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CA Lyon, 3e ch. a, 13 novembre 2025, n° 22/05395

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 22/05395

13 novembre 2025

N° RG 22/05395 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OODG

Décision du

Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 13 juin 2022

RG : 2020j1184

ch n°

[T]

C/

Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 13 Novembre 2025

APPELANT :

Monsieur [Y] [T],

né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 7] (16),

de nationalité française,

demeurant [Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me Samayar MANALAI, avocat au barreau de LYON, toque : 2070

INTIMEE :

La BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES,

SA Coopérative de Banque Populaire au capital variable régie par les articles L512-2 et suivants du Code Monétaire et Financier et l'ensemble des textes relatifs aux Banques Populaires et aux établissements de crédit immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le n°605 520 071, représentée par son représentant légal en exercice, venant aux droits de la BANQUE POPULAIRE LOIRE ET LYONNAIS, SA Coopérative de Banque Populaire au capital variable, inscrite au RCS sous le N° 956 507 875 RCS LYON, dont le siège social était [Adresse 3]

[Localité 11], suivant fusion absorption de la BANQUE POPULAIRE LOIRE ET LYONNAIS et de la BANQUE POPULAIRE DU MASSIF CENTRAL par la BANQUE POPULAIRE DES ALPES entérinée par les Assemblées Générales Extraordinaires des 3 banques le 7 décembre 2016.

Sis [Adresse 5]

([Localité 6]

Représentée par Me Florence CHARVOLIN de la SELARL ADK, avocat au barreau de LYON, toque : 1086

******

Date de clôture de l'instruction : 26 Avril 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 17 Septembre 2025

Date de mise à disposition : 13 Novembre 2025

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Sophie DUMURGIER, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillère

- Viviane LE GALL, conseillère

assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Sophie DUMURGIER, présidente, et par Céline DESPLANCHES, greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société Quik Sports exerçait une activité de commerce de vêtements pour hommes, femmes et enfants et d'articles de sports et équipements divers.

Selon contrat du 29 novembre 2005, la Banque populaire Loire et Lyonnais lui a consenti un prêt d'un montant de 210 000 euros destiné à financer l'acquisition du droit au bail et la réalisation de travaux dans un fonds de commerce situé à [Localité 12], remboursable en 84 échéances mensuelles de 2 883,75 euros, avec intérêts au taux conventionnel de 3,26 % l'an.

Par acte sous seing privé du 16 novembre 2005, la banque a obtenu que M. [Y] [T], gérant de la société Quik Sports, se porte caution solidaire des engagements de la société, dans la limite de 126 000 euros et pour une durée de 84 mois.

Par jugement du 7 avril 2010, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Quik Sports.

La Banque populaire Loire et Lyonnais a déclaré sa créance au passif de la procédure collective pour un montant en principal de 88 253,52 euros, avec intérêts au taux de 3,26 %.

Par jugement du 29 juin 2011, le tribunal de commerce de Lyon a adopté le plan de continuation de la société Quik Sports qui prévoyait un règlement à 100 % de la créance de la Banque populaire Loire et Lyonnais.

Par jugement rendu le 7 janvier 2020, le tribunal de commerce a prononcé la résolution du plan de redressement et a converti le redressement judiciaire en liquidation judiciaire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 février 2020, la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes, venant aux droits de la Banque populaire Loire et Lyonnais, a actualisé sa créance.

Par lettres recommandées avec accusé de réception des 16 septembre 2011 et 29 mai 2020, la banque a mis la caution en demeure de satisfaire à son engagement.

Par acte d'huissier du 19 octobre 2020, la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes a fait assigner M. [T] devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins de le voir condamner au paiement d'une somme principale de 117 757,23 euros, avec intérêts au taux conventionnel de 3,26 % l'an à compter du 30 mai 2020, au titre du solde exigible du prêt professionnel, en sa qualité de caution solidaire, d'une somme de 450 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et injustifiée et d'une indemnité de procédure de 2 000 euros.

