CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 13 novembre 2025, n° 21/16020
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 13 NOVEMBRE 2025
Rôle N° RG 21/16020 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIMMX
S.C.I. JULMAR
C/
[B] [H]
Copie exécutoire délivrée
le : 13 Novembre 2025
à :
Me Alain-david POTHET
Me Paul GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 6] en date du 14 Octobre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00483.
APPELANTE
S.C.I. JULMAR
agissant poursuites et diligences de son gérant Monsieur [S] [G]
, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Alain-david POTHET de la SELAS CABINET POTHET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMEE
Madame [B] [H]
entrepreneur individuel exerçant sous l'enseigne 'Bde bambou'
, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Maud DAVAL-GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Jérôme LEFORT, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Sandra THENOT, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 806 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Septembre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller Rapporteur,
et Madame Gaëlle MARTIN, conseiller- rapporteur,
chargés du rapport qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente
Madame Laetitia VIGNON, Conseillère
Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2025.
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Le 21 février 2001, M. [L] [O] et son épouse, Mme [I] [M], ont constitué une société civile immobilière dénommée SCI Julmar.
Le 3 février 2009, la SCI Julmar a conclu un bail commercial saisonnier de courte durée dérogatoire au statut des baux commerciaux avec Mme [B] [H] portant sur un local commercial d'environ 40 m² situé en rez-de-chaussée sur rue d'un immeuble sis [Adresse 1], pour une durée maximale de douze mois consécutifs commençant à courir le 15 mars 2009 et prenant fin le 15 mars 2010, moyennant un loyer annuel de 15.250 € pour permettre l'exercice de l'activité de vente de prêt à porter enfants et femmes, tous textiles accessoires et cadeaux.
La SCI Julmar a renouvelé le bail commercial saisonnier de courte durée de Mme [B] [H], pour les périodes du 16 mars 2010 au 14 janvier 2011 et du 15 février 2011 au 14 janvier 2012.
M. [L] [O] est décédé le 26 mai 2012 laissant son épouse, Mme [I] [O] seule héritière et devenant seule associée de la SCI Julmar.
Postérieurement au décès de M. [O], la SCI Julmar a renouvelé à deux reprises, le bail de courte durée à Mme [B] [H], pour les périodes du 20 février 2012 au 20 janvier 2013 et du 1er mars 2014 au 31 janvier 2015.
Suivant décision de l'assemblée générale ordinaire de la SCI Julmar du 19 mars 2015, M. [V] [G], fils de Mme [I] [O], a été désigné co-gérant de la SCI Julmar.
Suivant ordonnance du 14 septembre 2015, le juge des tutelles près le tribunal d'instance de Fréjus a placé Mme [I] [E] sous sauvegarde de justice et désigné Mme [A] [T], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, pour l'accomplissement de certains actes déterminés.
Le 15 janvier 2016, la SCI Julmar, représentée par son co-gérant M. [V] [J], a renouvelé le bail commercial de Mme [B] [H] pour une durée de neuf années à compter du 1er février 2016 et jusqu'au 31 janvier 2025, pour la même destination que les précédents baux et moyennant un loyer annuel de 27.300 € HT.
Suivant ordonnance du 23 juin 2016, le juge des tutelles a placé Mme [I] [O] sous tutelle.
Suivant deux procès-verbaux du 29 décembre 2017, M. [S] [G], frère de M. [V] [G], a été désigné associé unique et seul gérant de la SCI Julmar.
Mme [I] [O] est décédée le 18 septembre 2018.
Par acte du 11 janvier 2019, la SCI Julmar a fait assigner Mme [B] [H] devant le tribunal de grande instance de Draguignan afin d'obtenir l'annulation de l'assemblée générale du 15 mars 2015 ainsi que celle du bail souscrit le 15 janvier 2016 pour défaut de capacité de l'une des parties et l'expulsion de la locataire des lieux.
Par jugement du 14 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Draguignan a:
- déclaré l'action de la SCI Julmar prescrite,
- condamné la SCI Julmar à payer à Mme [B] [H], exerçant sous l'enseigne B De Bambou, la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Julmar aux dépens et autorisé Me [Y] à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.
