CA Rennes, 4e ch., 13 novembre 2025, n° 25/01743
RENNES
Arrêt
Autre
4ème Chambre
ARRÊT N° 257
N° RG 25/01743
N° Portalis DBVL-V-B7J-VY6G
(Réf 1ère instance :
TC [Localité 3]
Ord de référé du 04.03.25
RG N° 2024003013)
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 NOVEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : M. Alain DESALBRES, Président de chambre,
Assesseur : Mme Valentine BUCK, Conseillère,
Assesseur : Mme Gwenola VELMANS, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Jean-Pierre CHAZAL, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 16 Septembre 2025, devant Mme Valentine BUCK, magistrat rapporteur, entendue en son rapport, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.S. IREM ENERGIES
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège [Adresse 2]
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Hervé BROSSEAU, Plaidant, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Delphine GHIGHI, Plaidant, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège [Adresse 4]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Jean-Marie GUÉGUEN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La société Total Energies Raffinage France (ci-après, TERF) a confié à la société KT Kinetics Technology (ci-après, KT) la réalisation de travaux dans le cadre d'un projet d'implantation d'une unité de désulfuration de gasoil sous vide sur son site à [Localité 1] (44 480). La société KT a conclu un contrat de sous-traitance soumis au droit italien avec la société Irem portant notamment sur des travaux de préfabrication de tuyauterie industrielle.
La société Irem a adressé 4 factures à hauteur de 2 554 847, 57 euros.
Le 5 février 2024, la société Irem a mis en demeure la société KT de lui régler lesdites factures.
Suivant courrier recommandé avec accusé de réception du 15 mars 2024, la société Irem a fait une demande de paiement direct entre les mains de la société TERF au titre de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975.
Disant tenir compte des ajustements de fin de chantier, la société Irem a émis un avoir partiel d'un montant de 118 382, 87 euros HT, soit 142 059,44 euros TTC, de sorte que l'action en paiement direct est engagée pour obtenir le paiement de la somme de 2 412 788, 15 euros TTC.
Le 2 août 2024, la société Irem a mis en demeure la société TERF, laquelle conteste le paiement de ladite somme au titre des articles 12 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.
Par acte du 13 novembre 2024, la société Irem a assigné la société TERF devant le juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Nazaire en paiement, par provision, de la somme de 2 412 788, 15 euros.
Par ordonnance en date du 4 mars 2025, le juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Nazaire a :
- constaté qu'il existe bien une contestation sérieuse entre la société Irem et la société TERF,
- dit qu'il n'y a pas lieu a référé et invité les parties à mieux se pourvoir devant les juges du fond si elles l'estiment nécessaire,
- jugé que la société Irem conservera à sa charge ses propres frais et dépens, sauf les frais de greffe ci-après,
- jugé que la société Irem Energies conservera à sa charge ses propres frais et dépens, en ce compris la totalité des frais de greffe apparaissant ci-après,
- liquidé les frais de greffe à la somme de 38, 65 euros, en ce compris TVA de 6,44 euros.
La société Irem Energies a relevé appel de cette décision le 19 mars 2025.
L'avis de fixation à bref délai du 24 mars 2025 a fixé la clôture et l'examen de l'affaire au 16 septembre 2025.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses premières conclusions du 15 mai 2025, la société Irem Energies demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue ;
Statuant à nouveau :
- juger que sa créance à l'encontre de la société TERF est certaine dans son principe,
- lui allouer une provision de 2 412 788,15 euros TTC au titre de l'action directe exercée,
- condamner la société TERF à lui payer la somme provisionnelle de 2 412 788,15 euros TTC au titre de l'action directe exercée,
- condamner la société TERF à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions du 16 septembre 2025, la société Irem Energies demande à la cour de :
- rejeter la demande de voir écarter des débats les conclusions n°2 d'Irem Energies et les pièces nouvelles communiquées le 12 septembre 2025, au motif erroné que tardives et ne permettant pas à Total Energies Raffinage France d'organiser sereinement sa défense, cette dernière ayant su notifier ses conclusions en défense n°3, circonstanciées, avant la clôture des débats;
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue ;
Statuant à nouveau :
- condamner la société TERF à lui payer la somme provisionnelle de 788.047,92 euros
Subsidiairement :
- déclarer recevable la demande d'Irem Energies de se voir allouer une provision sur le fondement de la responsabilité du maître d'ouvrage, laquelle ne constitue pas une demande nouvelle dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que la demande principale de se voir allouer une provision au titre de l'action directe, et qu'elle s'appuie sur des fautes déjà invoquées en première instance ;
- condamner la société Total Energies Raffinage France à payer à la société Irem Energies la somme provisionnelle de 899.026,38 euros ;
En tout état de cause :
- déclarer recevable sa demande de communication de pièces, laquelle constitue une mesure probatoire accessoire, nécessaire à la solution du litige, et recevable en tout état de cause en application des dispositions de l'article 11 du Code de procédure civile ;
- faire injonction à la société Total Energies Raffinage France de lui communiquer les documents suivants dans les 8 jours de l'arrêt à intervenir, sous astreinte définitive de 1.000 euros par jour de retard passé ce délai :
- les factures émises par KT à l'attention de TERF postérieurement au 6 février 2024, payées ou non, relatives à la réalisation du projet Horizon;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et demeurées impayées par TERF, relatives à la réalisation du projet Horizon ;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et payées par TERF, relatives à la réalisation du projet Horizon, outre les justificatifs de paiement de ces factures par TERF ;
- l'extrait du compte de KT dans les livres de TERF et le justificatif du paiement de toutes les factures KT par TERF.
