CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 12 novembre 2025, n° 25/07741
PARIS
Autre
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Copies exécutoires République française
délivrées aux parties le : Au nom du peuple français
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ORDONNANCE DU 12 NOVEMBRE 2025
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/07741 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CLIOT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Février 2025 - Tribunal des activités économiques de PARIS - RG n° 2024002205
Nature de la décision : Par défaut
NOUS, Raoul CARBONARO, président de chambre, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Yvonne TRINCA, Greffière.
Vu les assignations en référé délivrées le 29 septembre 2025 à la requête de :
DEMANDERESSE
S.A. CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
[Adresse 8]
[Localité 10]
Immatriculée au RCS de [Localité 14] sous le numéro 542 016 381
Représentée par Me Isabelle SIMONNEAU de la SELEURL IS AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0578
à
DÉFENDEURS
S.E.L.A.F.A. MANDATAIRES JUDICIAIRES ASSOCIES - MJA, prise en la personne de Me [W] [I], en qualité de mandataire liquidateur de la société ELGI
[Adresse 7]
[Localité 11]
Immatriculée au RCS de [Localité 14] sous le numéro 440 672 509
Représentée par Me Vincent GALLET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1719
S.A.S. ELGI, au titre de ses droits propres
[Adresse 2]
[Localité 9]
Immatriculée au RCS de [Localité 14] sous le numéro 477 624 506
M. [T] [N], en qualité de représentant des salariés de la S.A.S. ELGI
[Adresse 1]
[Localité 13]
Et après avoir appelé les parties lors des débats de l'audience publique du 23 Octobre 2025 :
La SAS ELGI, au capital social de 50 646 euros exploitait sous l'enseigne ELGI-SUPER BOWL J, d'une part une activité de vente au comptoir d'aliments et boissons présentés dans des conditionnements jetables ou non, à consommer sur place ou à emporter et, d'autre part de vente immédiate de plats variés culinaires destinés à la consommation à domicile ou en entreprise. Son président est M. [S] [M]. Elle avait son siège social [Adresse 3] et exploitait en dernier lieu trois établissements situés : [Adresse 5], [Adresse 6], et [Adresse 4]. Elle employait 14 salariés répartis sur les différents points de vente.
Les difficultés de la société ELGI ont commencé avec la crise sanitaire et les différentes grèves et manifestations ayant eu d'importantes répercussions au niveau du commerce parisien lors des dernières années. Pour financer son développement, la société a souscrit auprès de la société Crédit Industriel et Commercial (CIC), son partenaire bancaire unique, plusieurs financements « court terme », qui ont été honorés et deux emprunts « moyen terme » l'exposant à des échéances mensuelles qu'elle pouvait difficilement honorer dans le contexte de ces difficultés. Elle a obtenu deux Prêts Garantis par l'État (PGE) d'un montant total cumulé de 500 000 euros. Elle n'a pas été en mesure de faire face au paiement de l'intégralité des loyers de ses points de vente eu égard à la forte baisse de son chiffre d'affaires au cours de la crise sanitaire. Dans ce contexte, elle a sollicité la désignation d'un conciliateur pour l'accompagner dans ses discussions avec ses principaux créanciers.
Alors que la conciliation était sur le point d'aboutir à la signature d'un accord, la société ELGI a subi au cours des mois de mars et avril 2023, la grève des centrales de gestion des déchets, qui a eu un impact fortement négatif sur l'activité de l'ensemble de ses points de vente, l'amenant à considérer que les aménagements obtenus dans le cadre d'un protocole de conciliation n'étaient plus suffisants pour surmonter ses difficultés. Le conciliateur en informait les créanciers, indiquant qu'une procédure de redressement judiciaire était inéluctable. Le CIC répondait en prélevant 15 échéances qui avaient été suspendues.
Par jugement du 23 mai 2023, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SAS ELGI et nommé la SELAFA MJA en la personne de Maître [W] [I] en qualité de mandataire judiciaire liquidateur et M. [A] [P] en tant que juge-commissaire. Ce jugement a fixé la date de cessation des paiements au 19 avril 2023, qui correspond à la date d'information au CIC de l'état de cessation des paiements. Le mandataire a demandé le remboursement des sommes prélevées à la banque.
Par jugement du 26 février 2025, le tribunal des activités économiques de Paris :
- Déboute la SA Crédit Industriel et Commercial - CIC - de sa demande de voir écarter des débats les pièces n° 7, 9,10 et 15 produites par la SELAFA MJA en la personne de Me [W] [I] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SAS ;
- Déboute la SELAFA MJA en la personne de Me [W] [I] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SAS ELGI de sa demande d'annulation de plein droit des débits prélevés par le CIC sur le compte de la société ELGI le 21 avril 2023 ;
- Prononce l'annulation de ces débits sur le fondement de l'article L. 632-2 du code de commerce ;
- Condamne la SA Crédit Industriel et Commercial à payer à la SELAFA MJA en la personne de Me [W] [I] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SAS ELGI la somme de 60 620,67 euros outre intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2023 avec anatocisme ;
- Juge que la SA Crédit Industriel et Commercial a commis une faute en refusant de recréditer les opérations débitées le 21 avril 2023 sur le compte de la société ELGI ;
- Nomme M. [R] [X] du Cabinet COGEED - [Adresse 12], en qualité d'Expert avec mission de :
o Se faire communiquer par les parties tous documents et pièces utiles à l'accomplissement de sa mission,
o Entendre les parties et le cas échéant tous sachants,
o Procéder à l'analyse des documents comptables et notamment des documents prévisionnels de la société ELGI,
o Donner son avis sur les chances de se redresser de la société ELGI en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ayant entraîné te gel de son passif ; - Chiffrer :
la situation active et passive de la société ELGI au 21 avril 2023,
l'insuffisance d'actif de la société ELGI constatée à l'issue des opérations de liquidation judiciaire,
la diminution éventuelle de l'actif et l'aggravation éventuelle du passif de la société ELGI en résultant ;
- La provision de l'expert devant être mise à la charge de la SELAFA MJA en la personne de Me [W] [I] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SAS ELGI,
- demanderesse à l'expertise ;
- Condamne la société Crédit Industriel et Commercial à payer à la SELAFA MJA en la personne de Me [W] [I] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de ta SAS ELGI la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Déboute les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;
- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;
- Condamne la société Crédit Industriel et Commercial aux dépens.
