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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 6, 12 novembre 2025, n° 23/03862

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/03862

12 novembre 2025

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 12 NOVEMBRE 2025

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/03862 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHYCR

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Avril 2023 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 18/03338.

APPELANT

Monsieur [Z] [I]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Fiodor RILOV, avocat au barreau de PARIS, toque : P0157

INTIMÉES

Société MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED

Prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 4]

[Localité 5]

Société MARKS AND SPENCER PLC

Prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 7] (ROYAUME UNI)

Représentées par Me Arnaud TEISSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 avril 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-José BOU, présidente de chambre et de la formation

M. Didier LE CORRE, président de chambre, rédacteur

M. Stéphane THERME, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Le CORRE dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier lors des débats : Madame Camille BESSON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 09 juillet 2025 puis prorogé au 24 septembre 2025, au 22 octobre 2025 et au 12 novembre 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-José BOU, présidente de chambre, et par Charlotte SORET, greffière en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le groupe Marks and Spencer est une enseigne de grande distribution britannique disposant de plusieurs centaines de magasins dans le monde, exploités en propre ou en franchise. Le groupe a pour activité la vente de produits alimentaires, d'articles pour la maison et de vêtements.

La société Marks and Spencer France Limited, filiale du groupe et société de droit britannique, a été créée courant janvier 2011 afin de permettre le retour de l'enseigne en France au moyen de l'ouverture de plusieurs magasins. Cette société, qui a son siège social à Londres, avait pour seule activité la gestion d'une succursale en France, ayant son siège administratif à [Localité 8]. La société Marks and Spencer France Limited avait neuf établissements, un pour le siège social, un pour le siège administratif et un pour chacun des sept magasins exploités en propre sur le territoire français.

Selon contrat de travail à durée indéterminée non communiqué par le salarié, M. [I] a été engagé en qualité de conseiller vendeur le 23 avril 2014 par la société Marks and Spencer France Limited. Il occupait en dernier lieu la fonction d'employé logistique.

Le 8 novembre 2016, la société Marks and Spencer France Limited a présenté au comité d'entreprise un projet de cessation d'activité conduisant à la fermeture de l'ensemble des magasins exploités par la société et à la suppression de tous les postes de celle-ci en France.

La société Marks and Spencer France Limited et le syndicat CFDT ont signé le 8 février 2017 un accord collectif majoritaire fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Cet accord a été validé le 3 avril 2017 par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) d'Île-de-France.

Par jugement du 31 août 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête en annulation de la décision du 3 avril 2017 par laquelle la Direccte d'Île-de-France a validé l'accord collectif majoritaire.

Par arrêt du 29 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête en annulation du jugement rendu le 31 août 2017 par le tribunal administratif de Paris.

Par arrêt du 5 juillet 2018, le Conseil d'État a déclaré non admis le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour administrative d'appel.

Par lettre du 11 septembre 2017, la société Marks and Spencer France Limited a notifié à M. [I] son licenciement pour motif économique.

Le 2 mai 2018, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une contestation de son licenciement et en demandant notamment la reconnaissance d'une situation de coemploi entre la société Marks and Spencer France Limited et la société Marks and Spencer PLC et la condamnation de celles-ci à lui payer différentes sommes au titre de la réserve spéciale de participation et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 6 avril 2023, auquel il est renvoyé pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris, en sa formation présidée par le juge départiteur, a rendu la décision suivante :

« Se déclare incompétent pour connaître des demandes de Monsieur [Z] [I] relatives au non-respect du périmètre de reclassement interne,

Renvoie Monsieur [Z] [I] à mieux se pourvoir ;

Rejette les demandes relatives au co-emploi entre les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER PLC,

Déboute Monsieur [Z] [I] de l'intégralité de ses demandes,

Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER PLC de leurs demandes indemnitaires pour procédure abusive,

Condamne Monsieur [Z] [I] aux entiers dépens. »

M. [I] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 4 mai 2023.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 3 avril 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [I] demande à la cour :

« - D'INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau de,

- SE DECLARER compétent pour connaître de l'ensemble des demandes de l'appelant ;

- CONDAMNER in solidum les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C du fait de leur qualité de co-employeurs à verser à l'appelant une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation du préjudice subi, à hauteur de : - [I] [Z] : 1 an et demi de salaire brut soit 25.545,45'euros ;

- CONDAMNER les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C du fait de l'absence de motif économique réel et sérieux du licenciement à verser à l'appelant une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à hauteur de : - [I] [Z] : 1 an et demi de salaire brut soit 25.545,45'euros';

- CONDAMNER les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement consécutive à l'inexécution de l'obligation individuelle de reclassement à verser à l'appelant une indemnité en réparation du préjudice subi, égale à : - [I] [Z] : 1 an et demi de salaire brut soit 25.545,45 euros ;

- CONSTATER la violation par les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C du droit de l'appelant à la participation aux résultats';

- CONDAMNER en conséquence les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C à recalculer et à distribuer la réserve spéciale de participation due à l'appelant depuis la date de son embauche en intégrant les résultats nets réalisés par les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C ;

- JUGER inopposables les conventions conclues entre les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C ayant pour effet de priver l'appelant de son droit à participation ;

- CONDAMNER la société MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED à recalculer la réserve spéciale de participation due à l'appelant depuis la date de son embauche en intégrant les résultats nets réalisés par les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C ;

En tout état de cause,

- CONDAMNER les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C à payer à chaque appelant une indemnité de 500 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ASSORTIR les condamnations à intervenir d'intérêts au taux légal ;

- CONDAMNER les sociétés MARKS AND SPENCER FRANCE LIMITED et MARKS AND SPENCER P.L.C aux entiers dépens. »

Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 31 mars 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Marks and Spencer France Limited et la société Marks and Spencer PLC demandent à la cour de :

« Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris en date du 6 avril 2023 en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

Débouter Monsieur [I] de l'ensemble de ses demandes ;

Condamner Monsieur [I] à verser à chacune des sociétés intimées une somme de 1'500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. »

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 avril 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'existence d'une situation de coemploi

M. [I] soutient l'existence d'une situation de coemploi entre la société Marks and Spencer France Limited, son employeur en application du contrat de travail conclu avec celle-ci, et la société Marks and Spencer PLC.

