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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 13, 12 novembre 2025, n° 25/02216

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 25/02216

12 novembre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 12 NOVEMBRE 2025

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/02216 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CKX3Y

Décision déférée à la Cour : Décision du 19 Décembre 2024 -Bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de PARIS

APPELANTE :

Madame [B] [D]

Elisant domicile au cabinet de Me CLEMENT Emmanuelle

[Adresse 1]

[Localité 3]

Comparante et assistée de Me Emmanuelle CLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1527

INTIMÉS :

LA S.E.L.A.R.L. KEELS AVOCAT, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Dominic JENSEN, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [T] [C]-[F]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Comparant et assisté de Me Dominic JENSEN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Septembre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Estelle MOREAU, Conseillère

Nicole COCHET, Magistrate Honoraire juridictionnel

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Victoria RENARD

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 12 novembre 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Michelle NOMO, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

Après quatre années passées comme avocate collaboratrice au sein successivement de deux cabinets anglo-saxons, Mme [D] a conclu le 23 février 2021 un contrat de collaboration avec l'Aaarpi Keels Avocats, prenant effet le 1er juin 2021, pour une rétrocession d'honoraires annuelle - moindre que sa rémunération précédente - de 95 000 euros HT.

L'Aarpi Keels avocats a été dissoute le 31 mars 2021 et l'un des trois associés, M. [T] [C]-[F] - ci après 'M. [C]' -, maintenant la décision de recruter Mme [D], lui a établi un nouveau contrat aux mêmes conditions mais conclu avec la Selarl Keels Avocat - ci après 'la Selarlu - qu'il créait en tant qu'associé unique pour poursuivre son exercice professionnel.

Ayant pris son poste le 1er juin 2021 pour une période d'essai prévue pour deux mois s'achevant le 31 août 2021, incluant deux semaines de congés pendant la deuxième quinzaine d'août, Mme [D] a quitté le cabinet le 30 août 2021 après avoir notifié sa démission à M. [C].

Début 2024, elle a attrait la Selarlu et M. [C] devant la commission de règlement des difficultés de l'exercice en collaboration -DEC- , leur faisant grief des circonstances de la conclusion, de l'exécution et de la rupture du contrat qui les liait, se plaignant notamment de n'avoir été informée que le 10 mai 2021 de la dissolution de l'Aarpi qui modifiait ses conditions de travail, et d'avoir reçu pendant ses congés un appel téléphonique brutal de M. [C] lui annonçant sa décision de mettre un terme au contrat, ce qui l'a placée dans l'impossibilité de le poursuivre et obligée à démissionner.

Après échec de la tentative de conciliation, Mme [D], par acte du 2 mai 2024, a saisi le bâtonnier du litige, en vue d'obtenir de la Selarlu et de M. [C] pris in solidum la réparation du préjudice moral et financier qu'elle estime avoir subi.

Par décision en date du 19 décembre 2024, le bâtonnier a :

- débouté Mme [D] de sa demande d'indemnité en réparation du préjudice financier à hauteur de 141 069,52 euros,

- rejeté sa demande de dommages-interêts en réparation du préjudice moral à hauteur de 20 000 euros,

- l'a condamnée à payer à la Selarlu la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes.

Par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe de la cour d'appel le 22 janvier 2025, Mme [D] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières écritures communiquées en temps utile et visées par le greffe le 10 septembre 2025, qu'elle soutient oralement à l'audience, Mme [D] demande à la cour d'infirmer en tous points la décision entreprise, et statuant à nouveau, de condamner in solidum la Selarlu et M. [C] à lui régler les sommes de :

- 141 069,52 euros en réparation du préjudice financier causé par leurs manquements,

- 20 000 euros en réparation du préjudice moral causé par les conditions d'exécution et de rupture du contrat de collaboration,

- 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

et de mettre à leur charge les dépens.

