CA Douai, ch. 2 sect. 2, 13 novembre 2025, n° 24/00172
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 13/11/2025
MINUTE ELECTRONIQUE
N° RG 24/00172 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VJQI
Jugement (N° 2015009380) rendu le 12 décembre 2023 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTE
SA [Adresse 8] (SECNM) exploitant sous l'enseigne ' Nausicaa' prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social, [Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Mikael Le Bot, avocat plaidant, substitué par Me Arthur Fabre, avocats au barreau de Paris
INTIMÉE
SA CIC Nord Ouest, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Martine Vandenbusche, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assistée de Maîtres Anne-Gaëlle Le Merlus et Etienne Gastebled, avocats au barreau de Paris, avocats plaidants
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, présidente de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Anne Soreau, conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
DÉBATS à l'audience publique du 26 juin 2025, après rapport oral de l'affaire par Anne Soreau
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 novembre 2025, après prorogation du délibéré initialement prévu le 9 octobre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente, et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 3 juin 2025
****
EXPOSE DES FAITS :
La [Adresse 7], qui a pour enseigne Nausicaa (la société Nausicaa), exploite le centre national de la mer, centre de découverte de l'univers marin situé à [Localité 5]. Son directeur général est M. [W].
Elle dispose d'un compte bancaire ouvert à la société CIC Nord-Ouest (la banque).
Au cours de l'été 2014, trois virements d'un montant total de 329 255 euros ont été réalisés du compte de la société Nausicaa à destination de deux comptes ouverts à la banque Unicrédit Triac en Roumanie (la banque Unicrédit), à savoir :
- le 24 juillet 2014 : 168 090 euros au bénéfice de la société SC Détect serv ;
- le 30 juillet 2014 : 95 780 euros au bénéfice de la société SC Détect serv ;
- le 1er août 2014 : 65 385 euros au bénéfice de la société ATL.
S'estimant victime d'une " fraude au président ", la société Nausicaa a déposé plainte au commissariat de [Localité 5] les 6 et 18 août 2014 et avisé la banque CIC le 6 août 2014, lui demandant la restitution des fonds.
Le 18 mai 2015, se heurtant au refus de la banque de lui rembourser les fonds en cause, et après vaine mise en demeure, la société Nausicaa l'a assignée devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, lequel a sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale initiée par les plaintes précitées.
Par ordonnance du 13 janvier 2020, le juge d'instruction en charge de l'information judiciaire ouverte sur ces plaintes a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Nausicaa, qui n'a pas interjeté appel de cette décision.
Par jugement du 12 décembre 2023, statuant sur l'assignation délivrée le 18 mai 2015, le tribunal de commerce de Lille a :
- Condamné la banque à restituer à la société Nausicaa la somme de 65 385 euros avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 18 mai 2015 ;
- Déclaré la pièce n° 38 présentée par la banque inopposable à la société Nausicaa et l'a écartée des débats ;
- Débouté la société Nausicaa de sa demande de restitution du montant des opérations autorisées de 168 090 euros et 95 780 euros ;
- Débouté la société Nausicaa de ses demandes indemnitaires au titre des préjudices financier, d'image, moral et frais d'avocats en Roumanie ;
- Débouté la société Nausicaa de sa demande de publication du jugement à intervenir ;
- Débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires ;
- Dit n'y avoir lieu à condamner les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la banque aux entiers dépens.
Par déclaration du 12 janvier 2024, la société Nausicaa a interjeté appel de l'entière décision.
PRETENTION des PARTIES :
Dans ses dernières conclusions du 28 mai 2025, la société Nausicaa demande à la cour de :
Vu les articles L.133-3, L.133-4, L.133-6, L.133-7 et L.133-18 du code monétaire et financier,
Vu les anciens articles 1131, 1134 et 1147 du code civil,
- Réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, précisant que pour le premier chef condamnant la banque à lui restituer la somme de 65 385 euros, son appel porte seulement en ce que le dispositif a désigné l'appelante sous son nom d'enseigne Nausicaa au lieu de sa dénomination légale " société d'exploitation du centre national de la mer" ;
Et statuant à nouveau :
À titre principal :
- Condamner la banque à lui restituer immédiatement le montant des opérations non autorisées et sans mandat valable, soit la somme de 329 255 euros (ce qui représente le montant total des trois opérations non autorisées à hauteur de 168 090 euros, 95 780 euros et 65 385 euros), avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 18 mai 2015, date de la signification de l'assignation ;
À titre subsidiaire :
- Condamner la banque à l'indemniser à hauteur du montant des opérations non autorisées soit la somme de 329 255 euros au titre du manquement à son obligation de vigilance, avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 18 mai 2015, date de la signification de l'assignation ;
En tout état de cause :
- Rejeter toutes les demandes de la banque ;
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la banque de ses demandes;
- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la banque aux dépens ;
- Confirmer le jugement en ce qu'il lui déclare inopposable la pièce n° 38 produite par la banque (" Lettre de décharge du 6 octobre 2006 ") et, en tout état de cause,
- dire et juger que toutes les dispositions stipulées dans ce document sont nulles et réputées non écrites ;
- Condamner la banque à l'indemniser à hauteur des sommes suivantes :
* 26 682 euros en réparation du préjudice financier subi ;
* 80 000 euros en réparation du préjudice d'image subi ;
* 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;
* et 30 809,40 euros au titre des frais engagés en Roumanie pour tenter de récupérer les fonds ;
- Dire et Juger que la condamnation à venir produira des intérêts moratoires au taux légal à la date de la signification de l'assignation suivant les dispositions des articles 1231 et suivants, 1344 et suivants et 1231-7 du code civil et que les intérêts ainsi produits seront capitalisés de plein droit ;
- Ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux ou périodiques au choix du demandeur, dans la limite de 15 000 euros HT par insertion, aux frais de la banque ;
- Condamner la banque à lui payer la somme de 45 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la banque aux entiers dépens au titre de l'article 696 du Code de procédure civile.
Par dernières conclusions du 19 mai 2025 et appel incident la banque demande à la cour de :
Vu les articles L.133-1 et suivants du code monétaire et financier,
- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* débouté la société Nausicaa de sa demande de restitution du montant des opérations autorisées, c'est-à-dire du premier et du second paiement, respectivement 168 090 euros et 95 780 euros ;
* débouté la société Nausicaa de ses demandes indemnitaires au titre des préjudices financier, d'image, moral et des frais d'avocats en Roumanie ;
* débouté la société Nausicaa de sa demande de publication du jugement à intervenir ;
* débouté la société Nausicaa de toutes ses autres demandes plus amples ou contraires ;
* débouté la société Nausicaa de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- mais infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a :
* condamnée à restituer à la société Nausicaa la somme de 65 385 euros, avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 18 mai 2015 ;
* déboutée de toutes ses autres demandes plus amples ou contraires ;
* déboutée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamnée aux dépens ;
Et statuant à nouveau :
* A titre principal :
- Dire et juger que les trois ordres de virement émis par la société Nausicaa et qu'elle remet à présent en cause, sont parfaitement authentiques ;
- Dire et juger qu'elle était tenue d'exécuter ces ordres de virement litigieux ;
En conséquence,
- Débouter la société Nausicaa de l'intégralité de ses demandes;
* A titre subsidiaire :
- Dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute ;
- Dire et juger que la société Nausicaa ne caractérise pas de préjudice indemnisable et qui présenterait un lien de causalité avec la prétendue faute qu'elle impute à la banque de façon injustifiée ;
- dire et juger en toute hypothèse que la responsabilité de la société Nausicaa, engagée à la fois du fait de son préposé et de sa faute personnelle, est exonératoire de celle de la banque ;
En conséquence,
- Débouter la société Nausicaa de l'intégralité de ses demandes, fins, moyens et conclusions ;
* En tout état de cause :
- Débouter la société Nausicaa de l'intégralité de ses demandes ;
- la condamner à lui verser la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
MOTIVATION
Au préalable, il sera précisé, que ne constituent pas des prétentions, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à " dire et juger " ou " constater ", en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité de simples moyens ou arguments. Dès lors, la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de l'une ou l'autre des prétentions formulées dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif du présent arrêt, mais uniquement dans ses motifs.
I - Sur la demande de la société Nausicaa tendant au paiement de la somme de 329 255 euros en remboursement des trois virements litigieux
A - Sur le caractère autorisé ou non des opérations litigieuses
La société Nausicaa fait valoir, après avoir reproduit les termes des articles L. 133-6 et L. 333-7 du code monétaire et financier, que :
- La convention de compte produite par la banque prévoyait un protocole de transmission des ordres de virements appelé EBICS Profil T selon lequel les virements litigieux étaient opérés par la société Nausicaa en deux étapes successives : envoi des données du virement par télétransmission sécurisée à l'aide d'un identifiant et d'un mot de passe, puis confirmation de l'envoi par un fax signé par un représentant dûment autorisé ;
- La banque s'appuie sur les dispositions de l'article 5.2 de la convention bancaire pour prétendre qu'elle, société Nausicaa, a valablement donné son consentement par le seul envoi du fichier SEPA; or, il s'agit d'une stipulation contractuelle portant sur la preuve qui ne peut établir au profit d'une partie une présomption irréfragable ;
- Contrairement à ce qu'indique la banque, les ordres de virement frauduleux n'ont jamais fait l'objet d'authentification par l'utilisation d'identifiants, de mots de passe et de cartes d'identification bancaire ; Or, l'article L.133-23 du code monétaire et financier prévoit qu'il incombe au prestataire de services de paiement de prouver que l'opération a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée ; cette règle s'applique même pour une opération de paiement non autorisée rendue possible par un manquement de cet utilisateur, intentionnel ou par négligence grave (Com. 12 novembre 2020, n°19-12.112) ;
- Sa comptable, à elle, appelante, à la demande d'un prétendu avocat, a préparé des fichiers SEPA et les télécopies de confirmation correspondant à trois virements, puis les lui a envoyés par courriel ; l'escroc a renvoyé à la comptable, les télécopies de confirmation soi-disant signées par le directeur, et celle-ci a effectué les virements selon le protocole sécurisé EBICS T ;
- Si la première étape a bien été validée, ce n'est pas le cas de la deuxième dont le but est de formaliser le consentement donné à l'opération par le représentant légal de la société Nausicaa : les télécopies de confirmation des deux premiers ordres de virements de 168 090 euros et 95 780 euros n'ont pas été signées par le directeur général de Nausicaa mais par des escrocs, et n'ont donc pas été autorisées, puisque les télécopies ont été falsifiées et présentaient de nombreuses anomalies matérielles et intellectuelles ; quant à la télécopie du dernier ordre de virement, elle ne comporte aucune signature ;
- Les virements litigieux n'avaient donc pas reçu le consentement de son représentant légal, M. [M], selon la forme convenue entre les parties ; ils sont donc réputés non autorisées au sens de l'article L. 133-7 du code monétaire et financier et doivent faire l'objet d'un remboursement immédiat par la banque en application de l'article L. 133-18 du code monétaire et financier ;
- Le 29 juillet 2024, M. [M] avait adressé à la banque une procuration par laquelle il donnait pouvoir à MM. [Z] et [P], employés de la société, de gérer et administrer en son nom les comptes bancaires pour la période du 31 juillet au 22 août inclus ;
- La " lettre de décharge du 6 octobre 2006 " dont se prévaut la banque pour prétendre à une décharge de responsabilité, est dépourvue de force probante et constitue une clause exonératoire de responsabilité qui contredit la portée des engagements de la banque et vide de toute substance les obligations essentielles de la banque au titre de la convention de compte ; en application de l'article 1131 du code civil dans sa version applicable au litige, les stipulations de cette lettre doivent donc être réputées non écrites et inopposables.
La banque réplique que :
- Le payeur donne son consentement au virement lorsqu'il suit le processus convenu contractuellement avec la banque pour procéder à un tel virement, peu importe qu'il ait ou non accepté l'opération sous-jacente ;
- Elle a reçu l'ensemble des ordres déclenchant les virements litigieux du service comptable de la société Nausicaa ;
- L'article 5.2 des conditions générales du service Fil Banque ne constitue pas une stipulation contractuelle portant sur la preuve, qui établirait une présomption irréfragable entre les parties ;
- La connexion à l'outil Fil Banque au moyen des identifiants était suffisante et n'imposait pas une validation par fax ; l'utilisation des outils sécurisés (saisie d'un numéro d'identification et d'un mot de passe) suffit à démontrer que l'opération émane du client ou d'une personne habilitée et qu'il s'agit d'une opération autorisée au sens de l'article L.133-6 ;
- Si, comme le prétend la société Nausicaa, l'envoi devait être validé par un autre canal, aucune disposition contractuelle n'imposait cependant que la télécopie de confirmation soit signée par une personne dûment autorisée ; il y a eu 3 fax de confirmation pour les trois opérations ; les trois virements étaient donc autorisés ;
- De plus, par une lettre du 6 octobre 2006, dans un souci de célérité des opérations, la société Nausicaa avait renoncé à tout formalisme et l'avait déchargée de toute responsabilité en cas d'usage frauduleux des moyens de communication ;
- Par sa procuration, M. [W], n'avait pas renoncé à ses propres droits en qualité de dirigeant, mais simplement, dans un délai déterminé, habilité deux personnes supplémentaires à faire fonctionner le compte de la société pour la période du 31 juillet au 22 août 2014.
