CA Reims, ch. civ.- 1° sect., 26 mars 2024, n° 22/02082
REIMS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
MEHL-JUNGBLUTH
Conseillers :
MEHL-JUNGBLUTH, MATHIEU
EXPOSE DU LITIGE
Le 23 décembre 2016, la SA BANQUE CIC EST a consenti à la SARL CESAMLO, un prêt professionnel d'un montant de 30.000,00 euros remboursable sur 24 mois et le même jour, Monsieur [E] [B], gérant de la SARL CESAMLO, s'est porté caution solidaire envers la SA BANQUE CIC EST pour le remboursement de ce crédit dans la limite de 36.000,00 €, couvrant le principal, les intérêts, les pénalités sur intérêts de retard, pour une durée de 48 mois.
Le prêt a fait l'objet d'un remboursement anticipé total le 28 août 2018 pour un reliquat de 5.054,63 euros.
Par jugement rendu le 2 octobre 2018, le tribunal de commerce d'Epinal a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL CESAMLO, fixé la date de cessation des paiements au 1er juillet 2018 et désigné la SELARL VAMJ en qualité de liquidateur.
Par courrier du 29 octobre 2018, le liquidateur a avisé la banque qu'il envisageait de remettre en cause le paiement du solde du prêt, sur la base de la nullité des actes intervenus en période suspecte.
Le 12 novembre 2018, la banque CIC EST a déclaré sa créance à titre conservatoire au passif de la liquidation judiciaire de la SARL CESAMLO au titre du prêt de 30.000,00 euros, par courrier du 21 décembre 2018, a indiqué au mandataire qu'elle acceptait de procéder au remboursement spontané de la somme de 5.054,63 euros, ce qu'elle a fait par virement du 10 juillet 2019.
Par lettre en recommandée du 30 mars 2021, la banque CIC EST a mis en demeure Monsieur [E] [B], caution solidaire, de lui payer la somme globale de 5.054,63 euros.
Par acte d'huissier en date du 8 décembre 2021, la SA BANQUE CIC EST a fait assigner Monsieur [E] [B] devant le tribunal de commerce de Troyes pour obtenir la condamnation de ce dernier, sur le fondement des articles 1103 et 2288 du code civil à lui payer, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, la somme de 5.054,63 euros avec intérêts au taux de 4,20% à compter du 30 mars 2021 au titre du cautionnement solidaire et de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par jugement réputé contradictoire rendu le 6 septembre 2022, le tribunal de commerce de Troyes a, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :
- condamné Monsieur [E] [B] à payer à la SA BANQUE CIC EST la somme de 5.054,63 euros avec intérêts au taux de 4,20% à compter du 5 octobre 2021,
- débouté la banque de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- condamné Monsieur [E] [B] à payer à la SA BANQUE CIC EST la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
Par un acte en date du 9 décembre 2022, Monsieur [E] [B] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 9 mars 2023, Monsieur [E] [B] conclut à l'annulation et subsidiairement à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de condamner la SA BANQUE CIC EST à lui payer les sommes de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 6.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Il expose que le principe du contradictoire n'a pas été respecté par les premiers juges qui, informés de l'indisponibilité de l'avocat, ont décidé de retenir l'affaire en son absence.
Sur le fond, il soutient qu'il est étranger à l'arrangement intervenu entre le liquidateur et la banque, qu'une transaction judiciaire aurait nécessité une autorisation du juge-commissaire.
Il fait valoir que la déclaration de créance de la banque réalisée le 12 novembre 2018 est un non sens, la banque ayant fixé un préalable avant toute réclamation contre la caution.
Il indique que l'article L 632-1-3° du code de commerce permettant de prononcer la nullité des actes intervenus pendant la période suspecte suppose l'engagement d'une action en justice ce dont la banque ne justifie pas.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 6 juin 2023, la SA BANQUE CIC EST conclut à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'elle a été déboutée de sa demande en paiement pour résistance abusive et demande à la cour de condamner Monsieur [B] à lui payer les sommes de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts et de 6.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Elle expose que le refus de la demande de renvoi a été motivé par les premiers juges et qu'aucune nullité de la décision n'est encourue.
Elle soutient que le paiement du solde du prêt intervenu en période suspecte est nul, de sorte qu'en vertu de la rétroactivité, il est censé n'avoir jamais existé et que l'article L 632-1-3° du code de commerce est d'ordre public.
Elle fait valoir que Monsieur [B], sachant qu'il était en cessation des paiements, a commis une faute en réglant la banque au titre du remboursement anticipé.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
* Sur la demande d'annulation du jugement
Il est constant que l'appréciation du caractère tardif de la demande de renvoi présentée par l'avocat de Monsieur [B] par mail le jour de l'audience relève des constatations souveraines des juges du fond.
En l'espèce, la cour souligne que les premiers juges ont motivé le refus d'accordé le renvoi sollicité et ont également pris en considération les conclusions n°3 déposées le 9 juin 2022 au soutien des intérêts de Monsieur [B], de sorte que le droit au procès équitable et le principe de la contradiction ont été respectés.
Par conséquent, il convient de rejeter la demande d'annulation du jugement formée par Monsieur [E] [B].
