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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 6, 12 novembre 2025, n° 23/03073

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/03073

12 novembre 2025

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 12 NOVEMBRE 2025

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/03073 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHS34

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Avril 2023 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 18/01450.

APPELANT

Monsieur [B] [S]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Fiodor RILOV, avocat au barreau de PARIS, toque : P0157

INTIMÉES

Société MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED

Prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 1]

[Localité 3]

Société MARKS AND SPENCER PLC

Prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 5] (ROYAUME UNI)

Représentées par Me Arnaud TEISSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 avril 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-José BOU, présidente de chambre et de la formation,

M. Didier LE CORRE, président de chambre, rédacteur

M. Stéphane THERME, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Le CORRE dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier lors des débats : Madame Camille BESSON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 09 juillet 2025 puis prorogé au 24 septembre 2025, au 22 octobre 2025 et au 12 novembre 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-José BOU, présidente de chambre, et par Charlotte SORET, greffière en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le groupe Marks and Spencer est une enseigne de grande distribution britannique disposant de plusieurs centaines de magasins dans le monde, exploités en propre ou en franchise. Le groupe a pour activité la vente de produits alimentaires, d'articles pour la maison et de vêtements.

La société Marks and Spencer France Limited, filiale du groupe et société de droit britannique, a été créée courant janvier 2011 afin de permettre le retour de l'enseigne en France au moyen de l'ouverture de plusieurs magasins. Cette société, qui a son siège social à [Localité 5], avait pour seule activité la gestion d'une succursale en France, ayant son siège administratif à [Localité 6]. La société Marks and Spencer France Limited avait neuf établissements, un pour le siège social, un pour le siège administratif et un pour chacun des sept magasins exploités en propre sur le territoire français.

Selon contrat de travail à durée indéterminée, M. [S] a été engagé en qualité d'assistant clients le 20 octobre 2011 par la société Marks and Spencer France Limited.

Le 8 novembre 2016, la société Marks and Spencer France Limited a présenté au comité d'entreprise un projet de cessation d'activité conduisant à la fermeture de l'ensemble des magasins exploités par la société et à la suppression de tous les postes de celle-ci en France.

La société Marks and Spencer France Limited et le syndicat CFDT ont signé le 8 février 2017 un accord collectif majoritaire fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Cet accord a été validé le 3 avril 2017 par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) d'Île-de-France.

Par jugement du 31 août 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête en annulation de la décision du 3 avril 2017 par laquelle la Direccte d'Île-de-France a validé l'accord collectif majoritaire.

Par arrêt du 29 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête en annulation du jugement rendu le 31 août 2017 par le tribunal administratif de Paris.

Par arrêt du 5 juillet 2018, le Conseil d'État a déclaré non admis le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour administrative d'appel.

M. [S] était membre du comité d'entreprise de la société Marks and Spencer France Limited.

Par décision du 6 décembre 2017, l'inspectrice du travail des Hauts-de-Seine a accordé à la société Marks and Spencer France Limited l'autorisation de procéder au licenciement pour motif économique de M. [S].

Par lettre du 18 décembre 2017, la société Marks and Spencer France Limited a notifié à M. [S] son licenciement pour motif économique.

Le 27 février 2018, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une contestation de son licenciement et en demandant notamment la reconnaissance d'une situation de coemploi entre la société Marks and Spencer France Limited et la société Marks and Spencer PLC et la condamnation de celles-ci à lui payer différentes sommes au titre de la réserve spéciale de participation et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail ayant autorisé le licenciement de M. [S].

Par ordonnance du 10 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a donné acte à M. [S] du désistement de sa requête formée contre ce jugement.