Réponse de la cour :
L'article L. 133-3 I du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, applicable au litige, définit une opération de paiement comme une action consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire, ordonnée par le payeur ou par le bénéficiaire.
L'article L.133-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu'un paiement est autorisé si le payeur a donné son consentement à son exécution.
L'article L. 133-7 de ce code, dans la rédaction issue de la même loi, ajoute que le consentement est donné sous la forme convenue entre le payeur et son prestataire de services de paiement et qu'en l'absence d'un tel consentement, l'opération ou la série d'opérations de paiements est réputée non autorisée. "
Il ressort de ces dispositions que :
- Un virement a une existence autonome qui échappe aux vicissitudes de l'opération sous-jacente qui lui sert de cause ;
- un paiement n'est pas autorisé à la suite d'un simple fait matériel. L'ordre du payeur n'est pas suffisant ; son consentement est également requis.
La Cour de cassation a affirmé clairement qu'en présence de virements ordonnés par la préposée d'une société, pensant agir sur instruction de l'un de ses dirigeants, et ce au moyen du dispositif de paiement sécurisé mis à disposition de la banque, il s'agit d'opérations de paiement ayant été autorisées par la société en question (Com., 30 avril 2025, n°24-11.255).
* A titre liminaire, les parties s'opposent sur l'obligation pesant sur la banque d'avoir ou non à procéder à des vérifications concernant l'émetteur des ordres de virement, et plus particulièrement sur la portée de la pièce 38, constituée par la lettre du 6 octobre 2006 que le tribunal a déclaré inopposable et a écarté des débats alors que rien ne le justifie, cette lettre ayant été régulièrement versée à la procédure. La décision entreprise sera donc infirmée de ce chef.
En revanche, il appartient à la cour, dans son pouvoir d'appréciation de la valeur des pièces produites, de déterminer si, comme le prétend la banque, cette lettre vaudrait décharge par la société Nausicaa de toute vérification concernant l'identité, l'authenticité et le pouvoir des collaborateurs lui transmettant les ordres de virement.
Or, cette lettre, si elle concerne la " banque CIC ", sans plus de précision, et se trouve revêtue de la signature de M. [W]. La lettre produite ne précise ni en quelle qualité ce dernier serait intervenu, la société Nausicaa n'étant pas mentionnée, ni les comptes concernés. En effet, si en exergue du document il est prévu l'indication d'une référence de compte, aucun numéro d'identification n'y figure. Dès lors, rien n'autorise à la rattacher au fonctionnement du compte de la société Nausicaa sur lequel sont intervenus les virements litigieux. Cette lettre ne peut donc exonérer la banque de son obligation de respecter les modalités d'exécution des virements convenues avec la société Nausicaa.
* Il n'est pas contesté que la société Nausicaa a souscrit un contrat Fil Banque entreprise auprès de la banque.
L'article 5, intitulé " preuve des opérations ", des conditions générales de ce contrat prévoit dans son paragraphe 5.2 que " la seule réception par la banque des ordres de virements, des ordres de prélèvements et des L.C.R, adressés par la voie télématique vaut ordre de virement ou ordre d'encaissement adressé par le souscripteur à la Banque. La preuve de l'ordre donné résultera suffisamment des enregistrements informatiques en la possession de la Banque ".
En parallèle, le contrat prévoit, dans son article 12, la possibilité d'échanges de données informatisées via le protocole EBICS profil T ou TS, précisant que le souscripteur et la banque définissent un mode de fonctionnement pour l'envoi des fichiers du souscripteur vers la banque parmi les deux modes possibles permis par le protocole d'échange :
a/ EBICS Profil T (transport) : les fichiers envoyés par le souscripteur à la banque ne sont pas accompagnés d'une signature personnelle jointe. Les données envoyées ne pourront alors être prises en compte que si la banque se trouve en possession d'un ordre de validation transmis par un autre canal, précisé dans l'annexe " services bancaires " ou par acte séparé ;
b/ EBICS Profil TS (transport et signature) : les fichiers envoyés par le souscripteur à la banque sont accompagnés dans la même transmission de la ou des signatures personnelles jointes prévues pour l'échange des données concernées dans l'annexe " Services bancaires " ou par acte séparé.
En premier lieu, la cour d'appel estime que, sauf à le dénaturer, l'article 5.2 susvisé porte sur la preuve du fait matériel que constitue l'ordre de paiement (acte déclencheur de l'opération), mais non, comme le prétend la banque, sur la preuve du consentement donné à l'exécution de cet ordre. Il ne peut donc se déduire de ces dispositions que l'ordre de paiement, en l'espèce l'envoi du fichier SEPA, entraîne ipso facto la preuve du consentement à l'exécution de ce paiement (c'est-à-dire la volonté d'autoriser l'exécution de l'opération) s'il est établi que ce dernier devait être donné différemment.
De même, le fait de se connecter à un service sécurisé par un identifiant et un mot de passe pour l'envoi de l'ordre de virement, s'il permet l'identification du donneur d'ordre, n'implique pas qu'il a été consenti à l'exécution de l'opération.
En deuxième lieu, la société Nausicaa produit aux débats les copies de plusieurs télécopies de virements opérés avant les virements litigieux en 2013 et 2014, dont un intervenu le 26 juin 2014, toutes signées de M. [W], et qui confirment que le mode de fonctionnement défini entre la banque et la société Nausicaa, comme l'affirme cette dernière, était celui prévu par le protocole EBICS profil T, à savoir l'envoi du fichier, puis un ordre de validation par acte séparé, en l'absence de signature personnelle jointe au premier fichier.
Cet ordre de validation, émanant du client de la banque, constitue la signature qui n'a pas été jointe dans le premier envoi.
Ainsi, une télécopie non signée, dont on ne peut certifier qu'elle émane du payeur ou d'une personne habilitée, ne peut constituer le consentement du payeur, à l'ordre donné.
En l'espèce, l'un des ordres de virements litigieux, en date du 1er août 2014 au bénéfice de ATL, pour un montant de 65 385 euros, n'a pas été signé. En conséquence, le consentement de la société Nausicaa à l'exécution de cette obligation n'a pas été donné conformément aux modalités de fonctionnement consenties entre les parties.
Il s'agit donc d'une opération non autorisée.
S'agissant deux autres virements en date des 24 et 30 juillet 2014, il apparaît que les deux télécopies de télétransmission sont bien revêtues de la signature de M. [W].
Contrairement à ce que prétend la société Nausicaa, cette signature ne présentait pas d'anomalie apparente. D'ailleurs, lors de son audition devant les services de police, M. [Z], employé de la société Nausicaa, a reconnu qu'elle était ressemblante ; la secrétaire en charge des virements n'a elle-même pas relevé d'incohérence. En outre, la cour d'appel observe que cette signature ne diffère pas de celle, reconnue comme véritable, apparaissant sur d'autres pièces produites par la société Nausicaa, et notamment sur la procuration adressée par M. [W] à la banque le 29 juillet 2014.
De même, le fait que ces deux virements aient eu une présentation différente de ceux habituellement faits, dès lors que celle-ci ne présente pas d'anomalie évidente, ne peut conduire à penser que le consentement de la société n'avait pas été donné, en l'absence d'incohérences manifestes sur la télécopie de confirmation, sauf à démontrer que les parties étaient convenues d'un formalisme particulier pour ces télétransmissions, ce qui n'est pas établi.
La société Nausicaa met en avant une procuration, adressée à la banque le 29 juillet 2014, par laquelle M. [W] l'informe avoir donné pouvoir à MM. [Z] et [P] de gérer et administrer en son nom les comptes bancaires de la société pour la période du 31 juillet au 22 août inclus.
Toutefois, les deux virements litigieux datant des 24 juillet et 30 juillet 2014, cette procuration n'avait pas pris effet. C'était donc bien la signature de M. [W] qui devait apparaître sur les télécopies de confirmation.
En tout état de cause, ce pouvoir donné ne privait pas M. [W] d'agir au nom et pour le compte de la société Nausicaa.
Enfin, la société Nausicaa fait valoir le fait qu'elle n'avait pas consenti aux opérations litigieuses, s'agissant d'escroqueries.
Néanmoins, comme il ressort des articles L. 133-3 et L. 133-6 du code monétaire et financier, et comme déjà rappelé, l'opération de paiement est indépendante de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire, et le paiement est autorisé si le payeur a donné son consentement à son exécution.
En l'espèce, bien que victime d'une escroquerie et en total désaccord avec les virements finalement ordonnés, la société Nausicaa reconnaît avoir, par l'intermédiaire de sa comptable, préparé les ordres de virement et les télécopies de confirmation, qu'elle a fait signer, puis avoir effectué le virement selon le protocole sécurisé EBICS T.
Ces deux virements litigieux sont donc des virements autorisés au sens de l'article L.133-6 susvisé.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a déclaré le virement du 1er août 2014 comme n'ayant pas été autorisé, et ceux du 24 juillet 2014 et 30 juillet 2014 comme ayant été autorisés.
B - Sur la demande de remboursement du virement non autorisé du 1er août 2014 d'un montant de 65 385 euros
La société Nausicaa sollicite le remboursement immédiat des opérations non autorisées en application de l'article L. 133-18 du code monétaire et financier ; elle fait valoir que :
- L'obligation de restitution à la charge de la banque est exclusive de la démonstration d'une quelconque faute de sa part ;
- La banque ne produit pas la preuve de l'authentification sécurisée comme elle est tenue de le faire en application de l'article L.133-23 précité ; cette règle s'applique même en cas de manquement intentionnel ou par négligence grave de l'utilisateur (Com. 12 novembre 2020, n°19-12.112 précité) ;
- la " lettre de décharge du 6 octobre 2006 " par laquelle la banque prétendrait avoir une exonération totale de responsabilité, est dépourvue de force probante ou d'effet à son égard, étant inintelligible, imprécise et dépourvue de toute force juridique ;
- Elle a immédiatement alerté la banque dès qu'elle a eu connaissance des opérations non autorisées, conformément aux prescriptions de l'article L.133-24 du CMF ;
La banque fait valoir que :
- La lettre du 6 octobre 2006, signée de M. [W] et parfaitement valable, la dispensait de toute vérification et prévoyait une décharge étendue au profit de la banque ;
- En application de l'article L. 133-19, IV, du code monétaire et financier, l'établissement bancaire peut être déchargé de tout ou partie de son obligation de remboursement s'il démontre que la faute du déposant a permis la création des faux ordres de virement qu'il a exécutés ;
- La cour ne peut, après avoir retenu que le payeur a commis une négligence grave au sens de l'article L. 133-18 le privant du droit au remboursement des sommes versées, opérer un partage de responsabilité avec la banque, au motif que celle-ci aurait manqué à ses obligations contractuelles de vigilance et de surveillance des systèmes (Com., 15 janvier 2025, n°23-13.579) ;
- Les fautes et négligences de la secrétaire sont avérées ;
- La société Nausicaa a fait preuve de négligence dans l'information donnée à ses salariés sur les risques de fraude ; elle n'a mis en place aucune procédure interne pour encadrer ses préposés ; elle a concentré sur la même personne la faculté d'initier les paiements, et de faire les opérations comptables ;
- La société Nausicaa ne justifie pas avoir signalé sans tarder les virements litigieux au regard des exigences du code monétaire et financier ;
- Que la société Nausicaa agisse sur le fondement de la prétendue responsabilité sans faute de la banque, ou de sa responsabilité en raison d'un manquement à l'obligation de vigilance, elle n'est en aucun cas dispensée de justifier l'existence d'un lien de causalité certain et direct entre le fait générateur et le dommage qu'elle invoque ; la seule cause prépondérante doit être retenue comme fait générateur de responsabilité et le juge doit sélectionner, parmi les causes qui se présentent à lui, celle qui a joué un rôle majeur dans la réalisation du préjudice ; les préjudices dont se plaint la société Nausicaa résultent en premier lieu de l'escroquerie réalisée en Roumanie, mais également de la faute de la société Nausicaa elle-même, premier événement chronologique au regard de la succession des événements ; le détournement n'aurait pas eu lieu sans la participation active de la salariée de la société Nausicaa.
Réponse de la cour :
Dans sa version applicable au litige, issue de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 et de la loi n°2010-737 du 1er juillet 2010, le code monétaire et financier prévoit que :
article L. 133-18, alinéa 1 : en cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L.133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l'opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu.
article L. 133-24 : l'utilisateur doit signaler sans tarder une opération de paiement non autorisée, et au plus tard dans le délai de treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion. Pour les professionnels le texte autorise les parties à convenir d'un délai distinct.
article L. 133-19 IV : le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées, si ces pertes résultent d'un agissement frauduleux de sa part, ou s'il n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L.133-16 et L.133-17.
article L. 133-16 : dès qu'il reçoit un instrument de paiement, l'utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés.