Par jugement contradictoire du 13 juin 2022, le tribunal de commerce de Lyon a :

- condamné M. [T] à verser à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 117 757,23 euros outre intérêts au taux conventionnel de 3,26 % à compter du 30 mai 2020,

- autorisé M. [T] à s'acquitter de la somme à laquelle il est condamné en 23 mensualités successives de 1 000 euros, le solde étant exigible à la 24ème mensualité et le premier versement devant intervenir le mois suivant la signification de la présente décision,

- dit qu'à défaut de règlement à son échéance d'une seule mensualité, la totalité de la somme restant due deviendra immédiatement et de plein droit exigible, sans mise en demeure,

- ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,

- débouté la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes de sa demande de dommages et intérêts,

- rejeté l'ensemble des autres demandes de M. [T],

- condamné M. [T] à payer à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné M. [T] aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe le 22 juillet 2022, M. [T] a interjeté appel de ce jugement, portant sur l'ensemble des chefs de la décision, expressément critiqués, sauf en ce qu'elle lui a accordé des délais de paiement et en ce qu'elle a débouté la banque de sa demande de dommages-intérêts.

Par ordonnance de référé du 12 décembre 2022, la juridiction du premier président a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par l'appelant.

Au terme de ses dernières écritures notifiées le 5 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, l'appelant demande à la cour, au visa des articles L.332-1 et L.333-2 et L.341-1 du code de la consommation et 1104, 1231-1 et 1343-5 du code civil, de :

- confirmer le jugement du 13 juin 2022 en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts de la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes,

- infirmer le jugement du 13 juin 2022 en ses autres dispositions,

Et, statuant à nouveau,

A titre principal,

- dire et juger que l'engagement de M. [T] au titre de l'acte de cautionnement conclu le 16 novembre 2005 était manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

Par conséquent,

- dire et juger que la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes ne peut se prévaloir de l'acte de cautionnement conclu le 16 novembre 2005,

- débouter la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes de sa demande de paiement au titre de l'acte de cautionnement du 16 novembre 2005,

- débouter la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire, si le caractère manifestement disproportionné du cautionnement n'est pas retenu,

- condamner la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes à lui payer la somme de 117 757,23 euros à titre de dommages-intérêts au titre des fautes contractuelles commises par cette dernière,

- prononcer la déchéance des intérêts, frais et accessoires affectés à la demande de la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes,

- reporter le paiement des sommes mises à sa charge de deux années,

En tout état de cause,

- condamner la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes aux entiers dépens.

Au terme de conclusions d'intimée notifiées le 12 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1153 du code civil, 1217, 1231-1, 1343-2, 1343-5 et 2288 et suivants du code civil et L.341-1 et L.341-6 du code de la consommation, de :

- déclarer ses demandes recevables et fondées et, en conséquence :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 13 juin 2022 sauf en ce qu'il a accordé à M. [T] des délais de paiement,

- réformer le jugement en ce qu'il a accordé à M. [T] des délais de paiement,

Et statuant à nouveau,

- débouter M. [T] de sa demande de délais de paiement,

Y ajoutant,

- condamner M. [T] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [T] aux entiers dépens de l'instance, dont ceux d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Me Florence Charvolin, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'aux frais relatifs à toutes mesures conservatoires.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 25 avril 2023, les débats étant fixés au 17 septembre 2025.

SUR CE

Sur le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de caution de M. [T]

Selon l'article L. 341-4, devenu L.332-1, du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où elle est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Le code de la consommation n'impose toutefois pas au créancier de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte, lorsqu'elle l'invoque, la charge de la preuve d'établir que son cautionnement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Si le créancier a fait remplir à la caution une fiche de renseignements patrimoniaux avant la conclusion du cautionnement, l'existence de cette fiche, certifiée exacte par la caution, a pour effet de dispenser le créancier, qui, sauf anomalies apparentes, est en droit de s'y fier, de vérifier l'exactitude des déclarations qu'elle contient ; alors, la proportionnalité n'est appréciée qu'au regard de ces déclarations et non du patrimoine effectif de la caution. [ Com. 11 mai 2023, n° 21-25556, inédit].