Il n'est pas contesté que la société Marks and Spencer PLC est une société de droit britannique appartenant au groupe Marks and Spencer, de sorte qu'elle appartient au même groupe que la société Marks and Spencer France Limited.

Néanmoins, au regard des éléments versés aux débats, la cour relève que la société Marks and Spencer PLC n'est pas la société holding du groupe, laquelle est la société Marks and Spencer Group PLC. Celle-ci détient la société Marks and Spencer PLC, qui elle-même détient à 100% la société Marks and Spencer France Limited. La société Marks and Spencer PLC était notamment en charge du développement du réseau de magasins exploités en France sous franchise, la société Marks and Spencer France Limited ayant pour seul objet l'exploitation en France des magasins en propre.

Il résulte de l'article L. 1221-1 du code du travail que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n° 18-13.769, B; Soc., 4 octobre 2023, pourvoi n° 21-20.0484).

En l'espèce, M. [I] expose d'abord que la société Marks and Spencer PLC gérait les activités de la société Marks and Spencer France Limited « en particulier la production, les achats, l'approvisionnement, les relations clients de la commande au paiement, la comptabilité, les finances ainsi que l'administration ».

Il n'est pas contesté que la société Marks and Spencer France Limited se fournissait en produits auprès de la société Marks and Spencer PLC avant d'en assurer la vente aux particuliers, ce qui n'est pas anormal et est même classique dans un groupe spécialisé dans la vente de certains produits (alimentation, articles pour la maison, habillement).

M. [I] ne verse pas de pièce démontrant la réalité du reste de ses dires. En revanche, l'accord collectif majoritaire signé le 8 février 2017 par le syndicat CFDT, et fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, énumère les magasins allant être fermés et la liste des postes supprimés (page 89 de l'accord). Il ressort de cette liste que la majorité des postes supprimés concernait des postes de « conseiller vendeur » (329 postes) mais aussi de « responsable des ventes » (6), ce qui démontre que la relation client de la commande au paiement des produits était assurée par le personnel de la société Marks and Spencer France Limited. De même, parmi les postes supprimés, il y avait notamment 2 comptables fournisseur, 1 responsable comptable, 8 directeurs de magasin, 1 directrice des ressources humaines, 18 employés administratifs, 18 employés logistique, 8 gestionnaires de stocks, 3 responsables finance et opérations, 1 directrice finance, 1 responsable formation et développement, 1 responsable juridique, 1 responsable marketing, 1 directeur marketing, 1 responsable paie, 1 chargé « RH juridique paie », 1 responsable ressources humaines. Il en résulte que la société Marks and Spencer France Limited avait son personnel dédié à la comptabilité, aux finances et à l'administration et ne dépendait pas de la société Marks and Spencer PLC pour gérer ces sujets.

M. [I] expose ensuite que la société Marks and Spencer PLC « gérait les ressources humaines et le personnel au sein de Marks and Spencer France Limited dont elle payait les salariés et fixait les conditions de travail ».

Toutefois, M. [I] ne communique pas de pièce pertinente confirmant ses dires. En outre, la liste des postes supprimés démontre au contraire que la société Marks and Spencer France Limited avait en nombre suffisant, compte tenu de sa taille, le personnel adapté et compétent pour gérer les ressources humaines internes et assurer la paie des salariés (directrice des ressources humaines, responsable des ressources humaines, 18 employés administratifs, responsable juridique, responsable paie, chargé « RH juridique paie »). Aucun élément n'est versé aux débats par M. [I] montrant que la société Marks and Spencer PLC avait déterminé les termes de son embauche ou ses conditions de travail durant la relation contractuelle avec la société Marks and Spencer France Limited.

M. [I] expose également que la société Marks and Spencer PLC « a réduit Marks and Spencer France Limited à l'état de simple établissement de Marks and Spencer PLC dépourvu de toute autonomie, dirigé par Marks and Spencer PLC ».

Cependant, il vient déjà d'être établi que la société Marks and Spencer France Limited, grâce à son personnel interne travaillant en France, gérait elle-même ses ressources humaines, sa comptabilité et ses ventes à la clientèle. Elle gérait en outre elle-même ses stocks (18 employés logistique, 8 gestionnaires de stocks, 28 responsables de département) et ses opérations commerciales (1 coordinateur marketing, 1 coordinateur marketing « online », 1 directeur marketing, 1 responsable marketing). Dans ces conditions, M. [I] ne justifie par aucun élément en quoi la société Marks and Spencer France Limited était dépourvue « de toute autonomie » et dirigée par la société Marks and Spencer PLC.

