci'
Et depuis plus d'un mois maintenant, je suis mise carrément au placard sans travail.
Mon poste est pris, je ne m'occupe plus de rien, même pas d'un appel téléphonique.
Je n'ai plus d'accès à rien, je suis écartée de toute la vie de l'entreprise'
Aucune activité.
Vous passez devant ce qui me sert de bureau (d'un bureau de 25 m², je suis aujourd'hui dans un placard de 3 m²) en m'ignorant complètement, tout juste un bonjour.
Personne ne me parle sauf les employés qui ne comprennent pas non plus votre attitude à mon égard.
En août 2021, vous m'avez une nouvelle fois insultée'
Cette situation est plus qu'humiliante et dégradante, incompréhensible et intolérable ».
- un courriel du 30 mai 2022 dans lequel elle écrivait à son employeur « Je suis revenue travailler du 16 au 22 Mai inclus et là, je n'ai toujours rien fait, aucun travail'
Ce matin, le 29 Mai, je reprends mon travail et rien n'a changé, rien ne change. Je me retrouve dans la même situation, dans un bureau à ne rien faire car vous ne me donnez rien à faire.
Je ne peux plus supporter cela ni cette situation, donc je rentre chez moi.
Je reste néanmoins à votre disposition.
Quand vous aurez du travail à me donner, appelez-moi, j'arriverai de suite. »
- un courriel de la société CEMA en réponse du 30 mai 2022 dans lequel l'employeur écrivait « ...si actuellement vous n'avez plus de fonction comme vous dites, et bien c'est que je
n'ai plus confiance en vous, votre incompétence dans certains domaines est devenue flagrante'
Vous auriez fait preuve d'humilité, certes vous me connaissez, j'aurais poussé une bonne gueulante mais je vous aurais pardonnée parce que vous savez que j'ai peu d'attirance pour l'argent'
Il est temps pour nous de laisser notre place et de partir se reposer.
Vous verrez, finalement, on s'y habitue ».
- un courriel du 3 juin 2022 de la salariée à M. [V] :
«Je me suis présentée au rendez-vous que vous m'avez fixé le 1 juin 2022 à 9 h suite à mon dernier mail que je vous avais expédié.
Cet entretien, pour me confirmer que vous ne me «donneriez plus de travail » car évidemment d'après vos dires, il n'y a pas de place pour 2 personnes.
Vous vouliez impérativement et avec insistance que je reconnaisse certaines erreurs que vous me reprochez, malgré ma surcharge de travail. Or, je vous ai confirmé ma position et que je ne céderai pas a cette pression inutile, je resterai sur mes positions.
- que vous étiez «fâché » et qu'il était évident pour vous, que vous m'écartiez de la vie de l'entreprise et que vous trouvez cela «Normal »
- que cette mise a l'écart est une «4 contrepartie » d'après vous de mes soi-disantes erreurs. Et,
- que de m'avoir mise dans un «bocal » a ne rien faire était ce que je méritais.
~ que vous vous sentiez «peiné » pour moi. Je n'en crois pas un mot. Vous êtes vraiment irrespectueux.
Je vous ai confirmé que pour moi cette situation était inacceptable.
Toujours, suite a mon mail, vous m'avez aussi dit que ces achats et travaux personnels pris sur le compte de l'entreprise était minimes par rapport a la réalité, que vous étiez gérant majoritaire non salarié et que c'était une juste compensation !!!
D'après vous, vous m'avez toujours considérée,
'que j'étais une super associée et que ce soit dommage de terminer nos relations professionnelles de la sorte en se déchirant avec 22 ans de collaboration.
En deux mots, vous avez «décidé » de me faire partir de l'entreprise en m'ayant dit :
- que vous veniez de faire une demande à la comptable pour re-valoriser mes parts et que vous étiez entrain de voir avec elle, pour me calculer mes indemnités de départ au plus juste.
Je vous ai demandé de me faire une proposition, et vous m'avez rétorqué «quelle proposition l vous aurez ce que l'on vous doit ».
Enfin, je vous ai re-parlé des heures que j'avais faites pendant mon arrêt et que vous me devez, toujours pas de réaction de votre part. Dommage.»
- et la réponse apportée par M. [V] le 7 juin 2022 :
«Je réponds à votre tissus de vilenies et de mensonges à titre personnel puisque votre intention à peine voilée d'aller devant les tribunaux prouve qu'à présent je dois me méfier de vous, à ce titre vous ne pourrez pas utiliser mes propos en les détournant comme je le constate, vous savez si bien le faire.
Je suis consterné devant tant de méchanceté, moi qui vous ai tout confié pendant ces vingt ans, qui vous ai donné une partie de mon entreprise et ne venez surtout pas dire que c'est faux, nous le savons tous les deux.
Vous osez me traiter comme un moins que rien alors que je souffre depuis quatre ans de mon accident de la circulation
je suis handicapé et vous... d'une manière à peine voilé, vous dites que je vous harcéle moralement alors que c'est vous qui exercez un chantage éhonté alors que je suis en train de passer la main à mon fils. J'ai agis pour le bien de tous et pour les intérêts de notre entreprise car vous savez bien ce qu'elle représente pour moi. Je la porte à bout de bras depuis 2006 vous
n'avez donc aucun respect pour tout les sacrifices que j'ai du consentir et dont j'en porte les stigmates à présent. Qu'elle honte, honte à vous pour votre procès d'intention ponctué de mensonges. Oser dire que je ne suis pas fait de soucis pour vous quand vous avez fait votre infarctus est déjà ignoble en soi
Douter de ma bonne foi en plus, je suis dégouté, je pensais l'espèce humaine capable de tout, vous repoussez les limites de l'ignominie.
Puisque rien ne vous arrête et que, à travers moi vous voulez vous venger de votre vie, somme toutes sans relief, allez y je suis mort depuis le 18 juillet 2018 et vous le savez bien, vengez vous sur deux jeunes qui ne vous on rien fait et qui vont reprendre une entreprise avec tout ce cela comporte de difficultés. Franchement, là chapeau bas il faut avoir que ça a faire, votre vie doit être bien triste.
Faites ce que vous avez à faire, je répondrai sans vaciller,
c'est vraiment pas beau tout ca, je vous laisse avec vos démons.»
- un courriel de M. [V] à Mme [U] 24 mars 2020 :
«Avant que vous preniez vos fonctions à l'agence de [Localité 7], le 18 juillet 2018, ma vie s'est arrété "[Adresse 6]" à 12hO7 pour être précis et vous ne me connaissez pas suffisamment pour savoir que la perte d'autonomie dont je suis victime c'est un peu une petite mort avant l'heure, j'étais moniteur parachutiste, je ne pourrais plus jamais sauter, j'étais pilote militaire et privé, je ne peux plus piloter, je faisais du ski depuis
Page de 10 ans, c'est fini aussi, j'arrive encore a faire de la moto dans d'énorme souffrance en plus avec la peur au ventre, mais il ne me reste plus que cela sinon je me serai donné la mort depuis longtemps. Néanmoins, il ya quelque chose qui me tient encore debout c'est mon entreprise, mon bébé comme certain dise. je me bat depuis un an et demi pour la remettre a flot car mon absence a laissé des traces. Vous savez aussi bien que moi, vu que vous gérez aussi mon compte personnel que je ne perçois aucun salaire pour les 60 heures que je passe au travail,
seulement 990 € que me verse la CRAM vu que le RSI ma donné 2450 € pour un an d'indemnité et ne me verse plus rien. Vous savez aussi que mes fins de mois sont souvent difficile et que si ma femme ne me nourrissait pas un peu je serai a la rue. Malgré tout je me bat avec la ferveur d'un jeune artisan parce que je crois au bout du tunnel, même en ces temps difficiles.
