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CA Caen, 2e ch. civ., 13 novembre 2025, n° 24/02283

CAEN

Arrêt

Autre

CA Caen n° 24/02283

13 novembre 2025

AFFAIRE :N° RG 24/02283

ARRÊT N°

NLG

ORIGINE : DECISION en date du 02 Septembre 2024 du Tribunal de Commerce de CHERBOURG

RG n° 2024000701

COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 13 NOVEMBRE 2025

APPELANT :

Monsieur [C] [K]

né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 11]

[Adresse 6]

[Adresse 15]

[Localité 5]

Représenté et assisté par Me Thomas BAUDRY, avocat au barreau de CHERBOURG

INTIMEE :

S.E.L.A.R.L. [13], mandataire liquidateur de la SARL [8]

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 4]

[Adresse 2]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée et assistée par Me Noël LEJARD, substitué par Me Charlène RICCOBONO, avocats au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme MEURANT, Présidente de chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

Mme LOUGUET, Conseillère,

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

DÉBATS : A l'audience publique du 18 septembre 2025

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

ARRET prononcé publiquement le 13 novembre 2025 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme MEURANT, présidente, et Mme LE GALL, greffière

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [C] [K] est le gérant de la SARL [8], société immatriculée au greffe du tribunal de commerce de Cherbourg le 16 mai 2018 et dont l'activité consiste dans l'exploitation d'un fonds de commerce de restauration rapide sous l'enseigne "Bagelstein", situé à Cherbourg.

La société [8] a présenté une dette de loyers commerciaux impayés à compter du mois de novembre 2022.

Le 29 novembre 2023, la société [8] a déposé une déclaration de cessation des paiements au greffe du tribunal de commerce de Cherbourg.

Par jugement du 4 décembre 2023, le tribunal de commerce de Cherbourg a prononcé la liquidation judiciaire de la société [8], a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 30 avril 2023 compte-tenu de loyers impayés ayant entraîné la résiliation du bail à l'initiative du bailleur et a désigné la SELARL [13], prise en la personne de Me [I] en qualité de liquidateur judiciaire.

Estimant que M. [K] s'était abstenu de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la date de cessation des paiements, fixée au 30 avril 2023 compte tenu de la dette de loyers impayés, et qu'il avait fait un usage des biens de l'entreprise dans un intérêt contraire à celui de l'entreprise, en procédant postérieurement à la date de cessation des paiements à différents remboursements de son compte courant d'associé, la SELARL [13] ès qualités a assigné M. [K] devant le tribunal de commerce de Cherbourg par acte de commissaire de justice du 13 mars 2024, aux fins de voir prononcer à son égard une mesure d'interdiction de gérer sur le fondement de l'article L. 653-8 du code de commerce.

Par jugement du 2 septembre 2024, le tribunal de commerce de Cherbourg a :

- prononcé à l'encontre de M. [C] [K], de nationalité française, né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 10] (50) une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale comprenant un point de vente physique et toute personne morale dont l'activité porterait sur l'exploitation d'un point de vente physique, pour une durée de 5 ans ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

- dit que le jugement sera signifié par le greffe au défendeur

- dit qu'il sera adressé une copie du présent jugement au liquidateur judiciaire, au ministère public et au Trésorier payeur général (R621-7) ;

- dit que mention de la présente décision sera portée au RCS, au Fichier national des interdictions de gérer à la diligence du greffier, et que la transcription de la décision sera mentionnée au casier judiciaire national, à la réception du certificat de non appel ;

- condamné M. [C] [K] aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration du 12 septembre 2024, M. [K] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a prononcé à son encontre une mesure d'interdiction de gérer pour une durée de 5 ans, ordonné l'exécution provisoire et l'a condamné aux dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 1er juillet 2025, l'appelant demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Ce faisant et statuant à nouveau,

- Débouter la SELARL [13], prise en la personne de Me [Y] [I], désignée en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la SARL [8], de sa demande de condamnation à l'encontre de M. [C] [K] à se voir infliger une mesure d'interdiction de gérer,

À titre subsidiaire,

- Limiter cette interdiction de gérer aux entreprises ou aux sociétés ayant pour objet la restauration ou tout autre commerce dit 'de bouche', et pour une durée d'un an maximum,

En tout état de cause,

- Débouter la SELARL [13], prise en la personne de Me [I], désigné en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la SARL [8], de toute demande de condamnation envers M. [C] [K] à lui verser une indemnité en application dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et la condamner à supporter les entiers dépens d'appel et de première instance.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 16 décembre 2024, la SELARL [13] ès qualités demande à la cour de :

- Déclarer recevable mais non fondé l'appel inscrit par M. [C] [K] à l'endroit du jugement rendu par le tribunal de commerce de Cherbourg,

- Confirmer la décision entreprise en l'ensemble de ses dispositions,

Y additant,

- Condamner M. [C] [K] au paiement d'une somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par avis du 1er octobre 2024, le ministère public s'en est rapporté.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 juillet 2025.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures précitées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

I. Sur l'interdiction de gérer

En aplication de l'article L 653-8 al 3 du code de commerce, le tribunal peut prononcer une interdiction de gérer à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

En vertu de l'article L 653-4 3°du même code, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, qui a fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.

Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

L'article L 653-11 énonce que le tribunal fixe la durée de la mesure qui ne peut être supérieure à 15 ans.

1. Sur l'omission de solliciter l'ouverture d'une procédure collective dans le délai de 45 jours

En l'espèce, la date de cessation des paiements a été fixée au 30 avril 2023.

