CA Papeete, D, 13 novembre 2025, n° 22/00098
PAPEETE
Arrêt
Autre
N° 362
CP
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Copies exécutoires délivrées à Me Guedikian, Me Grattirola, Me Varrod et Me Jacquet
le 13.11.25
Copie authentique délivrée au greffe du Tmc et du Rcs le 13.11.25
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 13 novembre 2025
N° RG 22/00098 - N° Portalis DBWE-V-B7G-TRE ;
Décision déférée à la cour : jugement n° CG 2022/14, RG n° 2020 000402 rendu le 14 janvier 2022 par le tribunal mixte de commerce de Papeete ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la cour d'appel le 1er avril 2022 ;
Appelantes :
La S.A. Brasserie de Tahiti, immatriculée au Rcs de [Localité 9] sous le n° TPI 531 B, n° Tahiti 031195, dont le siège social se trouve [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège ;
La S.A. QBE Insurance (international) limited, délégation de Polynésie française, immatriculée au Rcs de [Localité 9] sous le n° TPI 9365 B, n° Tahiti 034 868, dont le siège social se trouve [Adresse 6], prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège ;
Toutes deux représentées par Me Gilles Guedikian, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
La S.A.R.L. Taranis, immatriculée au Rcs de [Localité 9] sous le numéro TPI [Localité 1] B, n° Tahiti 919 183, dont le siège social est sis [Adresse 7], prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège ;
Ayant pour avocat la Selarl Mva, représentée par Me Edouard Varrod, avocat au barreau de Papeete ;
La société Digital Electric S.A.S., immatriculée au Rcs de [Localité 11] 493 839 191, dont le siège social est situé [Adresse 10] - France, prise en la personne de ses représentants légaux y domiciliés ;
La MMA Iard Assurances mutuelles, société civile immatriculée au Rcs de [Localité 8] sous le n° 775 652 126, dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal en exercie domicilié audit siège ;
La MMA Iard S.A., immatriculée au Rcs de [Localité 8] sous le n° 440 048 882, dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal en exercie domicilié audit siège ;
Ayant pour avocat la Selarl Cabinet Grattirola - Eyrignoux, représentée par Me Miguel Grattirola, avocat au barreau de Papeete (avocat postulant) et la Selarl Cornet-Vincent-Ségurel représentée par Me Alban Pousset-Bougere, avocat au barreau de Lyon (avocat plaidant) ;
La Société Mutuelle Assurance Bâtiment et Travaux Publics (SMABTP), dont le siège social est [Adresse 4] ;
Représentée par Me Thierry Jacquet, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 25 septembre 2025 ;
Composition de la cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 9 octobre 2025, devant Mme Prieur, conseillère désignée par l'ordonnance n° 35/ORD/PP.CA/25 de la première présidente de la cour d'appel de Papeete en date du 21 mai 2025 pour faire fonction de présidente dans le présent dossier, Mme Martinez, conseillère et Mme Teheiura, magistrate honoraire qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffière lors des débats : Mme Oputu-Teraimateata ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme Prieur, présidente et par Mme Souché, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
A R R E T,
EXPOSE DU LITIGE :
Par contrat du 10 mars 2014, la société Brasserie de Tahiti, qui exploite une usine dans la vallée de Punaruu sur l'île de Tahiti, a confié à la société Taranis la fourniture et l'installation d'une centrale solaire photovoltaïque sur le toit de son usine, pour la somme totale de 302 945 710 Fcfp. Ce contrat avait été précédé d'une offre technique et commerciale et d'un bon de commande signés les 22 et 27 février 2013.
Les interrupteurs-sectionneurs installés au sein de la centrale solaire photovoltaïque ont été commandés par la société Taranis à la société Digital Electric, selon offre commerciale acceptée le 20 août 2013.
Le 9 novembre 2015, les sociétés Brasserie de Tahiti et Taranis ont signé un contrat d'entretien et maintenance des installations photovoltaïques.
Le 31 décembre 2015, un incendie est survenu dans le local onduleur n°2 de l'usine.
Par ordonnance du 30 mai 2016, le juge des référés a ordonné une expertise judiciaire à la demande de la société Brasserie de Tahiti et son assureur la société QBE Insurance International Limited.
L'expert judiciaire M. [I] a déposé son rapport définitif le 8 décembre 2019.
Par requête enregistrée au greffe le 7 mai 2020, complétée par des écritures ultérieures, la société Brasserie de Tahiti et son assureur la société QBE Insurance International Limited ont saisi le tribunal mixte de commerce aux fins de :
- condamner in solidum les sociétés Taranis, Digital Electric, MMA IARD assurance mutuelle, MMA IARD et la SMABTP Polynésie à payer à la compagnie QBE Insurance la somme de 31 652 490 Fcfp et à la société Brasserie de Tahiti la somme de 55 486 991 Fcfp ;
- condanmer in solidum les mêmes à payer à la compagnie QBE Insurance la somme de 2 224 985 Fcfp en remboursement des frais d'expertise judiciaire ;
- condamner in solidum les mêmes à payer à la compagnie QBE Insurance la somme de 1 517 990 Fcfp en remboursement de ses propres frais d'expertise ;
- ordonner l'exécution provisoire ;
- condamner in solidum les mêmes à payer à la compagnie QBE Insurance la somme de 1 280 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles.
Par jugement contradictoire du 14 janvier 2022, le tribunal mixte de commerce de Papeete a :
Déclaré hors de cause la SMABTP Polynésie, la société Digital Electric, la société MMA IARD assurance mutuelle et la société MMA IARD,
- Condamné Ia société Taranis à payer à :
- la société QBE Insurance Internatinal Limited, la somme de 31 652 490 Fcfp,
- la société Brasserie de Tahiti, la somme de 30 740 340 Fcfp,
Dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire et ordonner une nouvelle expertise,
Condamné la société Taranis à payer à la société QBE Insurance International Limited Ia somme de 500 000 Fcfp au titre de l'article 407 du code dc procédure civile,
Condamné Ia société Taranis à verser à la société Digital Electric la somme de 500 000 Fcfp par application de l'article 407 du code de procédure civile,
Débouté la SMABTP Polynésie de sa prétention au titre des frais irrépétibles,
Condamné la société Taranis aux dépens, dont les frais d'expertise de M. [I] (1 784 330 Fcfp).
Les sociétés Brasserie de Tahiti et QBE Insurance International Limited ont relevé appel du jugement par requête enregistrée le 1er avril 2022 et demandent à la cour d'appel de réformer partiellement le jugement en ce qu'il a :
écarté la responsabilité de la société Digital Electric et mis hors de cause les compagnies MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA IARD.
Limité à la somme de 30 740 340 Fcfp le préjudice subi par la Brasserie de Tahiti.
Par conclusions récapitulatives du 27 juin 2024 , les sociétés Brasserie de Tahiti et QBE Insurance International Limited demandent à la cour d'appel de :
Débouter les sociétés TARANIS, DIGITAL ELECTRIC, MMA Iard ASSURANCES MUTUELLES et SA MMA Iard ASSURANCES MUTUELLES de l'ensemble de leurs demandes, 'ns et conclusions ;
Recevoir la SA BRASSERIE DE TAHITI et la Compagnie QBE INSURANCE en leur appel et le déclarer bien fondé ;
In'rmer le jugement du 14 janvier 2022 en ce qu'il a écarté la responsabilité de la Société DIGITAL ELECTRIC et mis hors de cause les Compagnies MMA Iard ASSURANCES MUTUELLES et SA MMA Iard ASSURANCES MUTUELLES ;
In'rmer le Jugement entrepris en ce qu'il a limité à la somme de 30 740 340 F CFP, le préjudice subi par la BRASSERIE DE TAHITI.
Statuant à nouveau,
Dire et juger que les sociétés TARANIS et DIGITAL ELECTRIC sont responsables de l'incendie survenu dans les locaux de la BRASSERIE DE TAHITI le 31 décembre 2016 ainsi que de l'ensemble de ses conséquences dommageables.
Vu les articles 1147, 1386-1 et 1382 du Code Civil,
Condamner in solidum les societés TARANIS, DIGITAL ELECTRIC, MMA IARD, MMA IARD ASSURANCE MUTUELLE et SMABTP POLYNESIE à payer :
- à la Compagnie QBE, la somme totale de 31 652 490 F CFP,
- à la BRASSERIE DE TAHITI, la somme totale de 55 486 991 F CFP,
Condamner in solidum les sociétés TARANIS, DIGITAL ELECTRIC, MMA IARD, MMA IARD ASSURANCE MUTUELLE et SMABTP POLYNESIE à payer à la Compagnie QBE la somme de 2 224 985 F CFP en remboursement des frais d'expertise judiciaire ;
Les condamner à payer à la Compagnie QBE la somme de 1 517 990 FCP en remboursement de ses propres frais d'expertise ;
Les condamner à payer à la Compagnie QBE la somme de 2 000 000 F CFP au titre des frais irrepétibles de première instance et d'appel ;
Condamner in solidum les sociétés TARANIS, DIGITAL ELECTRIC, MMA IARD, MMA IARD ASSURANCE MUTUELLE et SMABTP POLYNESIE aux entiers dépens.