Ceci m'amènes à ce que j'ai à vous dire, Comme je suis confiné à la maison, je m'occupe de choses que je n'ai pas l'habitude de faire, vu que ma secrétaire et associée le fait très bien sans moi et j'estime qu' a chacun ses compétences. Mais en parcourant les décomptes de banque, je m'aperçois que ma banque auquel je suis censé faire confiance, vu que je la considère comme une partenaire incontournable, nous subissons un pillage en règle à un point qu'il m'a fallu relire deux fois pour bien prendre conscience de ce que je considère un abus caractérisé.
Je vous joint en pièce jointe le montant des dégâts... Je comprends bien que vous ne vivez pas des intérêts des prêts que vous vendez en ce moment mais "gratter" les entreprises qui suent pour se sortir de ses problèmes, je n'ose prononcer ce mot que j'ai sur les lèvres. Je suis sans voie, je bosse gratuitement, j'ai renoncé à mes traitements, si bien que mon pied est soudé et raide comme un bout de bois et ce n'est pas à 64 ans que je vais rattraper cela. Et au bout du compte pour 84 jours d'exercice, 2730 € de frais, rapporté à l'année, ça fait 11862 €.
Ça me fait froid dans le dos, je comprends, qu'après demande d'explication auprès de [E], elle m'a avoué que je suis déjà assez accablé et que je n'avais pas besoin de ça en plus. Je suis atterré, n'y a t'il pas quelques choses à faire pour arrêter l'hémorragie parce que là je ne peux plus je compte sur vous pour me donner des explications. Et surtout pour voir à nous rétrocéder une partie de ces frais. Quand je lit "commission de suivi global..." 160 €. Si je marque ça sur une facture a un client, c'est le peloton d'exécution direct.»
- l'attestation de M. [C] qui déclare : « [E] [I], notre secrétaire comptable, était une personne très importante au sein de l'entreprise.
Tout passait par elle, Nos commandes, la réalisation de devis, la relation clients, réception téléphonique, elle prenait des responsabilités en l'absence du patron...
... depuis son accident cardiaque, [E] est revenue à l'entreprise pendant son arrêt maladie à la demande du patron.
Malgré son engagement sans faille, [E] a été mise au rebut dans un bureau exigu d'à peine 3 m².
Plus un bonjour, plus de travail fourni, plus d'ordinateur.
Elle fait acte de présence et comme si cela ne suffisait pas, elle sert de bouc émissaire pour le patron' »
- l'attestation de M. [L], artisan, qui déclare : « insultes, harcèlement moral.
J'ai été étonné de voir que les conditions de travail de [E] ont largement été dégradées :
- changement de bureau pour un plus petit
- plus aucune responsabilité.
Tout cela depuis son accident cardiaque ».
- l'attestation de Mme [G] [O], ancienne stagiaire, qui déclare avoir « .. été surprise de voir l'importance que [E] [I] avait dans cette société.
L'ambiance était sympa malgré la charge de travail importante pour tous.
Chaque décision passait par elle, les commandes, les relations clients, fournisseurs,
comptabilité etc'
'je suis passée la voir à son bureau et à ma grande surprise, son bureau est très petit : une table, un fauteuil, rien d'autre. Elle ne fait rien, acte de présence je pense, elle est mise à l'écart. De toute évidence, son poste de travail est pris ».
- l'attestation de Mme [X] qui a constaté la dégradation de l'état physique et psychologique de sa belle soeur,
- un extrait de son carnet personnel dans lequel il a été noté: « Monsieur [V] le 3 Août 2021 : je suis une conne, une abrutie, que je la ferme et que j'aille me faire foutre »,
- un courrier de la société CEMA ( M. [V]) à l'URSSAF mentionnant : « Madame, Monsieur'
L'organigramme de vos services représente une nébuleuse aussi inaccessible que l'amabilité dont vous faites souvent preuve vis-à-vis des vaches à lait que nous sommes, aussi je ne prendrai pas plis de sentiments pour vous exposer mes griefs.
En 2014, vous nous avez soumis à un contrôle par une de vos hyènes, aussi charmante que venimeuse ».
- un courriel que lui a adressé la société CEMA (M. [V]) le 21 juillet 2022 mentionnant «Décidément, il n' a as un moment ou vous allez réfléchir, je vais finir par croire que vous avez le QI d'une huître
Une assemblée générale à trois actionnaires qui travaille ensemble se fait tout les jours de l'année étant donnée qu'on est au contact permanent avec les événement de ladite société
Je ne vois pas ce que l'on peut se raconter de plus à une assemblée...
Alors à ce sujet vous dite de grosses conneries, quand à vos menaces infondées et vous le savez très bien on va parler des énormes conneries qui elles sont bien réelles et facilement prouvées par le cabinet comptable et qui se fera plaisir en nous fournissant l'intitulé des manipulations de comptabilité que vous avez fait ces dernières années et ceci au préjudice de l'entreprise pour que les comptes soient "justes" en créant des comptes bidons, entre autres Madame [B] nous a déjà assurée de son concours.
Vous vous êtes bien gardé de me dire tout cela, alors je ne vois pas bien ce qui aurait changé au cours d'une assemblée générale, à part vous vanter que vous étiez irréprochable sur la comptabilité et ça c'est du concret, après si ca ne vous suffit pas, on parlera des factures fictives
que vous avez fait dont j'ai relevé scrupuleusement les éléments pour vous augmenter votre salaire à une époque et que j'ai couvert par amitié et respect pour vous.
Alors vos menaces, vous pouvez vous prendre la température avec si vous avez que ça à foutre
que de mettre la merde partout ou vous passez, c'est votre problème. Moi je n'ai rien à me reprocher et j'ai beaucoup donné pour cette entreprise, ça fait deux ans et demi que je travaille chaque jour sans salaire et je ne me suis surtout pas enrichi avec.
Alors si vous ne voulez pas signer ce papier, on va faire une cessation de paiement et comme ça je vais mettre 10 bons garçons qui eux ne sont pas responsable de vos conneries au chômage, et surtout l'immense plaisir de ne pas vous donner un sou et surtout je vais bien leur expliquer tout ce que je viens de vous dire.
Vous partirez comme une merde.
Quand on veut faire chier les gens, il faut avoir la culotte propre.».
- un arrêt de travail de prolongation du 26 septembre 2022
- un certificat d'aptitude du Dr [Z], médecin traitant, du 27 mai 2022
- le tableau des heures effectuées pendant l'arrêt de travail
- le courrier de l'employeur du 26 juillet 2022 annonçant à Mme [E] [I]-[A] sa mise à la retraite.
Ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Il incombe à l'intimée de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En réponse à l'argumentation développée par Mme [E] [I]-[A], Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA avance les justifications suivantes :
- le cahier de doléances de l'entreprise produit par Mme [E] [I]-[A] est en réalité un carnet appartenant à la salariée puisque seule son écriture y apparaît, cette dernière y inscrit donc ce qu'elle veut sans que cela ne puisse constituer un élément de preuve sérieux et ce d'autant que les prétendus propos retranscrits et attribués à l'employeur seraient datés du 3 août 2021, alors même que l'appelante faite plaider une dégradation de la relation de travail suite à son retour d'arrêt maladie en février 2022.
Il est exact que ce document ne comporte que des annotations personnelles de la salariée sans aucune portée probante.
