CA Nancy, 2e ch., 13 novembre 2025, n° 24/02172
NANCY
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° /25 DU 13 NOVEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/02172 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FOJU
Décision déférée à la cour :
Jugement du tribunal judiciaire d'EPINAL, R.G. n° 22/00052, en date du 08 octobre 2024,
APPELANTS :
Monsieur [D] [U]
né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 5] (88), domicilié [Adresse 4]
Représenté par Me Virginie GERRIET de la SELARL CHOPIN AVOCATS, avocat au barreau d'EPINAL
Madame [E] [Y] épouse [U]
née le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 5] (88), domiciliée [Adresse 4]
Représentée par Me Virginie GERRIET de la SELARL CHOPIN AVOCATS, avocat au barreau d'EPINAL
INTIMÉE :
LaCAISSE CREDIT MUTUEL LA DOLLER
association coopérative inscrite à responsabilité limitée auprès du tribunal d'instance de MULHOUSE sous le n° V/0046 ayant son siège social [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me David COLLOT de la SELARL LORRAINE DEFENSE & CONSEIL, avocat au barreau d'EPINAL
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2025, en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,
Madame Nathalie ABEL, conseillère,
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL
A l'issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2025, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 13 Novembre 2025, par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSE DU LITIGE
La société NG DEMOLITION, ayant pour gérant M. [D] [U], a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la Caisse de Crédit Mutuel La Doller (ci-après la CCM) le 20 juillet 2017, qui a fait l'objet de deux autorisations de découvert de 50 000 euros, respectivement le 5 juillet 2018 (expirant le 31 août 2018) et le 30 octobre 2019 (expirant le 31 janvier 2020).
La CCM a consenti à la société NG DEMOLITION un prêt professionnel de 30 000 euros le 14 décembre 2016, puis de 40 000 euros le 1er décembre 2017 et de 24 000 euros le 18 mai 2018.
Par acte du 5 juillet 2018, M. [D] [U] s'est porté caution solidaire de tous les engagements souscrits par la société NG DEMOLITION, dans la limite de 60 000 euros et pour une durée de 5 années.
Par acte du 18 mai 2019, Mme [E] [Y] épouse [U] et M. [D] [U] (ci-après les époux [U]) se sont portés caution solidaire de tous les engagements souscrits par la société NG DEMOLITION, dans la limite de 150 000 euros et pour une durée de 5 années.
Par jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse en date du 29 avril 2020, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société NG DEMOLITION, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 24 juin 2020.
La CCM a déclaré ses créances à la procédure collective par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 3 juin 2020 à hauteur de 65 285,02 euros au titre du solde débiteur du compte courant professionnel, 13 702,94 euros au titre du prêt du 14 décembre 2016, 26 137,17 au titre du prêt du 1er décembre 2017 et 17 983,43 euros au titre du prêt du 18 mai 2018, qui ont été admises par ordonnances du juge commissaire du 26 mars 2021.
Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception du 12 juin 2020, la CCM a rappelé aux époux [U] leurs engagements de caution solidaire de la société NG DEMOLITION et les a invités à se substituer à elle pour le règlement des échéances futures des prêts, faisant en outre état du solde débiteur du compte courant professionnel à hauteur de 65 285,02 euros au jour du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société.
Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception du 10 mai 2021, la CCM a mis les époux [U] en demeure de lui rembourser la somme totale de 131 222,42
euros en vertu de leurs engagements de caution, devenue exigible suite à la liquidation judiciaire de la société NG DEMOLITION.
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Par actes de commissaire de justice délivrés le 6 janvier 2022, la CCM a fait assigner les époux [U] devant le tribunal judiciaire d'Epinal afin de les voir condamnés solidairement, avec capitalisation annuelle des intérêts, à lui payer les sommes au principal de 78 312,13 euros, 7 573,97 euros, 29 198,31 euros et 19 973,43 euros en vertu des actes de caution solidaire de tous les engagements de la société NG DEMOLITION au titre du solde débiteur du compte courant professionnel et des sommes exigibles des trois prêts professionnels.
Les époux [U] ont demandé au tribunal d'être déchargés de leurs engagements de caution au regard de leur caractère manifestement disproportionné sur le fondement de l'article L. 332-1 du code de la consommation, et ont sollicité à titre reconventionnel la condamnation de la CCM à leur verser la somme de 135 057,84 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement du prêteur à son devoir de mise en garde, ainsi que la compensation des dettes réciproques. Subsidiairement, ils se sont prévalus de la déchéance du droit aux intérêts de l'ensemble des engagements jusqu'en mars 2021 à défaut d'information annuelle, et à titre infiniment subsidiaire, ils ont sollicités l'autorisation de report des paiements à douze mois dans l'attente de la vente de leur maison.
La CCM a fait valoir que les cautionnements n'étaient pas manifestement disproportionnés aux biens et revenus des cautions, et que M. [U] ne pouvait se prévaloir de la qualité de caution non avertie, en sa qualité de fondateur et dirigeant de la société cautionnée, de dirigeant d'une autre société et d'ancien directeur technique et commercial d'une importante société, ajoutant que la situation de la société cautionnée n'était pas irrémédiablement compromise lors de l'octroi des financements. Elle soutient avoir respecté son obligation d'information annuelle des cautions, et subsidiairement, que la déchéance des intérêts n'est encourue que jusqu'à la communication de la nouvelle information (pas au-delà du 23 mars 2021).
Par jugement en date du 8 octobre 2024, le tribunal judiciaire d'Epinal a :
- condamné solidairement les époux [U] à payer à la CCM la somme de 78 312,13 euros au titre du compte courant professionnel n°01,
- condamné solidairement les époux [U] à payer à la CCM la somme de 7 573 euros avec intérêts au taux légal et de l'assurance au taux de 0,50 % à compter du 3 septembre 2021, dans la limite du montant de leur engagement de caution, au titre du prêt professionnel n°03,
- condamné solidairement les époux [U] à payer à la CCM la somme de 29 198,31 euros avec intérêts au taux de 4,60 % et de l'assurance au taux de 0,50 % à compter du 3 septembre 2021, dans la limite du montant de leur engagement de caution, au titre du prêt professionnel n°04,
- condamné solidairement les époux [U] à payer à la CCM la somme de 19 973,43 euros avec intérêts au taux de 4,30 % et de l'assurance au taux de 0,50 % à compter du 3 septembre 2021, dans la limite du montant de leur engagement de caution, au titre du prêt professionnel n°06,
- ordonné la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, conformément à l'article 1343-2 du code civil,
- débouté les époux [U] de leur demande de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde, de leur demande de déchéance du droit aux intérêts, de leur demande de délai de paiement et de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum les époux [U] aux dépens,
- condamné solidairement les époux [U] à payer à la CCM la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a retenu, au regard des fiches patrimoniales remplies et signées les 5 juillet 2018 et 18 mai 2019, que les engagements de caution n'étaient pas manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus lors de leur conclusion.
Il a jugé que la CCM n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard de M. [U], caution avertie, et a énoncé que Mme [U], caution non avertie, ne rapportait pas la preuve de l'inadaptation des prêts cautionnés aux capacités financières de la société NG DEMOLITION à la date de souscription de son engagement de caution, excluant un devoir de mise en garde du prêteur.
Il a relevé que la CCM justifiait avoir rempli son obligation d'information annuelle des cautions.
Le tribunal a rejeté la demande de délais de paiement en indiquant que les époux [U] ne justifiaient pas de la signature d'un compromis de vente de leur bien et qu'ils avaient bénéficié d'un report de paiement supérieur à douze mois depuis leurs dernières conclusions.
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Le 4 novembre 2024, les époux [U] ont formé appel du jugement tendant à son infirmation en tous ses chefs critiqués.
