CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 7 novembre 2025, n° 24/15096
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Maison Des Grands Crus (SASU)
Défendeur :
Le Soufflot (SARLU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseiller :
M. Buffet
Avocats :
Me Boccon-Gibod, Me Massot, Me Cholay, Me Jacquemin
La société [Adresse 9] (MGC), dont l'établissement est situé [Adresse 6] à [Localité 2], est spécialisée dans l'achat et la vente de vins, ainsi que dans l'offre de services de chambres d'hôtes de charme, dégustation, restauration et 'notourisme.
Elle est titulaire des marques suivantes :
- la marque verbale française « [Y] [A] » n°95581186, déposée le 19 juillet 1995, régulièrement renouvelée, laquelle a été enregistrée pour désigner, en classe 33, les vins, spiritueux et liqueurs.
- la marque verbale de l'Union européenne « [Y] [A] » n°012831871, déposée le 29 avril 2014, sous priorité de la marque française n° 95581186, régulièrement renouvelée et enregistrée pour désigner, en classe 33, les vins, spiritueux et liqueurs.
- la marque verbale française « [A] » n°4277317, déposée le 3 juin 2016 et enregistrée pour désigner les produits et services suivants :
- classe 32 : Boissons sans alcool ; apéritifs et cocktails sans alcool ; boissons gazeuses sans alcool ;
- classe 33 : Boissons alcoolisées (à l'exception des bières) ; vins ; vins effervescents ; vins pétillants ; vins mousseux ; crémants ;
- classe 39 : Visites touristiques, y compris les visites offertes dans le cadre de l''notourisme ;
- classe 43 : Services hôteliers ; services de restauration [alimentation] ; services de bars ; informations et conseils en matière d''nologie et de dégustations de vins ; initiation à la dégustation de vins [services de bars].
- la marque verbale de l'Union européenne « [A] » n°016074866 déposée, sous priorité de la marque française n°4277317, le 24 novembre 2014 et enregistrée pour désigner les produits et services suivants :
- classe 32 : Boissons sans alcool ; apéritifs et cocktails sans alcool ; boissons gazeuses sans alcool ;
- classe 33 : Boissons alcoolisées (à l'exception des bières) ; vins ; vins effervescents ; vins pétillants ; vins mousseux ; crémants ;
- classe 39 : Visites touristiques, y compris les visites offertes dans le cadre de l''notourisme ;
- classe 43 : Services hôteliers ; services de restauration [alimentation] ; services de bars ; informations et conseils en matière d''nologie, à savoir informations et conseils en matière de vins dans le cadre de la fourniture de boissons et de dégustations de vins [services de bars] ; dégustation de vins [services de bars].
Elle exploite également un site marchand sous le nom de domaine « www.[011].com », réservé depuis le 13 octobre 2010, sur lequel elle présente la Maison [Y] [A] et ses vins, le domaine de [Localité 12], le château historique de [Localité 2] et propose différents services (vente en ligne des vins de la Maison des Grands Crus, chambres d'hôte, visite de caves, balades à vélo, restaurant etc..). Elle est réservataire, en outre, depuis le 13 juillet 2000, du nom de domaine « www.[010].com » qui est exploité et renvoie à la page d'accueil du site internet de la Maison [A].
Les sociétés Le Soufflot et [A] exploitent chacune un fonds de commerce de restauration, brasserie, traiteur. La société Le Soufflot exploite depuis mars 2019 Le [A] Restaurant, [Adresse 4] à [Localité 3] ; la société [A] exploite depuis décembre 2020 Le [A] Restaurant à [Localité 5]. La société Le Soufflot assure la promotion de son restaurant sur Internet sous le nom de domaine « www.[07].fr », qu'elle a réservé depuis le 12 avril 2019 et la société [A], celle de son restaurant sur le site internet enregistré sous le nom de domaine « www.[08].fr ».
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 20 septembre 2021, le conseil de la société MGC a mis en demeure les sociétés Le Soufflot et [A] de cesser l'exploitation du nom « [A] » pour désigner leur activité de restauration qui porterait atteinte à ses droits de marques et à son nom commercial.
Cette mise en demeure étant restée infructueuse, par actes du 17 janvier 2022, la société MGC a fait assigner les sociétés Le Soufflot et [A] devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marques et concurrence déloyale et parasitaire.
Par jugement du 11 juillet 2024, le tribunal judiciaire de Paris a :
- déclaré irrecevable la demande de la société MGC en contrefaçon de la marque française « [A] » n° 4277317 pour les produits et services des classes 33 et 43, pour défaut d'usage sérieux de la marque s'agissant de ces produits et services au cours des cinq années précédant la date à laquelle la demande en contrefaçon a été formée ;
- déclaré les sociétés Le Soufflot et [A] recevables en leur demande reconventionnelle en nullité de la marque française '[Y] [A]' n°4860971 ;
- écarté le moyen soulevé par les sociétés défenderesses d'irrecevabilité de la demande au titre de la concurrence déloyale formée par la société [Adresse 9] ;
- déclaré les sociétés Le Soufflot et [A] recevables en leur demande reconventionnelle en déchéance des droits sur la marque de l'Union européenne « [A] » n°016074866 pour les produits et services couverts en classes 32, 33, 39 et 43 ;
- déclaré les sociétés Le Soufflot et [A] irrecevables en leur demande reconventionnelle formée au titre de la déchéance des droits sur la marque française « [A] » n°4277317 déposée le 3 juin 2016 pour les classes 32 et 39 ;
- déclaré les sociétés [A] et Le Soufflot recevables en leur demande reconventionnelle en déchéance de la marque française [A] n°4277317 pour les produits et services enregistrés en classes 33 et 43 ;
- prononcé la déchéance partielle, pour défaut d'usage sérieux, des droits de la société MGC sur la marque verbale française n°4277317 « [A] » sur l'ensemble des produits visés à son enregistrement à l'exclusion de ceux visés en classe 32 et en classe 39 et ce, à compter du 23 septembre 2021 ;
- prononcé la déchéance totale, pour défaut d'usage sérieux, des droits de la société MGC sur la marque verbale de l'Union européenne n° 016074866 « [A] » pour l'ensemble des produits visés à son enregistrement et ce, à compter du 29 mai 2022 ;
- Déclaré nul l'enregistrement de la marque française « [Y] [A] » n°4860971 frauduleusement déposée le 12 avril 2022 par la société MGC ;
- dit que la partie la plus diligente devra transmettre le jugement devenu définitif à l'INPI afin que soit inscrite au registre des marques l'annulation de l'enregistrement de la marque « [Y] [A] » n°18 4 496 085 ;
- dit que la partie la plus diligente devra porter à la connaissance de l'EUIPO la présente décision devenue définitive afin que soit inscrite au registre des marques de l'Union européenne la déchéance prononcée de la marque de l'Union européenne n°016074866;
- ordonné la transmission du présent jugement à l'INPI, à l'initiative de la partie la plus diligente, et inscription sur les registres des marques de la déchéance prononcée de la marque française n°4277317 ;
- déclaré la société MGC recevable en sa demande en contrefaçon de sa marque de l'Union européenne « [A] » n°016074866 ;
- débouté la société MGC de sa demande fondée sur la contrefaçon des marques verbales de l'Union européenne « [A] » n°016074866, « [Y] [A] » française n°95581186 et de l'Union européenne n°012831871 ;
- débouté la société MGC de ses demandes subséquentes aux fins d'interdiction, de transfert des noms de domaine, de destruction et de publication ;
- débouté la société MGC de sa demande au titre de la concurrence déloyale et parasitisme ;
- condamné la société MGC à payer à la société Le Soufflot et à la société [A] chacune la somme de 2 500 euros pour procédure abusive ;
- condamné la société MGC aux dépens, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- condamné la société MGC à payer à la société Le Soufflot et à la société [A] chacune la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rappelé que la décision est exécutoire de droit par provision.