Par conclusions du 16 juillet 2024, la Mutuelle d'assurances SMABTP demande à la cour d'appel de :
confirmer sa mise hors de cause,
condamner les demanderesses à lui payer la somme de 500 000 Fcpf au titre des frais irrépétibles.
Par conclusions récapitulatives du 22 novembre 2024, la société Taranis, intimée et appelante incidente, demande à la cour d'appel de :
INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 mars 2022 (Rôle n° 2022 / 000402 'Minute n° CG 2022/14), par lequel le Tribunal Mixte de Commerce de Papeete a fait partiellement droit aux demandes de la Société Brasserie de Tahiti aux fins de condamnation de la SARL TARANIS ;
Et statuant à nouveau :
Avant toute défense au fond,
CONSTATER le défaut de fondement légal dans la requête initiale de la SA BRASSERIE DE TAHITI en première instance ;
ANNULER la requête de la SA BRASSERIE DE TAHITI et de QBE INSURANCE INTERNATIONAL LIMITED,
Au fond,
CONDAMNER la société DIGITAL ELECTRIC à réparer l'intégralité des préjudices subis par la société BRASSERIE DE TAHITI sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
DEBOUTER la SA BRASSERIE DE TAHITI, la compagnie QBE INSURANCE et la société DIGITAL ELECTRIC de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, contre la société TARANIS celles-ci étant infondées et injustifiées ;
A titre subsidiaire,
CONDAMNER la société DIGITAL ELECTRIC à garantir la société TARANIS de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge, du fait de la commercialisation d'un produit défectueux ;
Au fond, à titre très subsidiaire,
ORDONNER un partage de responsabilité dans les préjudices subis par la société BRASSERIE DE TAHITI à hauteur de :
- 80% pour la société DIGITAL ELECTRIC, du fait de son manquement à son devoir de conseil ;
- 10% pour la société BRASSERIE DE TAHITI, du fait de sa contribution à son propre dommage ;
- 10% pour la société TARANIS ;
En tout état de cause,
CONDAMNER la SA BRASSERIE DE TAHITI et la société QBE INSURANCE INTERNATIONAL LIMITED, ainsi que les Sociétés DIGITAL ELECTRIC et ses assureurs les sociétés MMA IARD ASSURANCE MUTUELLE et MMA IARD, à verser solidairement à la SARL TARANIS une somme globale de 1 000 000 FCP au titre des frais irrépétibles en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
CONDAMNER la SA BRASSERIE DE TAHITI et la société QBE INSURANCE INTERNATIONAL LIMITED, ainsi que les Sociétés DIGITAL ELECTRIC et ses assureurs les sociétés MMA IARD ASSURANCE MUTUELLE et MMA IARD, solidairement aux entiers dépens de l'instance, tant de 1ère instance que d'appel, et notamment les frais d'expertise de M. [I], chiffrés à la somme de 1 784 330 FCP.
Par conclusions d'intimées en réponse n°4 du 20 février 2025, la société Digital Electric et les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD demandent à la cour d'appel de :
Juger irrecevable la demande de la société Taranis tendant à voir condamnée la société Digital Electric à la garantir de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge,
Confirmer le jugement en ce qu'il a :
Mis hors de cause les sociétés Digital Electric, MMA IARD et MMA IARD assurance mutuelle,
Condamné Ia société Taranis à verser à la société Digital Electric la somme de 500 000 Fcfp par application de l'article 407 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire, et si le jugement venait à être réformé sur la mise hors de cause de Digital Electric, MMA IARD et MMA IARD Assurances mututelles,
Infirmer le jugement en ce qu'il a retenu la somme de 31 652 490 Fcfp au titre du préjudice matériel subi par la société Brasserie de Tahiti,
Statuant à nouveau,
Juger que l'indemnisation du préjudice matériel de la société Brasserie de Tahiti ne saurait dépasser 30 971 699 Fcfp,
Juger que la garantie de MMA IARD et MMA IARD Assurance mutuelles ne couvre pas le remplacement des interrupteurs-sectionneurs outre la franchise contractuelle de son assurée,
Juger que le recours subrogatoire de QBE Insurance International Limited au titre des préjudices matériels doit être limité à 30 630 135 Fcfp,
Juger que le préjudice immatériel de la société Brasserie de Tahiti ne saurait excéder la somme de 30 740 340 Fcfp,
Débouter la société Brasserie de Tahiti ainsi que QBE insurance International Limited du surplus de ses demandes,
Débouter la société Taranis de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
En tout état de cause, et à hauteur d'appel,
CONDAMNER in solidum la société BRASSERIE DE TAHITI et QBE INSURANCE INTERNATIONAL LIMITED, solidairement avec la société TARANIS, à payer à la société DIGITAL ELECTRIC et son assureur la somme de 2 000 000 Fcfp sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de Polynésie française, outre aux entiers dépens, parmi lesquels les frais d'expertise judiciaire s'élevant à la somme de 1 784 330 Fcfp.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 septembre 2025 et l'audience de plaidoirie fixée le 9 octobre suivant. A cette date, la société Taranis indique ne pas maintenir sa demande en nullité de la requête initiale de la société Brasserie de Tahiti et de la société QBE Insurance International Limited pour défaut de fondement légal, figurant dans le dispositif de ses conclusions récapitulatives d'appel. Elle indique également ne plus solliciter une nouvelle expertise.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, de la procédure et des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties. Se conformant aux dispositions de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, la cour répondra aux moyens par les motifs ci-après.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la fin de non-recevoir
La société Digital Electric et son assureur MMA IARD et MMA IARD Assurance mutuelles soulèvent l'irrecevabilité de la demande de la société Taranis aux fins de les condamner à la garantir de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge, comme nouvelle en cause d'appel.
Aux termes de l'article 349 du code de procédure civile de la Polynésie française, « Les juges d'appel ne peuvent se prononcer que sur les demandes qui ont été soumises aux juges de première instance et il ne peut être formé en cause d'appel aucune demande nouvelle à moins qu'elle ne soit défense ou connexe à la demande principale ou qu'il s'agisse de compensation. »
Aux termes de l'article 349-1 du même code, « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. »
En pur droit, l'article 954 du code de procédure civile métropolitain, selon lequel « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif », n'est pas applicable en Polynésie française, où la procédure d'appel est la même que la procédure de première instance avec représentation obligatoire par avocat, selon l'article 440-5 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Or l'article 21-2 de ce code applicable en Polynésie française, relatif à la demande initiale en matière contentieuse, dispose que « les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée » et que « les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures ». Ce texte ne prévoit pas que le juge statue sur les seules prétentions des parties récapitulées sous forme de dispositif.
Au cas présent, si la société Taranis n'a pas demandé en première instance dans le dispositif de ses conclusions responsives n°2 du 26 février 2021 la garantie de la société Digital Electric, en revanche elle a formulé expressément cette prétention dans le corps de ses écritures, en précisant le fondement en droit, à savoir :
d'une part, au titre du recours du fournisseur contre le producteur sur le fondement de l'article 1386-7 alinéa 2 du code civil (ses conclusions responsives n°2 du 26 février 2021, p. 4 : « la société Digital Electric serait de toute manière, tenue à garantie envers la SARL Taranis à laquelle elle a donc fourni son produit, au titre du recours du fournisseur contre le producteur, sur le fondement de l'article 1386-7 aliéna 2 » ),
d'autre part, sur le fondement de l'article 1245 du code civil en raison du produit défectueux (ses conclusions responsives n°2 du 26 février 2021, p. 4 et 24 : « encore sur ce fondement, seule la responsabilité de la société Digital Electric pourrait être ainsi engagée. C'est d'ailleurs également en ce sens que la SARL Taranis a fondé partie de ses demandes aux fins d'être garantie des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées »).
Au demeurant, le tribunal mixte de commerce de Papeete a examiné la question de la responsabilité de la société Digital Electric au titre du produit défectueux du fournisseur et du manquement à son obligation d'information (jugement p.7).
Il en résulte que la demande de garantie formulée par la société Taranis à l'égard de la société Digital Electric, qui était dans le débat devant les juges de première instance, n'est pas nouvelle en appel.