Dans leurs dernières conclusions transmises le 27 juin 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les époux [U], appelants, demandent à la cour sur le fondement des articles L. 332-1 du code de la consommation et 1343-5 alinéa 1 du code civil :
- de déclarer leur appel recevable et bien fondé à l'encontre du jugement rendu le 8 octobre 2024 par le tribunal judiciaire d'Epinal,
Y faisant droit,
- d'infirmer ledit jugement en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- de déclarer que le solde du compte courant professionnel n'est pas exigible,
En conséquence,
- de débouter la CCM LA DOLLER de sa demande de condamnation à leur encontre de la somme de 78 312,13 euros au titre du compte courant professionnel,
En tout état de cause,
- de constater que l'engagement de caution du 18 mai 2019 est disproportionné,
En conséquence,
- de les décharger purement et simplement de leurs engagements de caution,
A titre subsidiaire,
- de déclarer que la CCM LA DOLLER a manqué à son devoir de mise en garde,
En conséquence,
- de condamner la CCM LA DOLLER à leur payer la somme de 135 057,84 euros à titre de dommages et intérêts,
- d'ordonner la compensation de cette somme avec les sommes réclamées par la CCM LA DOLLER,
A titre infiniment subsidiaire,
- d'ordonner le report du paiement des sommes éventuellement dues à la CCM LA DOLLER à 12 mois,
- de condamner la CCM LA DOLLER à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la CCM LA DOLLER aux entiers dépens.
Au soutien de leurs demandes, les époux [U] font valoir en substance :
- que la CCM ne justifie pas avoir procédé à la clôture du compte courant professionnel ; que la résiliation ne résultant pas de la liquidation judiciaire depuis un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation, aucune clôture n'est intervenue de sorte qu'ils ne sont pas tenus au remboursement du solde débiteur ; que cette prétention nouvelle est recevable en ce qu'elle vise à faire écarter les prétentions adverses ;
- que ni les revenus, ni le patrimoine du couple ne permettaient de faire face à l'engagement de caution du 18 mai 2019, et ce aussi bien au jour de la souscription de ces engagements qu'au jour des poursuites engagées par la banque ; que le tribunal a écarté la prise en compte d'un prêt personnel souscrit par les époux [U] réitéré par acte authentque le 27 juin 2019 pour un montant de 150 000 euros, alors que l'offre de prêt émise le 10 mai 2019 a été signée le 25 mai 2019, de sorte que la demande de prêt avait déjà été formulée lors de leur engagement de caution ; que ce prêt a été contracté sur les conseils de la banque et que son objet correspond à un apport en compte courant d'associé avec rachat du prêt 0002088775803, s'agissant d'une offre de prêt consentie par la CCM le 23 novembre 2018 à hauteur de 50 000 euros ; qu'ils devaient donc supporter la charge de l'emprunt immobilier de 126 978 euros ainsi que du prêt personnel de 150 000 euros, outre le premier cautionnement régularisé par M. [U] à hauteur de 60 000 euros, ce qui correspondait à la valeur de leur maison estimée à 395 000 euros, de sorte que l'engagement de caution à hauteur de 150 000 euros apparaît disproportionné, au regard des revenus des époux ;
- que les deux cautions doivent être considérées comme non averties ; que M. [U] a été salarié dans l'entreprise Batichoc et avaient des fonctions liées aux chantiers menés, et qu'il a repris la direction de la société BSI 23 postérieurement à son engagement de caution, de sorte que sa seule qualité de gérant de la SARL NG DEMILITION ne pouvait laisser présumer des compétences nécessaires pour mesurer les risques nés de l'octoi du prêt et la portée de son engagement de caution ; que le montant du cautionnement déterminait un risque d'endettement excessif ; que la CCM n'ignorait pas la situation financière de l'entreprise et qu'aucune évaluation des risques ni précaution n'ont été mises en oeuvre par la banque qui a apporté un soutien abusif de crédit ; que la situation de l'entreprise, quelques semaines après l'engagement de caution, était totalement obérée ;
- qu'à titre infiniment subsidiaire, ils ont régularisé un mandat de vente de la maison justifiant le report de paiement de douze mois.
Dans ses dernières conclusions transmises le 6 août 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la CCM, intimée, demande à la cour
- de juger irrecevable la prétention nouvelle, au sens de l'article 564 du code de procédure civile, tendant à faire déclarer que le solde du compte courant professionnel n°01 n'est pas exigible,
Subsidiairement,
- de constater que ce compte courant professionnel a été clôturé à la demande de l'administrateur judiciaire de la société NG DEMOLITION.
En tout état de cause,
- de déclarer mal fondé l'appel des époux [U] à l'encontre de la décision rendue par le tribunal judicaire d'Epinal le 8 octobre 2024 (RG 22/0005),
Par conséquent,
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Epinal le 8 octobre 2024,
- de débouter les époux [U] de l'intégralité de leurs fins, moyens et conclusions,
Y ajoutant,
- de condamner solidairement les époux [U] à lui payer une somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'au entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la CCM fait valoir en substance :
- que l'absence d'exigibilité du solde débiteur du compte courant professionnel est une prétention nouvelle qui n'a jamais été soulevée en première instance, de sorte qu'elle est irrecevable ; que subsidiairement, l'administrateur judiciaire de la société NG DEMILITION a demandé la clôture de compte courant par lettre du 29 avril 2020 ;
- que le cautionnement souscrit par les époux [U] le 18 mai 2019 n'était pas manifestement disproportionné au regard de leurs revenus annuels (42 000 euros) et de la valeur de leur patrimoine immobilier (460 000 euros), pour faire face à un crédit immobilier de 126 978 euros, tel que déclaré dans la fiche patrimoniale, même à supposer la prise en compte du cautionnement souscrit par M. [U] le 5 juillet 2018 à hauteur de 60 000 euros ; qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des prêts souscrits ultérieurement à l'engagement de caution, même s'ils étaient prévus ou prévisibles ; que la date du 10 mai 2019 correspond à celle de l'émission de l'offre de prêt acceptée le 25 mai 2019, soit postérieurement à l'acte de cautionnement, de même que la garantie hypothécaire prise dans le cadre de l'acte authentique du 27 juin 2019 ; que ce prêt fait l'objet d'une instance en cours au titre de laquelle les époux [U] sollicitent l'allocation de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts ; que subsidiairement, si les charges s'élevaient à 276 978 euros (soit 150 000 euros ajoutés à 126 978 euros), les engagements de caution ne seraient pas disproportionnés au total des biens et revenus (502 000 euros) ; que les mandats de vente du bien immobilier produits (15 avril 2022 et dernier avenant du 24 mai 2024) évaluent à ce jour le bien immobilier entre 780 000 euros et 575 000 euros ;
- qu'elle n'est pas débitrice d'une obligation de mise en garde à l'égard de M. [D] [U] qui revêt la qualité de caution avertie, en ce qu'il était associé majoritaire et président de la société NG DEMOLITION dès sa création, dirigeant et participant à la vie de l'entreprise ; que selon son curriculum vitae, il était également dirigeant de la société BSI23, et qu'il avait occupé antérieurement un poste de directeur technique et commercial de l'entreprise BATICHOC, portant sur un effectif de 40 personnes, au sein de laquelle il suivait techniquement et financièrement les chantiers et avait réalisé un plan d'évolution, ainsi qu'un poste de chef d'agence pour BARUSCH ET FISCH ; que les époux [U] ne rapportent pas la preuve du caractère excessif du crédit consenti à la société NG DEMOLITION dont la situation n'était pas irrémédiablement compromise lors des autorisations de découvert et des prêts consentis, tel que ressortant d'un prévisionnel remis à la banque ;
- que l'ancienneté de la dette s'oppose à tout délai de paiement.
