CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 13 novembre 2025, n° 22/02464
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
X France Exotique (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Dupont, Mme Girousse
Avocats :
Me Babin, Me Simonet
Par acte sous seing privé du 29 juin 2018, la société W France Exotique Center, dirigée par M. [W] [D] [P] et son épouse Mme [H] [P], a donné en location-gérance à la société Bel [S] dirigée par Mme [Z] [S] [N], son fonds de commerce de « Vente de produits d'alimentation notamment exotiques et cosmétiques - Import-export de ces produits », situé au [Adresse 5].
Ce contrat, conclu pour une durée d'un an reconductible par tacite reconduction d'année en année, a pris effet le 1er juillet 2018 et a été conclu moyennant le versement d'une redevance mensuelle forfaitaire de 2.700 euros TTC.
Le contrat s'est trouvé reconduit à compter du 1er juillet 2019.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 décembre 2019, la société Bel [S] a notifié un congé à la société W France Exotique Center pour le 30 mars 2020.
Par acte d'huissier en date du 13 février 2020, la société Bel [S] a fait assigner la société W France Exotique Center devant le tribunal de commerce de Bobigny aux fins essentielles de voire prononcer la résolution judiciaire du contrat de location-gérance et le remboursement par le bailleur de l'ensemble des loyers et redevances annuelles forfaitaires versés au titre de ce contrat.
Par jugement du 11 janvier 2022, le tribunal de commerce de Bobigny a :
débouté la société Bel [S] de sa demande de résolution judiciaire du contrat de location gérance signé le 29 juin 2018, et l'a dite irrecevable ;
débouté la société Bel [S] de l'ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions ;
condamné la société Bel [S] à payer à la société W France Exotique Center la somme de 7.043,89 euros ;
débouté la société W France Exotique Center de ses demandes au titre de dommages et intérêts et de réparation du préjudice moral ;
condamné la société Bel [S] à payer la somme de 3.000 euros, à la société W France Exotique Center, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;
condamné la société Bel [S] aux entiers dépens de la procédure ;
liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 74,54 euros TTC dont 12,42 euros de TVA.
Par déclaration en date du 31 janvier 2022, la société Bel [S] a interjeté appel de ce jugement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 janvier 2025.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 29 avril 2022, la société Bel [S], appelante, demande à la cour de :
déclarer recevable l'appel formé dans le délai légal contre le jugement du 11 janvier 2022 rendu par le tribunal de commerce de Bobigny ;
infirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté la concluante de ses demandes sur les seules prétentions du bailleur sans aucune preuve sérieuse ;
infirmer le jugement querellé en ce qu'il a déclaré recevable la demande reconventionnelle formulée par le bailleur, qui n'a aucunement justifié ses demandes par des preuves sérieuses et probantes.
Statuer à nouveau :
prononcer la résolution judiciaire du contrat signé le 29 juin 2018 entre les parties pour inexécution grave et fautive de la société W France Exotique Center ;
condamner la société W France Exotique Center à rembourser les loyers perçus soit la somme de 81.700 euros entre le 1er juillet 2018 et le 30 mars 2020 ;
condamner la société W France Exotique Center à rembourser le dépôt de garantie perçu soit la somme de 24.780 euros ;
condamner la société W France Exotique Center à payer à la société Bel [S] la somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi ;
condamner la société W France Exotique Center à payer à la société Bel [S] la somme de 15.000 euros à titre de remboursement des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire,
dire et juger que le dol est établi dans le cas d'espèce ;
condamner la société W France Exotique Center à rembourser les loyers perçus soit la somme de 81700 euros entre le 1er juillet 2018 et le 30 mars 2020 ;
condamner la société W France Exotique Center à rembourser le dépôt de garantie perçu soit la somme de 24.780 euros ;
condamner la société W France Exotique Center à payer à la société Bel [S] la somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts pour l'important préjudice subi ;
condamner la société W France Exotique Center à payer à la société Bel [S] la somme de 15.000 euros à titre de remboursement des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner le société W France Exotique Center aux dépens.