- condamner la société Total Energies Raffinage France à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Total Energies Raffinage France aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Christophe Lhermitte, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses premières écritures en réplique du 9 juillet 2025, la société Total Energies Raffinage France demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- débouter la société Irem de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- en tout état de cause,
- condamner la société Irem à lui régler la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures du 15 septembre 2025, la société Total Energies Raffinage France demande à la cour de :
A titre liminaire :
- Ecarter des débat les conclusions IREM n°2 (et les pièces communiquées) régularisées le 12 septembre 2025 car tardives au regard du calendrier fixé par la juridiction dès le 25 mars 2025 et ne permettant pas à TERF d'organiser sereinement sa défense ;
- Déclarer la société IREM irrecevable, sur le fondement de l'article 910-4 du Code de procédure civile (dans sa rédaction applicable au présent litige), en ses demandes tendant à :
- « condamner la société Total Energies Raf'nage France à payer à la société Irem Energies la somme provisionnelle de 899.026,38 euros '' ;
- « faire injonction à la société Total Energies Raf'nage France de communiquer à la société Irem Energies les documents suivants dans les 8 jours de l'arrêt à intervenir, sous astreinte dé'nitive de 1.000 euros par jour de retard passé ce délai :
- les factures émises par KT à l'attention de TERF postérieurement au 6 février 2024, payées ou non, relatives à la réalisation du projet Horizon ;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et demeurées impayées par TERF, relatives àla réalisation du projet Horizon;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et payées par TERF, relatives à la réalisation du projet Horizon, outre les justi'catifs de paiement de ces factures par TERF ;
- l'extrait du compte de KT dans les livres de TERF et le justi'catif du paiement de toutes les factures KT par TERF ''
A titre principal,
- la juger recevable en ses conclusions,
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- débouter la société Irem de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- condamner la société Irem à lui régler la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la demande de rejet de conclusions tardives
La société TERF reproche à la société IREM d'avoir régularisé de nouvelles conclusions, le vendredi 12 septembre 2025, à 16 h 39 moins de 48h ouvrées avant la clôture et l'audience des plaidoiries, alors que le calendrier procédural était connu des parties depuis le 24 mars 2025. Elle précise que les nouvelles conclusions d'IREM passent de 7 à 22 pages, que la rédaction, les demandes formulées et les arguments sont nouveaux, qu'elle vise de nouvelles pièces, dans une numérotation anarchique, sans lien avec le précédent bordereau. Elle ajoute que son organisation impose des procédures normées et des délais de réponse assez longs, en particulier s'agissant d'une réponse judiciaire.
***
Selon l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait et de droit sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.
Selon l'article 16 alinéa un du même code, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
L'article 135 du même code prévoit que le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.
Il appartient au juge d'apprécier si les écritures et pièces de dernière heure sont de nature à compromettre les droits de la partie adverse et à porter atteinte au principe de la contradiction.
En l'espèce, la société IREM, appelante, a formalisé le rappel des faits, de la procédure, des demandes et des arguments dans des premières conclusions du 15 mai 2025 de 7 pages et accompagnées par un bordereau de 10 pièces. La société TERF y a répliqué par conclusions du 9 juillet 2025 de 20 pages et un bordereau de 17 pièces.
Or, le vendredi 12 septembre, à 16h39, moins de deux jours ouvrés avant la clôture et l'audience, la société IREM a notifié de nouvelles conclusions, avec une rédaction complètement nouvelle, multipliant par trois le nombre de pages et par deux le nombre de pièces, et modifiant la formulation des demandes.
Si ce procédé est pour le moins déloyal au regard du calendrier de procédure connu et des contraintes organisationnelles, matérielles et personnelles qu'il impose à la société TERF, force est de constater que cette-dernière a pu répliquer, de manière circonstanciée, aux conclusions de la société IREM. N'ayant pas été dans l'impossibilité de répondre aux conclusions adverses et en l'absence d'atteinte au principe du contradictoire, les dernières conclusions de la société IREM du 12 septembre 2025 actualisées le 16 septembre 2025 ne seront pas écartées.