M. [I] expose aussi que « les activités de Marks and Spencer PLC et Marks and Spencer France Limited sont à ce point imbriquées, et confondues que Marks and Spencer PLC et Marks and Spencer France Limited ne forment qu'une seule et même entité économique. Aussi n'est-il pas contestable que la direction, l'activité et les intérêts de Marks and Spencer PLC et Marks and Spencer France Limited se confondaient sous l'autorité de la société Marks and Spencer PLC ».

Toutefois, M. [I], qui communique les actes de désignation courant 2019 de M.'[D] [R] [O] et de M. [V] [C] comme étant chacun directeur général de la société Marks and Spencer France Limited, n'explique pas dans ses conclusions ce qui doit en être déduit, étant observé par la cour qu'aucun élément n'est produit sur les autres fonctions éventuelles qui seraient assumées par ces deux personnes dans une quelconque autre entité.

De façon plus générale, M. [I] ne justifie par aucun élément pertinent de l'existence, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, de l'imbrication et de la confusion qui est alléguée entre la société Marks and Spencer France Limited et la société Marks and Spencer PLC.

Compte tenu de l'ensemble des éléments qui précèdent, la cour relève que M. [I] ne rapporte pas la preuve qu'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre la société Marks and Spencer France Limited et la société Marks and Spencer PLC appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de la société Marks and Spencer PLC dans la gestion économique et sociale de la société Marks and Spencer France Limited, société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.

La demande en reconnaissance de l'existence d'un coemploi est dès lors rejetée, le jugement étant confirmé à cet égard.

Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement pour motif économique

A) Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en raison de la violation de leurs obligations par les coemployeurs

Dans ses conclusions d'appel, M. [I] soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse par suite de la reconnaissance de la société Marks and Spencer PLC comme coemployeur et de différents manquements qui en résulteraient de la part de celle-ci quant au licenciement (notamment absence de mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, non-respect de l'obligation de reclassement individuel, absence de participation du coemployeur à la « confection » et à la motivation de la lettre de licenciement).

Toutefois, ces moyens de contestation du licenciement sont inopérants dès lors qu'ils sont fondés sur un coemploi dont l'existence a été rejetée par la cour.

Par ajout au jugement, la demande tendant à voir déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement en raison de la violation de leurs obligations par les coemployeurs est donc rejetée.

B) Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en raison de l'absence de cessation d'activité de la société Marks and Spencer France Limited

La lettre de licenciement de M. [I] fonde le motif économique de la rupture du contrat de travail sur la cessation totale d'activité de la société Marks and Spencer France Limited impliquant la fermeture des sept magasins détenus en propre et la suppression de l'intégralité des postes de travail.

L'article L.1233-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, dispose notamment que :

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés. (...)

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise. »

Il est de jurisprudence constante que la cessation d'activité de l'entreprise constitue un motif autonome de licenciement économique, de sorte que lorsqu'elle n'est pas due à une faute de l'employeur, elle n'a pas à être justifiée par des difficultés économiques, des mutations technologiques ou la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. Cette cessation d'activité doit être complète et définitive. Toutefois, la seule circonstance que d'autres entreprises du groupe aient poursuivi une activité de même nature que celle de la société employeur ne fait pas par elle-même obstacle à ce que la cessation d'activité de celle-ci soit regardée comme totale et définitive (Soc., 6 avril 2022, pourvoi n° 20-23.234). En outre, dès lors que la cessation d'activité de l'entreprise était irrémédiablement engagée lors du licenciement, le maintien d'une activité résiduelle nécessaire à l'achèvement de l'exploitation de certains produits avant leur cession à une autre entreprise du groupe ne caractérise pas une poursuite d'activité (Soc., 20 septembre 2023, pourvoi n°'22-13.485,'B). Il n'est donc pas nécessaire que la cessation d'activité, qui s'apprécie au niveau de l'entreprise et non au niveau du groupe auquel elle appartient, soit complète et définitive lors de la notification des licenciements dès lors que la cessation d'activité a été irrémédiablement engagée à cette date.

M. [I] soutient que la société Marks and Spencer France Limited a poursuivi ses activités après son licenciement.

1) Pour conclure à l'absence de cessation complète et définitive de l'entreprise, M. [I] invoque d'abord « L'absence de tout acte préparant la cessation d'activité Marks and Spencer France Limited de ses activités ». Il explique que la cessation d'activité n'a donné lieu à aucune inscription au registre du commerce et des sociétés et à aucune annonce dans le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), qu'aucune délibération en assemblée générale extraordinaire statuant sur la liquidation n'a été adoptée, que la société n'a jamais communiqué d'acte de résiliation de ses contrats d'approvisionnement et que le rapport annuel 2018 de la société Marks and Spencer France Limited n'évoque aucune cessation d'activité de l'entreprise.

Toutefois, la cessation d'activité d'une entreprise n'est pas subordonnée à la disparition de la personne morale qui exerçait cette activité, de sorte que l'absence de liquidation juridique de l'entreprise ne suffit pas à invalider l'existence de sa cessation d'activité. À cet égard, Mme [B], ancienne directrice générale, atteste que l'abandon des magasins en 2017 n'a pas signifié la fin des sujets devant être traités par la société Marks and Spencer France Limited, celle-ci ayant ensuite dû traiter les demandes de formations émises par les salariés dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi, continuer à payer les salariés ayant bénéficié d'un congé de reclassement jusqu'en décembre 2018 dans le cadre de ce plan et poursuivre le traitement des litiges en cours tant commerciaux que financiers ou sociaux dont les litiges engagés par des salariés devant les juridictions administratives et judiciaires. Aucun élément n'est communiqué démontrant la poursuite par la société Marks and Spencer France Limited de ses contrats d'approvisionnement. De plus, contrairement à ce qu'affirme M. [I], le rapport financier annuel 2018 mentionne en page 3 que les comptes ont été établis sur la base autre que la continuité de l'exploitation puisque l'entreprise a cessé son activité le 31 octobre 2017 (pièce n°22 du salarié).