- le courrier du 12 mai 2022 ainsi que les deux courriels des 30 mai et 3 juin suivant ont été rédigés par la salariée elle-même.
Il n'empêche que ces courriers comportaient des récriminations bien circonstanciées permettant à l'employeur de les démentir utilement ou de leur apporter une justification.
- le courriel daté du 21 juillet 2022 est relatif à un conflit qui oppose les deux associés de la société CEMA se rapportant au mandat social détenu par Mme [E] [I]-[A]. S'il est exact que Mme [E] [I]-[A] était associée de la société CEMA à hauteur de 20% du capital social, les propos tenus par le gérant s'adressait à une seule et même personne, peu importe le contexte dans lequel ils ont été tenus, et étaient de nature à affecter Mme [E] [I]-[A] dans le cadre de son activité salariée. La violence de ces propos (« je vais finir par croire que vous avez le QI d'une huitre' vous dites de grosses conneries. Quant à vos menaces infondées et vous le savez très bien, on va parler des énormes conneries qui elles sont bien réelles... Alors vos menaces, vous pouvez vous prendre la température avec») avaient nécessairement un impact sur la salariée qu'était également Mme [E] [I]-[A].
- le courrier adressé par l'employeur à l'URSSAF ne concerne pas Mme [E] [I]-[A] et est étranger au présent débat. Effectivement, si ce courrier trahit l'état d'esprit du gérant de la société, les termes utilisés ne s'adressaient nullement à Mme [E] [I]-[A].
- concernant le changement de bureau et le transfert au sein d'une pièce de seulement 3m2, Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA admet que le bureau de Mme [E] [I]-[A] a effectivement été déplacé mais qu'il n'a jamais été question d'une pièce de 3m2, ni même d'une mise à l'écart de cette dernière. Il explique qu'en réalité, la réorganisation a été mise en 'uvre afin de faciliter la collaboration entre Mme [E] [I]-[A] et Mme [H], salariée embauchée pour être formée par Mme [E] [I]-[A] en prévision de son départ imminent à la retraite ce qu'atteste Mme [H]. Les clichés photographiques produits par l'employeur excluent toute manoeuvre de placardisation. Ainsi, le changement d'affectation spatiale de Mme [E] [I]-[A] ne relève pas d'un acte harcelant.
- sur le défaut de fourniture d'un travail, l'employeur fait observer que Mme [E] [I]-[A] ne procède que par affirmations alors que Mme [H] indique avoir travaillé en binôme avec l'appelante pendant toute la période de son mi-temps thérapeutique, Mme [H] précisant même s'être trouvée en difficulté lors du départ de Mme [E] [I]-[A] qui n'avait pas achevé sa formation,
Ce faisant l'employeur n'apporte aucune explication sur les termes de son courriel du 30 mai 2022 dans lequel il écrivait à la salariée « si actuellement vous n'avez plus de fonction comme vous dites, et bien c'est que je n'ai plus confiance en vous, votre incompétence dans certains domaines est devenue flagrante'
Vous auriez fait preuve d'humilité, certes vous me connaissez, j'aurais poussé une bonne gueulante mais je vous aurais pardonnée parce que vous savez que j'ai peu d'attirance pour l'argent'
Il est temps pour nous de laisser notre place et de partir se reposer.
Vous verrez, finalement, on s'y habitue ».
De tels propos participent à caractériser un harcèlement moral alors que l'incompétence de la salariée invoquée n'est nullement établie.
Enfin, l'employeur critique vainement la pertinence des attestations produites par la salariée sans tenter de rapporter la preuve contraire des allégations qu'elles contiennent.
- sur la dégradation de l'état de santé de Mme [E] [I]-[A], l'employeur relève qu'un unique avis d'arrêt de travail est produit mentionnant « trouble anxio dépressif » et estime qu'un tel document est manifestement insuffisant à démontrer l'existence d'un lien entre une dégradation de l'état de santé et les conditions de travail d'autant que Mme [E] [I]-[A] a été déclarée apte à la reprise de son poste à temps complet par le médecin du travail le 17 mai 2022.
Pour autant, nonobstant l'avis d'aptitude délivré par le médecin du travail, l'arrêt de travail prescrit à Mme [E] [I]-[A] apparaît manifestement en lien avec les agissements dénoncés par la salariée lesquels sont avérés.
Il en résulte que Mme [E] [I]-[A] a été victime d'un harcèlement moral à l'origine d'un préjudice ouvrant droit à réparation à hauteur d'une somme que la cour arbitre à 5.000,00 euros.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, et que son contrat est rompu ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée. Dans l'affirmative, il fixe la date de la résiliation à la date de rupture du contrat de travail.
C'est donc a tort que Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA soutient que la demande de résiliation judiciaire est sans objet faisant état d'une jurisprudence à présent obsolète.
Il a été jugé précédemment que Mme [E] [I]-[A] avait été victime de harcèlement moral jusqu'à la date de son départ de l'entreprise, soit le 30 mai 2022, et les faits dont la matérialité a été établie à l'encontre de l'employeur ( absence de fourniture de travail, utilisation de termes injurieux et grossiers à l'égard de la salariée) sont suffisamment graves pour faire obstacle à la poursuite de la relation de travail.
Dès lors il convient de prononcer la résiliation du contrat de travail de Mme [E] [I]-[A] à la date de son départ à la retraite notifié le 26 juillet 2022.
La résiliation judiciaire prononcée au torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse
Mme [E] [I]-[A] est en droit de prétendre au paiement des sommes suivantes non contestées en leur quantum ne serait-ce qu'à titre subsidiaire par l'employeur :
- 4684,82 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 468,48 euros à titre de congés payés sur préavis
- 15.000,00 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement
En application des dispositions de l'article L.1235-3 telles qu'issues de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 tenant compte du montant de la rémunération de Mme [E] [I]-[A] ( 2342,41 euros en moyenne) et de son ancienneté en années complètes (16 années), dans une entreprise comptant au moins onze salariés, la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de Mme [E] [I]-[A] doit être évaluée à la somme de 8.000,00 euros correspondant à l'équivalent de plus de trois mois de salaire brut tenant compte du départ en retraite de la salariée dès le mois de juillet 2022..
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA à payer à Mme [E] [I]-[A] la somme de 1.500,00 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt réputé contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort
Infirme le jugement déféré dans les limites de l'appel et statuant à nouveau,
Juge que Mme [E] [I]-[A] a été victime de harcèlement moral,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [E] [I]-[A] à la date du 26 juillet 2022,
Fixe ainsi que suit la créance de Mme [E] [I]-[A] :
- 4684,82 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 468,48 euros à titre de congés payés sur préavis
- 15.000,00 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement
- 8.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse
- 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison du harcèlement moral
Dit que ces sommes seront inscrites par le mandataire liquidateur sur l'état des créances de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société CEMA,
Dit qu'en application des articles L 622-28 et L 641-3 du code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement,
Rappelle que le présent jugement est opposable à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 8],
it que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.