Sur la demande reconventionnelle :
En tout état de cause, débouter la société W France Exotique Center de toutes ses demandes reconventionnelles fins et conclusions, en ce qu'elles ne sont pas justifiées.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 17 décembre 2024, la société W France Exotique Center, intimée, demande à la cour de :
recevoir la société W France Exotique Center en ses conclusions d'intimée ;
confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bobigny en date du 11 janvier 2022, en ce qu'il a :
débouté la société Bel [S] de sa demande de résolution judiciaire du contrat de location-gérance signé le 29 juin 2018, et l'a dite irrecevable ;
débouté la société Bel [S] de l'ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions ;
condamné la société Bel [S] à payer à la société W France Exotique Center la somme de 7.043,89 euros après compensation avec le dépôt de garantie de 15.000 euros remboursé à la société Bel [S] ;
condamné la société Bel [S] à payer la somme de 3.000 euros à la société W France Exotique Center au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;
condamné la société Bel [S] aux entiers dépens de la procédure ;
liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 74,54 euros TTC dont 12,42 euros de TVA.
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bobigny en date du 11 janvier 2022, en ce qu'il a :
débouté la société W France Exotique Center de ses demandes au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral à hauteur de 75 000 euros ;
En conséquence,
condamner la société Bel [S] à verser à la société W France Exotique Center, la somme de 100.000 euros au titre de son préjudice moral ;
condamner la société Bel [S] à rembourser à la société W France Exotique Center, la somme de 250 euros au titre de la provision sur frais et honoraires de la société Sinequae, Huissiers de Justice associés, plus les frais à venir ;
condamner la société Bel [S] à verser à la société W France Exotique Center, la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Bel [S] à verser à la société W France Exotique Center aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Philippe Simonet conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la résolution judiciaire du contrat de location-gérance
Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En vertu des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Selon les articles 1224, 1227 et 1228 du code civil pris ensemble, la résolution d'un contrat peut, en cas d'inexécution suffisamment grave de celui-ci, être demandée en justice.
Il appartient au demandeur qui se prévaut d'une infraction commise par son cocontractant, pour solliciter la résolution du contrat, d'en rapporter la preuve.
La société Bel [S], locataire-gérante, sollicite la résolution du contrat de location-gérance signé le 29 juin 2018 avec la société W France Exotique Center, pour manquement par cette dernière, à son obligation de délivrance et à sa garantie d'éviction.
Sur l'obligation de délivrance
Selon l'article 1719 1° du code civil, le bailleur est en premier lieu obligé, par la nature du contrat, de délivrer au preneur la chose louée.
Il est constant que le contrat de location-gérance est assimilé à un contrat de louage, de sorte que le bailleur est tenu de délivrer le fonds convenu, composé de tous ses éléments, au locataire-gérant.
Selon les termes du contrat de location-gérance signé entre les parties, le fonds de commerce loué par la société W France Exotique Center à la société Bel [S] comprend:
« 1°) l'enseigne, le nom commercial, la clientèle et l'achalandage y attachés,
2°) le droit au bail pour le temps qui reste à courir qui sera ci-après énoncé, des lieux où il est exploité,
3°) les divers objets mobiliers, le matériel affectés à l'exploitation commerciale dont il s'agit, le tout décrit dans un état dressé par les parties, sans qu'il soit nécessaire d'en faire une plus ample désignation, la société Bel [S] déclarant s'être bien et parfaitement rendue compte de la composition dudit fonds de commerce,
4°) le droit à la jouissance de la ligne téléphonique, et dont le bailleur se réserve expressément la propriété. »
En outre, en vertu des termes de l'article « Mode d'exploitation » dudit contrat, il est stipulé que le locataire-gérant « devra jouir du fonds et l'exploiter lui-même, en bon père de famille, y donner tout son temps et ses soins, de manière à le faire prospérer, notamment, en raison de la nature spéciale et de la destination de la chose louée, il devra exploiter le fonds en bon commerçant, de façon à lui conserver la clientèle et l'achalandage qui y sont attachées et même à les augmenter, s'il est possible. A cet effet, il devra avoir tous les égards possibles envers les clients, leur fournir de la bonne marchandise, tenir le fonds ouvert tous les jours de la semaine, sauf les jours de fermeture et éventuellement les jours fériés et pendant toute une durée d'un mois au plus, au titre de vacances annuelles. Il devra exploiter honnêtement ledit fonds en se conformant aux lois et règlements administratifs. Il restera responsable de toutes contraventions ou de toutes infractions qui pourraient être constatées par quelque autorité que ce soit. Il devra veiller à ne rien faire, ni laisser faire qui puisse avoir pour conséquence d'entraîner la dépréciation, la diminution de rendement, la cessation d'exploitation, même provisoire du fonds ou de sa fermeture définitive. Il devra satisfaire à toutes les charges de la Ville et de Police auxquelles l'exploitation pourrait donner lieu, de manière que le bailleur ne soit nullement inquiété, ni recherché à ce sujet ». Il est également précisé que « le locataire-gérant exploitera le fonds loué, librement, pour son compte personnel et à ses risques et périls ».