Sur la demande de provision
- sur l'irrecevabilité d'une demande nouvelle
La société TERF demande de déclarer irrecevables, en application de l'article 910-4 du code de procédure civile (dans sa rédaction applicable en l'espèce) sa demande de condamnation de TERF à la somme de 899.026,38 euros, à titre de provision, pour violation de ses obligations au titre de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.
Se fondant sur l'article 565 du code de procédure civile, la société IREM réplique qu'elle maintient en appel sa demande de provision sollicitée en première instance mais sur d'autres fondements.
***
La cour constate que l'article 910-4 du code de procédure civile a été abrogé par décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023. Il n'est donc pas applicable à l'instance introduite le 19 mars 2025.
Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Enfin, selon l'article 566 du même code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire, la société IREM a demandé la condamnation de la société TERF au paiement d'une somme provisionnelle à hauteur de 2 412 788, 15 euros au titre des travaux qu'elle a effectués, sur le fondement de l'action directe prévue par la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance.
En appel, elle continue à demander le versement d'une provision, après déduction des sommes demandées devant une instance arbitrale, au motif :
- d'une part, qu'elle a mis en demeure l'entreprise principale en vain de lui régler les sommes dues conformément à l'article 12 de la loi de 1975, à laquelle elle n'a pas renoncé dans le Memorandum of Understanding n°2 qu'elle a signé avec la société KT, contractant général, et que la société TERF ne prouve pas avoir déjà réglé cette somme à la société KT, contractant général en application de l'article 13 de la loi 1975 ;
- d'autre part, que le maître d'ouvrage a commis des fautes en ne respectant pas ses obligations prévues à l'article 14-1 de la loi de 1975 consistant à veiller à ce que l'entrepreneur principal constitue une garantie de paiement au profit du sous-traitant.
Il en résulte que les prétentions de la société IREM sont toujours la condamnation du maître de l'ouvrage au paiement d'une somme provisionnelle en application de la loi de 1975 sur la sous-traitance. Ces prétentions ne sont pas nouvelles, même si les fondements évoluent, et sont donc recevables.
- Sur la demande de provision
Le juge des référés a débouté la société IREM de sa demande de provision aux motifs notamment que la nullité du contrat de sous-traitance, son exécution volontaire, la responsabilité du maître de l'ouvrage, la renonciation à la loi sur la sous-traitance via un Memorandum of Understanding et l'absence prétendue de dette entre le maître d'ouvrage (TERF) et l'entrepreneur principal (KT) à la date de la mise en demeure, font l'objet de contestations sérieuses.
La société IREM expose que la loi sur la sous-traitance est impérative, indépendamment de la désignation du droit applicable dans le contrat, et donc opposable à la société TERF. Elle ne peut pas renoncer, notamment par un Memorandum, au bénéfice de cette loi. Elle précise avoir adressé à la société TERF par lettres recommandées les sommes dues par la société KT, contractant général conformément à l'article 12 de la loi de 1975. Elle soutient qu'à la date de ses mises en demeure, la société TERF était redevable d'une somme d'argent auprès de la société KT pour l'ensemble des prestations exécutées, qui ont été réceptionnées sans réserve. En tout état de cause, elle considère que la société TERF a failli à ses obligations de s'assurer que la société KT avait une caution ou une garantie de paiement.
La société TERF réplique que la société KT a été contrainte de résilier le contrat avec la société IREM en raison de fautes commises et du retard, qu'elles ont d'ailleurs conclu entre elles des accords transactionnels interprétant leur contrat et désignant un tribunal arbitral en cas de conflit. Elle considère que la société IREM a expressément renoncé dans ces accords le 6 octobre 2022 au béné'ce de la loi de 1975 et donc à l'action directe et qu'en tout état de cause, l'interprétation de l'accord transactionnel ou l'appréciation de la validité ou de la portée de la renonciation au béné'ce des dispositions de la loi de 1975 relative à la sous-traitance ne peut pas relever du juge des référés, juge de l'évidence. En tout état de cause, elle conteste le montant de la créance, les procédures contractuelles de facturation nécessitant l'autorisation de la société KT n'ayant pas été respectées, et la société KT ayant émis des réserves sur les prestations de la société IREM, ce différend relevant d'un tribunal arbitral à Rome. Elle ajoute qu'aucune somme n'était due par elle à la société KT au jour de la réception des mises en demeure de la société IREM et que l'interprétation de la loi de 1975 sur la notion de 'somme due' constitue une contestation sérieuse.
Sur le terrain de la responsabilité pour défaut de cautionnement, la société TERF considère que l'appréciation d'une faute relève du juge du fond. Elle soutient que c'est en parfaite connaissance de cause que la société IREM a poursuivi l'exécution du contrat malgré l'absence de caution et qu'elle a donc renoncé au bénéfice de la loi de 1975, et a couvert la nullité relative du contrat et qu'en tout état de cause, elle avait mis en demeure la société KT de mettre en place ce cautionnement.