Il y a donc lieu de rejeter cette fin de non-recevoir et de dire la société Taranis recevable en sa demande de garantie à l'égard de la société Digital Electric.
Sur la responsabilité dans la survenance de l'incendie
La société Taranis ne sollicite plus en cause d'appel une nouvelle expertise. Le jugement sera donc confirmé du chef de dispositif disant n'y avoir lieu à ordonner une nouvelle expertise.
Aux termes de l'article 1147 du code civil de la Polynésie française, qui fonde le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun, « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
S'agissant de la responsabilité du fait des produits défectueux, le code civil de la Polynésie française prévoit, aux termes de l'article 1386-1, que « Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »
L'article 1386-4 du même code, dont les termes reprennent ceux de l'article 1245-3 du code civil métropolitain transposant la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, précise qu' « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation. »
Aux termes de l'article 1386-8 du même code, « En cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables. »
Selon l'article 1386-14 du même code, « La responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage. »
L'article 1386-9 précise le régime de la triple preuve pesant sur le demandeur : « Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »
La Cour de cassation a récemment précisé la définition du produit défectueux au sens de l'article 1386-4 du code civil, à propos d'un incendie survenu sur un bateau fabriqué et livré par deux sociétés dont l'équipement électrique avait été réalisé par un autre professionnel, tenus solidairement responsables (1re Civ., 20 mars 2024, pourvoi n° 22-22.291):
8. Aux termes de l'article 1386-4, alinéas 1 et 2, devenu 1245-3, alinéas 1 et 2, du code civil, un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et, dans cette appréciation, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
9. La cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a retenu, sans se référer à des appréciations juridiques de l'expert, que les sociétés Master et Tecnobat, qui avaient livré un bateau coque nue, auraient dû fournir des recommandations ou des notices de montage pour les points précis pouvant remettre en cause la conception et la sécurité de ce bateau et que leur absence avait conduit à la réalisation de travaux à l'origine de l'explosion.
10. Sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, la cour d'appel a pu en déduire que le produit livré ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre et était dès lors défectueux.
11. Inopérant en ses cinquième et septième branches qui critiquent des motifs surabondants, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
Au cas présent, il ressort des éléments de fait et de preuve produits par les parties, et en particulier du rapport définitif d'expertise judiciaire de M. [I] déposé le 8 décembre 2019, établi de manière contradictoire, complète et objective, en tenant compte des observations ou réclamations des parties avec réponses aux dires, que le sinistre incendie trouve sa cause dans « la dégradation progressive des interrupteurs-sectionneurs qui n'étaient pas adaptés à l'utilisation qui en a été faite », ce qui a conduit à « un échauffement interne au niveau du contact électrique entre le pôle fixe et le pôle mobile » (rapport d'expertise, p. 56 à 60).
En réponse aux questions posées par le tribunal, il conclut que « la cause du sinistre est imputable à l'inadaptation d'un matériel électrique à son utilisation : il s'agit d'un interrupteur-sectionneur de marque DIGITAL Electric et de référence MTZ-IDC1025. » L'expert ajoute : « Comme indiqué dans le paragraphe 8 de ce rapport, il était impératif d'utiliser un matériel électrique pouvant être utilisé dans un environnement de température au moins de 50°C et possédant des caractéristiques adaptées aux pays tropicaux, soit disposant une tenue renforcée à la chaleur humide et au brouillard salin.
Le matériel qui a été installé (l'interrupteur-sectionneur MTZ-IDC1025) ne peut pas être utilisé avec une température ambiante supérieure à 40°C et ne possède aucune résistance particulière aux environnements sévères, tels que ceux rencontrés dans les pays tropicaux (chaleur humide et brouillard salin) » (rapport d'expertise, p. 74).
Il en résulte que le fait causal, premier et unique du sinistre, est imputable au matériel commandé, posé et surveillé par la société Taranis, lequel lui a été fourni par son producteur la société Digital Electric.
S'agissant de l'éventuelle responsabilité de la société Brasserie de Tahiti, maître d'ouvrage, l'expert judiciaire exclut clairement la température interne du local onduleurs n°2 de l'usine comme élément causal du sinistre, compte tenu, d'une part, de la signature sans réserve du contrat de maintenance par la société Taranis le 9 novembre 2015, ses responsables techniques considérant ainsi qu'il n'y avait pas ou plus de défaut lié à une température excessive et, d'autre part, de ce que la présence d'une ventilation externe au coffret de protection DC fermé « n'est pas susceptible de refroidir de manière significative l'intérieur du coffret DC » (rapport d'expertise, p.60 à 62).
En réponse au dire de la société Taranis, l'expert conclut que « l'hypothèse d'un sinistre imputable à la température élevée dans le local onduleurs a été analysée en profondeur et je peux conclure avec certitude que l'incendie ne résulte pas d'une température excessive dans le local dans lequel est survenu le sinistre » (rapport d'expertise, p.78).
Il n'est dès lors pas démontré par la société Taranis qui l'invoque de lien causal, même partiel, entre un défaut de ventilation du local onduleur n°2 et le dommage.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'il n'était pas rapporté la preuve qu'un éventuel défaut de ventilation du local onduleur n°2 pouvait être la cause du sinistre, à titre de cause unique ou à titre de cause secondaire, et rejeté la demande en partage de responsabilité fondé sur la contribution de la société Brasserie Tahiti à son propre dommage.
S'agissant de la responsabilité contractuelle de la société Taranis sur le fondement de l'article 1147 du code civil de la Polynésie française, pour avoir procédé à la commande, l'installation de la centrale photovoltaïque et l'entretien et maintenance du matériel litigieux ayant causé le dommage, selon contrats des 22 et 27 février 2013, 10 mars 2014 et 9 novembre 2015, il ressort clairement du rapport d'expertise judiciaire que celle-ci est engagée à double titre (rapport d'expertise p.67) :
« - Au titre de sa mission de conception et réalisation de cette centrale photovoltaïque pour avoir choisi un interrupteur-sectionneur inadapté à son utilisation ;
- Au titre de sa mission de maintenance de cette centrale photovoltaïque pour ne pas avoir fait preuve de prudence lorsqu'un interrupteur-sectionneur est tombé en panne. »
Cette analyse est confirmée par l'expert en réponse aux questions posées par le tribunal (rapport d'expertise, p.76 et 77).
En effet, d'une part, la société Taranis a choisi et commandé, de manière inadaptée à son utilisation dans un pays tropical, l'interrupteur-sectionneur à l'origine du dommage, malgré son expérience professionnelle dans la conception et l'installation de dix centrales photovoltaïques en Polynésie française. D'autre part, dans le cadre de l'entretien et de la maintenance, les techniciens de cette société n'ont pas pris les mesures de précaution nécessaires, dès l'apparition des premiers défauts et nonobstant l'absence de notice technique détaillée de ce matériel, pour éviter le sinistre.
Il est dès lors démontré le manquement fautif de la société Taranis en qualité de vendeur-installateur à son obligation contractuelle de résultat dans le choix du matériel installé et à son obligation de prudence dans l'entretien et la maintenance de ce matériel.
S'agissant de la responsabilité de la société Digital Electric du fait des produits défectueux, sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil de la Polynésie française, il ressort clairement du rapport d'expertise judiciaire que celle-ci est engagée à double titre (rapport d'expertise p. 68, 69 et 76) :
D'une part, « les responsables de cette société n'ont pas fourni les informations nécessaires pour que le responsable technique de Taranis choisisse correctement l'interrupteur-sectionneur », aucune notice technique détaillée n'ayant été fournie par la société Digital Electric à son client contrairement à la règlementation applicable, mentionnant notamment la température maximale d'utilisation, peu important surabondamment le marquage des produits du logo « CE » éventuellement contrefait, dans la mesure où le fait que le produit ait été élaboré dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes n'est pas exclusif de sa responsabilité.
D'autre part, « le responsable commercial de Digital Electric ne pouvait pas ignorer lors de la vente que l'interrupteur-sectionneur n'était pas adapté à son utilisation », alors que la commande était destinée à équiper une centrale photovoltaïque sur l'ile de Tahiti, où le climat est tropical et humide. Le producteur ne pouvait l'ignorer puisque son offre commerciale datée du 26 juillet 2013 et acceptée le 20 aoùt suivant comprenant d'importants frais de port - depuis la [5] métropolitaine - est adressée à la société Taranis à Tahiti (pièce n° 11 de MMA-Digital Electric) où il a expédié son colis, relevant de ce fait des conditions spécifiques d'emploi.
Il s'en déduit que le produit livré, s'il n'était pas affectée en lui même du du point vue technique de défauts dits 'intrinsèques' tenant à un defaut de conception ou de fabrication, comme relevé par l'expert judiciaire (rapport d'expertise, p. 74, §15.5), présentait néanmoins au sens juridique des défauts 'extrinsèques' qui procèdent d'une insuffisance d'information sur les conditions d'utilisation ou les risques attachés à son usage. En effet, d'une part, aucune notice technique ni réserve ni mise en garde n'a été émise par la société Digital Electric, qui ne le conteste pas, alors que le matériel choisi n'était manifestement pas adapté aux conditions propres à son utilisation en Polynésie française.D'autre part il ne présentait pas la sécurité à laquelle la société Taranis pouvait légitimement s'attendre, nonobstant sa qualité de cliente professionnelle mais non experte en matériel électrique, compte tenu de toutes les circonstances et notamment de l'usage qui en était raisonnablement attendu dans un pays tropical. Il était dès lors défectueux au sens de l'article 1386-4 du code civil. La société Digital Electric a donc manqué non seulement à son obligation de livraison d'un produit adapté à l'usage raisonnablement attendu par son client, mais aussi à son devoir de conseil et de mise en garde.
La société Brasserie de Tahiti et son assureur démontrent ainsi le défaut de l'interrupteur-sectionneur fourni par la société Digital Electric et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, comme à l'origine de l'incendie.
En conséquence, il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il y a lieu de retenir la responsabilité in solidum des sociétés Taranis et Digital Electric, coresponsables du dommage, et de fixer la quote-part contributive de chacune à 50% pour la société Taranis et à 50% pour la société Digital Electric.
Le jugement du tribunal mixte du commerce sera donc partiellement infirmé en ce qu'il a déclaré la société Taranis unique responsable du sinistre survenu le 31 décembre 2015 et l'a seule condamnée à indemniser la société Brasserie de Tahiti des préjudices subis.
Sur le montant des préjudices subis par la société Brasserie de Tahiti
Aux termes de l'article 1149 du code civil de la Polynésie française, « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. »
Le principe de réparation intégrale du préjudice, au visa des articles 1134 et 1147 du code civil de la Polynésie française, oblige le juge à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu.
L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (Ch. mixte., 6 septembre 2002, pourvoi n° 98-22.981, Bulletin civil 2002, Ch. mixte, n° 4).
S'agissant du préjudice matériel, celui-ci est constitué des travaux de nettoyage des dommages causés par les flammes et les fumées dans le local onduleur n°2 et dans le local adjacent, l'achat et le remplacement du matériel endommagé ou inadapté, en particulier l'ensemble des interrupteurs-sectionneurs comme mesure de précaution indispensable, eu égard aux développements supra, ainsi que le coût du contrôle technique après travaux. Le coût total doit être fixé à la somme de 31 762 695 Fcfp sur la base de l'estimation contradictoire faite par l'expert judiciaire, qui a repris le chiffrage des dommages par M. [V], l'expert de la compagnie d'assurance QBE Insurance International Limited dont additif joint au rapport, enrichi des réponses aux dires des parties(rapport d'expertise p. 63 à 66, §13 et p. 74).
S'agissant du préjudice immatériel, celui-ci est constitué de la perte de production et vente d'électricité. Le coût doit être fixé sur la base de l'estimation faite par l'expert judiciaire à la somme de 55 376 786 Fcfp, laquelle a été contradictoirement discutée par les parties sur la base des pièces communiquées et des réponses aux dires. Sur ce point, l'expert judiciaire retient sans réserve le chiffrage estimé par l'expert et le sapiteur de la compagnie d'assurance QBE Insurance International Limited, MM. [V] et [H] Mundo, dont additif joint au rapport, et répond précisément aux notes techniques des parties, notamment de M. [X] pour les compagnies d'assurance MMA IARD Mutuelles assurances et MMA IARD (rapport d'expertise p.65 et 66, §13-2, 74 et 82).
En conséquence, le montant total des préjudices subis s'élève à la somme de 87 139 481 Fcfp.
Le jugement du tribunal mixte du commerce sera donc infirmé en ce qu'il a limité le préjudice immatériel et consécutivement le préjudice total subi par la société Brasserie de Tahiti.
Les sociétés Taranis et Digital Electric, coresponsables des préjudices subis par la société Brasserie de Tahiti, seront ainsi condamnées à indemniser cette dernière et son assureur la société QBE Insurance International Limited, étant précisé que celui-ci est subrogé dans les droits de son assurée sur le fondement de la subrogation conventionnelle prévue à l'article 1250 du code civil de la Polynésie française, pour la part des préjudices matériels déjà indemnisée à hauteur de 31 652 490 Fcfp à titre d'indemnité contractuelle selon protocole de règlement du 21 février 2020.
Sur la garantie de la société Digital Electric en tant que fournisseur de la société Taranis
En considération des développements supra, les sociétés Taranis et Digital Electric, coresponsables in solidum du dommage, en application de l'article 1386-8 du code civil de la Polynésie française, se doivent mutuellement garantie dans la proportion de 50% chacune dans le cadre de la solidarité entre codébiteurs, conformément aux dispositions des articles 1200 et suivants du même code, par le biais le cas échéant de leurs assureurs respectifs.
Sur la garantie de la SMABTP Polynésie en tant qu'assureur de la société Taranis
La garantie des éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant relève de la garantie contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs (3e Civ., 21 mars 2024, pourvoi n° 22-18.694).
Il résulte des conditions spécifiques du contrat d'assurance conclu entre la société Taranis et son assureur la Mutuelle d'assurances SMABTP, que la garantie pour l'activité « installations voltaïque » ne peut excéder une surface de plus de 1 000 m2 et un montant de marché de 1 000 000 euros. La centrale solaire photovoltaïque litigieuse couvrant une surface de plus de 8 000 m2 pour un montant du marché de près de 3 000 000 euros, les dommages en cause ne sont pas couverts.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement du chef de dispositif ayant déclaré hors de cause la SMABTP Polynésie.
Sur l'exécution provisoire
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire, en application de l'article 309 du code de procédure civile.
Sur les frais d'expertises amiables
La société QBE Insurance International Limited justifie de l'intérêt des expertises amiables de MM. [V] et [T], dont les constatations ont été utilisées par les parties et l'expert judiciaire dans le cadre du débat contradictoire. Il y a donc lieu de condamner les intimées à lui en rembourser les frais pour la somme de 1 517 990Fcfp (pièce n°18 des appelantes).
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société QBE Insurance International Limited les frais exposés par elle et non compris dans les dépens. La société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, seront donc condamnées in solidum à lui payer la somme de 1 500 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
En revanche, il y a lieu de laisser à leur charge, ainsi qu'à celle de la Mutuelle d'assurances SMABTP Polynésie, leurs frais irrépétibles.
En outre, la société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, seront condamnées aux entiers dépens, en ceux compris les frais d'expertise judiciaire qui incluent le test fusible toiture du sapiteur M. [T], pour la somme totale de 2 224 985 Fcfp (pièces n°15, 16 et 17 des appelantes).
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant dans les limites de l'appel, par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort :
Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a :
reçu la société Brasserie de Tahiti et de son assureur la société QBE Insurance International Limited en leur requête initiale ;
déclaré hors de cause la Mutuelle d'assurances SMABTP Polynésie,
dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire et ordonner une nouvelle expertise,
débouté la Mutuelle d'assurances SMABTP Polynésie de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit la société Taranis recevable en sa demande de garantie à l'égard de la société Digital Electric ;
Déclare les sociétés Taranis et Digital Electric coresponsables de l'incendie survenu le 31 décembre 2015 dans les locaux de la société Brasserie de Tahiti ainsi que des conséquences dommageables et fixe leur quote-part contributive à 50% chacune ;
Condamne in solidum la société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, à payer à titre d'indemnité en réparation des préjudices subis à :
la société QBE Insurance International Limited, la somme de 31 652 490 Fcfp ;
la société Brasserie de Tahiti, la somme de 55 486 991 Fcfp ;
Condamne in solidum la société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, à payer à la société QBE Insurance International Limited la somme de 1 517 990 Fcfp en remboursement des frais d'expertises amiables ;
Condamne in solidum la société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, à payer à la société QBE Insurance International Limited la somme de 1 500 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Rejette toute demande plus ample ou contraire ;
Condamne in solidum la société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, aux entiers dépens, en ceux compris les frais d'expertise judiciaire pour la somme de 2 224 985 Fcfp.
Prononcé à [Localité 9], le 13 novembre 2025.
La greffière, La présidente,
Signé : I. Souché Signé : C. Prieur
CP
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Copies exécutoires délivrées à Me Guedikian, Me Grattirola, Me Varrod et Me Jacquet
le 13.11.25
Copie authentique délivrée au greffe du Tmc et du Rcs le 13.11.25
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 13 novembre 2025
N° RG 22/00098 - N° Portalis DBWE-V-B7G-TRE ;
Décision déférée à la cour : jugement n° CG 2022/14, RG n° 2020 000402 rendu le 14 janvier 2022 par le tribunal mixte de commerce de Papeete ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la cour d'appel le 1er avril 2022 ;
Appelantes :
La S.A. Brasserie de Tahiti, immatriculée au Rcs de [Localité 9] sous le n° TPI 531 B, n° Tahiti 031195, dont le siège social se trouve [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège ;
La S.A. QBE Insurance (international) limited, délégation de Polynésie française, immatriculée au Rcs de [Localité 9] sous le n° TPI 9365 B, n° Tahiti 034 868, dont le siège social se trouve [Adresse 6], prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège ;
Toutes deux représentées par Me Gilles Guedikian, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
La S.A.R.L. Taranis, immatriculée au Rcs de [Localité 9] sous le numéro TPI [Localité 1] B, n° Tahiti 919 183, dont le siège social est sis [Adresse 7], prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège ;
Ayant pour avocat la Selarl Mva, représentée par Me Edouard Varrod, avocat au barreau de Papeete ;
La société Digital Electric S.A.S., immatriculée au Rcs de [Localité 11] 493 839 191, dont le siège social est situé [Adresse 10] - France, prise en la personne de ses représentants légaux y domiciliés ;
La MMA Iard Assurances mutuelles, société civile immatriculée au Rcs de [Localité 8] sous le n° 775 652 126, dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal en exercie domicilié audit siège ;
La MMA Iard S.A., immatriculée au Rcs de [Localité 8] sous le n° 440 048 882, dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal en exercie domicilié audit siège ;
Ayant pour avocat la Selarl Cabinet Grattirola - Eyrignoux, représentée par Me Miguel Grattirola, avocat au barreau de Papeete (avocat postulant) et la Selarl Cornet-Vincent-Ségurel représentée par Me Alban Pousset-Bougere, avocat au barreau de Lyon (avocat plaidant) ;
La Société Mutuelle Assurance Bâtiment et Travaux Publics (SMABTP), dont le siège social est [Adresse 4] ;
Représentée par Me Thierry Jacquet, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 25 septembre 2025 ;
Composition de la cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 9 octobre 2025, devant Mme Prieur, conseillère désignée par l'ordonnance n° 35/ORD/PP.CA/25 de la première présidente de la cour d'appel de Papeete en date du 21 mai 2025 pour faire fonction de présidente dans le présent dossier, Mme Martinez, conseillère et Mme Teheiura, magistrate honoraire qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffière lors des débats : Mme Oputu-Teraimateata ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme Prieur, présidente et par Mme Souché, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
A R R E T,
EXPOSE DU LITIGE :
Par contrat du 10 mars 2014, la société Brasserie de Tahiti, qui exploite une usine dans la vallée de Punaruu sur l'île de Tahiti, a confié à la société Taranis la fourniture et l'installation d'une centrale solaire photovoltaïque sur le toit de son usine, pour la somme totale de 302 945 710 Fcfp. Ce contrat avait été précédé d'une offre technique et commerciale et d'un bon de commande signés les 22 et 27 février 2013.
Les interrupteurs-sectionneurs installés au sein de la centrale solaire photovoltaïque ont été commandés par la société Taranis à la société Digital Electric, selon offre commerciale acceptée le 20 août 2013.
Le 9 novembre 2015, les sociétés Brasserie de Tahiti et Taranis ont signé un contrat d'entretien et maintenance des installations photovoltaïques.
Le 31 décembre 2015, un incendie est survenu dans le local onduleur n°2 de l'usine.
Par ordonnance du 30 mai 2016, le juge des référés a ordonné une expertise judiciaire à la demande de la société Brasserie de Tahiti et son assureur la société QBE Insurance International Limited.
L'expert judiciaire M. [I] a déposé son rapport définitif le 8 décembre 2019.
Par requête enregistrée au greffe le 7 mai 2020, complétée par des écritures ultérieures, la société Brasserie de Tahiti et son assureur la société QBE Insurance International Limited ont saisi le tribunal mixte de commerce aux fins de :
- condamner in solidum les sociétés Taranis, Digital Electric, MMA IARD assurance mutuelle, MMA IARD et la SMABTP Polynésie à payer à la compagnie QBE Insurance la somme de 31 652 490 Fcfp et à la société Brasserie de Tahiti la somme de 55 486 991 Fcfp ;
- condanmer in solidum les mêmes à payer à la compagnie QBE Insurance la somme de 2 224 985 Fcfp en remboursement des frais d'expertise judiciaire ;
- condamner in solidum les mêmes à payer à la compagnie QBE Insurance la somme de 1 517 990 Fcfp en remboursement de ses propres frais d'expertise ;
- ordonner l'exécution provisoire ;
- condamner in solidum les mêmes à payer à la compagnie QBE Insurance la somme de 1 280 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles.
Par jugement contradictoire du 14 janvier 2022, le tribunal mixte de commerce de Papeete a :
Déclaré hors de cause la SMABTP Polynésie, la société Digital Electric, la société MMA IARD assurance mutuelle et la société MMA IARD,
- Condamné Ia société Taranis à payer à :
- la société QBE Insurance Internatinal Limited, la somme de 31 652 490 Fcfp,
- la société Brasserie de Tahiti, la somme de 30 740 340 Fcfp,
Dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire et ordonner une nouvelle expertise,
Condamné la société Taranis à payer à la société QBE Insurance International Limited Ia somme de 500 000 Fcfp au titre de l'article 407 du code dc procédure civile,
Condamné Ia société Taranis à verser à la société Digital Electric la somme de 500 000 Fcfp par application de l'article 407 du code de procédure civile,
Débouté la SMABTP Polynésie de sa prétention au titre des frais irrépétibles,
Condamné la société Taranis aux dépens, dont les frais d'expertise de M. [I] (1 784 330 Fcfp).
Les sociétés Brasserie de Tahiti et QBE Insurance International Limited ont relevé appel du jugement par requête enregistrée le 1er avril 2022 et demandent à la cour d'appel de réformer partiellement le jugement en ce qu'il a :
écarté la responsabilité de la société Digital Electric et mis hors de cause les compagnies MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA IARD.
Limité à la somme de 30 740 340 Fcfp le préjudice subi par la Brasserie de Tahiti.
Par conclusions récapitulatives du 27 juin 2024 , les sociétés Brasserie de Tahiti et QBE Insurance International Limited demandent à la cour d'appel de :
Débouter les sociétés TARANIS, DIGITAL ELECTRIC, MMA Iard ASSURANCES MUTUELLES et SA MMA Iard ASSURANCES MUTUELLES de l'ensemble de leurs demandes, 'ns et conclusions ;
Recevoir la SA BRASSERIE DE TAHITI et la Compagnie QBE INSURANCE en leur appel et le déclarer bien fondé ;
In'rmer le jugement du 14 janvier 2022 en ce qu'il a écarté la responsabilité de la Société DIGITAL ELECTRIC et mis hors de cause les Compagnies MMA Iard ASSURANCES MUTUELLES et SA MMA Iard ASSURANCES MUTUELLES ;
In'rmer le Jugement entrepris en ce qu'il a limité à la somme de 30 740 340 F CFP, le préjudice subi par la BRASSERIE DE TAHITI.
Statuant à nouveau,
Dire et juger que les sociétés TARANIS et DIGITAL ELECTRIC sont responsables de l'incendie survenu dans les locaux de la BRASSERIE DE TAHITI le 31 décembre 2016 ainsi que de l'ensemble de ses conséquences dommageables.
Vu les articles 1147, 1386-1 et 1382 du Code Civil,
Condamner in solidum les societés TARANIS, DIGITAL ELECTRIC, MMA IARD, MMA IARD ASSURANCE MUTUELLE et SMABTP POLYNESIE à payer :
- à la Compagnie QBE, la somme totale de 31 652 490 F CFP,
- à la BRASSERIE DE TAHITI, la somme totale de 55 486 991 F CFP,
Condamner in solidum les sociétés TARANIS, DIGITAL ELECTRIC, MMA IARD, MMA IARD ASSURANCE MUTUELLE et SMABTP POLYNESIE à payer à la Compagnie QBE la somme de 2 224 985 F CFP en remboursement des frais d'expertise judiciaire ;
Les condamner à payer à la Compagnie QBE la somme de 1 517 990 FCP en remboursement de ses propres frais d'expertise ;
Les condamner à payer à la Compagnie QBE la somme de 2 000 000 F CFP au titre des frais irrepétibles de première instance et d'appel ;
Condamner in solidum les sociétés TARANIS, DIGITAL ELECTRIC, MMA IARD, MMA IARD ASSURANCE MUTUELLE et SMABTP POLYNESIE aux entiers dépens.
Par conclusions du 16 juillet 2024, la Mutuelle d'assurances SMABTP demande à la cour d'appel de :
confirmer sa mise hors de cause,
condamner les demanderesses à lui payer la somme de 500 000 Fcpf au titre des frais irrépétibles.
Par conclusions récapitulatives du 22 novembre 2024, la société Taranis, intimée et appelante incidente, demande à la cour d'appel de :
INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 mars 2022 (Rôle n° 2022 / 000402 'Minute n° CG 2022/14), par lequel le Tribunal Mixte de Commerce de Papeete a fait partiellement droit aux demandes de la Société Brasserie de Tahiti aux fins de condamnation de la SARL TARANIS ;
Et statuant à nouveau :
Avant toute défense au fond,
CONSTATER le défaut de fondement légal dans la requête initiale de la SA BRASSERIE DE TAHITI en première instance ;
ANNULER la requête de la SA BRASSERIE DE TAHITI et de QBE INSURANCE INTERNATIONAL LIMITED,
Au fond,
CONDAMNER la société DIGITAL ELECTRIC à réparer l'intégralité des préjudices subis par la société BRASSERIE DE TAHITI sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
DEBOUTER la SA BRASSERIE DE TAHITI, la compagnie QBE INSURANCE et la société DIGITAL ELECTRIC de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, contre la société TARANIS celles-ci étant infondées et injustifiées ;
A titre subsidiaire,
CONDAMNER la société DIGITAL ELECTRIC à garantir la société TARANIS de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge, du fait de la commercialisation d'un produit défectueux ;
Au fond, à titre très subsidiaire,
ORDONNER un partage de responsabilité dans les préjudices subis par la société BRASSERIE DE TAHITI à hauteur de :
- 80% pour la société DIGITAL ELECTRIC, du fait de son manquement à son devoir de conseil ;
- 10% pour la société BRASSERIE DE TAHITI, du fait de sa contribution à son propre dommage ;
- 10% pour la société TARANIS ;
En tout état de cause,
CONDAMNER la SA BRASSERIE DE TAHITI et la société QBE INSURANCE INTERNATIONAL LIMITED, ainsi que les Sociétés DIGITAL ELECTRIC et ses assureurs les sociétés MMA IARD ASSURANCE MUTUELLE et MMA IARD, à verser solidairement à la SARL TARANIS une somme globale de 1 000 000 FCP au titre des frais irrépétibles en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
CONDAMNER la SA BRASSERIE DE TAHITI et la société QBE INSURANCE INTERNATIONAL LIMITED, ainsi que les Sociétés DIGITAL ELECTRIC et ses assureurs les sociétés MMA IARD ASSURANCE MUTUELLE et MMA IARD, solidairement aux entiers dépens de l'instance, tant de 1ère instance que d'appel, et notamment les frais d'expertise de M. [I], chiffrés à la somme de 1 784 330 FCP.
Par conclusions d'intimées en réponse n°4 du 20 février 2025, la société Digital Electric et les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD demandent à la cour d'appel de :
Juger irrecevable la demande de la société Taranis tendant à voir condamnée la société Digital Electric à la garantir de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge,
Confirmer le jugement en ce qu'il a :
Mis hors de cause les sociétés Digital Electric, MMA IARD et MMA IARD assurance mutuelle,
Condamné Ia société Taranis à verser à la société Digital Electric la somme de 500 000 Fcfp par application de l'article 407 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire, et si le jugement venait à être réformé sur la mise hors de cause de Digital Electric, MMA IARD et MMA IARD Assurances mututelles,
Infirmer le jugement en ce qu'il a retenu la somme de 31 652 490 Fcfp au titre du préjudice matériel subi par la société Brasserie de Tahiti,
Statuant à nouveau,
Juger que l'indemnisation du préjudice matériel de la société Brasserie de Tahiti ne saurait dépasser 30 971 699 Fcfp,
Juger que la garantie de MMA IARD et MMA IARD Assurance mutuelles ne couvre pas le remplacement des interrupteurs-sectionneurs outre la franchise contractuelle de son assurée,
Juger que le recours subrogatoire de QBE Insurance International Limited au titre des préjudices matériels doit être limité à 30 630 135 Fcfp,
Juger que le préjudice immatériel de la société Brasserie de Tahiti ne saurait excéder la somme de 30 740 340 Fcfp,
Débouter la société Brasserie de Tahiti ainsi que QBE insurance International Limited du surplus de ses demandes,
Débouter la société Taranis de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
En tout état de cause, et à hauteur d'appel,
CONDAMNER in solidum la société BRASSERIE DE TAHITI et QBE INSURANCE INTERNATIONAL LIMITED, solidairement avec la société TARANIS, à payer à la société DIGITAL ELECTRIC et son assureur la somme de 2 000 000 Fcfp sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de Polynésie française, outre aux entiers dépens, parmi lesquels les frais d'expertise judiciaire s'élevant à la somme de 1 784 330 Fcfp.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 septembre 2025 et l'audience de plaidoirie fixée le 9 octobre suivant. A cette date, la société Taranis indique ne pas maintenir sa demande en nullité de la requête initiale de la société Brasserie de Tahiti et de la société QBE Insurance International Limited pour défaut de fondement légal, figurant dans le dispositif de ses conclusions récapitulatives d'appel. Elle indique également ne plus solliciter une nouvelle expertise.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, de la procédure et des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties. Se conformant aux dispositions de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, la cour répondra aux moyens par les motifs ci-après.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la fin de non-recevoir
La société Digital Electric et son assureur MMA IARD et MMA IARD Assurance mutuelles soulèvent l'irrecevabilité de la demande de la société Taranis aux fins de les condamner à la garantir de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge, comme nouvelle en cause d'appel.
Aux termes de l'article 349 du code de procédure civile de la Polynésie française, « Les juges d'appel ne peuvent se prononcer que sur les demandes qui ont été soumises aux juges de première instance et il ne peut être formé en cause d'appel aucune demande nouvelle à moins qu'elle ne soit défense ou connexe à la demande principale ou qu'il s'agisse de compensation. »
Aux termes de l'article 349-1 du même code, « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. »
En pur droit, l'article 954 du code de procédure civile métropolitain, selon lequel « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif », n'est pas applicable en Polynésie française, où la procédure d'appel est la même que la procédure de première instance avec représentation obligatoire par avocat, selon l'article 440-5 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Or l'article 21-2 de ce code applicable en Polynésie française, relatif à la demande initiale en matière contentieuse, dispose que « les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée » et que « les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures ». Ce texte ne prévoit pas que le juge statue sur les seules prétentions des parties récapitulées sous forme de dispositif.
Au cas présent, si la société Taranis n'a pas demandé en première instance dans le dispositif de ses conclusions responsives n°2 du 26 février 2021 la garantie de la société Digital Electric, en revanche elle a formulé expressément cette prétention dans le corps de ses écritures, en précisant le fondement en droit, à savoir :
d'une part, au titre du recours du fournisseur contre le producteur sur le fondement de l'article 1386-7 alinéa 2 du code civil (ses conclusions responsives n°2 du 26 février 2021, p. 4 : « la société Digital Electric serait de toute manière, tenue à garantie envers la SARL Taranis à laquelle elle a donc fourni son produit, au titre du recours du fournisseur contre le producteur, sur le fondement de l'article 1386-7 aliéna 2 » ),
d'autre part, sur le fondement de l'article 1245 du code civil en raison du produit défectueux (ses conclusions responsives n°2 du 26 février 2021, p. 4 et 24 : « encore sur ce fondement, seule la responsabilité de la société Digital Electric pourrait être ainsi engagée. C'est d'ailleurs également en ce sens que la SARL Taranis a fondé partie de ses demandes aux fins d'être garantie des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées »).
Au demeurant, le tribunal mixte de commerce de Papeete a examiné la question de la responsabilité de la société Digital Electric au titre du produit défectueux du fournisseur et du manquement à son obligation d'information (jugement p.7).
Il en résulte que la demande de garantie formulée par la société Taranis à l'égard de la société Digital Electric, qui était dans le débat devant les juges de première instance, n'est pas nouvelle en appel.
Il y a donc lieu de rejeter cette fin de non-recevoir et de dire la société Taranis recevable en sa demande de garantie à l'égard de la société Digital Electric.
Sur la responsabilité dans la survenance de l'incendie
La société Taranis ne sollicite plus en cause d'appel une nouvelle expertise. Le jugement sera donc confirmé du chef de dispositif disant n'y avoir lieu à ordonner une nouvelle expertise.
Aux termes de l'article 1147 du code civil de la Polynésie française, qui fonde le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun, « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
S'agissant de la responsabilité du fait des produits défectueux, le code civil de la Polynésie française prévoit, aux termes de l'article 1386-1, que « Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »
L'article 1386-4 du même code, dont les termes reprennent ceux de l'article 1245-3 du code civil métropolitain transposant la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, précise qu' « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation. »
Aux termes de l'article 1386-8 du même code, « En cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables. »
Selon l'article 1386-14 du même code, « La responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage. »
L'article 1386-9 précise le régime de la triple preuve pesant sur le demandeur : « Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »
La Cour de cassation a récemment précisé la définition du produit défectueux au sens de l'article 1386-4 du code civil, à propos d'un incendie survenu sur un bateau fabriqué et livré par deux sociétés dont l'équipement électrique avait été réalisé par un autre professionnel, tenus solidairement responsables (1re Civ., 20 mars 2024, pourvoi n° 22-22.291):
8. Aux termes de l'article 1386-4, alinéas 1 et 2, devenu 1245-3, alinéas 1 et 2, du code civil, un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et, dans cette appréciation, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
9. La cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a retenu, sans se référer à des appréciations juridiques de l'expert, que les sociétés Master et Tecnobat, qui avaient livré un bateau coque nue, auraient dû fournir des recommandations ou des notices de montage pour les points précis pouvant remettre en cause la conception et la sécurité de ce bateau et que leur absence avait conduit à la réalisation de travaux à l'origine de l'explosion.
10. Sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, la cour d'appel a pu en déduire que le produit livré ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre et était dès lors défectueux.
11. Inopérant en ses cinquième et septième branches qui critiquent des motifs surabondants, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
Au cas présent, il ressort des éléments de fait et de preuve produits par les parties, et en particulier du rapport définitif d'expertise judiciaire de M. [I] déposé le 8 décembre 2019, établi de manière contradictoire, complète et objective, en tenant compte des observations ou réclamations des parties avec réponses aux dires, que le sinistre incendie trouve sa cause dans « la dégradation progressive des interrupteurs-sectionneurs qui n'étaient pas adaptés à l'utilisation qui en a été faite », ce qui a conduit à « un échauffement interne au niveau du contact électrique entre le pôle fixe et le pôle mobile » (rapport d'expertise, p. 56 à 60).
En réponse aux questions posées par le tribunal, il conclut que « la cause du sinistre est imputable à l'inadaptation d'un matériel électrique à son utilisation : il s'agit d'un interrupteur-sectionneur de marque DIGITAL Electric et de référence MTZ-IDC1025. » L'expert ajoute : « Comme indiqué dans le paragraphe 8 de ce rapport, il était impératif d'utiliser un matériel électrique pouvant être utilisé dans un environnement de température au moins de 50°C et possédant des caractéristiques adaptées aux pays tropicaux, soit disposant une tenue renforcée à la chaleur humide et au brouillard salin.
Le matériel qui a été installé (l'interrupteur-sectionneur MTZ-IDC1025) ne peut pas être utilisé avec une température ambiante supérieure à 40°C et ne possède aucune résistance particulière aux environnements sévères, tels que ceux rencontrés dans les pays tropicaux (chaleur humide et brouillard salin) » (rapport d'expertise, p. 74).
Il en résulte que le fait causal, premier et unique du sinistre, est imputable au matériel commandé, posé et surveillé par la société Taranis, lequel lui a été fourni par son producteur la société Digital Electric.
S'agissant de l'éventuelle responsabilité de la société Brasserie de Tahiti, maître d'ouvrage, l'expert judiciaire exclut clairement la température interne du local onduleurs n°2 de l'usine comme élément causal du sinistre, compte tenu, d'une part, de la signature sans réserve du contrat de maintenance par la société Taranis le 9 novembre 2015, ses responsables techniques considérant ainsi qu'il n'y avait pas ou plus de défaut lié à une température excessive et, d'autre part, de ce que la présence d'une ventilation externe au coffret de protection DC fermé « n'est pas susceptible de refroidir de manière significative l'intérieur du coffret DC » (rapport d'expertise, p.60 à 62).
En réponse au dire de la société Taranis, l'expert conclut que « l'hypothèse d'un sinistre imputable à la température élevée dans le local onduleurs a été analysée en profondeur et je peux conclure avec certitude que l'incendie ne résulte pas d'une température excessive dans le local dans lequel est survenu le sinistre » (rapport d'expertise, p.78).
Il n'est dès lors pas démontré par la société Taranis qui l'invoque de lien causal, même partiel, entre un défaut de ventilation du local onduleur n°2 et le dommage.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'il n'était pas rapporté la preuve qu'un éventuel défaut de ventilation du local onduleur n°2 pouvait être la cause du sinistre, à titre de cause unique ou à titre de cause secondaire, et rejeté la demande en partage de responsabilité fondé sur la contribution de la société Brasserie Tahiti à son propre dommage.
S'agissant de la responsabilité contractuelle de la société Taranis sur le fondement de l'article 1147 du code civil de la Polynésie française, pour avoir procédé à la commande, l'installation de la centrale photovoltaïque et l'entretien et maintenance du matériel litigieux ayant causé le dommage, selon contrats des 22 et 27 février 2013, 10 mars 2014 et 9 novembre 2015, il ressort clairement du rapport d'expertise judiciaire que celle-ci est engagée à double titre (rapport d'expertise p.67) :
« - Au titre de sa mission de conception et réalisation de cette centrale photovoltaïque pour avoir choisi un interrupteur-sectionneur inadapté à son utilisation ;
- Au titre de sa mission de maintenance de cette centrale photovoltaïque pour ne pas avoir fait preuve de prudence lorsqu'un interrupteur-sectionneur est tombé en panne. »
Cette analyse est confirmée par l'expert en réponse aux questions posées par le tribunal (rapport d'expertise, p.76 et 77).
En effet, d'une part, la société Taranis a choisi et commandé, de manière inadaptée à son utilisation dans un pays tropical, l'interrupteur-sectionneur à l'origine du dommage, malgré son expérience professionnelle dans la conception et l'installation de dix centrales photovoltaïques en Polynésie française. D'autre part, dans le cadre de l'entretien et de la maintenance, les techniciens de cette société n'ont pas pris les mesures de précaution nécessaires, dès l'apparition des premiers défauts et nonobstant l'absence de notice technique détaillée de ce matériel, pour éviter le sinistre.
Il est dès lors démontré le manquement fautif de la société Taranis en qualité de vendeur-installateur à son obligation contractuelle de résultat dans le choix du matériel installé et à son obligation de prudence dans l'entretien et la maintenance de ce matériel.
S'agissant de la responsabilité de la société Digital Electric du fait des produits défectueux, sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil de la Polynésie française, il ressort clairement du rapport d'expertise judiciaire que celle-ci est engagée à double titre (rapport d'expertise p. 68, 69 et 76) :
D'une part, « les responsables de cette société n'ont pas fourni les informations nécessaires pour que le responsable technique de Taranis choisisse correctement l'interrupteur-sectionneur », aucune notice technique détaillée n'ayant été fournie par la société Digital Electric à son client contrairement à la règlementation applicable, mentionnant notamment la température maximale d'utilisation, peu important surabondamment le marquage des produits du logo « CE » éventuellement contrefait, dans la mesure où le fait que le produit ait été élaboré dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes n'est pas exclusif de sa responsabilité.
D'autre part, « le responsable commercial de Digital Electric ne pouvait pas ignorer lors de la vente que l'interrupteur-sectionneur n'était pas adapté à son utilisation », alors que la commande était destinée à équiper une centrale photovoltaïque sur l'ile de Tahiti, où le climat est tropical et humide. Le producteur ne pouvait l'ignorer puisque son offre commerciale datée du 26 juillet 2013 et acceptée le 20 aoùt suivant comprenant d'importants frais de port - depuis la [5] métropolitaine - est adressée à la société Taranis à Tahiti (pièce n° 11 de MMA-Digital Electric) où il a expédié son colis, relevant de ce fait des conditions spécifiques d'emploi.
