Cass. com., 5 avril 2011, n° 09-72.820
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Favre
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale financière et économique, 11 décembre 2007 n° 06-13.592), que par acte du 29 mars 1992, M. et Mme X... (les cautions) se sont rendus cautions solidaires du remboursement du prêt consenti par le Crédit lyonnais (la banque) le 1er juin 1992 à la société Rouen expertise comptable, devenue la Société d'expertise comptable et de participations (la SECP), destiné à l'acquisition des actions de la société Gérard Brachais, devenue la Société d'étude et d'organisation (SEO), dont le remboursement a été garanti par le nantissement des actions acquises et par le cautionnement de la société Interfimo, organisme de caution mutuelle ; que la SECP ayant été défaillante, Interfimo a acquitté les échéances du prêt et, après avoir reçu quittance subrogative de ce remboursement, a exercé un recours contre ses cofidéjusseurs ; que ces derniers ont assigné la banque pour voir constater sa négligence dans la préservation de ses droits, leur faisant perdre la chance d'un recours subrogatoire et ont demandé à être déchargés de leur obligation à l'égard d'Interfimo ; que, subsidiairement, ils ont sollicité la garantie de la banque ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'Interfimo fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevables ses conclusions signifiées le 22 mai 2009, recevables les conclusions signifiées le 20 mai 2009 par les cautions, puis d'avoir rejeté sa demande tendant à voir condamner les cautions à lui payer la somme de 1 481 947,03 euros avec intérêts au taux de 12,65 % par an à compter du 24 février 2005 sur le principal de 844 384,48 euros et jusqu'à parfait paiement, alors, selon le moyen :
1°/ que les conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture par lesquelles une partie demande la révocation de cette ordonnance ou le rejet des débats des conclusions ou productions de dernière heure de l'adversaire sont recevables ; qu'en décidant que les conclusions signifiées le 22 mai 2009 par Interfimo étaient irrecevables, après avoir constaté que par ces conclusions, cette dernière demandait la réouverture des débats, ou, à défaut, le rejet des conclusions signifiées par les cautions le 20 mai 2009, jour même de la clôture de l'instruction, la cour d'appel a violé les articles 16 et 783, alinéa 2, du code de procédure civile ;
2°/ qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut en principe être déposée à peine d'irrecevabilité prononcée d'office ; qu'en se bornant à constater que les conclusions déposées et signifiées le 20 mai 2009 par les cautions l'avaient été le jour même de la clôture, qu'elles avaient été prises en réplique à des conclusions adverses et qu'elles ne soulevaient ni moyens nouveaux, ni prétentions nouvelles, pour en déduire qu'elles étaient recevables, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces conclusions avaient été déposées postérieurement à l'ordonnance de clôture, ce dont il résultait qu'elles étaient, en toute hypothèse, irrecevables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 783 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que les conclusions des cautions avaient été déposées et signifiées le 20 mai 2009, ce dont il résultait qu'elles étaient réputées avoir été signifiées avant l'ordonnance de clôture, de sorte qu'elles étaient recevables, puis écarté des débats les pièces communiquées le 20 mai 2009, lesquelles n'avaient pu être débattues contradictoirement, l'arrêt retient dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'aucune cause grave révélée postérieurement à l'ordonnance de clôture ne justifie la révocation de cette dernière ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué à la première branche et sans être tenue de procéder à une recherche non demandée, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu qu'Interfimo reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir condamner les cautions à lui payer la somme de 1 481 947,03 euros avec intérêts au taux de 12,65 % par an à compter du 24 février 2005 sur le principal de 844 384,48 euros et jusqu'à parfait paiement, alors, selon le moyen :