Par jugement du 6 avril 2023, auquel il est renvoyé pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris, en sa formation présidée par le juge départiteur, a rendu la décision suivante :

« Se déclare incompétent pour connaître des demandes de Monsieur [B] [S] relatives au licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

Renvoie Monsieur [B] [S] à mieux se pourvoir ;

Déboute Monsieur [B] [S] de ses demandes relatives au co-emploi entre les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER PLC,

Déboute Monsieur [B] [S] de l'intégralité de ses demandes,

Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER PLC de leurs demandes indemnitaires pour procédure abusive,

Condamne Monsieur [B] [S] aux entiers dépens. »

M. [S] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 4 mai 2023.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 20 janvier 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [S] demande à la cour :

« - D'INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau de,

- SE DECLARER compétent pour connaître de la demande de l'appelant relative à l'existence d'une situation de co-emploi entre les sociétés MARKS AND SPENCERS FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C ;

- CONDAMNER in solidum les sociétés MARKS AND SPENCERS FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C du fait de leur qualité de co-employeurs à verser à l'appelant une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation du préjudice subi, à hauteur de : - [S] [B] : 2 ans de salaire brut soit 46.261,32 euros';

- CONSTATER la violation par les sociétés MARKS AND SPENCERS FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C du droit de l'appelant à la participation aux résultats';

- CONDAMNER en conséquence les sociétés MARKS AND SPENCERS FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C à recalculer et à distribuer la réserve spéciale de participation due à l'appelant depuis la date de son embauche en intégrant les résultats nets réalisés par les sociétés MARKS AND SPENCERS FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C ;

- JUGER inopposables les conventions conclues entre les sociétés MARKS AND SPENCERS FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C ayant pour effet de priver l'appelant de son droit à participation ;

- CONDAMNER la société MARKS AND SPENCERS FRANCE LIMITED à recalculer la réserve spéciale de participation due à l'appelant depuis la date de sa embauche en intégrant les résultats nets réalisés par les sociétés MARKS AND SPENCERS FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C ;

En tout état de cause,

- CONDAMNER les sociétés MARKS AND SPENCERS FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C à payer à chaque appelant une indemnité de 500 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ASSORTIR les condamnations à intervenir d'intérêts au taux légal ;

- CONDAMNER les sociétés MARKS AND SPENCERS FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C aux entiers dépens. »

Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 13 février 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Marks and Spencer France Limited et la société Marks and Spencer PLC demandent à la cour de :

« A titre liminaire, s'agissant des demandes relatives au motif du licenciement et à la procédure de reclassement :

- Juger que l'effet dévolutif de l'appel n'a pas opéré et que la Cour n'est donc saisie d'aucune demande à ce titre ;

Subsidiairement, si la Cour jugeait que l'effet dévolutif a opéré :

- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il s'est déclaré incompétent et a invité les parties à mieux se pourvoir ;

En tout état de cause, sur les autres demandes :

- Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris en date du 6 avril 2023 en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

- Débouter Monsieur [S] de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner Monsieur [S] à verser à chacune des sociétés intimées une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. »

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 avril 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'effet dévolutif

L'article 562 du code de procédure civile dispose que:

« L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. »

En l'espèce, la société Marks and Spencer France Limited fait valoir qu'il existe une « dissonance évidente entre les chefs du jugement qui ont débouté le salarié et les chefs de jugement critiqués par le salarié », « que le salarié critique des chefs de jugement qui n'existent pas » et que l'effet dévolutif n'a pas opéré à cet égard.

En l'occurrence, la déclaration d'appel de M. [S] est notamment rédigée comme suit':

« Objet/Portée de l'appel : Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués Le jugement rendu par le juge départiteur du conseil de prud'hommes de PARIS dont il est demandé l'infirmation, est expressément critiqué par l'appelant en ce qu'il : - Se déclare incompétent pour connaître de la demande de Monsieur [B] [S] relative au non-respect du périmètre de reclassement interne - Renvoie Monsieur [B] [S] à mieux se pourvoir; - Rejette les demandes relatives au co-emploi entre les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER PLC, - Déboute Monsieur [B] [S] de l'intégralité de ses demandes ; A savoir : A titre principal, Condamner in solidum du fait de la situation de coemploi les sociétés MARKS et SPENCERS France LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à verser au demandeur une indemnité de : [S] [B] 2 ans de salaire brut soit 46.261,32 euros. À titre subsidiaire, Condamner les sociétés MARKS et SPENCERS France LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C du fait de l'absence de motif économique réel et sérieux du licenciement à payer au demandeur l'indemnité suivante pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : [S] [B] 2 ans de salaire brut soit 46.261,32 euros. A titre subsidiaire encore, Condamner les sociétés MARKS et SPENCERS France LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C pour licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait de la violation de l'obligation individuelle de reclassement à verser au salarié les indemnités suivantes : [S] [B] 2 ans de salaire brut soit 46.261,32 euros A titre encore plus subsidiaire, Constater la violation par les sociétés MARKS et SPENCERS France LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C du droit des salariés à la participation aux résultats; (...) ».