Le tribunal a retenu , notamment, que:
- l'action de la SCI Julmar n'est pas prescrite sur le fondement de l'article L 145-60 du code de commerce en ce qu'elle n'est pas fondée sur le statut des baux commerciaux dès lors qu'il s'agit d'une demande tendant à voir annuler un bail commercial en raison du défaut de capacité de l'une des parties avec pour conséquence que la prescription biennale édictée à cet article n'est pas applicable,
- la SCI Julmar soutient que le bail litigieux signé par M. [G], en sa qualité de co-gérant est nul car l'assemblée générale du 19 mars 2015 est nulle en raison de l'incapacité de Mme [O] lorsque cette assemblée s'est tenue,
- toutefois, l'action en nullité de cette assemblée est prescrite en vertu de l'article 1844-14 du code civil,
- la régularité de l'assemblée générale du 19 mars 2015 ne pouvant plus être attaquée quels que soient les motifs invoqués, la question de la capacité de Mme [D] à signer le procès-verbal de cette assemblée ou de son état mental à cette époque, est dénuée d'intérêt.
Par déclaration en date du 15 novembre 2021, la SCI Julmar a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 31 juillet 2024, la SCI Julmar demande à la cour de:
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Vu les articles 435, 901 et 2224 du code civil,
- annuler l'assemblée générale de la SCI Julmar du 19 mars 2015,
- annuler le bail souscrit le 15 janvier 2016,
- ordonner l'expulsion de Mme [B] [H], ainsi que de tous occupants de son chef, des lieux loués sis [Adresse 3], sous astreinte de 250 € par jour de retard à compter du mois suivant la signification de la décision à intervenir,
- dire qu'à défaut d'exécution volontaire, l'expulsion pourra avoir lieu avec l'assistance de la force publique et l'aide d'un serrurier, conformément aux dispositions des articles L 411-1, L 412-2 et L 412-5 du code des procédures civiles d'exécution,
- inviter le tribunal à se faire communiquer préparatoirement à son délibéré, le procès-verabl d'audition du 2 juin 206, qui avait fait l'objet d'un courrier du 7 octobre 2019,
- condamner Mme [B] [H] au paiement de la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [B] [H] aux entiers dépens tant de première instance que d'appel, qui comprendront la contribution à hauteur de 225 € et dire que la SELAS Cabinet Pothet, pourra recouvrer directement ceux dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Mme [B] [H], suivant ses dernières conclusions déposées et notifiées le 7 septembre 2023, demande à la cour de:
Vu l'article 31 du code de procédure civile,
Vu l'article L 145-60 du code de commerce,
Vu les articles 2 et 1240 du code civil,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Si la cour devait entrer en voie d'infirmation du jugement attaqué, et statuant de nouveau, il est demandé à la cour de:
- déclarer prescrite l'action en nullité de la SCI Julmar à l'encontre du bail commercial conclu le 15 janvier 2016,
- déclarer irrecevable la SCI Julmar en son action faute de justifier d'un intérêt légitime à agir en justice,
Sur le fond,
Sur la demande de la SCI Julmar représentée par M. [S] [G]:
- rejeter la demande d'annulation du bail commercial du 15 janvier 0216 signé entre la SCI Julmar et Mme [B] [H],
Par voie de conséquence,
- rejeter la demande d'expulsion des lieux loués, sis [Adresse 5] formulée par la SCI Julmar à l'encontre de Mme [B] [H],
En tout état de cause,
- condamner la SCI Julmar à payer à Mme [B] [H] la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SCI Julmar aux entiers dépens distraits au profit fr la SCP Cohen-Guedj-Montero-Daval Guedj sur ses offres de droit outre ceux de première instance.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 9 septembre 2025.
MOTIFS
Sur la prescription de l'action de la SCI Julmar
Celle-ci entend obtenir d'une part, l'annulation de l'assemblée générale de la société du 19 mars 2015 désignant M. [V] [G] en qualité de co-gérant et d'autre part, l'annulation subséquente du bail commercial du 15 janvier 2016 dont Mme [B] [H] a obtenu la souscription à son profit par la SCI Julmar, qui était alors représentée M. [V] [G], son compagnon, à la faveur de l'assemblée générale querellée.
Comme le fait valoir à juste titre la SCI Julmar, l'action en nullité du bail commercial signé le 15 janvier 2016 n'est pas fondée sur le statut des baux commerciaux en ce que celle-ci ne conteste pas que ce bail confère à Mme [B] [H] un tel statut, de sorte qu'elle n'est pas soumise à la prescription biennale édicté à l'article L 145-60 du code de commerce. En effet, la SCI Julmar entend voir annuler le bail litigieux en raison du défaut de capacité de l'une des parties, une telle action relevant du droit général des contrats et se prescrivant par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil.