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que la bailleresse aurait failli à son obligation de délivrance en ce qu'elle ne lui aurait pas délivré la clientèle, élément essentiel au fonds de commerce, car il apparaitrait que la société JR Exotique Center, locataire-gérante précédente du même fonds, ayant pour nom commercial W Exotique France Center, aurait eu son siège social au [Adresse 6] avant de s'installer au numéro 4 où elle aurait commencé par exercer une activité de transfert d'argent avant de poursuivre une activité concurrente de celle de l'appelante, ainsi qu'il ressort de son Kbis, de sorte qu'il ne serait pas possible pour la clientèle de se fixer, étant ajouté que les prix pratiqués dans ce commerce voisin seraient souvent « au rabais », ce qui n'aurait pas permis à l'appelante de réaliser le chiffre d'affaires escompté lui permettant de faire face à ses charges quand la bailleresse lui réclamait l'acquittement des loyers sans retard.
L'intimée fait valoir que la société JR Exotique Center était précédemment locataire-gérante du même fonds de commerce au [Adresse 4] en vertu d'un contrat du 25 février 2010 ayant pris fin le 31 mai 2018, mais exploitait également directement un fonds de commerce de même nature au [Adresse 3] depuis le 1er septembre 2014 suite au bail consenti le même jour par la SCI Berry, donc bien avant que la société Bel [S] ne prenne le fonds de commerce du [Adresse 4] en location-gérance. Elle soutient en outre que suite à la résiliation du contrat de location-gérance précédent, le nécessaire a été fait auprès du tribunal de commerce de Bobigny, par la société JR Exotique Center, pour supprimer son établissement du [Adresse 4] et transférer son siège social au numéro 4, seul établissement restant, et que des mesures de publicité avaient été réalisées, de sorte que l'appelante, qui avait en outre réalisé une petite période d'essai du 22 au 29 juin 2018, avait parfaitement connaissance de la situation avant de conclure le contrat de location-gérance en cause et l'avait acceptée. Il y aurait donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de résolution judiciaire de l'appelante et en ce qu'il l'a déclarée irrecevable.
En l'espèce, il ressort des éléments versés aux débats par les parties que le fonds de commerce en cause était précédemment exploité par la société JR Exotique Center dans le cadre d'un contrat de location-gérance ayant pris fin le 31 mai 2018, soit un mois avant la reprise de l'exploitation par la société Bel [S], que la cessation de ce contrat avait fait l'objet d'une publication dans un journal d'annonce légale, de même que le changement de siège social de la société JR Exotique Center opéré pour passer du numéro 6 au numéro [Adresse 2] à [Adresse 10], où ladite société disposait d'un bail commercial depuis le 1er septembre 2014, soit bien antérieurement à l'arrivée de la société Bel [S] au [Adresse 4].
La société Bel [S] ne pouvait donc ignorer que la précédente société locataire-gérante du fonds était également installée dans le local voisin pour y exploiter un commerce similaire, l'activité déclarée étant identique.