Dans les dernières écritures communiquées en temps utile et visées par le greffe le 10 septembre 2025, établies au seul nom de la Selarlu dont il est précisé qu'elles sont prises, soutenues et complétées oralement à l'audience en représentation de l'un et l'autre des deux intimés, la Selarlu et M. [C] demandent à la cour de :

- rejeter toutes les demandes formulées par Mme [D] au titre du préjudice financier et moral dont elle se prévaut,

- la débouter purement et simplement de toutes ses demandes,

A titre reconventionnel, de :

- les juger recevables et bien fondés en leurs demandes,

- condamner Mme [D] à payer à la Selarlu la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral, d'image et de réputation,

- la condamner à payer à M. [T] [C] la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- la condamner à verser à la Selarlu la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur les griefs

La déléguée du bâtonnier a considéré qu'en l'absence de toute preuve de ce que la composition de l'Aarpi aurait eu un caractère déterminant dans la conclusion du contrat, d'un quelconque manquement aux conditions générales du contrat ou aux dispositions de l'article 1112-1 du code civil, comme d'une quelconque dégradation des conditions du travail, ou encore de ce que M. [C] aurait exprimé d'une quelconque manière une volonté de mettre fin au contrat, aucun des griefs formulés par Mme [D] relatifs tant à la conclusion qu'à l'exécution ou à la rupture dudit contrat n'était établi.

Mme [D] souhaite voir réformer cette appréciation qu'elle estime erronée et portée au mépris d'éléments de preuve qu'elle considère déterminants.

Quant en premier lieu à la conclusion du contrat, Mme [D] expose avoir été recrutée par l'Aarpi par l'intermédiaire d'un cabinet de chasseurs de têtes au terme d'entretiens qui lui ont permis de rencontrer les trois associés d'alors, au cours desquels elle a fait part à M. [C] de sa volonté de rejoindre un cabinet à taille humaine doté d'un cadre de travail collégial, et d'être formée au traitement des dossiers de droit fiscal dans lesquels elle souhaitait être impliquée compte tenu de son intérêt pour la matière, tous éléments qu'elle pensait réunis au sein de l'Aarpi.

Elle expose qu'ayant signé son contrat le 23 février 2021, elle a démissionné de sa structure d'exercice - le cabinet Hastings - le 28 février suivant, et n'a été informée par M. [C] de la dissolution de l'Aarpi et du départ de ses deux associées que le 10 mai 2021, soit pratiquement au terme de ses trois mois de délai de prévenance ; inquiète sur son sort et prise au dépourvu compte tenu des délais, elle a signé le nouveau contrat avec la Selarlu qui lui était proposé, commençant donc à travailler avec M. [C] associé unique, qui n'était alors plus assisté que d'une collaboratrice expérimentée qui partait en congé de maternité fin juin, et d'une collaboratrice débutante.

Elle considère donc avoir été recrutée par une association déjà moribonde dans des conditions de calendrier excluant pour elle toute possibilité d'un retour en arrière, M. [C] lui ayant délibérément caché l'information essentielle que constituait le proche départ de ses deux associées, sa volonté de la lui dissimuler étant démontrée par le fait qu'il l'a laissée s'entretenir avec elles sans lui en faire mention le 21 février 2021, date à laquelle leur départ était pourtant déjà acté comme elles le lui ont plus tard confirmé, et par son refus de communiquer les mémoires écrits échangés dans le cadre de la conciliation relative au conflit au sein de l'Aarpi qui en auraient confirmé l'antériorité par rapport à son recrutement.

