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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 13 novembre 2025, n° 25/00984

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 25/00984

13 novembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION

DU 13 NOVEMBRE 2025

Rôle N° RG 25/00984 - N° Portalis DBVB-V-B7J-BOI2J

[U] [J]

C/

[G] [M]

Copie exécutoire délivrée le : 13 Novembre 2025

à :

Me Julien DESOMBRE

Me Florent LADOUCE

Sur saisine de la Cour faite suite à l'arrêt de la Cour de Cassation de PARIS prononcé le 02 Octobre 2024 (RG n° 23-15.995) cassant et annulant l'arrêt de la Cour d'Appel d'Aix en Provence (RG 22/00837) prononcé le 2 Mars 2023 à l'encontre du Jugement du tribunal de commerce de FREJUS (RG 21/02117) prononcé le 10 Janvier 2022

DEMANDERESSE A LA SAISINE

Monsieur [U] [J]

né le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 12], de nationalité française, demeurant [Adresse 8]

représenté par Me Julien DESOMBRE de la SCP MARTINE DESOMBRE & JULIEN DESOMBRE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté de Me Jérôme BERTIN de la SELARL BERTIN & BERTIN AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, plaidant

DEFENDERESSE SUR LA SAISINE

Maître [G] [M],

membre de la SELARL [M] LES MANDATAIRES, demeurant [Adresse 4], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [5], désignée à ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de Fréjus du 28/05/2018,

représentée par Me Florent LADOUCE, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Septembre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre, et Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère, chargées du rapport.

Madame Isabelle MIQUEL, conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre

Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère

Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère

Greffière lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2025.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2025.

Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La société [5] est une SARL ayant son siège social sis [Adresse 1]. Son objet social est l'activité de marchand de biens. La gérance de la SARL est assurée par Monsieur [U] [J].

La société [5] a acquis le 4 février 2010 un bien situé à [Localité 11] pour la somme de 3'500'000 euros, l'achat étant notamment financé par un emprunt immobilier auprès de la société [7] d'un montant de 2'600'000 euros d'une durée de 18 mois, le remboursement étant exigible au 4 août 2011, à un taux variable, d'un montant de 4,0205 % à la signature de l'acte.

Par jugement en date du 17 octobre 2016, le tribunal de commerce de Fréjus a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL [5].

Par jugement en date du 15 janvier 2018, le tribunal de commerce de Fréjus a rejeté le plan de continuation proposé par la SARL [5].

Par jugement en date du 28 mai 2018, le tribunal de commerce de Fréjus a converti la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la SARL [J] investissements en liquidation judiciaire.

Par jugement en date du 10 janvier 2022, le tribunal de commerce de Fréjus a, sur assignation de Maître [G] [M], ès qualités de liquidateur judiciaire, condamné Monsieur [J] à supporter personnellement les dettes de la SARL [J] investissements à hauteur de 206 835 euros et de 396 000 euros.

Les premiers juges ont retenu à l'encontre de Monsieur [J] les fautes de gestion suivantes:

- le recours à des moyens de financement inadaptés au regard de la souscription d'un prêt de 18 mois dont le remboursement était dépendant du résultat d'une autre société immobilière,

- l'absence de tenue de comptabilité régulière,

- le non respect des obligations fiscales et sociales.

Par déclaration en date du 19 janvier 2022, Monsieur [J] a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt en date du 2 mars 2023, la cour d'appel de ce siège a':

- confirmé le jugement rendu le 10 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Fréjus sauf en ce qu'il n'a pas retenu à l'encontre de Monsieur [U] [I] [J] la faute de gestion résultant de la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel et sauf en ce qui concerne le montant de l'insuffisance d'actif mis à la charge de Monsieur [U] [I] [J]';

Statuant à nouveau,

- dit que Monsieur [U] [I] [J] a commis une faute de gestion en poursuivant une activité déficitaire dans un intérêt personnel';

- condamné Monsieur [U] [I] [J] à payer entre les mains de Maître [G] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [J] investissements la somme de 740 835 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la société [J] investissements';

- déclaré Monsieur [U] [I] [J] infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles';

- condamné Monsieur [U] [I] [J] à verser à Maître [G] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [J] investissements la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

- condamné Monsieur [U] [I] [J] aux dépens.