Il s'ensuit que l'action en nullité du bail commercial régularisé le 15 janvier 2016 n'est pas prescrite pour avoir été introduite par assignation du 11 janvier 2019.
En revanche, dès lors que la SCI Julmar prétend que le bail querellé signé par M. [V] [G], en sa qualité de co-gérant de la SCI Julmar , est nul en ce que l'assemblée générale l'ayant nommé à cette fonction doit être annulée en raison de l'incapacité de Mme [I] [O] lorsqu'elle s'est tenue le 19 mars 2015, il est nécessaire de s'interroger au préalable sur la validité de cette assemblée générale.
Au visa de l'article 1844-14 du code civil, Mme [H] oppose, en premier lieu, à la SCI Julmar la prescription de sa demande aux fins de voir annuler l'assemblée générale du 19 mars 2015. Elle considère que la régularité d'une assemblée générale ne peut être attaquée qu'en vertu de la prescription de l'article 1844-14 du code civile et qu'en l'espèce, la décision de l'assemblée de la SCI Julmar qui est contestée a été prise le 15 mars 2015.
La SCI Julmar conclut, pour sa part, à la parfaite recevabilité de son action aux motifs que:
- cette prescription ne peut être invoquée que par les associés, de sorte que Mme [B] [H] est irrecevable à la soulever.
- elle sollicite l'annulation de l'assemblée générale du 19 mars 2015 en ce que Mme [O] n'était pas habile pour signer le procès-verbal compte tenu de son état mental,
- l'annulation des actes pour trouble mental est visée à l'article 414-1 du code civil et que, si de son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé, à son décès, les héritiers peuvent invoquer la nullité pour insanité d'esprit,
- en application des articles 901 et 2224 du code civil, l'action en nullité pour insanité d'esprit se prescrit par cinq ans, en ce qu'il s'agit d'une nullité absolue, empêchant l'application d'un texte spécial.
Elle relève que M. [V] [G] en faisant signer sa mère, alors qu'elle était hospitalisée pour des troubles psychiatriques démontrant son insanité d'esprit, le procès-verbal de l'assemblée générale du 19 mars 2015 le désignant comme co-gérant, pour ensuite faire établir un bail qu'il signera en cette qualité, a usé de manoeuvres dolosives à l'égard de la société qui font encourir dans le délai quinquennal la nullité du bail souscrit, tout comme celle de l'assemblée générale établie le 19 mars 2015.
Il ressort des pièces produites que par ordonnance du juge des tutelles de [Localité 7] du 14 septembre 2015, prise sur la base d'un certificat médical du 8 juillet 2015, soit postérieurement à la tenue de l'assemblée contestée, Mme [I] [O] a été placée sous sauvegarde de justice, Mme [N] [T] étant désignée en qualité de mandataire spécial pour effectuer un certain nombre d'actes déterminés parmi lesquels ne figurent ni la participation à l'assemblée générale, ni la gérance de la société, ni davantage la signature d'un bail commercial.
Selon l'article 1844-14 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, les actions en nullité de la société ou d'actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue.
Il n'est effectivement pas contesté que l'action en annulation d'une délibération d'assemblée générale ne peut être invoquée que par la société ou les associés, de sorte que Mme [H] serait irrecevable à exercer une action en contestation de la régularité d'une délibération de la SCI Julmar. En revanche, elle est parfaitement fondée à opposer à la société qui entend obtenir l'annulation de l'assemblée générale, la fin de non recevoir tirée de la prescription de son action.
La prescription triennale prévue à l'article 1844-14 du code civil est applicable à toutes les actions en nullité visant les actes ou délibérations postérieures à la constitution de la société sans qu'il y ait lieu de distinguer selon le caractère relatif ou absolu de la nullité invoquée, peu important que l'irrégularité résulte d'une simple omission ou d'une fraude.
Il s'ensuit que quels que soient les motifs invoqués par la SCI Julmar à l'appui de sa demande en annulation de l'assemblée générale du 19 mars 2015, la régularité de cette délibération ne peut être attaquée qu'en vertu de l'article 1844-14 du code civil, soit dans un délai de trois ans à compter du 19 mars 2015.
Les moyens développés par la SCI Julmar pour tenter d'échapper à la prescription et tenant à l'état mental de Mme [I] [O] au moment de la tenue de l'assemblée générale du 19 mars 2015 sont inopérants et ne sauraient avoir pour conséquence de contourner les dispositions de l'article 1844-14 du code civil, seules applicables à une action en contestation d'une délibération postérieure à la constitution de la société.
L'appelante ne peut pas davantage se prévaloir de l'existence d'une nullité absolue, laquelle ne peut être invoquée que lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général. Il s'agit par là de sanctionner l'atteinte à l'ordre public. Tel n'est pas le cas d'une nullité relative qui vise la protection de l'intérêt privé et sanctionne un vice du consentement, un défaut de capacité du contractant ou encore une lésion au contrat. En l'occurrence, les arguments avancés par la SCI Julmar ne sont pas des causes de nullité absolue ( vices du consentement, dol ).
L'action de la SCI Julmar en annulation de l'assemblée générale du 19 mars 2015 est donc irrecevable comme prescrite.
L'action de cette même société en nullité du bail commercial du 15 janvier 2016 est certes recevable mais ne peut-être que rejetée en ce que M. [V] [W], co-gérant, avait bien qualité pour le signer au nom et pour le compte de la SCI Julmar.
Par voie de conséquence, celle-ci ne peut qu'être déboutées de ses demandes subséquentes formées à l'encontre de Mme [B] [H].
Pour plus de clarté le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action de la SCI Julmar prescrite en son ensemble sera infirmé.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Draguignan déféré sauf en ce qu'il a:
- condamné la SCI Julmar à payer à Mme [B] [H], exerçant sous l'enseigne B De Bambou, la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Julmar aux dépens et autorisé Me [Y] à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision,
Statuant à nouveau,
Déclare recevable l'action de la SCI Julmar en nullité du bail commercial du 15 janvier 2016,
Déclare irrecevable comme prescrite l'action de la SCI Julmar en annulation de l'assemblée générale du 19 mars 2015,
Déboute, en conséquence, la SCI Julmar de sa demande en nullité du bail commercial du 15 janvier 2016 et de ses demandes subséquentes à l'encontre de Mme [B] [H],
Y ajoutant,
Condamne la SCI Julmar à payer à Mme [B] [H] la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne la SCI Julmar aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, La Présidente,
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 13 NOVEMBRE 2025
Rôle N° RG 21/16020 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIMMX
S.C.I. JULMAR
C/
[B] [H]
Copie exécutoire délivrée
le : 13 Novembre 2025
à :
Me Alain-david POTHET
Me Paul GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 6] en date du 14 Octobre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00483.
APPELANTE
S.C.I. JULMAR
agissant poursuites et diligences de son gérant Monsieur [S] [G]
, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Alain-david POTHET de la SELAS CABINET POTHET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMEE
Madame [B] [H]
entrepreneur individuel exerçant sous l'enseigne 'Bde bambou'
, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Maud DAVAL-GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Jérôme LEFORT, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Sandra THENOT, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 806 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Septembre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller Rapporteur,
et Madame Gaëlle MARTIN, conseiller- rapporteur,
chargés du rapport qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente
Madame Laetitia VIGNON, Conseillère
Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2025.
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Le 21 février 2001, M. [L] [O] et son épouse, Mme [I] [M], ont constitué une société civile immobilière dénommée SCI Julmar.
Le 3 février 2009, la SCI Julmar a conclu un bail commercial saisonnier de courte durée dérogatoire au statut des baux commerciaux avec Mme [B] [H] portant sur un local commercial d'environ 40 m² situé en rez-de-chaussée sur rue d'un immeuble sis [Adresse 1], pour une durée maximale de douze mois consécutifs commençant à courir le 15 mars 2009 et prenant fin le 15 mars 2010, moyennant un loyer annuel de 15.250 € pour permettre l'exercice de l'activité de vente de prêt à porter enfants et femmes, tous textiles accessoires et cadeaux.
La SCI Julmar a renouvelé le bail commercial saisonnier de courte durée de Mme [B] [H], pour les périodes du 16 mars 2010 au 14 janvier 2011 et du 15 février 2011 au 14 janvier 2012.
M. [L] [O] est décédé le 26 mai 2012 laissant son épouse, Mme [I] [O] seule héritière et devenant seule associée de la SCI Julmar.
Postérieurement au décès de M. [O], la SCI Julmar a renouvelé à deux reprises, le bail de courte durée à Mme [B] [H], pour les périodes du 20 février 2012 au 20 janvier 2013 et du 1er mars 2014 au 31 janvier 2015.
Suivant décision de l'assemblée générale ordinaire de la SCI Julmar du 19 mars 2015, M. [V] [G], fils de Mme [I] [O], a été désigné co-gérant de la SCI Julmar.
Suivant ordonnance du 14 septembre 2015, le juge des tutelles près le tribunal d'instance de Fréjus a placé Mme [I] [E] sous sauvegarde de justice et désigné Mme [A] [T], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, pour l'accomplissement de certains actes déterminés.
Le 15 janvier 2016, la SCI Julmar, représentée par son co-gérant M. [V] [J], a renouvelé le bail commercial de Mme [B] [H] pour une durée de neuf années à compter du 1er février 2016 et jusqu'au 31 janvier 2025, pour la même destination que les précédents baux et moyennant un loyer annuel de 27.300 € HT.
Suivant ordonnance du 23 juin 2016, le juge des tutelles a placé Mme [I] [O] sous tutelle.
Suivant deux procès-verbaux du 29 décembre 2017, M. [S] [G], frère de M. [V] [G], a été désigné associé unique et seul gérant de la SCI Julmar.
Mme [I] [O] est décédée le 18 septembre 2018.
Par acte du 11 janvier 2019, la SCI Julmar a fait assigner Mme [B] [H] devant le tribunal de grande instance de Draguignan afin d'obtenir l'annulation de l'assemblée générale du 15 mars 2015 ainsi que celle du bail souscrit le 15 janvier 2016 pour défaut de capacité de l'une des parties et l'expulsion de la locataire des lieux.
Par jugement du 14 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Draguignan a:
- déclaré l'action de la SCI Julmar prescrite,
- condamné la SCI Julmar à payer à Mme [B] [H], exerçant sous l'enseigne B De Bambou, la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Julmar aux dépens et autorisé Me [Y] à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.
Le tribunal a retenu , notamment, que:
- l'action de la SCI Julmar n'est pas prescrite sur le fondement de l'article L 145-60 du code de commerce en ce qu'elle n'est pas fondée sur le statut des baux commerciaux dès lors qu'il s'agit d'une demande tendant à voir annuler un bail commercial en raison du défaut de capacité de l'une des parties avec pour conséquence que la prescription biennale édictée à cet article n'est pas applicable,
- la SCI Julmar soutient que le bail litigieux signé par M. [G], en sa qualité de co-gérant est nul car l'assemblée générale du 19 mars 2015 est nulle en raison de l'incapacité de Mme [O] lorsque cette assemblée s'est tenue,
- toutefois, l'action en nullité de cette assemblée est prescrite en vertu de l'article 1844-14 du code civil,
- la régularité de l'assemblée générale du 19 mars 2015 ne pouvant plus être attaquée quels que soient les motifs invoqués, la question de la capacité de Mme [D] à signer le procès-verbal de cette assemblée ou de son état mental à cette époque, est dénuée d'intérêt.
Par déclaration en date du 15 novembre 2021, la SCI Julmar a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 31 juillet 2024, la SCI Julmar demande à la cour de:
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Vu les articles 435, 901 et 2224 du code civil,
- annuler l'assemblée générale de la SCI Julmar du 19 mars 2015,
- annuler le bail souscrit le 15 janvier 2016,
- ordonner l'expulsion de Mme [B] [H], ainsi que de tous occupants de son chef, des lieux loués sis [Adresse 3], sous astreinte de 250 € par jour de retard à compter du mois suivant la signification de la décision à intervenir,
- dire qu'à défaut d'exécution volontaire, l'expulsion pourra avoir lieu avec l'assistance de la force publique et l'aide d'un serrurier, conformément aux dispositions des articles L 411-1, L 412-2 et L 412-5 du code des procédures civiles d'exécution,
- inviter le tribunal à se faire communiquer préparatoirement à son délibéré, le procès-verabl d'audition du 2 juin 206, qui avait fait l'objet d'un courrier du 7 octobre 2019,
- condamner Mme [B] [H] au paiement de la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [B] [H] aux entiers dépens tant de première instance que d'appel, qui comprendront la contribution à hauteur de 225 € et dire que la SELAS Cabinet Pothet, pourra recouvrer directement ceux dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Mme [B] [H], suivant ses dernières conclusions déposées et notifiées le 7 septembre 2023, demande à la cour de:
Vu l'article 31 du code de procédure civile,
Vu l'article L 145-60 du code de commerce,
Vu les articles 2 et 1240 du code civil,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Si la cour devait entrer en voie d'infirmation du jugement attaqué, et statuant de nouveau, il est demandé à la cour de:
- déclarer prescrite l'action en nullité de la SCI Julmar à l'encontre du bail commercial conclu le 15 janvier 2016,
- déclarer irrecevable la SCI Julmar en son action faute de justifier d'un intérêt légitime à agir en justice,
Sur le fond,
Sur la demande de la SCI Julmar représentée par M. [S] [G]:
- rejeter la demande d'annulation du bail commercial du 15 janvier 0216 signé entre la SCI Julmar et Mme [B] [H],
Par voie de conséquence,
- rejeter la demande d'expulsion des lieux loués, sis [Adresse 5] formulée par la SCI Julmar à l'encontre de Mme [B] [H],
En tout état de cause,
- condamner la SCI Julmar à payer à Mme [B] [H] la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SCI Julmar aux entiers dépens distraits au profit fr la SCP Cohen-Guedj-Montero-Daval Guedj sur ses offres de droit outre ceux de première instance.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 9 septembre 2025.
MOTIFS
Sur la prescription de l'action de la SCI Julmar
Celle-ci entend obtenir d'une part, l'annulation de l'assemblée générale de la société du 19 mars 2015 désignant M. [V] [G] en qualité de co-gérant et d'autre part, l'annulation subséquente du bail commercial du 15 janvier 2016 dont Mme [B] [H] a obtenu la souscription à son profit par la SCI Julmar, qui était alors représentée M. [V] [G], son compagnon, à la faveur de l'assemblée générale querellée.
Comme le fait valoir à juste titre la SCI Julmar, l'action en nullité du bail commercial signé le 15 janvier 2016 n'est pas fondée sur le statut des baux commerciaux en ce que celle-ci ne conteste pas que ce bail confère à Mme [B] [H] un tel statut, de sorte qu'elle n'est pas soumise à la prescription biennale édicté à l'article L 145-60 du code de commerce. En effet, la SCI Julmar entend voir annuler le bail litigieux en raison du défaut de capacité de l'une des parties, une telle action relevant du droit général des contrats et se prescrivant par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil.
Il s'ensuit que l'action en nullité du bail commercial régularisé le 15 janvier 2016 n'est pas prescrite pour avoir été introduite par assignation du 11 janvier 2019.
En revanche, dès lors que la SCI Julmar prétend que le bail querellé signé par M. [V] [G], en sa qualité de co-gérant de la SCI Julmar , est nul en ce que l'assemblée générale l'ayant nommé à cette fonction doit être annulée en raison de l'incapacité de Mme [I] [O] lorsqu'elle s'est tenue le 19 mars 2015, il est nécessaire de s'interroger au préalable sur la validité de cette assemblée générale.
Au visa de l'article 1844-14 du code civil, Mme [H] oppose, en premier lieu, à la SCI Julmar la prescription de sa demande aux fins de voir annuler l'assemblée générale du 19 mars 2015. Elle considère que la régularité d'une assemblée générale ne peut être attaquée qu'en vertu de la prescription de l'article 1844-14 du code civile et qu'en l'espèce, la décision de l'assemblée de la SCI Julmar qui est contestée a été prise le 15 mars 2015.
La SCI Julmar conclut, pour sa part, à la parfaite recevabilité de son action aux motifs que:
- cette prescription ne peut être invoquée que par les associés, de sorte que Mme [B] [H] est irrecevable à la soulever.
- elle sollicite l'annulation de l'assemblée générale du 19 mars 2015 en ce que Mme [O] n'était pas habile pour signer le procès-verbal compte tenu de son état mental,
- l'annulation des actes pour trouble mental est visée à l'article 414-1 du code civil et que, si de son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé, à son décès, les héritiers peuvent invoquer la nullité pour insanité d'esprit,
- en application des articles 901 et 2224 du code civil, l'action en nullité pour insanité d'esprit se prescrit par cinq ans, en ce qu'il s'agit d'une nullité absolue, empêchant l'application d'un texte spécial.
Elle relève que M. [V] [G] en faisant signer sa mère, alors qu'elle était hospitalisée pour des troubles psychiatriques démontrant son insanité d'esprit, le procès-verbal de l'assemblée générale du 19 mars 2015 le désignant comme co-gérant, pour ensuite faire établir un bail qu'il signera en cette qualité, a usé de manoeuvres dolosives à l'égard de la société qui font encourir dans le délai quinquennal la nullité du bail souscrit, tout comme celle de l'assemblée générale établie le 19 mars 2015.
Il ressort des pièces produites que par ordonnance du juge des tutelles de [Localité 7] du 14 septembre 2015, prise sur la base d'un certificat médical du 8 juillet 2015, soit postérieurement à la tenue de l'assemblée contestée, Mme [I] [O] a été placée sous sauvegarde de justice, Mme [N] [T] étant désignée en qualité de mandataire spécial pour effectuer un certain nombre d'actes déterminés parmi lesquels ne figurent ni la participation à l'assemblée générale, ni la gérance de la société, ni davantage la signature d'un bail commercial.
Selon l'article 1844-14 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, les actions en nullité de la société ou d'actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue.
Il n'est effectivement pas contesté que l'action en annulation d'une délibération d'assemblée générale ne peut être invoquée que par la société ou les associés, de sorte que Mme [H] serait irrecevable à exercer une action en contestation de la régularité d'une délibération de la SCI Julmar. En revanche, elle est parfaitement fondée à opposer à la société qui entend obtenir l'annulation de l'assemblée générale, la fin de non recevoir tirée de la prescription de son action.
La prescription triennale prévue à l'article 1844-14 du code civil est applicable à toutes les actions en nullité visant les actes ou délibérations postérieures à la constitution de la société sans qu'il y ait lieu de distinguer selon le caractère relatif ou absolu de la nullité invoquée, peu important que l'irrégularité résulte d'une simple omission ou d'une fraude.
Il s'ensuit que quels que soient les motifs invoqués par la SCI Julmar à l'appui de sa demande en annulation de l'assemblée générale du 19 mars 2015, la régularité de cette délibération ne peut être attaquée qu'en vertu de l'article 1844-14 du code civil, soit dans un délai de trois ans à compter du 19 mars 2015.
Les moyens développés par la SCI Julmar pour tenter d'échapper à la prescription et tenant à l'état mental de Mme [I] [O] au moment de la tenue de l'assemblée générale du 19 mars 2015 sont inopérants et ne sauraient avoir pour conséquence de contourner les dispositions de l'article 1844-14 du code civil, seules applicables à une action en contestation d'une délibération postérieure à la constitution de la société.
L'appelante ne peut pas davantage se prévaloir de l'existence d'une nullité absolue, laquelle ne peut être invoquée que lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général. Il s'agit par là de sanctionner l'atteinte à l'ordre public. Tel n'est pas le cas d'une nullité relative qui vise la protection de l'intérêt privé et sanctionne un vice du consentement, un défaut de capacité du contractant ou encore une lésion au contrat. En l'occurrence, les arguments avancés par la SCI Julmar ne sont pas des causes de nullité absolue ( vices du consentement, dol ).
L'action de la SCI Julmar en annulation de l'assemblée générale du 19 mars 2015 est donc irrecevable comme prescrite.
L'action de cette même société en nullité du bail commercial du 15 janvier 2016 est certes recevable mais ne peut-être que rejetée en ce que M. [V] [W], co-gérant, avait bien qualité pour le signer au nom et pour le compte de la SCI Julmar.
Par voie de conséquence, celle-ci ne peut qu'être déboutées de ses demandes subséquentes formées à l'encontre de Mme [B] [H].
Pour plus de clarté le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action de la SCI Julmar prescrite en son ensemble sera infirmé.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Draguignan déféré sauf en ce qu'il a:
- condamné la SCI Julmar à payer à Mme [B] [H], exerçant sous l'enseigne B De Bambou, la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Julmar aux dépens et autorisé Me [Y] à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision,
Statuant à nouveau,
Déclare recevable l'action de la SCI Julmar en nullité du bail commercial du 15 janvier 2016,
Déclare irrecevable comme prescrite l'action de la SCI Julmar en annulation de l'assemblée générale du 19 mars 2015,
Déboute, en conséquence, la SCI Julmar de sa demande en nullité du bail commercial du 15 janvier 2016 et de ses demandes subséquentes à l'encontre de Mme [B] [H],
Y ajoutant,
Condamne la SCI Julmar à payer à Mme [B] [H] la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne la SCI Julmar aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, La Présidente,