Par conséquent, la société Bel [S], qui se contente de procéder par allégations et de fournir deux attestations d'anciens clients, dont il ressort que le local voisin aurait été vide au moment de sa prise de possession du fonds de commerce, échoue à démontrer que la bailleresse ne lui aurait pas délivré la clientèle et aurait donc failli à son obligation de délivrance, étant au surplus ajouté qu'elle ne verse aucun élément financier propre à étayer sa prétention. Il lui appartenait en outre, aux termes du contrat conclu, de « faire prospérer » le fonds et l'exploiter « de façon à lui conserver la clientèle et l'achalandage qui lui sont attachés et même à les augmenter, s'il est possible », celle-ci reconnaissant de surcroît dans ledit contrat « s'être bien et parfaitement rendue compte de la composition dudit fonds » et « bien connaître (le fonds), pour l'avoir visité au vue du présent contrat ». Par ailleurs la société Bel [S] ne conteste pas qu'elle a pu réaliser du 22 au 29 juin 2018, une « période d'essai », qui s'est manifestement trouvée concluante, puisqu'elle signait immédiatement après le contrat de location-gérance en cause, soit le 29 juin 2018 à effet du 1er juillet 2018, et ne s'est ensuite jamais plainte auprès de sa bailleresse du défaut de délivrance de la clientèle jusqu'au jour de l'assignation en première instance.
Les éléments de preuve rapportés par l'appelante sont donc insuffisants à démontrer le non-respect, par la bailleresse, de son obligation de délivrance de sorte que ce moyen est inopérant pour aboutir à la résolution du contrat.
Sur la garantie d'éviction
Selon les articles 1719 3° et 1725 du code civil pris ensemble, le bailleur est tenu d'une obligation de jouissance paisible de la chose louée vis-à-vis du locataire et ce pendant toute la durée du bail ; cependant, il n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par des voies de fait à sa jouissance, sans prétendre aucun droit sur la chose louée.
Il est admis que cette obligation de jouissance paisible prend la forme d'une obligation de non-concurrence de la part du bailleur à l'égard du preneur, de sorte qu'il ne saurait concurrencer directement ou indirectement le fonds donné en location-gérance. Cependant, cette obligation ayant un caractère personnel, il est admis qu'elle ne saurait lier les membres de la famille de celui qui l'a souscrite.
En outre, il est également constant que cette obligation de jouissance paisible couvre les agissements des tiers qui troublent la jouissance du locataire-gérant et le protège contre l'éviction dont il peut être victime, mais seuls les troubles de droit sont concernés par cette garantie, lesquels proviennent de la prétention d'un tiers à un titre sur le bien, par exemple sur la propriété du fonds de commerce. Les troubles de fait, occasionnés par des tiers qui ne revendiquent aucun droit sur le bien loué, ne sont pas couverts par cette garantie.
Cette obligation se trouve reprise par les termes du contrat querellé, selon lesquels « le bailleur s'oblige à garantir le locataire-gérant de tous troubles, revendications, saisies ou évictions pouvant inquiéter leur droit à la libre jouissance de l'exploitation du fonds loué. En conséquence, le bailleur s'interdit, pendant toute la durée du présent contrat, de s'intéresser directement ou indirectement à un fonds de commerce de la nature de celui-ci-dessus désigné ».
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir, en vertu de l'article 1719 du code civil et de la clause de non-concurrence stipulée au bail, que le bailleur aurait violé son obligation de garantie d'éviction ainsi que ladite clause, en laissant se réinstaller dans le local voisin l'ancien locataire-gérant exploitant un commerce concurrent, dont le dirigeant est un membre de la même famille et en organisant une atmosphère de violence par des jeunes dés'uvrés, ce qui aurait eu pour unique but de la pousser à quitter les lieux.
L'intimée fait de nouveau valoir que la société Bel [S] avait parfaitement connaissance du fait que la société JR Exotique Center exploitait un commerce concurrent dans le local voisin depuis le 1er septembre 2014 et que les prétendus troubles provoqués par des tiers dont se prévaut la société Bel [S] non seulement ne sont pas prouvés, mais que si des attroupements de jeunes ont lieu devant le magasin, cette situation résulterait de la vente illégale, par la société Bel [S], d'alcool et de cigarettes, ce dont la bailleresse ne pouvait être tenue pour responsable. Elle soutient en outre que la locataire-gérante ne s'était jamais plainte de la situation avant que n'interviennent plusieurs contrôles de la part des autorités, au mois de novembre 2019, lesquels avaient mené à la fermeture administrative du commerce en janvier 2020, en raison de la constatation de diverses infractions. Pour toutes ces raisons, il y aurait donc lieu de confirmer la décision querellée en ce qu'elle a jugé irrecevable la demande de résolution judiciaire du contrat de location-gérance, formée par la société Bel [S].