***
Selon l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal du commerce peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En l'espèce, c'est à juste titre que le premier juge a débouté la société IREM de sa demande de provision.
En effet, l'application impérative de la loi de 1975 dans les relations entre le maitre d'ouvrage et le sous-traitant fait l'objet d'une contestation sérieuse en raison du Memorandum of Understanding n°2 du 6 octobre 2022 signé entre la société IREM et l'entrepreneur principal par lequel la société IREM, en reconnaissant l'application du droit italien au contrat, aurait renoncé au bénéfice de la loi de 1975.
En tout état de cause, les sommes dues à la société IREM font l'objet de contestations sérieuses tant par la société TERF qui estime avoir déjà réglé entre les mains de la société KT les sommes régulièrement facturées au moment où le sous-traitant a exercé son action directe, que par la société KT qui rejette l'existence de sommes encore à devoir, dans leur principe, leur quantum et dans les modalités de facturation, un tribunal arbitral à Rome étant d'ailleurs saisi de différends l'opposant à la société IREM.
Ensuite, les conséquences d'un défaut de cautionnement se heurtent aux questions de l'exécution volontaire du contrat de sous-traitance par la société IREM en connaissance de cause du vice l'affectant, et de l'existence d'une faute du maître de l'ouvrage ainsi que d'un préjudice, dont l'appréciation relève des juges du fond.
L'ordonnance de référé sera donc confirmée de ce chef.
Sur la demande de production forcée de pièces
La société TERF demande de déclarer irrecevables, en application de l'article 910-4 du code de procédure civile (dans sa rédaction applicable en l'espèce) la demande de la société IREM de production forcée d'un certain nombre de pièces sous astreinte, sur le fondement de I'article 11, alinéa 2 du c ode de procédure civile.
Se fondant ensuite sur l'article 11 du code de procédure civile, la société IREM considère que toute demande de communication de pièces nécessaires à la solution du litige, accessoire à une demande principale, peut être formulée en tout état de cause.
***
En l'espèce, la demande de communication de factures établies par la société KT à l'attention de la société TERF, de l'extrait du compte dans les livres de TERF et des justificatifs de paiement est accessoire aux demandes liées à l'examen des conditions d'application de l'action directe. Elle est donc recevable en application de l'article 566 du code de procédure civile.
Cependant, la demande principale de provision se heurtant aux contestations sérieuses exposées ci-dessus, la demande en référé de production forcée d'un élément de preuve nécessaire à la solution du litige sera rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant à l'instance, la société IREM sera condamnée à payer à la société TERF la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare recevables mais rejette les demandes de la société TERF de :
- Ecarter des débats les conclusions IREM n°2 (et les pièces communiquées) régularisées le 12 septembre 2025 car tardives au regard du calendrier fixé par la juridiction dès le 25 mars 2025 et ne permettant pas à TERF d'organiser sereinement sa défense ;
- Déclarer la société IREM irrecevable, sur le fondement de l'article 910-4 du code de procédure civile (dans sa rédaction applicable au présent litige), en ses demandes tendant à :
- « condamner la société Total Energies Raf'nage France à payer à la société Irem Energies la somme provisionnelle de 899.026,38 euros '' ;
- « faire injonction à la société Total Energies Raf'nage France de communiquer à la société Irem Energies les documents suivants dans les 8 jours de l'arrêt à intervenir, sous astreinte dé'nitive de 1.000 euros par jour de retard passé ce délai :
- les factures émises par KT à l'attention de TERF postérieurement au 6 février 2024, payées ou non, relatives à la réalisation du projet Horizon ;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et demeurées impayées par TERF, relatives àla réalisation du projet Horizon;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et payées par TERF, relatives à la réalisation du projet Horizon, outre les justi'catifs de paiement de ces factures par TERF ;
- l'extrait du compte de KT dans les livres de TERF et le justi'catif du paiement de toutes les factures KT par TERF;
Confirme l'ordonnance en date du 4 mars 2025 du juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Nazaire
Y ajoutant
Déboute la société IREM Energies de sa demande de communication sous astreinte de :
- les factures émises par KT à l'attention de TERF postérieurement au 6 février 2024, payées ou non, relatives à la réalisation du projet Horizon ;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et demeurées impayées par TERF, relatives àla réalisation du projet Horizon;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et payées par TERF, relatives à la réalisation du projet Horizon, outre les justi'catifs de paiement de ces factures par TERF ;
- l'extrait du compte de KT dans les livres de TERF et le justi'catif du paiement de toutes les factures KT par TERF;
Condamne la société IREM Energies à payer à la société TERF la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la société IREM Energies aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Le Greffier, Le Président,
ARRÊT N° 257
N° RG 25/01743
N° Portalis DBVL-V-B7J-VY6G
(Réf 1ère instance :
TC [Localité 3]
Ord de référé du 04.03.25
RG N° 2024003013)
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 NOVEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : M. Alain DESALBRES, Président de chambre,
Assesseur : Mme Valentine BUCK, Conseillère,
Assesseur : Mme Gwenola VELMANS, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Jean-Pierre CHAZAL, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 16 Septembre 2025, devant Mme Valentine BUCK, magistrat rapporteur, entendue en son rapport, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.S. IREM ENERGIES
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège [Adresse 2]
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Hervé BROSSEAU, Plaidant, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Delphine GHIGHI, Plaidant, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège [Adresse 4]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Jean-Marie GUÉGUEN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La société Total Energies Raffinage France (ci-après, TERF) a confié à la société KT Kinetics Technology (ci-après, KT) la réalisation de travaux dans le cadre d'un projet d'implantation d'une unité de désulfuration de gasoil sous vide sur son site à [Localité 1] (44 480). La société KT a conclu un contrat de sous-traitance soumis au droit italien avec la société Irem portant notamment sur des travaux de préfabrication de tuyauterie industrielle.