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La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'absence d'exigibilité du solde débiteur du compte professionnel
La CCM soutient que l'absence d'exigibilité du solde débiteur du compte professionnel de la société NG DEMOLITION est une prétention nouvelle irrecevable.
Les époux [U] se prévalent au contraire de la recevabilité de cette prétention à hauteur de cour en ce qu'elle vise à faire écarter les prétentions adverses.
En effet, selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En l'espèce, il y a lieu de constater que le dispositif des conclusions des époux [U] soumis au tribunal tendait à les voir déchargés de leurs engagements de caution pour cause de disproportion sur le fondement de l'article L. 332-1 du code de la consommation, ainsi qu'à voir condamner la CCM au paiement de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde, et subsidiairement, à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la CCM pour manquement à son obligation d'information annuelle.
Aussi, il en résulte que l'absence d'exigibilité du solde débiteur du compte courant professionnel de la société NG DEMOLITION soulevée à hauteur de cour par les époux [U] tend aux mêmes fins que celles soumises au tribunal, à savoir être déchargés de leur obligation de cautionnement des engagements souscrits par la société NG DEMOLITION.
Or, l'article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Aussi, la demande des époux [U] tendant à voir déclarer que le solde du compte courant professionnel n'est pas exigible, et en conséquence, à voir débouter la CCM de sa demande de condamnation à ce titre, n'est pas nouvelle.
Dans ces conditions, cette demande est recevable.
Sur le fond, selon l'article L. 641-11-1, I, alinéa 1er du code de commerce, l'ouverture ou le prononcé d'une liquidation judiciaire n'a pas pour effet d'entraîner la clôture du compte courant du débiteur.
En effet, le compte courant non clôturé avant le jugement d'ouverture constitue un contrat en cours, de sorte que sa résiliation ne peut résulter de l'ouverture de la liquidation judiciaire.
Toutefois, la CCM justifie de la demande de clôture sans délai du compte courant professionnel de la société NG DEMOLITION par Me [W], administrateur judiciaire de la société, par courrier du 29 avril 2020.
Aussi, il en résulte que la clôture du compte courant professionnel est intervenue à la demande du titulaire du compte, pris en la personne de son administrateur judiciaire, de sorte que son solde débiteur est devenu exigible.
Dans ces conditions, le solde débiteur du compte courant professionnel de la société NG DEMOLITION entre dans l'assiette du cautionnement consenti par les époux [U].
Sur la disproportion de l'engagement de caution des époux [U]
Les époux [U] soutiennent que ni leurs revenus, ni leur patrimoine ne leur permettaient de faire face à l'engagement de caution du 18 mai 2019, et ce aussi bien au jour de la souscription des engagements qu'au jour des poursuites de la banque.
L'article L. 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable issue de l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, dispose ' qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. '
Il résulte de ce texte que la proportionnalité de l'engagement d'une caution s'apprécie soit, au moment de sa conclusion, soit, le cas échéant, lorsque la caution est appelée à exécuter son engagement.
Aussi, il appartient à la caution qui s'en prévaut de démontrer l'impossibilité manifeste de faire face à son engagement lors de sa conclusion, sans qu'il soit fait de distinction au regard de son caractère averti.
Mais c'est au créancier professionnel qui entend se prévaloir du cautionnement manifestement disproportionné lors de son engagement d'établir, qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de cette dernière lui permet de faire face à son obligation.
Toutefois, lorsque la caution a, lors de son engagement, déclaré des éléments sur sa situation financière ou patrimoniale à la banque, qui l'a interrogée, cette dernière peut, en l'absence d'anomalie apparente, se fier à de tels éléments et n'a pas à en vérifier l'exactitude.
En l'espèce, il ressort de la fiche patrimoniale signée par les époux [U] le 18 mai 2019 dans le cadre de l'acte de cautionnement consenti le même jour dans la limite de 150 000 euros, qu'ils ont déclaré les éléments suivants, qui doivent être pris en compte afin d'apprécier leur endettement global au jour du cautionnement :
- salaire de M. [D] [U] : 2 000 euros par mois (soit 24 000 euros annuels),
- salaire de Mme [E] [U] : 1 500 euros par mois (soit 18 000 euros annuels),
- patrimoine immobilier composé d'une maison d'habitation d'une valeur estimée de 395 000 euros, financée au moyen d'un prêt présentant un encours de 126 978 euros, ainsi que d'un terrain à bâtir d'une valeur estimée de 65 000 euros,
- prêt immobilier en cours : mensualités de l'ordre de 1 189,08 euros (soit 14 269 euros par an) en remboursement du prêt destiné à l'acquisition de la maison d'habitation d'une durée restante de onze ans.
Aussi, la CCM n'avait pas l'obligation de vérifier les mentions déclarées sur la fiche patrimoniale en l'absence d'anomalie apparente l'affectant et pouvait se fier aux éléments y figurant sans en vérifier l'exactitude.
En outre, il convient d'apprécier la disproportion du cautionnement en prenant en considération l'endettement global de la caution, y compris celui résultant d'engagements de caution, à savoir l'engagement de caution de M. [D] [U] du 5 juillet 2018 en garantie des obligations de la société NG DEMOLITION à l'égard de la CCM dans la limite de 60 000 euros.
Or, les époux [U] exposent que leur situation financière au jour de leur engagement de caution doit être appréciée également au regard d'un prêt personnel de 150 000 euros réitéré par acte authentique du 27 juin 2019, dans la mesure où l'offre de prêt émise le 10 mai 2019 a été signée le 25 mai 2019, de sorte que la demande de prêt avait déjà été formulée lors de leur engagement de caution du 18 mai 2019.
La CCM soutient qu'il n'y a pas lieu de retenir ce prêt dans l'appréciation de la disproportion dans la mesure où l'acceptation est intervenue le 25 mai 2019, soit postérieurement à la signature du cautionnement.
En effet, pour apprécier si l'engagement de la caution est, au moment de sa conclusion, disproportionné à ses biens et revenus, il n'y a pas lieu de tenir compte de ses engagements postérieurs.
En l'espèce, le contrat de prêt réitéré par acte notarié du 27 juin 2019 s'est formé au jour de l'acceptation de l'offre préalable matérialisée par sa signature le 25 mai 2019.
Aussi, le prêt personnel d'un montant de 150 000 euros a été consenti postérieurement aux engagements de caution des époux [U] du 18 mai 2019.
Dans ces conditions, la charge résultant de ce prêt n'avait pas à être prise en considération afin d'apprécier leur endettement global au jour du cautionnement.
Pour autant, il y a lieu de constater que ce prêt notarié du 27 juin 2019 avait notamment pour objet le rachat d'un prêt personnel consenti par la CCM aux époux [U] le 23 novembre 2018 pour un montant de 50 000 euros, remboursable sur une durée de 120 mois au taux de 2,90% l'an.
Aussi, la charge de remboursement de ce prêt, que la CCM ne pouvait ignorer en qualité de prêteur, correspondant à des mensualités de 527,89 euros, devait être prise en compte au regard de l'endettement global des cautions né antérieurement à la signature de leur engagement du 18 mai 2019.
Dès lors, il ressort des éléments déclarés à la fiche de renseignements que le patrimoine des époux [U] pouvait être évalué à 333 022 euros (correspondant à la valeur nette de la maison évaluée à 268 022 euros, calculée par déduction de l'encours de la valeur estimée, et à la valeur du terrain de 65 000 euros), de sorte que le montant de l'engagement de caution de M. [D] [U] consenti le 5 juillet 2018 dans la limite de 60 000 euros, ainsi que la charge de remboursement de l'emprunt d'une somme de 50 000 euros consenti le 23 novembre 2018, représentait 33% de leur patrimoine.
Par ailleurs, les revenus annuels du couple (42 000 euros) permettaient aux époux [U] de s'acquitter de la charge annuelle du prêt immobilier ayant pour objet l'acquisition de leur maison d'habitation (14 269 euros).
