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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 14 novembre 2025, n° 25/00400

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 25/00400

14 novembre 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°293

N° RG 25/00400 - N° Portalis DBVH-V-B7J-JPFF

AV

COUR D'APPEL DE MONPELLIER

04 février 2025 RG :24/02722

[O]

C/

[J]

Organisme ORDRE DES AVOCATS DES PYRENEES-ORIENTALES

[C]

Organisme CHAMBRE DES NOTAIRES DES PYRENEES ORIENTALES

S.E.L.A.S. RFCB

Copie exécutoire délivrée

le 14/11/2025

à :

Me [Localité 16] LEONARD

Me Laurie KACI

Me Jean-michel DIVISIA

Me Philippe RECHE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 14 NOVEMBRE 2025

Décision déférée à la cour : Arrêt du Cour d'Appel de MONPELLIER en date du 04 Février 2025, N°24/02722

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Nathalie ROCCI, Présidente, et Madame Agnès VAREILLES, Conseillère, ont entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Nathalie ROCCI, Présidente

Agnès VAREILLES, Conseillère

Christine CODOL, Présidente,

GREFFIER :

Madame Isabelle DELOR, Greffière à la Chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 Octobre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 Novembre 2025.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

Mme [V] [O]

née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 12]

[Adresse 11]

[Localité 9]

Représentée par Me Romain LEONARD de la SELARL LEONARD VEZIAN CURAT AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Philippe AYRAL de la SCP AYRAL-CUSSAC, Plaidant, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

INTIMÉS :

M. [G] [J]

né le [Date naissance 2] 1980 à [Localité 15]

[Adresse 10]

[Localité 6]

Représenté par Me Laure TIDJANI BENHAFESSA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représenté par Me Laurie KACI, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Organisme ORDRE DES AVOCATS DES PYRENEES-ORIENTALES prise en la personne de son Bâtonnier en exercice

[Adresse 5]

[Localité 9]

Représentée par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

Me [U] [C] es-qualités de liquidateur de la SELAS RFCB,

né en à

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représenté par Me Philippe RECHE de la SELARL CHABANNES-RECHE-BANULS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

Organisme CHAMBRE DES NOTAIRES DES PYRENEES ORIENTALES, représentée par son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social,

[Adresse 4]

[Localité 9]

S.E.L.A.S. RFCB immatriculée au RCS de [Localité 14] sous le n° 824 980 411, représentée par Monsieur [W] [M] et Madame [B] [T], domiciliés en cette qualité au siège de la liquidation,

[Adresse 7]

[Localité 9]

Représentée par Me Philippe RECHE de la SELARL CHABANNES-RECHE-BANULS, Postulant, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 09 Octobre 2025

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 14 Novembre 2025, par mise à disposition au greffe de la cour

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l'appel interjeté le 24 mai 2024 par Madame [V] [O] à l'encontre du jugement rendu le 13 mai 2024 par le tribunal judiciaire de Narbonne dans l'instance n° 23/00015 ;

Vu l'avis de fixation de l'affaire à l'audience du 16 octobre 2025 ;

Vu l'arrêt du 4 février 2025 (n° RG 24/02722) rendu par la chambre commerciale de la cour d'appel de Montpellier déclarant recevable l'exception d'incompétence et renvoyant l'affaire devant la 4ème chambre commerciale de la cour d'appel de Nîmes ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 9 octobre 2025 par Madame [V] [O], appelante à titre principal, intimée à titre incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 8 juillet 2025 par Maître [U] [C], intimé à titre principal et à titre incident, ès qualités de mandataire liquidateur de la SELAS RFCB, suivant jugement du 16 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Narbonne (n° RG 23/00015), et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 6 octobre 2025 par la SELAS RFCB, intimée à titre principal, appelante à titre incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 8 octobre 2025 par Monsieur [G] [J], intimé à titre principal et à titre incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 26 septembre 2025 par l'Ordre des avocats du barreau des Pyrénées-Orientales,

Vu les conclusions du ministère public déposées le 24 septembre 2025,

Vu l'ordonnance du 25 février 2025 de clôture de la procédure à effet différé au 9 octobre 2025.

Sur les faits

Madame [V] [O] a exercé la profession d'avocat dans le cadre de la société d'exercice pluriprofessionnelle, d'avocats et de notaires, et inter barreaux [N]-[O]-[J]-[M], ci-après la société RFCB.

Lors de l'assemblée générale du 29 décembre 2020, la société RFCB, ayant alors pour associés, quatre avocats, Monsieur [K] [N], Madame [V] [O],Monsieur [G] [J], Madame [B] [T] et deux notaires, Monsieur [W] [M] et Madame [D] [Z], ainsi qu'une société holding détenue par Madame [B] [T], s'est engagée à acquérir au prix de 200 000 euros le fonds d'exercice libéral de Madame [V] [O], qui avait fait l'objet d'un commodat (un prêt à usage).

La société RFCB refusant de s'exécuter, Madame [V] [O] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats des Pyrénées-orientales en vertu d'une clause compromissoire enserrée dans le commodat. Par décision du 27 octobre 2022, le bâtonnier de l'ordre des avocats a dit la vente des éléments du commodat de Madame [V] [O] au profit de la société RFCB réalisée au prix de 200 000 euros.

Par arrêts du 16 mai 2023, la cour d'appel de Montpellier a jugé irrecevables les deux appels formés par la société RFCB contre cette décision et conféré l'exequatur à la décision d'arbitrage du bâtonnier du 27 octobre 2022.

Un pourvoi en cassation a été interjeté mais uniquement à l'encontre de l'arrêt enregistré sous le numéro RG 22/5758.

Le 18 juillet 2022, l'assemblée générale de la société RFCB a décidé la cession de l'office notarial de [Localité 13].

Le 5 octobre 2022, l'assemblée générale des associés de la société RFCB a décidé la vente de l'office notarial de [Localité 14] et la distribution des bénéfices.