La société Crédit Industriel et Commercial a interjeté appel du jugement, en visant l'intégralité du dispositif.
Par acte d'huissier en date des 7, 9 et 13 mai 2025, la société Crédit Industriel et Commercial a assigné la SELAFA MJA, la SAS ELGI et M. [T] [N] demandant au juge des référés de :
A titre principal :
- Arrêter l'exécution provisoire attachée au jugement rendu le 26 février 2025 par le tribunal des activités économiques de Paris ayant le no RG 2024002205 en ce qu'il a :
o Condamné le CIC à payer à la SELAFA MJA ès qualités la somme de 60 620,67 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2023 avec anatocisme ;
o Nommé M. [R] [X] en qualité d'expert avec pour mission de donner son avis sur les chances de redressement de la société ELGI en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ayant entraîné le gel du passif ;
o Condamné le CIC à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
En conséquence,
- Arrêter l'exécution de la mission de M. [R] [X] en sa qualité d' expert ;
A titre subsidiaire :
- Autoriser le CIC à consigner à la Caisse des Dépôts et Consignations le montant de sa condamnation ordonnée par le jugement du tribunal des activités économiques de Paris du 26 février 2025 ayant le n° RG 2024002205, à savoir la somme de 60 620,67 euros ;
En tout état de cause :
- Ordonner que chaque partie conserve la charge des dépens qu'elle a engagés ;
- Débouter la SELAFA MJA ès qualités de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la SELAFA MJA ès qualités à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions n° 1, la société Crédit Industriel et Commercial maintient ses demandes.
Elle expose qu'aux termes de ses conclusions de première instance, elle sollicitait que les pièces adverses n° 7, 9, 10 et 15 soient écartées des débats, s'agissant d'échanges intervenus entre le conciliateur et le CIC ou encore d'éléments faisant état de la procédure de conciliation de la société ELGI ; celles-ci sont couvertes par la confidentialité de la procédure de conciliation ; les personnes appelées à la conciliation sont tout d' abord, le conciliateur, les créanciers et le débiteur ; dans ces conditions, les parties appelées à la conciliation ainsi que celles qui par leurs fonctions en ont eu connaissance sont tenues à la confidentialité, de sorte qu'elles ne peuvent se prévaloir des éléments relatifs à la conciliation, en ce compris dans le cadre d'une procédure judiciaire ultérieure ; la SELAFA MJA ès qualités, pour tenter de démontrer qu'elle avait connaissance de l'état de cessation des paiements de son administrée, la société ELGI, a produit aux débats, dans le cadre de la première instance, des échanges de courriels entre elle et le conciliateur intervenus avant la fin de mission de celui-ci ; or, ces échanges sont confidentiels et ne pouvaient pas être communiqués, conformément à l'article L. 611-15 du code de commerce et à une jurisprudence constante ; il n'y a pas d'Estoppel dès lors que les échanges postérieurs à la procédure de conciliation qui font référence au déroulé de celle-ci sont également confidentiels.
Elle ajoute en outre que dès lors que ces pièces sont écartées, la SELAFA MJA ès qualités ne dispose d'aucun autre élément aux termes duquel il apparaîtrait qu'elle avait connaissance de l'état de cessation des paiements de la société ELGI ; en tout état de cause, la nullité est facultative ; la nullité étant facultative, s'agissant de dettes échues, il ne peut être valablement reproché aux créanciers de ne pas avoir restitué les fonds avant une décision judiciaire l'y contraignant.
Elle précise enfin qu'elle est en droit de demander la consignation des sommes auxquelles elle a été condamnée.
Par conclusions notifiées par RPVA le 23 octobre 2023, la SELAFA MJA demande à la cour de :
- Juger que le CIC ne développe pas de moyens sérieux à l'appui de son appel ;
En conséquence ;
- Dire le CIC mal fondé en sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du tribunal des activités économiques de Paris du 26 février 2025 ;
- L'en débouter ;
- Dire le CIC mal fondé en sa demande subsidiaire de consignation à la Caisse des Dépôts et Consignations, sur le fondement de l'article 521 du Code de procédure civile, du montant de la condamnation prononcée par le jugement du tribunal des activités économiques de Paris du 26 février 2025 ;
- L'en débouter ;
- Condamner le CIC à payer à la SELAFA MJA, en la personne de Maître [W] [I], ès-qualités de Mandataire Judiciaire Liquidateur de la société ELGI la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner le CIC aux entiers dépens.