Par arrêt en date du 2 octobre 2024, la Cour de cassation a'cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

M. [J] a saisi la cour par déclaration en date du 24 janvier 2025.

Par conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 29 août 2025, M. [J] demande à la cour de :

Déclarer Monsieur [J] recevable et bien fondé en son appel ;

Réformer le jugement du tribunal de commerce de Fréjus du 10 janvier 2022, dont le numéro de rôle est 2021 002117, en toutes ses dispositions ;

Y faisant droit,

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Déclaré le demandeur recevable en son action,

- Débouté Monsieur [J] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- Dit que Monsieur [J] [U], né le [Date naissance 2]/1971 à [Localité 12] (59) doit supporter personnellement les dettes de la société SARL [J] investissements, dont le siège social est sis [Adresse 1], immatriculée au RCS de Fréjus sous le n° [N° SIREN/SIRET 3], à hauteur de 206.835 euros et 396.000 euros,

- Condamné Monsieur [J] [U] à payer la somme de 206.835 euros entre les mains de Maître [G] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [J] investissements,

- Condamné Monsieur [J] [U] au paiement de la somme de 396.000 euros entre les mains de Maître [G] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [J] investissements,

- Condamné Monsieur [J] [U] au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'art. 700 du code de procédure civile,

- Rappelé que :

. le présent jugement sera communiqué par le greffier au procureur de la République';

. il doit être, le cas échéant, porté sur l'état des créances de la procédure à laquelle le dirigeant est soumis ou transmis au greffier compétent en application de l'article R. 651-6 du code de commerce, 'les sommes versées par le dirigeant entrent dans le patrimoine de la société débitrice et réparties entre tous les créanciers au marc le franc ; qu'il appartient donc au liquidateur de procéder à la signification et à l'exécution du présent jugement';

- Condamné Monsieur [J] [U] en tous les dépens, les frais de justice devant être payés par priorité sur les sommes versées pour combler le passif, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme 37,06 euros TTC dont 6,18 euros de TVA ;

Statuant à nouveau,

Juger que Monsieur [U] [J] n'a commis aucune faute de gestion ayant contribué à créer ou aggraver l'insuffisance d'actif de la société [5] ;

Débouter Maître [F] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [5], de son appel incident ;

Débouter Maître [F] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [5], de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

Rejeter l'avis du ministère public ;

Condamner Maître [F] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [5], à payer à Monsieur [U] [J] la somme de 7.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Maître [F] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [5] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Martine Desombre, avocat au barreau d'Aix-en-Provence, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

A l'appui de ses demandes, M. [J] soutient que les griefs du liquidateur ne sont que supputations et que les premiers juges ont insuffisamment caractérisé les fautes qu'ils ont retenues à son encontre. Il fait valoir les très nombreuses procédures judiciaires, qu'il qualifie de recours abusifs, auxquelles a dû faire face une autre de ses sociétés, la société Villa A, à partir de l'année 2011, concernant un bien situé à [Localité 6] et son investissement constant pour trouver des solutions afin de rétablir sa société, lequel démontre sa bonne foi.

Il ne conteste pas l'insuffisance d'actif chiffrée par le liquidateur à hauteur de 2.046.247,67 euros mais précise que ce montant comprend une somme de 1.273.000,00 euros correspondant à un compte courant créditeur en faveur de la société [9] avec laquelle la société [J] investissements avait une convention de trésorerie.