Le manquement de M. [C] aux obligations de transparence et de loyauté résultant des dispositions des articles 1104 et 1112-1 du code civil et des principes essentiels fixés par le règlement intérieur national de la profession d'avocat est ainsi avéré, et en niant le lien de causalité entre sa démission et la dissolution de l'Aarpi suivie de la constitution de la Selarlu, le premier juge a éludé le véritable débat, celui de savoir si elle aurait démissionné si elle avait eu cette information. En l'occurrence, il est certain qu'elle aurait refusé la collaboration si elle en avait connu les conditions réelles, car rien dans le contrat ne laissait entendre qu'elle avait vocation à ne travailler qu'avec M. [C], cette nouvelle configuration ne lui permettant d'accéder ni à la diversité de dossiers et de pratiques influant sur sa formation qu'elle recherchait, ni à son objectif de trouver une stabilité professionnelle au sein d'une structure pérenne, alors qu'une société à associé unique ne présente pas de réelles garanties de perennité.

Rappelant les conditions du recrutement de Mme [D], les intimés soutiennent que parfaitement informée des nouvelles conditions de son arrivée dès que cela a été possible, elle a signé le nouveau contrat proposé sans remettre en question sa décision ni oralement ni par écrit, ni faire état d'un quelconque problème lié au contexte de son recrutement pas plus avant cette signature, que pendant sa période d'essai ni davantage pendant les deux années qui ont suivi son départ.

Les dispositions de l'article 1112-1 du code civil relatif à l'obligation d'information due par chacun des cocontractants ont été respectées, toutes les mentions prévues par les textes applicables figurant au contrat et l'information que Mme [D] se plaint de ne pas avoir reçue ne portant que sur les conditions d'exercice de sa mission, dépourvues de lien direct et nécessaire avec le contenu dudit contrat.

Rien n'obligeait à partager avec elle le contenu des discussions entre associés, et au demeurant contrairement à ce qu'attestent les anciennes associées, aucune décision de séparation n'a été actée lors de la réunion des membres de l'Aarpi le 2 février 2021, dont l'objet était de discuter des modalités de travail et de la méthode de répartition des résultats, et au cours de laquelle sont certes apparus des désaccords sans pour autant de rupture, celle-ci n'étant devenue effective que le 8 avril 2021 devant la commission de règlement des difficultés d'exercice en groupe : Il n'a donc pas pu être donné le 21 février 2021 à Mme [D] une information qui n'était pas connue à cette date.

En toute hypothèse, dès lors qu'elle a signé sans aucune réserve la seconde proposition formulée par la Selarlu, Mme [D] ne peut invoquer cet élément comme source d'un quelconque préjudice à son égard, ayant démontré par sa signature que la seule qualité de contractant qui lui importait était celle de M. [C], à l'origine de la quasi totalité du chiffre d'affaires réalisé par le cabinet et son interlocuteur principal dans le cours du processus de recrutement, avec lequel elle était destinée à travailler directement, conformément aux attentes qu'elle avait exprimées d'avoir un mentor et d'être directement rattachée à un associé, sans que la présence des autres associées -en fait ses collaboratrices dans la précédente structure d'exercice de M. [C]-, qui travaillaient essentiellement sur ses dossiers historiques, ait un caractère déterminant. En parfaite transparence vis à vis de Mme [D], M. [C] a d'ailleurs rapidement reconstitué une équipe autour de lui, la dissolution de l'Aarpi n'ayant donc en réalité rien changé aux conditions d'exercice qui lui étaient offertes.

L'article 1112-1 du code civil dispose que 'Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ...Ont une importantce déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties'.

Le recrutement de Mme [D] s'est fait par l'intermédiaire du Cabinet de recrutement Fed Legal, dont le directeur M. [O] [N], dans l'attestation qu'il a établie le 18 juin 2024, indique que 'dès la présentation de l'offre de collaboration, il a toujours été clair qu'il s'agissait de recruter un ou une collaborateur.trice expérimenté.e pour travailler principalement en relation directe avec M. [T] [C]. Dans le cadre de cette recherche, Mme [B] [D] m'a exprimé son souhait de travailler avec un associé avec lequel elle pourrait avoir un contact direct, qui pourrait contribuer à parfaire sa formation et lui procurer progressivement l'épanouissement professionnel à laquelle (sic) elle aspirait. Elle m'a d'ailleurs spécifiquement parlé de la recherche d'un mentor'.