En l'espèce, il ressort des éléments du dossier que l'appelante échoue à démontrer que sa bailleresse aurait été personnellement à l'origine d'actes de concurrence et que s'il est établi qu'il existe des liens familiaux entre les dirigeants de la société bailleresse et de la société qui exploite un commerce concurrent dans le local voisin, la bailleresse ne saurait en répondre, son obligation de non-concurrence étant personnelle et l'appelante ne démontrant pas qu'elle serait indirectement intéressée dans ce commerce. Elle ne saurait en outre répondre des troubles allégués, liés à la présence régulière de jeunes gens dans le local où siège le fonds de commerce, ayant entraîné un climat de violence, dans la mesure où cette situation ne constitue pas un trouble de droit, le seul dont elle doit légalement et contractuellement répondre, étant surabondamment ajouté qu'il n'est également pas démontré par l'appelante que lesdits troubles auraient été commandités par la bailleresse.
Par conséquent, il y a lieu de confirmer la décision querellée en ce qu'elle a considéré que les désordres évoqués par l'appelante étaient sans rapport avec la bailleresse et ne sauraient lui être reprochés. Elle le sera également en ce qu'elle a estimé qu'il y avait lieu de débouter l'appelante de sa demande de résolution judiciaire du contrat de location-gérance signé le 29 juin 2018.
Sur la nullité du contrat de location-gérance
Aux termes des articles 1137 et 1178 du code civil, le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. Un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul.
Le dol ne se présume pas et doit être prouvé par celui qui l'invoque.
L'appelante fait valoir à titre subsidiaire que le contrat de location-gérance serait nul en raison du dol de la bailleresse. A l'appui de sa demande, elle estime que le dol serait constitué en l'espèce, car la bailleresse lui aurait dissimulé une information déterminante lors de la conclusion du contrat de location-gérance en taisant le fait que l'ancien locataire-gérant du fonds allait exploiter un fonds concurrent à proximité. Cette omission intentionnelle l'aurait induite en erreur, l'amenant à contracter sans connaitre la réalité du contexte commercial du fonds. Elle soutient qu'aucun élément contractuel ne mentionne cette information et que des témoins attesteraient que le local du [Adresse 3] était fermé avant l'installation de la société Bel [S]. Qu'en outre l'existence d'un bail antérieur portant sur le local voisin et quelques quittances ne suffisent pas à établir une exploitation effective et continue.
Au soutien de ses prétentions, l'intimée fait valoir que la société Bel [S] connaissait la situation, de sorte qu'elle aurait conclu le contrat en connaissance de cause et qu'ainsi la faute dolosive ne serait pas constituée. Dès lors, la sanction de la nullité du contrat de location-gérance ne sera pas encourue.
En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats par les parties et notamment du Kbis de la société JR Exotique Center, ainsi que du contrat de bail en date du 1er septembre 2014 dont cette dernière société est titulaire sur le local voisin, que l'appelante, qui n'apporte par ailleurs aucun élément de preuve à l'appui de sa demande, ne pouvait ignorer la présence d'un commerce similaire dans ledit local au moment de la signature du contrat de location-gérance le 29 juin 2018, d'autant plus qu'une simple recherche permettait d'avoir accès à la publication du changement de siège social de la société JR Exotique Center, passant du numéro 6 au numéro [Adresse 2]. Il sera simplement ajouté que si l'appelante produit aux débats deux attestations d'anciens clients qui prétendent que le local voisin était vide et fermé lorsqu'elle a débuté l'exploitation du fonds de commerce pris en location-gérance, ces attestations ne permettent pas d'établir l'intention dolosive de l'intimée, qui non seulement soutient avoir averti l'appelante de la situation concurrentielle du fonds, mais de surcroit produit également des attestations dont il ressort qu'il était constant qu'existait un commerce de même nature dans le local voisin où l'appelante envoyait régulièrement ses clients, lorsqu'elle ne disposait pas des produits recherchés dans son propre commerce. Il s'ensuit que le dol n'est pas caractérisé.