Aussi, la somme garantie à hauteur de 150 000 euros résultant de l'engagement de caution consenti le 18 mai 2019 caractérisait un endettement correspondant à 78,07% du patrimoine du couple (hors échéances du prêt immobilier en cours représentant près de 34% des revenus du couple).
Dans ces conditions, les époux [U] ne rapportent pas la preuve du caractère manifestement disproportionné de la somme garantie à hauteur de 150 000 euros avec la valeur de leurs biens et revenus appréciée au jour de leur engagement de caution au regard de leur endettement global.
Au surplus, il ressort d'une déclaration de créance effectuée auprès du juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Epinal du 18 mars 2022, que la Caisse d'Epargne avait consenti aux époux [U] deux prêts de 54 600 euros et 190 000 euros, respectivement les 18 octobre 2003 et 14 novembre 2008, dont ils n'ont pas fait mention dans la fiche patrimoniale remplie dans le cadre de l'engagement de caution du 18 mai 2019.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur le manquement de la CCM à son devoir de mise en garde
La banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
Aussi, le devoir de mise en garde qui pèse sur l'établissement de crédit ne s'exerce qu'envers les débiteurs profanes, l'emprunteur comme la caution non avertis.
En outre, c'est à la caution qui se prévaut d'un manquement de la banque à son obligation de mise en garde de rapporter la preuve de l'inadaptation de son engagement à ses capacités financières ou de l'existence d'un risque d'endettement né de l'octroi du prêt.
Au préalable, la caution avertie est celle qui est en mesure de prendre conscience du risque encouru en s'engageant.
Or, la seule qualité de gérant de la SARL NG DEMOLITION (ayant une activité de dépollution et de gestion des déchets) au jour de la signature de l'acte de cautionnement ne saurait induire une connaissance particulière de M. [D] [U] dans le domaine financier lui permettant de mesurer la portée de son engagement, à l'instar de son précédent emploi en qualité de directeur technique et commercial salarié de l'entreprise BATICHOC.
En effet, il n'est pas établi que la gestion des effectifs, de même que l'organisation ou la planification des chantiers, aient permis à M. [D] [U] d'acquérir une compétence dans le domaine financier, qui ne saurait résulter d'un précédent engagement de caution en faveur de cette société dix mois plus tôt (5 juillet 2018), ou de la souscription d'un prêt six mois auparavant (23 novembre 2018), étant précisé que l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société, déterminant la connaissance des difficultés financières, a été ordonnée plus d'un an et demi après l'engagement de caution litigieux (le 29 avril 2020).
Au surplus, il convient de relever que M. [D] [U] a repris la société BSI23 le 9 décembre 2020, soit postérieurement à l'engagement de caution litigieux.
De même, il n'est pas justifié que Mme [E] [U], qui n'était pas associée de la société NG DEMOLITION, avait acquis une compétence ou une expérience professionnelle ou personnelle lui permettant de prendre conscience du risque encouru résultant de son engagement de caution.
Aussi, il en résulte que les époux [U] ne revêtaient pas la qualité de cautions averties au jour de leur engagement de caution.
Sur le fond, il résulte des développements précédents que la garantie des engagements de la SARL NG DEMILITION à hauteur de 150 000 euros consentie le 18 mai 2019 n'excédait pas la capacité financière des époux [U] au regard de leurs revenus et de la valeur des éléments du patrimoine détenu en communauté garantissant ce remboursement, tels que déclarés dans la fiche patrimoniale signée le 18 mai 2019, et ce même en réalisant les biens de leur patrimoine.
Aussi, les époux [U] n'établissent pas la réalité d'une situation financière justifiant l'accomplissement par la CCM de son devoir de mise en garde.
Par ailleurs, les époux [U] ne rapportent pas la preuve du caractère excessif ou disproportionné des concours consentis par la CCM à la SARL NG DEMILITION au jour de leur engagement de caution du 18 mai 2019, déterminant un risque caractérisé de défaillance de celle-ci, en sa qualité de débitrice principale, et par suite d'un risque d'endettement pour les cautions né de l'octroi du prêt garanti.
En effet, s'il est constant que la CCM a consenti à la SARL NG DEMOLITION des autorisations de découvert en compte courant et des prêts entre 2016 et 2019, en revanche, la société avait remis à la banque dès le 5 décembre 2016 un prévisionnel de son activité pour les trois prochaines années mentionnant une évolution positive du chiffre d'affaires et du résultat net (avec un excédent brut d'exploitation passant de 12 794 euros au 31 décembre 2017 à 70 404 euros au 31 décembre 2019), ainsi qu'un renforcement significatif de la capacité d'autofinancement entre 2017 et 2019 (le fonds de roulement passant de 0 euros au 31 décembre 2017 à 61 765 euros au 31 décembre 2019).
Or, la procédure de redressement judiciaire de la SARL NG DEMOLITION a été ouverte le 29 avril 2020, et il ressort de la déclaration de créances de la CCM que les échéances des prêts consentis à la société NG DEMILITION avaient été honorées jusqu'à cette date.
Au surplus, les époux [U] ne produisent pas les relevés bancaires du compte courant professionnel de la société NG DEMOLITION depuis son ouverture permettant d'apprécier l'évolution du solde au regard des découverts consentis.
Aussi, les époux [U] ne rapportent pas la preuve d'une situation irrémédiablement compromise de la SARL NG DEMOLITION lors de l'octroi des financements cautionnés, ni du caractère excessif des crédits et découverts consentis.
Dans ces conditions, les époux [U] n'établissent pas la réalité d'un risque d'endettement né de l'octroi des prêts ou du découvert garantis justifiant l'accomplissement par la CCM de son devoir de mise en garde.
Au surplus, le prêteur n'était pas tenu d'un devoir de conseil des cautions quant à l'opportunité des financements.
Dès lors, aucune obligation de mise en garde ne peut être retenue à l'encontre de la CCM, et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de report des paiements
Il y a lieu de constater que les époux [U] sont solidairement redevables d'une somme totale de 135 057,84 euros au titre des cautionnements litigieux, outre capitalisation des intérêts dus par année entière.
Or, le bien immobilier dont ils sont propriétaires, faisant l'objet d'une saisie immobilière, est évalué en dernier état aux prix de 560 000 euros (hors frais d'agence), sur lequel la CCM a sollicité en sa qualité de créancier poursuivant la mention d'une créance à hauteur de 166 346,36 euros (au titre du prêt consenti le 27 juin 2019), la Caisse d'Epargne étant par ailleurs créancier inscrit au titre de deux créances évaluées à la somme totale de 115 445,60 euros.
Aussi, il en résulte que les créanciers inscrits sur le bien immobilier représentent des créances d'une valeur totale de 281 791,96 euros, de l'ordre de 50% du prix de vente.
Néanmoins, il y a lieu de constater d'une part, que les époux [U] ne produisent aucun compromis de vente malgré le premier mandat de vente du 15 avril 2022 modifié par avenants des 21 décembre 2022 et 25 mai 2024, et d'autre part, que la CCM a sollicité la vente forcée du bien immobilier des époux [U] sur la mise à prix de 250 000 euros, qui ne permettrait pas d'apurer les dettes litigieuses.
Dans ces conditions, les époux [U] ne justifient pas de la possibilité d'apurement des dettes litigieuses dans un délai de douze mois, de sorte qu'il y a lieu de rejeter leur demande de report de paiement.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les époux [U] qui succombent à hauteur de cour supporteront la charge des dépens d'appel et seront déboutés de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Eu égard à la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DEBOUTE Mme [E] [Y] épouse [U] et M. [D] [U] de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [E] [Y] épouse [U] et M. [D] [U] in solidum aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la cour d'appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en quinze pages.