La SELAFA MJA réplique que le CIC se contredit en indiquant dans ses conclusions que la conciliation n'a pas pris fin le 19 avril 2023, mais le 10 mai 2023, date à laquelle le président du tribunal de commerce de Paris a constaté la fin de la mission confiée à la SELARL FHB en la personne de Maître [B] [K] ; l'argumentation du CIC procède d'un véritable dévoiement du principe de la confidentialité de la conciliation, dont la finalité, qui ressort d'ailleurs de la jurisprudence invoquée, n'est pas de protéger un créancier dont le comportement s'est avéré déloyal après que les discussions qui se sont tenues à l'occasion de la conciliation ont pris fin ; la confidentialité de la conciliation vise exclusivement les échanges entre les parties à la conciliation antérieurs à la fin de la procédure de conciliation ; en effet, la confidentialité n'a plus d'objet après que la procédure de conciliation a pris fin, sauf à constituer un instrument d'immunité pour la partie à la conciliation déloyale ; les courriels versés aux débats par la SELAFA MJA ès-qualités, contrairement aux allégations du CIC, ne sont pas couverts par la confidentialité de la conciliation ; ils ne révèlent rien des discussions ayant eu lieu entre les parties jusqu'à l'information donnée par le conciliateur, en date du 19 avril 2023, que la procédure de conciliation prenait fin ; le courriel du conciliateur communiquant cette information, qui ne révèle rien de la procédure de conciliation elle-même, et les courriels échangés postérieurement ne sont pas couverts par la confidentialité de la conciliation ; ces courriels ne visent pas le déroulement de la procédure de conciliation, mais tendent simplement au rétablissement des échéances qui avaient fait l'objet d'un standstill ; au travers des informations dont il avait eu connaissance à l'occasion des échanges intervenus au cours de la conciliation, le CIC n'a pu imaginer que ce maigre actif disponible était de nature à faire face au passif exigible de la société ELGI qui, indépendamment de ses fournisseurs impayés, avait des dettes locatives et des dettes sociales significatives, dont la négociation entrait également dans la mission du conciliateur ; l'ancienneté de ces dettes, sur lesquelles le CIC détenait toutes informations utiles à l'occasion de la conciliation, est justifiée par les déclarations de créances enregistrées par la SELAFA MJA ès-qualités et émanant de ces créanciers parties à la conciliation ; il est en effet patent que le CIC a utilisé à son seul profit une information qu'elle avait obtenue dans le cadre de la procédure de conciliation, à savoir la préparation par la société débitrice d'une déclaration de cessation des paiements, pour procéder aux prélèvements litigieux au préjudice de autres créanciers ; l'utilisation dévoyée de cette information privilégiée justifie pleinement que la juridiction fasse usage de son pouvoir souverain d'appréciation pour juger qu'il y a lieu à annulation de ces prélèvements.
Elle ajoute que la faute du CIC consiste en effet à avoir refusé de recréditer le compte de la société ELGI des prélèvements qu'il avait effectués pour paiement de dettes non échues et, en toute hypothèse, en connaissance de l'état de cessation des paiements de cette dernière, et ce alors même que son attention avait été attirée sur les conséquences radicales de ces prélèvements, qui privaient la société ELGI d'un redressement judiciaire et donc d'une chance de se redresser ; en maintenant de façon inconséquente son refus de restitution des prélèvements litigieux, le CIC a condamné la société ELGI de façon certaine à la liquidation judiciaire, alors que celle-ci pouvait envisager sereinement l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ; elle sollicite à titre principal l'annulation de plein droit des paiements litigieux sur le fondement de l'article L.632-1 I 3° du code de commerce ; en tout état de cause, le CIC a été précisément alerté, tant par la société ELGI que par le conciliateur, sur les conséquences d'un refus de restitution des prélèvements litigieux et donc de rétablissement de la trésorerie de la société ELGI, de sorte que ce refus ne saurait être jugé légitime dans l'attente d'une décision statuant sur leur nullité par application de l'article L. 632-2 du code de commerce.
Elle précise enfin que le CIC ne peut sérieusement prétendre être exposé à un risque de non restitution d'une condamnation exécutée entre les mains d'un mandataire de justice qui, ainsi qu'il en a l'obligation, encaissera les fonds sur son compte à la Caisse des Dépôts et Consignations, comme d'ailleurs le requiert le CIC ; la différence entre la modalité d'exécution sollicitée par le CIC et le paiement de la condamnation entre les mains du liquidateur judiciaire porte en réalité sur le bénéfice des intérêts, les intérêts sur les sommes versées entre les mains du liquidateur sur son compte à la Caisse des Dépôts et Consignations restant acquis à la procédure collective en cas d'infirmation du jugement ; contrairement à ce que la banque croit savoir, la liquidation judiciaire n'est pas impécunieuse ; les fonds qui lui seront versés ès-qualités ne seront pas consommés par cette dernière et ne feront l'objet d'aucune distribution aux créanciers de la liquidation judiciaire, le liquidateur étant susceptible d'engager sa responsabilité personnelle en cas de non-restitution des fonds.
La SAS ELGI et M. [T] [N] n'ont pas comparu à l'audience et ne se sont pas faits représenter.
Le ministère public a oralement développé des moyens pour attirer l'attention du juge des référés sur la durée de la mesure de conciliation et la confidentialité absolue attachée à ses échanges.