S'agissant de la faute de défaut de comptabilité, M. [J] soutient que le liquidateur ne caractérise pas de faute dans les erreurs prétendument constatées dans la comptabilité. Il fait valoir que les bilans ont bien été réalisés et régulièrement déposés, comme le montre celui de 2017 produit aux débats ainsi que la preuve du dépôt électronique des liasses fiscales par son expert-comptable. Il soutient également que l'activité de sa société étant la détention d'un bien, sa comptabilité était nécessairement des plus élémentaires puisqu'elle se limitait à quelques charges annuelles, qu'il n'est pas anormal que les charges d'exploitation soient à 0 au cours des années 2013 et 2014 et qu'aucune taxe foncière ne soit réglée, puisque la société en était exonérée.

S'agissant du grief de non-respect des obligations fiscales et sociales, M. [J] affirme n'avoir jamais voulu s'y soustraire, soutient qu'il n'a pas reçu l'avis de taxe d'habitation 2016, fait valoir que la taxe foncière 2017 était payée à l'ouverture de la procédure ainsi que les charges et que les déclarations de TVA ont été transmises et que la part des sommes concernées est très faible en comparaison avec le passif.

S'agissant du grief de recours à des moyens de financement inadaptés, M. [J] soutient que les biens acquis à [Localité 11] n'étaient nullement surévalués et que le prêt obtenu était à un taux d'intérêt normal et avait pour objectif de financer des travaux de revalorisation du bien pour revente à un prix supérieur ou conservation dans le patrimoine avec un refinancement et que ce projet était cohérent. Il indique que c'est à cause de ses déboires judiciaires relatifs au bien situé à [Localité 6] que la banque [7] n'a pas procédé à la prorogation normale de son prêt et lui a appliqué un taux d'intérêt-sanction.

Il conteste avoir poursuivi l'activité déficitaire dans un intérêt personnel et soutient que son occupation du bien situé à [Localité 11] par le biais d'un commodat conclu avec sa société avait pour objectif de satisfaire son intérêt personnel. Il met en avant la nécessité d'entretenir le bien, d'empêcher qu'il soit «'squatté'» et dégradé et l'intérêt de mettre la taxe d'habitation à la charge de M. [J] et non plus de la société.

Enfin, il fait grief au liquidateur de ne pas démontrer le lien entre les fautes qu'il allègue et l'insuffisance d'actif.

Par conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 26 mai 2025 Me [M] ès qualités demande à la cour de :

Débouter Monsieur [U] [J] de toutes ses demandes, fins et conclusions';

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a écarté la poursuite fautive d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel, et le confirmer notamment en ce qu'il a statué ainsi':

- Déclare le demandeur recevable en son action,

- Déboute Monsieur [J] de toutes ces demandes, fins et conclusions,

- Dit que Monsieur [J] [U], né le [Date naissance 2]/1971 à [Localité 12] (59) doit supporter personnellement les dettes de la société SARL [J] investissements, dont le siège social est sis [Adresse 1], immatriculée au RCS de Fréjus sous le n° [N° SIREN/SIRET 3], à hauteur de 206.835 euros et 396.000 euros,

- En conséquence, condamne Monsieur [J] [U] à payer la somme de 206.835 euros entre les mains de Maître [G] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [J] investissements,

- Condamne Monsieur [J] [U] au paiement de la somme de 396.000 euros entre les mains de Maître [G] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [J] investissements ;

Y ajoutant,

Juger que Monsieur [U] [J] a poursuivi une activité déficitaire dans un intérêt personnel'; Juger qu'il s'agit d'une faute de gestion qui lui est imputable';

Condamner Monsieur [U] à payer au titre de cette faute de gestion une somme complémentaire de 216.000 euros ';

Condamner Monsieur [U] [J] à payer pour l'ensemble de ses fautes de gestion la somme de 740.835 euros au titre de l'insuffisance d'actif';

Condamner Monsieur [U] [J] à payer la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Monsieur [U] [J] aux entiers dépens.

Le liquidateur indique que l'insuffisance d'actif est d'un montant de 2'046'247,67 euros et observe que l'existence d'un compte courant associé de [9] d'un montant de 1'273'000 euros est indifférente dès lors que cette dernière n'y a pas renoncé.

Il relève quatre fautes de gestion à l'encontre de M. [J] comme il l'avait fait en première instance':

- Absence de tenue de comptabilité régulière

- Non-respect des obligations fiscales et sociales

- Recours à des moyens de financement inadapté

- Poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel.

S'agissant du défaut de comptabilité, le liquidateur indique que la société [J] Investissements ne lui a remis que les bilans 2013, 2014, 2017 et que, concernant les exercices 2013 et 2014, il ne lui a été remis que les liasses fiscales.

Il relève les incohérences'figurant aux bilans: les bilans 2013 et 2014 ne laissent apparaître aucune charge d'exploitation alors qu'en 2012, et à partir de 2016, on constate que les charges d'exploitation relatives aux charges de copropriété et impôts sont visibles sur la comptabilité'; sur les bilans 2013 et 2014, le résultat d'exploitation, le bénéfice/ perte, ainsi que le résultat fiscal sont inexistants'; le bilan de l'exercice 2017 ne mentionne aucune taxe foncière, ni honoraires d'expert-comptable'; les bilans ne mentionnent pas les droits de mutation de l'immeuble

Le liquidateur fait valoir que Monsieur [J], suite au renvoi de cassation, ne produit aucun élément complémentaire et se contente de verser aux débats la preuve de la transmission EDI des liasses 2015 à 2017 et dit rester dans l'attente de la transmission du'bilan 2015 et du grand livre de l'exercice 2016.

Le liquidateur fait valoir que M. [J] a connu quatre liquidations de deux SARL et deux SCI et qu'en raison de son expérience passée dans la gestion des sociétés et des liquidations judiciaires d'ores et déjà affrontées, une comptabilité irrégulière ne peut pas relever d'une simple négligence.

Aux termes d'un avis déposé le 24 juillet 2025, porté à la connaissance des parties par la voie électronique au plus tard à l'audience, le ministère public après avoir pris connaissance de la procédure, fait valoir qu'outre l'absence totale du bilan 2015 et du grand livre pour l'exercice 2016, la comptabilité présente des incohérences liées à des défauts d'informations essentielles à la connaissance de la situation de la société, comme l'absence de toute mention de charges d'exploitation en 2013, et 2014 ou encore en 2017, l'absence de la taxe foncière acquittée ou des honoraires d'expert-comptable et que la multiplicité des irrégularités et absences démontrent non pas une négligence, mais une véritable volonté de se passer de tout élément de mesure fiable.

Il souligne que M. [J] avait alors une expérience constituée dans la gestion d'entreprises et de procédures collectives, que M. [J] avait eu l'occasion d'apprendre à l'occasion de 4 procédures collectives, les exigences de l'exercice de gestion et de la procédure collective, que les défauts de la comptabilité ne peuvent être en lien avec une simple négligence et constituent une véritable faute.

Concernant les autres fautes retenues par la cour d'appel, le parquet général soutient qu'elles serviront à nouveau dans les mêmes termes que ceux retenus par la cour d'appel à fonder la condamnation de M [J] au paiement d'une partie de l'insuffisance d'actif.

Les parties ont été avisées le 29 janvier 2025 de la fixation de l'affaire à bref délai à l'audience du 17 septembre 2025 et de la date prévisible de la clôture.

La clôture a été prononcée le 4 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

'

Sur les mérites de l'appel

Il résulte des dispositions de l'article L.651-2 du code de commerce que le tribunal peut condamner à supporter l'insuffisance d'actif d'une société placée en liquidation judiciaire tout dirigeant de droit ou de fait responsable d'une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif.

En application du texte susvisé, pour que l'action initiée par le liquidateur puisse prospérer il faut que soit établi :

- une insuffisance d'actif,

- une ou plusieurs fautes de gestion imputables à Monsieur [J],

- un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif.

Sur l'insuffisance d'actif

L'insuffisance d'actif s'établit à la différence entre le montant du passif admis et correspondant à des créances antérieures au jugement d'ouverture et le montant de l'actif de la personne morale débitrice.

Il résulte des éléments de la procédure et n'est pas contesté que le montant de l'insuffisance d'actif s'établit à la somme de 2 046 247,67€ correspondant à la différence entre le montant du passif fixé à 3 321 247,67€ et le montant de l'actif recouvré ou réalisé fixé à 1 275 000€, l'existence d'un compte courant associé de [9] n'important pas, cette dernière n'y ayant à ce jour pas renoncé.

Sur les fautes de gestion

- Sur l'absence de tenue de comptabilité régulière

Il résulte des dispositions de l'article L.123-12 du code de commerce que: «'Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.

Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise.

Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.'»

La faute d'absence de tenue d'une comptabilité régulière ne doit pas consister en une simple négligence dans la gestion de la société.

En l'espèce,'le liquidateur est en possession des liasses fiscales pour les exercices 2013, 2014 et du bilan de l'exercice 2017 et dit rester en l'attente du grand livre pour 2016.

M.[J], pour justifier de la tenue de sa comptabilité pour l'année 2015, communique le justificatif des envois EDI des liasses 2015 à 2017, communication qui ne suffit cependant pas pour établir la tenue d'une comptabilité régulière en 2015.

En outre, l'absence de charges d'exploitations pour les exercices 2012 et 2013 révèlent une irrégularité comptable a fortiori alors que M. [J] dit avoir souscrit un commodat portant sur le bien de [Localité 11] avec sa société pour lui éviter de supporter les charges concernant ce bien: auraient du figurer à ces bilans 2012 et 2013, a minima, les charges d'exploitation du bien et les frais d'expert-comptable. Auraient dû également figurer aux bilans, comme le remarque le liquidateur, les frais de mutation des deux lots vendus par M. [J], la taxe foncière en 2017.

L'absence de tenue d'une comptabilité régulière est établie.

M. [J] avait déjà une forte expérience en matière de gestion de sociétés et d'obligations du dirigeant lors des faits qui lui sont reprochés compte tenu des procédures collectives suivantes concernant ses sociétés':

- société [J] résidences et ressorts': jugement clôturant la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif en date du 10 avril 2018,

- SCI [10]': jugement de conversion en liquidation judiciaire en date du 18 décembre 2014,

-[9]': jugement prononçant la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire en date du 12 septembre 2017.

Compte tenu de la répétition des errements comptables relevés et de l'expérience de M. [J], ces défauts excèdent la simple négligence de sorte que la faute d'absence de tenue d'une comptabilité régulière est établie.

- Sur le défaut de paiement des dettes sociales et fiscales

Le Pôle de recouvrement spécialisé du Var a déclaré à titre privilégié une créance de 128 835 euros portant sur des taxes foncières et des taxes d'habitation impayées entre 2013 et 2016 à hauteur de 50 040 euros outre une somme de 78 795 euros correspondant à des droits de mutation de février 2010.

Il convient d'écarter la somme correspondant aux droits de mutation, qui a été ajoutée à la somme globale déclarée de 128 835 euros à tort comme cela résulte de la déclaration correspondante qui l'inclut.

Il n'en demeure pas moins que le défaut de paiement des dettes fiscales et sociales est établi, dans des proportions supérieures à celles que concède M. [J], et que leur montant et leur répétition dans le temps permettent d'écarter la simple négligence.

- Sur le recours à des moyens de financement inadaptés

M. [J] indique que le prêt souscrit auprès de la société [7] s'inscrit dans le modèle économique de sa société consistant en l'achat et la revente de biens immobiliers.

Cependant, la vente immobilière attendue n'est pas intervenue dans le délai de 18 mois et n'a eu lieu qu'en mai 2013 pour une somme insuffisante pour couvrir le prêt, ce qui a entraîné la majoration du taux d'intérêt et a généré un montant d'intérêts de retard de 396 000 euros à la date de l'ouverture de la procédure collective.