Le rôle d'associé principal et d'apporteur d'affaires prépondérant de M. [C] au sein de l'Aarpi n'étant pas contesté, le mentor que recherchait Mme [D] ne pouvait être que ce dernier, et aussi bien rien dans l'attestation de M. [N] n'évoque la présence des autres associées comme un élément déterminant du choix de Mme [D], qui sortant d'un cabinet important et structuré, souhaitait au contraire intégrer un cabinet à taille humaine et pouvoir établir une relation personnelle et privilégiée lui permettant d'avoir des contacts directs avec les clients et d'être pleinement associée au traitement de leurs demandes.

Il ne peut non plus être contesté que si des désaccords existaient certainement déjà entre les associés à la date où ils ont reçu Mme [D], ils n'étaient pas encore actés par la décision de dissolution de l'Aarpi qui lui est postérieure, et l'affirmation de Mme [P] dans son mail à Mme [D] du 15 juillet 2024 selon laquelle leur départ était acquis au 2 février 2021 ne vaut pas preuve contraire de cette réalité. A supposer même que la rupture ait été alors dans les débats, elle n'avait pas été évoquée autrement qu'entre les associés et demeurait par conséquent confidentielle, à preuve le fait que Mme [P] elle-même, dans son entretien avec Mme [D] le 21 février suivant dans le cours du processus de recrutement, n'y a fait aucune allusion. Pour la même raison de confidentialité à laquelle tout avocat est tenu, et d'autant plus s'agissant d'une procédure ordinale, aucune démonstration d'une volonté de dissimulation ne peut résulter de l'absention des intimés à produire les écritures échangées dans le cadre de la recherche de conciliation entre les associés devant la CEG.

Comme l'a souligné la déléguée du bâtonnier, M. [C] a informé Mme [D] de ce changement de situation dès qu'il a été en mesure de le faire, et il s'est empressé de lui proposer un contrat identique avec la Selarlu qu'il était en train de créer qu'elle a accepté et signé sans que les courriels échangés à cette occasion fassent apparaître les inquiétudes et hésitations dont elle fait a posteriori état, ce qui confirme que le lien avec M. [C] et sa volonté de travailler avec lui étaient l'élément déterminant de sa décision, et que le changement de qualité de son cocontractant devenant une Selarlu au lieu d'une Aarpi, purement juridique, était dépourvu pour elle d'incidence déterminante, d'autant plus que M. [C] établit par ailleurs avoir fait toute diligence pour restituer autour de lui une équipe mieux étoffée, l'isolement dénoncé par Mme [D] n'ayant donc pas vocation à perdurer. Enfin son allégation actuelle selon laquelle elle priorisait dans sa recherche une intégration dans une structure professionnelle stable qu'une Aarpi incarnerait selon elle mieux qu'une société à associé unique ne peut être prise au sérieux, celle-ci n'étant pas étayée et la stabilité de la structure relevant pour l'essentiel de la présence de M. [C], dont la nouvelle structure a conclu avec elle un nouveau contrat de collaboration.

C'est donc sans erreur d'interprétation ni méconnaissance d'un quelconque élément de preuve que la décision dont appel a écarté tout manquement de M. [C] à ses obligations tant contractuelles que professionnelles au stade de la conclusion du contrat.

Quant à l'exécution du contrat, l'appelante dit d'être efforcée de remplir au mieux ses missions compte tenu du manque d'encadrement et de formation à sa disposition, la baisse d'enthousiasme que lui a reprochée M. [C] résultant de sa découverte de ses conditions de travail réelles, dans lesquelles elle n'a pas été à même de travailler correctement ni n'a bénéficié de la formation qui lui était due. Elle s'est ainsi souvent trouvée seule dans le cabinet avec la collaboratrice junior, M. [C] étant fort peu présent et les échanges avec lui se passant par conséquent par courriel ou par téléphone pendant les trajets de celui-ci, très loin du cadre collégial stimulant et dynamique qu'elle attendait, sans aucune réunion d'équipe, sans non plus qu'elle soit associée aux entretiens téléphoniques, avec un impact négatif direct sur sa formation et sur les conditions de son travail au quotidien.