Par déclaration notifiée par la voie électronique le 13 août 2024, la société MGC a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 3 juillet 2025 (« Conclusions n°4 valant réplique sur appel incident »), la société MGC demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 11 juillet 2024 en ce qu'il a :
- « déclaré irrecevable la demande de la société [Adresse 9] en contrefaçon de la marque française « [A] » n° 4277317 pour les produits et services des classes 33 et 43, pour défaut d'usage sérieux de la marque s'agissant de ces produits et services au cours des cinq années précédant la date à laquelle la demande en contrefaçon a été formée ;
- déclaré les sociétés Le Soufflot et [A] recevables en leur demande reconventionnelle en nullité de la marque française '[Y] [A]' n°4860971 ;
- déclaré les sociétés Le Soufflot et [A] recevables en leur demande reconventionnelle en déchéance des droits sur la marque de l'Union européenne « [A] » n°016074866 pour les produits et services couverts en classes 32, 33, 39 et 43.
- prononcé la déchéance partielle, pour défaut d'usage sérieux, des droits de la société [Adresse 9] sur la marque verbale française n°4277317 « [A] » sur l'ensemble des produits visés à son enregistrement à l'exclusion de ceux visés en classe 32 et en classe 39 et ce, à compter du 23 septembre 2021 ;
- prononcé la déchéance totale, pour défaut d'usage sérieux, des droits de la société Maison des Grands Crus sur la marque verbale de l'Union européenne n° 016074866 « [A] » pour l'ensemble des produits visés à son enregistrement et ce, à compter du 29 mai 2022 ;
- déclaré nul l'enregistrement de la marque française « [Y] [A] » n°4860971 frauduleusement déposée le 12 avril 2022 par la société [Adresse 9] ;
- dit que la partie la plus diligente devra transmettre le jugement devenu définitif à l'INPI afin que soit inscrite au registre des marques l'annulation de l'enregistrement de la marque « [Y] [A] » n°18 4 496 085 ;
- dit que la partie la plus diligente devra porter à la connaissance de l'EUIPO la présente décision devenue définitive afin que soit inscrite au registre des marques de l'Union européenne la déchéance prononcée de la marque de l'Union européenne n°016074866 ;
- ordonné la transmission du présent jugement à l'INPI, à l'initiative de la partie la plus diligente, et inscription sur les registres des marques de la déchéance prononcée de la marque française n°4277317 ;
- débouté la société Maison des Grands Crus de sa demande fondée sur la contrefaçon des marques verbales de l'Union européenne « [A] » n°016074866, « [Y] [A] » française n° 95581186 et de l'Union européenne n°012831871 ;
- débouté la société [Adresse 9] de ses demandes subséquentes aux fins d'interdiction, de transfert des noms de domaine, de destruction et de publication ;
- débouté la société Maison des Grands Crus de sa demande au titre de la concurrence déloyale et parasitisme ;
- condamné la société [Adresse 9] à payer à la société Le Soufflot et à la société [A] chacune la somme de 2 500 euros pour procédure abusive ;
- condamné la société [Adresse 9] aux dépens, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- condamné la société Maison des Grands Crus à payer à la société Le Soufflot et à la société [A] chacune la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rappelé que la présente décision est exécutoire de droit par provision ;
Statuant à nouveau :
- déclarer la société MGC recevable et bien fondée en son action à l'encontre des sociétés Le Soufflot et [A] ;
- juger que l'usage par les sociétés Le Soufflot et [A] des signes « [A] » / « [A] RESTAURANT » pour désigner des services de restauration, de vente et de dégustation de vins constitue un acte de contrefaçon de la marque française « [A] » n°4277317, de la marque de l'UE « [A] » n°016074866, de la marque française « [Y] [A] » n°95581186 et de la marque de l'UE « [Y] [A] » n°012831871 au sens des articles L. 713-2 et L 716-4 du code de la propriété Intellectuelle et 9 du RMUE ;
- juger que l'usage des noms de domaine www.[07].fr et www.[08].fr pour commercialiser et faire connaître des services de restauration, de vente et de dégustation de vins constitue un acte de contrefaçon de la marque française « [A] » n°4277317, de la marque de l'UE « [A] » n°016074866, de la marque française « [Y] [A] » n°95581186 et de la marque de l'UE « [Y] [A] » n°012831871 au sens des articles L. 713-2 et L 716-4 du code de la propriété Intellectuelle et 9 du RMUE ;
- juger qu'en utilisant les signes « [A] » / « [A] RESTAURANT » pour désigner des activités de restauration, de vente et de dégustation de vins, les sociétés Le Soufflot et [A] créent des risques de confusion et d'association avec le nom commercial et l'enseigne [Y] [A] antérieurs et ont ainsi commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au sens des articles 1240 et suivants du code civil ;
- juger qu'en utilisant les noms de domaine www.[07].fr et www.[08].fr pour commercialiser et faire connaître des activités de restauration, de vente et de dégustation de vins, les sociétés Le Soufflot et [A] créent des risques de confusion et d'association avec les noms de domaine de la demanderesse www.[010].com et www.[011].com et ont ainsi commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au sens des articles 1240 et suivants du code civil ;
En conséquence,
- interdire aux sociétés Le Soufflot et [A] la poursuite des actes de contrefaçon des marques « [A] » FR n°4277317 et MUE n°016074866, et « [Y] [A] » FR n°95581186 et MUE n°012831871, sur quelque support et de quelque manière que ce soit, au besoin sous astreinte ;
- interdire aux sociétés Le Soufflot et [A] de faire usage, d'une quelconque manière que ce soit et à quelque titre que ce soit, des signes « [A] » / « [A] RESTAURANT » ;
- ordonner, au besoin sous astreinte, le transfert des noms de domaine www.[07].fr et www.[08].fr au nom de la société MGC aux frais des sociétés Le Soufflot et [A] ;
- ordonner, au besoin sous astreinte dans un délai déterminé par le « tribunal » (sic), la destruction de tous les supports, y compris notamment enseignes, menus, cartes, étiquettes, brochures commerciales sur lesquels la dénomination « [A] » est reproduite, aux frais exclusifs des sociétés Le Soufflot et [A] à charge pour ces dernières d'en justifier, sur simple demande de la demanderesse ;
- condamner in solidum les sociétés Le Soufflot et [A] à payer à la société MGC la somme de 30 000 euros chacune au titre des préjudices découlant de la contrefaçon ;
- condamner « in solidum » (sic) les sociétés Le Soufflot et [A] à payer à la société MGC la somme de 20 000 euros chacune au titre des préjudices découlant de la concurrence déloyale et du parasitisme ;
- ordonner la publication du « jugement » (sic) à intervenir dans trois journaux ou revues au choix de la société MGC et aux frais in solidum des sociétés Le Soufflot et [A] dans la limite d'un plafond hors taxes global de 15 000 euros pour l'ensemble des trois publications, et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts complémentaires ;
En tout état de cause,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 11 juillet 2024 pour le surplus ;
- juger l'ensemble des demandes, fins et conclusions des sociétés Le Soufflot et [A] irrecevables et mal fondées et les en débouter et notamment :
- juger que la demande reconventionnelle en déchéance des marques « [A] » FR n°4277317 et MUE n°016074866 est irrecevable pour les classes 32 et 39 pour défaut d'intérêt à agir des sociétés Le Soufflot et [A] ;
- juger que la demande reconventionnelle en déchéance formée par les sociétés Le Soufflot et [A] et visant les marques « [A] » FR n°4277317 et MUE n°016074866 est en tout état de cause mal fondée et les en débouter ;