2) M. [I] invoque ensuite « La poursuite par Marks and Spencer France Limited de son activité économique ».

Cependant, le rapport financier annuel 2019 (pièce n°49 du salarié), de même que le précédent, mentionne la cessation d'activité de la société Marks and Spencer France Limited et n'évoque pas de développement économique de celle-ci, contrairement à ce que prétend M. [I]. Ledit rapport rappelle qu'en 2017 cinq des magasins exploités en propre par la société Marks and Spencer France Limited ont été fermés et que les deux autres magasins ont été repris par une société tierce qui a poursuivi leur exploitation sous la forme d'une franchise avec un approvisionnement auprès de la société Marks and Spencer PLC. M. [I], dans ses conclusions, tente d'opérer une confusion entre ce qui était la seule activité de la société Marks and Spencer France Limited, l'exploitation de magasins en propre, et l'activité, maintenue, de la société Marks and Spencer PLC dans le cadre de contrats de franchise. Il ne résulte pas de l'article de presse du 13 septembre 2021 sur les magasins franchisés en France et leur approvisionnement (pièce n°52 du salarié) qu'au sein du groupe Marks and Spencer c'est la société Marks and Spencer France Limited qui assurait à cette date leur approvisionnement, M. [I] dénaturant le contenu de cet article. De façon plus générale, l'affirmation par M. [I] que jusqu'en 2024, la société Marks and Spencer France Limited a un rôle dans l'approvisionnement des magasins franchisés à enseigne Marks and Spencer ne ressort pas des éléments versés aux débats. Par exemple, M. [I] dénature le rapport financier annuel 2020 (pièce n°50 du salarié) dont il résulte seulement en page 14 qu'en 2017, la société Marks and Spencer France Limited avait transféré deux magasins et leurs employés à la société SFH Invest afin que celle-ci, société tierce, les exploite ensuite en franchise et que la société SFH Invest était, à l'époque, une société partenaire en ce qu'elle commercialisait les mêmes produits, provenant de la société Marks and Spencer PLC, que la société Marks and Spencer France Limited mais dans des magasins exploités sous franchise. À cet égard, la société Marks and Spencer France Limited justifie, par la production d'extraits des contrats de franchise conclus entre la société SFH Invest et la société Marks and Spencer PLC, n'avoir pas de rôle dans l'activité exercée en franchise par la société SFH Invest. Ni la page 16 du rapport de gestion du groupe Marks and Spencer pour l'exercice 2020 (pièce n°55 du salarié), ni aucune autre de ses pages, n'établit non plus que la société Marks and Spencer France Limited a lancé un partenariat avec « Deliveroo » en France en 2020, M. [I] entretenant une confusion entre les sociétés du groupe Marks and Spencer.

S'agissant des comptes certifiés de la société Marks and Spencer France Limited, l'existence d'un chiffre d'affaires de 37 millions d'euros durant l'exercice annuel clos le 31 mars 2018 n'est pas anormal dès lors que la fermeture des cinq magasins et la reprise des deux autres sont intervenues durant cet exercice et que ces sept magasins avaient eu préalablement une activité pendant ce même exercice annuel. Il résulte des rapports financiers annuels de la société Marks and Spencer France Limited que celle-ci n'a pas réalisé de chiffre d'affaires (ligne « Revenue » en anglais) lors des exercices clos le 30 mars 2019, le 28 mars 2020 et le 3 avril 2021 par la vente de biens ou services par la société durant ces mêmes exercices, les autres lignes comptables n'étant pas liées à de telles ventes.

En ce qui concerne l'affirmation de M. [I] dans ses dernières conclusions selon laquelle la société Marks and Spencer France Limited « poursuit ses activités sept années après les licenciements » par « l'exploitation de l'établissement situé au [Adresse 1] où travaillent encore des salariés », il résulte des pièces versées aux débats que cette adresse correspondait au siège administratif de la société Marks and Spencer France Limited et comprenait, en 2016, un certain nombre de bureaux loués au 5ème étage de l'immeuble dont certains ont donné lieu à résiliation du bail courant 2018 et les trois derniers bureaux occupés par la société Marks and Spencer France Limited ont vu leur bail résilié par lettre du 15 novembre 2018 à effet au 31 janvier 2019, de sorte que la société Marks and Spencer France Limited n'a plus eu de local en France après cette date. En outre, celle-ci n'a conservé qu'une salariée après janvier 2019, Mme [B], directrice générale, dont le contrat de travail a été rompu en août 2019. Cette diminution progressive tant du nombre de personnel administratif que de la superficie de locaux occupés par celui-ci est cohérente avec la cessation de l'activité de la société Marks and Spencer France Limited fin 2017 et les sujets exclusivement juridiques, financiers et administratifs restant ensuite à traiter par la société dans le cadre de la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi et que la cour a déjà rappelés (continuer à payer les salariés ayant bénéficié d'un congé de reclassement jusqu'en décembre 2018 etc). De même, le remplacement à l'été 2019 de la directrice générale française de la société Marks and Spencer France Limited, qui travaillait à [Localité 8], par deux directeurs généraux anglais basés à Londres où se situe le siège du groupe Marks and Spencer, étant observé que la société Marks and Spencer France Limited n'avait eu pour activité depuis sa création que l'exploitation de magasins en France avant leur fermeture ou reprise en 2017, démontre que la société Marks and Spencer France Limited n'avait plus alors pour rôle que de traiter les sujets juridiques consécutifs à la cessation d'activité et liés aux procédures administratives et judiciaires en cours, le traitement de ces sujets ne caractérisant pas une poursuite partielle d'activité de la société Marks and Spencer France Limited qui ne disposait plus de salarié ni de magasin en France et ne participait plus d'aucune manière à la vente de biens ou services.