Ainsi, l'appelante échouant à rapporter la preuve de la réticence dolosive alléguée, il y a lieu de la débouter de sa demande tendant à voir prononcée la nullité du contrat de location-gérance signé le 29 juin 2018.
Par conséquent, les demandes de résolution judiciaire et de nullité du contrat de location-gérance étant rejetées, il n'y a pas lieu d'examiner la demande d'indemnisation consécutive, ni celle relative à la restitution des loyers, formées par la société Bel [S].
Sur le remboursement du dépôt de garantie
Aux termes du contrat de location-gérance en cause, « de convention expresse entre les parties, le dépôt de garantie a été fixé à la somme de QUINZE MILLE EUROS (15.000) pour la bonne et entière exécution des présentes, que le LOCATAIRE GERANT a versé dès avant ce jour entre les mains du BAILLEUR ».
L'appelante sollicite le remboursement du dépôt de garantie versé lors de l'entrée dans les lieux pour un montant de 24.780 euros.
L'intimée reconnaît être redevable de la somme de 15.000 euros à ce titre.
En l'espèce, il ressort clairement des termes du contrat signé par l'appelante, reproduits ci-dessus, et corroborés par les copies des chèques versées aux débats, que le dépôt de garantie versé lors de l'entrée des lieux s'élève à la somme de 15.000 euros, laquelle sera remboursée à la locataire-gérante par compensation avec les sommes dont elle se trouvera redevable vis-à-vis de sa bailleresse.
Sur les demandes reconventionnelles de l'intimée
Sur la demande de règlement des loyers impayés
Selon l'article 1728 2° du code civil, l'obligation principale du locataire réside dans le paiement du prix du bail aux termes convenus.
Au titre de l'article « Redevance et loyer » du contrat de location-gérance liant les parties, il est stipulé « une redevance mensuelle forfaitaire comprenant le loyer et la redevance de DEUX MILLE DEUX CENT CINQUANTE EUROS (2.250) hors taxes, plus 450 € de TVA, soit un total TTC de 2.700 €, payable d'avance, entre le 1er et le 5 de chaque mois ».
En outre, il ressort de l'article « Durée » du contrat précité que celui-ci est « consenti et accepté pour une durée de UNE ANNEE, à compter du 1er juillet 2018 pour finir le 30 juin 2019 » et qu'à l'expiration de ce délais, ledit contrat se trouvera « renouvelé par tacite reconduction d'année en année ». Il est également stipulé que chacune des parties aura la « faculté de faire cesser la location-gérance, pendant la reconduction du contrat, en prévenant l'autre TROIS mois à l'avance, par lettre recommandée, avec accusé de réception ».
L'appelante soutient avoir respecté le contrat en envoyant son préavis par lettre recommandée le 30 décembre 2019 et en payant les loyers jusqu'en mars 2020, rien n'imposant de donner congé trois mois avant le terme du contrat.
L'intimée demande la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société Bel [S] à lui payer la somme de 8.175,73 euros au titre des loyers et redevances impayés des mois d'avril, mai et juin 2020 ainsi que des frais de justice liés à une sommation de payer lesdites redevances en date du 13 août 2020.
En l'espèce, il ressort clairement des termes du contrat de location-gérance que celui-ci a été conclu pour une durée déterminée initiale d'une année courant du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019. Il est constant par ailleurs que ce contrat s'est trouvé renouvelé par tacite reconduction pour une nouvelle période déterminée d'une année courant du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020, celui-ci se renouvelant « d'année en année ». Il n'est en outre pas contesté par l'appelante qu'elle a résilié de manière unilatérale ledit contrat par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 décembre 2019, soit six mois avant son terme, étant simplement précisé que le contrat exigeait un préavis de trois mois minimum, qui s'est donc trouvé respecté. Aussi l'appelante est-elle redevable des loyers et redevances afférents aux six mois restant à courir jusqu'à l'expiration du bail le 30 juin 2020, ce terme contractuel engageant l'appelante.