- juger que la demande reconventionnelle en nullité de la marque française « [Y] [A] » n°4860971 irrecevable et mal fondée et les en débouter ;
- juger mal fondées les demandes des sociétés Le Soufflot et [A] pour prétendue procédure abusive et les en débouter ;
- condamner in solidum les sociétés Le Soufflot et [A] à payer à la société MGC la somme de 10 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamner in solidum les sociétés Le Soufflot et [A] aux entiers dépens, lesquels comprendront notamment les frais de constat, dont distraction au profit de la SELARL LX, représentée par Me Matthieu Boccon Gibot, avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 24 juin 2025 (« Conclusions en réplique et d'appel incident n°2 »), les sociétés Le Soufflot et [A] demandent à la cour de :
Sur l'appel principal,
- déclarer l'appel de la société MGC mal fondé,
- le rejeter,
- débouter la société MGC de l'intégralité de ses fins et conclusions,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 11 juillet 2024 sous réserve de l'appel incident formé par les sociétés Le Soufflot et [A],
Sur l'appel incident,
- déclarer les sociétés Le Soufflot et [A] recevables et fondées en leur appel incident,
Y faisant droit
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré les société Le Soufflot et [A] irrecevables en leur demande reconventionnelle formée au titre de la déchéance des droits sur la marque française [A] n°4277317 déposée le 3 juin 2016 pour les classes 32 et 39,
- prononcé uniquement la déchéance partielle, pour défaut d'usage sérieux, des droits de la société MGC sur la marque verbale française [A] n°4277317 sur l'ensemble des produits visés à son enregistrement à l'exclusion de ceux visés en classe 32 et en classe 39 et ce, à compter du 23 septembre 2021,
Statuant à nouveau :
- déclarer les sociétés Le Soufflot et [A] recevables en leur demande reconventionnelle formée au titre de la déchéance des droits sur la marque française [A] n°4277317 déposée le 3 juin 2016 pour les classes 32 et 39,
- prononcer la déchéance totale, pour défaut d'usage sérieux, des droits de la société MGC sur la marque verbale française [A] n°4277317 sur l'ensemble des produits visés à son enregistrement en classes 32, 33, 39 et 43, à compter du 23 septembre 2021,
En tout état de cause
- débouter la société [Adresse 9] de l'ensemble de ses demandes au fond quel que soit le sort des irrecevabilités tranchées en première instance,
- condamner la société MGC aux entiers frais et dépens d'appel ainsi qu'à payer aux sociétés Le Soufflot et [A] la somme de 7 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'instruction de la procédure a été clôturée par ordonnance du 10 juillet 2025.
MOTIFS :
1 - Sur la fin de non-recevoir opposée par les sociétés Le Soufflot et [A] tirée de l'irrecevabilité de la demande en contrefaçon fondée sur la marque française « [A] » n° 4277317 :
Les sociétés Le Soufflot et [A] font valoir que la société MGC ne justifie pas d'un usage sérieux de sa marque pour les produits et services visés en classes 33 et 43 au cours des cinq dernières années précédant la date à laquelle la demande en contrefaçon a été formée, de sorte que cette demande est irrecevable par application de l'article L.716-4-3 du code de la propriété intellectuelle.
La société MGC réplique que cette marque est exploitée de manière effective et sérieuse et qu'elle fait usage du signe « [A] » pour désigner l'origine commerciale de ses produits et services en classes 33 et 43.
Réponse de la cour :
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »
En vertu de l'article L.716-4-3 du code de la propriété intellectuelle, « Est irrecevable toute action en contrefaçon lorsque, sur requête du défendeur, le titulaire de la marque ne peut rapporter la preuve :
1° Que la marque a fait l'objet, pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qui sont invoqués à l'appui de la demande, d'un usage sérieux au cours des cinq années précédant la date à laquelle la demande en contrefaçon a été formée, dans les conditions prévues à l'article L. 714-5 ;
2° Ou qu'il existait de justes motifs pour son non-usage. »
Au cas d'espèce, l'action en contrefaçon a été introduite le 17 janvier 2022, de sorte que la période de référence pour examiner l'usage sérieux de la marque court du 17 janvier 2017 au 17 janvier 2022.
La société MGC, qui supporte la charge de la preuve de l'usage sérieux de la marque, communique, à titre de preuves d'usage, pour la période concernée :
- des factures de ventes de bouteilles de vins, de nuitées, petits-déjeuners, dégustations, machons déjeunatoires, prestations traiteur, sous la dénomination « [Y] [A] » (pièces 2.7.1),
- des étiquettes de bouteilles de vins reproduisant le signe verbal « [Y] [A] » (pièces 2.7.3),
- sa plaquette comportant ses tarifs reproduisant également ce signe (pièce 2.7.4),
- des extraits du guide Hachette des vins référençant les produits commercialisés par la société MGC sous l'appellation « [Y] [A] » (pièces 1.10.1),
Par ailleurs, pour la période considérée, la société MGC commercialisait ses produits et services via le site marchand « www.[011].com » (pièce 2.9).
Il s'ensuit que, pour la période de référence, la société MGC ne justifie que de l'exploitation du signe « [Y] [A] » pour désigner les produits et services commercialisés en classes 33 et 43, le signe « [A] » n'étant jamais exploité seul en tant que tel.
La société MGM fait valoir que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, l'usage du signe « [Y] [A] » vaut usage du signe « [A] », invoquant que la marque « [A] » y est intégralement reproduite, sans modification, que l'ajout du prénom « [Y] » n'altère aucunement le caractère distinctif du nom « [A] », lequel est très distinctif dans les secteurs considérés, la maison « [Y] [A] », ainsi que ses produits et services, étant communément appelés « [A] » par les professionnels du secteur et la clientèle.
Les sociétés intimées opposent que les preuves versées par la société MGC ne sont que des preuves d'usage de la marque française antérieure « [Y] [A] » n°95581186, déposée le 19 juillet 1995, la marque « [A] » n° 4277317 ayant été déposée le 3 juin 2016, de sorte qu'il est impossible de considérer que l'usage de « [Y] [A] » enregistré à titre de marque antérieurement puisse constituer une forme déclinée de la marque seconde « [A] » et justifier à ce titre son usage. Elles ajoutent qu'en tout état de cause, l'exploitation de la marque « [Y] [A] » constitue une modification non négligeable de la marque « [A] » en ce qu'elle est de nature à altérer le caractère distinctif du signe revendiqué.
Est assimilé à un usage sérieux l'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif.
Au cas d'espèce, dans le signe « [Y] [A] », le nom « [A] », intégralement reproduit, présente un caractère patronymique qui retiendra particulièrement l'attention du consommateur.
Il est justifié que ce signe est associé, dans l'esprit du consommateur, à la « Maison [A] », ainsi que le présente le Guide Hachette des Vins (pièce 1.10.1). Le président de l'association Les Grands Jours de Bourgogne, dans son attestation du 10 octobre 2024 (pièce 1.13.1), déclare que la Maison [Y] [A] est communément désignée par la locution « Maison [A] » comme il est d'usage en Bourgogne.
Par ailleurs, le terme « [A] » présente un caractère distinctif élevé, au regard du secteur d'activité considéré.
Par conséquent, il convient de retenir que l'usage du signe « [Y] [A] » vaut usage de la marque « [A] » n°4277317 sous une forme modifiée n'altérant pas le caractère distinctif de cette dernière marque.