Condamne Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA à payer à Mme [E] [I]-[A] la somme de 1.500,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelle que les sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sont hors garantie AGS,
Arrêt signé par le président et par le greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/00884 - N° Portalis DBVH-V-B7H-IXZF
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES
23 février 2023
RG:F 22/00306
[I]-[A]
C/
Me [D] [R] - Mandataire liquidateur de S.A.R.L. CEMA CONSTRUCTION EUROPEENNE DE MENUISERIE ALUMINI UM
AGS CGEA [Localité 8]
Grosse délivrée le 10 NOVEMBRE 2025 à :
- Me DUBOURD
- Me ANDRES
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NIMES en date du 23 Février 2023, N°F 22/00306
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président,
Mme Gaëlle MARZIN, Présidente,
Mme Aude VENTURINI, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 5ème chambre sociale, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 24 Septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Novembre 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
Madame [E] [I]-[A]
née le 03 Mai 1950 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Christophe DUBOURD, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
Me [R] [D] - Mandataire liquidateur de S.A.R.L. CEMA CONSTRUCTION EUROPEENNE DE MENUISERIE ALUMINI UM
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Delphine ANDRES de la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocat au barreau de NIMES
AGS CGEA [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 8]
n'ayant pas constitué avocat ou défenseur syndical
ARRÊT :
Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 10 Novembre 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
A la retraite depuis le 26 juillet 2022, Mme [E] [I]-[A] a occupé le poste de secrétaire comptable au sein de la SARL Construction Européenne de Menuiserie Aluminium (ci-après CEMA) à compter du 15 mai 2006, suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel.
La salariée a démissionné le 30 juin 2008 avant d'être de nouveau embauchée le 1er juin 2011 par la même entreprise, toujours en qualité de secrétaire comptable, selon contrat à durée indéterminée à temps partiel, l'ancienneté de Mme [I]-[A] étant reprise au 15 mai 2006.
La salariée, victime d'un accident de travail en date du 21 février 2022, a été arrêtée jusqu'au 25 février 2022 inclus avant de reprendre en mi-temps thérapeutique du 26 février 2022 au 25 mai 2022.
Selon avis du médecin du travail en date du 17 mai 2022, la salariée a été déclarée apte à la reprise de son poste de travail à temps complet.
Mme [I]-[A] a estimé subir depuis sa reprise une mise à l'écart qu'elle a dénoncée à son employeur par courrier du 12 mai 2022.
Face à l'absence de réponse de l'employeur, la salariée a réitéré sa dénonciation par courriel du 30 mai 2022, auquel la SARL CEMA a répondu le jour même. Elle n'a plus travaillé depuis le 30 mai 2022. Elle a bénéficié de ses droits à pension de retraite à compter du 26 juillet 2022.
Par requête en date du 22 juin 2022, Mme [I]-[A] a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail au jour de la rupture du contrat par l'employeur, et de le voir condamné pour harcèlement moral.
Par jugement contradictoire rendu le 23 février 2023, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :
- dit que la demande de résiliation judiciaire n'est pas fondée,
- donné acte à la SARL CEMA qu'elle s'engage à régulariser auprès de Mme [E] [I]-[A] le versement des salaires à hauteur de 608 euros bruts, et l'y condamne en tant que de besoin,
- débouté Mme [I]-[A] de ses demandes,
- débouté la Société CEMA de ses demandes,
- dit que les dépens seront partagés.
Par acte du 13 mars 2023, Mme [I]-[A] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 24 février 2023.
En cours de procédure, le tribunal de commerce de Nîmes a placé la SARL CEMA en redressement judiciaire par jugement du 09 août 2023.
La procédure collective ouverte a été convertie en liquidation judiciaire par décision du 15 septembre 2023, Me [D] [R] étant désigné en qualité de mandataire liquidateur de la SARL CEMA.
Par ordonnance en date du 25 juin 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 06 novembre 2024. L'affaire a été fixée à l'audience du 06 décembre 2024 puis renvoyée à la mise en état du 20 mars 2025 ce même jour en l'absence de mise en cause de l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 8].
En l'état de ses dernières écritures en date du 13 octobre 2023, la salariée demande à la cour de :
Recevant Mme [I]-[A] en son appel,
- le dire régulier en la forme et justifié au fond,
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [I]-[A] quant au harcèlement moral et à la résiliation judiciaire du contrat de travail,
Statuant à nouveau,
Vu la rupture du contrat de travail pour mise en retraite à compter du 26 Juillet 2022,
Vu les pièces versées aux débats et la faute commise par l'employeur,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,
- dire et juger que la résiliation portera ses effets au jour de la mise en retraite de Mme [I]-[A],
En conséquence,
- dire et juger que Me [R], es qualité de liquidateur de la SARL CEMA, sera tenu d'inscrire au passif de la société CEMA, les sommes suivantes :
- préavis : 4684,82 euros,
- congés payés sur préavis : 468,48 euros,
- indemnité conventionnelle de licenciement : 15 000 euros,
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
13,5 mois X 2342,41 euros = 31 622,53 euros,
Sur le harcèlement moral,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu les dispositions de l'article L 1152-2 et suivants du Code du travail,
- dire et juger que l'employeur a commis sur Mme [I]-[A] un harcèlement moral,
- dire et juger que Me [R], es qualité de liquidateur de la SARL CEMA, sera tenu d'inscrire au passif de la société CEMA, la somme de 50 000 euros à titre de dommages-et intérêts,
- dire et juger que Me [R], es qualité de liquidateur de la SARL CEMA, sera tenu d'inscrire au passif de la société CEMA, la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.'
Mme [I]-[A] expose que :
- le conseil de prud'hommes n'a pas motivé sa décision concernant le rejet des demandes de harcèlement moral et de résiliation judiciaire, omettant d'indiquer pourquoi les pièces versées aux débats n'étaient pas suffisantes ou recevables :
- le jugement a totalement ignoré l'aveu de l'employeur (M. [V]) qui, dans un courriel (pièce 7), expliquait la suppression de ses fonctions par un manque de confiance et son "incompétence flagrante",
- les conseillers prud'homaux ont estimé, par déduction de leur motivation sur le harcèlement, qu'elle n'était "pas mise à l'écart comme elle le prétend au vu des photos" et qu'elle était "même placée à proximité de la salariée en formation avec qui elle travaille en collaboration"
- ils ont également retenu que sa charge de travail était réduite car elle était en mi-temps thérapeutique, et qu'elle "n'apporte pas la preuve qu'elle n'avait plus de travail" ce qui vient en contradiction avec les attestations et l'aveu de l'employeur.
- sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :
- les manquements de l'employeur sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
- elle était l'"indispensable" de la société et exerçait des fonctions de secrétaire comptable, étant le "bras droit" de M. [V], avec toutes les tâches (commandes, devis, relations clients, réception téléphonique, prise de responsabilités en l'absence du patron) passant par elle.
- après un accident cardiaque survenu sur son lieu de travail en février 2022 et un retour progressif (mi-temps thérapeutique puis temps complet), elle a été "placardisée",
- elle a été déplacée d'un bureau spacieux (25-30 m²) à un bureau beaucoup plus petit (moins de 10 m², voire 3 m² selon une attestation),
- l'intégralité de ses fonctions lui a été retirée, elle était "payée à ne rien faire", "mise carrément au placard sans travail", sans accès à quoi que ce soit et écartée de la vie de l'entreprise,
- l'employeur a admis lui-même la suppression de ses fonctions dans un courriel du 29 mai 2022, déclarant qu'il n'avait "plus confiance" en elle et que son "incompétence dans certains domaines est devenue flagrante",
- des attestations de collègues et connaissances (MM. [M] [C], [P] [L], Mme [G] [O]) confirment sa "placardisation", le bureau exigu, l'absence de travail et de responsabilités, et le fait qu'elle servait de "bouc émissaire",
- Sur le harcèlement moral :
- les actes répétés de l'employeur ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail, une atteinte à ses droits et à sa dignité, une altération de sa santé physique ou mentale, et des menaces pour son évolution professionnelle, contrevenant aux articles L 1152-2 et suivants du code du travail,
- la modification substantielle de son contrat de travail (diminution du bureau et retrait des fonctions) est un acte constitutif de harcèlement,
- elle a subi des insultes orales de la part de M. [V], enregistrées dans le cahier des doléances de l'entreprise le 3 août 2021 : "je suis une conne, une abrutie, que je la ferme et que j'aille me faire foutre",
- M. [V] a également eu des propos insultants par écrit, notamment dans un courriel du 21 juillet 2022 où il lui écrivait : "il n'y a pas un moment où vous allez réfléchir, je vais finir par croire que vous avez le QI d'une huitre' Alors, à ce sujet, vous dites de grosses conneries... vos menaces, vous pouvez vous prendre la température avec. Si vous avez que ça à foutre de mettre la merde partout où vous passez, c'est votre problème'".