Il utilise l'instrument de paiement conformément aux conditions régissant sa délivrance et son utilisation.
article L. 133-17 I : lorsqu'il a connaissance de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de son instrument de paiement ou des données qui lui sont liées, l'utilisateur de services de paiement en informe sans tarder, aux fins de blocage de l'instrument, son prestataire ou l'entité désignée par celui-ci.
La Cour de cassation a jugé que, dès lors que la responsabilité d'un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d'une opération non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L.133-24 du CMF, à l'exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national (Com.15 janvier 2025, n°23-13.579)
C'est donc en application du seul article L.133-19 du CMF, et non en vertu de la responsabilité contractuelle de droit commun, que la banque peut demander à être exonérée de son obligation de remboursement prévue à l'article L. 133-18 susvisé.
En l'espèce, la cour ayant jugé que l'opération du 6 août 2014 n'avait pas été autorisée, la banque est tenue en principe de rembourser immédiatement la somme de 65 385 euros sur le compte de la société Nausicaa, en application de l'article L.133-18.
La banque évoque les manquements de la préposée de la société Nausicaa et de la société elle-même, au regard de l'article L. 133-19, IV du code monétaire et financier, ce qui l'autoriserait à ne pas rembourser l'opération litigieuse.
Cependant, les pièces produites aux débats, et notamment les échanges de courriels entre la comptable en charge des virements et M. [T] [L], se présentant comme avocat du cabinet KPMG, font apparaître que ce n'est que par un procédé, particulièrement cohérent et étudié, que les escrocs ont, en contextualisant leur demande par l'élaboration notamment d'un scénario crédible de fraude fiscale et en recourant à la figure d'autorité du comptable et du cabinet d'avocat reconnu KPMG, pu déjouer la vigilance de la préposée de la société et obtenir ainsi la réalisation de virements.
En outre, il convient de remettre cette escroquerie dans son contexte : les faits ont eu lieu en 2014, à une époque où ce procédé de " fraude au président " avait également touché plusieurs grandes sociétés ou grands cabinets d'avocats, comme en attestent les différents articles de presse produits par la société Nausicaa ainsi que le rapport du SRPJ de [Localité 6] du 19 novembre 2013, décrivant cette technique d'escroquerie par faux ordre de virement international apparue en France en 2011. Il s'ensuit qu'à l'époque des virements litigieux, la nouveauté de ce type d'escroquerie a trompé des clients, ou leurs préposés, censés être vigilants, rompus au monde des affaires et outillés, matériellement et intellectuellement, pour se prémunir contre de tels faits délictueux.
La banque, de son côté, produit aux débats un article du quotidien " les Echos " du 19 mars 2014 sur les " arnaques et fraudes sur internet ", évoquant notamment " les fraudes au président ", sans justifier comme elle le prétend qu'elle aurait mis en ligne cette publication sur son site, et de manière repérable, dans le but notamment d'alerter ses clients.
Dans ce contexte, il ne peut être reproché à la société Nausicaa, à l'été 2014, de ne pas avoir encore mis en 'uvre des procédures de sensibilisation de ses salariés à cette fraude au sein de sa société.
Par ailleurs, s'agissant des fautes reprochées par la banque à la préposée de la société Nausicaa, il n'apparaît pas que les adresses de courriel utilisées par les escrocs auraient été manifestement incohérentes comme le prétend la banque, ni même que les fautes d'orthographe relevées dans quelques-uns de ces courriels (" [M] " au lieu de " [W] " ; " parafés " au lieu de " paraphés ") auraient été flagrantes au point qu'il puisse être considéré que la comptable aurait commis une négligence en ne les relevant pas.
De plus, le scénario monté par les escrocs, bien informés sur la société, explique que la comptable ait observé le silence sur ces virements et n'ait pas décelé d'incohérences dans les instructions données.
Il ressort du jugement pénal du tribunal de Bucarest du 29 novembre 2018, dont la traduction produite n'a pas été contestée, que la comptable en charge des virements était employée au sein du service de comptabilité de la société depuis plusieurs années, et que l'enquête pénale diligentée en France et en Roumanie n'a mis en lumière aucun agissement frauduleux de la part de la société Nausicaa ou de sa préposée.
Cette dernière, compte tenu de ses fonctions et de son ancienneté dans la société, pouvait légitimement se voir confier la responsabilité d'effectuer des virements par la société Nausicaa, et il doit être noté qu'elle n'a remis ni identifiant ni code secret aux escrocs en vue de réaliser ce virement et a respecté les process institués par la société en vue d'encadrer l'émission des virements.
Par ailleurs, la banque indique avoir été informée par la société Nausicaa du virement litigieux au plus tard le 8 août 2014, soit dans les délais prévus à l'article L. 133-24 du CMF susvisé et en tout cas dans un délai raisonnable.
La cour estime en conséquence que la banque, qui échoue à démontrer des agissements frauduleux ou une négligence grave de la société Nausicaa ou l'un de ses préposés, ne peut donc s'exonérer de son obligation de remboursement du virement précité.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a condamné la banque à restituer à la société Nausicaa la somme de 65 385 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015, avec anatocisme.
Il conviendra seulement de rectifier le jugement en ce qu'il désigne la société Nausicaa sous son enseigne, au lieu de son nom exact, soit " la société d'exploitation du centre de la Mer ".
C - Subsidiairement : sur l'obligation générale de vigilance de la banque et la demande de remboursement des deux virements autorisés de 168 090 euros et 95 780 euros
La société Nausicaa fait valoir, à titre subsidiaire, que :
- Le régime de droit commun a vocation à s'appliquer dès lors que l'opération est considérée comme autorisée, le régime spécial prévu au code monétaire et financier ne s'appliquant qu'aux opérations non autorisées ou mal exécutées ;
- La banque a manqué à son obligation de vigilance ;
- Des anomalies matérielles et intellectuelles graves - détaillées dans ses conclusions - affectaient les virements litigieux ;
- Ces anomalies auraient dû attirer l'attention d'un banquier normalement vigilant ; en ne procédant pas aux vérifications minimales auxquelles elle était tenue en vertu de la loi, la banque a commis une faute lourde qui a immédiatement et directement permis la réalisation des faux ordres de virement, engageant sa responsabilité envers elle, société Nausicaa ; ses préjudices sont la conséquence directe et immédiate des fautes de la banque ;
- elle n'a jamais reçu de contre-appel de la banque à la suite des virements litigieux ; elle n'avait jamais été avertie par la banque du développement de ce type de fraudes avant ces virements ;
- elle a prévenu la banque des virements frauduleux dès qu'elle en a eu connaissance ;
- Le seul fait que sa préposée ait été manipulée par des escrocs ne permet pas en soi de conclure que la société victime a commis une négligence fautive ; de plus, aucun code confidentiel ni aucun dispositif personnalisé de sécurité n'a été remis à un tiers ou utilisé par une personne dûment autorisée ;
- La banque prétend que les ordres de virement auraient été authentifiés par le biais d'identifiants et mots de passe personnels ou encore par des cartes d'authentification bancaire, ce qui est faux ; et la banque ne prouve pas que l'opération a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée comme il lui incombe en vertu de l'article L.133-23 du CMF.
La banque réplique que :
- elle est tenue, en qualité de banquier donneur d'ordre, d'exécuter les transferts de fonds sollicités, avec ponctualité et exactitude, sous peine d'engager sa responsabilité et, selon le principe de non-ingérence, de s'exécuter sans avoir à se préoccuper de l'origine ou de la destination des fonds, de la licéité, de la moralité ou de l'opportunité des opérations sollicitées par son client ;
- Si sa responsabilité subsiste pour les opérations dont l'illicéité ressort d'une anomalie apparente, encore faut-il que celle-ci soit d'une évidence particulière, le simple caractère inhabituel d'une opération n'impliquant pas qu'elle soit illicite ou frauduleuse ;
- Ni l'ancienneté des relations entre la banque et sa cliente, ni la modicité des opérations antérieurement inscrites au compte ne doivent la conduire à s'interroger sur la cause ou l'opportunité des ordres litigieux (Com., 14 juin 2000, n° 97-15132) ;
- L'exécution de virements à destination d'établissements bancaires situés dans un Etat membre de l'Union européenne sont insusceptibles de constituer une anomalie apparente ; la banque Unicrédit, destinataire des fonds en l'espèce, est considérée comme une banque de premier plan ;
- Aucune anomalie matérielle ne frappe les ordres de virements effectués par voie dématérialisée ; seules les télécopies de confirmation sont visées, lesquelles ne comportaient pas d'anomalies qui auraient dû alerter la banque, la société Nausicaa admettant elle-même que la signature de M. [M] était ressemblante ;
- Les virements étaient cohérents avec les activités du moment de la société Nausicaa, notamment des travaux importants pour lesquels elle s'était rapprochée d'elle pour un concours de 800 000 euros ; la comptable lui avait transmis une facture correspondant à ces travaux pour justifier notamment du troisième virement ;
- La société Nausicaa lui reproche de ne pas avoir décelé d'anomalies apparentes, là où elle-même n'en a pas vu ;
- Le rapport de l'expert amiable missionné par la société Nausicaa ne pouvait conclure au caractère inhabituel et anormal des trois virements, en portant des appréciations d'ordre juridique ;
- Si les prétendues fautes qu'on lui impute à tort n'avaient pas été commises, cela aurait simplement limité le risque que les virements litigieux soient finalisés ; c'est donc la réparation d'une simple perte de chance que la société Nausicaa devrait demander ;
- En tout état de cause, si la cour devait l'estimer responsable, elle n'en débouterait pas moins la société Nausicaa de ses demandes en la considérant directement à l'origine du préjudice qu'elle invoque ; l'établissement bancaire peut être déchargé de tout ou partie de son obligation de remboursement, s'il démontre que la faute du déposant a permis la création des faux ordres de virement qu'il a exécutés ; cette responsabilité est de plus fort exclue dans le cas où l'opération est autorisée ; la bonne foi du préposé est indifférente ; le commettant engage sa propre responsabilité en raison de la faute du préposé ;
- Selon la jurisprudence, l'on ne peut, après avoir retenu que le payeur avait commis une négligence grave au sens de l'article L. 133-18 du CMF le privant du droit au remboursement des sommes versées, décider un partage de responsabilité avec la banque au motif qu'elle aurait manqué à ses obligations contractuelles de vigilance (Com.15 janvier 2025, n°23-13579 ; Com.15 janvier 2025, n°23-15 437) ; à plus forte raison, il doit en être de même quand le virement est autorisé ;
- C'est visiblement du fait de la société Nausicaa si les procédures d'exécution en Roumanie n'ont pas abouti ; cette dernière a notamment a refusé de mettre en place avec la banque roumaine le mécanisme de garantie à première demande qui lui aurait permis de récupérer les sommes, objet du litige, directement en Roumanie.
Réponse de la cour :
L'ordre de virement, dès lors qu'il est autorisé, doit en principe être exécuté avec diligence par le prestataire, sans que ce dernier soit astreint à vérifier le bien-fondé ou la régularité de l'opération ordonnée, en vertu de son obligation de non-immixtion.
Cependant, la banque est tenue à un devoir de vigilance l'obligeant à relever les anomalies apparentes d'un ordre de virement pouvant révéler une opération illicite.
L'anomalie apparente peut résulter d'une anomalie matérielle et/ou d'une anomalie intellectuelle, et doit s'apprécier in concreto.
En l'espèce, comme il a déjà été précisé, il n'apparaît pas, au vu des pièces produites, d'anomalie matérielle tenant à la présentation des télécopies de transmission des virements litigieux. Si ces dernières ne sont pas les mêmes que celles habituellement utilisées par la société Nausicaa, elles ne présentaient cependant aucune incohérence et aucun modèle défini n'était contractuellement prévu par les parties.
Concernant les anomalies intellectuelles, la cour constate, à l'étude des relevés du compte courant sur lequel ont été prélevés les virements litigieux, pour la période du 31 juillet 2013 au 31 juillet 2014, que :
- Ce compte n'enregistrait que peu de virements et d'opérations débitrices ;
- Un seul virement d'importance était enregistré, chaque fin de mois, supérieur à 200 000 euros, sans que son motif en soit précisé ; les télécopies de confirmation de ces virements mensuels mentionnaient à l'attention de la banque qu'ils correspondaient chaque fois à de multiples virements, ce qui accrédite les dires de la société Nausicaa selon lesquels ils correspondaient au paiement des salaires ;
- Hormis les deux virements litigieux, les autres sommes débitées d'un montant supérieur à 100 000 euros concernaient des prélèvements des URSSAF.
Ces éléments sont confirmés par un rapport d'expert-comptable amiable, diligenté à la demande de la société Nausicaa pour l'étude des relevés de ce compte bancaire.