Aussi, la société MGC justifie d'un usage sérieux, pour la période considérée, de la marque n°4277317 pour les produits et services en classes 33 et 43.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à la fin de non-recevoir invoquée par les sociétés Le Soufflot et [A], la société MGC étant recevable en son action en contrefaçon au titre de sa marque « [A] » n°4277317 pour les produits et services visés en classes 33 et 43.
2 - Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle en déchéance des sociétés Le Soufflot et [A] des droits de la société MGC sur la marque de l'Union européenne « [A] » n°016074866 :
La société MGC fait valoir que c'est à tort que le tribunal a dit les intimées recevables en leur demande reconventionnelle en déchéance de ses droits sur cette marque pour l'ensemble des produits et services des classes 32, 33, 39 et 43. Elle invoque, à cet égard, que seuls les produits de la classe 33 (qui couvre les boissons alcoolisées dont les vins) et de la classe 43 (qui couvre notamment les services de restauration) sont opposés aux intimées dans le cadre du litige et que ces dernières n'ont donc aucun intérêt légitime à demander à titre reconventionnel la déchéance de la marque pour les produits et services de la classe 32 (qui concerne les boissons sans alcool) et 39 (qui concerne les visites touristiques) qui ne leur sont pas opposés. La société MGC soulève qu'il appartient d'appliquer les dispositions du code de la propriété intellectuelle et du code de procédure civile pour toutes les demandes reconventionnelles en déchéance, y compris celles relatives aux marques de l'Union européenne, de sorte que la demande reconventionnelle en déchéance des droits sur la marque de l'Union européenne n°016074866 était irrecevable s'agissant des produits et services relevant des classes 32 et 39.
Les sociétés Le Soufflot et [A] répliquent que la circonstance que la société MGC ne leur oppose sa marque de l'Union européenne « [A] » qu'en tant qu'elle désigne les produits et services des classes 33 et 43 ne leur interdit pas de demander reconventionnellement la déchéance de cette marque pour l'ensemble des produits et services figurant à son enregistrement et, qu'au surplus, elles disposent d'un intérêt à demander la déchéance de la marque litigieuse qui leur est opposée pour l'ensemble des produits et services visés à son enregistrement dans la mesure où les produits et services autres que ceux en classes 33 et 43 pourraient également leur être opposés comme produits et services similaires à leur activité de restauration.
Réponse de la cour :
Il est constant que la marque de l'Union européenne « [A] » n°016074866 n'est opposée aux sociétés Le Soufflot et [A] que pour les produits et services suivants qu'elle désigne, en classes 33 et 43 :
- 33 : Boissons alcoolisées (à l'exception des bières) ; vins ; vins effervescents ; vins pétillants ; vins mousseux ; crémants ;
- 43 : Services hôteliers ; services de restauration [alimentation] ; services de bars ; informations et conseils en matière d''nologie, à savoir informations et conseils en matière de vins dans le cadre de la fourniture de boissons et de dégustations de vins [services de bars] ; dégustation de vins [services de bars],
et non au titre des produits et services désignés en classes 32 « Boissons sans alcool ; apéritifs et cocktails sans alcool ; boissons gazeuses sans alcool » et 39 « Visites touristiques, y compris les visites offertes dans le cadre de l''notourisme ».
Aux termes d'un arrêt du 8 juin 2023 (LM C/ KP, C-654/21), la Cour de Justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 124, sous d), du règlement 2017/1001, lu en combinaison avec l'article 128, paragraphe 1, de celui-ci, doit être interprété en ce sens qu'une demande reconventionnelle en nullité d'une marque de l'Union européenne peut concerner l'ensemble des droits que le titulaire de cette marque tire de l'enregistrement de celle-ci, sans que cette demande reconventionnelle soit restreinte, dans son objet, par le cadre contentieux défini par l'action en contrefaçon.
Par transposition avec le régime de la déchéance des droits sur une marque de l'Union européenne, il y a lieu de retenir que les sociétés Le Soufflot et [A] sont recevables en leur action reconventionnelle en déchéance des droits de la société MGC sur la marque de l'Union européenne « [A] » n°016074866 pour l'ensemble des produits et services visés à son enregistrement, dont ceux désignés en classes 32 et 39, le jugement étant confirmé de ce chef.
3 - Sur la recevabilité de la demande en déchéance des droits de la société MGC sur la marque française « [A] » n°4277317 :
Les sociétés Le Soufflot et [A] font valoir que c'est à tort que le tribunal a retenu qu'elles étaient irrecevables en leur demande reconventionnelle en déchéance des droits de la société MGC sur la marque française n°4277317 s'agissant des produits et services relevant des classes 32 et 39.
Les sociétés Le Soufflot et [A] opposent qu'eu égard au principe de hiérarchie des normes et la marque française n°4277317 portant sur le même signe et visant les mêmes classes de produits et services que la marque de l'Union européenne n°016074866, la recevabilité de la demande reconventionnelle en déchéance s'agissant de la marque française doit s'appliquer dans les mêmes conditions que pour la marque de l'Union européenne. Elles soulignent qu'en toute hypothèse, l'ensemble des produits et services visés par la marque litigieuse relève du même secteur d'activité que le leur.
La société MGC réplique qu'elle n'oppose pas aux intimées cette marque en ce qu'elle vise les produits et services des classes 32 et 39, seuls le code de la propriété intellectuelle et le code de procédure civile devant recevoir application.
Réponse de la cour :
Il résulte de la combinaison des articles L.714-5 du code de la propriété intellectuelle et 70 du code de procédure civile que la partie poursuivie en contrefaçon a intérêt à se défendre en formant une demande reconventionnelle en déchéance pour les produits ou services invoqués et pour ceux relevant du même secteur d'activité.
Il est rappelé que, comme la marque de l'Union européenne n°016074866, la marque française n°4277317 n'est opposée aux sociétés Le Soufflot et [A] que pour les produits et services des classes 33 et 43, et non pour les produits et services des classes 32 et 39.
Par ailleurs, les sociétés Le Soufflot et [A], qui ne fabriquent pas de boissons non alcoolisées ni n'organisent de visites touristiques, ne relèvent pas du même secteur d'activité que ces produits et services.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit ces sociétés recevables en leur demande reconventionnelle en déchéance des droits de la société MGC sur la marque n°4277317 uniquement pour les produits et services des classes 33 et 43, dont le régime juridique est distinct de celui des marques de l'Union européenne.
4 - Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle des sociétés Le Soufflot et [A] en nullité de la marque « [Y] [A] » n°4860971 :
Le 12 avril 2022, la société MGC a déposé la marque semi-figurative française
n°4860971, laquelle a été enregistrée pour désigner les produits et services suivants :
- classe 32 : Boissons sans alcool ; apéritifs et cocktails sans alcool ;
- classe 33 : Boissons alcoolisées (à l'exception des bières) ; vins ; crémants ;
- classe 39 : Visites touristiques, y compris les visites offertes dans le cadre de l''notourisme ;
- classe 43 : Services hôteliers ; services de restauration [alimentation] ; services de bars ; dégustation de vins [services de bars] ; informations et conseils en matière d''nologie, à savoir informations et conseils en matière de vins dans le cadre de la fourniture de boissons et de dégustations de vins [services de bars].
Le tribunal a dit recevable la demande reconventionnelle en nullité de cette marque formée par les sociétés intimées, comme présentant un lien suffisant avec les demandes originaires de la société MGC visant les signes invoqués, soit la marque antérieure, l'enseigne et le nom commercial « [Y] [A] ».
La société MGC fait valoir que l'exigence d'un lien suffisant n'est pas remplie lorsque la demande reconventionnelle porte sur une marque qui n'est pas invoquée par le demandeur à l'action au principal en contrefaçon de marque, que la marque n°4860971 n'est pas opposée aux intimées dans le cadre de la présente procédure et ne peut donc constituer une entrave à leur activité économique. Elle conclut donc que la demande reconventionnelle des sociétés Le Soufflot et [A] en nullité de cette marque est irrecevable.