- son style d'écriture et de langage est inapproprié, avec des termes virulents même dans la correspondance officielle (lettre à l'URSSAF),
- elle a été placée en arrêt maladie pour trouble anxio-dépressif, sa belle-s'ur et amie, Mme [X], a attesté de la dégradation de son état physique et psychologique.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 05 novembre 2024, Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA, demande à la cour de :
- confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Nîmes du 23 février 2023 en toutes ses dispositions,
- juger l'absence de toute situation de harcèlement moral au préjudice de Mme [I]-[A],
- juger la demande de résiliation judiciaire sans objet en l'état de notification de la mise en à la retraite le 26 juillet 2022.
En conséquence,
- débouter Mme [I]-[A] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme [I]-[A] à payer à Me [R], ès qualité de mandataire liquidateur de la société CEMA, la somme de 2 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.'
Il fait valoir que :
Sur l'absence de toute situation de harcèlement moral :
- il convient de distinguer le harcèlement des contraintes de gestion ou d'organisation, des difficultés relationnelles, ou de l'exercice normal du pouvoir de direction de l'employeur,
- Mme [I]-[A] ne démontre l'existence d'un harcèlement moral : le cahier de doléances produit est un carnet personnel de la salariée dont la seule écriture y apparaît ne constituant pas une preuve sérieuse, de plus, les propos datent d'août 2021, alors que la dégradation de la relation de travail est invoquée après février 2022, les différents courriers et courriels personnels sont des éléments émanant de la seule salariée et ne sont corroborés par aucun élément objectif, le courriel du 21 juillet 2022 évoquant un conflit entre associés de la société CEMA ne concerne pas la relation de travail salariée de Mme [I]-[A] mais son mandat social, et ne peut donc étayer une situation de harcèlement moral, de même la correspondance adressée à l'URSSAF est sans aucun intérêt car elle ne concerne pas Mme [I]-[A], elle reconnaît un déplacement de bureau mais conteste l'allégation d'une pièce de 3m² ou d'une mise à l'écart, le déménagement visait à faciliter la collaboration entre Mme [I]-[A] et Mme [H], embauchée pour être formée par elle en vue de son départ à la retraite, des photographies du bureau sont fournies pour prouver l'absence de "placardisation", le défaut de fourniture de travail n'est pas démontré, Mme [H] a attesté avoir travaillé en binôme avec Mme [I]-[A] et que cette dernière n'avait pas achevé la transmission professionnelle attendue avant son départ, Mme [I]-[A] n'a jamais été privée de ses missions qu'elle accomplissait en toute autonomie, est produite par la salariée une correspondance dénuée de pertinence car non datée et masquant l'historique des échanges, faisant référence à un contrat d'apprentissage du petit-fils de Mme [I]-[A],
- les attestations versées par Mme [I]-[A] ne sont pas probantes : soit émanant de membres de sa famille (Mmes [O] et [X]) et retranscrivant ses allégations alors qu'il est remarquable de constater l'absence de témoignages des fils et petit-fils de Mme [I]-[A], pourtant également employés au sein de la société CEMA, soit ne relatant aucun fait personnellement constaté (M. [L]), soit contredites par d'autres témoignages (M. [C])
- un unique avis d'arrêt de travail mentionnant "trouble anxio dépressif" est insuffisant pour prouver un lien entre l'état de santé et les conditions de travail, d'autant que Mme [I]-[A] a été déclarée apte à son poste par le médecin du travail le 17 mai 2022,
Sur la rupture du contrat de travail:
- la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est devenue sans objet, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes le 22 juin 2022 pour cette demande, mais l'employeur lui a notifié sa mise à la retraite le 26 juillet 2022,
- la demande de résiliation judiciaire injustifiée (en toute hypothèse) : même si la demande n'était pas sans objet, les manquements de l'employeur (qui reprennent les griefs de harcèlement moral) ne sont pas d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail. Il n'y a donc pas de manquement grave qui aurait justifié la résiliation judiciaire.
L'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 8] appelée en intervention forcée par acte du 9 janvier 2025 remis à une personne habilitée à recevoir l'acte n'a pas constitué avocat.
L'affaire a été fixée à l'audience du 24 septembre 2025.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
MOTIFS
Il convient de relever liminairement que, en exécution du jugement déféré, la société CEMA
a procédé au règlement de la somme de 608,00 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires, ce que ne conteste pas l'appelante. Ce chef de jugement n'est critiqué d'aucune des parties.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement
au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Mme [E] [I]-[A] avance qu'elle a été victime d'actes de harcèlement moral de la part de son employeur se traduisant par :
- la modification substantielle de son contrat de travail (diminution du bureau et retrait des fonctions), l'employeur ayant admis lui-même la suppression de ses fonctions dans un courriel du 29 mai 2022, déclarant qu'il n'avait "plus confiance" en elle et que son "incompétence dans certains domaines est devenue flagrante", elle a été déplacée d'un bureau spacieux (25-30 m²) à un bureau beaucoup plus petit (moins de 10 m², voire 3 m²), après un accident cardiaque survenu sur son lieu de travail en février 2022 et un retour progressif (mi-temps thérapeutique puis temps complet), elle a été "placardisée", l'intégralité de ses fonctions lui a été retirée, elle était "payée à ne rien faire", "mise carrément au placard sans travail", sans accès à quoi que ce soit et écartée de la vie de l'entreprise,
- elle a subi des insultes orales de la part de M. [V], enregistrées dans le cahier des doléances de l'entreprise le 3 août 2021 : "je suis une conne, une abrutie, que je la ferme et que j'aille me faire foutre",
- M. [V] a également eu des propos insultants par écrit, notamment dans un courriel du 21 juillet 2022 où il lui écrivait : "il n'y a pas un moment où vous allez réfléchir, je vais finir par croire que vous avez le QI d'une huitre' Alors, à ce sujet, vous dites de grosses conneries... vos menaces, vous pouvez vous prendre la température avec. Si vous avez que ça à foutre de mettre la merde partout où vous passez, c'est votre problème'".
- son style d'écriture et de langage est inapproprié, avec des termes virulents même dans la correspondance officielle (lettre à l'URSSAF),
- elle a été placée en arrêt maladie pour trouble anxio-dépressif, sa belle-s'ur et amie, Mme [X], a attesté de la dégradation de son état physique et psychologique.
A l'appui de ses allégations, Mme [E] [I]-[A] verse aux débats les éléments suivants :
- des photographies de bureaux,
- une lettre recommandée avec accusé de réception 12 mai 2022 adressée à l'employeur dans laquelle elle écrivait « 'depuis mon accident cardiaque survenu le 21 Janvier 2022, au travail, à 8h10, les choses ont bien changé.