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° /25 DU 13 NOVEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/02172 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FOJU
Décision déférée à la cour :
Jugement du tribunal judiciaire d'EPINAL, R.G. n° 22/00052, en date du 08 octobre 2024,
APPELANTS :
Monsieur [D] [U]
né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 5] (88), domicilié [Adresse 4]
Représenté par Me Virginie GERRIET de la SELARL CHOPIN AVOCATS, avocat au barreau d'EPINAL
Madame [E] [Y] épouse [U]
née le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 5] (88), domiciliée [Adresse 4]
Représentée par Me Virginie GERRIET de la SELARL CHOPIN AVOCATS, avocat au barreau d'EPINAL
INTIMÉE :
LaCAISSE CREDIT MUTUEL LA DOLLER
association coopérative inscrite à responsabilité limitée auprès du tribunal d'instance de MULHOUSE sous le n° V/0046 ayant son siège social [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me David COLLOT de la SELARL LORRAINE DEFENSE & CONSEIL, avocat au barreau d'EPINAL
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2025, en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,
Madame Nathalie ABEL, conseillère,
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL
A l'issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2025, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 13 Novembre 2025, par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSE DU LITIGE
La société NG DEMOLITION, ayant pour gérant M. [D] [U], a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la Caisse de Crédit Mutuel La Doller (ci-après la CCM) le 20 juillet 2017, qui a fait l'objet de deux autorisations de découvert de 50 000 euros, respectivement le 5 juillet 2018 (expirant le 31 août 2018) et le 30 octobre 2019 (expirant le 31 janvier 2020).
La CCM a consenti à la société NG DEMOLITION un prêt professionnel de 30 000 euros le 14 décembre 2016, puis de 40 000 euros le 1er décembre 2017 et de 24 000 euros le 18 mai 2018.
Par acte du 5 juillet 2018, M. [D] [U] s'est porté caution solidaire de tous les engagements souscrits par la société NG DEMOLITION, dans la limite de 60 000 euros et pour une durée de 5 années.
Par acte du 18 mai 2019, Mme [E] [Y] épouse [U] et M. [D] [U] (ci-après les époux [U]) se sont portés caution solidaire de tous les engagements souscrits par la société NG DEMOLITION, dans la limite de 150 000 euros et pour une durée de 5 années.
Par jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse en date du 29 avril 2020, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société NG DEMOLITION, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 24 juin 2020.
La CCM a déclaré ses créances à la procédure collective par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 3 juin 2020 à hauteur de 65 285,02 euros au titre du solde débiteur du compte courant professionnel, 13 702,94 euros au titre du prêt du 14 décembre 2016, 26 137,17 au titre du prêt du 1er décembre 2017 et 17 983,43 euros au titre du prêt du 18 mai 2018, qui ont été admises par ordonnances du juge commissaire du 26 mars 2021.
Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception du 12 juin 2020, la CCM a rappelé aux époux [U] leurs engagements de caution solidaire de la société NG DEMOLITION et les a invités à se substituer à elle pour le règlement des échéances futures des prêts, faisant en outre état du solde débiteur du compte courant professionnel à hauteur de 65 285,02 euros au jour du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société.
Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception du 10 mai 2021, la CCM a mis les époux [U] en demeure de lui rembourser la somme totale de 131 222,42
euros en vertu de leurs engagements de caution, devenue exigible suite à la liquidation judiciaire de la société NG DEMOLITION.
- o0o-
Par actes de commissaire de justice délivrés le 6 janvier 2022, la CCM a fait assigner les époux [U] devant le tribunal judiciaire d'Epinal afin de les voir condamnés solidairement, avec capitalisation annuelle des intérêts, à lui payer les sommes au principal de 78 312,13 euros, 7 573,97 euros, 29 198,31 euros et 19 973,43 euros en vertu des actes de caution solidaire de tous les engagements de la société NG DEMOLITION au titre du solde débiteur du compte courant professionnel et des sommes exigibles des trois prêts professionnels.
Les époux [U] ont demandé au tribunal d'être déchargés de leurs engagements de caution au regard de leur caractère manifestement disproportionné sur le fondement de l'article L. 332-1 du code de la consommation, et ont sollicité à titre reconventionnel la condamnation de la CCM à leur verser la somme de 135 057,84 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement du prêteur à son devoir de mise en garde, ainsi que la compensation des dettes réciproques. Subsidiairement, ils se sont prévalus de la déchéance du droit aux intérêts de l'ensemble des engagements jusqu'en mars 2021 à défaut d'information annuelle, et à titre infiniment subsidiaire, ils ont sollicités l'autorisation de report des paiements à douze mois dans l'attente de la vente de leur maison.
La CCM a fait valoir que les cautionnements n'étaient pas manifestement disproportionnés aux biens et revenus des cautions, et que M. [U] ne pouvait se prévaloir de la qualité de caution non avertie, en sa qualité de fondateur et dirigeant de la société cautionnée, de dirigeant d'une autre société et d'ancien directeur technique et commercial d'une importante société, ajoutant que la situation de la société cautionnée n'était pas irrémédiablement compromise lors de l'octroi des financements. Elle soutient avoir respecté son obligation d'information annuelle des cautions, et subsidiairement, que la déchéance des intérêts n'est encourue que jusqu'à la communication de la nouvelle information (pas au-delà du 23 mars 2021).
Par jugement en date du 8 octobre 2024, le tribunal judiciaire d'Epinal a :
- condamné solidairement les époux [U] à payer à la CCM la somme de 78 312,13 euros au titre du compte courant professionnel n°01,
- condamné solidairement les époux [U] à payer à la CCM la somme de 7 573 euros avec intérêts au taux légal et de l'assurance au taux de 0,50 % à compter du 3 septembre 2021, dans la limite du montant de leur engagement de caution, au titre du prêt professionnel n°03,
- condamné solidairement les époux [U] à payer à la CCM la somme de 29 198,31 euros avec intérêts au taux de 4,60 % et de l'assurance au taux de 0,50 % à compter du 3 septembre 2021, dans la limite du montant de leur engagement de caution, au titre du prêt professionnel n°04,
- condamné solidairement les époux [U] à payer à la CCM la somme de 19 973,43 euros avec intérêts au taux de 4,30 % et de l'assurance au taux de 0,50 % à compter du 3 septembre 2021, dans la limite du montant de leur engagement de caution, au titre du prêt professionnel n°06,
- ordonné la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, conformément à l'article 1343-2 du code civil,
- débouté les époux [U] de leur demande de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde, de leur demande de déchéance du droit aux intérêts, de leur demande de délai de paiement et de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum les époux [U] aux dépens,
- condamné solidairement les époux [U] à payer à la CCM la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a retenu, au regard des fiches patrimoniales remplies et signées les 5 juillet 2018 et 18 mai 2019, que les engagements de caution n'étaient pas manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus lors de leur conclusion.
Il a jugé que la CCM n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard de M. [U], caution avertie, et a énoncé que Mme [U], caution non avertie, ne rapportait pas la preuve de l'inadaptation des prêts cautionnés aux capacités financières de la société NG DEMOLITION à la date de souscription de son engagement de caution, excluant un devoir de mise en garde du prêteur.
Il a relevé que la CCM justifiait avoir rempli son obligation d'information annuelle des cautions.
Le tribunal a rejeté la demande de délais de paiement en indiquant que les époux [U] ne justifiaient pas de la signature d'un compromis de vente de leur bien et qu'ils avaient bénéficié d'un report de paiement supérieur à douze mois depuis leurs dernières conclusions.
- o0o-
Le 4 novembre 2024, les époux [U] ont formé appel du jugement tendant à son infirmation en tous ses chefs critiqués.