Ce rapport du 15 mai 2013, régulièrement versé aux débats et corroboré par les relevés de compte produits, note que les relevés du compte pour la période du 1er juillet 2013 au 31 août 2014 totalise 3 693 lignes d'encaissements pour 800 lignes de décaissements et que, sur les débits, 4,75% des opérations présentent un montant supérieur à 10 000 euros parmi lesquelles 24 virements dont :
- 18 correspondent au paiement mensuel des salaires de la période étudiée. Ils interviennent entre le 26 et le 29 un fois par mois ; 4 virements de régularisation sont intervenus le dernier jour du mois en complément du virement mensuel ;
- 3 virements correspondent à des virements internes de Nausicaa vers un autre de ses comptes ;
- 3 virements correspondent aux opérations litigieuses.
Il apparaît ainsi, qu'alors que la société Nausicaa ne procédait habituellement qu'à un virement d'importance par mois, chaque fois pour une somme de plus de 200 000 euros, le premier virement litigieux de 168 090 euros du 24 juillet 2014 représentait un montant qui ne s'apparentait pas aux virements des salaires habituels, la télécopie afférente ne mentionnant d'ailleurs pas comme à l'accoutumée qu'il s'agissait de plusieurs virements. Dès lors, ce virement, élevé et inhabituel, aurait dû attirer l'attention de la banque, et ce d'autant plus qu'il était à destination d'une bénéficiaire dénommée " SC Détect serv " domicilié en Roumanie, au profit duquel la société Nausicaa n'avait jamais effectué aucun virement jusqu'alors.
Le deuxième virement réalisé au profit du même bénéficiaire le 30 juillet 2014, soit à peine 6 jours après, qui ne correspond pas non plus au fonctionnement habituel du compte, a été effectué alors qu'était intervenu, le 29 juillet 2014, le virement mensuel usuel correspondant aux salaires d'un montant de 231 485,88 euros. Ce virement aurait donc dû également alerter la banque.
Cette dernière ne démontre pas que ces deux virements pouvaient être justifiés par des travaux d'ampleur envisagés par la société Nausicaa, sur un compte qui n'enregistrait pas habituellement ce genre d'opérations. Ce n'est que pour le troisième virement du 1er août 2014 adressé à un autre bénéficiaire, qu'elle indique que la société lui aurait alors précisé qu'il s'agissait du paiement de l'un de ses fournisseurs pour des travaux en cours.
Il résulte de ces éléments que les deux virements incriminés présentaient une anomalie apparente, ce qui aurait dû conduire la banque, avant de les exécuter, à recueillir plus d'informations auprès de son client de longue date.
En manquant à son devoir de vigilance, la banque se trouve directement responsable des virements litigieux opérés les 24 et 30 juillet 2014.
Pour prétendre ne pas avoir à rembourser les virements litigieux elle ne peut invoquer la responsabilité première des escrocs, ou celle de la société Nausicaa et de sa préposée.
En effet, si la banque avait correctement exécuté son obligation de vigilance à l'égard de la société Nausicaa, les virements incriminés n'auraient pas été exécutés. Sa faute se trouve donc à l'origine directe de l'entier préjudice, correspondant à la perte des montants virés et non seulement, comme elle le prétend, à une perte de chance de limiter la finalisation de ces virements.
Or, comme évoqué ci-dessus, la banque échoue à démontrer une quelconque négligence ou agissement frauduleux à l'encontre, tant de la société Nausicaa que de sa préposée.
Par ailleurs, pour les mêmes raisons que précisé plus haut, la banque ne peut mettre en avant la lettre du 6 octobre 2006, pour se décharger de toute responsabilité.
La banque ne peut pas davantage se libérer de sa responsabilité en se prévalant du signalement tardif par la société Nausicaa des deux virements autorisés, ces derniers l'ayant été au plus tard le 8 août 2024 aux dires de la banque, qui ne caractérise donc pas la tardiveté de cette déclaration.
En outre, il ressort des pièces produites par la banque, que, bien qu'ayant obtenu de la justice roumaine la condamnation des responsables de l'escroquerie à indemniser la société Nausicaa à hauteur de 585 913 euros, cette dernière n'a pas obtenu le règlement de cette condamnation, ayant été contrainte de restituer les sommes saisies en vertu d'une exécution forcée, comme il ressort de la traduction d'une " sommation de payer les montants faisant l'objet de l'exécution forcée ", sans qu'il en ressorte une faute de la société Nausicaa à l'origine de cette restitution, l'insolvabilité du débiteur, pour cause de faillite, étant évoquée.
Enfin, la banque reproche à la société Nausicaa de n'avoir pas accepté sa proposition d'émettre une garantie à première demande au profit de la banque Unicrédit, limitée aux sommes qui seraient restituées, avec nantissement desdites sommes perçues à titre de restitution, et d'avoir ainsi volontairement refusé une opportunité de récupérer ses fonds.
Toutefois, il ressort des échanges de courriels produits par la société Nausicaa, que les contours exacts de cette restitution, et notamment le montant exact des sommes concernées, ne lui avaient pas été donnés.
Par ailleurs la banque ne justifie pas que l'acceptation d'un tel mécanisme aurait permis à la société Nausicaa de rentrer définitivement en possession des fonds perdus. En tout état de cause, selon une jurisprudence ancienne et constante, rendue au visa du principe de la réparation intégrale du préjudice, qui oblige le responsable d'un dommage à en réparer toutes les conséquences, la victime n'est jamais tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable (v. not. Civ. 2e, 19 juin 2003, n° 00-22302 et n° 01-13289, publiés). Il ne peut donc pas lui être reproché une négligence ou une inaction (v. par exc. Civ. 2e 29 mars 2012, n° 11-14661), ou encore de ne pas avoir pris de mesures alternatives pour limiter son préjudice (v. par ex. : Civ. 2e, 25 oct. 2012, n° 11-25511). Dès lors, en l'espèce, rien n'imposait à la société Nausicaa d'accepter cette proposition. Son refus ne peut donc constituer une négligence de la société qui exonèrerait la banque de sa responsabilité.
En conséquence, la décision déférée sera infirmée en ce qu'elle a débouté la société Nausicaa de sa demande de restitution du montant des opérations autorisées de 168 090 euros et 95 780 euros. La banque sera condamnée au remboursement de ces deux sommes avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015, date de l'assignation devant le tribunal de commerce, en faisant droit à la demande d'anatocisme.
II - Sur l'indemnisation des préjudices
A - Sur la demande de la société Nausicaa en réparation de son préjudice financier
La société Nausicaa indique qu'elle a dû, pour la continuité de son financement, rechercher un financement en urgence auprès du crédit coopératif à hauteur de 13 200 euros, la banque étant responsable de ce préjudice à proportion des montants de virements non autorisés qu'elle a fautivement exécutés, soit 7 418 euros.
Elle ajoute qu'il lui a fallu engager des frais en interne pour gérer la situation de crise en lien avec cette escroquerie, soit 38 528 euros, dont la banque serait responsable à hauteur de la moitié des coûts engendrés, soit 19.264 euros.
La banque réplique que la société Nausicaa ne démontre pas qu'un contrat concernant les fonds de roulement ait été signé, ni que ces fonds soient en lien avec les détournements dont elle a été victime.
Réponse de la cour :
Si la société Nausicaa verse aux débats une proposition du crédit coopératif en date du 6 novembre 2014 pour des fonds de roulement à hauteur de 500 000 euros, elle n'établit cependant pas que celle-ci a été acceptée d'une part, ni qu'elle serait en lien avec les trois virements frauduleux d'autre part.
Elle ne démontre pas plus avoir engagé 38 528 euros pour la gestion de l'escroquerie, les décomptes et fiches de temps produits, non datés et non signés, n'étant confirmés par aucune pièce comptable officielle. Au surplus, ce préjudice est à mettre en lien avec l'escroquerie commise plus qu'avec le défaut de vigilance de la banque.
La demande au titre du préjudice financier sera en conséquence rejetée et la décision déférée confirmée de ce chef.
B - Sur la demande de la société Nausicaa en réparation de son préjudice d'image et en publication de la décision
La société Nausicaa sollicite la réparation d'un préjudice d'image, compte tenu de l'écho médiatique de l'escroquerie, par l'allocation d'une somme de 80 000 euros, ainsi que la publication du " jugement " dans cinq journaux ou périodiques de son choix, aux frais de la banque ;
La banque s'y oppose, notant que la société Nausicaa n'en justifie ni le principe, ni le montant, cette dernière ne caractérisant notamment pas la baisse de fréquentation qui serait liée à l'escroquerie et ne démontrant pas que les articles parus dans la presse à son sujet auraient suscité des sentiments négatifs qui puissent être imputés à la banque.
Réponse de la cour :
La société Nausicaa ne démontre pas que le retentissement médiatique de l'escroquerie dont elle a été victime, dont elle justifie par la production de plusieurs articles de presse relatifs à cette fraude, lui ait causé un préjudice d'image, ni que celui-ci serait imputable à la banque. Elle ne justifie pas plus du montant du préjudice réclamé à hauteur de 80 000 euros.
Elle sera déboutée de ses demandes d'allocation d'une somme de 80 000 euros à ce titre, et de publications de la décision.
Le jugement déféré sera confirmé de ces chefs.
C - Sur la demande de la société Nausicaa en réparation de son préjudice moral à hauteur de 10 000 euros
La société Nausicaa fait valoir qu'elle a subi un profond traumatisme en interne du fait des manquements de la banque (climat tendu, ensemble des collaborateurs traumatisés, certaine défiance des partenaires économiques).
La banque réplique que la société Nausicaa croit devoir distinguer préjudice d'image et préjudice moral, alors que le préjudice moral de la personne morale n'est reconnu que pour autant qu'il tend à réparer son préjudice d'image. En tout état de cause, c'est arbitrairement qu'elle évalue ce préjudice à 10 000 euros.
Réponse de la cour :
Le manquement de la banque a créé, compte tenu des sommes détournées, un climat d'insécurité financière et occasionné pour la société Nausicaa des tracas et l'obligation d'entreprendre des démarches administratives pour remédier au désordre créé par les faits litigieux.
L'existence d'un préjudice moral en lien direct avec la faute de la banque est donc établie. Ce préjudice est distinct de celui précédemment allégué, en lien avec une perte d'image.
La décision déférée sera en conséquence infirmée de ce chef et la banque sera condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de ce préjudice.
Conformément à l'article 1231-7 du code civil, cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Il sera également fait droit à la demande d'anatocisme en application de l'article 1343-2 du code civil.
D - Sur la demande de la société Nausicaa en remboursement des frais engagés en Roumanie à hauteur de 30 809,40 euros
La société Nausicaa sollicite le remboursement des frais d'avocat engagés en Roumanie dans le cadre des diverses procédures civiles et pénales en lien avec l'escroquerie, ainsi que les frais de déplacement de M. [R] pour les enquêtes roumaines, soit 30 809,40 euros.
La banque réplique que l'action au pénal contre les auteurs de l'infraction ne l'impliquait nullement et que l'appelante a diligenté cette procédure pénale de son propre fait.
Réponse de la cour :
Les frais engagés en Roumanie l'ont été pour le procès pénal et la poursuite des responsables de la " fraude au président " dont a été victime la société Nausicaa.
Le défaut de vigilance reproché à la banque n'étant donc pas en lien causal direct avec ce préjudice, la demande de la société Nausicaa à ce titre sera rejetée, et la décision entreprise confirmée sur ce point.
III - Sur les demandes accessoires
La banque, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La décision déférée sera confirmée de ce chef.
Par ailleurs, la banque sera déboutée de sa demande d'indemnité procédurale et condamnée à verser à la société Nausicaa une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance et de l'instance d'appel. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- INFIRME la décision déférée, sauf en ce qu'elle a :
* Condamné la banque CIC Nord Ouest à restituer à " la société Nausicaa " la somme de 65 385 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015, avec anatocisme ;
* Débouté la " société Nausicaa " de ses demandes indemnitaires au titre des préjudices financier, d'image et frais d'avocats en Roumanie ;
* Débouté la " société Nausicaa " de sa demande de publications de la décision à intervenir ;
* Condamné la banque CIC Nord-Ouest aux entiers dépens ;
- RECTIFIE les chefs de dispositif ci-dessus confirmés pour préciser qu'au lieu de la " société Nausicaa ", il convient de lire " la [Adresse 7], exerçant sous l'enseigne Nausicaa " ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- Dit n'y avoir lieu de déclarer inopposable et d'écarter des débats la pièce n°38 communiquée par la société CIC Nord-Ouest ;
- Condamne la société CIC Nord-Ouest à verser à la [Adresse 7] (la société Nausicaa) les sommes suivantes :
* 169 090 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015 ;
* 95 780 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015 ;
* 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, avec les intérêts à compter du présent arrêt ;
- Dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts ;
- Condamne la société la CIC Nord-Ouest aux entiers dépens d'appel ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société CIC Nord-Ouest et la condamne à verser à la [Adresse 7] (la société Nausicaa) la somme de 15 000 euros au titre de la première instance et de l'instance d'appel.