Le dispositif du jugement attaqué, qui a déjà été reproduit en intégralité dans l'exposé des faits et de la procédure du présent arrêt, mentionne notamment que le conseil de prud'hommes « Se déclare incompétent pour connaître des demandes de Monsieur [B] [S] relatives au licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ».

La cour constate que la question de l'effet dévolutif ne se pose que pour le chef de jugement portant sur l'incompétence du conseil de prud'hommes, les autres chefs du dispositif du jugement étant bien critiqués dans la déclaration d'appel.

Il ressort de la comparaison dudit dispositif avec la déclaration d'appel que la critique faite dans celle-ci ne correspond pas au premier chef de dispositif du jugement. À cet égard, la cour relève que les motifs du jugement venant au soutien du chef de dispositif du jugement concernant l'incompétence des demandes de M. [S] relatives au licenciement sans cause réelle et sérieuse sont les suivants :

« Sur l'exception d'incompétence tirée de l'autorisation administrative de licenciement

Les sociétés défenderesses font valoir que le juge judiciaire est incompétent pour statuer sur le caractère réel et sérieux des licenciements pour motif économique autorisés par l'autorité administrative. Elles soulignent que les allégations du salarié relatives au motif économique du licenciement et à la procédure de reclassement ont fait l'objet d'un examen par la juridiction administrative, qui les a rejetées, et ne peuvent donc être soumises à l'appréciation du conseil de prud'hommes.

Il est de principe que lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur la validité de la rupture.

En l'espèce, il apparaît, à l'examen des pièces et écriture versées aux débats par Monsieur [B] [S] que l'essentiel des demandes présentées concernent son licenciement pour motif économique.

En effet, Monsieur [B] [S] conteste le motif économique tiré de la cessation d'activité de la société MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED, soutient que cette prétendue cessation d'activité procède d'une légèreté blâmable des sociétés défenderesses et allègue que l'employeur a méconnu son obligation de reclassement interne.

En autorisant le licenciement de Monsieur [B] [S], l'autorité administrative, puis les juridictions administratives ont nécessairement contrôlé les manquements invoqués par le salarié à l'encontre de son employeur.

En conséquence, en raison du principe de la séparation des pouvoirs, la présente juridiction n'est pas compétente pour allouer au demandeur des dommages et intérêts en réparation des préjudices invoqués.

Il y a lieu de renvoyer le salarié à mieux se pourvoir, conformément aux dispositions de l'article 81 du code de procédure civile. »

Il ressort de cette motivation que s'agissant des demandes formées par M. [S] relativement au caractère dénué de cause réelle et sérieuse de son licenciement, le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour en connaître quel que soit le fondement invoqué par le salarié au soutien de sa demande de reconnaissance d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, étant précisé que le conseil de prud'hommes a relevé que M. [S] invoquait deux motifs pour ce faire, à savoir d'une part que la cessation d'activité procédait d'une légèreté blâmable des sociétés et d'autre part que l'obligation de reclassement interne avait été méconnue.

Or, dans sa déclaration d'appel, M. [S] n'a critiqué le dispositif du jugement qu'en ce que le conseil de prud'hommes s'était déclaré incompétent « pour connaître de la demande de Monsieur [B] [S] relative au non-respect du périmètre de reclassement interne ». Ce faisant, l'appelant a critiqué le jugement en ce que le conseil de prud'hommes s'était déclaré incompétent pour connaître des demandes afférentes à un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse en raison de la méconnaissance de l'obligation de reclassement mais a circonscrit à ce seul motif son appel sur le chef de dispositif du jugement ayant retenu l'incompétence du conseil de prud'hommes quant aux demandes relatives à un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, la critique faite dans la déclaration d'appel du chef de dispositif relatif à l'incompétence ayant ainsi exclu l'incompétence du conseil de prud'hommes sur les demandes relatives à un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse par suite d'une cessation d'activité procédant d'une légèreté blâmable des sociétés.

En conséquence, sur le chef de dispositif du jugement par lequel le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes de M. [S] relatives à un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, la déclaration d'appel n'a opéré effet dévolutif qu'en ce que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse en raison du non-respect par l'employeur du reclassement interne.