SUR CE
Le premier président de la cour d'appel, statuant en référé, ne peut arrêter l'exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article que lorsque les moyens à l'appui de l'appel paraissent sérieux.
L'article L. 611-6 alinéa 2 du code de commerce dispose que :
« La procédure de conciliation est ouverte par le président du tribunal qui désigne un conciliateur pour une période n'excédant pas quatre mois mais qu'il peut, par une décision motivée, proroger à la demande de ce dernier sans que la durée totale de la procédure de conciliation ne puisse excéder cinq mois. Si une demande de constatation ou d'homologation a été formée en application de l'article L. 611-8 avant l'expiration de cette période, la mission du conciliateur et la procédure sont prolongées jusqu'à la décision, selon le cas, du président du tribunal ou du tribunal. A défaut, elles prennent fin de plein droit et une nouvelle conciliation ne peut être ouverte dans les trois mois qui suivent. »
L'article L. 611-7 du même code précise que :
« En cas d'impossibilité de parvenir à un accord, le conciliateur présente sans délai un rapport au président du tribunal. Celui-ci met fin à sa mission et à la procédure de conciliation. Sa décision est notifiée au débiteur et communiquée au ministère public. »
Il en résulte que la procédure de conciliation qui n'aboutit pas à un accord ou qui n'est pas prolongée prend fin à son échéance et, par anticipation, par décision du président du tribunal sur rapport du conciliateur.
L'article L. 611-15 du code de commerce dispose que :
« Toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité. »
Le caractère confidentiel de la procédure, qui couvre tant la décision d'ouverture de cette procédure et son existence que son contenu, s'impose tant aux parties qu'au conciliateur durant l'ensemble de la période de conciliation et ces dernières ne sauraient faire état, même postérieurement à l'expiration de la mesure, de cette dernière et des documents qui auraient pu être échangés.
Cette confidentialité a pour but de préserver l'entreprise endettée afin d'éviter que ses difficultés soient portées à la connaissance de tous, et donc de la fragiliser davantage. Elle préserve les créanciers dans la mesure ou les tiers n'ont pas à connaître les efforts consentis dans le cadre de la mesure de prévention à laquelle ils participent et puissent servir de références ultérieures.
En conséquence, l'intégralité des documents échangés dans le cadre de la procédure ou à l'occasion de cette dernière est couverte par la confidentialité.
Toutefois, cette confidentialité n'est pas absolue et peut être levée à la demande de l'entreprise bénéficiaire s'il est de son intérêt et dans la mesure où elle n'a pas pour effet de divulguer les efforts consentis par ses créanciers dans le cadre de la négociation.
Dès lors que la mesure de conciliation a été ordonnée le 20 décembre 2022 pour une durée de quatre mois et qu'aucune demande n'a été formée devant le président du tribunal de commerce de Paris pour la prolonger ou faire constater ou homologuer un accord, la mesure prenait nécessairement fin le 20 avril 2021. Alors que les prélèvements litigieux datent du 21 avril 2021, premier jour suivant l'expiration de la mesure de conciliation pour des créances échues durant la période, il ne peut être fait reproche au CIC qui était libre d'exercer ses droits, d'avoir procédé au recouvrement de sa créance, sauf à prouver que sans la connaissance de cette information confidentielle obtenue dans le cadre de la conciliation, elle n'aurait pas eu connaissance de la cessation des paiements et procédé à l'encaissement des sommes qui lui étaient dues, par application de l'article L. 632-2 du code de commerce.
Le conciliateur écrit le 19 avril aux parties dans le cadre de la conciliation pour mentionner l'échec de la conciliation mais surtout la volonté de la société de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Cet écrit est couvert par la confidentialité et n'a pour but n'a pour objet que de protéger les intérêts de la société, à l'exception de ceux de ses créanciers.
Ainsi, le liquidateur, qui agit au nom de la société, a qualité pour lever la confidentialité. Dès lors, ce dernier a pu, sans nuire aux intérêts des créanciers, lever la confidentialité de cette pièce, produite dans son seul intérêt.
Cette pièce, pouvait donc servir, tant au soutien de la nullité des encaissements que pour fonder la faute de la banque.
Le moyen de réformation soulevé n'est donc pas sérieux. La demande formée par la banque sera rejetée.
La SA Crédit Industriel et Commercial a fondé sa demande de consignation sur les dispositions de l'article R. 661-1 du code de commerce et non sur les dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile qui était normalement applicable. La SELAFA MJA en la personne de Maître [W] [I] ne soulève pas le caractère irrecevable de la demande mais son rejet au fond.
En l'espèce, la banque ne démontre pas qu'en cas d'infirmation du jugement, le liquidateur soit dans l'impossibilité de restituer les fonds.
La demande sera donc rejetée.
La SA Crédit Industriel et Commercial, qui succombe, sera condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
DÉBOUTONS la SA Crédit Industriel et Commercial de l'intégralité de ses demandes ;
CONDAMNONS la SA Crédit Industriel et Commercial à payer à la SELAFA MJA en la personne de Maître [W] [I] ès qualités de liquidateur de la SAS ELGI la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNONS la SA Crédit Industriel et Commercial aux dépens.
