Cass. com., 17 novembre 2009, n° 08-70.197
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Favre
Rapporteur :
Guillou
Avocat général :
Batut
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la caisse de crédit mutuel Ernée bocage (la caisse) a consenti à M. Denis X... et son épouse, Mme Y..., un prêt de 20 000 euros, en vue de l'activité professionnelle de M. X... ; que M. Maurice X... et son épouse Mme Andrée X... se sont rendus cautions solidaires de ce prêt ; qu'après la mise en redressement judiciaire de M. Denis X..., la caisse a poursuivi Mme Y... et les cautions en exécution de leur engagement ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt d'avoir fait droit en son principe à la demande reconventionnelle de Mme Y..., de l'avoir condamnée à lui payer une somme de 15 800 euros à titre de dommages intérêts et d'avoir ordonné la compensation entre la créance de la caisse à l'égard de Mme Y... et la créance de Mme Y... à l'égard de la caisse, alors, selon le moyen :
1° / que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que le devoir de conseil et de mise en garde de la banque n'est dû à l'emprunteur que si ce dernier n'est pas averti ; qu'il appartient à l'emprunteur de démontrer l'existence d'une obligation à la charge de la banque, et donc de démontrer sa qualité d'emprunteur non averti ; qu'au cas d'espèce, en faisant peser sur la caisse charge de prouver le caractère averti de Mme Y... quand il appartenait au contraire à cette dernière de démontrer qu'elle était un emprunteur non averti et que c'est seulement dans un second temps que la banque était alors tenue de prouver qu'elle avait exécuté son obligation, les juges du fond, qui ont renversé la charge de la preuve, ont violé l'article 1315 du code civil ;
2° / que si le banquier est tenu d'un devoir de mise en garde envers l'emprunteur non averti, la qualité de l'emprunteur doit s'apprécier en considération de toutes les caractéristiques du prêt ; qu'au cas d'espèce, la caisse faisait valoir que le prêt avait été consenti à Mme Y... et à son mari pour permettre le financement de l'activité professionnelle de ce dernier et que Mme Y..., épouse commune en biens qui bénéficiait à ce titre des revenus tirés de l'entreprise de son mari, ne pouvait être considérée comme non avertie dès lors qu'elle connaissait parfaitement les caractéristiques, en particulier financières, de l'entreprise ; qu'en se bornant à énoncer, pour conclure à son caractère non averti, que Mme Y..., qui exerçait la profession d'agent d'entretien, n'avait aucune expérience dans la gestion d'une entreprise et ne disposait d'aucune compétence pour apprécier la pertinence du montage financier et les perspectives d'avenir de l'entreprise de transport routier exploitée par M. Denis X..., son mari, les juges du fond n'ont pas donné de base légale à leur décision au regard de l'article 1147 du code civil ;
3° / que le préjudice résultant d'une perte de chance doit être mesuré à hauteur de la chance perdue et sa réparation ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'au cas d'espèce, en condamnant la caisse à verser à Mme Y... une somme de 15 800 euros, soit une somme supérieure à celle sollicitée par la banque au titre du remboursement du prêt, quand seule une fraction du préjudice résultant de l'octroi du prêt pouvait être indemnisé, les juges du fond ont en toute hypothèse violé l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que le banquier auquel il appartient de démontrer qu'il a rempli son obligation de mise en garde, est dispensé de cette obligation s'il établit que son client a la qualité d'emprunteur averti ; que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve, a retenu que Mme Y..., qui était employée en qualité d'agent d'entretien et n'avait aucune expérience dans la gestion d'entreprise, ne disposait d'aucune compétence pour apprécier elle-même la pertinence du montage financier et les perspectives d'avenir de l'entreprise de transports routiers de son mari, était une emprunteuse non avertie ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel n'a pas évalué le préjudice de Mme Y... à une somme supérieure à celle réclamée par la banque au titre du remboursement du prêt ;
D'où il suit que le moyen qui manque en fait en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal :
Vu les articles 1234 et 1294, alinéa 1 du code civil ;
Attendu que pour condamner M. Maurice X... et Mme Andrée X... à payer solidairement à la caisse la somme de 15 174, 30 euros, l'arrêt relève que la caisse poursuit M. Maurice X... et Mme X... en leur qualité de caution de M. Denis X..., et que la créance telle qu'admise au passif de la procédure collective de M. Denis X... n'est compensée par aucune créance établie de M. X... contre la caisse ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les cautions avaient garanti le remboursement du prêt consenti à M. Denis X... et Mme Y..., ce dont il résultait qu'elles pouvaient se prévaloir de l'extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie, la cour d'appel, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que confirmant le jugement, il a fait droit à la demande en paiement de la caisse de crédit mutuel Ernée bocage contre M. Maurice X... et contre Mme Andrée X..., l'arrêt rendu le 1er juillet 2008, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne la caisse de crédit mutuel Ernée bocage aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille neuf.