Au soutien de son appel, M. [T] prétend que sa situation financière ne lui permettait pas de souscrire l'engagement de caution litigieux, qui était manifestement disproportionné à ses revenus et biens.

Il fait valoir que ses revenus annuels étaient manifestement inférieurs à l'engagement souscrit puisqu'ils se limitaient, pour l'année 2005, à 20 160 euros, outre 3 074 euros de revenus mobiliers et fonciers, dont seule la moitié doit être prise en compte, puisqu'ils étaient partagés avec son épouse avec laquelle il est marié sous le régime de la séparation des biens, de sorte que ses revenus représentaient moins de 17 % de l'engagement de caution.

Il ajoute qu'il supportait la charge du prêt ayant financé l'achat de sa résidence principale, dont le solde s'élevait à 149 453 euros au jour où il a conclu l'engagement de caution.

Il estime qu'il ne devait pas être tenu compte de la valeur du capital social des différentes sociétés dans lesquelles il était associé, l'article L. 332-1 du code de la consommation visant uniquement les biens et revenus de la caution, de sorte que le patrimoine des sociétés dans lesquelles elle peut être impliquée est indifférent.

Il conteste par ailleurs la valeur probante de la fiche de renseignements communiquée par la Banque Populaire, datée du 30 septembre 2005, se rapportant à un prêt souscrit par la société GPC Sport. Selon lui, cette fiche démontre la légèreté, voir le laxisme avec lequel la banque l'a incité à se porter caution, sans limite ni mise en garde alors qu'il avait mis en garde la banque sur la réalité du patrimoine déclaré par un courrier du 15 octobre 2005.

Il affirme que le portefeuille de titres déclaré pour un montant de 450 000 euros n'avait aucune consistance puisqu'il était en réalité la propriété de son épouse à hauteur de 80 % et que la valorisation de la résidence de [Localité 8] était totalement approximative, ce qui rend le document inexploitable.

Il fait enfin état des nombreux engagements de caution antérieurement souscrits, représentant un engagement total de 573 050 euros, que le tribunal a totalement ignorés alors qu'il avait produit les justificatifs des engagements antérieurs souscrits.

Il souligne que la banque ne pouvait pas ignorer cette situation puisqu'elle faisait partie, tout comme le Crédit agricole, du pool bancaire réunissant les établissements engagés dans le financement de l'ensemble des sociétés du groupe [T], qu'il réunissait deux fois par an pour présenter de manière exhaustive la situation de l'ensemble des sociétés, de sorte que la Banque Populaire connaissait parfaitement l'état des engagements qu'il avait souscrits.

Il affirme enfin que l'engagement litigieux était d'autant moins raisonnable qu'il venait s'ajouter à ses charges habituelles et alors qu'il aidait financièrement sa fille à hauteur de 400 euros par mois, et précise, qu'à la date de l'assignation, sa situation ne lui permettait pas de faire face au paiement demandé par la Banque Populaire, étant aujourd'hui retraité.

La société intimée prétend que les biens et revenus de M. [T] lui permettaient de faire face à l'engagement de caution litigieux, en rappelant que la disproportion du cautionnement doit être manifeste et ne résulte pas du seul fait que le cautionnement excède la valeur du patrimoine de la caution, ni d'une simple situation d'insolvabilité, et qu'il appartient à celle-ci de prouver le caractère manifestement disproportionné de son engagement.

Elle affirme que la disproportion de l'engagement de caution de M. [T] ne s'évalue pas à l'aune de ses seuls revenus et que l'intégralité de son patrimoine doit être prise en considération, et relève à cet égard que l'appelant ne démontre pas que ses biens fonciers étaient détenus en indivision.

La banque se prévaut d'une fiche de renseignements remplie par M. [T] en 2005 au terme de laquelle ce dernier déclare être propriétaire de trois biens immobiliers, d'une valeur totale de près d'1,2 millions d'euros, et de différents comptes de valeurs mobilières d'une valeur totale de 600 000 euros, et avoir souscrit des engagements de caution exclusivement auprès d'elle, en relevant que l'intéressé ne démontre pas que la consistance du patrimoine déclaré avait changé au jour de la souscription de son engagement de caution.