Dans leurs dernières conclusions transmises le 27 juin 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les époux [U], appelants, demandent à la cour sur le fondement des articles L. 332-1 du code de la consommation et 1343-5 alinéa 1 du code civil :
- de déclarer leur appel recevable et bien fondé à l'encontre du jugement rendu le 8 octobre 2024 par le tribunal judiciaire d'Epinal,
Y faisant droit,
- d'infirmer ledit jugement en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- de déclarer que le solde du compte courant professionnel n'est pas exigible,
En conséquence,
- de débouter la CCM LA DOLLER de sa demande de condamnation à leur encontre de la somme de 78 312,13 euros au titre du compte courant professionnel,
En tout état de cause,
- de constater que l'engagement de caution du 18 mai 2019 est disproportionné,
En conséquence,
- de les décharger purement et simplement de leurs engagements de caution,
A titre subsidiaire,
- de déclarer que la CCM LA DOLLER a manqué à son devoir de mise en garde,
En conséquence,
- de condamner la CCM LA DOLLER à leur payer la somme de 135 057,84 euros à titre de dommages et intérêts,
- d'ordonner la compensation de cette somme avec les sommes réclamées par la CCM LA DOLLER,
A titre infiniment subsidiaire,
- d'ordonner le report du paiement des sommes éventuellement dues à la CCM LA DOLLER à 12 mois,
- de condamner la CCM LA DOLLER à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la CCM LA DOLLER aux entiers dépens.
Au soutien de leurs demandes, les époux [U] font valoir en substance :
- que la CCM ne justifie pas avoir procédé à la clôture du compte courant professionnel ; que la résiliation ne résultant pas de la liquidation judiciaire depuis un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation, aucune clôture n'est intervenue de sorte qu'ils ne sont pas tenus au remboursement du solde débiteur ; que cette prétention nouvelle est recevable en ce qu'elle vise à faire écarter les prétentions adverses ;
- que ni les revenus, ni le patrimoine du couple ne permettaient de faire face à l'engagement de caution du 18 mai 2019, et ce aussi bien au jour de la souscription de ces engagements qu'au jour des poursuites engagées par la banque ; que le tribunal a écarté la prise en compte d'un prêt personnel souscrit par les époux [U] réitéré par acte authentque le 27 juin 2019 pour un montant de 150 000 euros, alors que l'offre de prêt émise le 10 mai 2019 a été signée le 25 mai 2019, de sorte que la demande de prêt avait déjà été formulée lors de leur engagement de caution ; que ce prêt a été contracté sur les conseils de la banque et que son objet correspond à un apport en compte courant d'associé avec rachat du prêt 0002088775803, s'agissant d'une offre de prêt consentie par la CCM le 23 novembre 2018 à hauteur de 50 000 euros ; qu'ils devaient donc supporter la charge de l'emprunt immobilier de 126 978 euros ainsi que du prêt personnel de 150 000 euros, outre le premier cautionnement régularisé par M. [U] à hauteur de 60 000 euros, ce qui correspondait à la valeur de leur maison estimée à 395 000 euros, de sorte que l'engagement de caution à hauteur de 150 000 euros apparaît disproportionné, au regard des revenus des époux ;
- que les deux cautions doivent être considérées comme non averties ; que M. [U] a été salarié dans l'entreprise Batichoc et avaient des fonctions liées aux chantiers menés, et qu'il a repris la direction de la société BSI 23 postérieurement à son engagement de caution, de sorte que sa seule qualité de gérant de la SARL NG DEMILITION ne pouvait laisser présumer des compétences nécessaires pour mesurer les risques nés de l'octoi du prêt et la portée de son engagement de caution ; que le montant du cautionnement déterminait un risque d'endettement excessif ; que la CCM n'ignorait pas la situation financière de l'entreprise et qu'aucune évaluation des risques ni précaution n'ont été mises en oeuvre par la banque qui a apporté un soutien abusif de crédit ; que la situation de l'entreprise, quelques semaines après l'engagement de caution, était totalement obérée ;
- qu'à titre infiniment subsidiaire, ils ont régularisé un mandat de vente de la maison justifiant le report de paiement de douze mois.
Dans ses dernières conclusions transmises le 6 août 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la CCM, intimée, demande à la cour
- de juger irrecevable la prétention nouvelle, au sens de l'article 564 du code de procédure civile, tendant à faire déclarer que le solde du compte courant professionnel n°01 n'est pas exigible,
Subsidiairement,
- de constater que ce compte courant professionnel a été clôturé à la demande de l'administrateur judiciaire de la société NG DEMOLITION.
En tout état de cause,
- de déclarer mal fondé l'appel des époux [U] à l'encontre de la décision rendue par le tribunal judicaire d'Epinal le 8 octobre 2024 (RG 22/0005),
Par conséquent,
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Epinal le 8 octobre 2024,
- de débouter les époux [U] de l'intégralité de leurs fins, moyens et conclusions,
Y ajoutant,
- de condamner solidairement les époux [U] à lui payer une somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'au entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la CCM fait valoir en substance :
- que l'absence d'exigibilité du solde débiteur du compte courant professionnel est une prétention nouvelle qui n'a jamais été soulevée en première instance, de sorte qu'elle est irrecevable ; que subsidiairement, l'administrateur judiciaire de la société NG DEMILITION a demandé la clôture de compte courant par lettre du 29 avril 2020 ;
- que le cautionnement souscrit par les époux [U] le 18 mai 2019 n'était pas manifestement disproportionné au regard de leurs revenus annuels (42 000 euros) et de la valeur de leur patrimoine immobilier (460 000 euros), pour faire face à un crédit immobilier de 126 978 euros, tel que déclaré dans la fiche patrimoniale, même à supposer la prise en compte du cautionnement souscrit par M. [U] le 5 juillet 2018 à hauteur de 60 000 euros ; qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des prêts souscrits ultérieurement à l'engagement de caution, même s'ils étaient prévus ou prévisibles ; que la date du 10 mai 2019 correspond à celle de l'émission de l'offre de prêt acceptée le 25 mai 2019, soit postérieurement à l'acte de cautionnement, de même que la garantie hypothécaire prise dans le cadre de l'acte authentique du 27 juin 2019 ; que ce prêt fait l'objet d'une instance en cours au titre de laquelle les époux [U] sollicitent l'allocation de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts ; que subsidiairement, si les charges s'élevaient à 276 978 euros (soit 150 000 euros ajoutés à 126 978 euros), les engagements de caution ne seraient pas disproportionnés au total des biens et revenus (502 000 euros) ; que les mandats de vente du bien immobilier produits (15 avril 2022 et dernier avenant du 24 mai 2024) évaluent à ce jour le bien immobilier entre 780 000 euros et 575 000 euros ;
- qu'elle n'est pas débitrice d'une obligation de mise en garde à l'égard de M. [D] [U] qui revêt la qualité de caution avertie, en ce qu'il était associé majoritaire et président de la société NG DEMOLITION dès sa création, dirigeant et participant à la vie de l'entreprise ; que selon son curriculum vitae, il était également dirigeant de la société BSI23, et qu'il avait occupé antérieurement un poste de directeur technique et commercial de l'entreprise BATICHOC, portant sur un effectif de 40 personnes, au sein de laquelle il suivait techniquement et financièrement les chantiers et avait réalisé un plan d'évolution, ainsi qu'un poste de chef d'agence pour BARUSCH ET FISCH ; que les époux [U] ne rapportent pas la preuve du caractère excessif du crédit consenti à la société NG DEMOLITION dont la situation n'était pas irrémédiablement compromise lors des autorisations de découvert et des prêts consentis, tel que ressortant d'un prévisionnel remis à la banque ;
- que l'ancienneté de la dette s'oppose à tout délai de paiement.