Le 14 octobre 2022, Madame [Z] et Monsieur [W] [M] ont demandé au Garde des sceaux leur retrait de notaires associés de la société RFCB, sous la condition suspensive de leur nomination au sein de l'office notarial détenu par la société en cours de formation In'nova.

Le 16 novembre 2022, la société RFCB a vendu l'office notarial de [Localité 14] à la société In'nova, en cours de formation, au prix de 400 000 euros, sous condition suspensive de la parution de l'arrêté de nomination de Madame [Z] et Monsieur [W] [M] en qualité de notaires associés au sein de la société In'nova.

Le 17 mai 2023, a été dressé par Me [A], notaire associé à [Localité 17], un acte contenant quittance simple, à la suite de la réception par la société RFCB du prix de vente de 400 000 euros du fonds libéral de notaires de [Localité 14].

Le 27 janvier 2023, l'assemblée générale de la société RFCB a voté la modification des statuts par la suppression de la clause de non-concurrence et des délais de prévenance en cas de retrait d'un associé, la restitution du commodat de Monsieur [K] [N] ainsi que la dissolution anticipée de la société RFCB. Madame [B] [T], avocate, et Monsieur [W] [M], notaire, ont été désignés en qualité de liquidateurs amiables.

Le 24 février 2023, l'assemblée générale a voté la distribution des bénéfices de l'exercice clos le 31 décembre 2022.

Le 2 mars 2023, le garde des sceaux a accepté le retrait de Madame [D] [Z] et de Monsieur [W] [M] de la société RFCB et a nommé la société In'nova, notaire à la résidence de [Localité 14].

En vertu d'une autorisation du 16 février 2023 du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Perpignan, Madame [V] [O] a fait procéder, le 24 février 2023, entre les mains de la Banque des territoires à une saisie conservatoire qui a permis de rendre indisponible la somme de 56 900,65 euros. Cette saisie conservatoire a été convertie en saisie-attribution le 30 mai 2023, suite aux deux arrêts de la cour d'appel de Montpellier du 16 mai 2023. La conversion a été dénoncée le 31 mai 2023 à la société débitrice saisie.

Le 9 juin 2023, Madame [V] [O] a procédé à une saisie-attribution entre les mains du notaire chargé de la vente de l'office notarial. Le notaire a répondu qu'il ne disposait plus des fonds depuis le 2 juin 2023.

Le 16 juin 2023, Madame [V] [O] a procédé à des mesures de saisies-attribution en vue du recouvrement de sa créance auprès de la Banque des territoires et de la Banque populaire du Sud. Les deux saisies ont été dénoncées à la société RFCB, par actes du 23 juin 2023.

Par jugement du 5 novembre 2024, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Carcassonne a :

- dit que les demandes concernant la saisie-attribution diligentée le 16 juin 2023 entre les mains de la banque populaire du Sud sont devenues sans objet du fait de la mainlevée donnée par Madame [V] [O] ;

- dit que les demandes de la société RFCB représentée par Maître [U] [C], ès qualités de mandataire liquidateur, relatives à la saisie-attribution diligentée entre les mains de la banque des territoires, sont irrecevables ;

- fixé au passif de la société RFCB la créance de Madame [O] à hauteur de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- condamné la société RFCB, représentée par Maître [U] [C], ès qualités de mandataire liquidateur, aux entiers dépens.

Cette décision a été frappée d'appel devant la cour d'appel de Montpellier.

Sur la procédure

Le 8 juin 2023, la société RFCB a effectué une déclaration de cessation des paiements dans laquelle elle a demandé que la date en soit fixée au 16 mai 2023.

Par jugement du 16 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Narbonne a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société RFCB, désigné Monsieur [U] [C] en qualité de liquidateur judiciaire, fixé la date de cessation des paiements au 16 mai 2023 et rejeté l'intervention volontaire de Monsieur [G] [J].

Le 24 novembre 2023, Madame [V] [O] a formé une tierce-opposition contre ledit jugement, en invoquant un moyen propre tiré de l'effet attributif immédiat des saisies-attribution et une fraude à ses droits.

Par jugement du 19 février 2024, le tribunal judiciaire de Narbonne a ordonné une réouverture des débats au regard de la créance au titre de la cession de l'office notarial, ainsi que sur les actifs mobiliers.

Par jugement du 13 mai 2024, le tribunal judicaire de Narbonne :

« Déclare recevable la tierce-opposition formée par Madame [V] [O],

Rejette l'exception d'incompétence,

Rétracte le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Narbonne le 16 octobre 2023 en ce qu'il fixe l'état de cessation de paiements à la date du 16 mai 2023,

Dit que l'état de cessation de paiement est constitué au 16 octobre 2023,

Dit que le jugement du 16 octobre 2023 demeure valable pour le surplus,

Désigne le bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 14] aux fins d'exercer les actes de la profession,

Dit que l'autorité de la chose jugée de la tierce opposition est opposable toutes les parties ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Dit que les dépens de l'instance seront mis à la charge de la SELAS RFCB ;

Rappelle que la présente décision est exécutoire par provision. ».

Madame [V] [O] a relevé appel le 24 mai 2024 de ce jugement pour le voir infirmer, annuler, ou réformer en ce qu'il a :

- rejeté l'exception d'incompétence ;

- dit que l'état de cessation de paiement est constitué au 16 octobre 2023.

- dit que le jugement du 16 octobre 2023 demeure valable pour le surplus ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par arrêt du 4 février 2025, la cour d'appel de Montpellier a, au visa des articles 47 du code de procédure civile et 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, :

- déclaré recevable l'exception de procédure soulevée ;

- renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes ;

- dit que le dossier de l'affaire sera transmis par le greffe à la juridiction désignée ;

- réservé les dépens.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, Madame [V] [O], appelante à titre principal, intimée à titre incident, demande à la cour de :

« In limine litis

Ordonner à la SPELAS RFCB de communiquer « l'édition des créances déclarées et vérifiées »

Renvoyer l'affaire dans l'attente de cette communication.