* Sur la demande en paiement de la banque CIC EST à l'encontre de Monsieur [B] au titre de l'engagement de caution
Aux termes de l'article 2288 du code civil, le cautionnement est le contrat par lequel une caution s'oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.
Aux termes de l'article 2298 du même code, la caution n'est obligée envers le créancier à le payer qu'à défaut du débiteur, qui doit être préalablement discuté dans ses biens, à moins que la caution n'ait renoncé au bénéfice de discussion, ou à moins qu'elle ne se soit obligée solidairement avec le débiteur ; auquel cas l'effet de son engagement se règle par les principes qui ont été établis pour les dettes solidaires.
Il est constant que bien qu'il soit accessoire à l'obligation du débiteur envers le créancier, le cautionnement est une convention conclue entre la caution et le créancier, à laquelle le débiteur n'est pas partie.
La cause de l'obligation de la caution est la considération du crédit accordé par le créancier au débiteur principal.
L'article L 632-1-3° du code de commerce énonce que " Sont nuls lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants : (') Tout paiement, quel qu'en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement ".
Cette disposition étant d'ordre public, en application de cet article le remboursement anticipé du prêt réalisé par Monsieur [B] en sa qualité de gérant de la SARL CESAMLO est nul de plein droit, de sorte que cette nullité ayant un effet rétroactif, il n'est censé n'avoir jamais existé et ne peut dès lors produire des effets à l'égard du tiers qu'est la caution.
Le liquidateur étant investi d'un monopole légal pour exercer les actions en vue de la défense de l'intérêt collectif des créanciers, c'est dans l'exercice de cette mission que constatant que Monsieur [E] [B] ayant la qualité à la fois de gérant de la SARL CESAMLO et de caution du prêt consenti à ladite société, s'est rapproché de la banque CIC EST pour avertir cette dernière de la nullité du remboursement anticipé du prêt réalisé à l'initiative du gérant, Monsieur [B], le 28 août 2018, soit postérieurement à la date de cessation des paiements fixée au 1er juillet 2018.
La banque CIC EST produit les courriers que lui a envoyés le liquidateur de la SARL CESAMLO :
- dès le 29 octobre 2018, l'informant de la nullité du remboursement anticipé du prêt réalisé lors de la période suspecte et l'invitant à déclarer à titre conservatoire sa créance correspondant à la somme dont elle pourrait obtenir le remboursement directement par la banque,
- le 11 décembre 2018, lui demandant de procéder spontanément au remboursement du paiement et en lui joignant le projet d'assignation préparé devant le tribunal de commerce d'Epinal aux fins d'obtenir la nullité du paiement anticipé sur le fondement de l'article L 632-1-3° du code de commerce et le paiement de frais irrépétibles.
Elle communique également les lettres des 21 décembre 2018 et 10 juillet 2019 qu'elle a adressées au liquidateur pour :
- lui indiquer qu'elle acceptait spontanément de procéder au remboursement du paiement encourant la nullité, sous réserve d'obtenir la confirmation que sa créance déclarée n'était pas contestée,
- lui signaler le virement de la somme de 5.054,63 euros au profit de la liquidation de la SARL CESAMLO.
C'est donc logiquement que la banque CIC EST a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur par pli recommandé du 12 novembre 2018 pour la somme de 5.054,63 euros et elle justifie avoir obtenu un certificat d'irrecouvrabilité de ce dernier.
Dès lors, contrairement à ce que soutient Monsieur [B], le remboursement spontané de la somme de 5.054,63 euros réalisé par la banque au profit de la liquidation judiciaire de la SARL CESAMLO ne constitue pas une transaction, laquelle exige des concessions réciproques des parties, ce que ne caractérise pas l'appelant.
Aussi, la cour estime que la dette de la SARL CESAMLO n'est pas éteinte et que la caution est tenue au paiement de la créance déclarée à l'égard de la banque CIC EST, en raison de la défaillance de la débitrice principale. Au vu du décompte daté du 4 octobre 2021 mentionnant une créance de 5.054,63 euros, il convient de condamner Monsieur [B] à payer à la SA BANQUE CIC EST la somme de 5.054,63 euros, avec intérêts au taux contractuel de 4,20% conformément à l'article R 622-23 du code de commerce à compter du 5 octobre 2021.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré de ce chef.
* Sur la demande en paiement de la banque pour procédure abusive et injustifiée
Ester en justice est droit, de même que l'exercice d'une voie de recours. En vertu de l'article 1240 du code civile, la cour estime comme les premiers juges que la banque ne caractérise pas une attitude fautive de Monsieur [B], s'agissant du refus exprimé par ce dernier de payer la banque au titre de son engagement de caution.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SA BANQUE CIC EST de sa demande en paiement à titre de de dommages et intérêts, pour résistance abusive et injustifiée.
* Sur les autres demandes
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, Monsieur [E] [B] succombant, il sera tenu aux dépens d'appel.
La nature de l'affaire et les circonstances de l'espèce commandent de débouter les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Rejette la demande d'annulation du jugement formée par Monsieur [E] [B].
Confirme le jugement rendu le 6 septembre 2022 par le tribunal de commerce de Troyes, en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Condamne Monsieur [E] [B] aux dépens d'appel et autorise la SCP COLOMES MATHIEU ZANCHI TIBAULT, avocats, à les recouvrer directement dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.