- o0o-
La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'absence d'exigibilité du solde débiteur du compte professionnel
La CCM soutient que l'absence d'exigibilité du solde débiteur du compte professionnel de la société NG DEMOLITION est une prétention nouvelle irrecevable.
Les époux [U] se prévalent au contraire de la recevabilité de cette prétention à hauteur de cour en ce qu'elle vise à faire écarter les prétentions adverses.
En effet, selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En l'espèce, il y a lieu de constater que le dispositif des conclusions des époux [U] soumis au tribunal tendait à les voir déchargés de leurs engagements de caution pour cause de disproportion sur le fondement de l'article L. 332-1 du code de la consommation, ainsi qu'à voir condamner la CCM au paiement de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde, et subsidiairement, à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la CCM pour manquement à son obligation d'information annuelle.
Aussi, il en résulte que l'absence d'exigibilité du solde débiteur du compte courant professionnel de la société NG DEMOLITION soulevée à hauteur de cour par les époux [U] tend aux mêmes fins que celles soumises au tribunal, à savoir être déchargés de leur obligation de cautionnement des engagements souscrits par la société NG DEMOLITION.
Or, l'article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Aussi, la demande des époux [U] tendant à voir déclarer que le solde du compte courant professionnel n'est pas exigible, et en conséquence, à voir débouter la CCM de sa demande de condamnation à ce titre, n'est pas nouvelle.
Dans ces conditions, cette demande est recevable.
Sur le fond, selon l'article L. 641-11-1, I, alinéa 1er du code de commerce, l'ouverture ou le prononcé d'une liquidation judiciaire n'a pas pour effet d'entraîner la clôture du compte courant du débiteur.
En effet, le compte courant non clôturé avant le jugement d'ouverture constitue un contrat en cours, de sorte que sa résiliation ne peut résulter de l'ouverture de la liquidation judiciaire.
Toutefois, la CCM justifie de la demande de clôture sans délai du compte courant professionnel de la société NG DEMOLITION par Me [W], administrateur judiciaire de la société, par courrier du 29 avril 2020.
Aussi, il en résulte que la clôture du compte courant professionnel est intervenue à la demande du titulaire du compte, pris en la personne de son administrateur judiciaire, de sorte que son solde débiteur est devenu exigible.
Dans ces conditions, le solde débiteur du compte courant professionnel de la société NG DEMOLITION entre dans l'assiette du cautionnement consenti par les époux [U].
Sur la disproportion de l'engagement de caution des époux [U]
Les époux [U] soutiennent que ni leurs revenus, ni leur patrimoine ne leur permettaient de faire face à l'engagement de caution du 18 mai 2019, et ce aussi bien au jour de la souscription des engagements qu'au jour des poursuites de la banque.
L'article L. 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable issue de l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, dispose ' qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. '
Il résulte de ce texte que la proportionnalité de l'engagement d'une caution s'apprécie soit, au moment de sa conclusion, soit, le cas échéant, lorsque la caution est appelée à exécuter son engagement.
Aussi, il appartient à la caution qui s'en prévaut de démontrer l'impossibilité manifeste de faire face à son engagement lors de sa conclusion, sans qu'il soit fait de distinction au regard de son caractère averti.
Mais c'est au créancier professionnel qui entend se prévaloir du cautionnement manifestement disproportionné lors de son engagement d'établir, qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de cette dernière lui permet de faire face à son obligation.
Toutefois, lorsque la caution a, lors de son engagement, déclaré des éléments sur sa situation financière ou patrimoniale à la banque, qui l'a interrogée, cette dernière peut, en l'absence d'anomalie apparente, se fier à de tels éléments et n'a pas à en vérifier l'exactitude.
En l'espèce, il ressort de la fiche patrimoniale signée par les époux [U] le 18 mai 2019 dans le cadre de l'acte de cautionnement consenti le même jour dans la limite de 150 000 euros, qu'ils ont déclaré les éléments suivants, qui doivent être pris en compte afin d'apprécier leur endettement global au jour du cautionnement :
- salaire de M. [D] [U] : 2 000 euros par mois (soit 24 000 euros annuels),
- salaire de Mme [E] [U] : 1 500 euros par mois (soit 18 000 euros annuels),
- patrimoine immobilier composé d'une maison d'habitation d'une valeur estimée de 395 000 euros, financée au moyen d'un prêt présentant un encours de 126 978 euros, ainsi que d'un terrain à bâtir d'une valeur estimée de 65 000 euros,
- prêt immobilier en cours : mensualités de l'ordre de 1 189,08 euros (soit 14 269 euros par an) en remboursement du prêt destiné à l'acquisition de la maison d'habitation d'une durée restante de onze ans.
Aussi, la CCM n'avait pas l'obligation de vérifier les mentions déclarées sur la fiche patrimoniale en l'absence d'anomalie apparente l'affectant et pouvait se fier aux éléments y figurant sans en vérifier l'exactitude.
En outre, il convient d'apprécier la disproportion du cautionnement en prenant en considération l'endettement global de la caution, y compris celui résultant d'engagements de caution, à savoir l'engagement de caution de M. [D] [U] du 5 juillet 2018 en garantie des obligations de la société NG DEMOLITION à l'égard de la CCM dans la limite de 60 000 euros.
Or, les époux [U] exposent que leur situation financière au jour de leur engagement de caution doit être appréciée également au regard d'un prêt personnel de 150 000 euros réitéré par acte authentique du 27 juin 2019, dans la mesure où l'offre de prêt émise le 10 mai 2019 a été signée le 25 mai 2019, de sorte que la demande de prêt avait déjà été formulée lors de leur engagement de caution du 18 mai 2019.
La CCM soutient qu'il n'y a pas lieu de retenir ce prêt dans l'appréciation de la disproportion dans la mesure où l'acceptation est intervenue le 25 mai 2019, soit postérieurement à la signature du cautionnement.
En effet, pour apprécier si l'engagement de la caution est, au moment de sa conclusion, disproportionné à ses biens et revenus, il n'y a pas lieu de tenir compte de ses engagements postérieurs.
En l'espèce, le contrat de prêt réitéré par acte notarié du 27 juin 2019 s'est formé au jour de l'acceptation de l'offre préalable matérialisée par sa signature le 25 mai 2019.
Aussi, le prêt personnel d'un montant de 150 000 euros a été consenti postérieurement aux engagements de caution des époux [U] du 18 mai 2019.
Dans ces conditions, la charge résultant de ce prêt n'avait pas à être prise en considération afin d'apprécier leur endettement global au jour du cautionnement.
Pour autant, il y a lieu de constater que ce prêt notarié du 27 juin 2019 avait notamment pour objet le rachat d'un prêt personnel consenti par la CCM aux époux [U] le 23 novembre 2018 pour un montant de 50 000 euros, remboursable sur une durée de 120 mois au taux de 2,90% l'an.
Aussi, la charge de remboursement de ce prêt, que la CCM ne pouvait ignorer en qualité de prêteur, correspondant à des mensualités de 527,89 euros, devait être prise en compte au regard de l'endettement global des cautions né antérieurement à la signature de leur engagement du 18 mai 2019.
Dès lors, il ressort des éléments déclarés à la fiche de renseignements que le patrimoine des époux [U] pouvait être évalué à 333 022 euros (correspondant à la valeur nette de la maison évaluée à 268 022 euros, calculée par déduction de l'encours de la valeur estimée, et à la valeur du terrain de 65 000 euros), de sorte que le montant de l'engagement de caution de M. [D] [U] consenti le 5 juillet 2018 dans la limite de 60 000 euros, ainsi que la charge de remboursement de l'emprunt d'une somme de 50 000 euros consenti le 23 novembre 2018, représentait 33% de leur patrimoine.
Par ailleurs, les revenus annuels du couple (42 000 euros) permettaient aux époux [U] de s'acquitter de la charge annuelle du prêt immobilier ayant pour objet l'acquisition de leur maison d'habitation (14 269 euros).