J'ai accepté de venir quelques heures pendant le mois qui a suivi cet incident car ma remplaçante n'était pas au courant du travail.
Du reste, vous trouverez en annexe le détail de mes heures car je n'ai même pas eu une petite prime, même pas un seul merci'
Et depuis plus d'un mois maintenant, je suis mise carrément au placard sans travail.
Mon poste est pris, je ne m'occupe plus de rien, même pas d'un appel téléphonique.
Je n'ai plus d'accès à rien, je suis écartée de toute la vie de l'entreprise'
Aucune activité.
Vous passez devant ce qui me sert de bureau (d'un bureau de 25 m², je suis aujourd'hui dans un placard de 3 m²) en m'ignorant complètement, tout juste un bonjour.
Personne ne me parle sauf les employés qui ne comprennent pas non plus votre attitude à mon égard.
En août 2021, vous m'avez une nouvelle fois insultée'
Cette situation est plus qu'humiliante et dégradante, incompréhensible et intolérable ».
- un courriel du 30 mai 2022 dans lequel elle écrivait à son employeur « Je suis revenue travailler du 16 au 22 Mai inclus et là, je n'ai toujours rien fait, aucun travail'
Ce matin, le 29 Mai, je reprends mon travail et rien n'a changé, rien ne change. Je me retrouve dans la même situation, dans un bureau à ne rien faire car vous ne me donnez rien à faire.
Je ne peux plus supporter cela ni cette situation, donc je rentre chez moi.
Je reste néanmoins à votre disposition.
Quand vous aurez du travail à me donner, appelez-moi, j'arriverai de suite. »
- un courriel de la société CEMA en réponse du 30 mai 2022 dans lequel l'employeur écrivait « ...si actuellement vous n'avez plus de fonction comme vous dites, et bien c'est que je
n'ai plus confiance en vous, votre incompétence dans certains domaines est devenue flagrante'
Vous auriez fait preuve d'humilité, certes vous me connaissez, j'aurais poussé une bonne gueulante mais je vous aurais pardonnée parce que vous savez que j'ai peu d'attirance pour l'argent'
Il est temps pour nous de laisser notre place et de partir se reposer.
Vous verrez, finalement, on s'y habitue ».
- un courriel du 3 juin 2022 de la salariée à M. [V] :
«Je me suis présentée au rendez-vous que vous m'avez fixé le 1 juin 2022 à 9 h suite à mon dernier mail que je vous avais expédié.
Cet entretien, pour me confirmer que vous ne me «donneriez plus de travail » car évidemment d'après vos dires, il n'y a pas de place pour 2 personnes.
Vous vouliez impérativement et avec insistance que je reconnaisse certaines erreurs que vous me reprochez, malgré ma surcharge de travail. Or, je vous ai confirmé ma position et que je ne céderai pas a cette pression inutile, je resterai sur mes positions.
- que vous étiez «fâché » et qu'il était évident pour vous, que vous m'écartiez de la vie de l'entreprise et que vous trouvez cela «Normal »
- que cette mise a l'écart est une «4 contrepartie » d'après vous de mes soi-disantes erreurs. Et,
- que de m'avoir mise dans un «bocal » a ne rien faire était ce que je méritais.
~ que vous vous sentiez «peiné » pour moi. Je n'en crois pas un mot. Vous êtes vraiment irrespectueux.
Je vous ai confirmé que pour moi cette situation était inacceptable.
Toujours, suite a mon mail, vous m'avez aussi dit que ces achats et travaux personnels pris sur le compte de l'entreprise était minimes par rapport a la réalité, que vous étiez gérant majoritaire non salarié et que c'était une juste compensation !!!
D'après vous, vous m'avez toujours considérée,
'que j'étais une super associée et que ce soit dommage de terminer nos relations professionnelles de la sorte en se déchirant avec 22 ans de collaboration.
En deux mots, vous avez «décidé » de me faire partir de l'entreprise en m'ayant dit :
- que vous veniez de faire une demande à la comptable pour re-valoriser mes parts et que vous étiez entrain de voir avec elle, pour me calculer mes indemnités de départ au plus juste.
Je vous ai demandé de me faire une proposition, et vous m'avez rétorqué «quelle proposition l vous aurez ce que l'on vous doit ».
Enfin, je vous ai re-parlé des heures que j'avais faites pendant mon arrêt et que vous me devez, toujours pas de réaction de votre part. Dommage.»
- et la réponse apportée par M. [V] le 7 juin 2022 :
«Je réponds à votre tissus de vilenies et de mensonges à titre personnel puisque votre intention à peine voilée d'aller devant les tribunaux prouve qu'à présent je dois me méfier de vous, à ce titre vous ne pourrez pas utiliser mes propos en les détournant comme je le constate, vous savez si bien le faire.
Je suis consterné devant tant de méchanceté, moi qui vous ai tout confié pendant ces vingt ans, qui vous ai donné une partie de mon entreprise et ne venez surtout pas dire que c'est faux, nous le savons tous les deux.
Vous osez me traiter comme un moins que rien alors que je souffre depuis quatre ans de mon accident de la circulation
je suis handicapé et vous... d'une manière à peine voilé, vous dites que je vous harcéle moralement alors que c'est vous qui exercez un chantage éhonté alors que je suis en train de passer la main à mon fils. J'ai agis pour le bien de tous et pour les intérêts de notre entreprise car vous savez bien ce qu'elle représente pour moi. Je la porte à bout de bras depuis 2006 vous
n'avez donc aucun respect pour tout les sacrifices que j'ai du consentir et dont j'en porte les stigmates à présent. Qu'elle honte, honte à vous pour votre procès d'intention ponctué de mensonges. Oser dire que je ne suis pas fait de soucis pour vous quand vous avez fait votre infarctus est déjà ignoble en soi
Douter de ma bonne foi en plus, je suis dégouté, je pensais l'espèce humaine capable de tout, vous repoussez les limites de l'ignominie.
Puisque rien ne vous arrête et que, à travers moi vous voulez vous venger de votre vie, somme toutes sans relief, allez y je suis mort depuis le 18 juillet 2018 et vous le savez bien, vengez vous sur deux jeunes qui ne vous on rien fait et qui vont reprendre une entreprise avec tout ce cela comporte de difficultés. Franchement, là chapeau bas il faut avoir que ça a faire, votre vie doit être bien triste.
Faites ce que vous avez à faire, je répondrai sans vaciller,
c'est vraiment pas beau tout ca, je vous laisse avec vos démons.»
- un courriel de M. [V] à Mme [U] 24 mars 2020 :
«Avant que vous preniez vos fonctions à l'agence de [Localité 7], le 18 juillet 2018, ma vie s'est arrété "[Adresse 6]" à 12hO7 pour être précis et vous ne me connaissez pas suffisamment pour savoir que la perte d'autonomie dont je suis victime c'est un peu une petite mort avant l'heure, j'étais moniteur parachutiste, je ne pourrais plus jamais sauter, j'étais pilote militaire et privé, je ne peux plus piloter, je faisais du ski depuis
Page de 10 ans, c'est fini aussi, j'arrive encore a faire de la moto dans d'énorme souffrance en plus avec la peur au ventre, mais il ne me reste plus que cela sinon je me serai donné la mort depuis longtemps. Néanmoins, il ya quelque chose qui me tient encore debout c'est mon entreprise, mon bébé comme certain dise. je me bat depuis un an et demi pour la remettre a flot car mon absence a laissé des traces. Vous savez aussi bien que moi, vu que vous gérez aussi mon compte personnel que je ne perçois aucun salaire pour les 60 heures que je passe au travail,
seulement 990 € que me verse la CRAM vu que le RSI ma donné 2450 € pour un an d'indemnité et ne me verse plus rien. Vous savez aussi que mes fins de mois sont souvent difficile et que si ma femme ne me nourrissait pas un peu je serai a la rue. Malgré tout je me bat avec la ferveur d'un jeune artisan parce que je crois au bout du tunnel, même en ces temps difficiles.