Il s'en déduit que le produit livré, s'il n'était pas affectée en lui même du du point vue technique de défauts dits 'intrinsèques' tenant à un defaut de conception ou de fabrication, comme relevé par l'expert judiciaire (rapport d'expertise, p. 74, §15.5), présentait néanmoins au sens juridique des défauts 'extrinsèques' qui procèdent d'une insuffisance d'information sur les conditions d'utilisation ou les risques attachés à son usage. En effet, d'une part, aucune notice technique ni réserve ni mise en garde n'a été émise par la société Digital Electric, qui ne le conteste pas, alors que le matériel choisi n'était manifestement pas adapté aux conditions propres à son utilisation en Polynésie française.D'autre part il ne présentait pas la sécurité à laquelle la société Taranis pouvait légitimement s'attendre, nonobstant sa qualité de cliente professionnelle mais non experte en matériel électrique, compte tenu de toutes les circonstances et notamment de l'usage qui en était raisonnablement attendu dans un pays tropical. Il était dès lors défectueux au sens de l'article 1386-4 du code civil. La société Digital Electric a donc manqué non seulement à son obligation de livraison d'un produit adapté à l'usage raisonnablement attendu par son client, mais aussi à son devoir de conseil et de mise en garde.
La société Brasserie de Tahiti et son assureur démontrent ainsi le défaut de l'interrupteur-sectionneur fourni par la société Digital Electric et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, comme à l'origine de l'incendie.
En conséquence, il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il y a lieu de retenir la responsabilité in solidum des sociétés Taranis et Digital Electric, coresponsables du dommage, et de fixer la quote-part contributive de chacune à 50% pour la société Taranis et à 50% pour la société Digital Electric.
Le jugement du tribunal mixte du commerce sera donc partiellement infirmé en ce qu'il a déclaré la société Taranis unique responsable du sinistre survenu le 31 décembre 2015 et l'a seule condamnée à indemniser la société Brasserie de Tahiti des préjudices subis.
Sur le montant des préjudices subis par la société Brasserie de Tahiti
Aux termes de l'article 1149 du code civil de la Polynésie française, « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. »
Le principe de réparation intégrale du préjudice, au visa des articles 1134 et 1147 du code civil de la Polynésie française, oblige le juge à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu.
L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (Ch. mixte., 6 septembre 2002, pourvoi n° 98-22.981, Bulletin civil 2002, Ch. mixte, n° 4).
S'agissant du préjudice matériel, celui-ci est constitué des travaux de nettoyage des dommages causés par les flammes et les fumées dans le local onduleur n°2 et dans le local adjacent, l'achat et le remplacement du matériel endommagé ou inadapté, en particulier l'ensemble des interrupteurs-sectionneurs comme mesure de précaution indispensable, eu égard aux développements supra, ainsi que le coût du contrôle technique après travaux. Le coût total doit être fixé à la somme de 31 762 695 Fcfp sur la base de l'estimation contradictoire faite par l'expert judiciaire, qui a repris le chiffrage des dommages par M. [V], l'expert de la compagnie d'assurance QBE Insurance International Limited dont additif joint au rapport, enrichi des réponses aux dires des parties(rapport d'expertise p. 63 à 66, §13 et p. 74).
S'agissant du préjudice immatériel, celui-ci est constitué de la perte de production et vente d'électricité. Le coût doit être fixé sur la base de l'estimation faite par l'expert judiciaire à la somme de 55 376 786 Fcfp, laquelle a été contradictoirement discutée par les parties sur la base des pièces communiquées et des réponses aux dires. Sur ce point, l'expert judiciaire retient sans réserve le chiffrage estimé par l'expert et le sapiteur de la compagnie d'assurance QBE Insurance International Limited, MM. [V] et [H] Mundo, dont additif joint au rapport, et répond précisément aux notes techniques des parties, notamment de M. [X] pour les compagnies d'assurance MMA IARD Mutuelles assurances et MMA IARD (rapport d'expertise p.65 et 66, §13-2, 74 et 82).
En conséquence, le montant total des préjudices subis s'élève à la somme de 87 139 481 Fcfp.
Le jugement du tribunal mixte du commerce sera donc infirmé en ce qu'il a limité le préjudice immatériel et consécutivement le préjudice total subi par la société Brasserie de Tahiti.
Les sociétés Taranis et Digital Electric, coresponsables des préjudices subis par la société Brasserie de Tahiti, seront ainsi condamnées à indemniser cette dernière et son assureur la société QBE Insurance International Limited, étant précisé que celui-ci est subrogé dans les droits de son assurée sur le fondement de la subrogation conventionnelle prévue à l'article 1250 du code civil de la Polynésie française, pour la part des préjudices matériels déjà indemnisée à hauteur de 31 652 490 Fcfp à titre d'indemnité contractuelle selon protocole de règlement du 21 février 2020.
Sur la garantie de la société Digital Electric en tant que fournisseur de la société Taranis
En considération des développements supra, les sociétés Taranis et Digital Electric, coresponsables in solidum du dommage, en application de l'article 1386-8 du code civil de la Polynésie française, se doivent mutuellement garantie dans la proportion de 50% chacune dans le cadre de la solidarité entre codébiteurs, conformément aux dispositions des articles 1200 et suivants du même code, par le biais le cas échéant de leurs assureurs respectifs.
Sur la garantie de la SMABTP Polynésie en tant qu'assureur de la société Taranis
La garantie des éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant relève de la garantie contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs (3e Civ., 21 mars 2024, pourvoi n° 22-18.694).
Il résulte des conditions spécifiques du contrat d'assurance conclu entre la société Taranis et son assureur la Mutuelle d'assurances SMABTP, que la garantie pour l'activité « installations voltaïque » ne peut excéder une surface de plus de 1 000 m2 et un montant de marché de 1 000 000 euros. La centrale solaire photovoltaïque litigieuse couvrant une surface de plus de 8 000 m2 pour un montant du marché de près de 3 000 000 euros, les dommages en cause ne sont pas couverts.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement du chef de dispositif ayant déclaré hors de cause la SMABTP Polynésie.
Sur l'exécution provisoire
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire, en application de l'article 309 du code de procédure civile.
Sur les frais d'expertises amiables
La société QBE Insurance International Limited justifie de l'intérêt des expertises amiables de MM. [V] et [T], dont les constatations ont été utilisées par les parties et l'expert judiciaire dans le cadre du débat contradictoire. Il y a donc lieu de condamner les intimées à lui en rembourser les frais pour la somme de 1 517 990Fcfp (pièce n°18 des appelantes).
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société QBE Insurance International Limited les frais exposés par elle et non compris dans les dépens. La société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, seront donc condamnées in solidum à lui payer la somme de 1 500 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
En revanche, il y a lieu de laisser à leur charge, ainsi qu'à celle de la Mutuelle d'assurances SMABTP Polynésie, leurs frais irrépétibles.
En outre, la société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, seront condamnées aux entiers dépens, en ceux compris les frais d'expertise judiciaire qui incluent le test fusible toiture du sapiteur M. [T], pour la somme totale de 2 224 985 Fcfp (pièces n°15, 16 et 17 des appelantes).
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant dans les limites de l'appel, par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort :
Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a :
reçu la société Brasserie de Tahiti et de son assureur la société QBE Insurance International Limited en leur requête initiale ;
déclaré hors de cause la Mutuelle d'assurances SMABTP Polynésie,
dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire et ordonner une nouvelle expertise,
débouté la Mutuelle d'assurances SMABTP Polynésie de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit la société Taranis recevable en sa demande de garantie à l'égard de la société Digital Electric ;
Déclare les sociétés Taranis et Digital Electric coresponsables de l'incendie survenu le 31 décembre 2015 dans les locaux de la société Brasserie de Tahiti ainsi que des conséquences dommageables et fixe leur quote-part contributive à 50% chacune ;
Condamne in solidum la société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, à payer à titre d'indemnité en réparation des préjudices subis à :
la société QBE Insurance International Limited, la somme de 31 652 490 Fcfp ;
la société Brasserie de Tahiti, la somme de 55 486 991 Fcfp ;
Condamne in solidum la société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, à payer à la société QBE Insurance International Limited la somme de 1 517 990 Fcfp en remboursement des frais d'expertises amiables ;
Condamne in solidum la société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, à payer à la société QBE Insurance International Limited la somme de 1 500 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Rejette toute demande plus ample ou contraire ;
Condamne in solidum la société Taranis, d'une part, la société Digital Electric et ses assureurs les sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, d'autre part, aux entiers dépens, en ceux compris les frais d'expertise judiciaire pour la somme de 2 224 985 Fcfp.
Prononcé à [Localité 9], le 13 novembre 2025.
La greffière, La présidente,
Signé : I. Souché Signé : C. Prieur