ORDONNANCE rendue par M. Raoul CARBONARO, président de chambre, assistée de Madame Yvonne TRINCA, greffière présente lors de la mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
La Greffière Le Président
délivrées aux parties le : Au nom du peuple français
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ORDONNANCE DU 12 NOVEMBRE 2025
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/07741 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CLIOT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Février 2025 - Tribunal des activités économiques de PARIS - RG n° 2024002205
Nature de la décision : Par défaut
NOUS, Raoul CARBONARO, président de chambre, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Yvonne TRINCA, Greffière.
Vu les assignations en référé délivrées le 29 septembre 2025 à la requête de :
DEMANDERESSE
S.A. CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
[Adresse 8]
[Localité 10]
Immatriculée au RCS de [Localité 14] sous le numéro 542 016 381
Représentée par Me Isabelle SIMONNEAU de la SELEURL IS AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0578
à
DÉFENDEURS
S.E.L.A.F.A. MANDATAIRES JUDICIAIRES ASSOCIES - MJA, prise en la personne de Me [W] [I], en qualité de mandataire liquidateur de la société ELGI
[Adresse 7]
[Localité 11]
Immatriculée au RCS de [Localité 14] sous le numéro 440 672 509
Représentée par Me Vincent GALLET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1719
S.A.S. ELGI, au titre de ses droits propres
[Adresse 2]
[Localité 9]
Immatriculée au RCS de [Localité 14] sous le numéro 477 624 506
M. [T] [N], en qualité de représentant des salariés de la S.A.S. ELGI
[Adresse 1]
[Localité 13]
Et après avoir appelé les parties lors des débats de l'audience publique du 23 Octobre 2025 :
La SAS ELGI, au capital social de 50 646 euros exploitait sous l'enseigne ELGI-SUPER BOWL J, d'une part une activité de vente au comptoir d'aliments et boissons présentés dans des conditionnements jetables ou non, à consommer sur place ou à emporter et, d'autre part de vente immédiate de plats variés culinaires destinés à la consommation à domicile ou en entreprise. Son président est M. [S] [M]. Elle avait son siège social [Adresse 3] et exploitait en dernier lieu trois établissements situés : [Adresse 5], [Adresse 6], et [Adresse 4]. Elle employait 14 salariés répartis sur les différents points de vente.
Les difficultés de la société ELGI ont commencé avec la crise sanitaire et les différentes grèves et manifestations ayant eu d'importantes répercussions au niveau du commerce parisien lors des dernières années. Pour financer son développement, la société a souscrit auprès de la société Crédit Industriel et Commercial (CIC), son partenaire bancaire unique, plusieurs financements « court terme », qui ont été honorés et deux emprunts « moyen terme » l'exposant à des échéances mensuelles qu'elle pouvait difficilement honorer dans le contexte de ces difficultés. Elle a obtenu deux Prêts Garantis par l'État (PGE) d'un montant total cumulé de 500 000 euros. Elle n'a pas été en mesure de faire face au paiement de l'intégralité des loyers de ses points de vente eu égard à la forte baisse de son chiffre d'affaires au cours de la crise sanitaire. Dans ce contexte, elle a sollicité la désignation d'un conciliateur pour l'accompagner dans ses discussions avec ses principaux créanciers.
Alors que la conciliation était sur le point d'aboutir à la signature d'un accord, la société ELGI a subi au cours des mois de mars et avril 2023, la grève des centrales de gestion des déchets, qui a eu un impact fortement négatif sur l'activité de l'ensemble de ses points de vente, l'amenant à considérer que les aménagements obtenus dans le cadre d'un protocole de conciliation n'étaient plus suffisants pour surmonter ses difficultés. Le conciliateur en informait les créanciers, indiquant qu'une procédure de redressement judiciaire était inéluctable. Le CIC répondait en prélevant 15 échéances qui avaient été suspendues.
Par jugement du 23 mai 2023, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SAS ELGI et nommé la SELAFA MJA en la personne de Maître [W] [I] en qualité de mandataire judiciaire liquidateur et M. [A] [P] en tant que juge-commissaire. Ce jugement a fixé la date de cessation des paiements au 19 avril 2023, qui correspond à la date d'information au CIC de l'état de cessation des paiements. Le mandataire a demandé le remboursement des sommes prélevées à la banque.
Par jugement du 26 février 2025, le tribunal des activités économiques de Paris :
- Déboute la SA Crédit Industriel et Commercial - CIC - de sa demande de voir écarter des débats les pièces n° 7, 9,10 et 15 produites par la SELAFA MJA en la personne de Me [W] [I] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SAS ;
- Déboute la SELAFA MJA en la personne de Me [W] [I] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SAS ELGI de sa demande d'annulation de plein droit des débits prélevés par le CIC sur le compte de la société ELGI le 21 avril 2023 ;
- Prononce l'annulation de ces débits sur le fondement de l'article L. 632-2 du code de commerce ;
- Condamne la SA Crédit Industriel et Commercial à payer à la SELAFA MJA en la personne de Me [W] [I] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SAS ELGI la somme de 60 620,67 euros outre intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2023 avec anatocisme ;
- Juge que la SA Crédit Industriel et Commercial a commis une faute en refusant de recréditer les opérations débitées le 21 avril 2023 sur le compte de la société ELGI ;
- Nomme M. [R] [X] du Cabinet COGEED - [Adresse 12], en qualité d'Expert avec mission de :
o Se faire communiquer par les parties tous documents et pièces utiles à l'accomplissement de sa mission,
o Entendre les parties et le cas échéant tous sachants,
o Procéder à l'analyse des documents comptables et notamment des documents prévisionnels de la société ELGI,
o Donner son avis sur les chances de se redresser de la société ELGI en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ayant entraîné te gel de son passif ; - Chiffrer :
la situation active et passive de la société ELGI au 21 avril 2023,
l'insuffisance d'actif de la société ELGI constatée à l'issue des opérations de liquidation judiciaire,
la diminution éventuelle de l'actif et l'aggravation éventuelle du passif de la société ELGI en résultant ;
- La provision de l'expert devant être mise à la charge de la SELAFA MJA en la personne de Me [W] [I] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SAS ELGI,
- demanderesse à l'expertise ;
- Condamne la société Crédit Industriel et Commercial à payer à la SELAFA MJA en la personne de Me [W] [I] ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de ta SAS ELGI la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Déboute les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;
- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;
- Condamne la société Crédit Industriel et Commercial aux dépens.