Or, la déclaration de cessation des paiements a été faite par M. [K] le 29 novembre 2023, soit 5 mois et demi après l'expiration du délai de 45 jours prévu à l'article L 653-8 al 3 du code de commerce.

Il résulte des pièces produites, en particulier de l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Cherbourg du 22 août 2023 qui n'a fait l'objet d'aucun appel, que M. [K] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la SARL [7] et qu'il s'est sciemment abstenu de procéder à la déclaration requise dans le délai légal dès lors que :

- la SARL [8] avait volontairement cessé de régler son loyer commercial à compter du mois de novembre 2022,

- qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire pour un impayé de loyers de 10.626,26 euros lui avait été délivré le 11 avril 2023,

- que le juge des référés avait constaté la résiliation du bail au 11 mai 2023 faute de règlement de la dette locative laquelle, à cette date, s'élevait à 13 261,85 euros.

Les explications données par l'appelant sur l'origine des difficultés financières rencontrées par la SARL [7] (pandémie, travaux de la municipalité en centre-ville, augmentation du prix de l'énergie, refus du bailleur de maintenir la baisse de loyer...) et ses vaines tentatives de réorganisation (transfert du restaurant [9] dans un nouveau local) n'enlèvent rien au manquement qui lui est reproché.

Quant à ses allégations selon lesquelles il aurait été mal conseillé :

- par le président du tribunal de commerce de Cherbourg et par Me [I] de la SELARL [13], qui l'auraient dissuadé de solliciter une sauvegarde ou un redressement judiciaire faute de passif exigible, et qui lui auraient suggéré de 'laisser le dette de loyer se constituer',

- par son avocat sur l'opportunité d'interjeter appel de l'ordonnance de référé du 22 août 2023,

la cour observe qu'elles ne sont étayées par aucune pièce probante.

Enfin, M. [K] n'est pas fondé à contester l'existence d'un état de cessation des paiements au 30 avril 2023 dès lors que cette date, fixée à titre provisoire dans le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, est devenue définitive en l'absence de report par un jugement ultérieur.

Au vu de ces éléments, la faute du dirigeant est caractérisée.

2. Sur l'usage des biens de la personne morale contraire à son intérêt

Le tribunal a exactement retenu que le retrait par M. [K] d'une somme totale nette de 20.000 euros de son compte-courant d'associé au cours de l'été 2023, alors que la SARL [7] était en état de cessation des paiements depuis le 30 avril 2023, constituait un usage des biens de la société contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles.

Les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas susceptibles de remettre en cause cette analyse.

En effet, d'une part M. [K] affirme mais ne justifie pas que les prélèvements incriminés étaient destinés à régler les cotisations [14] dues en sa qualité de gérant.

D'autre part, le fait qu'il s'agissait d'un remboursement seulement partiel de son compte-courant, lequel présentait un solde créditeur de 63.352,33 euros au 1er juillet 2023 et de 43.424,17 euros à la date de la liquidation judiciaire, n'est pas de nature à dédouanner M. [K] qui par son agissement a diminué la trésorerie de la société, étant précisé que l'actif de celle-ci est quasiment inexistant (valeur de réalisation : 550 euros) et que le montant du passif déclaré, hors créances salariales, s'élève à 230.000 euros (dont 120.000 euros contestés).

Par suite, le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a considéré que le manquement du dirigeant à ce titre était établi.

3. Sur la sanction

Le quantum de la sanction doit être motivé'au regard de la gravité de la faute et de la situation personnelle de l'intéressé.

M. [K], âgé de 55 ans, indique que depuis la liquidation de sa société, il a repris son activité de conseil/audit auprès des entreprises mais que le prononcé de l'interdiction de gérer le 2 septembre 2024 a entraîné la perte de tous ses clients en France et des deux-tiers en Europe, qu'il a pu continuer à travailler avec les américains mais qu'il ne peut rapatrier les fonds en France où il vit avec sa compagne, qu'il n'est plus en mesure de rembourser les deux emprunts contractés pour sa maison représentant 2.300 euros par mois, qu'il subit actuellement un traitement chimiothérapeutique et n'a plus aucun revenu.

Cependant, il s'abstient de produire la moindre pièce justifiant de sa situation financière et personnelle actuelle (avis d'imposition, éléments comptables, contrats de prêt, relevés bancaires, certificat médical ...).

Il se contente de produire un courriel du 26 juin 2025 du responsable régional développement du groupe [P] l'informant qu'il ne peut plus, en l'état de la sanction prononcée, maintenir leur collaboration.

Il est par ailleurs établi que M. [K] est également le dirigeant de la SAS [12] ayant pour objet une activité de restauration rapide qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 3 juillet 2023.

Au vu de ces éléments et de la gravité des fautes retenues, la cour considère qu'une interdiction de gérer pendant une durée de 5 ans, limitée à l'exploitation d'un commerce comprenant un point de vente physique, constitue une sanction nécessaire et proportionnée, et qu'il n'y a pas lieu de restreindre la mesure aux seules activités de restauration ou de commerce de bouche.

II. Sur les demandes accessoires

Les dispositions relatives aux dépens, justement appréciées, sont confirmées.

M. [K] succombant, est condamné aux dépens de l'appel et à payer à la SELARL [13] ès qualités la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Déboute M. [C] [K] des ses demandes ;

Condamne M. [C] [K] à payer à la SELARL [13] en qualité de mandataire liquidateur de la SARL [8] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [C] [K] aux dépens de l'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL B. MEURANT

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