La pièce n°20 de M. [I], qui est une copie de la page d'accueil du site web de l'enseigne Marks and Spencer en France à la date du 8 juin 2018, ne mentionne pas la société Marks and Spencer France Limited et aucun élément n'est communiqué permettant de prétendre que c'est cette dernière qui gérait le site ou en livrait les clients, étant rappelé que le groupe Marks and Spencer comportait de nombreuses sociétés à l'étranger dont la société Marks and Spencer PLC qui a poursuivi, après 2017, la vente en France des produits de l'enseigne.

La comparaison faite par M. [I] entre la cessation d'activité de petites sociétés n'ayant pas plusieurs établissements avec la société Marks and Spencer France Limited qui a mis en place un plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas pertinente.

3) M. [I] invoque également que « L'objet social de Marks and Spencer France Limited n'est pas limité à l'activité de la succursale française ».

Toutefois, la circonstance que, comme cela est habituel, les statuts de la société Marks and Spencer France Limited aient été généraux et exhaustifs quant aux secteurs d'activité dans lequel la société allait être autorisée à intervenir est indifférente quant à la contestation de sa cessation d'activité ultérieure. En effet, M. [I] ne justifie par aucune pièce que la société Marks and Spencer France Limited a eu concrètement une autre activité que celle de gérer sa succursale française.

4) M. [I] invoque enfin, pour réfuter la cessation d'activité, « La proposition faite par Marks and Spencer France Limited de gérer l'épargne salariale des salariés et anciens salariés ».

Il est exact que la société Marks and Spencer France Limited a adressé courant 2019 une lettre à ses anciens salariés. Cette lettre débute ainsi : « La situation de Marks and Spencer France Limited a conduit à la constitution d'une réserve spéciale de participation au titre d'une période durant laquelle vous avez été salarié de l'entreprise. Une quote-part de cette réserve spéciale de participation vous revient. Vous recevrez par courrier séparé un bulletin d'option détaillant le montant qui vous a été attribué ».

Or l'existence d'une réserve spéciale de participation n'est pas laissée à la discrétion des employeurs mais est prévue par l'article L.3323-2 du code du travail. Cette réserve s'impose à l'employeur qui est également tenu par les modalités qui en ont été déterminées par l'accord de participation conclu au sein de l'entreprise.

L'envoi par la société Marks and Spencer France Limited de cette lettre à ses salariés correspond donc au respect par l'intimée de ses obligations en matière de participation. Contrairement à ce qu'affirme M. [I], la société Marks and Spencer France Limited ne propose pas dans cette lettre à ses anciens salariés de gérer leur épargne salariale. Elle leur offre en effet le choix entre deux possibilités, soit de « choisir de toucher directement votre participation. Vous avez la possibilité de percevoir immédiatement votre participation. Dans ce cas, elle sera toutefois intégrée à votre revenu imposable », soit de « constituer une épargne de précaution et préparer vos projets à moyen terme ». Dans cette hypothèse, la lettre précise à chaque ancien salarié « la possibilité de verser votre participation sur le plan d'épargne entreprise (PEE) mis en place au sein de M&S », étant observé que le sigle « M&S » ne se limite pas à « Marks and Spencer France Limited » et renvoie au groupe Marks and Spencer. Surtout, la lettre précise ensuite que l'épargne salariale sera alors gérée par la banque HSBC, un espace client pour chacun des anciens salariés de la société Marks and Spencer France Limited étant ainsi indiqué comme leur étant disponible sur le site internet de la banque HSBC.

Compte tenu de tout ce qui précède, la cour retient qu'aucun élément n'est communiqué faisant obstacle à ce que la cessation d'activité de la société Marks and Spencer France Limited soit regardée comme complète et définitive, la cessation d'activité de l'entreprise ayant été irrémédiablement engagée lors du licenciement de M. [I]. Le jugement est confirmé sur ce point.

C) Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en raison « d'une faute ou légèreté blâmable de la société britannique Marks and Spencer France Limited dans la cessation d'activité »

Jusqu'en 2020, la Cour de cassation jugeait que la cessation d'activité de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement quand elle n'est pas due à une faute de l'employeur ou à sa légèreté blâmable. La référence à la légèreté blâmable a ensuite été abandonnée, seule une faute de l'employeur étant désormais susceptible de rendre sans cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour cessation d'activité de l'entreprise (Soc., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-15.494 ; Soc., 20 septembre 2023, pourvoi n°'22-13.485, déjà cité ; Soc., 9 octobre 2024, pourvoi n° 23-10.377). C'est au salarié de démontrer qu'une faute de l'employeur est à l'origine de la cessation d'activité. Enfin, il est de jurisprudence constante que sauf faute de l'employeur, le juge ne peut se fonder sur les choix de gestion de ce dernier pour apprécier le bien-fondé du licenciement pour motif économique, étant ajouté qu'une erreur dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne suffit pas à caractériser une faute de l'employeur (Soc., 17 mars 2021, pourvoi n° 19-12.025, B).