Elle ajoute que la valeur du capital social des sociétés dont M. [T] était le gérant doit être intégrée à son patrimoine et considère que l'attestation comptable que produit l'appelant ne démontre pas que les parts qu'il détient dans ces sociétés auraient une valeur moindre que leur valeur nominale au jour de la souscription de l'engagement de caution, et affirme que le compte courant d'associé d'un montant de 449 666 euros qu'il détenait dans la société Financière [T] doit également être pris en compte tout comme les biens immobiliers qu'il détenait par l'intermédiaire de plusieurs SCI.

Elle fait enfin valoir que, s'il doit être tenu compte des engagements de caution antérieurement souscrits par l'appelant, la preuve des huit cautionnements invoqués n'est pas rapportée.

L'appréciation de la proportionnalité doit tenir compte d'une fiche de renseignements antérieure de plusieurs mois à la conclusion du cautionnement, mais alors la caution peut rapporter la preuve d'éléments d'actif ou de passif plus proches de la date de son engagement et, à défaut, les juges du fond peuvent procéder à une réévaluation des actifs mentionnés dans la fiche à partir de barèmes officiels [ Com. 30 août 2023, n° 21-20222].

En l'espèce, la fiche de renseignements dont se prévaut la banque est datée du 30 septembre 2005, soit de moins de deux mois avant la souscription du cautionnement litigieux.

Elle comportait toutefois des anomalies apparentes puisque M. [T] n'a déclaré aucun revenu alors qu'il a indiqué exercer la profession de gérant de société.

La proportionnalité ne sera donc pas appréciée au regard de ces déclarations mais du patrimoine effectif de la caution.

M. [T] justifie, en produisant son avis d'impôt sur le revenu de l'année 2005, qu'à la date de souscription de son engagement, il percevait un salaire annuel de 28 000 euros et des revenus de capitaux mobiliers s'élevant à 853 euros et des revenus fonciers de 2 221 euros.

Il affirme que ces revenus revenus fonciers étaient partagés avec son épouse, avec laquelle il est marié sous le régime de la séparation de biens, mais il ne produit aucun justificatif permettant de démontrer que les immeubles qui produisent des revenus sont la propriété indivise des époux, ni même de déterminer le quantum des droits indivis de chacun.

Compte tenu du régime de séparation de biens des époux [P], le tribunal ne pouvait que retenir la totalité des revenus fonciers perçus en 2005, ce qui portait les revenus annuels de la caution à 31 074 euros, représentant 24 % de son engagement.

L'appelant établit qu'il était propriétaire indivis à hauteur de 70 % de sa résidence principale, située à [Localité 10], qu'il a valorisée 680 000 euros en septembre 2005, et qui avait été financée par deux prêts de 129 582 euros souscrits en juin 1999 par les époux, sur lesquels il restait devoir, pour sa part, 94 387 euros en novembre 2005.

La valeur nette des droits de M. [T] sur cet immeuble peut ainsi être évaluée à la somme de 381 613 euros.

La caution ne conteste pas par ailleurs être propriétaire de deux biens immobiliers situés à [Localité 9] et à [Localité 8], qu'il avait évalués à hauteur de 510 000 euros au mois de septembre 2005.

Elle avait déclaré, dans la fiche de renseignement, disposer de valeurs mobilières valorisées à 600 000 euros, dont 480 000 euros correspondrait à des valeurs propres à son épouse, ce dont il n'est pas justifié.

M. [T] détenait par ailleurs des parts sociales dans sept sociétés commerciales et dans quatre sociétés civiles immobilières.

La valeur des parts détenues par l'appelant dans ces différentes sociétés doit être prise en considération pour apprécier la disproportion manifeste de son engagement de caution, à charge pour lui de communiquer les éléments de passif de ces sociétés permettant d'en contrebalancer la valeur.