Les sociétés Le Soufflot et [A] répliquent que leur demande de nullité porte sur le signe « [Y] [A] », lequel présente un lien direct avec les signes invoqués, à savoir les marques « [Y] [A] » ainsi que l'enseigne et le nom commercial « [Y] [A] » appartenant à la société appelante et que si les sociétés intimées sont fondées à contester à titre reconventionnel les titres invoqués, elles le sont également s'agissant d'un titre pouvant se confondre avec les signes en présence, d'autant que ce dernier a été déposé au cours de la procédure pour des produits et services correspondant à son activité, en toute mauvaise foi.
Réponse de la cour :
En vertu de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, un tel lien ne peut s'entendre qu'en présence d'une marque dont les produits et services sont opposés dans le cadre d'une action en contrefaçon par le demandeur au principal.
Or, il est constant que la marque n°4860971 n'est pas invoquée par la société MGC au soutien de ses demandes.
Par conséquent, les intimées sont dépourvues d'intérêt à en solliciter la nullité à titre reconventionnel.
Aussi, par voie d'infirmation du jugement, il convient de dire les sociétés Le Soufflot et [A] irrecevables en leur demande reconventionnelle en nullité de la marque « [Y] [A] » n°4860971 et, par voie de conséquence, de réformer le jugement en ce qu'il a déclaré nul l'enregistrement de cette marque.
5- Sur le bien-fondé des demandes reconventionnelles en déchéance des marques française n°4277317 et de l'Union européenne n°016074866 :
Les sociétés Le Soufflot et [A] font valoir que la société MGC ne verse aucune preuve d'usage de ces marques pour les produits et services qu'elles désignent, ces marques n'étant pas exploitées, tandis que l'usage de la marque « [Y] [A] » ne peut valoir usage des marques « [A] », s'agissant de deux marques différentes ayant un pouvoir attractif distinct. Elles en concluent que l'usage du signe « [Y] [A] » déposé à titre de marque antérieurement aux marques « [A] » ne peut être considéré comme un usage sous une forme modifiée des marques litigieuses.
La société MGC réplique qu'elle justifie de l'usage sérieux de ses marques et qu'en toute hypothèse, elles sont opposables jusqu'à l'issue du délai de 5 ans à compter de leur enregistrement.
Réponse de la cour :
Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, si, dans un délai de cinq ans à compter de l'enregistrement, la marque de l'Union européenne n'a pas fait l'objet par le titulaire d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque de l'Union européenne est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage.
Constituent également un usage au sens du premier alinéa :
a) l'usage de la marque de l'Union européenne sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée, que la marque soit ou non aussi enregistrée sous la forme utilisée au nom du titulaire ;
b) l'apposition de la marque de l'Union européenne sur les produits ou sur leur conditionnement dans l'Union dans le seul but de l'exportation.
2. L'usage de la marque de l'Union européenne avec le consentement du titulaire est considéré comme fait par le titulaire.
Aux termes de l'article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version en vigueur depuis le 15 décembre 2019 modifiée par l'ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 : « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l'enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d'Etat. »
Est assimilé à un usage au sens du premier alinéa :
1° L'usage fait avec le consentement du titulaire de la marque ;
2° L'usage fait par une personne habilitée à utiliser la marque collective ou la marque de garantie ;
3° L'usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée ;
4° L'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement, par le titulaire ou avec son consentement, exclusivement en vue de l'exportation.'
Pour échapper à la déchéance qui lui est opposée, la société MGC doit rapporter la preuve d'une exploitation sérieuse et non équivoque de ses marques française n°4277317 et de l'Union européenne n°016074866, dans les cinq ans précédant la demande de déchéance de la marque, et ce, pour les produits et services désignés par leur enregistrement.
A cet égard, doit seul être considéré comme sérieux l'usage de la marque dans la vie des affaires et dans sa fonction de garantie d'identité d'origine des produits et services pour lesquels elle est déposée, aux fins de créer, de développer ou de conforter ses parts de marché dans le secteur économique considéré. Cet usage doit donc être suffisant et non seulement symbolique et au seul but de maintien des droits conférés par la marque.
L'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque s'apprécie en tenant compte des usages du secteur économique concerné, de la nature de ces produits ou de ces services, des caractéristiques du marché, de l'étendue et de la fréquence de l'usage de la marque.
La marque doit donc en premier lieu être utilisée à titre de marque, c'est à dire pour indiquer l'origine du produit ou du service en cause. La marque doit également être utilisée soit par le titulaire, soit par un tiers agissant avec son consentement pour tous les produits et services indiqués dans le certificat d'enregistrement.
La demande reconventionnelle en déchéance des droits de la société MGC sur la marque française n°4277317 a été formée par conclusions d'incident signifiées le 9 février 2023 par les sociétés Le Soufflot et [A], leur demande relative à la marque de l'Union européenne n°016074866 ayant été formalisée par conclusions au fond signifiées le 8 septembre 2022.
Aussi, la période à prendre en compte pour apprécier le caractère sérieux de l'exploitation de la marque française n°4277317 s'étend du 9 février 2018 au 9 février 2023 et celle à prendre en compte pour apprécier le caractère sérieux de l'exploitation de la marque de l'Union européenne n°016074866 du 8 septembre 2017 au 8 septembre 2022.
Concernant la marque française n°4277317, les preuves d'usage doivent porter sur les produits en classe 33 (Boissons alcoolisées (à l'exception des bières) ; vins ; vins effervescents ; vins pétillants ; vins mousseux ; crémants) et les services en classe 43 (Services hôteliers ; services de restauration [alimentation] ; services de bars; informations et conseils en matière d''nologie et de dégustations de vins ; initiation à la dégustation de vins [services de bars]), et, pour la marque de l'Union européenne n° 016074866, sur l'intégralité des produits et services visés au dépôt de la marque, en classes 32 ( Boissons sans alcool ; apéritifs et cocktails sans alcool ; boissons gazeuses sans alcool), 33 (Boissons alcoolisées (à l'exception des bières) ; vins ; vins effervescents ; vins pétillants ; vins mousseux ; crémants), 39 (Visites touristiques, y compris les visites offertes dans le cadre de l''notourisme) et 43 (Services hôteliers ; services de restauration [alimentation] ; services de bars ; informations et conseils en matière d''nologie, à savoir informations et conseils en matière de vins dans le cadre de la fourniture de boissons et de dégustations de vins [services de bars] ; dégustation de vins [services de bars]).
La société MGC produit, pour les périodes considérées, de nombreuses factures de ventes de vins, de dégustations, locations de chambres d'hôtes, nuitées, petits-déjeuners, machons déjeunatoires, prestations traiteur (pièces 2.7.1). Ses factures sont libellées sous l'appellation « [Y] [A] ». Elle justifie que les bouteilles de vins qu'elle commercialise, de différents crus, sont étiquetées « [Y] [A] » (pièce 2.7.3).
Ses produits sont référencés par le guide Hachette des Vins comme provenant de l'entreprise « [Y] [A] » (pièce 1.10.1). Les produits et services offerts par la société MGC étaient commercialisés par le biais du site Internet marchand « www.[011].com ».
Il est donc justifié, pour ces périodes, d'une exploitation intensive des produits en classe 33 et des services en classe 43 sous le signe « [Y] [A] », aucune pièce n'établissant que le signe « [A] » serait utilisé seul par la société MGC.
Cependant, il est rappelé qu'est assimilé à un usage au sens des textes l'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée.