Par ailleurs, si le juge ne peut déduire la faute de l'employeur de la seule absence de difficultés économiques ou, à l'inverse, déduire l'absence de faute de l'existence de telles difficultés, il ne lui est pas interdit de prendre en compte la situation économique de l'entreprise pour apprécier le comportement de l'employeur (Soc., 17 mai 2023, pourvoi n° 20-21.112).

En l'espèce, M. [I] soutient que la cessation d'activité de la société Marks and Spencer France Limited correspond à une décision stratégique du groupe visant à améliorer sa profitabilité, celui-ci ayant affiché une croissance particulièrement forte à l'international en 2017 avec un résultat opérationnel en nette augmentation. M. [I] affirme que la cause exclusive des restructurations mises en oeuvre en France se trouve dans la stratégie du groupe consistant à monter en gamme dans l'habillement et à transférer une partie significative de l'activité internationale à des franchisés. Il indique que le groupe avait décidé de mettre un terme à de nombreuses activités non franchisées en dehors du Royaume-Uni au motif qu'elles étaient insuffisamment rentables et simultanément d'augmenter les réseaux de franchisés en France.

En l'occurrence, selon les éléments comptables produits, le chiffre d'affaires du marché international du groupe Marks and Spencer a augmenté de 10,7% entre 2016 et 2017. Toutefois, il résulte de ces mêmes éléments que ladite augmentation était consécutive aux évolutions favorables du taux de change et qu'à taux de change égal avec la livre sterling, le chiffre d'affaires du marché international avait diminué de 0,1%. La hausse du chiffre d'affaires en 2017, liée aux variations favorables du taux de change, ne caractérise donc pas une croissance du marché international du groupe. En outre, le résultat ajusté avant impôt avait reculé de 10,3% en un an.

Comme l'indique M. [I], le groupe Marks and Spencer a voulu réduire à l'international l'exploitation de magasins en propre et favoriser l'exploitation de magasins sous franchise. Cependant, cette orientation n'a pas concerné que la France. De plus, même au Royaume-Uni le groupe a recherché un partenariat pour développer les franchises. Il en résulte qu'il s'agit bien d'un choix de gestion général du groupe pour ses magasins et pas seulement pour le marché français.

S'agissant plus spécifiquement de la société Marks and Spencer France Limited, qui exploitait sept magasins en propre sur le territoire français, il ressort de ses comptes annuels qu'elle était déficitaire en 2016 et en 2017.

Compte tenu de l'ensemble des éléments qui précèdent, il n'est pas démontré l'existence d'une faute à l'origine de la cessation d'activité de la société Marks and Spencer France Limited. Le jugement est confirmé à cet égard.

D) Sur l'absence de difficultés économiques au sens de l'article L.1233-3 du code du travail

Il est jugé que la cessation totale et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement, sans qu'il soit nécessaire de rechercher la cause de cette cessation d'activité quand elle n'est pas due à une faute de l'employeur (Soc., 20 septembre 2023, pourvoi n° 22-13.485, B, déjà cité).

Dès lors, le moyen de M. [I] selon lequel il n'existe pas de difficulté économiques, dans le secteur d'activité du groupe auquel appartient la société Marks and Spencer France Limited, susceptible de justifier son licenciement, est inopérant. Il est ajouté au jugement sur ce chef.

E) Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en raison de la violation de l'obligation individuelle de reclassement

L'article L.1233-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, applicable à la date du licenciement, dispose que :

« Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. »

L'article L.1233-4-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, alors applicable, dispose que :

« Lorsque l'entreprise ou le groupe dont l'entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l'employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L'employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises. »

L'article D.1233-2-1 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret n°2017-1725 du 21 décembre 2017, applicable au litige, précise que :

« I.-Pour l'application de l'article L. 1233-4-1, l'employeur informe individuellement le salarié, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de conférer date certaine, de la possibilité de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national.

II.-A compter de la réception de l'information de l'employeur, le salarié dispose de sept jours ouvrables pour formuler par écrit sa demande de recevoir ces offres. Il précise, le cas échéant, les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation ainsi que toute autre information de nature à favoriser son reclassement.

III.-Le cas échéant, l'employeur adresse au salarié les offres écrites et précises correspondant à sa demande en précisant le délai de réflexion dont il dispose pour accepter ou refuser ces offres ou l'informe de l'absence d'offres correspondant à sa demande. L'absence de réponse à l'employeur à l'issue du délai de réflexion vaut refus.

Le délai de réflexion mentionné à l'alinéa précédent ne peut être inférieur à huit jours francs, sauf lorsque l'entreprise fait l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire.

Une offre est précise dès lors qu'elle indique au moins :

a) Le nom de l'employeur ;

b) La localisation du poste ;

c) L'intitulé du poste ;

d) La rémunération ;

e) La nature du contrat de travail ;

f) La langue de travail.