Sur ce point les intimés exposent au contraire que Mme [D] a été bien accueillie au cabinet, et que M. [C] a travaillé avec elle en toute transparence, sachant se rendre disponible contrairement à ce qu'elle affirme, alors même qu'il avait à gérer le cabinet et ses dossiers, mais aussi le proche départ en congé maternité de sa collaboratrice senior. Elle a été impliquée sur les dossiers et a contribué à des dossiers à fort enjeu, elle était présente aux rendez-vous clients, échangeait directement avec eux, et fréquemment cosignataire des mails envoyés par M. [C], elle était associée aux réflexions sur la stratégie des dossiers et mentionnée comme membre du cabinet avant même l'achèvement de sa période d'essai, alors que c'est elle qui a au contraire refusé en juillet la diffusion d'une annonce Linkedin annonçant son arrivée, disant préférer attendre la fin de sa période d'essai, la suite des événements étant venue éclairer cette réticnce.

En dépit de ses efforts, M. [C] a remarqué son manque d'investissement, manifesté notamment par le fait qu'elle laisse la collaboratrice junior en autonomie sur les dossiers alors qu'il attendait de sa seniorité qu'elle puisse la guider, et par son peu d'investissement pendant la première quinzaine d'août où, étant lui-même en congé, il comptait sur elle pour travailler et assurer une permanence, ce qu'elle n'a qu'imparfaitement réalisé, partant en congé un jour plus tôt que la date prévue.

Mme [D] ne verse aux débats aucun élément susceptible de donner crédit à ses allégations relatives au manque d'encadrement et de formation qu'elle reproche aujourd'hui à M. [C]. Tout au contraire, celui-ci produit plusieurs éléments qui battent en brèche ce grief, notamment plusieurs courriels montrant qu'ils dialoguaient sur les dossiers, que Mme [D] était en contact direct avec les clients, qu'il existait des déjeuners et des réunions de briefing et une ambiance de travail positive, avec un 'patron' très proche de ses collaboratrices, ces éléments étant confirmés par l'attestation de Mme [W] [A], collaboratrice junior arrivée en mai 2021, soit quasi concomitamment avec Mme [D], qui tout en attestant du très fort investissement de M. [C] pour développer la clientèle de la Selarlu souligne sa présence quotidienne au cabinet et ses efforts importants pour impliquer ses collaborateurs sur tous les sujets, qu'il s'agisse des dossiers ou des aspects développement de la structure.

Cette même attestation conforte au contraire un positionnement en retrait de Mme [D], notamment quant au soutien que Mme [A] pensait pouvoir obtenir d'elle du fait de sa seniorité.

Si la situation de transition dans laquelle elle se trouvait a pu la perturber, elle pouvait pourtant s'attendre au décalage constaté entre sa précédente position, au sein d'un cabinet important et très structuré, et la structure beaucoup plus individuelle d'un cabinet 'à taille humaine' qu'elle avait souhaité intégrer. Son implication imparfaite et les nombreuses critiques matérielles qu'elle a formulées sont sans doute la traduction d'une déception de sa part, mais elles ne sont le résultat d'aucun manque de considération ou de transparence de M. [C] dans son comportement à l'égard de sa nouvelle collaboratrice, la cour constatant, comme avant elle la déléguée du bâtonnier que ni 'les modalités d'une collaboration confraternelle et loyale' visée à l'article 1 du contrat, ni l'engagement pris à son article 8 'd'apporter au collaborateur information, aide et conseil ...afin de lui permettre d'acquérir une conpétence professionnelle et déontologique de qualité', n'ont été enfreints par les intimés.