La société Crédit Industriel et Commercial a interjeté appel du jugement, en visant l'intégralité du dispositif.
Par acte d'huissier en date des 7, 9 et 13 mai 2025, la société Crédit Industriel et Commercial a assigné la SELAFA MJA, la SAS ELGI et M. [T] [N] demandant au juge des référés de :
A titre principal :
- Arrêter l'exécution provisoire attachée au jugement rendu le 26 février 2025 par le tribunal des activités économiques de Paris ayant le no RG 2024002205 en ce qu'il a :
o Condamné le CIC à payer à la SELAFA MJA ès qualités la somme de 60 620,67 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2023 avec anatocisme ;
o Nommé M. [R] [X] en qualité d'expert avec pour mission de donner son avis sur les chances de redressement de la société ELGI en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ayant entraîné le gel du passif ;
o Condamné le CIC à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
En conséquence,
- Arrêter l'exécution de la mission de M. [R] [X] en sa qualité d' expert ;
A titre subsidiaire :
- Autoriser le CIC à consigner à la Caisse des Dépôts et Consignations le montant de sa condamnation ordonnée par le jugement du tribunal des activités économiques de Paris du 26 février 2025 ayant le n° RG 2024002205, à savoir la somme de 60 620,67 euros ;
En tout état de cause :
- Ordonner que chaque partie conserve la charge des dépens qu'elle a engagés ;
- Débouter la SELAFA MJA ès qualités de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la SELAFA MJA ès qualités à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions n° 1, la société Crédit Industriel et Commercial maintient ses demandes.
Elle expose qu'aux termes de ses conclusions de première instance, elle sollicitait que les pièces adverses n° 7, 9, 10 et 15 soient écartées des débats, s'agissant d'échanges intervenus entre le conciliateur et le CIC ou encore d'éléments faisant état de la procédure de conciliation de la société ELGI ; celles-ci sont couvertes par la confidentialité de la procédure de conciliation ; les personnes appelées à la conciliation sont tout d' abord, le conciliateur, les créanciers et le débiteur ; dans ces conditions, les parties appelées à la conciliation ainsi que celles qui par leurs fonctions en ont eu connaissance sont tenues à la confidentialité, de sorte qu'elles ne peuvent se prévaloir des éléments relatifs à la conciliation, en ce compris dans le cadre d'une procédure judiciaire ultérieure ; la SELAFA MJA ès qualités, pour tenter de démontrer qu'elle avait connaissance de l'état de cessation des paiements de son administrée, la société ELGI, a produit aux débats, dans le cadre de la première instance, des échanges de courriels entre elle et le conciliateur intervenus avant la fin de mission de celui-ci ; or, ces échanges sont confidentiels et ne pouvaient pas être communiqués, conformément à l'article L. 611-15 du code de commerce et à une jurisprudence constante ; il n'y a pas d'Estoppel dès lors que les échanges postérieurs à la procédure de conciliation qui font référence au déroulé de celle-ci sont également confidentiels.
Elle ajoute en outre que dès lors que ces pièces sont écartées, la SELAFA MJA ès qualités ne dispose d'aucun autre élément aux termes duquel il apparaîtrait qu'elle avait connaissance de l'état de cessation des paiements de la société ELGI ; en tout état de cause, la nullité est facultative ; la nullité étant facultative, s'agissant de dettes échues, il ne peut être valablement reproché aux créanciers de ne pas avoir restitué les fonds avant une décision judiciaire l'y contraignant.
Elle précise enfin qu'elle est en droit de demander la consignation des sommes auxquelles elle a été condamnée.
Par conclusions notifiées par RPVA le 23 octobre 2023, la SELAFA MJA demande à la cour de :
- Juger que le CIC ne développe pas de moyens sérieux à l'appui de son appel ;
En conséquence ;
- Dire le CIC mal fondé en sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du tribunal des activités économiques de Paris du 26 février 2025 ;
- L'en débouter ;
- Dire le CIC mal fondé en sa demande subsidiaire de consignation à la Caisse des Dépôts et Consignations, sur le fondement de l'article 521 du Code de procédure civile, du montant de la condamnation prononcée par le jugement du tribunal des activités économiques de Paris du 26 février 2025 ;
- L'en débouter ;
- Condamner le CIC à payer à la SELAFA MJA, en la personne de Maître [W] [I], ès-qualités de Mandataire Judiciaire Liquidateur de la société ELGI la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner le CIC aux entiers dépens.