IV.-Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique de dix salariés ou plus dans une entreprise de cinquante salariés et plus dans une même période de trente jours, l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 ou le document unilatéral mentionné à l'article L. 1233-24-4 précise notamment :

1° Les modalités de l'information individuelle du salarié prévue au I du présent article ;

2° Les conditions dans lesquelles le salarié formalise par écrit auprès de l'employeur son souhait de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national et le délai dont il dispose pour manifester son intérêt à compter de la réception de l'information de l'employeur, sans que ce délai puisse être inférieur à celui prévu au II du présent article';

3° Les modalités de la communication au salarié des offres de reclassement prévue au III du présent article ;

4° Le délai de réflexion dont dispose le salarié pour se prononcer sur les propositions de reclassement qui lui sont faites, dans le respect des règles définies au deuxième alinéa du III du présent article. »

En outre, lorsque l'entreprise fait partie d'un groupe, la recherche de reclassement doit être réalisée auprès des autres entreprises du groupe parmi celles où des permutations de personnel sont possibles. La Cour de cassation a précisé que « Cette recherche de possibilités de reclassement doit être réalisée par l'employeur, si la société fait partie d'un groupe, auprès des autres sociétés de ce groupe dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent entre elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, peu important l'absence de lien capitalistique entre ces entreprises » (Soc., 31 janvier 2024, pourvoi n° 21-20.988). Il est jugé que « Si la preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement incombe à l'employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l'existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties » (Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-17.300, B).

Par ailleurs, depuis la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, le juge administratif est seul compétent pour apprécier le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi et notamment le caractère suffisant ou non du plan de reclassement qui y est inclus. En revanche, le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier le respect par l'employeur de l'obligation individuelle de reclassement. En d'autres termes, le juge judiciaire est compétent lorsque le salarié se prévaut d'un manquement précis de l'employeur dans la mise en oeuvre à son égard des mesures de reclassement prévues dans le plan de sauvegarde de l'emploi.

Ainsi, dans des affaires où un accord collectif avait fixé, comme en l'espèce, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ensuite validé par Direccte, la Cour de cassation a jugé « qu'il appartient à l'employeur, même quand un plan de sauvegarde de l'emploi a été établi, de rechercher s'il existe des possibilités de reclassement prévues ou non dans ce plan et de faire des offres précises, concrètes et personnalisées à chacun des salariés dont le licenciement est envisagé, de chacun des emplois disponibles, correspondant à leur qualification » (Soc., 15 mai 2024, pourvoi n° 22-12.546, B ; Soc., 11 septembre 2024, pourvoi n° 23-10.460).

En l'espèce, M. [I] expose dans ses conclusions qu'il n'a jamais remis en cause devant le juge judiciaire le caractère suffisant des mesures de reclassement figurant dans le plan de sauvegarde de l'emploi établi par la société Marks and Spencer France Limited.

Il soutient qu'en revanche la société Marks and Spencer France Limited a d'abord manqué à son obligation individuelle de reclassement en raison « de l'absence de recherche de possibilités de reclassement auprès des autres sociétés du groupe afin de solliciter leurs emplois disponibles en France, parmi lesquelles figurent également les franchisées avec lesquelles Marks and Spencer France Limited a des relations permettant la permutation du personnel ».

Les parties s'opposent ainsi sur le périmètre du groupe de reclassement.

En l'occurrence, il n'est ni allégué ni justifié par M. [I] que la société Marks and Spencer France Limited avait des liens capitalistiques avec les sociétés françaises ayant conclu des contrats de franchise leur permettant d'exploiter des magasins sous l'enseigne Marks and Spencer.

Il ressort des éléments versés aux débats que les magasins franchisés en France appartenaient à deux sociétés distinctes, la société SFH Invest et la société Relay France, étant observé qu'il n'y avait pas de lien juridique, financier ou capitalistique entre celles-ci. Ces deux sociétés avaient conclu leurs contrats de franchises respectifs avec la société Marks and Spencer PLC et non avec la société Marks and Spencer France Limited. Dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi imposant à l'employeur la recherche de repreneurs potentiels, la société SFH Invest a fait une offre de reprise de deux des sept magasins exploités en propre et ces deux magasins ont ensuite été repris, avec leur personnel, par ladite société afin de les exploiter sous contrat de franchise. Cette reprise, encadrée légalement, ne correspond pas à une simple permutation du personnel. La circonstance qu'il ait fallu une telle reprise dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi pour que le personnel des deux magasins concernés puisse aller travailler pour le compte de la société SFH Invest contribue à démontrer qu'une permutation du personnel entre la société Marks and Spencer France Limited et la société SFH Invest n'était pas possible.

De façon plus générale, l'absence de relations avant le plan de sauvegarde de l'emploi entre la société Marks and Spencer France Limited d'une part et la société SFH Invest et la société Relay France d'autre part, n'est pas remise en cause par le fait qu'elles exploitaient toutes les trois des magasins sous l'enseigne Marks and Spencer, cette exploitation étant faite sous des formes juridiques différentes, en propre pour la société Marks and Spencer France Limited et sous franchise pour les deux autres, sans matériel ni personnel ni dirigeant en commun pour les trois sociétés et ladite exploitation n'ayant pas créé avant le plan de sauvegarde de l'emploi de relations juridiques, administratives ou financières entre elles, chacune des sociétés étant totalement indépendante des autres.

Dès lors que M. [I] ne remet pas en cause le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et notamment la suffisance du plan de reclassement qui y était inclus, le jugement est infirmé en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande de M. [I] tenant au non-respect par la société Marks and Spencer France Limited de son obligation de reclassement relativement aux sociétés franchisées.

Par ajout à ce même jugement, la cour, au vu de l'ensemble des éléments soumis par les parties et en l'absence de permutation possible, a donc la conviction que les magasins franchisés exploités par la société SFH Invest et la société Relay France ne peuvent être inclus dans le périmètre du groupe de reclassement de la société Marks and Spencer France Limited.