Quant enfin à la rupture du contrat, Mme [D] expose que s'étant ouverte à la mi juillet auprès de M. [C], qui l'interpellait sur sa retenue, de l'insatisfaction de certaines de ses attentes, celui-ci s'en est montré agacé.

Autorisée à prendre ses congés à compter du 12 août 2021 au soir, elle a été contactée le lendemain 13 août par mail sur son lieu de vacances par M. [C], et le rappelant à sa demande, elle s'est fait immédiatement reprocher son manque de motivation, M. [C] l'informant de son intention de mettre un terme à son contrat et coupant la conversation téléphonique, sans répondre à ses demandes de recherche d'un compromis qu'elle lui a confirmées par courriel le 19 août. N'ayant donc réussi à engager aucun dialogue constructif, elle s'est trouvée dans la situation anxiogène d'ignorer son avenir au terme de sa période d'essai le 31 août, dont elle n'a pu sortir qu'en donnant sa démission, mettant ainsi un terme à l'incertitude insoutenable née du manque de transparence, de respect et de considération qu'elle subissait, étant malade à l'idée de travailler de nouveau avec M. [C]. Elle n'a ainsi fait que prendre acte d'une rupture contractuelle qui est le fait des intimés, qui s'ils étaient libres de mettre un terme à leur convention, devaient le faire dans les conditions de transparence et de communication qui ont fait défaut en l'espèce, ce qui constitue un manquement grave de leur part aux principes déontologiques.

En dépit de la mauvaise interprétation par le premier juge des éléments qui lui étaient soumis, les manquements commis à son égard sont ainsi avérés, avec pour conséquence que faute d'avoir pu retrouver une collaboration, elle a dû retourner vivre chez ses parents avant d'intégrer finalement, en octobre 2022 seulement, un poste salarié dans une entreprise d'expertise comptable, déterminant son omission du barreau depuis le 12 octobre 2022.

Reprenant l'exposé des circonstances dans lesquelles la démission de Mme [D] est intervenue, les intimés font valoir qu'appelant le 13 août Mme [D] qu'il pensait être encore au cabinet alors qu'elle était partie en congés dès le jeudi 12 août au soir sans aucun accord de sa part, M. [C] lui a certes fait part de son étonnement et de sa déception, mais ne lui a nullement annoncé la rupture de son contrat, se contentant de prévoir un point sur la situation à son retour au cabinet le 30 août, ce qui explique qu'il n'ait pas donné suite à son mail du 19 août.

Pour eux, aucune contestation n'est possible sur le fait que la rupture résulte de la démission de Mme [D], parfaitement assumée comme en fait foi son courriel à M. [M], nouveau collaborateur fraichement recruté et même pas encore en poste, et confirmée dès son retour à M. [C], qui lui a réglé les huit jours de préavis en la dispensant à sa demande de l'exécuter et lui a laissé son ordinateur à disposition pour lui permettre de sauvegarder ses dossiers personnels.

Cette décision de sa part s'explique par le fait qu'habituée aux conditions matérielles de travail offertes par les cabinets de grande taille disposant de services supports étendus, elle ne s'est pas sentie à l'aise dans la structure, où celles qui lui étaient proposées étaient pourtant parfaitement conformes aux principes essentiels de la profession.

Reprenant les éléments que Mme [D] dit l'avoir contrainte à une démission matérialisant une rupture initiée en fait par M. [C], la cour constate, en premier lieu, qu'elle ne rapporte aucune preuve de la discussion qui aurait eu lieu à la mi-juillet au cours de laquelle elle aurait fait état de ses attentes non satisfaites.