Or, ainsi qu'il a été précédemment exposé lors de l'examen de la fin de non-recevoir opposée par les sociétés Le Soufflot et [A] tirée de l'irrecevabilité de la demande en contrefaçon fondée sur la marque française « [A] » n°4277317, le nom « [A] », adjoint au nom « [Y] », est reproduit en intégralité sans modification dans le signe. Il est un patronyme qui retiendra particulièrement l'attention du consommateur, étant naturellement associé, au regard du secteur d'activité concerné, à la maison « [A] ».
Par conséquent, le signe « [A] » présentant une distinctivité élevée, plus importante que le prénom « [Y] », il y a lieu de retenir que le signe « [Y] [A] » constitue l'usage des marques « [A] » n°4277317 et n°016074866 sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, nonobstant l'existence de marques déposées antérieures « [Y] [A] » n°95581186 et 012831871 (CJUE 25 octobre 2012 - [H] [U] contre [J] [I], affaire C-553/11).
Aussi, il convient, par voie d'infirmation du jugement, de rejeter la demande reconventionnelle de déchéance des droits de la société MGC sur la marque française « [A] » n° 4277317 dont elle justifie de l'usage sérieux pour la période considérée pour les produits et services en classes 33 et 43.
Il convient également de rejeter la demande reconventionnelle de déchéance des droits de la société MGC sur la marque de l'Union européenne « [A] » n°016074866 dont elle justifie de l'usage sérieux pour la période considérée pour les produits et services visés en classes 33 et 43.
En revanche, en l'absence de preuve d'exploitation sérieuse de cette dernière marque pour les produits et services des classes 32 et 39, le jugement sera partiellement confirmé en ce qu'il a prononcé la déchéance des droits de la société MGC sur cette dernière marque pour ces produits et services à compter du 29 mai 2022, soit à l'issue du délai de 5 ans courant à compter de la date d'enregistrement de la marque.
6- Sur la contrefaçon :
La société MGC rappelle que les marques française et de l'Union européenne « [A] » n°4277317 et 016074866 sont protégées pour les « vins » et « boissons alcoolisées » en classe 33 et pour les services de « restauration, bars, dégustations de vins, initiation à la dégustation de vins » en classe 43 ; que les marques françaises et de l'Union européenne « [Y] [A] » n°95581186 et 012831871 sont protégées pour les « vins et boissons alcoolisées » en classe 33 ; que les intimées utilisent le nom patronymique « [A] » pour désigner des activités de restauration et de vente de vins à emporter dans leurs deux restaurants ; que les sociétés intimées utilisent le nom « [A] » sur l'ensemble de leurs supports de communication et de présentation de leurs produits et services destinés à leurs clients ; que les produits et services fournis par les intimées sont identiques ou similaires et complémentaires aux produits et services des classes 33 et 43 visés par les marques antérieures de la société MGC ; que les signes en présence sont identiques ou à tout le moins très fortement similaires ; qu'il existe un risque de confusion ou d'association sur l'origine des produits et services pour les consommateurs concernés qui sont légitimement amenés à penser que les services de restauration et de dégustation de vins proposés par les restaurants « [A] » situés à [Localité 5] et à [Localité 3] ont comme origine ou sont liés à la Maison [A].
Les sociétés Le Soufflot et [A] répliquent que les marques française et européenne « [Y] [A] » visent exclusivement la commercialisation de vins ; que le service de restaurant proposé sous l'enseigne « [A] » n'est pas similaire aux vins ni complémentaire ; qu'elles ne vendent pas de vins ; que l'appréciation globale du risque de confusion entre les signes permet d'exclure tout risque de confusion.
Réponse de la cour :
En vertu de l'article L.713-2 2° du code de la propriété intellectuelle, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services (') d'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque.
Conformément à l'article 9-2 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque (') :
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque.
Le risque de confusion doit faire l'objet d'une appréciation abstraite par référence au dépôt d'une part en considération d'un public pertinent correspondant au consommateur des produits et services concernés normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, et d'autre part par comparaison entre le signe litigieux utilisé et la marque protégée par référence à son enregistrement indépendamment de ses conditions d'exploitation mais également par comparaison des services et produits visés dans l'enregistrement et des produits et services commercialisés sous le signe litigieux. Le risque de confusion est en outre analysé globalement : tous les facteurs pertinents, dont la notoriété de la marque et l'importance de sa distinctivité, doivent être pris en considération, l'appréciation globale de la similitude de la marque et du signe litigieux devant être fondée sur l'impression d'ensemble qu'ils produisent au regard de leurs éléments distinctifs et dominants.
Il est rappelé que :
- la marque verbale française « [Y] [A] » n° 95581186 a été enregistrée pour désigner, en classe 33, les vins, spiritueux et liqueurs.
- la marque verbale de l'Union européenne « [Y] [A] » n°012831871 a été enregistrée pour désigner, en classe 33, les vins, spiritueux et liqueurs.
- la marque verbale française « [A] » n°4277317 a notamment été enregistrée pour désigner les produits et services suivants :
- classe 33 : Boissons alcoolisées (à l'exception des bières) ; vins ; vins effervescents ; vins pétillants ; vins mousseux ; crémants ;
- classe 43 : Services hôteliers ; services de restauration [alimentation] ; services de bars ; informations et conseils en matière d''nologie et de dégustations de vins ; initiation à la dégustation de vins [services de bars].
- la marque verbale de l'Union européenne « [A] » n°016074866 a notamment été enregistrée pour désigner les produits et services suivants :
- classe 33 : Boissons alcoolisées (à l'exception des bières) ; vins ; vins effervescents ; vins pétillants ; vins mousseux ; crémants ;
- classe 43 : Services hôteliers ; services de restauration [alimentation] ; services de bars ; informations et conseils en matière d''nologie, à savoir informations et conseils en matière de vins dans le cadre de la fourniture de boissons et de dégustations de vins [services de bars] ; dégustation de vins [services de bars].
La société Le Soufflot exploite un restaurant situé [Adresse 4] à [Localité 3], en assurant la promotion à travers son site Internet accessible à l'adresse « www.[07].fr ». (pièce appelante 3.2 (a))
La société [A] exploite un restaurant situé [Adresse 1] à [Localité 5], en faisant la promotion sur le site Internet enregistré sous le nom de domaine « www.[08].fr » (pièce appelante 3.2 (b)).
Outre l'activité de restauration, les établissements gérés par les sociétés intimés offrent du vin à la vente, soit pour une consommation sur place à l'occasion du repas, les bouteilles de vins pouvant également être emportées (PV constat de commissaire de justice du 28 novembre 2024- pièce appelante 4.1 (a)).
Pour identifier leurs restaurants, les sociétés Le Soufflot et [A] reproduisent, sur leurs sites Internet, le signe :
Sur les réseaux sociaux :
La société Le Soufflot utilise l'enseigne suivante :
Et la société [A] l'enseigne :
Sur les marques « [Y] [A] » n°95581186 et 012831871 :
L'activité d'offre à la vente de bouteilles de vins par les sociétés intimées est identique aux « vins, spiritueux et liqueurs » désignés en classe 33 par les marques.
Le public pertinent, amateur de vins et de boissons alcoolisées, est d'attention moyenne.
Sur le plan visuel, la comparaison entre les marques « [Y] [A] » et les signes « [A] RESTAURANT/[A] RESTAURANT » exploités par les intimées montre la présence commune du mot « [A] », mis en valeur par les éléments stylisés dans les signes estimés contrefaisants ; cependant, les marques ne reproduisent pas le mot « RESTAURANT » et aux signes contestés ne sont pas adjoints le terme « [Y] ». Les ressemblances visuelles sont moyennes.