La SELAFA MJA réplique que le CIC se contredit en indiquant dans ses conclusions que la conciliation n'a pas pris fin le 19 avril 2023, mais le 10 mai 2023, date à laquelle le président du tribunal de commerce de Paris a constaté la fin de la mission confiée à la SELARL FHB en la personne de Maître [B] [K] ; l'argumentation du CIC procède d'un véritable dévoiement du principe de la confidentialité de la conciliation, dont la finalité, qui ressort d'ailleurs de la jurisprudence invoquée, n'est pas de protéger un créancier dont le comportement s'est avéré déloyal après que les discussions qui se sont tenues à l'occasion de la conciliation ont pris fin ; la confidentialité de la conciliation vise exclusivement les échanges entre les parties à la conciliation antérieurs à la fin de la procédure de conciliation ; en effet, la confidentialité n'a plus d'objet après que la procédure de conciliation a pris fin, sauf à constituer un instrument d'immunité pour la partie à la conciliation déloyale ; les courriels versés aux débats par la SELAFA MJA ès-qualités, contrairement aux allégations du CIC, ne sont pas couverts par la confidentialité de la conciliation ; ils ne révèlent rien des discussions ayant eu lieu entre les parties jusqu'à l'information donnée par le conciliateur, en date du 19 avril 2023, que la procédure de conciliation prenait fin ; le courriel du conciliateur communiquant cette information, qui ne révèle rien de la procédure de conciliation elle-même, et les courriels échangés postérieurement ne sont pas couverts par la confidentialité de la conciliation ; ces courriels ne visent pas le déroulement de la procédure de conciliation, mais tendent simplement au rétablissement des échéances qui avaient fait l'objet d'un standstill ; au travers des informations dont il avait eu connaissance à l'occasion des échanges intervenus au cours de la conciliation, le CIC n'a pu imaginer que ce maigre actif disponible était de nature à faire face au passif exigible de la société ELGI qui, indépendamment de ses fournisseurs impayés, avait des dettes locatives et des dettes sociales significatives, dont la négociation entrait également dans la mission du conciliateur ; l'ancienneté de ces dettes, sur lesquelles le CIC détenait toutes informations utiles à l'occasion de la conciliation, est justifiée par les déclarations de créances enregistrées par la SELAFA MJA ès-qualités et émanant de ces créanciers parties à la conciliation ; il est en effet patent que le CIC a utilisé à son seul profit une information qu'elle avait obtenue dans le cadre de la procédure de conciliation, à savoir la préparation par la société débitrice d'une déclaration de cessation des paiements, pour procéder aux prélèvements litigieux au préjudice de autres créanciers ; l'utilisation dévoyée de cette information privilégiée justifie pleinement que la juridiction fasse usage de son pouvoir souverain d'appréciation pour juger qu'il y a lieu à annulation de ces prélèvements.
Elle ajoute que la faute du CIC consiste en effet à avoir refusé de recréditer le compte de la société ELGI des prélèvements qu'il avait effectués pour paiement de dettes non échues et, en toute hypothèse, en connaissance de l'état de cessation des paiements de cette dernière, et ce alors même que son attention avait été attirée sur les conséquences radicales de ces prélèvements, qui privaient la société ELGI d'un redressement judiciaire et donc d'une chance de se redresser ; en maintenant de façon inconséquente son refus de restitution des prélèvements litigieux, le CIC a condamné la société ELGI de façon certaine à la liquidation judiciaire, alors que celle-ci pouvait envisager sereinement l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ; elle sollicite à titre principal l'annulation de plein droit des paiements litigieux sur le fondement de l'article L.632-1 I 3° du code de commerce ; en tout état de cause, le CIC a été précisément alerté, tant par la société ELGI que par le conciliateur, sur les conséquences d'un refus de restitution des prélèvements litigieux et donc de rétablissement de la trésorerie de la société ELGI, de sorte que ce refus ne saurait être jugé légitime dans l'attente d'une décision statuant sur leur nullité par application de l'article L. 632-2 du code de commerce.
Elle précise enfin que le CIC ne peut sérieusement prétendre être exposé à un risque de non restitution d'une condamnation exécutée entre les mains d'un mandataire de justice qui, ainsi qu'il en a l'obligation, encaissera les fonds sur son compte à la Caisse des Dépôts et Consignations, comme d'ailleurs le requiert le CIC ; la différence entre la modalité d'exécution sollicitée par le CIC et le paiement de la condamnation entre les mains du liquidateur judiciaire porte en réalité sur le bénéfice des intérêts, les intérêts sur les sommes versées entre les mains du liquidateur sur son compte à la Caisse des Dépôts et Consignations restant acquis à la procédure collective en cas d'infirmation du jugement ; contrairement à ce que la banque croit savoir, la liquidation judiciaire n'est pas impécunieuse ; les fonds qui lui seront versés ès-qualités ne seront pas consommés par cette dernière et ne feront l'objet d'aucune distribution aux créanciers de la liquidation judiciaire, le liquidateur étant susceptible d'engager sa responsabilité personnelle en cas de non-restitution des fonds.
La SAS ELGI et M. [T] [N] n'ont pas comparu à l'audience et ne se sont pas faits représenter.
Le ministère public a oralement développé des moyens pour attirer l'attention du juge des référés sur la durée de la mesure de conciliation et la confidentialité absolue attachée à ses échanges.