Le greffier
La présidente
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 13/11/2025
MINUTE ELECTRONIQUE
N° RG 24/00172 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VJQI
Jugement (N° 2015009380) rendu le 12 décembre 2023 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTE
SA [Adresse 8] (SECNM) exploitant sous l'enseigne ' Nausicaa' prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social, [Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Mikael Le Bot, avocat plaidant, substitué par Me Arthur Fabre, avocats au barreau de Paris
INTIMÉE
SA CIC Nord Ouest, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Martine Vandenbusche, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assistée de Maîtres Anne-Gaëlle Le Merlus et Etienne Gastebled, avocats au barreau de Paris, avocats plaidants
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, présidente de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Anne Soreau, conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
DÉBATS à l'audience publique du 26 juin 2025, après rapport oral de l'affaire par Anne Soreau
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 novembre 2025, après prorogation du délibéré initialement prévu le 9 octobre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente, et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 3 juin 2025
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EXPOSE DES FAITS :
La [Adresse 7], qui a pour enseigne Nausicaa (la société Nausicaa), exploite le centre national de la mer, centre de découverte de l'univers marin situé à [Localité 5]. Son directeur général est M. [W].
Elle dispose d'un compte bancaire ouvert à la société CIC Nord-Ouest (la banque).
Au cours de l'été 2014, trois virements d'un montant total de 329 255 euros ont été réalisés du compte de la société Nausicaa à destination de deux comptes ouverts à la banque Unicrédit Triac en Roumanie (la banque Unicrédit), à savoir :
- le 24 juillet 2014 : 168 090 euros au bénéfice de la société SC Détect serv ;
- le 30 juillet 2014 : 95 780 euros au bénéfice de la société SC Détect serv ;
- le 1er août 2014 : 65 385 euros au bénéfice de la société ATL.
S'estimant victime d'une " fraude au président ", la société Nausicaa a déposé plainte au commissariat de [Localité 5] les 6 et 18 août 2014 et avisé la banque CIC le 6 août 2014, lui demandant la restitution des fonds.
Le 18 mai 2015, se heurtant au refus de la banque de lui rembourser les fonds en cause, et après vaine mise en demeure, la société Nausicaa l'a assignée devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, lequel a sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale initiée par les plaintes précitées.
Par ordonnance du 13 janvier 2020, le juge d'instruction en charge de l'information judiciaire ouverte sur ces plaintes a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Nausicaa, qui n'a pas interjeté appel de cette décision.
Par jugement du 12 décembre 2023, statuant sur l'assignation délivrée le 18 mai 2015, le tribunal de commerce de Lille a :
- Condamné la banque à restituer à la société Nausicaa la somme de 65 385 euros avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 18 mai 2015 ;
- Déclaré la pièce n° 38 présentée par la banque inopposable à la société Nausicaa et l'a écartée des débats ;
- Débouté la société Nausicaa de sa demande de restitution du montant des opérations autorisées de 168 090 euros et 95 780 euros ;
- Débouté la société Nausicaa de ses demandes indemnitaires au titre des préjudices financier, d'image, moral et frais d'avocats en Roumanie ;
- Débouté la société Nausicaa de sa demande de publication du jugement à intervenir ;
- Débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires ;
- Dit n'y avoir lieu à condamner les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la banque aux entiers dépens.
Par déclaration du 12 janvier 2024, la société Nausicaa a interjeté appel de l'entière décision.
PRETENTION des PARTIES :
Dans ses dernières conclusions du 28 mai 2025, la société Nausicaa demande à la cour de :
Vu les articles L.133-3, L.133-4, L.133-6, L.133-7 et L.133-18 du code monétaire et financier,
Vu les anciens articles 1131, 1134 et 1147 du code civil,
- Réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, précisant que pour le premier chef condamnant la banque à lui restituer la somme de 65 385 euros, son appel porte seulement en ce que le dispositif a désigné l'appelante sous son nom d'enseigne Nausicaa au lieu de sa dénomination légale " société d'exploitation du centre national de la mer" ;
Et statuant à nouveau :
À titre principal :
- Condamner la banque à lui restituer immédiatement le montant des opérations non autorisées et sans mandat valable, soit la somme de 329 255 euros (ce qui représente le montant total des trois opérations non autorisées à hauteur de 168 090 euros, 95 780 euros et 65 385 euros), avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 18 mai 2015, date de la signification de l'assignation ;
À titre subsidiaire :
- Condamner la banque à l'indemniser à hauteur du montant des opérations non autorisées soit la somme de 329 255 euros au titre du manquement à son obligation de vigilance, avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 18 mai 2015, date de la signification de l'assignation ;
En tout état de cause :
- Rejeter toutes les demandes de la banque ;
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la banque de ses demandes;
- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la banque aux dépens ;
- Confirmer le jugement en ce qu'il lui déclare inopposable la pièce n° 38 produite par la banque (" Lettre de décharge du 6 octobre 2006 ") et, en tout état de cause,
- dire et juger que toutes les dispositions stipulées dans ce document sont nulles et réputées non écrites ;
- Condamner la banque à l'indemniser à hauteur des sommes suivantes :
* 26 682 euros en réparation du préjudice financier subi ;
* 80 000 euros en réparation du préjudice d'image subi ;
* 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;
* et 30 809,40 euros au titre des frais engagés en Roumanie pour tenter de récupérer les fonds ;
- Dire et Juger que la condamnation à venir produira des intérêts moratoires au taux légal à la date de la signification de l'assignation suivant les dispositions des articles 1231 et suivants, 1344 et suivants et 1231-7 du code civil et que les intérêts ainsi produits seront capitalisés de plein droit ;
- Ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux ou périodiques au choix du demandeur, dans la limite de 15 000 euros HT par insertion, aux frais de la banque ;
- Condamner la banque à lui payer la somme de 45 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la banque aux entiers dépens au titre de l'article 696 du Code de procédure civile.
Par dernières conclusions du 19 mai 2025 et appel incident la banque demande à la cour de :
Vu les articles L.133-1 et suivants du code monétaire et financier,
- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* débouté la société Nausicaa de sa demande de restitution du montant des opérations autorisées, c'est-à-dire du premier et du second paiement, respectivement 168 090 euros et 95 780 euros ;
* débouté la société Nausicaa de ses demandes indemnitaires au titre des préjudices financier, d'image, moral et des frais d'avocats en Roumanie ;
* débouté la société Nausicaa de sa demande de publication du jugement à intervenir ;
* débouté la société Nausicaa de toutes ses autres demandes plus amples ou contraires ;
* débouté la société Nausicaa de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- mais infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a :
* condamnée à restituer à la société Nausicaa la somme de 65 385 euros, avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 18 mai 2015 ;
* déboutée de toutes ses autres demandes plus amples ou contraires ;
* déboutée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamnée aux dépens ;
Et statuant à nouveau :
* A titre principal :
- Dire et juger que les trois ordres de virement émis par la société Nausicaa et qu'elle remet à présent en cause, sont parfaitement authentiques ;
- Dire et juger qu'elle était tenue d'exécuter ces ordres de virement litigieux ;
En conséquence,
- Débouter la société Nausicaa de l'intégralité de ses demandes;
* A titre subsidiaire :
- Dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute ;
- Dire et juger que la société Nausicaa ne caractérise pas de préjudice indemnisable et qui présenterait un lien de causalité avec la prétendue faute qu'elle impute à la banque de façon injustifiée ;
- dire et juger en toute hypothèse que la responsabilité de la société Nausicaa, engagée à la fois du fait de son préposé et de sa faute personnelle, est exonératoire de celle de la banque ;
En conséquence,
- Débouter la société Nausicaa de l'intégralité de ses demandes, fins, moyens et conclusions ;
* En tout état de cause :
- Débouter la société Nausicaa de l'intégralité de ses demandes ;
- la condamner à lui verser la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
MOTIVATION
Au préalable, il sera précisé, que ne constituent pas des prétentions, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à " dire et juger " ou " constater ", en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité de simples moyens ou arguments. Dès lors, la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de l'une ou l'autre des prétentions formulées dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif du présent arrêt, mais uniquement dans ses motifs.
I - Sur la demande de la société Nausicaa tendant au paiement de la somme de 329 255 euros en remboursement des trois virements litigieux
A - Sur le caractère autorisé ou non des opérations litigieuses
La société Nausicaa fait valoir, après avoir reproduit les termes des articles L. 133-6 et L. 333-7 du code monétaire et financier, que :
- La convention de compte produite par la banque prévoyait un protocole de transmission des ordres de virements appelé EBICS Profil T selon lequel les virements litigieux étaient opérés par la société Nausicaa en deux étapes successives : envoi des données du virement par télétransmission sécurisée à l'aide d'un identifiant et d'un mot de passe, puis confirmation de l'envoi par un fax signé par un représentant dûment autorisé ;
- La banque s'appuie sur les dispositions de l'article 5.2 de la convention bancaire pour prétendre qu'elle, société Nausicaa, a valablement donné son consentement par le seul envoi du fichier SEPA; or, il s'agit d'une stipulation contractuelle portant sur la preuve qui ne peut établir au profit d'une partie une présomption irréfragable ;
- Contrairement à ce qu'indique la banque, les ordres de virement frauduleux n'ont jamais fait l'objet d'authentification par l'utilisation d'identifiants, de mots de passe et de cartes d'identification bancaire ; Or, l'article L.133-23 du code monétaire et financier prévoit qu'il incombe au prestataire de services de paiement de prouver que l'opération a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée ; cette règle s'applique même pour une opération de paiement non autorisée rendue possible par un manquement de cet utilisateur, intentionnel ou par négligence grave (Com. 12 novembre 2020, n°19-12.112) ;
- Sa comptable, à elle, appelante, à la demande d'un prétendu avocat, a préparé des fichiers SEPA et les télécopies de confirmation correspondant à trois virements, puis les lui a envoyés par courriel ; l'escroc a renvoyé à la comptable, les télécopies de confirmation soi-disant signées par le directeur, et celle-ci a effectué les virements selon le protocole sécurisé EBICS T ;
- Si la première étape a bien été validée, ce n'est pas le cas de la deuxième dont le but est de formaliser le consentement donné à l'opération par le représentant légal de la société Nausicaa : les télécopies de confirmation des deux premiers ordres de virements de 168 090 euros et 95 780 euros n'ont pas été signées par le directeur général de Nausicaa mais par des escrocs, et n'ont donc pas été autorisées, puisque les télécopies ont été falsifiées et présentaient de nombreuses anomalies matérielles et intellectuelles ; quant à la télécopie du dernier ordre de virement, elle ne comporte aucune signature ;
- Les virements litigieux n'avaient donc pas reçu le consentement de son représentant légal, M. [M], selon la forme convenue entre les parties ; ils sont donc réputés non autorisées au sens de l'article L. 133-7 du code monétaire et financier et doivent faire l'objet d'un remboursement immédiat par la banque en application de l'article L. 133-18 du code monétaire et financier ;
- Le 29 juillet 2024, M. [M] avait adressé à la banque une procuration par laquelle il donnait pouvoir à MM. [Z] et [P], employés de la société, de gérer et administrer en son nom les comptes bancaires pour la période du 31 juillet au 22 août inclus ;
- La " lettre de décharge du 6 octobre 2006 " dont se prévaut la banque pour prétendre à une décharge de responsabilité, est dépourvue de force probante et constitue une clause exonératoire de responsabilité qui contredit la portée des engagements de la banque et vide de toute substance les obligations essentielles de la banque au titre de la convention de compte ; en application de l'article 1131 du code civil dans sa version applicable au litige, les stipulations de cette lettre doivent donc être réputées non écrites et inopposables.
La banque réplique que :
- Le payeur donne son consentement au virement lorsqu'il suit le processus convenu contractuellement avec la banque pour procéder à un tel virement, peu importe qu'il ait ou non accepté l'opération sous-jacente ;
- Elle a reçu l'ensemble des ordres déclenchant les virements litigieux du service comptable de la société Nausicaa ;
- L'article 5.2 des conditions générales du service Fil Banque ne constitue pas une stipulation contractuelle portant sur la preuve, qui établirait une présomption irréfragable entre les parties ;
- La connexion à l'outil Fil Banque au moyen des identifiants était suffisante et n'imposait pas une validation par fax ; l'utilisation des outils sécurisés (saisie d'un numéro d'identification et d'un mot de passe) suffit à démontrer que l'opération émane du client ou d'une personne habilitée et qu'il s'agit d'une opération autorisée au sens de l'article L.133-6 ;
- Si, comme le prétend la société Nausicaa, l'envoi devait être validé par un autre canal, aucune disposition contractuelle n'imposait cependant que la télécopie de confirmation soit signée par une personne dûment autorisée ; il y a eu 3 fax de confirmation pour les trois opérations ; les trois virements étaient donc autorisés ;
- De plus, par une lettre du 6 octobre 2006, dans un souci de célérité des opérations, la société Nausicaa avait renoncé à tout formalisme et l'avait déchargée de toute responsabilité en cas d'usage frauduleux des moyens de communication ;
- Par sa procuration, M. [W], n'avait pas renoncé à ses propres droits en qualité de dirigeant, mais simplement, dans un délai déterminé, habilité deux personnes supplémentaires à faire fonctionner le compte de la société pour la période du 31 juillet au 22 août 2014.