En second lieu, sur l'épisode des 12 et 13 août, le tableau des prévisions de congés produit par M. [C] montre que la période de congé de celui-ci se situait sur les deux premières semaines d'août, et celle de Mme [D] - qu'il n'était nullement tenu de lui consentir alors qu'elle se trouvait en période d'essai - sur les deux semaines suivantes, la charnière étant le week-end du 15 août commençant le samedi 13 pour s'achever le mardi 16, après le jour férié du 15. L'affirmation de Mme [D] selon laquelle ses congés auraient débuté à compter du jeudi 12 au soir, et non du vendredi 13, est contraire à la logique de tuilage des périodes d'absence généralement en vigueur dans un cabinet d'avocat en vue de garantir une permanence à l'égard des clients, et l'appelante ne rapporte non plus aucune preuve de ce qu'elle avait obtenu l'accord de M. [C] sur cette anticipation ainsi qu'elle le prétend.

Il résulte par ailleurs des échanges de courriels produits par M. [C] qu'ayant confié à Mme [D] le 4 août la mission précise de rédiger une note dans un dossier, et s'inquiétant par mail du 12 août à 13 h 06 de ne pas l'avoir reçue, il a d'abord eu pour réponse le soir même que la note était 'bien avancée' et que 'ce n'était pas évident', pour lire finalement en réponse à sa demande de recevoir quand même le travail fait que 'rien n'était couché sur le papier', le mettant ainsi dans l'impossibilité de travailler sur le sujet à son retour, et c'est en lui demandant de l'appeler le lendemain qu'il a réalisé qu'elle était déjà partie en congé.

Il est concevable que dans ce contexte, la conversation téléphonique du 13 août ait pu être tendue, mais pour autant rien en dehors du mail adressé par Mme [D] à un ami le même jour à 17 h pour lui dire 'peux-tu m'appeler, [C] vient de me virer' ne vient établir que M. [C] ait alors notifié une rupture à Mme [D], affirmation qui apparaît contredite par les termes mêmes du courriel qu'elle lui a adressé le 19 août, dont la tonalité n'est aucunement celle d'une rupture consommée, n'y étant évoqué qu' in fine un désir éventuel de M. [C] de mettre fin à la collaboration sans qu'il soit possible de savoir s'il aurait été exprimé par lui ou serait seulement supposé par Mme [D]. Au demeurant, et quand bien même M. [C] aurait évoqué cette éventualité sous le coup d'une irritation légitime, il ne l'a en rien confirmée, son silence en réponse au mail du 19 août étant sans aucune signification à cet égard.

C'est donc bien Mme [D] et elle seule qui a librement décidé de démissionner, évitant ainsi la discussion qu'elle aurait dû avoir le 30 août avec M. [C] à son retour, pour quitter un cabinet 'qui ne [lui]correspondait pas du tout' selon les termes du courriel qu'elle a cru devoir adresser à la prochaine recrue senior de la Selarlu M. [M], et se lancer immédiatement dans la recherche d'une nouvelle collaboration.

M. [C] n'a fait que prendre acte de cette rupture dont il n'a pas été l'initiateur et n'a en rien manqué au respect des principes de délicatesse et de loyauté dans la rupture rappelés à l'article 20 du contrat, ayant au contraire rempli, et au-delà, toutes ses obligations, en rémunérant Mme [D] au titre de son préavis tout en la dispensant de l'exécuter et en lui laissant la disposition de son ordinateur pour le temps nécessaire à la relève de ses dossiers personnels.

Il lui a également maintenu sa domiciliation au cabinet non seulement pendant trois mois, comme le règlement intérieur national l'y obligeait, mais bien au-delà, puisque l'attestation délivrée aux intimés par Mme [J], prestataire administrative au sein du cabinet, établit que Mme [D], qui - selon sa propre déclaration dans un courriel de recherche d'emploi en réponse à une annonce Linkedin émanant d'Algance Legal- a après sa démission poursuivi quelque temps le développement d'une clientèle personnelle, n'a pour autant fourni à l'ordre aucune indication nouvelle sur sa situation avant sa demande d'omission consacrée par la mention 'avocat non exerçant' portée à l'annuaire le 13 octobre 2022, en sorte que fructueux ou non, ce développement n'a pu se poursuivre de septembre 2021 à la mi-octobre 2022 que sous couvert de cette domiciliation.