Par conséquent, c'est à juste titre que le jugement déféré a condamné l'appelante au paiement des loyers et redevances des mois d'avril, mai et juin 2020, soit 8.100 euros (2.700 X 3), ainsi qu'aux frais d'huissier relatifs à la sommation de payer ladite somme pour 75,73 euros.
Sur la demande d'indemnisation du préjudice matériel
Le locataire-gérant assume la charge de satisfaire aux obligations dérivant du bail des locaux, conclu par le propriétaire du fonds de commerce.
Aux termes de l'article 1731 du code civil, s'il n'a pas été fait d'état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire.
Par application de l'article 1732 du même code, le preneur répond des dégradations ou des pertes qui se produisent pendant sa jouissance des locaux, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute.
Il est en outre admis que l'indemnisation du bailleur, à raison des dégradations qui affectent le bien loué et qui sont la conséquence de l'inexécution par le preneur de ses obligations, n'est subordonnée ni à l'exécution de réparations par le bailleur, ni à l'engagement effectif de dépenses, ni à la justification d'une perte de valeur locative.
A titre reconventionnel l'intimée demande la réparation d'un préjudice matériel lié à des frais de remise en état des locaux pour un montant de 13.868,16 euros et demande ainsi la confirmation du jugement attaqué lui ayant accordé ladite somme.
L'appelante soutient ne pas être à l'origine des dégradations constatées par les photos produites par l'intimée, prises sans son accord et hors constat contradictoire. Elle estime en outre que pour mettre les dégradations constatées à sa charge, il conviendrait de démontrer par un état des lieux d'entrée qu'elles n'existaient pas au paravent, qu'à défaut, aucune dégradation ni destruction ne peut lui être imputée et sollicite par conséquent l'infirmation de la décision de ce chef.
En l'espèce, il est constant qu'il n'a pas été dressé d'état des lieux d'entrée lors de la conclusion du contrat de location-gérance, de sorte que la locataire-gérante est présumée avoir pris les lieux en bon état. Celle-ci ne conteste en outre pas s'être dispensée d'assister aux opérations d'état des lieux de sortie organisées en présence d'un huissier, malgré la convocation versée aux débats que lui a adressé ce dernier, laquelle convocation précisait en outre que le constat dressé lui serait opposable en cas d'absence ou de non-représentation.
Or, il ressort du constat dressé par l'huissier suite à l'état des lieux de sortie réalisé le 17 juillet 2020, que les lieux présentaient d'importantes et multiples dégradations, au nombre desquelles : carrelage cassé, peintures vétustes, écaillées, abîmées, disparates ou grossièrement réalisées, nombreux trous non rebouchés, fils électriques arrachés, cuvette des toilettes désamorcée, évier posé à même le sol, salissures.
Ces éléments caractérisent la faute de la locataire-gérante, tenue légalement des dégradations qui arrivent pendant sa jouissance et contractuellement « d'effectuer toutes les réparations locatives au fur et à mesure qu'elles deviendront nécessaires » et qui, de ce fait, se trouve tenue d'indemniser les préjudices ayant résulté pour le bailleur des dégradations constatées par l'huissier.
Pour déterminer le quantum de ladite indemnisation, l'intimée produit deux devis de remise en état dressés par la société Diarbosa Services, le premier en date du 15 septembre 2020 pour un montant total de 11.832 euros TTC et le second en date du 29 septembre 2020 pour un montant total de 2.036,16 euros TTC. Or, l'analyse attentive de ces deux devis laisse apparaître que le second reprend un poste du premier pour un montant de 480 euros HT (Nettoyage et assainissement des mobiliers), qui ne saurait être pris en compte deux fois et prévoit la réparation intégrale de la porte d'entrée du magasin avec remplacement des huisseries, platines haute et basse, groom et serrure pour un montant de 1.216,80 euros HT, soit 1.460,16 euros TTC. Dans la mesure où il ne ressort pas du constat d'huissier que la porte d'entrée du magasin aurait été dégradée au point d'être totalement remplacée, il y a lieu de ne pas tenir compte du second devis.