En ce qui concerne la société Andis, il n'est pas contesté qu'il s'agissait d'une société française appartenant au groupe Marks and Spencer. Toutefois, il résulte des différentes pièces versées aux débats que la société Marks and Spencer France Limited avait acquis en mars 2014 la société Andis qui exploitait un magasin [Adresse 9] à [Localité 8] sous l'enseigne Franprix et que l'intimée a ensuite repris directement l'exploitation de ce magasin et de son personnel avec changement de l'enseigne après rachat du droit au bail et du fonds de commerce fin 2014, le personnel affecté à ce magasin ayant alors été repris par la société Marks and Spencer France Limited. La société Andis, qui n'avait plus de personnel après 2014, a été dissoute le 5 juillet 2018 comme l'indique le journal d'annonces légales.

Dans la mesure où la société Andis n'était plus qu'une société dormante après 2014, la société Marks and Spencer France Limited n'avait donc pas à rechercher des postes de reclassement en son sein pour les salariés licenciés dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi, aucun poste n'y étant en tout état de cause disponible.

Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que la société Marks and Spencer France Limited n'a pas manqué à son obligation individuelle de reclassement en France.

M. [I] soutient ensuite que la société Marks and Spencer France Limited a manqué à son obligation individuelle de reclassement par l'absence « de tout courrier de recherche des possibilités de reclassement auprès des sociétés étrangères du groupe » et par la violation de l'article L.1233-4-1 du code du travail en ayant manqué à son « obligation tant de rechercher que de proposer les possibilités de reclassement dans les entités étrangères du groupe Marks and Spencer ».

Cependant, la société Marks and Spencer France Limited justifie avoir adressé par envoi recommandé à M. [I] une lettre l'informant, de façon claire, qu'il avait la possibilité s'il le souhaitait « de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national », précisant en fin de lettre que « l'absence de retour de votre part à l'expiration du délai de 7 jours ouvrables sera considérée comme un refus de toute proposition de reclassement hors du territoire national ». Cette lettre était suivie d'un questionnaire, tout aussi clair et détaillé, posant des questions à propos desquelles M. [I] n'avait pour répondre qu'à entourer les mots « oui » ou « non » à chaque question ou à chaque pays proposé. Ledit questionnaire faisait trois pages et ne se bornait pas à lui demander s'il souhaitait recevoir des offres de reclassement à l'étranger et pour quel pays expressément cité il le voulait. En effet, le questionnaire posait aussi des questions relatives aux caractéristiques des emplois (« Quel type de contrat accepteriez-vous' Contrat de travail à durée indéterminée' Contrat à durée déterminée' Contrat à temps partiel' »), aux fonctions qu'il accepterait d'occuper et à sa rémunération.

M. [I] ne verse aucune pièce démontrant qu'il a répondu à ce questionnaire et qu'il a adressé celui-ci ensuite à la société Marks and Spencer France Limited. M. [I] ne peut se borner à soutenir de façon générale, sans preuve, que « La plupart des concluants ont retourné le questionnaire de mobilité en demandant à recevoir des propositions de reclassement à l'étranger, mais ils n'en ont évidemment pas gardé copie ». S'il incombe à l'employeur de démontrer avoir respecté son obligation individuelle de reclassement, c'est en effet au salarié qu'il appartient d'établir, dans la mesure où il dispose de la faculté de ne pas répondre à l'employeur l'ayant informé individuellement, avoir à la suite de cette information demandé à recevoir des offres de reclassement hors du territoire national et ce, conformément à l'article D.1233-2-1-II du code du travail.

Par l'envoi de la lettre susvisée et du questionnaire, la société Marks and Spencer France Limited démontre avoir satisfait à son obligation d'information individuelle prévue à l'article D.1233-2-1 du code du travail. M. [I] ne justifiant pas avoir ensuite formulé par écrit une demande de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national, la société Marks and Spencer France Limited n'avait pas, en application des textes applicables, à lui proposer de telles offres et à interroger les sociétés du groupe situées hors de France.

Le reproche fait à la société Marks and Spencer France Limited par M. [I] de ne pas produire un organigramme complet du groupe est infondé dès lors qu'il en est justement versé un aux débats (pièce 10 E de l'intimée) et que celui-ci est parfaitement lisible.

Compte tenu de tous les éléments versés aux débats, la cour constate donc que la société Marks and Spencer France Limited n'a pas manqué à son obligation individuelle de reclassement à l'étranger.

Par ajout au jugement sur le périmètre de reclassement et confirmation du jugement pour le surplus, la demande de M. [I] tendant à ce que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse en raison du non-respect par la société Marks and Spencer France Limited de ses obligations en matière de reclassement est par conséquent rejetée.

Sur les demandes relatives au droit à la participation aux résultats

Ces demandes figurant dans le dispositif des conclusions de M. [I] ne sont soutenues par aucun moyen dans la partie discussion de ces mêmes conclusions.

Ces demandes sont donc rejetées, le jugement étant confirmé à cet égard.

Sur les autres demandes

M. [I] succombant, il est condamné aux dépens de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Il paraît équitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles pour la procédure d'appel, les demandes respectives des parties à ce titre étant donc rejetées.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il a déclaré le conseil de prud'hommes incompétent pour connaître de la demande de M. [I] relative au non-respect du périmètre de reclassement interne,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé, dans les limites de l'appel, et y ajoutant,

DÉBOUTE M. [I] de l'ensemble de ses demandes,

LAISSE à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles,

CONDAMNE M. [I] aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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