La cour confirme par conséquence l'absence de toute faute reprochable aux intimés, d'où résulte qu'il n'y a pas lieu d'examiner les demandes indemnitaires de Mme [D].

Sur les demandes reconventionnelles

La déléguée du bâtonnier a considéré qu'ayant manifesté un comportement loyal vis-à-vis de Mme [D], M. [T] [C] avait subi un préjudice moral du fait de la saisine du bâtonnier par celle-ci, sans formulation d'une quelconque demande préalable et plus de deux ans après la fin de la collaboration en cause, et lui a accordé en réparation la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts.

M. [C] considère que les accusations déloyales portées à son encontre par Mme [D] en infraction avec les principes essentiels de la profession d'avocat constituent des atteintes directes à son image et à sa réputation, infondées alors que le cabinet, qui compte aujourd'hui 7 professionnels, se développe sereinement dans une ambiance de travail très satisfaisante : Mme [D] a donc mené une entreprise de dénigrement caractérisée du cabinet, ce que démontre sa prise de contact avec M. [M] auquel, dès avant le début de son exercice au cabinet, elle a proposé un feed back qu'il ne sollicitait pas sur son expérience au sein du cabinet qui 'ne lui correspondait pas du tout', et qui justifie les demandes indemnitaires majorées émanant tant de la structure que de M. [C].

Mme [D] soutient que M. [C] ne peut recevoir aucune indemnisation au titre d'un préjudice moral qu'il ne démontre ni même n'allègue, le fait retenu par la déléguée du bâtonnier qu'il ait été cité en conciliation sans la moindre demande préalable résultant de l'inanité d'une telle demande compte tenu de la perte de confiance totale entre eux. Elle ajoute qu'au demeurant, elle n'a fait ainsi qu'user de son droit légitime à agir devant le bâtonnier et ne peut donc se voir reprocher de ce fait aucune faute indemnisable.

L'action engagée devant le bâtonnier par Mme [D] ne constitue de sa part que l'exercice d'un droit et même si elle a manqué de délicatesse à l'égard de M. [C] en l'appelant à défendre devant le bâtonnier deux ans après son départ et sans annonce préalable, ce dernier ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice tant matériel que moral justifiant l'indemnisation qui lui a été accordée par la décision dont appel, qui est donc infirmée sur ce point.

Il n'y a pas lieu d'accueillir davantage la demande indemnitaire formée par la Selarlu, l'harmonie de son développement invoquée par les intimés démontrant qu'à supposer Mme [D] auteur d'une tentative avérée de dénigrement, celle-ci n'a été couronnée d'aucun succès, cela sans qu'il ait été nécessaire de la combattre par la mise en oeuvre de moyens particuliers, en sorte qu'elle n'a subi aucun préjudice qui puisse justifier l'indemnisation demandée : la demande est donc rejetée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Mme [D], partie succombante, est condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la Selarl la somme de 3 000 euros au titre des frais non répétibles par elle exposés devant la cour, la condamnation prononcée par le bâtonnier sur le même fondement au titre du premier degré de la procédure arbitrale étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme la décision dont appel, sauf en ce qu'elle a condamné Mme [B] [D] à payer à M. [T] [C]-[F] la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral,

Statuant à nouveau

Rejette la demande de dommages-intérets formée par M. [T] [C]-[F],

Y ajoutant,

Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la Selarl Keels Avocat,

Condamne Mme [B] [D] aux dépens,

Condamne Mme [B] [D] à payer à la Selarl Keels Avocat la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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