A défaut de renvoi,

Rejeter l'exception d'irrecevabilité de l'intervention de M. [J]

« Déclarer Madame [V] [O] recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit,

Confirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée recevable en sa tierce opposition tenant à la fraude à ses droits,

Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le défaut de cessation de paiement à la date du 16 mai 2023.

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

Dit que la date de cessation de paiement est constituée au 16 octobre 2023

Dit que le jugement du 16 octobre 2023 demeure valable pour le surplus

Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

Et statuant à nouveau,

Vu les articles 31, 582, 583 et 591 du code de procédure ensemble les articles L.661-2 et L.661-1 du code de commerce

Déclarer recevable Madame [O] en sa tierce opposition tant au regard de son moyen propre que sur la fraude à ses droits,

Déclarer recevable Madame [O] en sa tierce opposition, portant sur tous les chefs contestés du jugement rendu le 16 octobre 2023

Débouter la SELAS RFCB de son appel incident subsidiaire tendant à voir juger Madame [O] irrecevable en son appel

Débouter la SPELAS RFCB de son appel incident tendant à voir juger établie la cessation de paiement à la date du 16 mai 2023

Rejeter les pièces 14 à 16 visées par la société RFCB en application de l'article 16 du code de procédure civile

Ordonner à la SPELAS RFCB de communiquer l'édition des créances déclarées et vérifiées.

Ordonner à la SPELAS RFCB de communiquer les créances déclarées indiquées dans sa pièce n°16.

Débouter la SPELAS RFCB de sa demande de voir fixer au 15 novembre 2025 la date de cessation de paiement.

En conséquence,

Vu l'article L.631-1 du code de commerce

Juger que l'état de cessation des paiements n'est pas constitué le 16 octobre 2023

En tout état de cause,

Vu le principe selon lequel la fraude corrompt tout,

Juger que la déclaration de cessation de paiement est établie en fraude des droits de Madame [O]

Juger n'y avoir lieu à liquidation

Débouter la SELAS RFCB de sa demande d'ouverture de liquidation judiciaire et de toutes ses demandes

Condamner la SELAS RFCB à payer à Madame [V] [O] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Subsidiairement

Dans l'hypothèse où la cour jugerait l'état de cessation de paiement constitué, en fixer la date au jour où la cour statuera

Laisser la charge des dépens à la SELAS RFCB.»

S'agissant de sa demande de rejet de la pièce n°16, Madame [V] [O] indique qu'elle ne lui a été communiquée que la veille de la clôture. Le document ne correspond pas au document intitulé « édition des créances déclarées et vérifiées » invoqué.

Au soutien de ses prétentions, Madame [V] [O] expose que, du fait de l'effet attributif immédiat de la saisie-attribution pratiquée avant le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, elle a un droit propre à former tierce opposition. Il n'y a pas lieu de distinguer le « moyen propre » ou le « droit » propre. La qualification de la procédure ouverte par la décision (redressement judiciaire ou liquidation judiciaire), objet de la tierce opposition, n'a aucune incidence sur la qualification de son droit propre. L'intérêt à agir au sens de l'article 583 ne se confond pas avec l'appréciation des chefs préjudiciables au tiers opposant visés par l'article 591 lesquels seront appréciés par la juridiction, rétractés ou non, après examen au fond et donc après avoir admis la recevabilité de la tierce opposition. Dès lors, la question du préjudice subi par les chefs de jugement primitif est seconde. L'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration du bien-fondé de l'action. Le jugement du 16 octobre 2023 qui ouvre la procédure de liquidation judiciaire de la SELAS, lui porte préjudice puisque la saisie-attribution est toujours doublement contestée devant la cour d'appel de Montpellier et la cour de céans.

L'appelante précise que tous les chefs du jugement critiqués affectent son droit de créancière mais également ses droits d'associée, la liquidation amiable n'ayant pas été portée à son terme du fait de la liquidation judiciaire. Elle est recevable en sa demande de voir rétracter le jugement en ce qu'il ouvre la liquidation judiciaire et pas seulement en ce qu'il fixe la date de cessation des paiements.

L'appelante fait valoir que la société RFCB ne pouvait être en état de cessation des paiements le 16 mai 2023 alors qu'elle a donné quittance du prix de vente de l'office notarial de [Localité 14] le 17 mai 2023. Rien ne démontre que son redressement judiciaire était manifestement impossible.

L'appelante souligne que la cessation de paiement n'est pas non plus constituée au 16 octobre 2023. Ne peuvent être ajoutés au passif les prêts bancaires devenus exigibles du fait du jugement de liquidation. La société RFCB ne rapporte pas la preuve de l'état de cessation de paiement qu'elle déclare. Aucune modification ni de l'actif disponible ni du passif exigible n'est alléguée, ni même intervenue entre le 16 mai 2023 et le 16 octobre 2023 puisque la société n'avait plus aucune activité. L'actif bancaire n'est pas justifié. L'exercice des deux notaires associés pour la période du 1er janvier au 9 mars 2023 a généré des créances clients, d'autres créances et d'autres disponibilités pour un total de 177.793,24 euros qui ne figurent en aucune façon dans les documents produits par la société RFCB. Les honoraires perçus par Madame [T], au titre de son activité d'avocate dans la SELAS, avant son départ, n'ont pas été comptabilisés. La société RFCB démontre elle-même avoir payé des sommes indues (achat d'un ordinateur, paiement de cotisations ordinales, frais de greffe) de sorte que, pour le moins, l'actif est supérieur au montant retenu par le premier juge. La somme de 56 900 euros déclarée à l'actif a été payée consécutivement à la conversion de la saisie conservatoire non contestée, et elle doit être déduite du passif qui ne pouvait excéder 171 811,88 euros.

L'appelante indique qu'en décidant le 24 janvier 2023 d'une liquidation conventionnelle, la SELAS RFCB s'est donc considérée in bonis. En effectuant une déclaration erronée du montant de l'actif et du passif, la société RFCB a voulu donner l'apparence d'être en état de cessation de paiement, ce qui est constitutif d'une fraude. La société s'est privée de sa trésorerie et l'a obérée par la distribution de bénéfices conséquents et le paiement de factures indues ou de prestations générées après dissolution, en connaissance de cause. Tous les associés et pas seulement Madame [V] [O] ont été remboursés de leurs comptes courants. La société a provoqué les difficultés en cédant l'office notarial à vil prix. L'état des immobilisations fourni par la société RFCB, incomplet, rend la vérification de l'actif incorporel et corporel impossible. De l'aveu de la SELAS RFCB, les actifs présents à [Localité 13] ont été repris par In'nova. La société a cédé sans contrepartie le fonds d'exercice libéral de la profession d'avocat, sauf celui repris par Monsieur [N].

Madame [V] [O] rétorque que l'autorisation pour Monsieur [G] [J] d'exercer sa profession en dehors de la société ne lui a pas fait perdre, « à ce jour », sa qualité d'associé. Il est recevable en son intervention volontaire.

Dans ses dernières conclusions, la société RFCB, intimée à titre principal, appelante à titre incident, demande à la cour, au visa des articles 47 et 583 du code de procédure civile et R. 600-1 et L. 661-2 du code de commerce, de :

« - Dire irrecevable l'intervention volontaire de Maître [J],

- En toute hypothèse le débouter de ses demandes, fins et conclusions

- Dire irrecevable Maître [O] en sa tierce opposition,

En conséquence,

- Réformer la décision dont appel en date du 13 mai 2024 et dire que la décision en date du 16 octobre 2023, prononçant la liquidation judiciaire et fixant la cessation de paiement au 16 mai 2023, devant reprendre son plein et entier effet,

À titre subsidiaire,

- Confirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions,

A titre très subsidiaire,

- Juger, en faisant usage de l'effet dévolutif de l'appel et du pouvoir d'évocation, en cas d'infirmation de la décision dont appel en ce qu'elle a prononcé la liquidation

judiciaire de la Selas RFCB, qu'au jour où la cour d'appel statuera, l'état de cessation

des paiements est en tout état de cause avéré, et qu'il y a, en conséquence, lieu de prononcer la liquidation judiciaire de la Selas RFCB avec effet au 15 novembre 2024,

date à laquelle a été vérifié le passif exigible de la société RFCB ;

- Débouter en conséquence Maître [O] de sa demande visant à voir juger l'absence de cessation de paiement et ainsi l'impossibilité de mettre en liquidation judiciaire la Selas RFCB ;

En toutes hypothèses,

- Condamner Maître [O] et Maître [J] chacun à payer à la SELAS RFCB 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ».

Au soutien de ses prétentions, la société RFCB, intimée à titre principal, appelante à titre incident, expose que Maître [J] n'a aujourd'hui plus la qualité d'associé, ce qui ne lui ouvre pas droit à former la moindre intervention volontaire. De plus, il se trouve assez mal fondé à contester la situation financière de la société alors même qu'il a participé grandement à son appauvrissement.

L'intimée souligne qu'un associé est représenté à l'instance par le dirigeant social de sorte que la voie de la tierce opposition lui est fermée. S'agissant de sa qualité de créancière chirographaire, Madame [V] [O] confond l'intérêt propre et les moyens propres. Elle ne fait pas la démonstration de moyens que les autres créanciers ne peuvent invoquer. En l'absence de moyens propres, sa tierce opposition est irrecevable.

L'intimée réplique que la thèse de la mise en liquidation judiciaire à des fins frauduleuses n'a aucun sens. La disparité entre les actifs figurant au bilan et la prétendue déclaration à hauteur de 965 euros s'explique par l'amortissement de l'immobilisation incorporelle outil informatique, la cession de l'office notarial et le départ de Me [J] de la société avec sa clientèle.

L'intimée rétorque que le prix qu'elle a retiré de la cession de l'office notarial est juste, se situant dans la fourchette d'estimation retenue par un expert. Il est mensonger de soutenir que des créances auraient été réglées indument pour le compte de la société In'nova. La société RFCB a du faire face à de multiples procédures diligentées par Madame [V] [O] et son fils. La société RFCB n'était plus en mesure d'exercer les professions d'avocat et de notaire, étant suspendue par l'Ordre des avocats de [Localité 13] mais aussi par l'Ordre des avocats des Pyrénées-Orientales, à la demande de Madame [V] [O] et de son fils. Madame [T] n'a exercé dans la société In'nova que suite à l'autorisation du Conseil de l'Ordre et après la dissolution de la société RFCB intervenue le 10 mars 2023.

L'intimée indique que les prêts, suite à l'impossibilité pour la société d'exercer la profession d'avocat et à la cession de l'office publiée le 9 mars 2023, sont devenus exigibles. Elle ne pouvait plus faire face à son passif de plus d'un million d'euros alors que ses disponibilités ne s'élevaient qu'à la somme de 290 000 euros. Il n'y avait pas de possibilité de rétablir la situation dans la mesure où elle n'avait plus d'activité. Au bilan au 31décembre 2022, sur le prix de vente de l'Office de [Localité 13] et le PGE, il ne restait plus que 170 000 euros. Madame [V] [O], son fils et Monsieur [K] [N], ont demandé le remboursement de leurs comptes courants pour un montant total de 130 000 euros. Outre ses charges courantes, la société RFCB a dû faire face à des frais d'avocats d'un montant global de 100 000 euros sur l'année 2022 et 57 000 euros en 2023 ainsi qu'au paiement des soldes de tout compte des salariés, pour un montant de 45 000 euros environ.

À titre subsidiaire, la SELAS RFCB précise que les trois saisies-attribution pratiquées par Madame [V] [O] les 13 et 16 juin 2023 ont réduit le montant de son actif disponible. L'arrêté des créances déclarées et vérifiées le 15 novembre 2024 révèle un passif privilégié et chirographaire d'un montant de 621.650,11 euros.

Dans ses dernières conclusions, M. [G] [J], intimé à titre principal et à titre incident, demande à la cour, au visa des articles L 621-1 et suivants du code de commerce, et des articles R 600-1 et suivants du code de commerce, de :

« Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Narbonne du 13 mai 2024

In limine litis

Ordonner la communication de l'état des créances "déclarées et vérifiées" produit par la société RFCB et son liquidateur

Ordonner la production des déclarations de créances

Renvoyer l'affaire à la mise en état.

Déclarer M. [G] [J] recevable et bien fondé en son intervention volontaire,

Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Narbonne du 13 mai 2024 en ce qu'il a déclaré Madame [O] recevable et bien fondé en sa tierce opposition,

Juger n'y avoir lieu à cessation des paiements,

Juger n'y avoir lieu à liquidation judiciaire,

Juger que la déclaration de cessation des paiements est frauduleuse,

Débouter la société RFCB de sa demande d'ouverture de liquidation judiciaire

Débouter la société RFCB de l'intégralité de ses demandes,

Débouter Maitre [U] [C] es qualité de l'intégralité de ses demandes,

Condamner la société RFCB aux dépens de l'instance.»

Monsieur [G] [J] indique que le mandataire liquidateur et la SELAS RFCB n'ont communiqué en pièce n°16 qu'une édition non signée des créances déclarées et non pas une édition des créances déclarées et vérifiées dans le cadre de la liquidation judiciaire.

Monsieur [G] [J] soutient qu'il est créancier de la société RFCB et qu'à ce titre, il a été admis au passif de la RFCB. Il a donc intérêt à agir. Il démontre et justifie d'un intérêt pour la conservation de ses droits à intervenir dans le cadre de la demande de liquidation judiciaire, en application de l'article 330 du code de procédure civile. En matière de procédure collective, le litige est indivisible, de telle sorte que la décision rendue sur tierce opposition de Madame [V] [O] aura des effets à l'égard de toutes les parties.

Monsieur [G] [J] explique que la SELAS RFCB n'est pas en état de cessation des paiements. La notion de cessation des paiements ne se résume pas à une notion comptable calculée à partir des éléments statiques du bilan. La SELAS RFCB qui sollicite l'ouverture d'une procédure collective, doit rapporter la preuve de l'état de cessation des paiements. Le tribunal qui reconnaît ne pas disposer de l'ensemble des éléments financiers, sociaux, comptables, économiques lui permettant d'apprécier la réalité de la situation de la SELAS RFCB n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et aurait pu ordonner une expertise. Les éléments déclarés par la société RFCB sont soit erronés, soit incomplets, soit injustifiés s'agissant du matériel informatique, des éléments mobiliers. Le fonds d'avocat de Monsieur [G] [J] n'est pas valorisé et celui de Madame [T] n'est même pas déclaré. La suppléance de Monsieur [G] [J] démontre que la clientèle constituant son fonds libéral apporté et exploité au sein de la société RFCB a perduré. La volonté de minorer l'actif est manifeste, le fond libéral de Madame [V] [O] apparaissant avec la mention "mémoire". Le dépôt de garantie, versé lors de la prise à bail des locaux professionnels occupés par la SELAS RFCB, n'est pas déclaré. La dette locative est couverte par ce dépôt. Selon le bilan comptable de la SELAS RFCB au 31 décembre 2022, elle détenait des liquidités au 31 décembre 2022, un montant de 1.510.449 euros. L'actif circulant des créances pour 335 741 euros permet de faire face au passif réel de la SELAS RFCB. Le montant de l'actif déclaré lors de l'établissement de la déclaration de cessation des paiements est manifestement tronqué pour être minimisé.

Monsieur [G] [J] précise que le passif exigible ne peut comprendre les créances mentionnées au profit des établissements bancaires qui ne sont pas exigibles à la date de la déclaration de cessation de paiements. Les dettes ne sont pas justifiées. Celles qui sont à échoir doivent être exclues. La créance de Madame [V] [O] s'élève à la somme de 145.293,22 euros, après déduction des fonds, objet de la saisie conservatoire convertie en saisie-attribution.

Monsieur [G] [J] expose que la déclaration de cessation des paiements a été établie sciemment, de manière erronée, pour achever un procédé visant à écarter les règles applicables en matière de mésentente. La mise à l'écart de Monsieur [G] [J] et de Madame [V] [O] a été orchestrée. Les associés et organes dirigeants de la société RFCB se sont cédés une partie de l'actif au bénéfice d'une société concurrente, qu'ils ont créée, dont ils sont associés et également dirigeants. L'expertise de la valeur de l'office notarial est dépourvue de toute substance et ne sert qu'à donner l'apparence d'un prix sérieux et objectif. L'utilisation de moyens déloyaux, à savoir la violation des règles statutaires, aux fins d'obtenir un avantage indu caractérise la fraude. Pour éluder les règles de la dissolution anticipée, notamment celles relatives aux comptes de liquidation amiable, mais également, pour tenter de faire obstacle au paiement du fonds libéral de Madame [V] [O], Madame [T] et Monsieur [M] ont déposé la déclaration de cessation des paiements manifestement erronée pour le compte de la SELAS RFCB.

Maître [U] [C], intimé à titre principal et à titre incident, ès qualités, s'en remet à la sagesse de la cour concernant le bien-fondé de l'appel interjeté par Madame [O] et les appels incidents formulés. Il demande que la partie succombante soit condamnée aux entiers dépens d'appel.

L'Ordre des avocats du barreau des Pyrénées-Orientales s'en remet à justice sur les demandes qui sont présentées.

Le ministère public conclut qu'il y a lieu de s'en rapporter.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

MOTIFS

1) Sur la demande de rejet des pièces n°14 à 16 de la SELAS RFCB

Madame [V] [O] sollicite le rejet des pièces n°14 à 16 de la SELAS RFCB. Cependant, elle reconnaît, dans ses écritures, que ces pièces lui ont été finalement communiquées le 8 octobre 2025, veille de la clôture.

Les conclusions et pièces déposées le jour de l'ordonnance de clôture sont réputées signifiées avant celle-ci (Com. 4 juillet 2006, n°04-19.577). Il convient seulement rechercher si elles ont été déposées en temps utile (2e Civ., 25 février 2010, n° 09-13.400).

En l'occurrence, les pièces n°14 et 15 sont des échanges de courriers relatifs à la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée entre les mains de la Banque populaire du Sud que Madame [V] [O] a accepté de donner. Ces pièces concernent donc un fait objectif et au demeurant non contesté et n'appellent aucun commentaire particulier. Par ailleurs, Madame [V] [O] a procédé, dans ses conclusions notifiées le 9 octobre 2025, à une analyse critique de la pièce n°16 de sorte qu'elle a été en mesure de préparer sa défense. Il n'y a donc pas lieu d'écarter les pièces n°14 à 16 de la SELAS RFCB qui ont été déposées en temps utile.

2) Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de Monsieur [G] [J]

Les chefs du jugement, qui ne sont pas critiqués par celui qui exerce la tierce opposition selon l'article 582 du code de procédure civile, sont regardés comme définitivement acquis à son égard (1re Civ., 21 novembre 2000, n° 98-13.860).

La tierce opposition formée le 24 novembre 2023 par Madame [V] [O] n'a pas porté sur la disposition du jugement du 16 octobre 2023 qui a rejeté l'intervention volontaire de Monsieur [G] [J]. Ce dernier n'était donc pas partie à l'instance ayant abouti à la décision susvisée dont la rétractation est demandée.

Eu égard au caractère limité de l'effet dévolutif de la tierce opposition, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'ils n'avaient pas à examiner les prétentions de Monsieur [G] [J].

3) Sur la recevabilité de la tierce opposition

La pièce n°16 est dénommée à tort 'Edition des créances déclarées et vérifiées dans le cadre de la liquidation judiciaire de la SELAS RFCB' dans le bordereau de communication de pièces de cette dernière alors qu'il s'agit à l'évidence d'une simple édition des créances déclarées au passif de la procédure collective auprès de Me [C], ès qualitès.

La communication des déclarations de créance et d'une édition des créances vérifiées n'est pas utile pour apprécier la recevabilité de la tierce opposition qui suppose que soit démontrée l'existence d'un moyen propre ou d'une fraude aux droits de Madame [V] [O] et non le caractère mal fondé de la demande de liquidation judiciaire.

L'article L. 661-3 du code de commerce dispose que :

' Les décisions arrêtant ou modifiant le plan de sauvegarde ou de redressement ou rejetant la résolution de ce plan sont susceptibles de tierce opposition.'

Aux termes de l'article 583 du code de procédure civile, alinéas 1 et 2 du code de procédure civile, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque. Un créancier représenté au jugement qu'il attaque peut former tierce opposition au jugement rendu en fraude de ses droits ou s'il invoque des moyens qui lui sont propres.

Madame [V] [O] se prévaut tout d'abord de sa qualité de créancière de la SELAS RFCB.

En matière de procédure collective, le créancier est représenté par le mandataire ou le liquidateur judiciaire.

Il résulte des dispositions susvisées que la tierce opposition exercée par un créancier contre le jugement prononçant la liquidation judiciaire de son débiteur n'est recevable que s'il démontre que ce jugement a été rendu en fraude de ses droits ou s'il fait état d'un moyen propre. Un moyen propre ne peut tendre à la contestation d'un effet inhérent à la procédure, ni être commun à tous les créanciers.

Le moyen tiré de l'absence d'état de cessation des paiements, que ce soit à la date du 16 mai ou du 16 octobre 2023, est un moyen commun à l'ensemble des créanciers puisque l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire est subordonnée à la constatation de la cessation des paiements. Il en est de même du moyen tiré de la possibilité sérieuse de redressement de la société.

Madame [V] [O] se prévaut également du moyen propre découlant de l'effet attributif de la saisie-attribution.

Le seul fait, pour un créancier, d'avoir pu pratiquer des mesures conservatoires privées d'effet par l'ouverture de la procédure collective de son débiteur, ne suffit pas à justifier du caractère propre du moyen qu'il invoque, tout créancier antérieur subissant les conséquences de l'interdiction des voies d'exécution (Com., 1 juillet 2020, n° 18-23.884).

En l'occurrence, la saisie-attribution du 16 mai 2023 pratiquée entre les mains de la Banque populaire du Sud a donné lieu à une mainlevée amiable. La saisie conservatoire du 24 février 2023 entre les mains de la Banque des territoires a été convertie en saisie-attribution le 30 mai 2023, soit antérieurement à l'ouverture de la procédure collective. La saisie-attribution du 16 mai 2023 entre les mains de la Banque des territoires est également antérieure à l'ouverture de la procédure collective. Elle a fait l'objet devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Carcassonne puis la cour d'appel de Montpellier de contestations qui n'ont pas abouti à son annulation ou sa mainlevée.

C'est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'en vertu des dispositions de l'article L.211-2 du code des procédures civiles d'exécution, le jugement de liquidation judiciaire du 16 octobre 2023 ne remettait pas en cause les effets attributifs immédiats des saisies-attribution antérieures à son prononcé. Ce faisant, ils n'ont pas porté une appréciation sur le bien fondé de la tierce opposition au jugement de liquidation judiciaire qui suppose d'établir que la société débitrice se trouve en état de cessation des paiements et que son redressement est manifestement impossible, mais sur l'existence du moyen propre, condition de recevabilité de la tierce opposition.

Madame [V] [O] ne démontre donc pas en quoi l'ouverture de la liquidation judiciaire affecte ses droits de créancière alors que la procédure collective n'a pas privé d'effet les mesures d'exécution qu'elle a entreprises. Par ailleurs, ses droits ne sont pas remis en cause par la date à laquelle il est demandé à la présente cour, par la voie de l'appel incident, de fixer la cessation des paiements. En effet, la saisie conservatoire convertie en saisie-attribution avant le jugement d'ouverture de la procédure collective échappe aux nullités de la période suspecte. De même, les mesures d'exécution pratiquées pendant la période suspecte échappent à la nullité de droit et la nullité facultative n'est prononcée que si le demandeur à la nullité rapporte la preuve de la connaissance, par le créancier saisissant, de la cessation des paiements du débiteur. Ainsi, Madame [V] [O] n'établit pas que la date de la cessation des paiements, mentionnée provisoirement dans le jugement prononçant la liquidation judiciaire de la SELAS RFCB, porte atteinte à ses droits.

Madame [V] [O] se prévaut également de sa qualité d'associée de la société RFCB.

Si l'associé est, en principe, représenté, dans les litiges opposant la société à des tiers, par le représentant légal de la société, il est néanmoins recevable à former tierce-opposition contre un jugement auquel celle-ci a été partie s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre (Com., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-14.839).

Madame [V] [O] allègue une atteinte à ses droits d'associée qui consisterait en la privation de la possibilité de les faire valoir dans le cadre de la liquidation conventionnelle décidée le 27 janvier 2023 et en l'atteinte à son droit moral par le caractère infamant de la procédure collective.

Le caractère infamant de la liquidation judiciaire et la relation personnelle de Madame [V] [O] avec certains créanciers ne sont pas avérés. Madame [V] [O] ne saurait utilement soutenir avoir été privée de la reprise de son fonds libéral, dans le cadre de la liquidation amiable, alors que, précisément, elle en a obtenu la vente forcée à la SELAS RFCB. L'atteinte aux droits d'associée alléguée par Madame [V] [O] n'est en définitive que la conséquence indirecte de l'atteinte aux droits de la société, elle-même, du fait de la liquidation judiciaire prononcée.

La représentation cesse en cas de fraude. Il appartient au tiers opposant d'alléguer et d'établir cette fraude (Com., 15 juillet 1975).

Le seul fait que le jugement de liquidation judiciaire soit contraire aux intérêts de Madame [V] [O] n'implique pas l'existence d'une fraude à son égard.

En l'espèce, la demande d'ouverture de la procédure collective effectuée le 8 juin 2023 ne peut avoir eu pour but exclusif de faire échec aux mesures de saisies-attribution du 16 juin 2023 qui n'ont été diligentées par Madame [V] [O] que postérieurement et cette demande ne remet pas non plus en cause la saisie conservatoire convertie en saisie-attribution le 30 mai 2023 qui a déjà produit tous ses effets. De plus, Madame [V] [O] n'était pas la seule créancière visée dans la déclaration de cessation des paiements qui faisait état de dettes sociales auprès de l'Urssaf, du CNBF, de la mutuelle des salariés, d'une dette de loyers pour le local de [Localité 14] et d'une dette Lextenso. L'Urssaf et le CNBF ont d'ailleurs déclaré leur créance au passif de la procédure collective.

La dissolution anticipée et la liquidation amiable de la SELAS RFCB ont été décidées le 27 janvier 2023. Si la SELAS RFCB s'est alors considérée comme en capacité de régler la totalité de son passif, il ne peut en être tiré de conséquence sur sa cessation des paiements ultérieure qui n'a fait l'objet d'une déclaration que le 8 juin 2023, soit quatre mois plus tard, après que soit devenue exécutoire la décision du bâtonnier de l'ordre des avocats des Pyrénées-orientales de vente forcée de la clientèle de Madame [V] [O]. De même, le fait que le notaire chargé de la vente ait attendu le 17 mai 2023 pour dresser l'acte de quittance du prix de vente de l'office notarial ne caractérise pas la fraude.

Madame [V] [O] conteste la réalité des difficultés de la société RFCB .

S'agissant des avoirs bancaires, des relevés bancaires ont été joints à la demande d'ouverture de la procédure collective pour justifier des avoirs sur le livret Optiplus et les comptes courants de la SELAS RFCB ouverts tant dans les livres de la Banque populaire du Sud (BPS) que de ceux de la Banque des territoires (Caisse des dépôts et consignations). La somme de 56 900,65 euros a bien été indiquée comme étant bloquée du fait d'une saisie-attribution sur le compte de la Banque des territoires.

S'agissant du quatrième compte bancaire de la SELAS RFCB que Madame [V] [O] lui reproche d'avoir omis de déclarer, le bilan actif détaillé du 1er janvier au 31 décembre 2022 mentionne qu'il s'agit d'un compte 'do étude', c'est à dire un compte de dépôt obligatoire sur lequel les notaires placent les fonds détenus pour le compte de tiers. Ce compte n'avait donc pas à être mentionné, lors de la demande d'ouverture de procédure collective. Il n'est pas ainsi démontré que la situation de trésorerie décrite dans la déclaration de cessation des paiements soit erronée. De même, le caractère fictif de la créance de loyers échus de la société civile immobilière Jacepa n'est pas établi alors qu'il résulte du rapport de la gérance à l'assemblée générale du 11 décembre 2023 que les loyers n'ont été réglés que jusqu'au 31 mai 2023 et que le bail n'était pas encore résilié au jour de la déclaration de cessation des paiements si bien que la société bailleresse n'avait pas restitué le dépôt de garantie.

L'état des immobilisations de la SELAS RFCB qui ne constituent pas un actif disponible est sans incidence sur la cessation des paiements. Il en est de même des créances à recouvrer et des fonds libéraux d'avocats indiqués pour mémoire, dans la déclaration de cessation des paiements.

La SELAS RFCB a mentionné, sur le formulaire, que les dettes exigibles s'élevaient à la somme de 306 025,35 euros comprenant la créance de Madame [V] [O] pour 202 193,87 euros. Il résulte de l'édition des créances déclarées auprès de Me [C], ès qualitès, que Madame [V] [O] a elle-même considéré que sa créance s'élevait à 202 193,87 euros, nonobstant la somme saisie de 56 900,65 euros sur le compte de la Banque des territoires.

Dans la déclaration de cessation des paiements, la SELAS RFCB n'a pas inclus dans les dettes exigibles les prêts bancaires non encore échus.