Réponse de la cour :
L'article L. 133-3 I du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, applicable au litige, définit une opération de paiement comme une action consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire, ordonnée par le payeur ou par le bénéficiaire.
L'article L.133-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu'un paiement est autorisé si le payeur a donné son consentement à son exécution.
L'article L. 133-7 de ce code, dans la rédaction issue de la même loi, ajoute que le consentement est donné sous la forme convenue entre le payeur et son prestataire de services de paiement et qu'en l'absence d'un tel consentement, l'opération ou la série d'opérations de paiements est réputée non autorisée. "
Il ressort de ces dispositions que :
- Un virement a une existence autonome qui échappe aux vicissitudes de l'opération sous-jacente qui lui sert de cause ;
- un paiement n'est pas autorisé à la suite d'un simple fait matériel. L'ordre du payeur n'est pas suffisant ; son consentement est également requis.
La Cour de cassation a affirmé clairement qu'en présence de virements ordonnés par la préposée d'une société, pensant agir sur instruction de l'un de ses dirigeants, et ce au moyen du dispositif de paiement sécurisé mis à disposition de la banque, il s'agit d'opérations de paiement ayant été autorisées par la société en question (Com., 30 avril 2025, n°24-11.255).
* A titre liminaire, les parties s'opposent sur l'obligation pesant sur la banque d'avoir ou non à procéder à des vérifications concernant l'émetteur des ordres de virement, et plus particulièrement sur la portée de la pièce 38, constituée par la lettre du 6 octobre 2006 que le tribunal a déclaré inopposable et a écarté des débats alors que rien ne le justifie, cette lettre ayant été régulièrement versée à la procédure. La décision entreprise sera donc infirmée de ce chef.
En revanche, il appartient à la cour, dans son pouvoir d'appréciation de la valeur des pièces produites, de déterminer si, comme le prétend la banque, cette lettre vaudrait décharge par la société Nausicaa de toute vérification concernant l'identité, l'authenticité et le pouvoir des collaborateurs lui transmettant les ordres de virement.
Or, cette lettre, si elle concerne la " banque CIC ", sans plus de précision, et se trouve revêtue de la signature de M. [W]. La lettre produite ne précise ni en quelle qualité ce dernier serait intervenu, la société Nausicaa n'étant pas mentionnée, ni les comptes concernés. En effet, si en exergue du document il est prévu l'indication d'une référence de compte, aucun numéro d'identification n'y figure. Dès lors, rien n'autorise à la rattacher au fonctionnement du compte de la société Nausicaa sur lequel sont intervenus les virements litigieux. Cette lettre ne peut donc exonérer la banque de son obligation de respecter les modalités d'exécution des virements convenues avec la société Nausicaa.
* Il n'est pas contesté que la société Nausicaa a souscrit un contrat Fil Banque entreprise auprès de la banque.
L'article 5, intitulé " preuve des opérations ", des conditions générales de ce contrat prévoit dans son paragraphe 5.2 que " la seule réception par la banque des ordres de virements, des ordres de prélèvements et des L.C.R, adressés par la voie télématique vaut ordre de virement ou ordre d'encaissement adressé par le souscripteur à la Banque. La preuve de l'ordre donné résultera suffisamment des enregistrements informatiques en la possession de la Banque ".
En parallèle, le contrat prévoit, dans son article 12, la possibilité d'échanges de données informatisées via le protocole EBICS profil T ou TS, précisant que le souscripteur et la banque définissent un mode de fonctionnement pour l'envoi des fichiers du souscripteur vers la banque parmi les deux modes possibles permis par le protocole d'échange :
a/ EBICS Profil T (transport) : les fichiers envoyés par le souscripteur à la banque ne sont pas accompagnés d'une signature personnelle jointe. Les données envoyées ne pourront alors être prises en compte que si la banque se trouve en possession d'un ordre de validation transmis par un autre canal, précisé dans l'annexe " services bancaires " ou par acte séparé ;
b/ EBICS Profil TS (transport et signature) : les fichiers envoyés par le souscripteur à la banque sont accompagnés dans la même transmission de la ou des signatures personnelles jointes prévues pour l'échange des données concernées dans l'annexe " Services bancaires " ou par acte séparé.
En premier lieu, la cour d'appel estime que, sauf à le dénaturer, l'article 5.2 susvisé porte sur la preuve du fait matériel que constitue l'ordre de paiement (acte déclencheur de l'opération), mais non, comme le prétend la banque, sur la preuve du consentement donné à l'exécution de cet ordre. Il ne peut donc se déduire de ces dispositions que l'ordre de paiement, en l'espèce l'envoi du fichier SEPA, entraîne ipso facto la preuve du consentement à l'exécution de ce paiement (c'est-à-dire la volonté d'autoriser l'exécution de l'opération) s'il est établi que ce dernier devait être donné différemment.
De même, le fait de se connecter à un service sécurisé par un identifiant et un mot de passe pour l'envoi de l'ordre de virement, s'il permet l'identification du donneur d'ordre, n'implique pas qu'il a été consenti à l'exécution de l'opération.
En deuxième lieu, la société Nausicaa produit aux débats les copies de plusieurs télécopies de virements opérés avant les virements litigieux en 2013 et 2014, dont un intervenu le 26 juin 2014, toutes signées de M. [W], et qui confirment que le mode de fonctionnement défini entre la banque et la société Nausicaa, comme l'affirme cette dernière, était celui prévu par le protocole EBICS profil T, à savoir l'envoi du fichier, puis un ordre de validation par acte séparé, en l'absence de signature personnelle jointe au premier fichier.
Cet ordre de validation, émanant du client de la banque, constitue la signature qui n'a pas été jointe dans le premier envoi.
Ainsi, une télécopie non signée, dont on ne peut certifier qu'elle émane du payeur ou d'une personne habilitée, ne peut constituer le consentement du payeur, à l'ordre donné.
En l'espèce, l'un des ordres de virements litigieux, en date du 1er août 2014 au bénéfice de ATL, pour un montant de 65 385 euros, n'a pas été signé. En conséquence, le consentement de la société Nausicaa à l'exécution de cette obligation n'a pas été donné conformément aux modalités de fonctionnement consenties entre les parties.
Il s'agit donc d'une opération non autorisée.
S'agissant deux autres virements en date des 24 et 30 juillet 2014, il apparaît que les deux télécopies de télétransmission sont bien revêtues de la signature de M. [W].
Contrairement à ce que prétend la société Nausicaa, cette signature ne présentait pas d'anomalie apparente. D'ailleurs, lors de son audition devant les services de police, M. [Z], employé de la société Nausicaa, a reconnu qu'elle était ressemblante ; la secrétaire en charge des virements n'a elle-même pas relevé d'incohérence. En outre, la cour d'appel observe que cette signature ne diffère pas de celle, reconnue comme véritable, apparaissant sur d'autres pièces produites par la société Nausicaa, et notamment sur la procuration adressée par M. [W] à la banque le 29 juillet 2014.
De même, le fait que ces deux virements aient eu une présentation différente de ceux habituellement faits, dès lors que celle-ci ne présente pas d'anomalie évidente, ne peut conduire à penser que le consentement de la société n'avait pas été donné, en l'absence d'incohérences manifestes sur la télécopie de confirmation, sauf à démontrer que les parties étaient convenues d'un formalisme particulier pour ces télétransmissions, ce qui n'est pas établi.
La société Nausicaa met en avant une procuration, adressée à la banque le 29 juillet 2014, par laquelle M. [W] l'informe avoir donné pouvoir à MM. [Z] et [P] de gérer et administrer en son nom les comptes bancaires de la société pour la période du 31 juillet au 22 août inclus.
Toutefois, les deux virements litigieux datant des 24 juillet et 30 juillet 2014, cette procuration n'avait pas pris effet. C'était donc bien la signature de M. [W] qui devait apparaître sur les télécopies de confirmation.
En tout état de cause, ce pouvoir donné ne privait pas M. [W] d'agir au nom et pour le compte de la société Nausicaa.
Enfin, la société Nausicaa fait valoir le fait qu'elle n'avait pas consenti aux opérations litigieuses, s'agissant d'escroqueries.
Néanmoins, comme il ressort des articles L. 133-3 et L. 133-6 du code monétaire et financier, et comme déjà rappelé, l'opération de paiement est indépendante de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire, et le paiement est autorisé si le payeur a donné son consentement à son exécution.
En l'espèce, bien que victime d'une escroquerie et en total désaccord avec les virements finalement ordonnés, la société Nausicaa reconnaît avoir, par l'intermédiaire de sa comptable, préparé les ordres de virement et les télécopies de confirmation, qu'elle a fait signer, puis avoir effectué le virement selon le protocole sécurisé EBICS T.
Ces deux virements litigieux sont donc des virements autorisés au sens de l'article L.133-6 susvisé.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a déclaré le virement du 1er août 2014 comme n'ayant pas été autorisé, et ceux du 24 juillet 2014 et 30 juillet 2014 comme ayant été autorisés.
B - Sur la demande de remboursement du virement non autorisé du 1er août 2014 d'un montant de 65 385 euros
La société Nausicaa sollicite le remboursement immédiat des opérations non autorisées en application de l'article L. 133-18 du code monétaire et financier ; elle fait valoir que :
- L'obligation de restitution à la charge de la banque est exclusive de la démonstration d'une quelconque faute de sa part ;
- La banque ne produit pas la preuve de l'authentification sécurisée comme elle est tenue de le faire en application de l'article L.133-23 précité ; cette règle s'applique même en cas de manquement intentionnel ou par négligence grave de l'utilisateur (Com. 12 novembre 2020, n°19-12.112 précité) ;
- la " lettre de décharge du 6 octobre 2006 " par laquelle la banque prétendrait avoir une exonération totale de responsabilité, est dépourvue de force probante ou d'effet à son égard, étant inintelligible, imprécise et dépourvue de toute force juridique ;
- Elle a immédiatement alerté la banque dès qu'elle a eu connaissance des opérations non autorisées, conformément aux prescriptions de l'article L.133-24 du CMF ;
La banque fait valoir que :
- La lettre du 6 octobre 2006, signée de M. [W] et parfaitement valable, la dispensait de toute vérification et prévoyait une décharge étendue au profit de la banque ;
- En application de l'article L. 133-19, IV, du code monétaire et financier, l'établissement bancaire peut être déchargé de tout ou partie de son obligation de remboursement s'il démontre que la faute du déposant a permis la création des faux ordres de virement qu'il a exécutés ;
- La cour ne peut, après avoir retenu que le payeur a commis une négligence grave au sens de l'article L. 133-18 le privant du droit au remboursement des sommes versées, opérer un partage de responsabilité avec la banque, au motif que celle-ci aurait manqué à ses obligations contractuelles de vigilance et de surveillance des systèmes (Com., 15 janvier 2025, n°23-13.579) ;
- Les fautes et négligences de la secrétaire sont avérées ;
- La société Nausicaa a fait preuve de négligence dans l'information donnée à ses salariés sur les risques de fraude ; elle n'a mis en place aucune procédure interne pour encadrer ses préposés ; elle a concentré sur la même personne la faculté d'initier les paiements, et de faire les opérations comptables ;
- La société Nausicaa ne justifie pas avoir signalé sans tarder les virements litigieux au regard des exigences du code monétaire et financier ;
- Que la société Nausicaa agisse sur le fondement de la prétendue responsabilité sans faute de la banque, ou de sa responsabilité en raison d'un manquement à l'obligation de vigilance, elle n'est en aucun cas dispensée de justifier l'existence d'un lien de causalité certain et direct entre le fait générateur et le dommage qu'elle invoque ; la seule cause prépondérante doit être retenue comme fait générateur de responsabilité et le juge doit sélectionner, parmi les causes qui se présentent à lui, celle qui a joué un rôle majeur dans la réalisation du préjudice ; les préjudices dont se plaint la société Nausicaa résultent en premier lieu de l'escroquerie réalisée en Roumanie, mais également de la faute de la société Nausicaa elle-même, premier événement chronologique au regard de la succession des événements ; le détournement n'aurait pas eu lieu sans la participation active de la salariée de la société Nausicaa.
Réponse de la cour :
Dans sa version applicable au litige, issue de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 et de la loi n°2010-737 du 1er juillet 2010, le code monétaire et financier prévoit que :
article L. 133-18, alinéa 1 : en cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L.133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l'opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu.
article L. 133-24 : l'utilisateur doit signaler sans tarder une opération de paiement non autorisée, et au plus tard dans le délai de treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion. Pour les professionnels le texte autorise les parties à convenir d'un délai distinct.
article L. 133-19 IV : le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées, si ces pertes résultent d'un agissement frauduleux de sa part, ou s'il n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L.133-16 et L.133-17.
article L. 133-16 : dès qu'il reçoit un instrument de paiement, l'utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés.