La société Irem a adressé 4 factures à hauteur de 2 554 847, 57 euros.
Le 5 février 2024, la société Irem a mis en demeure la société KT de lui régler lesdites factures.
Suivant courrier recommandé avec accusé de réception du 15 mars 2024, la société Irem a fait une demande de paiement direct entre les mains de la société TERF au titre de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975.
Disant tenir compte des ajustements de fin de chantier, la société Irem a émis un avoir partiel d'un montant de 118 382, 87 euros HT, soit 142 059,44 euros TTC, de sorte que l'action en paiement direct est engagée pour obtenir le paiement de la somme de 2 412 788, 15 euros TTC.
Le 2 août 2024, la société Irem a mis en demeure la société TERF, laquelle conteste le paiement de ladite somme au titre des articles 12 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.
Par acte du 13 novembre 2024, la société Irem a assigné la société TERF devant le juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Nazaire en paiement, par provision, de la somme de 2 412 788, 15 euros.
Par ordonnance en date du 4 mars 2025, le juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Nazaire a :
- constaté qu'il existe bien une contestation sérieuse entre la société Irem et la société TERF,
- dit qu'il n'y a pas lieu a référé et invité les parties à mieux se pourvoir devant les juges du fond si elles l'estiment nécessaire,
- jugé que la société Irem conservera à sa charge ses propres frais et dépens, sauf les frais de greffe ci-après,
- jugé que la société Irem Energies conservera à sa charge ses propres frais et dépens, en ce compris la totalité des frais de greffe apparaissant ci-après,
- liquidé les frais de greffe à la somme de 38, 65 euros, en ce compris TVA de 6,44 euros.
La société Irem Energies a relevé appel de cette décision le 19 mars 2025.
L'avis de fixation à bref délai du 24 mars 2025 a fixé la clôture et l'examen de l'affaire au 16 septembre 2025.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses premières conclusions du 15 mai 2025, la société Irem Energies demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue ;
Statuant à nouveau :
- juger que sa créance à l'encontre de la société TERF est certaine dans son principe,
- lui allouer une provision de 2 412 788,15 euros TTC au titre de l'action directe exercée,
- condamner la société TERF à lui payer la somme provisionnelle de 2 412 788,15 euros TTC au titre de l'action directe exercée,
- condamner la société TERF à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions du 16 septembre 2025, la société Irem Energies demande à la cour de :
- rejeter la demande de voir écarter des débats les conclusions n°2 d'Irem Energies et les pièces nouvelles communiquées le 12 septembre 2025, au motif erroné que tardives et ne permettant pas à Total Energies Raffinage France d'organiser sereinement sa défense, cette dernière ayant su notifier ses conclusions en défense n°3, circonstanciées, avant la clôture des débats;
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue ;
Statuant à nouveau :
- condamner la société TERF à lui payer la somme provisionnelle de 788.047,92 euros
Subsidiairement :
- déclarer recevable la demande d'Irem Energies de se voir allouer une provision sur le fondement de la responsabilité du maître d'ouvrage, laquelle ne constitue pas une demande nouvelle dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que la demande principale de se voir allouer une provision au titre de l'action directe, et qu'elle s'appuie sur des fautes déjà invoquées en première instance ;
- condamner la société Total Energies Raffinage France à payer à la société Irem Energies la somme provisionnelle de 899.026,38 euros ;
En tout état de cause :
- déclarer recevable sa demande de communication de pièces, laquelle constitue une mesure probatoire accessoire, nécessaire à la solution du litige, et recevable en tout état de cause en application des dispositions de l'article 11 du Code de procédure civile ;
- faire injonction à la société Total Energies Raffinage France de lui communiquer les documents suivants dans les 8 jours de l'arrêt à intervenir, sous astreinte définitive de 1.000 euros par jour de retard passé ce délai :
- les factures émises par KT à l'attention de TERF postérieurement au 6 février 2024, payées ou non, relatives à la réalisation du projet Horizon;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et demeurées impayées par TERF, relatives à la réalisation du projet Horizon ;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et payées par TERF, relatives à la réalisation du projet Horizon, outre les justificatifs de paiement de ces factures par TERF ;
- l'extrait du compte de KT dans les livres de TERF et le justificatif du paiement de toutes les factures KT par TERF.