Par conséquent, pour évaluer le préjudice matériel subi par la bailleresse il y a lieu de retenir le premier devis de 11.832 euros. Il sera simplement précisé que l'appelante soutient à tort que le tribunal aurait violé la loi en retenant les deux devis visés pour déterminer le montant du préjudice à indemniser au motif qu'il s'agirait de simples documents d'information ne prouvant ni l'exécution de travaux, ni le règlement de prix de matériaux, ni le coût de la main d''uvre acquitté, dans la mesure où, comme il a été dit plus haut, l'indemnisation de la bailleresse ne saurait être subordonnée ni à l'exécution de réparations, ni à l'engagement effectif de dépenses.
Ainsi y a-t-il lieu d'évaluer le préjudice matériel dont se prévaut l'intimée à hauteur de la somme de 11.832 euros.
Sur le préjudice moral
Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'inexécution a été empêchée par la force majeure.
La mise en 'uvre de la responsabilité du contractant défaillant suppose la preuve d'une faute contractuelle, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux.
Au soutien de ses prétentions, l'intimée fait valoir qu'elle a subi un préjudice moral du fait du comportement de la locataire-gérante. En effet, la société W France Exotique Center, construite depuis 2001, aurait vu son commerce détruit par les agissements de la société Bel [S]. En quittant les lieux, la locataire-gérante aurait dégradé le local et pillé le matériel, alors qu'il était en parfait état lors de la prise en location en 2018. De plus, la société Bel [S] a multiplié les infractions, entrainant une fermeture administrative en janvier 2020, sans informer la bailleresse. A ce titre, l'intimée sollicite la somme de 100.000 euros au titre de son préjudice moral.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir qu'aucune preuve ne démontre que le local est devenu inexploitable de son fait. Au contraire, des travaux auraient été réalisés en 2020. De plus, la fermeture administrative du 23 janvier 2020, limitée à 25 jours, n'empêchait pas une reprise d'activité dès le 29 février 2020. La bailleresse, qui n'a pas souhaité relouer le fonds de commerce, ne peut s'en prendre qu'à elle-même.
En l'espèce, il convient tout d'abord de constater que le préjudice lié aux dégradations des locaux a déjà fait l'objet d'une indemnisation au titre du préjudice matériel et l'intimée ne démontre pas avoir subi un préjudice moral de ce fait. Ensuite, s'il n'est pas contesté par l'appelante que le commerce exploité a fait l'objet d'une fermeture administrative de vingt-cinq jours durant le mois de mars 2020, du fait de l'emploi illégal par celle-ci d'un travailleur en situation irrégulière, l'intimée échoue à démontrer que ladite fermeture lui aurait causé un préjudice moral, étant ajouté qu'elle ne démontre pas davantage que ladite fermeture l'aurait empêché de rouvrir son commerce lors du départ de la locataire-gérante.
Ainsi, faute de préjudice moral à indemniser, l'intimée doit être déboutée de sa demande d'indemnisation.
Par conséquent, il y a lieu de condamner l'appelante à payer à l'intimée la somme de 20.007, 73 euros (8.175,73 euros au titre des loyers impayés et de la sommation + 11.832 euros au titre du préjudice matériel), à laquelle il convient de retrancher 15.000 euros au titre du dépôt de garantie, soit un montant total de 5.007, 73 euros.
Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le jugement attaqué sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
L'appelante succombant en appel, l'équité commande de la débouter de ses demandes relatives aux frais de l'article 700 du code de procédure civile et de laisser à sa charge les dépens d'appel.
Elle sera condamnée à payer la société W France Exotique Center la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement rendu le 14 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Bobigny (RG N°2020F00806) en ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société Bel [S] à payer à la société W France Exotique Center la somme de 7.043,89 euros ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la société Bel [S] de sa demande de remboursement de la somme de 24.780 euros au titre du dépôt de garantie ;
Condamne la société Bel [S], à payer la somme de 5.007,73 euros à la société W France Exotique Center après compensation ;
Condamne la société Bel [S], à payer à la société W France Exotique Center la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société le Bel [S] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Bel [S] aux dépens de la procédure d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.