Il utilise l'instrument de paiement conformément aux conditions régissant sa délivrance et son utilisation.
article L. 133-17 I : lorsqu'il a connaissance de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de son instrument de paiement ou des données qui lui sont liées, l'utilisateur de services de paiement en informe sans tarder, aux fins de blocage de l'instrument, son prestataire ou l'entité désignée par celui-ci.
La Cour de cassation a jugé que, dès lors que la responsabilité d'un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d'une opération non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L.133-24 du CMF, à l'exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national (Com.15 janvier 2025, n°23-13.579)
C'est donc en application du seul article L.133-19 du CMF, et non en vertu de la responsabilité contractuelle de droit commun, que la banque peut demander à être exonérée de son obligation de remboursement prévue à l'article L. 133-18 susvisé.
En l'espèce, la cour ayant jugé que l'opération du 6 août 2014 n'avait pas été autorisée, la banque est tenue en principe de rembourser immédiatement la somme de 65 385 euros sur le compte de la société Nausicaa, en application de l'article L.133-18.
La banque évoque les manquements de la préposée de la société Nausicaa et de la société elle-même, au regard de l'article L. 133-19, IV du code monétaire et financier, ce qui l'autoriserait à ne pas rembourser l'opération litigieuse.
Cependant, les pièces produites aux débats, et notamment les échanges de courriels entre la comptable en charge des virements et M. [T] [L], se présentant comme avocat du cabinet KPMG, font apparaître que ce n'est que par un procédé, particulièrement cohérent et étudié, que les escrocs ont, en contextualisant leur demande par l'élaboration notamment d'un scénario crédible de fraude fiscale et en recourant à la figure d'autorité du comptable et du cabinet d'avocat reconnu KPMG, pu déjouer la vigilance de la préposée de la société et obtenir ainsi la réalisation de virements.
En outre, il convient de remettre cette escroquerie dans son contexte : les faits ont eu lieu en 2014, à une époque où ce procédé de " fraude au président " avait également touché plusieurs grandes sociétés ou grands cabinets d'avocats, comme en attestent les différents articles de presse produits par la société Nausicaa ainsi que le rapport du SRPJ de [Localité 6] du 19 novembre 2013, décrivant cette technique d'escroquerie par faux ordre de virement international apparue en France en 2011. Il s'ensuit qu'à l'époque des virements litigieux, la nouveauté de ce type d'escroquerie a trompé des clients, ou leurs préposés, censés être vigilants, rompus au monde des affaires et outillés, matériellement et intellectuellement, pour se prémunir contre de tels faits délictueux.
La banque, de son côté, produit aux débats un article du quotidien " les Echos " du 19 mars 2014 sur les " arnaques et fraudes sur internet ", évoquant notamment " les fraudes au président ", sans justifier comme elle le prétend qu'elle aurait mis en ligne cette publication sur son site, et de manière repérable, dans le but notamment d'alerter ses clients.
Dans ce contexte, il ne peut être reproché à la société Nausicaa, à l'été 2014, de ne pas avoir encore mis en 'uvre des procédures de sensibilisation de ses salariés à cette fraude au sein de sa société.
Par ailleurs, s'agissant des fautes reprochées par la banque à la préposée de la société Nausicaa, il n'apparaît pas que les adresses de courriel utilisées par les escrocs auraient été manifestement incohérentes comme le prétend la banque, ni même que les fautes d'orthographe relevées dans quelques-uns de ces courriels (" [M] " au lieu de " [W] " ; " parafés " au lieu de " paraphés ") auraient été flagrantes au point qu'il puisse être considéré que la comptable aurait commis une négligence en ne les relevant pas.
De plus, le scénario monté par les escrocs, bien informés sur la société, explique que la comptable ait observé le silence sur ces virements et n'ait pas décelé d'incohérences dans les instructions données.
Il ressort du jugement pénal du tribunal de Bucarest du 29 novembre 2018, dont la traduction produite n'a pas été contestée, que la comptable en charge des virements était employée au sein du service de comptabilité de la société depuis plusieurs années, et que l'enquête pénale diligentée en France et en Roumanie n'a mis en lumière aucun agissement frauduleux de la part de la société Nausicaa ou de sa préposée.
Cette dernière, compte tenu de ses fonctions et de son ancienneté dans la société, pouvait légitimement se voir confier la responsabilité d'effectuer des virements par la société Nausicaa, et il doit être noté qu'elle n'a remis ni identifiant ni code secret aux escrocs en vue de réaliser ce virement et a respecté les process institués par la société en vue d'encadrer l'émission des virements.
Par ailleurs, la banque indique avoir été informée par la société Nausicaa du virement litigieux au plus tard le 8 août 2014, soit dans les délais prévus à l'article L. 133-24 du CMF susvisé et en tout cas dans un délai raisonnable.
La cour estime en conséquence que la banque, qui échoue à démontrer des agissements frauduleux ou une négligence grave de la société Nausicaa ou l'un de ses préposés, ne peut donc s'exonérer de son obligation de remboursement du virement précité.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a condamné la banque à restituer à la société Nausicaa la somme de 65 385 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015, avec anatocisme.
Il conviendra seulement de rectifier le jugement en ce qu'il désigne la société Nausicaa sous son enseigne, au lieu de son nom exact, soit " la société d'exploitation du centre de la Mer ".
C - Subsidiairement : sur l'obligation générale de vigilance de la banque et la demande de remboursement des deux virements autorisés de 168 090 euros et 95 780 euros
La société Nausicaa fait valoir, à titre subsidiaire, que :
- Le régime de droit commun a vocation à s'appliquer dès lors que l'opération est considérée comme autorisée, le régime spécial prévu au code monétaire et financier ne s'appliquant qu'aux opérations non autorisées ou mal exécutées ;
- La banque a manqué à son obligation de vigilance ;
- Des anomalies matérielles et intellectuelles graves - détaillées dans ses conclusions - affectaient les virements litigieux ;
- Ces anomalies auraient dû attirer l'attention d'un banquier normalement vigilant ; en ne procédant pas aux vérifications minimales auxquelles elle était tenue en vertu de la loi, la banque a commis une faute lourde qui a immédiatement et directement permis la réalisation des faux ordres de virement, engageant sa responsabilité envers elle, société Nausicaa ; ses préjudices sont la conséquence directe et immédiate des fautes de la banque ;
- elle n'a jamais reçu de contre-appel de la banque à la suite des virements litigieux ; elle n'avait jamais été avertie par la banque du développement de ce type de fraudes avant ces virements ;
- elle a prévenu la banque des virements frauduleux dès qu'elle en a eu connaissance ;
- Le seul fait que sa préposée ait été manipulée par des escrocs ne permet pas en soi de conclure que la société victime a commis une négligence fautive ; de plus, aucun code confidentiel ni aucun dispositif personnalisé de sécurité n'a été remis à un tiers ou utilisé par une personne dûment autorisée ;
- La banque prétend que les ordres de virement auraient été authentifiés par le biais d'identifiants et mots de passe personnels ou encore par des cartes d'authentification bancaire, ce qui est faux ; et la banque ne prouve pas que l'opération a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée comme il lui incombe en vertu de l'article L.133-23 du CMF.
La banque réplique que :
- elle est tenue, en qualité de banquier donneur d'ordre, d'exécuter les transferts de fonds sollicités, avec ponctualité et exactitude, sous peine d'engager sa responsabilité et, selon le principe de non-ingérence, de s'exécuter sans avoir à se préoccuper de l'origine ou de la destination des fonds, de la licéité, de la moralité ou de l'opportunité des opérations sollicitées par son client ;
- Si sa responsabilité subsiste pour les opérations dont l'illicéité ressort d'une anomalie apparente, encore faut-il que celle-ci soit d'une évidence particulière, le simple caractère inhabituel d'une opération n'impliquant pas qu'elle soit illicite ou frauduleuse ;
- Ni l'ancienneté des relations entre la banque et sa cliente, ni la modicité des opérations antérieurement inscrites au compte ne doivent la conduire à s'interroger sur la cause ou l'opportunité des ordres litigieux (Com., 14 juin 2000, n° 97-15132) ;
- L'exécution de virements à destination d'établissements bancaires situés dans un Etat membre de l'Union européenne sont insusceptibles de constituer une anomalie apparente ; la banque Unicrédit, destinataire des fonds en l'espèce, est considérée comme une banque de premier plan ;
- Aucune anomalie matérielle ne frappe les ordres de virements effectués par voie dématérialisée ; seules les télécopies de confirmation sont visées, lesquelles ne comportaient pas d'anomalies qui auraient dû alerter la banque, la société Nausicaa admettant elle-même que la signature de M. [M] était ressemblante ;
- Les virements étaient cohérents avec les activités du moment de la société Nausicaa, notamment des travaux importants pour lesquels elle s'était rapprochée d'elle pour un concours de 800 000 euros ; la comptable lui avait transmis une facture correspondant à ces travaux pour justifier notamment du troisième virement ;
- La société Nausicaa lui reproche de ne pas avoir décelé d'anomalies apparentes, là où elle-même n'en a pas vu ;
- Le rapport de l'expert amiable missionné par la société Nausicaa ne pouvait conclure au caractère inhabituel et anormal des trois virements, en portant des appréciations d'ordre juridique ;
- Si les prétendues fautes qu'on lui impute à tort n'avaient pas été commises, cela aurait simplement limité le risque que les virements litigieux soient finalisés ; c'est donc la réparation d'une simple perte de chance que la société Nausicaa devrait demander ;
- En tout état de cause, si la cour devait l'estimer responsable, elle n'en débouterait pas moins la société Nausicaa de ses demandes en la considérant directement à l'origine du préjudice qu'elle invoque ; l'établissement bancaire peut être déchargé de tout ou partie de son obligation de remboursement, s'il démontre que la faute du déposant a permis la création des faux ordres de virement qu'il a exécutés ; cette responsabilité est de plus fort exclue dans le cas où l'opération est autorisée ; la bonne foi du préposé est indifférente ; le commettant engage sa propre responsabilité en raison de la faute du préposé ;
- Selon la jurisprudence, l'on ne peut, après avoir retenu que le payeur avait commis une négligence grave au sens de l'article L. 133-18 du CMF le privant du droit au remboursement des sommes versées, décider un partage de responsabilité avec la banque au motif qu'elle aurait manqué à ses obligations contractuelles de vigilance (Com.15 janvier 2025, n°23-13579 ; Com.15 janvier 2025, n°23-15 437) ; à plus forte raison, il doit en être de même quand le virement est autorisé ;
- C'est visiblement du fait de la société Nausicaa si les procédures d'exécution en Roumanie n'ont pas abouti ; cette dernière a notamment a refusé de mettre en place avec la banque roumaine le mécanisme de garantie à première demande qui lui aurait permis de récupérer les sommes, objet du litige, directement en Roumanie.
Réponse de la cour :
L'ordre de virement, dès lors qu'il est autorisé, doit en principe être exécuté avec diligence par le prestataire, sans que ce dernier soit astreint à vérifier le bien-fondé ou la régularité de l'opération ordonnée, en vertu de son obligation de non-immixtion.
Cependant, la banque est tenue à un devoir de vigilance l'obligeant à relever les anomalies apparentes d'un ordre de virement pouvant révéler une opération illicite.
L'anomalie apparente peut résulter d'une anomalie matérielle et/ou d'une anomalie intellectuelle, et doit s'apprécier in concreto.
En l'espèce, comme il a déjà été précisé, il n'apparaît pas, au vu des pièces produites, d'anomalie matérielle tenant à la présentation des télécopies de transmission des virements litigieux. Si ces dernières ne sont pas les mêmes que celles habituellement utilisées par la société Nausicaa, elles ne présentaient cependant aucune incohérence et aucun modèle défini n'était contractuellement prévu par les parties.
Concernant les anomalies intellectuelles, la cour constate, à l'étude des relevés du compte courant sur lequel ont été prélevés les virements litigieux, pour la période du 31 juillet 2013 au 31 juillet 2014, que :
- Ce compte n'enregistrait que peu de virements et d'opérations débitrices ;
- Un seul virement d'importance était enregistré, chaque fin de mois, supérieur à 200 000 euros, sans que son motif en soit précisé ; les télécopies de confirmation de ces virements mensuels mentionnaient à l'attention de la banque qu'ils correspondaient chaque fois à de multiples virements, ce qui accrédite les dires de la société Nausicaa selon lesquels ils correspondaient au paiement des salaires ;
- Hormis les deux virements litigieux, les autres sommes débitées d'un montant supérieur à 100 000 euros concernaient des prélèvements des URSSAF.
Ces éléments sont confirmés par un rapport d'expert-comptable amiable, diligenté à la demande de la société Nausicaa pour l'étude des relevés de ce compte bancaire.