Ceci m'amènes à ce que j'ai à vous dire, Comme je suis confiné à la maison, je m'occupe de choses que je n'ai pas l'habitude de faire, vu que ma secrétaire et associée le fait très bien sans moi et j'estime qu' a chacun ses compétences. Mais en parcourant les décomptes de banque, je m'aperçois que ma banque auquel je suis censé faire confiance, vu que je la considère comme une partenaire incontournable, nous subissons un pillage en règle à un point qu'il m'a fallu relire deux fois pour bien prendre conscience de ce que je considère un abus caractérisé.
Je vous joint en pièce jointe le montant des dégâts... Je comprends bien que vous ne vivez pas des intérêts des prêts que vous vendez en ce moment mais "gratter" les entreprises qui suent pour se sortir de ses problèmes, je n'ose prononcer ce mot que j'ai sur les lèvres. Je suis sans voie, je bosse gratuitement, j'ai renoncé à mes traitements, si bien que mon pied est soudé et raide comme un bout de bois et ce n'est pas à 64 ans que je vais rattraper cela. Et au bout du compte pour 84 jours d'exercice, 2730 € de frais, rapporté à l'année, ça fait 11862 €.
Ça me fait froid dans le dos, je comprends, qu'après demande d'explication auprès de [E], elle m'a avoué que je suis déjà assez accablé et que je n'avais pas besoin de ça en plus. Je suis atterré, n'y a t'il pas quelques choses à faire pour arrêter l'hémorragie parce que là je ne peux plus je compte sur vous pour me donner des explications. Et surtout pour voir à nous rétrocéder une partie de ces frais. Quand je lit "commission de suivi global..." 160 €. Si je marque ça sur une facture a un client, c'est le peloton d'exécution direct.»
- l'attestation de M. [C] qui déclare : « [E] [I], notre secrétaire comptable, était une personne très importante au sein de l'entreprise.
Tout passait par elle, Nos commandes, la réalisation de devis, la relation clients, réception téléphonique, elle prenait des responsabilités en l'absence du patron...
... depuis son accident cardiaque, [E] est revenue à l'entreprise pendant son arrêt maladie à la demande du patron.
Malgré son engagement sans faille, [E] a été mise au rebut dans un bureau exigu d'à peine 3 m².
Plus un bonjour, plus de travail fourni, plus d'ordinateur.
Elle fait acte de présence et comme si cela ne suffisait pas, elle sert de bouc émissaire pour le patron' »
- l'attestation de M. [L], artisan, qui déclare : « insultes, harcèlement moral.
J'ai été étonné de voir que les conditions de travail de [E] ont largement été dégradées :
- changement de bureau pour un plus petit
- plus aucune responsabilité.
Tout cela depuis son accident cardiaque ».
- l'attestation de Mme [G] [O], ancienne stagiaire, qui déclare avoir « .. été surprise de voir l'importance que [E] [I] avait dans cette société.
L'ambiance était sympa malgré la charge de travail importante pour tous.
Chaque décision passait par elle, les commandes, les relations clients, fournisseurs,
comptabilité etc'
'je suis passée la voir à son bureau et à ma grande surprise, son bureau est très petit : une table, un fauteuil, rien d'autre. Elle ne fait rien, acte de présence je pense, elle est mise à l'écart. De toute évidence, son poste de travail est pris ».
- l'attestation de Mme [X] qui a constaté la dégradation de l'état physique et psychologique de sa belle soeur,
- un extrait de son carnet personnel dans lequel il a été noté: « Monsieur [V] le 3 Août 2021 : je suis une conne, une abrutie, que je la ferme et que j'aille me faire foutre »,
- un courrier de la société CEMA ( M. [V]) à l'URSSAF mentionnant : « Madame, Monsieur'
L'organigramme de vos services représente une nébuleuse aussi inaccessible que l'amabilité dont vous faites souvent preuve vis-à-vis des vaches à lait que nous sommes, aussi je ne prendrai pas plis de sentiments pour vous exposer mes griefs.
En 2014, vous nous avez soumis à un contrôle par une de vos hyènes, aussi charmante que venimeuse ».
- un courriel que lui a adressé la société CEMA (M. [V]) le 21 juillet 2022 mentionnant «Décidément, il n' a as un moment ou vous allez réfléchir, je vais finir par croire que vous avez le QI d'une huître
Une assemblée générale à trois actionnaires qui travaille ensemble se fait tout les jours de l'année étant donnée qu'on est au contact permanent avec les événement de ladite société
Je ne vois pas ce que l'on peut se raconter de plus à une assemblée...
Alors à ce sujet vous dite de grosses conneries, quand à vos menaces infondées et vous le savez très bien on va parler des énormes conneries qui elles sont bien réelles et facilement prouvées par le cabinet comptable et qui se fera plaisir en nous fournissant l'intitulé des manipulations de comptabilité que vous avez fait ces dernières années et ceci au préjudice de l'entreprise pour que les comptes soient "justes" en créant des comptes bidons, entre autres Madame [B] nous a déjà assurée de son concours.
Vous vous êtes bien gardé de me dire tout cela, alors je ne vois pas bien ce qui aurait changé au cours d'une assemblée générale, à part vous vanter que vous étiez irréprochable sur la comptabilité et ça c'est du concret, après si ca ne vous suffit pas, on parlera des factures fictives
que vous avez fait dont j'ai relevé scrupuleusement les éléments pour vous augmenter votre salaire à une époque et que j'ai couvert par amitié et respect pour vous.
Alors vos menaces, vous pouvez vous prendre la température avec si vous avez que ça à foutre
que de mettre la merde partout ou vous passez, c'est votre problème. Moi je n'ai rien à me reprocher et j'ai beaucoup donné pour cette entreprise, ça fait deux ans et demi que je travaille chaque jour sans salaire et je ne me suis surtout pas enrichi avec.
Alors si vous ne voulez pas signer ce papier, on va faire une cessation de paiement et comme ça je vais mettre 10 bons garçons qui eux ne sont pas responsable de vos conneries au chômage, et surtout l'immense plaisir de ne pas vous donner un sou et surtout je vais bien leur expliquer tout ce que je viens de vous dire.
Vous partirez comme une merde.
Quand on veut faire chier les gens, il faut avoir la culotte propre.».
- un arrêt de travail de prolongation du 26 septembre 2022
- un certificat d'aptitude du Dr [Z], médecin traitant, du 27 mai 2022
- le tableau des heures effectuées pendant l'arrêt de travail
- le courrier de l'employeur du 26 juillet 2022 annonçant à Mme [E] [I]-[A] sa mise à la retraite.
Ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Il incombe à l'intimée de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En réponse à l'argumentation développée par Mme [E] [I]-[A], Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA avance les justifications suivantes :
- le cahier de doléances de l'entreprise produit par Mme [E] [I]-[A] est en réalité un carnet appartenant à la salariée puisque seule son écriture y apparaît, cette dernière y inscrit donc ce qu'elle veut sans que cela ne puisse constituer un élément de preuve sérieux et ce d'autant que les prétendus propos retranscrits et attribués à l'employeur seraient datés du 3 août 2021, alors même que l'appelante faite plaider une dégradation de la relation de travail suite à son retour d'arrêt maladie en février 2022.