- condamner la société Total Energies Raffinage France à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Total Energies Raffinage France aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Christophe Lhermitte, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses premières écritures en réplique du 9 juillet 2025, la société Total Energies Raffinage France demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- débouter la société Irem de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- en tout état de cause,
- condamner la société Irem à lui régler la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures du 15 septembre 2025, la société Total Energies Raffinage France demande à la cour de :
A titre liminaire :
- Ecarter des débat les conclusions IREM n°2 (et les pièces communiquées) régularisées le 12 septembre 2025 car tardives au regard du calendrier fixé par la juridiction dès le 25 mars 2025 et ne permettant pas à TERF d'organiser sereinement sa défense ;
- Déclarer la société IREM irrecevable, sur le fondement de l'article 910-4 du Code de procédure civile (dans sa rédaction applicable au présent litige), en ses demandes tendant à :
- « condamner la société Total Energies Raf'nage France à payer à la société Irem Energies la somme provisionnelle de 899.026,38 euros '' ;
- « faire injonction à la société Total Energies Raf'nage France de communiquer à la société Irem Energies les documents suivants dans les 8 jours de l'arrêt à intervenir, sous astreinte dé'nitive de 1.000 euros par jour de retard passé ce délai :
- les factures émises par KT à l'attention de TERF postérieurement au 6 février 2024, payées ou non, relatives à la réalisation du projet Horizon ;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et demeurées impayées par TERF, relatives àla réalisation du projet Horizon;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et payées par TERF, relatives à la réalisation du projet Horizon, outre les justi'catifs de paiement de ces factures par TERF ;
- l'extrait du compte de KT dans les livres de TERF et le justi'catif du paiement de toutes les factures KT par TERF ''
A titre principal,
- la juger recevable en ses conclusions,
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- débouter la société Irem de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- condamner la société Irem à lui régler la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la demande de rejet de conclusions tardives
La société TERF reproche à la société IREM d'avoir régularisé de nouvelles conclusions, le vendredi 12 septembre 2025, à 16 h 39 moins de 48h ouvrées avant la clôture et l'audience des plaidoiries, alors que le calendrier procédural était connu des parties depuis le 24 mars 2025. Elle précise que les nouvelles conclusions d'IREM passent de 7 à 22 pages, que la rédaction, les demandes formulées et les arguments sont nouveaux, qu'elle vise de nouvelles pièces, dans une numérotation anarchique, sans lien avec le précédent bordereau. Elle ajoute que son organisation impose des procédures normées et des délais de réponse assez longs, en particulier s'agissant d'une réponse judiciaire.
***
Selon l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait et de droit sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.
Selon l'article 16 alinéa un du même code, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
L'article 135 du même code prévoit que le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.
Il appartient au juge d'apprécier si les écritures et pièces de dernière heure sont de nature à compromettre les droits de la partie adverse et à porter atteinte au principe de la contradiction.
En l'espèce, la société IREM, appelante, a formalisé le rappel des faits, de la procédure, des demandes et des arguments dans des premières conclusions du 15 mai 2025 de 7 pages et accompagnées par un bordereau de 10 pièces. La société TERF y a répliqué par conclusions du 9 juillet 2025 de 20 pages et un bordereau de 17 pièces.
Or, le vendredi 12 septembre, à 16h39, moins de deux jours ouvrés avant la clôture et l'audience, la société IREM a notifié de nouvelles conclusions, avec une rédaction complètement nouvelle, multipliant par trois le nombre de pages et par deux le nombre de pièces, et modifiant la formulation des demandes.
Si ce procédé est pour le moins déloyal au regard du calendrier de procédure connu et des contraintes organisationnelles, matérielles et personnelles qu'il impose à la société TERF, force est de constater que cette-dernière a pu répliquer, de manière circonstanciée, aux conclusions de la société IREM. N'ayant pas été dans l'impossibilité de répondre aux conclusions adverses et en l'absence d'atteinte au principe du contradictoire, les dernières conclusions de la société IREM du 12 septembre 2025 actualisées le 16 septembre 2025 ne seront pas écartées.