SUR CE
Le premier président de la cour d'appel, statuant en référé, ne peut arrêter l'exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article que lorsque les moyens à l'appui de l'appel paraissent sérieux.
L'article L. 611-6 alinéa 2 du code de commerce dispose que :
« La procédure de conciliation est ouverte par le président du tribunal qui désigne un conciliateur pour une période n'excédant pas quatre mois mais qu'il peut, par une décision motivée, proroger à la demande de ce dernier sans que la durée totale de la procédure de conciliation ne puisse excéder cinq mois. Si une demande de constatation ou d'homologation a été formée en application de l'article L. 611-8 avant l'expiration de cette période, la mission du conciliateur et la procédure sont prolongées jusqu'à la décision, selon le cas, du président du tribunal ou du tribunal. A défaut, elles prennent fin de plein droit et une nouvelle conciliation ne peut être ouverte dans les trois mois qui suivent. »
L'article L. 611-7 du même code précise que :
« En cas d'impossibilité de parvenir à un accord, le conciliateur présente sans délai un rapport au président du tribunal. Celui-ci met fin à sa mission et à la procédure de conciliation. Sa décision est notifiée au débiteur et communiquée au ministère public. »
Il en résulte que la procédure de conciliation qui n'aboutit pas à un accord ou qui n'est pas prolongée prend fin à son échéance et, par anticipation, par décision du président du tribunal sur rapport du conciliateur.
L'article L. 611-15 du code de commerce dispose que :
« Toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité. »
Le caractère confidentiel de la procédure, qui couvre tant la décision d'ouverture de cette procédure et son existence que son contenu, s'impose tant aux parties qu'au conciliateur durant l'ensemble de la période de conciliation et ces dernières ne sauraient faire état, même postérieurement à l'expiration de la mesure, de cette dernière et des documents qui auraient pu être échangés.
Cette confidentialité a pour but de préserver l'entreprise endettée afin d'éviter que ses difficultés soient portées à la connaissance de tous, et donc de la fragiliser davantage. Elle préserve les créanciers dans la mesure ou les tiers n'ont pas à connaître les efforts consentis dans le cadre de la mesure de prévention à laquelle ils participent et puissent servir de références ultérieures.
En conséquence, l'intégralité des documents échangés dans le cadre de la procédure ou à l'occasion de cette dernière est couverte par la confidentialité.
Toutefois, cette confidentialité n'est pas absolue et peut être levée à la demande de l'entreprise bénéficiaire s'il est de son intérêt et dans la mesure où elle n'a pas pour effet de divulguer les efforts consentis par ses créanciers dans le cadre de la négociation.
Dès lors que la mesure de conciliation a été ordonnée le 20 décembre 2022 pour une durée de quatre mois et qu'aucune demande n'a été formée devant le président du tribunal de commerce de Paris pour la prolonger ou faire constater ou homologuer un accord, la mesure prenait nécessairement fin le 20 avril 2021. Alors que les prélèvements litigieux datent du 21 avril 2021, premier jour suivant l'expiration de la mesure de conciliation pour des créances échues durant la période, il ne peut être fait reproche au CIC qui était libre d'exercer ses droits, d'avoir procédé au recouvrement de sa créance, sauf à prouver que sans la connaissance de cette information confidentielle obtenue dans le cadre de la conciliation, elle n'aurait pas eu connaissance de la cessation des paiements et procédé à l'encaissement des sommes qui lui étaient dues, par application de l'article L. 632-2 du code de commerce.
Le conciliateur écrit le 19 avril aux parties dans le cadre de la conciliation pour mentionner l'échec de la conciliation mais surtout la volonté de la société de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Cet écrit est couvert par la confidentialité et n'a pour but n'a pour objet que de protéger les intérêts de la société, à l'exception de ceux de ses créanciers.
Ainsi, le liquidateur, qui agit au nom de la société, a qualité pour lever la confidentialité. Dès lors, ce dernier a pu, sans nuire aux intérêts des créanciers, lever la confidentialité de cette pièce, produite dans son seul intérêt.
Cette pièce, pouvait donc servir, tant au soutien de la nullité des encaissements que pour fonder la faute de la banque.
Le moyen de réformation soulevé n'est donc pas sérieux. La demande formée par la banque sera rejetée.
La SA Crédit Industriel et Commercial a fondé sa demande de consignation sur les dispositions de l'article R. 661-1 du code de commerce et non sur les dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile qui était normalement applicable. La SELAFA MJA en la personne de Maître [W] [I] ne soulève pas le caractère irrecevable de la demande mais son rejet au fond.
En l'espèce, la banque ne démontre pas qu'en cas d'infirmation du jugement, le liquidateur soit dans l'impossibilité de restituer les fonds.
La demande sera donc rejetée.
La SA Crédit Industriel et Commercial, qui succombe, sera condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
DÉBOUTONS la SA Crédit Industriel et Commercial de l'intégralité de ses demandes ;
CONDAMNONS la SA Crédit Industriel et Commercial à payer à la SELAFA MJA en la personne de Maître [W] [I] ès qualités de liquidateur de la SAS ELGI la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNONS la SA Crédit Industriel et Commercial aux dépens.
ORDONNANCE rendue par M. Raoul CARBONARO, président de chambre, assistée de Madame Yvonne TRINCA, greffière présente lors de la mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
La Greffière Le Président