Ce choix de financement, conditionné à la réalisation rapide de la vente d'un ensemble immobilier dont la valeur a manifestement mal appréciée, s'est avéré ruineux.

Le recours à des moyens de financement inadaptés, qui ne relève pas par sa nature, de la négligence, est caractérisé.

- Sur la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel

Le tribunal de commerce n'a pas statué sur la faute résultant de la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel dont il était également saisi, moyen dont la cour est également saisie.

M. [J] ne conteste pas avoir signé un prêt à commodat avec la société [J] investissements, que le liquidateur date de janvier 2012, sans être contredit. Ce prêt portait sur le dernier lot du bien immobilier ayant vocation à être vendu pour rembourser le solde du prêt. M. [J] ne conteste pas avoir occupé le bien et le justifie par la nécessité de l'entretenir et par le soulagement de la société de la charge de la taxe d'habitation. Il ne fait en revanche état d'aucune autre-contrepartie à l'occupation d'un bien composé d'une vaste maison de maître et d'une piscine.

Or, dès le 4 août 2011, la société [J] investissement n'a pu faire face au remboursement du prêt arrivé à échéance et des intérêts de 7,10'% ont commencé à courir. Il résulte également des éléments comptables versés aux débats qu'à compter de 2012, l' exploitation est devenue déficitaire et la situation comptable s'est aggravée au fur à mesure des exercices entre 2012 et 2016, ce que M. [J] ne pouvait ignorer.

Il se déduit sans conteste de ce qui précède que M. [J] a poursuivi l' activité déficitaire de sa société dans un intérêt essentiellement personnel.

Cette faute de gestion, qui ne relève pas, par sa nature, de la simple négligence, est donc caractérisée.

Sur le lien de causalité

Le dirigeant peut être déclaré responsable même si la faute de gestion n'est qu'une des causes de l'insuffisance d'actif et il en est de même si la faute n'est à l'origine que de l'une des parties des dettes de la société.

La non tenue d'une comptabilité régulière a privé M. [J] d'un outil de pilotage de gestion de la société lui permettant d'avoir une connaissance précise de la situation de sa situation financière et économique, ce qui a nécessairement aggravé le passif.

Le non paiement des dettes fiscales et sociales de la société a également aggravé le passif à hauteur de 128'835 euros.

Le recours à des moyens financiers ruineux et la poursuite de l'activité déficitaire ont eu pour effet une aggravation considérable de la charge de l'emprunt à hauteur de 396'000 euros.

Le commodat a également privé la société d'une source de revenus locatifs qui peuvent être évalués à la somme de 216'000 euros correspondant à 8 années d'occupation à raison de 3 000 euros par mois.

Compte tenu de la multiplicité et de l'importance des fautes de gestion, nonobstant les efforts dont se prévaut M. [J], et du principe de proportionnalité, la cour estime justifié de condamner M. [J] à la somme de 740'835 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif de la procédure collective de la SARL [J] investissements.

Le jugement querellé sera par conséquent infirmé en ce qu'il a condamné M. [J] à payer les sommes de 206'835 euros et 396'000 euros au titre de l'insuffisance d'actif.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Monsieur [J] qui succombe sera condamné aux dépens d'appel.

Il se trouve ainsi infondé en ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser supporter à Maître [M] ès qualités de l'intégralité des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens. Monsieur [J] sera condamné à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement querellé en ce qu'il a fixé le montant de l'insuffisance d'actif aux sommes de 369'000 euros et 206'835 euros';

Statuant à nouveau,

Condamne M. [U] [J] à payer entre les mains de Me [G] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [J] investissements, la somme de 740'835 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la société [J] investissements';

Condamne M. [U] [J] à payer à Maître [G] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [J] investissements'la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

Condamne Monsieur [U] [J] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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