Aussi, la somme garantie à hauteur de 150 000 euros résultant de l'engagement de caution consenti le 18 mai 2019 caractérisait un endettement correspondant à 78,07% du patrimoine du couple (hors échéances du prêt immobilier en cours représentant près de 34% des revenus du couple).
Dans ces conditions, les époux [U] ne rapportent pas la preuve du caractère manifestement disproportionné de la somme garantie à hauteur de 150 000 euros avec la valeur de leurs biens et revenus appréciée au jour de leur engagement de caution au regard de leur endettement global.
Au surplus, il ressort d'une déclaration de créance effectuée auprès du juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Epinal du 18 mars 2022, que la Caisse d'Epargne avait consenti aux époux [U] deux prêts de 54 600 euros et 190 000 euros, respectivement les 18 octobre 2003 et 14 novembre 2008, dont ils n'ont pas fait mention dans la fiche patrimoniale remplie dans le cadre de l'engagement de caution du 18 mai 2019.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur le manquement de la CCM à son devoir de mise en garde
La banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
Aussi, le devoir de mise en garde qui pèse sur l'établissement de crédit ne s'exerce qu'envers les débiteurs profanes, l'emprunteur comme la caution non avertis.
En outre, c'est à la caution qui se prévaut d'un manquement de la banque à son obligation de mise en garde de rapporter la preuve de l'inadaptation de son engagement à ses capacités financières ou de l'existence d'un risque d'endettement né de l'octroi du prêt.
Au préalable, la caution avertie est celle qui est en mesure de prendre conscience du risque encouru en s'engageant.
Or, la seule qualité de gérant de la SARL NG DEMOLITION (ayant une activité de dépollution et de gestion des déchets) au jour de la signature de l'acte de cautionnement ne saurait induire une connaissance particulière de M. [D] [U] dans le domaine financier lui permettant de mesurer la portée de son engagement, à l'instar de son précédent emploi en qualité de directeur technique et commercial salarié de l'entreprise BATICHOC.
En effet, il n'est pas établi que la gestion des effectifs, de même que l'organisation ou la planification des chantiers, aient permis à M. [D] [U] d'acquérir une compétence dans le domaine financier, qui ne saurait résulter d'un précédent engagement de caution en faveur de cette société dix mois plus tôt (5 juillet 2018), ou de la souscription d'un prêt six mois auparavant (23 novembre 2018), étant précisé que l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société, déterminant la connaissance des difficultés financières, a été ordonnée plus d'un an et demi après l'engagement de caution litigieux (le 29 avril 2020).
Au surplus, il convient de relever que M. [D] [U] a repris la société BSI23 le 9 décembre 2020, soit postérieurement à l'engagement de caution litigieux.
De même, il n'est pas justifié que Mme [E] [U], qui n'était pas associée de la société NG DEMOLITION, avait acquis une compétence ou une expérience professionnelle ou personnelle lui permettant de prendre conscience du risque encouru résultant de son engagement de caution.
Aussi, il en résulte que les époux [U] ne revêtaient pas la qualité de cautions averties au jour de leur engagement de caution.
Sur le fond, il résulte des développements précédents que la garantie des engagements de la SARL NG DEMILITION à hauteur de 150 000 euros consentie le 18 mai 2019 n'excédait pas la capacité financière des époux [U] au regard de leurs revenus et de la valeur des éléments du patrimoine détenu en communauté garantissant ce remboursement, tels que déclarés dans la fiche patrimoniale signée le 18 mai 2019, et ce même en réalisant les biens de leur patrimoine.
Aussi, les époux [U] n'établissent pas la réalité d'une situation financière justifiant l'accomplissement par la CCM de son devoir de mise en garde.
Par ailleurs, les époux [U] ne rapportent pas la preuve du caractère excessif ou disproportionné des concours consentis par la CCM à la SARL NG DEMILITION au jour de leur engagement de caution du 18 mai 2019, déterminant un risque caractérisé de défaillance de celle-ci, en sa qualité de débitrice principale, et par suite d'un risque d'endettement pour les cautions né de l'octroi du prêt garanti.
En effet, s'il est constant que la CCM a consenti à la SARL NG DEMOLITION des autorisations de découvert en compte courant et des prêts entre 2016 et 2019, en revanche, la société avait remis à la banque dès le 5 décembre 2016 un prévisionnel de son activité pour les trois prochaines années mentionnant une évolution positive du chiffre d'affaires et du résultat net (avec un excédent brut d'exploitation passant de 12 794 euros au 31 décembre 2017 à 70 404 euros au 31 décembre 2019), ainsi qu'un renforcement significatif de la capacité d'autofinancement entre 2017 et 2019 (le fonds de roulement passant de 0 euros au 31 décembre 2017 à 61 765 euros au 31 décembre 2019).
Or, la procédure de redressement judiciaire de la SARL NG DEMOLITION a été ouverte le 29 avril 2020, et il ressort de la déclaration de créances de la CCM que les échéances des prêts consentis à la société NG DEMILITION avaient été honorées jusqu'à cette date.
Au surplus, les époux [U] ne produisent pas les relevés bancaires du compte courant professionnel de la société NG DEMOLITION depuis son ouverture permettant d'apprécier l'évolution du solde au regard des découverts consentis.
Aussi, les époux [U] ne rapportent pas la preuve d'une situation irrémédiablement compromise de la SARL NG DEMOLITION lors de l'octroi des financements cautionnés, ni du caractère excessif des crédits et découverts consentis.
Dans ces conditions, les époux [U] n'établissent pas la réalité d'un risque d'endettement né de l'octroi des prêts ou du découvert garantis justifiant l'accomplissement par la CCM de son devoir de mise en garde.
Au surplus, le prêteur n'était pas tenu d'un devoir de conseil des cautions quant à l'opportunité des financements.
Dès lors, aucune obligation de mise en garde ne peut être retenue à l'encontre de la CCM, et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de report des paiements
Il y a lieu de constater que les époux [U] sont solidairement redevables d'une somme totale de 135 057,84 euros au titre des cautionnements litigieux, outre capitalisation des intérêts dus par année entière.
Or, le bien immobilier dont ils sont propriétaires, faisant l'objet d'une saisie immobilière, est évalué en dernier état aux prix de 560 000 euros (hors frais d'agence), sur lequel la CCM a sollicité en sa qualité de créancier poursuivant la mention d'une créance à hauteur de 166 346,36 euros (au titre du prêt consenti le 27 juin 2019), la Caisse d'Epargne étant par ailleurs créancier inscrit au titre de deux créances évaluées à la somme totale de 115 445,60 euros.
Aussi, il en résulte que les créanciers inscrits sur le bien immobilier représentent des créances d'une valeur totale de 281 791,96 euros, de l'ordre de 50% du prix de vente.
Néanmoins, il y a lieu de constater d'une part, que les époux [U] ne produisent aucun compromis de vente malgré le premier mandat de vente du 15 avril 2022 modifié par avenants des 21 décembre 2022 et 25 mai 2024, et d'autre part, que la CCM a sollicité la vente forcée du bien immobilier des époux [U] sur la mise à prix de 250 000 euros, qui ne permettrait pas d'apurer les dettes litigieuses.
Dans ces conditions, les époux [U] ne justifient pas de la possibilité d'apurement des dettes litigieuses dans un délai de douze mois, de sorte qu'il y a lieu de rejeter leur demande de report de paiement.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les époux [U] qui succombent à hauteur de cour supporteront la charge des dépens d'appel et seront déboutés de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Eu égard à la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DEBOUTE Mme [E] [Y] épouse [U] et M. [D] [U] de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [E] [Y] épouse [U] et M. [D] [U] in solidum aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la cour d'appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en quinze pages.