Sur l'existence d'une situation de coemploi

À titre liminaire, la cour constate que le conseil de prud'hommes ne s'est pas déclaré incompétent pour connaître du coemploi invoqué par le salarié et que les intimées, dans leurs conclusions, ne soulèvent pas d'exception d'incompétence relativement au coemploi. Dès lors, la demande, figurant au dispositif des conclusions de M. [S], que la cour se déclare compétente pour connaître de sa demande relative à l'existence d'une situation de coemploi est sans objet.

M. [S] soutient l'existence d'une situation de coemploi entre la société Marks and Spencer France Limited, son employeur en application du contrat de travail conclu avec celle-ci, et la société Marks and Spencer PLC.

Il n'est pas contesté que la société Marks and Spencer PLC est une société de droit britannique appartenant au groupe Marks and Spencer, de sorte qu'elle appartient au même groupe que la société Marks and Spencer France Limited.

Néanmoins, au regard des éléments versés aux débats, la cour relève que la société Marks and Spencer PLC n'est pas la société holding du groupe, laquelle est la société Marks and Spencer Group PLC. Celle-ci détient la société Marks and Spencer PLC, qui elle-même détient à 100% la société Marks and Spencer France Limited. La société Marks and Spencer PLC était notamment en charge du développement du réseau de magasins exploités en France sous franchise, la société Marks and Spencer France Limited ayant pour seul objet l'exploitation en France des magasins en propre.

Il résulte de l'article L. 1221-1 du code du travail que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n° 18-13.769, B ; Soc., 4 octobre 2023, pourvoi n° 21-20.0484).

En l'espèce, M. [S] expose d'abord que la société Marks and Spencer PLC gérait les activités de la société Marks and Spencer France Limited « en particulier la production, les achats, l'approvisionnement, les relations clients de la commande au paiement, la comptabilité, les finances ainsi que l'administration ».

Il n'est pas contesté que la société Marks and Spencer France Limited se fournissait en produits auprès de la société Marks and Spencer PLC avant d'en assurer la vente aux particuliers, ce qui n'est pas anormal et est même classique dans un groupe spécialisé dans la vente de certains produits (alimentation, articles pour la maison, habillement).

M. [S] ne verse pas de pièce démontrant la réalité du reste de ses dires. En revanche, l'accord collectif majoritaire, signé le 8 février 2017 par le syndicat CFDT et fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, énumère les magasins allant être fermés et la liste des postes supprimés (page 89 de l'accord). Il ressort de cette liste que la majorité des postes supprimés concernait des postes de « conseiller vendeur » (329 postes) mais aussi de « responsable des ventes » (6), ce qui démontre que la relation client de la commande au paiement des produits était assurée par le personnel de la société Marks and Spencer France Limited. De même, parmi les postes supprimés, il y avait notamment 2 comptables fournisseur, 1 responsable comptable, 8 directeurs de magasin, 1 directrice des ressources humaines, 18 employés administratif, 18 employés logistique, 8 gestionnaires de stocks, 3 responsables finance et opérations, 1 directrice finance, 1 responsable formation et développement, 1 responsable juridique, 1 responsable marketing, 1 directeur marketing, 1 responsable paie, 1 chargé « RH juridique paie », 1 responsable ressources humaines. Il en résulte que la société Marks and Spencer France Limited avait son personnel dédié à la comptabilité, aux finances et à l'administration et ne dépendait pas de la société Marks and Spencer PLC pour gérer ces sujets.

M. [S] expose ensuite que la société Marks and Spencer PLC « gérait les ressources humaines et le personnel au sein de Marks and Spencer France Limited dont elle payait les salariés et fixait les conditions de travail ».

Toutefois, M. [S] ne communique pas de pièce pertinente confirmant ses dires. En outre, la liste des postes supprimés démontre au contraire que la société Marks and Spencer France Limited avait en nombre suffisant, compte tenu de sa taille, le personnel adapté et compétent pour gérer les ressources humaines internes et assurer la paie des salariés (directrice des ressources humaines, responsable des ressources humaines, 18 employés administratifs, responsable juridique, responsable paie, chargé « RH juridique paie »). Le contrat de travail de M. [S] a été établi et signé par le responsable des ressources humaines de la société Marks and Spencer France Limited et aucun élément n'est communiqué montrant que la société Marks and Spencer PLC avait fixé les conditions de ce contrat ou les conditions de travail de M. [S] durant la relation contractuelle.