Sur la demande de provision
- sur l'irrecevabilité d'une demande nouvelle
La société TERF demande de déclarer irrecevables, en application de l'article 910-4 du code de procédure civile (dans sa rédaction applicable en l'espèce) sa demande de condamnation de TERF à la somme de 899.026,38 euros, à titre de provision, pour violation de ses obligations au titre de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.
Se fondant sur l'article 565 du code de procédure civile, la société IREM réplique qu'elle maintient en appel sa demande de provision sollicitée en première instance mais sur d'autres fondements.
***
La cour constate que l'article 910-4 du code de procédure civile a été abrogé par décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023. Il n'est donc pas applicable à l'instance introduite le 19 mars 2025.
Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Enfin, selon l'article 566 du même code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire, la société IREM a demandé la condamnation de la société TERF au paiement d'une somme provisionnelle à hauteur de 2 412 788, 15 euros au titre des travaux qu'elle a effectués, sur le fondement de l'action directe prévue par la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance.
En appel, elle continue à demander le versement d'une provision, après déduction des sommes demandées devant une instance arbitrale, au motif :
- d'une part, qu'elle a mis en demeure l'entreprise principale en vain de lui régler les sommes dues conformément à l'article 12 de la loi de 1975, à laquelle elle n'a pas renoncé dans le Memorandum of Understanding n°2 qu'elle a signé avec la société KT, contractant général, et que la société TERF ne prouve pas avoir déjà réglé cette somme à la société KT, contractant général en application de l'article 13 de la loi 1975 ;
- d'autre part, que le maître d'ouvrage a commis des fautes en ne respectant pas ses obligations prévues à l'article 14-1 de la loi de 1975 consistant à veiller à ce que l'entrepreneur principal constitue une garantie de paiement au profit du sous-traitant.
Il en résulte que les prétentions de la société IREM sont toujours la condamnation du maître de l'ouvrage au paiement d'une somme provisionnelle en application de la loi de 1975 sur la sous-traitance. Ces prétentions ne sont pas nouvelles, même si les fondements évoluent, et sont donc recevables.
- Sur la demande de provision
Le juge des référés a débouté la société IREM de sa demande de provision aux motifs notamment que la nullité du contrat de sous-traitance, son exécution volontaire, la responsabilité du maître de l'ouvrage, la renonciation à la loi sur la sous-traitance via un Memorandum of Understanding et l'absence prétendue de dette entre le maître d'ouvrage (TERF) et l'entrepreneur principal (KT) à la date de la mise en demeure, font l'objet de contestations sérieuses.
La société IREM expose que la loi sur la sous-traitance est impérative, indépendamment de la désignation du droit applicable dans le contrat, et donc opposable à la société TERF. Elle ne peut pas renoncer, notamment par un Memorandum, au bénéfice de cette loi. Elle précise avoir adressé à la société TERF par lettres recommandées les sommes dues par la société KT, contractant général conformément à l'article 12 de la loi de 1975. Elle soutient qu'à la date de ses mises en demeure, la société TERF était redevable d'une somme d'argent auprès de la société KT pour l'ensemble des prestations exécutées, qui ont été réceptionnées sans réserve. En tout état de cause, elle considère que la société TERF a failli à ses obligations de s'assurer que la société KT avait une caution ou une garantie de paiement.
La société TERF réplique que la société KT a été contrainte de résilier le contrat avec la société IREM en raison de fautes commises et du retard, qu'elles ont d'ailleurs conclu entre elles des accords transactionnels interprétant leur contrat et désignant un tribunal arbitral en cas de conflit. Elle considère que la société IREM a expressément renoncé dans ces accords le 6 octobre 2022 au béné'ce de la loi de 1975 et donc à l'action directe et qu'en tout état de cause, l'interprétation de l'accord transactionnel ou l'appréciation de la validité ou de la portée de la renonciation au béné'ce des dispositions de la loi de 1975 relative à la sous-traitance ne peut pas relever du juge des référés, juge de l'évidence. En tout état de cause, elle conteste le montant de la créance, les procédures contractuelles de facturation nécessitant l'autorisation de la société KT n'ayant pas été respectées, et la société KT ayant émis des réserves sur les prestations de la société IREM, ce différend relevant d'un tribunal arbitral à Rome. Elle ajoute qu'aucune somme n'était due par elle à la société KT au jour de la réception des mises en demeure de la société IREM et que l'interprétation de la loi de 1975 sur la notion de 'somme due' constitue une contestation sérieuse.
Sur le terrain de la responsabilité pour défaut de cautionnement, la société TERF considère que l'appréciation d'une faute relève du juge du fond. Elle soutient que c'est en parfaite connaissance de cause que la société IREM a poursuivi l'exécution du contrat malgré l'absence de caution et qu'elle a donc renoncé au bénéfice de la loi de 1975, et a couvert la nullité relative du contrat et qu'en tout état de cause, elle avait mis en demeure la société KT de mettre en place ce cautionnement.