A l'évidence, la SELAS RFCB rencontrait des difficultés financières importantes qu'elle n'était pas en mesure de surmonter et qui l'ont conduite à procéder à la déclaration contestée de cessation des paiements. En effet, la SELAS RFCB, dont l'activité d'avocat avait été suspendue les 27 septembre 2022 et 5 janvier 2023 par les autorités ordinales et qui avait vendu l'office notarial, était dépourvue de toute source de revenus. Quand bien même les décisions ordinales avaient fait l'objet d'un appel suspensif, Maître [N] avait repris sa clientèle prêtée au titre d'un commodat tandis que Maître [J] avait été autorisé le 7 juin 2022 à exercer à titre individuel par le conseil de l'ordre de [Localité 13]. Le jugement entrepris relève également que la SELAS RFCB a indiqué que Me [T] n'avait fait que travailler sur la clientèle de Me [N], sans que cet argument ne soit combattu, et que Me [V] [O] qui avait fait valoir ses droits à la retraite (en juillet 2023), ne réalisait quasiment aucun chiffre d'affaires depuis le printemps 2022. Or, pour procéder à la liquidation amiable résultant de la dissolution anticipée de la société décidée le 27 janvier 2023, il était indispensable de procéder au remboursement anticipé des trois prêts contractés auprès de la Banque des territoires et de la BPS. Et il ressort des décomptes produits que, pour ce faire, la SELAS RFCB devait verser les sommes de 95 035,03, 41 704,79 et 246 648,44 euros alors qu'elle ne disposait pas d'une trésorerie suffisante. La SELAS RFCB pouvait donc légitimement craindre de ne pas pouvoir mener à son terme la liquidation amiable initialement envisagée puisque, du fait des arrêts rendus le 16 mai 2023 par la cour d'appel de Montpellier, elle était tenue de régler à la fois la créance de Madame [V] [O] devenue exigible et de solder les prêts bancaires en cours. La cessation des paiements était donc à tout le moins imminente.

Madame [V] [O] soutient qu'il ne s'est produit aucun élément nouveau depuis la décision de liquidation amiable de la SELAS RFCB. Toutefois, cette dernière fait observer que bien que n'ayant plus d'activité, elle a du faire face à ses charges courantes qui ont continué à courir, payer les soldes de tout compte des salariés pour un montant de 45 000 euros environ et rembourser les comptes courants de Madame [V] [O], Monsieur [N] et Monsieur [J] pour 130 000 euros, ce qui a eu nécessairement un impact sur sa trésorerie.

Madame [V] [O] prétend que la SELAS RFCB a créé elle-même les difficultés rencontrées en obérant sa trésorerie, en obérant son actif et en transférant sans contrepartie son entité économique à la société In'nova.

Il résulte du relevé de compte établi par Me [A], notaire à [Localité 17], qu'à la suite de la vente de l'office notarial au prix de 400 000 euros, la SELAS RFCB n'a perçu qu'un solde de 335 638 euros. En effet, d'après l'attestation de la bâtonnière de l'ordre des avocats des Pyrénées Orientales, le notaire a affecté une partie du prix de vente à hauteur de 2 000 et 2 496,66 euros au règlement des cotisations dues au titre de l'année 2023 par Madame [V] [O] et Monsieur [K] [N] au sein de la SELAS RFCB. Il est également justifié de l'affectation de la somme de 880 euros au règlement de cotisations dues par Madame [V] [O] au Conseil national des barreaux. Les factures de matériels et de prestations informatiques d'un montant de 6 074 euros acquittées ont été libellées à l'ordre de la SELAS RFCB. Il n'était pas non plus anormal que la SELAS RFCB règle les honoraires de ses conseils de 8 400, 12 300 et 17 800 euros et les frais de 2 298 euros dont elle était débitrice auprès du greffe du tribunal de commerce de Perpignan, ce dernier ayant confirmé, dans un courrier adressé à Me [O] le 22 juillet 2025 que sa réclamation du 5 avril 2023 concernait bien le compte de la SELAS RFCB arrêté au 31 mars 2023. Enfin, le prix de vente a servi à régulariser le découvert de 28 000 euros du compte ouvert auprès de la Banque populaire.

En tout état de cause, à supposer que la SELAS RFCB ait payé des sommes indues sur le prix de vente de l'office notarial, il reviendra au mandataire liquidateur d'exercer les actions nécessaires pour en obtenir la réintégration dans l'actif à liquider.

Les distributions de bénéfices ont fait l'objet de décisions de l'assemblée générale des associés en octobre 2022 et février 2023 et il n'entre pas dans la saisine de la présente cour de statuer sur leur validité. Il en est de même s'agissant de la fixation du prix de vente de l'office notarial qui a donné lieu à une délibération des associés. Les irrégularités dans les opérations de liquidation amiable, invoquées par Madame [V] [O], ne sauraient être confondues avec la fraude à ses droits découlant de la demande de liquidation judiciaire qu'il lui incombe d'établir pour rendre recevable sa tierce opposition.

Le transfert d'actifs sans contrepartie de la SELAS RFCB à la société In'nova, allégué par Madame [V] [O], est susceptible de donner lieu à une extension de la procédure collective à cette dernière, si la confusion des patrimoines est avérée, mais il ne permet pas non plus de caractériser l'intention frauduleuse dans l'obtention de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.

Par conséquent, Madame [V] [O] échouant à rapporter la preuve que le jugement du 16 octobre 2023 a été rendu en fraude de ses droits et n'invoquant pas des moyens qui lui sont propres, sa tierce opposition sera déclarée irrecevable.

4) Sur les frais du procès

Madame [V] [O] qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la SELAS RFCB et de lui allouer une indemnité de 2 500 euros, à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Déboute Madame [V] [O] de sa demande de rejet des pièces n°14 à 16 de la SELAS RFCB,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

Déclare Madame [V] [O] irrecevable en sa tierce opposition,

Dit que le jugement du 16 octobre 2023 du tribunal judiciaire de Narbonne doit reprendre son plein et entier effet,

Y ajoutant,

Condamne Madame [V] [O] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Condamne Madame [V] [O] à payer à la SELAS RFCB une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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