Or M. [T] ne communique aucun élément sur la valeur de ces parts à la date de souscription de son engagement, ce qui permet de retenir la valeur du capital social des sociétés, d'environ 871 000 euros, pour apprécier la disproportion de l'engagement de caution.

S'agissant des engagements de caution antérieurement souscrits par l'appelant, il résulte des pièces produites qu'au 16 novembre 2005, M. [T] s'était porté caution :

- de la société Passion Sports, le 1er août 2002, pour une durée indéterminée, dans une limite de 63 600 euros,

- de la société Sports Didier, le 1er août 2002, pour une durée indéterminée, dans une limite de 27 600 euros,

- de la société Matai Sports, le 14 décembre 2002, pour une durée indéterminée, dans une limite de 73 200 euros,

- de la société Springer Sports, le 8 mars 2005, pour une durée de 108 mois, dans une limite de 150 000 euros,

Soit un total d'engagements de caution de 314 400 euros, représentant moins de la moitié de la valeur du capital social détenu dans l'ensemble des sociétés qu'il dirigeait.

Les autres engagements qu'il invoque sont soit postérieurs au 16 novembre 2005, soit ils ne sont pas justifiés par la production de l'engagement de caution souscrit.

Les charges courantes qu'il invoque, et dont il ne justifie pas, ne sauraient excéder le montant des charges courantes habituelles que l'on peut valoriser à 1 000 euros par mois, auxquelles s'ajoutait la pension versée à sa fille majeure, ce qui représente une somme annuelle de 16 800 euros.

Au vu de ces éléments de revenus et de patrimoine de M. [T], et notamment de la valeur nette de sa résidence principale de 381 613 euros et de ses deux autres biens immobiliers, mais également de son revenu annuel de l'ordre de 31 000 euros, le montant de ses engagements de caution antérieurement souscrits étant largement inférieur à la valeur du capital social détenu dans les sociétés qu'il dirigeait, le tribunal a pu justement considérer que l'engagement de caution litigieux, limité à 126 000 euros, n'était pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde

A titre subsidiaire, l'appelant, se fondant sur les dispositions de l'article 1231-1 du code civil en vertu duquel les établissements de crédit sont tenus d'un devoir de conseil à l'égard de l'emprunteur et de la caution, complété par une obligation de mise en garde impliquant que la banque alerte la caution sur les risques découlant de son engagement, prétend, en premier lieu, qu'il ne peut pas être considéré comme une caution avertie, comme l'a retenu le tribunal, alors que, jusqu'à la fin des années 90, il exerçait la profession d'agent d'assurance et n'avait donc aucune expérience comme entrepreneur, le seul fait qu'il était déjà gérant de certaines sociétés ne suffisant pas à faire de lui une caution avertie.

Il reproche à la banque de ne pas l'avoir mis en garde sur les risques auxquels son engagement de caution l'exposait quant à son patrimoine personnel, cette dernière ne lui ayant pas fait remplir de fiche préalable d'information et ne lui ayant pas fourni d'information annuelle relative au montant du principal et des intérêts restant à courir au titre de l'obligation garantie, conformément aux dispositions de l'article L. 333-2 du code de la consommation.

Enfin, il reproche à l'intimée d'avoir ignoré à deux reprises ses demandes d'entretien en vue d'obtenir des explications sur sa situation et de trouver un moyen d'y remédier, violant ainsi son obligation de bonne foi.

La Banque Populaire objecte que la jurisprudence écarte le devoir de conseil du banquier dispensateur de crédit et rappelle que le devoir de mise en garde de l'établissement de crédit est soumis à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir que la caution ne soit pas avertie et qu'il existe un risque d'endettement excessif.

Elle estime qu'elle n'était tenue d'aucun devoir de mise en garde envers M. [T] qui était une caution avertie, étant alors gérant de plusieurs sociétés, depuis 1996 pour certaines.