Il est exact que ce document ne comporte que des annotations personnelles de la salariée sans aucune portée probante.
- le courrier du 12 mai 2022 ainsi que les deux courriels des 30 mai et 3 juin suivant ont été rédigés par la salariée elle-même.
Il n'empêche que ces courriers comportaient des récriminations bien circonstanciées permettant à l'employeur de les démentir utilement ou de leur apporter une justification.
- le courriel daté du 21 juillet 2022 est relatif à un conflit qui oppose les deux associés de la société CEMA se rapportant au mandat social détenu par Mme [E] [I]-[A]. S'il est exact que Mme [E] [I]-[A] était associée de la société CEMA à hauteur de 20% du capital social, les propos tenus par le gérant s'adressait à une seule et même personne, peu importe le contexte dans lequel ils ont été tenus, et étaient de nature à affecter Mme [E] [I]-[A] dans le cadre de son activité salariée. La violence de ces propos (« je vais finir par croire que vous avez le QI d'une huitre' vous dites de grosses conneries. Quant à vos menaces infondées et vous le savez très bien, on va parler des énormes conneries qui elles sont bien réelles... Alors vos menaces, vous pouvez vous prendre la température avec») avaient nécessairement un impact sur la salariée qu'était également Mme [E] [I]-[A].
- le courrier adressé par l'employeur à l'URSSAF ne concerne pas Mme [E] [I]-[A] et est étranger au présent débat. Effectivement, si ce courrier trahit l'état d'esprit du gérant de la société, les termes utilisés ne s'adressaient nullement à Mme [E] [I]-[A].
- concernant le changement de bureau et le transfert au sein d'une pièce de seulement 3m2, Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA admet que le bureau de Mme [E] [I]-[A] a effectivement été déplacé mais qu'il n'a jamais été question d'une pièce de 3m2, ni même d'une mise à l'écart de cette dernière. Il explique qu'en réalité, la réorganisation a été mise en 'uvre afin de faciliter la collaboration entre Mme [E] [I]-[A] et Mme [H], salariée embauchée pour être formée par Mme [E] [I]-[A] en prévision de son départ imminent à la retraite ce qu'atteste Mme [H]. Les clichés photographiques produits par l'employeur excluent toute manoeuvre de placardisation. Ainsi, le changement d'affectation spatiale de Mme [E] [I]-[A] ne relève pas d'un acte harcelant.
- sur le défaut de fourniture d'un travail, l'employeur fait observer que Mme [E] [I]-[A] ne procède que par affirmations alors que Mme [H] indique avoir travaillé en binôme avec l'appelante pendant toute la période de son mi-temps thérapeutique, Mme [H] précisant même s'être trouvée en difficulté lors du départ de Mme [E] [I]-[A] qui n'avait pas achevé sa formation,
Ce faisant l'employeur n'apporte aucune explication sur les termes de son courriel du 30 mai 2022 dans lequel il écrivait à la salariée « si actuellement vous n'avez plus de fonction comme vous dites, et bien c'est que je n'ai plus confiance en vous, votre incompétence dans certains domaines est devenue flagrante'
Vous auriez fait preuve d'humilité, certes vous me connaissez, j'aurais poussé une bonne gueulante mais je vous aurais pardonnée parce que vous savez que j'ai peu d'attirance pour l'argent'
Il est temps pour nous de laisser notre place et de partir se reposer.
Vous verrez, finalement, on s'y habitue ».
De tels propos participent à caractériser un harcèlement moral alors que l'incompétence de la salariée invoquée n'est nullement établie.
Enfin, l'employeur critique vainement la pertinence des attestations produites par la salariée sans tenter de rapporter la preuve contraire des allégations qu'elles contiennent.
- sur la dégradation de l'état de santé de Mme [E] [I]-[A], l'employeur relève qu'un unique avis d'arrêt de travail est produit mentionnant « trouble anxio dépressif » et estime qu'un tel document est manifestement insuffisant à démontrer l'existence d'un lien entre une dégradation de l'état de santé et les conditions de travail d'autant que Mme [E] [I]-[A] a été déclarée apte à la reprise de son poste à temps complet par le médecin du travail le 17 mai 2022.
Pour autant, nonobstant l'avis d'aptitude délivré par le médecin du travail, l'arrêt de travail prescrit à Mme [E] [I]-[A] apparaît manifestement en lien avec les agissements dénoncés par la salariée lesquels sont avérés.
Il en résulte que Mme [E] [I]-[A] a été victime d'un harcèlement moral à l'origine d'un préjudice ouvrant droit à réparation à hauteur d'une somme que la cour arbitre à 5.000,00 euros.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, et que son contrat est rompu ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée. Dans l'affirmative, il fixe la date de la résiliation à la date de rupture du contrat de travail.
C'est donc a tort que Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA soutient que la demande de résiliation judiciaire est sans objet faisant état d'une jurisprudence à présent obsolète.
Il a été jugé précédemment que Mme [E] [I]-[A] avait été victime de harcèlement moral jusqu'à la date de son départ de l'entreprise, soit le 30 mai 2022, et les faits dont la matérialité a été établie à l'encontre de l'employeur ( absence de fourniture de travail, utilisation de termes injurieux et grossiers à l'égard de la salariée) sont suffisamment graves pour faire obstacle à la poursuite de la relation de travail.
Dès lors il convient de prononcer la résiliation du contrat de travail de Mme [E] [I]-[A] à la date de son départ à la retraite notifié le 26 juillet 2022.
La résiliation judiciaire prononcée au torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse
Mme [E] [I]-[A] est en droit de prétendre au paiement des sommes suivantes non contestées en leur quantum ne serait-ce qu'à titre subsidiaire par l'employeur :
- 4684,82 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 468,48 euros à titre de congés payés sur préavis
- 15.000,00 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement
En application des dispositions de l'article L.1235-3 telles qu'issues de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 tenant compte du montant de la rémunération de Mme [E] [I]-[A] ( 2342,41 euros en moyenne) et de son ancienneté en années complètes (16 années), dans une entreprise comptant au moins onze salariés, la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de Mme [E] [I]-[A] doit être évaluée à la somme de 8.000,00 euros correspondant à l'équivalent de plus de trois mois de salaire brut tenant compte du départ en retraite de la salariée dès le mois de juillet 2022..
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA à payer à Mme [E] [I]-[A] la somme de 1.500,00 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt réputé contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort
Infirme le jugement déféré dans les limites de l'appel et statuant à nouveau,
Juge que Mme [E] [I]-[A] a été victime de harcèlement moral,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [E] [I]-[A] à la date du 26 juillet 2022,
Fixe ainsi que suit la créance de Mme [E] [I]-[A] :
- 4684,82 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 468,48 euros à titre de congés payés sur préavis
- 15.000,00 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement
- 8.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse
- 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison du harcèlement moral
Dit que ces sommes seront inscrites par le mandataire liquidateur sur l'état des créances de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société CEMA,
Dit qu'en application des articles L 622-28 et L 641-3 du code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement,
Rappelle que le présent jugement est opposable à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 8],
it que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.
Condamne Me [R], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CEMA à payer à Mme [E] [I]-[A] la somme de 1.500,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelle que les sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sont hors garantie AGS,
Arrêt signé par le président et par le greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT