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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 9, 13 novembre 2025, n° 23/00232

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/00232

13 novembre 2025

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 13 NOVEMBRE 2025

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/00232 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CG5J6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Novembre 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 19/05823

APPELANT

Monsieur [J] [H]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Laurence CIER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1613

INTIMEE

S.A.S. MECAFORGE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD, avocat au barreau de LYON, toque : 475

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Octobre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Stéphane MEYER, président

Madame Florence MARGUERITE, présidente

Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Stéphane MEYER, président dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Marika WOHLSCHIES

ARRET :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [J] [H] a été engagé par la société MECAFORGE, pour une durée indéterminée à compter du 9 avril 2018, en qualité de directeur de la stratégie industrielle, avec le statut de cadre. Il exerçait en dernier lieu les fonctions de directeur général de la société MECAPOLE AERO. Le contrat de travail stipulait une clause de garantie d'emploi pour une durée de dix-huit mois, sauf faute grave.

La relation de travail est régie par la convention collective des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie

Par lettre du 21 janvier 2019, Monsieur [H] était convoqué pour le 29 janvier à un entretien préalable à son licenciement et était mis à pied à titre conservatoire. Son licenciement lui a été notifié le 4 février suivant pour faute grave, caractérisée par un comportement inapproprié à l'égard de plusieurs membres du personnel féminin des sociétés du groupe, pouvant constituer des faits de harcèlement sexuel. A la demande de Monsieur [H], la société a précisé les motifs du licenciement par lettre du 21 mars 2019.

Le 28 juin 2019, Monsieur [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé des demandes afférentes à un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'à l'exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 25 novembre 2022, le juge départiteur du conseil de prud'hommes de Paris, après avoir estimé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse mais pas sur une faute grave, a condamné la société MECAFORGE à payer à Monsieur [H] les sommes suivantes et a débouté ce dernier de ses autres demandes :

- rappel de salaire : 5 419,93 € ;

- congés payés afférents : 541,99 €

- indemnité compensatrice de préavis : 38 773,41 € ;

- congés payés afférents : 3 877,34 € ;

- l'indemnité contractuelle spéciale de rupture : 75 000 € ;

- les intérêts au taux légal, avec capitalisation ;

- indemnité pour frais de procédure : 1 500 € ;

- les dépens.

Monsieur [H] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 27 décembre 2022, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 septembre 2025, Monsieur [H] demande l'infirmation du jugement et la condamnation de la société MECAFORGE à lui payer les sommes suivantes :

- rappel de prime sur objectifs : 25 000 € ;

- congés payés afférents : 2 500 € ;

- rappel de salaires au titre de la mise à pied conservatoire : 7 406,15 € et à titre subsidiaire : 6 818 € ;

- congés payés afférents : 740,61 et à titre subsidiaire : 681,80 € ;

- indemnité compensatrice de préavis : 51 273,42 € et à titre subsidiaire : 45 922,41 € ;

- congés payés afférents : 5 127,34 € et à titre subsidiaire : 4 592,24 € ;

- indemnité contractuelle de licenciement : 75 000 € ;

- indemnité pour licenciement nul et à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse : 102 546,84 € et à titre subsidiaire : 91 842 € ;

- dommages et intérêts pour préjudice moral distinct : 10 000 € ;

- dommages et intérêts pour préjudice moral distinct pour perte de droits à la retraite complémentaire : 91 267 € ;

- indemnité pour frais de procédure en première instance (confirmation) : 1 500 € ;

- indemnité pour frais de procédure en appel : 5 000 € ;

- les intérêts au taux légal avec capitalisation.

Au soutien de ses demandes et en réplique à l'argumentation adverse, Monsieur [H] expose que :

- la société l'accuse de mauvaise foi de faits de harcèlement sexuel, qu'elle n'articule aux termes de la lettre de licenciement qu'en des termes vagues et imprécis ;

- la société n'a jamais déclenché d'enquête interne concomitante aux faits prétendument dénoncés et les attestations qu'elle produit sont mensongères ;

- son licenciement n'était motivé que par la volonté de la nouvelle direction de modifier l'organisation de l'entreprise ;

- son licenciement est nul car prononcé en violation de la liberté fondamentale de bénéficier d'une enquête impartiale permettant de prouver les faits reprochés et en ce qu'il a porté une atteinte au droit à son honneur et à sa réputation ;

- à titre subsidiaire, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et le barème légal d'indemnisation doit être écarté ;

- sa rémunération variable n'a pas été réglée au titre de la période de juillet à décembre 2018 ;

- sa rémunération brute mensuelle de référence doit être fixée à 17 091,14 euros à titre principal et à 15 307,47 euros à titre subsidiaire ;

- il rapporte la preuve de ses préjudices.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 juin 2025, la société MECAFORGE demande l'infirmation du jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées, le rejet des demandes de Monsieur [H] et sa condamnation à rembourser les sommes indument perçues. A titre subsidiaire, elle demande que les condamnations soient limitées aux sommes suivantes :

- indemnité compensatrice de préavis : 36 540,60 € ;

- congés payés afférents : 3 654,06 € ;

- rappel de salaires au titre de la mise à pied conservatoire : 5 003,30 € ;

- congés payés afférents : 500,36 € ;

- indemnité contractuelle spéciale de rupture : 75 000 € ;

- à titre plus subsidiaire, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 12 180,20 €.

La société MECAFORGE demande également la condamnation de Monsieur [H] à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 12 000 €.

Elle fait valoir que :

- les faits de harcèlement sexuel commis par Monsieur [H] à l'encontre de l'une de ses collaboratrices sont avérés, de même que son comportement malsain à l'égard d'autres collaboratrices ;

- la société a réagi dès qu'elle a eu connaissance de ces faits ;

- l'enquête interne a été menée de façon discrète mais avec probité ;

- les allégations de licenciement prémédité sont fausses ;

- le grief de violation d'une liberté fondamentale n'est pas fondé ;

- à titre subsidiaire, le salaire de référence de Monsieur [H] doit être fixé à 12 180,20 euros ;

- la demande de prime d'objectif n'est pas fondée, Monsieur [H] ne faisant plus partie des effectifs de l'entreprise à la fin de l'exercice annuel, en juin 2019 et ses calculs étant erronés ;

- Monsieur [H] ne justifie pas des préjudices allégués.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er octobre 2025.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

* * *

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de rappel de prime sur objectifs

Il résulte des dispositions de l'article 1353 du code civil que, lorsque le contrat de travail prévoit le paiement d'une prime en fonction d'objectifs, cette prime présente un caractère contractuel qui engage l'employeur en sa totalité, sauf si celui-ci prouve qu'il a communiqué au salarié ses objectifs en début d'exercice, que ces objectifs étaient réalistes et qu'ils n'ont pas été atteints par le salarié.

En l'espèce, le contrat de travail de Monsieur [H] prévoyait, en plus d'une rémunération fixe, un rémunération annuelle variable sur objectifs, plafonnée à 40 000 euros, calculée en fonction de la réalisation d'objectifs devant être définis annuellement. Le contrat précisait que ce variable serait versé à la fin du mois suivant l'approbation, par l'assemblée générale annuelle, des comptes de l'exercice antérieur et que pour le premier exercice comptable, son montant serait calculé, prorata temporis selon les critères définis lors de la prise de fonction.

Par courriel du 27 septembre 2018, l'entreprise portait, à titre exceptionnel, le plafond à 50 000 euros pour l'exercice 2018-2019 et précisait à Monsieur [H] ses objectifs.

Il résulte par ailleurs des déclarations concordantes des parties sur ce point qu'au sein de l'entreprise, l'exercice comptable se terminait à fin juin de chaque année.

Monsieur [H] soutient avoir atteint ces objectifs et avoir ainsi acquis, en décembre 2018, l'équivalent de 50% de son variable.

La société MECAFORGE objecte, d'une part que Monsieur [H] n'était plus dans les effectifs de l'entreprise à la fin de l'exercice annuel en juin 2019 et d'autre part que les chiffres qu'il évoque ne sont pas en corrélation avec la réalité.

En ce qui concerne la première objection de la société MECAFORGE, le contrat de travail ne soumettait pas le paiement de la rémunération variable à la présence de Monsieur [H] à la fin du mois suivant l'approbation des comptes par l'assemblée générale annuelle mais précisait seulement que son calcul serait effectué à ce moment-là. Cette rémunération variable étant versée au salarié en contrepartie de son activité, s'acquérait au prorata de son temps de présence dans l'entreprise au cours de l'exercice.

Par ailleurs, les parties s'accordent sur le fait que le courriel précité du 27 septembre 2018 constituait la base de calcul de la rémunération variable. Elle comportait quatre éléments :

- Performance financière de MECAPOLE AERO + Forgevia - excédent brut d'exploitation de 3 290 k€ (38 k€),

- Objectif de réduction des stocks (4 k€),

- Amélioration de le performance client (4 k€),

- Contrôle de l'activité Moule (4 k€).

Monsieur [H] produit un tableau de synthèse à fin décembre 2018, qu'il déclare avoir réalisé à partir des chiffres présentés lors des revues financières mensuelles, faisant apparaître qu'il avait dépassé son objectif de performance financière.

Cependant, la société MECAFORGE produit le tableau de bord du groupe MECAPOLE AERO pour décembre 2018, faisant apparaître un excédent brut d'exploitation de 3 273 000 euros en fin d'exercice, soit en-deçà du premier objectif de Monsieur [H].

Par ailleurs, Monsieur [H] n'allègue aucun fait propre à établir qu'il aurait atteint ses trois autres objectifs.

C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a débouté Monsieur [H] de sa demande au motif qu'il n'avait pas atteint ses objectifs.

Sur la nullité alléguée du licenciement

Au soutien de cette demande, Monsieur [H] fait valoir que la société MECAFORGE lui reproche des faits de harcèlement sexuel de mauvaise foi, dans le but d'échapper au paiement de l'indemnité de rupture prévue par le contrat de travail et sans avoir déclenché d'enquête interne concomitante aux faits prétendument dénoncés

Cependant, Monsieur [H] n'indique pas sur quel fondement juridique il estime le licenciement nul pour ce motif, alors que ce grief ne figure pas dans la liste de l'article L.1235-3-1 du code du travail prévoyant les cas de nullité d'un licenciement.

En deuxième lieu, Monsieur [H] soutient que son licenciement viole sa liberté fondamentale de bénéficier d'une enquête impartiale permettant de prouver les faits qui lui étaient reprochés, violant son droit à la défense et le principe fondamental du contradictoire

Il résulte en effet des dispositions de l'article L.1235-3-1 précité qu'est nul le licenciement prononcé en violation d'une liberté fondamentale.

Cependant, la société MECAFORGE objecte à juste titre que le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n'impose pas que, dans le cadre d'une enquête interne destinée à vérifier la véracité des agissements dénoncés par d'autres salariés, le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies, qu'il soit confronté aux collègues qui le mettent en cause ou qu'il soit entendu, dès lors que la décision que l'employeur peut être amené à prendre ultérieurement et les éléments dont il dispose pour la fonder, peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement.

Monsieur [H] soutient également que son licenciement est nul au motif qu'il repose sur des allégations diffamatoires portant atteinte à son honneur.

Cependant, le caractère éventuellement faux, voire diffamatoire des griefs de l'employeur au soutien d'un licenciement n'a pas pour effet d'entacher ce licenciement de nullité mais seulement, le cas échéant, de le priver de cause réelle et sérieuse.

C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a débouté Monsieur [H] de sa demande tendant à voir déclarer le licenciement nul.

Sur le caractère justifié du licenciement

Il résulte des dispositions de l'article L.1234-1 du code du travail que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle nécessite le départ immédiat du salarié, sans indemnité.

Contrairement à ce que soutient la société MECAFORGE, le régime probatoire de l'article L.1154-1 du code du travail ne s'applique pas lorsqu'un salarié est licencié au motif qu'il aurait commis des actes susceptibles de constituer un harcèlement sexuel, la preuve de la faute grave incombant à l'employeur, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile.

Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail.

Aux termes de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 4 février 2019, est libellée dans les termes suivants :

"Il a récemment été porté à notre connaissance que vous avez adopté à plusieurs reprises un comportement inapproprié à l'égard de plusieurs membres du personnel féminin des sociétés du Groupe avec lesquelles vos fonctions vous amenaient à travailler.

Il en a notamment été ainsi envers la Directrice Ressources Humaines MECAPOLE à l'égard de laquelle vous avec eu, à de nombreuses reprises, des paroles et des gestes déplacés pouvant constituer des faits de harcèlement sexuel.

Cette personne a été profondément traumatisée par votre comportement.

Une autre salariée du Groupe qui exerçait des fonctions d'Office manager et d'adjointe communication interne a également fait état de votre comportement inapproprié à son égard.

Nous avons aussi été informés qu'en raison de ces faits constitutifs à eux seuls de fautes graves, de nombreuses salariées ne souhaitaient pas travailler avec vous dans la crainte de se retrouver seules en votre présence.

De tels faits et une telle situation générée par votre comportement sont d'autant plus inadmissibles que vous exercez des fonctions de cadre dirigeant.

Ils sont en outre de nature à engager la responsabilité de votre employeur pour manquement à ses obligations de sécurité à l'égard du personnel.

Votre conduite a été gravement préjudiciable à notre entreprise. [']".

Sur demande de Monsieur [H], la société MECAFORGE a ensuite précisé comme suit les motifs du licenciement par lettre du 21 mars 2019 :

"['] je vous rappelle les faits qui m'ont conduit à prendre ma décision, à savoir des comportements totalement inacceptables de la part d'un cadre dirigeant à l'égard de plusieurs salariées de notre groupe, faits révélés et portés à ma connaissance au début du mois de décembre et confirmés par les investigations internes que j'ai alors diligentées.

Les salariées concernées sont notamment Mesdames [X] [P] et [S] [F] qui ont toutes deux témoigné de faits parfaitement précis quant aux dates, aux lieux et aux formes des comportements qui vous sont reprochés.

Ces témoignages font état de contacts physiques et gestes inconvenants de votre part envers le personnel féminin, de propos intrusifs, de propositions ambiguës et d'attitudes déplacées, dépassant largement la convivialité acceptable dans le cadre de relations professionnelles et provoquant, chez l'une, un réel malaise et, chez l'autre, un traumatisme profond.

Ces faits, qui remontent au mois de juillet, n'ont été portés à ma connaissance qu'au début du mois de décembre, quand l'information sur le prochain départ de Monsieur [B] [O] a commencé à diffuser et que Madame [P], craignant de se trouver directement et hiérarchiquement rattachée à vous, s'en est ouverte à Monsieur [E] [T]. L'enquête qui a été alors menée a montré que Madame [F] avait également été l'objet de comportements inappropriés et que plus généralement d'autres collaboratrices du groupe éprouvaient une forte réticence à travailler avec vous.[']".

Contrairement à ce que soutient Monsieur [H], la lettre de licenciement, complétée par l'énonciation des motifs, est suffisamment précise pour lui permettre de les contester utilement.

Au soutien de ces griefs, la société MECAFORGE produit :

- L'attestation de Monsieur [T], ingénieur, qui déclare qu'en fin 2018, il été mandaté pour réaliser un audit sur le périmètre de MECAPOLE AERO, dont le président était alors Monsieur [H] et le Directeur général Monsieur [O], qu'à cette occasion, il a été amené à rencontrer les acteurs principaux en charge de piloter MECAPOLE AERO, qu'il a alors été alerté par Madame [P] qui, d'une part lui a fait part d'agissements anormaux de la part de Monsieur [H] à son égard, d'autre part était très inquiète à l'idée de pouvoir être rattachée directement à lui, qu'il a alors discrètement interrogé quelques personnes que lui avait citées Madame [P], que Madame [F] lui a alors indiqué avoir été approchée de manière anormale par Monsieur [H], (bras sur les hanches, proximité physique), qu'une troisième salariée, Madame [G], lui a fait part de son angoisse à se retrouver en tête à tête lors d'un déjeuner avec Monsieur [H], que, lors d'une réunion avec Monsieur [H] et Madame [P], alors qu'il quittait la salle suite à un appel téléphonique, cette dernière l'a suivi de peur de se retrouver seule avec lui, que lors de son enquête, il a également appris que Monsieur [H] avait une réputation de "chaud lapin" aussi bien à [Localité 5] qu'à [Localité 7] et à [Localité 6] et qu'au regard de son poste et de son comportement la situation était très malsaine ;

- L'attestation de Monsieur [V], directeur des opérations qui relate les mêmes doléances de Madame [K] et également que des comportements déplacés de Monsieur [H] avaient été remarqués au sein des autres sociétés du groupe ;

- L'attestation de Madame [K], DRH, qui décrit de façon précise et circonstanciée, qu'à partir du 4 juillet 2018, Monsieur [H] lui adressait des remarques "lourdes" sur son corps, son physique, qu'à la sortie d'un restaurant, au moment de traverser, il l'a attrapée vivement par la taille et l'a collée à lui en lui disant que c'était pour éviter qu'elle ne se fasse écraser, que lors d'une autre rencontre professionnelle, il a posé des questions d'ordre personnel et parlé de sa propre vie personnelle, lui touchant plusieurs fois la main en lui déclarant qu'il était "tactile", que, lors d'un autre déplacement, il a lourdement insisté pour qu'elle vienne travailler et dîner avec lui dans sa chambre d'hôte, que lors du dîner qui s'est finalement tenu dans la cour, il lui alors à plusieurs reprises touché les jambes après s'être mis pieds nus, déclarant n'avoir "pas fait exprès", que le lendemain, il a tenté de lui imposer une réunion dans sa propre chambre d'hôtel, qu'elle a fait en sorte que la réunion se tienne sur une aire d'autoroute, que Monsieur [H] est alors venu littéralement lui "bouffer" les deux joues, qu'il lui a ensuite demandé avec insistance quel était son type d'hommes, quelles étaient ses "relations" avec un collègue, lui a pris une dizaine de fois les mains entre ses deux mains, se montrant " méga lourd, insistant et très intrusif ", lui déclarant qu'il ne comprenait pas pourquoi elle ne voulait pas qu'il soit son hiérarchique car il l'augmenterait, ajoutant qu'il la trouvait agréable et "tellement fraîche", puis lui disant " je t'aime bien, je t'aime vraiment bien ' c'est plus fort que moi, il faut que je t'embrasse car je suis content ", puis qu'il lui a " bouffé " les deux joues et lui a caressé le visage. Elle déclare avoir été tétanisée et paniquée par ce comportement, qu'elle faisait tout pour éviter Monsieur [H], qu'elle a dû faire l'objet d'un suivi psychiatrique régulier ;

- Le certificat médical d'un médecin psychiatre daté du 7 janvier 2019, déclarant suivre régulièrement Madame [K] depuis juillet 2018 pour une situation professionnelle difficile avec un vécu de harcèlement et déclarant qu'elle reste émotionnellement fragile en rapport avec cette situation" qui tient toujours aujourd'hui une part importante des entretiens " ;

- L'attestation de Madame [F], ancienne salariée de la société MECAFORGE, qui déclare qu'en juillet 2018, Monsieur [H] a insisté pour déjeuner ou prendre un café avec elle, alors qu'elle ne voyait pas quel était l'intérêt de l'entretien qu'il souhaitait avoir avec elle, qu'en traversant la rue, il a posé sa main sur son dos à deux reprises, lui disant qu'il ne voulait pas qu'elle se fasse écraser et la troisième fois au niveau de ses hanches, qu'il lui a ensuite parlé de son divorce et l'a interrogée sur sa situation personnelle, qu'elle faisait tout pour axer la discussion sur le plan professionnel mais qu'il a à nouveau posé sa main sur ses hanches ;

- L'attestation de Madame [G], directrice des achats, qui déclare que l'attitude de Monsieur [H], qui lui a proposé de dîner, lui paraissait douteuse, qu'elle se sentait mal à l'aise avec lui et qu'elle s'arrangeait toujours pour ne pas être seule avec lui.

De son côté, Monsieur [H] fait valoir que la société n'a organisé aucune enquête équitable, impartiale et contradictoire préalable à la mesure de licenciement, la prétendue enquête ayant en réalité été effectuée après son départ, que les attestations de Mesdames [P] et [F] datent d'avril 2019, soit après la notification de son licenciement et celle de Monsieur [V] de cinq ans après les faits et qu'ainsi, lors de son licenciement, elle ne possédait aucun élément probant, qu'il a d'ailleurs déposé une plainte pénale à l'encontre des auteurs des attestations.

Cependant, la preuve est libre en droit du travail et aucune disposition n'impose à l'employeur de prouver des faits susceptibles d'être qualifiés de harcèlement sexuel par la production d'une enquête interne ou encore de recueillir des attestations préalablement à la mise en 'uvre de la procédure de licenciement.

Concernant l'attestation de Madame [K], Monsieur [H] s'étonne du fait que cette dernière, qui occupait pourtant le poste de directrice des ressources humaines, a attendu six mois pour dénoncer les faits dont elle s'estimait victime et il produit des sms échangés avec elle, faisant ressortir des relations cordiales.

Cependant, la société MECAFORGE objecte de façon convaincante que Madame [K] se sentait en sécurité tant que Monsieur [O], en qui elle avait toute confiance, supervisait la société, mais que la situation a changé le jour où elle a appris le départ prochain de ce dernier et qu'elle devait être directement rattachée à Monsieur [H], ce qu'elle expose d'ailleurs dans son attestation.

Monsieur [H] soutient également que, lors du déplacement de juillet 2018, Monsieur [U] était présent lors de toutes les entrevues avec Madame [K], que c'est à ces deux collègues qu'il avait proposé de faire visiter sa chambre et il produit des sms qu'ils avaient alors échangés ainsi que l'attestation de Monsieur [U], lequel déclare ne pas avoir constaté de comportement malsain de sa part et que les propos de Monsieur [T] sont l''uvre d'une interprétation que lui-même avait corrigée lors d'une conversation qu'il avait eue avec lui, alors que Monsieur [H] avait quitté l'entreprise.

Cependant, ces éléments ne permettent pas de contredire utilement le témoignage précis et circonstancié de Madame [K], corroboré par les autres témoignages et par le certificat médical.

Monsieur [H] fait valoir que ce certificat évoque une situation professionnelle difficile mais aucunement une situation de harcèlement sexuel. Les déclarations du médecin sont pourtant dénuées de toute ambiguïté.

Concernant l'attestation de Madame [F], Monsieur [H] produit des courriels échangés avec elle et observe qu'ils ne font à aucun moment ressortir un quelconque malaise dans les rapports professionnels ou de propos déplacés ou familiers de sa part.

Cependant, l'existence d'une communication écrite professionnelle sur un ton cordial n'est pas de nature à exclure la possibilité d'un comportement inapproprié lors de rencontres directes, tel que décrit précisément par Madame [F].

En ce qui concerne les déclarations de cette dernière relatives aux gestes déplacés qu'elle lui impute, Monsieur [H] fait valoir qu'il ne peut lui être reproché d'avoir voulu l'aider alors qu'elle menaçait de tomber.

Cependant, il résulte des déclarations concordantes de Mesdames [F] et [K] que cette louable intention affichée de protéger leur sécurité a, à l'évidence, dégénéré en gestes déplacés, insistants et réitérés, sauf à considérer que ces deux femmes étaient exposées aux dangers de la voie publique de façon singulièrement fréquente.

Concernant Madame [G], Monsieur [H] fait valoir que le diner évoqué aux termes de son attestation a, en réalité été organisé par la salariée elle-même sur son initiative et a eu lieu en présence d'un troisième salarié de l'entreprise, et il produit des sms en ce sens.

Cependant, cette situation est parfaitement compatible avec les déclarations de Madame [G] selon lesquelles, se sentant mal à l'aise avec Monsieur [H], elle s'arrangeait toujours pour ne pas être seule avec lui.

De façon plus générale, Monsieur [H] soutient que son licenciement était en réalité motivé par la volonté de la nouvelle direction de modifier l'organisation de l'entreprise dans un contexte de changement de direction du groupe et de présidence au sein de MECAPOLE AERO, Monsieur [O] ayant quitté son poste et Monsieur [T] ayant été nommé responsable opérationnel et président des sociétés de MECAPOLE AERO et qu'il n'a d'ailleurs pas été remplacé après son départ de l'entreprise

La société MECAFORGE objecte de façon circonstanciée que le départ de Monsieur [H] n'était nullement prévu et qu'il avait au contraire été prévu, dans le cadre de la nouvelle organisation de lui confier des fonctions importantes de management et elle produit en ce sens une attestation de Monsieur [O].

Il résulte de ces considérations que les faits reprochés à Monsieur [H] sont établis.

Monsieur [H] fait valoir que l'enquête interne puis la procédure de licenciement ont été mis en 'uvre tardivement.

Aux termes de l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Cette connaissance des faits reprochés, qui marque le point de départ du délai de prescription, doit être exacte et complète et englober l'identité de l'auteur présumé de ces faits.

Lorsque les faits reprochés sont antérieurs de plus de deux mois à la date de convocation à l'entretien préalable au licenciement, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance qu'à une date ultérieure, incluse dans le délai de prescription disciplinaire.

Par ailleurs, même lorsque ce délai de prescription disciplinaire a été respecté, la définition de la faute grave suppose que la procédure de licenciement intervienne dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués.

En l'espèce, aux termes de son attestation précitée, Monsieur [T] explique qu'à l'occasion d'un audit effectué en fin 2018, Madame [P], qui ayant appris le départ de Monsieur [O], a eu peur d'être rattachée directement à Monsieur [H] et lui a alors exposé les faits dont elle était la victime.

La société MECAFORGE produit également le courriel de Madame [P] du 10 janvier 2019, lui communiquant copie de sa déclaration de main courante au commissariat de police du 19 décembre 2018, ainsi que de l'attestation de son médecin psychiatre datée du 7 janvier.

A compter de cette dénonciation, Monsieur [T] a procédé à l'audition de Mesdames [F] et [G], éléments nécessaires à la connaissance exacte et complète, par l'entreprise, des faits imputés à Monsieur [H].

La convocation à l'entretien préalable datant du 21 janvier 2019, il n'apparaît pas que l'entreprise que l'entreprise ait dépassé le délai de deux mois à compter de sa connaissance complète des faits pour engager la procédure de licenciement, ni même qu'elle ait tardé à réagir.

Les faits commis par Monsieur [H], par leur caractère inapproprié, intrusif, insistant et répété, ont été à l'origine de souffrance au travail pour au moins trois collaboratrices de l'entreprise, laquelle a pour obligation de protéger la santé et la sécurité de ses salariés et justifiaient ainsi la rupture immédiate de son contrat de travail.

Contrairement à ce qu'a estimé le conseil de prud'hommes, ces faits ne constituaient donc pas seulement une cause réelle et sérieuse de licenciement mais une faute grave.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [H] de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct et de dommages et intérêts pour perte de droits à la retraite complémentaire, mais infirmé en ce qu'il a condamné l'entreprise à lui payer une indemnité compensatrice de préavis, un rappel de salaires au titre de la mise à pied conservatoire, les congés payés afférents à ces deux sommes, ainsi que l'indemnité contractuelle spéciale de rupture, laquelle était expressément exclue en cas de faute grave.

Sur les autres demandes

L'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu à ordonner le remboursement des sommes qui ont pu être perçues par Monsieur [H] en exécution du jugement entrepris, le présent arrêt constituant un titre exécutoire permettant de plein droit une telle restitution.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [J] [H] de ses demandes de rappel de primes sur objectifs, de congés payés afférents, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct et pour perte de droits à la retraite complémentaire ;

Infirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés ;

Déboute Monsieur [J] [H] de toutes ses demandes ;

Déboute la société MECAFORGE de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel ;

Condamne Monsieur [J] [H] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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