Ce rapport du 15 mai 2013, régulièrement versé aux débats et corroboré par les relevés de compte produits, note que les relevés du compte pour la période du 1er juillet 2013 au 31 août 2014 totalise 3 693 lignes d'encaissements pour 800 lignes de décaissements et que, sur les débits, 4,75% des opérations présentent un montant supérieur à 10 000 euros parmi lesquelles 24 virements dont :
- 18 correspondent au paiement mensuel des salaires de la période étudiée. Ils interviennent entre le 26 et le 29 un fois par mois ; 4 virements de régularisation sont intervenus le dernier jour du mois en complément du virement mensuel ;
- 3 virements correspondent à des virements internes de Nausicaa vers un autre de ses comptes ;
- 3 virements correspondent aux opérations litigieuses.
Il apparaît ainsi, qu'alors que la société Nausicaa ne procédait habituellement qu'à un virement d'importance par mois, chaque fois pour une somme de plus de 200 000 euros, le premier virement litigieux de 168 090 euros du 24 juillet 2014 représentait un montant qui ne s'apparentait pas aux virements des salaires habituels, la télécopie afférente ne mentionnant d'ailleurs pas comme à l'accoutumée qu'il s'agissait de plusieurs virements. Dès lors, ce virement, élevé et inhabituel, aurait dû attirer l'attention de la banque, et ce d'autant plus qu'il était à destination d'une bénéficiaire dénommée " SC Détect serv " domicilié en Roumanie, au profit duquel la société Nausicaa n'avait jamais effectué aucun virement jusqu'alors.
Le deuxième virement réalisé au profit du même bénéficiaire le 30 juillet 2014, soit à peine 6 jours après, qui ne correspond pas non plus au fonctionnement habituel du compte, a été effectué alors qu'était intervenu, le 29 juillet 2014, le virement mensuel usuel correspondant aux salaires d'un montant de 231 485,88 euros. Ce virement aurait donc dû également alerter la banque.
Cette dernière ne démontre pas que ces deux virements pouvaient être justifiés par des travaux d'ampleur envisagés par la société Nausicaa, sur un compte qui n'enregistrait pas habituellement ce genre d'opérations. Ce n'est que pour le troisième virement du 1er août 2014 adressé à un autre bénéficiaire, qu'elle indique que la société lui aurait alors précisé qu'il s'agissait du paiement de l'un de ses fournisseurs pour des travaux en cours.
Il résulte de ces éléments que les deux virements incriminés présentaient une anomalie apparente, ce qui aurait dû conduire la banque, avant de les exécuter, à recueillir plus d'informations auprès de son client de longue date.
En manquant à son devoir de vigilance, la banque se trouve directement responsable des virements litigieux opérés les 24 et 30 juillet 2014.
Pour prétendre ne pas avoir à rembourser les virements litigieux elle ne peut invoquer la responsabilité première des escrocs, ou celle de la société Nausicaa et de sa préposée.
En effet, si la banque avait correctement exécuté son obligation de vigilance à l'égard de la société Nausicaa, les virements incriminés n'auraient pas été exécutés. Sa faute se trouve donc à l'origine directe de l'entier préjudice, correspondant à la perte des montants virés et non seulement, comme elle le prétend, à une perte de chance de limiter la finalisation de ces virements.
Or, comme évoqué ci-dessus, la banque échoue à démontrer une quelconque négligence ou agissement frauduleux à l'encontre, tant de la société Nausicaa que de sa préposée.
Par ailleurs, pour les mêmes raisons que précisé plus haut, la banque ne peut mettre en avant la lettre du 6 octobre 2006, pour se décharger de toute responsabilité.
La banque ne peut pas davantage se libérer de sa responsabilité en se prévalant du signalement tardif par la société Nausicaa des deux virements autorisés, ces derniers l'ayant été au plus tard le 8 août 2024 aux dires de la banque, qui ne caractérise donc pas la tardiveté de cette déclaration.
En outre, il ressort des pièces produites par la banque, que, bien qu'ayant obtenu de la justice roumaine la condamnation des responsables de l'escroquerie à indemniser la société Nausicaa à hauteur de 585 913 euros, cette dernière n'a pas obtenu le règlement de cette condamnation, ayant été contrainte de restituer les sommes saisies en vertu d'une exécution forcée, comme il ressort de la traduction d'une " sommation de payer les montants faisant l'objet de l'exécution forcée ", sans qu'il en ressorte une faute de la société Nausicaa à l'origine de cette restitution, l'insolvabilité du débiteur, pour cause de faillite, étant évoquée.
Enfin, la banque reproche à la société Nausicaa de n'avoir pas accepté sa proposition d'émettre une garantie à première demande au profit de la banque Unicrédit, limitée aux sommes qui seraient restituées, avec nantissement desdites sommes perçues à titre de restitution, et d'avoir ainsi volontairement refusé une opportunité de récupérer ses fonds.
Toutefois, il ressort des échanges de courriels produits par la société Nausicaa, que les contours exacts de cette restitution, et notamment le montant exact des sommes concernées, ne lui avaient pas été donnés.
Par ailleurs la banque ne justifie pas que l'acceptation d'un tel mécanisme aurait permis à la société Nausicaa de rentrer définitivement en possession des fonds perdus. En tout état de cause, selon une jurisprudence ancienne et constante, rendue au visa du principe de la réparation intégrale du préjudice, qui oblige le responsable d'un dommage à en réparer toutes les conséquences, la victime n'est jamais tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable (v. not. Civ. 2e, 19 juin 2003, n° 00-22302 et n° 01-13289, publiés). Il ne peut donc pas lui être reproché une négligence ou une inaction (v. par exc. Civ. 2e 29 mars 2012, n° 11-14661), ou encore de ne pas avoir pris de mesures alternatives pour limiter son préjudice (v. par ex. : Civ. 2e, 25 oct. 2012, n° 11-25511). Dès lors, en l'espèce, rien n'imposait à la société Nausicaa d'accepter cette proposition. Son refus ne peut donc constituer une négligence de la société qui exonèrerait la banque de sa responsabilité.
En conséquence, la décision déférée sera infirmée en ce qu'elle a débouté la société Nausicaa de sa demande de restitution du montant des opérations autorisées de 168 090 euros et 95 780 euros. La banque sera condamnée au remboursement de ces deux sommes avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015, date de l'assignation devant le tribunal de commerce, en faisant droit à la demande d'anatocisme.
II - Sur l'indemnisation des préjudices
A - Sur la demande de la société Nausicaa en réparation de son préjudice financier
La société Nausicaa indique qu'elle a dû, pour la continuité de son financement, rechercher un financement en urgence auprès du crédit coopératif à hauteur de 13 200 euros, la banque étant responsable de ce préjudice à proportion des montants de virements non autorisés qu'elle a fautivement exécutés, soit 7 418 euros.
Elle ajoute qu'il lui a fallu engager des frais en interne pour gérer la situation de crise en lien avec cette escroquerie, soit 38 528 euros, dont la banque serait responsable à hauteur de la moitié des coûts engendrés, soit 19.264 euros.
La banque réplique que la société Nausicaa ne démontre pas qu'un contrat concernant les fonds de roulement ait été signé, ni que ces fonds soient en lien avec les détournements dont elle a été victime.
Réponse de la cour :
Si la société Nausicaa verse aux débats une proposition du crédit coopératif en date du 6 novembre 2014 pour des fonds de roulement à hauteur de 500 000 euros, elle n'établit cependant pas que celle-ci a été acceptée d'une part, ni qu'elle serait en lien avec les trois virements frauduleux d'autre part.
Elle ne démontre pas plus avoir engagé 38 528 euros pour la gestion de l'escroquerie, les décomptes et fiches de temps produits, non datés et non signés, n'étant confirmés par aucune pièce comptable officielle. Au surplus, ce préjudice est à mettre en lien avec l'escroquerie commise plus qu'avec le défaut de vigilance de la banque.
La demande au titre du préjudice financier sera en conséquence rejetée et la décision déférée confirmée de ce chef.
B - Sur la demande de la société Nausicaa en réparation de son préjudice d'image et en publication de la décision
La société Nausicaa sollicite la réparation d'un préjudice d'image, compte tenu de l'écho médiatique de l'escroquerie, par l'allocation d'une somme de 80 000 euros, ainsi que la publication du " jugement " dans cinq journaux ou périodiques de son choix, aux frais de la banque ;
La banque s'y oppose, notant que la société Nausicaa n'en justifie ni le principe, ni le montant, cette dernière ne caractérisant notamment pas la baisse de fréquentation qui serait liée à l'escroquerie et ne démontrant pas que les articles parus dans la presse à son sujet auraient suscité des sentiments négatifs qui puissent être imputés à la banque.
Réponse de la cour :
La société Nausicaa ne démontre pas que le retentissement médiatique de l'escroquerie dont elle a été victime, dont elle justifie par la production de plusieurs articles de presse relatifs à cette fraude, lui ait causé un préjudice d'image, ni que celui-ci serait imputable à la banque. Elle ne justifie pas plus du montant du préjudice réclamé à hauteur de 80 000 euros.
Elle sera déboutée de ses demandes d'allocation d'une somme de 80 000 euros à ce titre, et de publications de la décision.
Le jugement déféré sera confirmé de ces chefs.
C - Sur la demande de la société Nausicaa en réparation de son préjudice moral à hauteur de 10 000 euros
La société Nausicaa fait valoir qu'elle a subi un profond traumatisme en interne du fait des manquements de la banque (climat tendu, ensemble des collaborateurs traumatisés, certaine défiance des partenaires économiques).
La banque réplique que la société Nausicaa croit devoir distinguer préjudice d'image et préjudice moral, alors que le préjudice moral de la personne morale n'est reconnu que pour autant qu'il tend à réparer son préjudice d'image. En tout état de cause, c'est arbitrairement qu'elle évalue ce préjudice à 10 000 euros.
Réponse de la cour :
Le manquement de la banque a créé, compte tenu des sommes détournées, un climat d'insécurité financière et occasionné pour la société Nausicaa des tracas et l'obligation d'entreprendre des démarches administratives pour remédier au désordre créé par les faits litigieux.
L'existence d'un préjudice moral en lien direct avec la faute de la banque est donc établie. Ce préjudice est distinct de celui précédemment allégué, en lien avec une perte d'image.
La décision déférée sera en conséquence infirmée de ce chef et la banque sera condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de ce préjudice.
Conformément à l'article 1231-7 du code civil, cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Il sera également fait droit à la demande d'anatocisme en application de l'article 1343-2 du code civil.
D - Sur la demande de la société Nausicaa en remboursement des frais engagés en Roumanie à hauteur de 30 809,40 euros
La société Nausicaa sollicite le remboursement des frais d'avocat engagés en Roumanie dans le cadre des diverses procédures civiles et pénales en lien avec l'escroquerie, ainsi que les frais de déplacement de M. [R] pour les enquêtes roumaines, soit 30 809,40 euros.
La banque réplique que l'action au pénal contre les auteurs de l'infraction ne l'impliquait nullement et que l'appelante a diligenté cette procédure pénale de son propre fait.
Réponse de la cour :
Les frais engagés en Roumanie l'ont été pour le procès pénal et la poursuite des responsables de la " fraude au président " dont a été victime la société Nausicaa.
Le défaut de vigilance reproché à la banque n'étant donc pas en lien causal direct avec ce préjudice, la demande de la société Nausicaa à ce titre sera rejetée, et la décision entreprise confirmée sur ce point.
III - Sur les demandes accessoires
La banque, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La décision déférée sera confirmée de ce chef.
Par ailleurs, la banque sera déboutée de sa demande d'indemnité procédurale et condamnée à verser à la société Nausicaa une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance et de l'instance d'appel. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- INFIRME la décision déférée, sauf en ce qu'elle a :
* Condamné la banque CIC Nord Ouest à restituer à " la société Nausicaa " la somme de 65 385 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015, avec anatocisme ;
* Débouté la " société Nausicaa " de ses demandes indemnitaires au titre des préjudices financier, d'image et frais d'avocats en Roumanie ;
* Débouté la " société Nausicaa " de sa demande de publications de la décision à intervenir ;
* Condamné la banque CIC Nord-Ouest aux entiers dépens ;
- RECTIFIE les chefs de dispositif ci-dessus confirmés pour préciser qu'au lieu de la " société Nausicaa ", il convient de lire " la [Adresse 7], exerçant sous l'enseigne Nausicaa " ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- Dit n'y avoir lieu de déclarer inopposable et d'écarter des débats la pièce n°38 communiquée par la société CIC Nord-Ouest ;
- Condamne la société CIC Nord-Ouest à verser à la [Adresse 7] (la société Nausicaa) les sommes suivantes :
* 169 090 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015 ;
* 95 780 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2015 ;
* 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, avec les intérêts à compter du présent arrêt ;
- Dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts ;
- Condamne la société la CIC Nord-Ouest aux entiers dépens d'appel ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société CIC Nord-Ouest et la condamne à verser à la [Adresse 7] (la société Nausicaa) la somme de 15 000 euros au titre de la première instance et de l'instance d'appel.
Le greffier
La présidente