***
Selon l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal du commerce peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En l'espèce, c'est à juste titre que le premier juge a débouté la société IREM de sa demande de provision.
En effet, l'application impérative de la loi de 1975 dans les relations entre le maitre d'ouvrage et le sous-traitant fait l'objet d'une contestation sérieuse en raison du Memorandum of Understanding n°2 du 6 octobre 2022 signé entre la société IREM et l'entrepreneur principal par lequel la société IREM, en reconnaissant l'application du droit italien au contrat, aurait renoncé au bénéfice de la loi de 1975.
En tout état de cause, les sommes dues à la société IREM font l'objet de contestations sérieuses tant par la société TERF qui estime avoir déjà réglé entre les mains de la société KT les sommes régulièrement facturées au moment où le sous-traitant a exercé son action directe, que par la société KT qui rejette l'existence de sommes encore à devoir, dans leur principe, leur quantum et dans les modalités de facturation, un tribunal arbitral à Rome étant d'ailleurs saisi de différends l'opposant à la société IREM.
Ensuite, les conséquences d'un défaut de cautionnement se heurtent aux questions de l'exécution volontaire du contrat de sous-traitance par la société IREM en connaissance de cause du vice l'affectant, et de l'existence d'une faute du maître de l'ouvrage ainsi que d'un préjudice, dont l'appréciation relève des juges du fond.
L'ordonnance de référé sera donc confirmée de ce chef.
Sur la demande de production forcée de pièces
La société TERF demande de déclarer irrecevables, en application de l'article 910-4 du code de procédure civile (dans sa rédaction applicable en l'espèce) la demande de la société IREM de production forcée d'un certain nombre de pièces sous astreinte, sur le fondement de I'article 11, alinéa 2 du c ode de procédure civile.
Se fondant ensuite sur l'article 11 du code de procédure civile, la société IREM considère que toute demande de communication de pièces nécessaires à la solution du litige, accessoire à une demande principale, peut être formulée en tout état de cause.
***
En l'espèce, la demande de communication de factures établies par la société KT à l'attention de la société TERF, de l'extrait du compte dans les livres de TERF et des justificatifs de paiement est accessoire aux demandes liées à l'examen des conditions d'application de l'action directe. Elle est donc recevable en application de l'article 566 du code de procédure civile.
Cependant, la demande principale de provision se heurtant aux contestations sérieuses exposées ci-dessus, la demande en référé de production forcée d'un élément de preuve nécessaire à la solution du litige sera rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant à l'instance, la société IREM sera condamnée à payer à la société TERF la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare recevables mais rejette les demandes de la société TERF de :
- Ecarter des débats les conclusions IREM n°2 (et les pièces communiquées) régularisées le 12 septembre 2025 car tardives au regard du calendrier fixé par la juridiction dès le 25 mars 2025 et ne permettant pas à TERF d'organiser sereinement sa défense ;
- Déclarer la société IREM irrecevable, sur le fondement de l'article 910-4 du code de procédure civile (dans sa rédaction applicable au présent litige), en ses demandes tendant à :
- « condamner la société Total Energies Raf'nage France à payer à la société Irem Energies la somme provisionnelle de 899.026,38 euros '' ;
- « faire injonction à la société Total Energies Raf'nage France de communiquer à la société Irem Energies les documents suivants dans les 8 jours de l'arrêt à intervenir, sous astreinte dé'nitive de 1.000 euros par jour de retard passé ce délai :
- les factures émises par KT à l'attention de TERF postérieurement au 6 février 2024, payées ou non, relatives à la réalisation du projet Horizon ;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et demeurées impayées par TERF, relatives àla réalisation du projet Horizon;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et payées par TERF, relatives à la réalisation du projet Horizon, outre les justi'catifs de paiement de ces factures par TERF ;
- l'extrait du compte de KT dans les livres de TERF et le justi'catif du paiement de toutes les factures KT par TERF;
Confirme l'ordonnance en date du 4 mars 2025 du juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Nazaire
Y ajoutant
Déboute la société IREM Energies de sa demande de communication sous astreinte de :
- les factures émises par KT à l'attention de TERF postérieurement au 6 février 2024, payées ou non, relatives à la réalisation du projet Horizon ;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et demeurées impayées par TERF, relatives àla réalisation du projet Horizon;
- les factures émises par KT à l'attention de TERF antérieurement au 6 février 2024 et payées par TERF, relatives à la réalisation du projet Horizon, outre les justi'catifs de paiement de ces factures par TERF ;
- l'extrait du compte de KT dans les livres de TERF et le justi'catif du paiement de toutes les factures KT par TERF;
Condamne la société IREM Energies à payer à la société TERF la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la société IREM Energies aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Le Greffier, Le Président,