Lors de la souscription d'un engagement de caution, le banquier, dispensateur de crédit, est tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur. [

Com. 9 févr. 2022, n° 20-13882, inédit ; Com. 10 juill. 2024, n° 22-22643, inédit ].

La mise en 'uvre, par les cautions, de la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde suppose la preuve, à leur charge, de telles inadaptations, et ne résulte pas du seul fait que la banque ne se serait pas fait communiquer des éléments comptables permettant d'apprécier la capacité de remboursement de l'emprunteur. [ Com. 9 oct. 2024, n° 23-15346.].

Le caractère averti de la caution s'apprécie au regard de ses expériences professionnelles et de son implication dans le financement de l'entreprise garantie.

En l'espèce, il ressort des débats et des pièces produites que M. [T] était dirigeant de nombreuses sociétés commerciales et sociétés civiles immobilières, et notamment de la société cautionnée.

Il doit donc être considéré comme une caution avertie, étant nécessairement rompu à la vie des affaires en dirigeant sept sociétés commerciales et quatre SCI.

Le tribunal a donc pu justement considérer que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à son égard et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté l'appelant de sa demande indemnitaire.

Sur le manquement de la banque à son devoir d'information de la caution

A titre subsidiaire, M. [T] conclut également à la déchéance du droit aux intérêts de la banque en application de l'article L.333-2 du code de la consommation, faisant valoir que le créancier ne lui a pas adressé l'information annuelle prévue par ces dispositions légales, pas plus que l'information relative à la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement prévue à l'article L. 341-1 du code de la consommation.

Il relève que la banque ne parvient pas à apporter la preuve de l'envoi ou de la réception d'un courrier contenant ces informations, puisqu'elle ne produit aucun courrier en ce sens, et il critique le jugement en ce qu'il a retenu que l'intimée ne lui réclamait aucun intérêt ou pénalité de retard alors que le contrat de prêt et le tableau d'amortissement démontrent que des intérêts sont rattachés au prêt cautionné.

La société intimée réplique qu'elle ne réclame en l'espèce aucun intérêt ou pénalité de retard à M. [T].

L'admission de la créance au passif du débiteur principal en procédure collective est opposable à la caution, en ce qui concerne l'existence et le montant de la créance, mais n'interdit pas à la caution d'invoquer l'exception personnelle tirée du non respect par la banque de son obligation d'information à son égard.

Selon l'article L.333-2 du code de la consommation, devenu l'article 2302 du code civil, applicable aux cautionnement souscrits antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021, « Le créancier professionnel est tenu, avant le 31 mars de chaque année et à ses frais, de faire connaître à toute caution personne physique le montant du principal de la dette, des intérêts, et autres accessoires restant dus au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, sous peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus depuis la précédente information et jusqu'à celle de la communication de la nouvelle information. Dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette.»

Selon l'article L.341-1 du code de la consommation devenu l'article 2303 du code civil, applicable aux cautionnement souscrits antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021, « Le créancier professionnel est tenu d'informer toute caution personne physique de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement, à peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus entre la date de cet incident et celle à laquelle elle en a été informée.

Dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette.»

La preuve de la délivrance de l'information annuelle prévue par l'article 2302 du code civil incombe au créancier professionnel et peut être rapportée par tous moyens, notamment par une lettre simple, mais il appartient à celui-ci de justifier de la réalité de l'envoi de ladite lettre, la seule production de la copie d'une lettre ne suffisant pas à justifier de son envoi.

Enfin, le devoir d'information annuelle due à la caution, personne physique, ne prend fin que lorsque s'éteint la dette garantie par le cautionnement.

La défaillance du débiteur principal, dont la caution personne physique doit être informée en application de l'article L.341-1, devenu L.333-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à son abrogation par l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021, dès le premier incident de paiement non régularisé, ne dispense pas le créancier professionnel de son obligation d'information annuelle. [ Civ 2ème 30 avril 2025 n°22-22.033 ].

En l'espèce, la banque justifie avoir informé la caution de la défaillance de la débitrice principale le 16 septembre 2011.