M. [S] expose également que la société Marks and Spencer PLC « a réduit Marks and Spencer France Limited à l'état de simple établissement de Marks and Spencer PLC dépourvu de toute autonomie, dirigé par Marks and Spencer PLC ».

Cependant, il vient déjà d'être établi que la société Marks and Spencer France Limited, grâce à son personnel interne, gérait elle-même ses ressources humaines, sa comptabilité et ses ventes à la clientèle. Elle gérait en outre elle-même ses stocks (18 employés logistique, 8 gestionnaires de stocks, 28 responsables de département) et ses opérations commerciales (1 coordinateur marketing, 1 coordinateur marketing « online », 1 directeur marketing, 1 responsable marketing). Dans ces conditions, M. [S] ne justifie par aucun élément en quoi la société Marks and Spencer France Limited, ayant un siège administratif à [Localité 6], était dépourvue « de toute autonomie » et dirigée par la société Marks and Spencer PLC.

M. [S] expose aussi que « les activités de Marks and Spencer PLC et Marks and Spencer France Limited sont à ce point imbriquées, et confondues que Marks and Spencer PLC et Marks and Spencer France Limited ne forment qu'une seule et même entité économique. Aussi n'est-il pas contestable que la direction, l'activité et les intérêts de Marks and Spencer PLC et Marks and Spencer France Limited se confondaient sous l'autorité de la société Marks and Spencer PLC ».

Toutefois, M. [S], qui communique les actes de désignation courant 2019 de M.'Nicholas [U] [V] et de M. [T] [K] comme étant chacun directeur général de la société Marks and Spencer France Limited, n'explique pas dans ses conclusions ce qui doit en être déduit, étant observé par la cour qu'aucun élément n'est produit sur les autres fonctions éventuelles qui seraient assumées par ces deux personnes dans une quelconque autre entité.

De façon plus générale, M. [S] ne justifie par aucun élément pertinent de l'existence, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, de l'imbrication et de la confusion qui est alléguée entre la société Marks and Spencer France Limited et la société Marks and Spencer PLC.

Compte tenu de l'ensemble des éléments qui précèdent, la cour relève que M. [S] ne rapporte pas la preuve qu'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre la société Marks and Spencer France Limited et la société Marks and Spencer PLC appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de la société Marks and Spencer PLC dans la gestion économique et sociale de la société Marks and Spencer France Limited, société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.

La demande en reconnaissance de l'existence d'un coemploi est dès lors rejetée, le jugement étant confirmé à cet égard.

Sur le licenciement

Dans ses dernières conclusions d'appel, M. [S] soutient exclusivement que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse par suite de la reconnaissance de la société Marks and Spencer PLC comme coemployeur et de différents manquements qui en résulteraient de la part de celle-ci quant au licenciement (non-respect de l'obligation de reclassement individuel, « confection » et motivation de la lettre de licenciement).

Toutefois, indépendamment de la possibilité pour M. [S] d'invoquer de tels manquements de la société Marks and Spencer PLC, la demande en contestation du licenciement est inopérante en ce qu'elle se fonde sur un coemploi dont l'existence a été rejetée.

M. [S] est donc débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est confirmé sur ce chef.

Sur les demandes relatives au droit à la participation aux résultats

Ces demandes figurant dans le dispositif des conclusions de M. [S] ne sont soutenues par aucun moyen dans la partie discussion de ces mêmes conclusions.

Ces demandes sont donc rejetées, le jugement étant confirmé à cet égard.

Sur les autres demandes

M. [S] succombant, il est condamné aux dépens de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Il paraît équitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles pour la procédure d'appel, les demandes respectives des parties à ce titre étant donc rejetées.

PAR CES MOTIFS

DIT que s'agissant du chef de dispositif du jugement par lequel le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes de M. [S] relatives à un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, la déclaration d'appel n'a opéré effet dévolutif qu'en ce que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse en raison du non-respect par l'employeur du reclassement interne,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions dévolues à la cour,

Y ajoutant dans les limites de l'appel :

LAISSE à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE M. [S] aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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