Sur le plan auditif, les signes en présence en commun que le vocable « MAU/[Z] » présent en attaque dans les signes contestés, alors qu'il est en seconde position dans les marques. Les ressemblances auditives sont également moyennes.
Sur le plan conceptuel, les marques renvoient au même nom patronymique « [A] ». S'il est explicité par la société MGC que [Y] [A] est le fondateur de la maison de négoce de vins portant son nom et que les signes contestés « [A]/[A] » renverraient à un ancien maire de la ville de [Localité 3], [S] [A], le restaurant de [Localité 3] étant situé dans un rue qui porte son nom, qui est l'ancêtre de [Y] [A], le public ne fera pas cette distinction et sera amené spontanément à considérer que [Y] [A] et « [A] » sont la même personne. Les ressemblances conceptuelles sont donc fortes.
Par conséquent, les similitudes conceptuelles l'emportant sur les similitudes visuelles et auditives moyennes tandis que les produits sont identiques, il existe un risque de confusion, dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne, incluant un risque d'association des signes contestés avec les marques, sur l'origine des produits couverts par les signes, lequel pourra être amené à considérer que les sociétés intimées sont économiquement liées à la société MGC.
La contrefaçon des marques n°95581186 et 012831871 est donc constituée.
Sur les marques « [A] » n°4277317 et 016074866 :
Les activités d'offres à la vente de vins et de restauration présentées par les sociétés intimées sont identiques aux produits visés en classe 33 « vins » et aux « services de restauration » visés en classe 43 par les marques.
Le public concerné, amateur de boissons alcoolisées et de service de restauration, est d'attention moyenne.
Sur la comparaison des signes, sur le plan visuel, « [A] » / « [A] RESTAURANT », « [A] », «www.[07].fr », « www.[08].fr », ont en commun le mot « [A] » ; l'ajout du suffixe « LE » et du terme « RESTAURANT », comme du signe « chablis.fr » sur le nom de domaine de la société [A] n'est pas de nature à occulter le terme « [A] » qui est mis en valeur dans les signes, notamment dans la forme stylisée exploitée par les intimées. Les ressemblances visuelles sont donc fortes.
Sur le plan auditif, le public pertinent entendra plus particulièrement les syllabes « MAU/[Z] » placées en position d'attaque dans les signes, qui sont renforcées par l'adjonction du suffixe « LE ». Les similitudes auditives sont donc importantes.
Enfin, sur le plan conceptuel, le terme « restaurant » n'ayant qu'une valeur indicative de la nature de l'activité auquel le signe est rattaché, en présence du signe commun « [A] », que le suffixe « LE » y soit adjoint ou non, le public sera amené à considérer que ce signe renvoie au même nom patronymique que les marques. Le nom de domaine « www.[08].fr » évoque seulement un établissement « [A] » situé à [Localité 5]. Les similitudes conceptuelles sont fortes.
Au regard de ces éléments, il y a lieu de retenir, s'agissant de produits et services identiques, compte tenu de la forte similarité des signes, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public d'attention moyenne, comportant un risque d'association entre les signes exploités par les sociétés intimés et les marques, le public pertinent pouvant attribuer aux services offerts par les restaurants des sociétés intimées une même origine que les prestations offertes par la société MGC.
Par conséquent, par voie d'infirmation du jugement, il y a lieu de dire qu'en exploitant une activité de restauration comportant vente de vins sous les signes « [A] RESTAURANT » et « [A] RESTAURANT », les sociétés Le Soufflot et [A] ont commis des actes de contrefaçon des marques n° 4277317 et 016074866 dont la société MGC est titulaire.
7- Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
La société MGC fait valoir qu'elle exploite depuis le début des années 2000 le nom de domaine « www.[010].com », ainsi que le nom de domaine « www.[011].com » à la suite de sa réservation en 2010 pour présenter, promouvoir et vendre ses vins « [Y] [A] » ; qu'en utilisant le nom « [A] » à titre d'enseigne et de nom de domaine (« www.[07].fr » et www.[08].fr) pour proposer des services de restauration et de ventes de vins à emporter, les intimées créent incontestablement des risques de confusion et d'association avec les signes distinctifs de la société MGC ; que l'utilisation d'un nom patronymique identique pour fournir des services identiques ou similaires laissent penser qu'ils viennent d'une même entreprise ou d'entreprises économiquement liées ; qu'une simple recherche Internet laisse croire que les restaurants litigieux sont liés à la Maison [A] ; que les intimées bénéficient, à moindre frais, de l'image de prestige attachée au nom « [A] », acquise au prix d'investissements humains et financiers importants.
Les sociétés Le Soufflot et [A] répliquent que les faits invoqués par la société MGC au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ne sont pas distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon de marques ; que la preuve n'est pas rapportée de l'utilisation effective du nom commercial « [Y] [A] » pour les activités revendiquées par la société MGC ; que les noms de domaine invoqués sont rattachés uniquement à la commercialisation de vins et ne peuvent être confondus avec leur activité, lesquels n'étaient pas au demeurant exploités au jour de la délivrance de l'assignation ; que la société MGC ne démontre pas un risque de confusion entre le nom commercial « [Y] [A] » de sa maison de négoce et l'enseigne des restaurants « [A] » ; que le grief de parasitisme n'est pas plus démontré.
Réponse de la cour :
En vertu de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il convient de rappeler que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme, lequel est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens du texte susvisé, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit, qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce.
L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée.
Le seul fait de commercialiser des produits identiques ou similaires à ceux, qui ne font pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, distribués par un concurrent relève de la liberté du commerce et n'est pas fautif, dès lors que cela n'est pas accompagné de man'uvres déloyales constitutives d'une faute telle que la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.
L'action en contrefaçon et l'action en concurrence déloyale peuvent être exercées simultanément à titre principal dès lors que se trouve caractérisée au soutien de l'action en concurrence déloyale l'existence d'une faute relevant de faits distincts de ceux retenus au titre de la contrefaçon.
Un même acte matériel peut caractériser des faits distincts s'il porte atteinte à des droits de nature différente.
Le nom commercial et le nom de domaine se distinguent, par leur nature, des droits détenus sur une marque : le nom commercial a pour objet d'identifier une entreprise et le nom de domaine de permettre l'accès à un site internet. Un acte de concurrence déloyale peut résulter de l'atteinte fautive à un nom commercial ou à un nom de domaine lorsqu'il existe un risque de confusion entre les entreprises désignées sous les noms commerciaux concernés ou entre les noms de domaine.
Il est démontré que, dans le secteur concerné, la société MGC, bien qu'elle ait pour nom commercial « [Y] [A] », est connue du public et des professionnels sous le nom « Maison [A] » (pièce appelante 1.13.1). Les restaurants des sociétés Le Soufflot et [A] sont situés en Bourgogne, dans la même zone géographique touristique que l'établissement de la société MGC. Il est établi que la société MGC exploite le nom de domaine « www.[010].com », réservé le 13 juillet 2000, qui renvoie au site Internet « [Y]-[A].com ».
Or, en utilisant la dénomination « [A] » et en exploitant les noms de domaine « www.[07].fr » et « www.[08].fr », qui reprennent le signe « maufoux », pour désigner des activités en lien avec la restauration et la vente de vins, les sociétés Le Soufflot et [A] ont repris des éléments d'identification renvoyant au nom commercial de la société MGC et au nom de domaine « www.[010].com » qu'elle exploite.
Cette reprise génère un risque de confusion avec les activités de la société MGC.
Il résulte d'une recherche non contestée effectuée sur le moteur Google à partir du mot clé « maufoux.com » que le site Internet de la société Le Soufflot apparaît en premier suivi du site de la société MGC, ce qui accrédite dans l'esprit de l'internaute l'idée que le restaurant exploité par la société Le Soufflot est économiquement lié à la société MGC (pièce appelante 4-8).