En revanche, elle ne produit aucune des lettres d'information annuelles destinées à M. [T] depuis la signature de son engagement de caution.

Il y a lieu en conséquence de prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la banque à compter du 31 mars 2006, infirmant sur ce point le jugement déféré.

Au vu du tableau d'amortissement du prêt garanti par le cautionnement litigieux et du décompte de créance produit par la société intimée, et après déduction des intérêts échus du 31 mars 2006 au 29 mai 2020 pour un montant total de 19 345,90 euros, M. [T] sera condamné à verser à la Banque Populaire la somme de 68 907,63 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2011, infirmant également le jugement entrepris de ce chef.

Sur la demande de délais de paiement

M. [T] sollicite des délais de paiement pour apurer sa dette en faisant valoir qu'il est actuellement retraité et qu'il n'exerce plus d'activités professionnelles, de sorte qu'il n'a pas les capacités financières d'assumer en une fois le paiement réclamé par la société intimée.

Il demande que le paiement des sommes dues soit reporté à deux ans, plutôt qu'échelonné sur deux années comme l'a décidé le tribunal, pour lui permettre de trouver un moyen de s'organiser.

La Banque Populaire s'oppose à l'octroi de délais de paiement en relevant que l'appelant ne produit aucun justificatif permettant d'apprécier sa situation financière, se contentant de produire des relevés bancaires insuffisants pour avoir une vision complète de sa situation patrimoniale, ce qu'a relevé la juridiction du premier président.

Selon l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Le pouvoir d'accorder ou de refuser un délai de grâce est considéré comme un pouvoir souverain qui doit être motivé par les circonstances de l'espèce et notamment, s'agissant de la situation du débiteur, par ses difficultés passagères, ses offres de paiement sérieuses, et par la perspective d'un échéancier raisonnable, qui doit demeurer pertinent au regard des sommes dues, de leur ancienneté, des éventuels délais amiables déjà alloués, et plus généralement de la foi due aux contrats.

Or, en l'espèce, M. [T] qui s'est vu accorder des délais de paiement en première instance ne justifie pas avoir procédé au moindre versement depuis le 13 juin 2022, alors que le jugement entrepris est assorti de l'exécution provisoire.

Dans ces circonstances, rien ne justifie qu'il soit fait application à son profit des dispositions légales susvisées, alors qu'il a déjà bénéficié, de fait, d'un délai de plus de trois années pour s'acquitter de sa dette.

Le jugement mérite également d'être infirmé en ce qu'il a autorisé M. [T] à s'acquitter de sa dette par mensualités de 700 euros et l'appelant sera débouté de ce chef de demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. [T] qui succombe principalement en ses prétentions supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Il est en revanche équitable de laisser à chacune des parties la charge des frais de procédure exposés en appel et il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre d'entre elles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement rendu le 13 juin 2022 par le tribunal de commerce de Lyon, sauf en ce qu'il a :

- condamné M. [T] à payer à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, venant aux droits de la Banque Populaire Loire et Lyonnais, la somme de 117 757,23 euros outre intérêts au taux conventionnel de 3,26 % à compter du 30 mai 2020,

- autorisé M. [T] à s'acquitter de ladite somme en 23 mensualités successives de 1 000 euros, le solde étant exigible le 24ème mois et le premier règlement devant intervenir dans le mois suivant la signification de la présente décision,

- dit qu'à défaut de règlement à son échéance d'une seule mensualité, la totalité de la somme restant due deviendra immédiatement et de plein droit exigible, sans mise en demeure,

- débouté M. [T] de sa demande tendant à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la banque,

L'infirme de ces chefs et, statuant à nouveau et y ajoutant,

Prononce la déchéance du droit aux intérêts de la banque à compter du 31 mars 2006,

Condamne M. [T] à payer à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, venant aux droits de la Banque Populaire Loire et Lyonnais, la somme de 68 907,63 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2011,

Déboute M. [T] de sa demande de délais de paiement,

Condamne M. [T] aux dépens de la procédure d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.

Le Greffier, La Présidente,

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