Par conséquent, par l'utilisation fautive de la dénomination « [A] » et des noms de domaine litigieux, les sociétés Le Soufflot et [A] ont commis des actes de concurrence déloyale distincts des actes de contrefaçon de marques au préjudice de la société MGC, de nature à induire le public en erreur sur l'origine de leurs activités, en laissant ainsi supposer qu'elles résulteraient d'un partenariat avec cette société. Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
En revanche, en l'absence d'explicitation d'une valeur économique individualisée, les faits de parasitisme ne sont pas caractérisés.
8- Sur les mesures réparatrices :
La société MGC fait valoir que les actes de contrefaçon de ses marques lui ont causé un préjudice moral et des préjudices économiques, ses marques se trouvant banalisées ; qu'elle a subi un détournement de clientèle à l'origine d'un préjudice commercial. Elle invoque que les actes de concurrence déloyale lui ont également causé un trouble commercial, diluant le caractère distinctif de son nom commercial, son enseigne, ses noms de domaine et ses investissements, ses éléments d'identification étant banalisés. Enfin, la société MGC oppose qu'elle a subi également un détournement de clientèle.
Les sociétés Le Soufflot et [A] répliquent que les préjudices allégués ne sont pas caractérisés.
Réponse de la cour :
Selon l'article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
La victime d'un acte de concurrence déloyale a droit à la réparation intégrale de son préjudice.
La société MGC ne produit aucune pièce de nature à établir le détournement de clientèle invoqué, ni les bénéfices réalisés par les contrefacteurs qu'elle n'allègue pas.
En revanche, il est incontestable que les actes de contrefaçon ont banalisé les marques et occasionné un préjudice moral à la société MGC.
Le préjudice sera réparé, tous postes confondus, par l'allocation d'une indemnité de 15 000 euros.
Les actes de concurrence déloyale ont également dilué les éléments d'identification de la société MGC, ce qui, dans un contexte concurrentiel, lui a occasionné un trouble commercial qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 5 000 euros.
Les sociétés Le Soufflot et [A] seront condamnées in solidum au paiement de ces sommes.
Il sera fait interdiction aux sociétés intimées de faire usage, de quelque façon et à quelque titre que ce soit, des signes : « [A] », « [A] », « [A] RESTAURANT », seul ou en adjonction, pour désigner des services de restauration, de vente et de dégustation de vins.
Il y a lieu d'ordonner le transfert des noms de domaine «www.[07].fr » et « www.[08].fr » au profit de la société MGC, sous astreinte, dans les conditions fixées au dispositif du présent arrêt.
En l'état de la mesure d'interdiction prononcée, la mesure de destruction des supports sera rejetée.
Le préjudice étant intégralement réparé, il n'y a pas lieu de faire droit à la mesure de publication judiciaire.
9- Sur la procédure abusive :
Les demandes de la société MGC étant partiellement accueillies, le jugement sera infirmé du chef de l'indemnité allouée au titre de la procédure abusive.
10- Sur les demandes accessoires :
Le jugement sera infirmé du chef des dépens et des frais irrépétibles.
Parties succombantes, les sociétés Le Soufflot et [A] seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société MGC une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement en ce qu'il a :
- déclaré irrecevable la demande de la société [Adresse 9] en contrefaçon de la marque française « [A] » n° 4277317 pour les produits et services des classes 33 et 43, pour défaut d'usage sérieux de la marque s'agissant de ces produits et services au cours des cinq années précédant la date à laquelle la demande en contrefaçon a été formée ;
- déclaré les sociétés Le Soufflot et [A] recevables en leur demande reconventionnelle en nullité de la marque française « [Y] [A] » n°4860971,
- déclaré nul l'enregistrement de la marque française « [Y] [A] » n°4860971 frauduleusement déposée le 12 avril 2022 par la société [Adresse 9],
- ordonné la transmission du jugement à l'INPI,
- prononcé la déchéance partielle, pour défaut d'usage sérieux, des droits de la société Maison des Grands Crus sur la marque verbale française n°4277317 « [A] » sur l'ensemble des produits visés à son enregistrement à l'exclusion de ceux visés en classe 32 et en classe 39 et ce, à compter du 23 septembre 2021,
- prononcé la déchéance totale, pour défaut d'usage sérieux, des droits de la société [Adresse 9] sur la marque verbale de l'Union européenne n°016074866 « [A] » pour l'ensemble des produits visés à son enregistrements et ce, à compter du 29 mai 2022,
- débouté la société Maison des Grands Crus de sa demande fondée sur la contrefaçon des marques verbales de l'Union européenne « [A] » n°016074866, « [Y] [A] » française n°95581186 et de l'Union européenne n°012831871,
- débouté la société [Adresse 9] de sa demande au titre de la concurrence déloyale,
- débouté la société Maison des Grands Crus de ses demandes subséquentes aux fins d'interdiction et de transfert de noms de domaine,
- condamné la société [Adresse 9] à payer à la société Le Soufflot et à la société [A] chacune la somme de 2 500 euros pour procédure abusive,
- condamné la société [Adresse 9] aux dépens, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné la société Maison des Grands Crus à payer à la société Le Soufflot et à la société [A] chacune la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement pour le surplus,
STATUANT A NOUVEAU :
DECLARE recevables les demandes formées par la société [Adresse 9] en contrefaçon de sa marque française « [A] » n°4277317 pour les produits et services visés en classes 33 et 43,
DECLARE irrecevable la demande reconventionnelle des sociétés Le Soufflot et [A] en nullité de l'enregistrement de la marque française « [Y] [A] » n°4860971,
PRONONCE la déchéance partielle, pour défaut d'usage sérieux, des droits de la société [Adresse 9] sur la marque verbale de l'Union européenne n°016074866 « [A] » pour les produits et services visés à son enregistrement en classes 32 et 39 et ce, à compter du 29 mai 2022,
ORDONNE la transmission du présent arrêt à l'initiative de la partie la plus diligente à l'EUIPO pour transcription de cette déchéance sur ses registres,
DIT que les sociétés Le Soufflot et [A] ont commis des actes de contrefaçon des marques française et de l'Union européenne « [Y] [A] » n°95581186 et 012831871 et des marques française et de l'Union européenne « [A] » n° 4277317 et 016074866,
DIT que les sociétés Le Soufflot et [A] ont commis des actes de concurrence déloyale distincts au préjudice de la société [Adresse 9],
CONDAMNE in solidum les sociétés Le Soufflot et [A] à payer à la société [Adresse 9] la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon de marques,
CONDAMNE in solidum les sociétés Le Soufflot et [A] à payer à la société [Adresse 9] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale,
FAIT interdiction aux sociétés Le Soufflot et [A] de faire usage, de quelque façon et à quelque titre que ce soit, des signes : « [A] », « [A] », « [A] RESTAURANT », seul ou en adjonction, pour désigner des services de restauration, de vente et de dégustation de vins,
ORDONNE le transfert des noms de domaine « www.[07].fr » et « www.[08].fr » au profit de la société Maisons des Grands Crus, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, laquelle commencera à courir à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt,
DIT n'y avoir lieu de se réserver la liquidation de l'astreinte,
DIT n'y avoir lieu de faire droit à la demande de publication judiciaire,
REJETTE la demande de destruction,
REJETTE la demande indemnitaire pour procédure abusive,
CONDAMNE in solidum les sociétés Le Soufflot et [A] aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, pour ces derniers, par la Selarl LX, représentée par Me Matthieu Boccon Gibod, avocat, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
CONDAMNE les sociétés Le Soufflot et [A] à payer chacune à la société [Adresse 9] la somme de 7 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.