1°/ que la caution n'est déchargée que lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; qu'en décidant que les cautions étaient totalement déchargées de leur engagement, motifs pris que la banque n'avait pas déclenché le nantissement dont il disposait sur les actions acquises grâce à l'emprunt dès la déchéance de l'emprunteur, et qu'elle avait laissé la SEO apporter une partie de son actif à la SECP, afin d'acquérir des actions composant une partie du capital social de celle-ci, après avoir pourtant constaté que les abstentions de la banque n'avaient eu aucune influence sur l'existence et la valeur des actions constituant l'assiette du nantissement, ce dont il résultait que les cautions ne pouvaient être déchargées de leur engagement, la cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil ;
2°/ que le juge ne peut méconnaître les limites du litige, telles qu'elles résultent des prétentions respectives des parties ; que tant les cautions qu'Interfimo et la banque soutenaient dans leurs conclusions que la cession intervenue le 27 avril 1999 avait eu pour objet les actions qu'avait acquises SEO dans le capital social de la SECP, de sorte qu'il était admis que cette cession n'avait pas porté sur les actions constituant l'assiette du nantissement dont bénéficiait la banque ; qu'en affirmant néanmoins que la cession intervenue le 27 avril 1999 avait porté sur les actions constituant l'assiette du nantissement dont bénéficiait la banque, pour en déduire que les cautions étaient totalement déchargés de leur engagement, la cour d'appel a violé les articles 4 et 7 du code de procédure civile ;
3°/ que la caution n'est déchargée que lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; que seule la faute commise par le créancier en cette qualité est susceptible d'entraîner la décharge de la caution ; qu'en décidant que les cautions étaient totalement déchargées de leur engagement, motif pris que la banque avait commis une erreur dans l'encaissement d'une partie du prix de vente de certaines actions et avait ainsi permis à un tiers de détourner ce prix de vente, provoquant la liquidation judiciaire de la société venderesse et le dépérissement du nantissement dont bénéficiait la banque, bien qu'en commettant une telle erreur, la banque n'ait pas agi en qualité de créancier bénéficiaire du nantissement, mais en qualité d'établissement teneur de comptes, ce dont il résultait que la banque, en sa qualité de créancier bénéficiaire du nantissement, n'avait commis aucun fait susceptible de faire perdre ce nantissement, de sorte que les cautions ne pouvaient être déchargées de leur engagement, la cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil ;
4°/ que la caution n'est déchargée que lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; que seul le fait exclusif du créancier est susceptible d'entraîner la décharge de la caution ; qu'en décidant que les cautions étaient totalement déchargées de leur engagement, motif pris que la banque avait commis une erreur déterminante dans l'encaissement d'une partie du prix de vente de certaines actions, après avoir constaté que cette erreur avait permis à un tiers de détourner le prix de vente de ces actions, provoquant ainsi la liquidation judiciaire de la société venderesse, et le dépérissement du nantissement dont bénéficiait la banque, ce dont il résultait que ce dépérissement n'avait pas été la conséquence du fait exclusif de la banque, de sorte que les cautions ne pouvaient être déchargés de leur engagement, la cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil ;
5°/ que la caution n'est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution, que si celle-ci établit qu'elle aurait pu tirer un profit effectif de cette subrogation ; qu'en se bornant à affirmer que le montant du solde restant dû au titre du prêt garanti était inférieur au prix de cession des actions vendues par SEO, pour en déduire que les cautions étaient totalement déchargées de leur engagement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le prix de cession aurait en toute hypothèse été absorbé par d'autres créanciers devant être payés à titre préférentiel, ce dont il résultait que les cautions n'auraient pu tirer aucun profit de ce nantissement, de sorte qu'elles ne pouvaient être totalement déchargées de leur engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil ;
6°/ que la caution n'est déchargée qu'à concurrence de la valeur des droits pouvant lui être transmis par subrogation et dont elle a été privée par la faute du créancier ; que la valeur de ces droits doit s'apprécier à la date d'exigibilité de l'obligation de la caution, c'est-à-dire à la date de la défaillance du débiteur principal ; qu'en décidant que les cautions devaient être déchargées de leur engagement à concurrence du montant du prix auquel avaient été vendues les actions que détenait SEO, par acte du 27 avril 1999, après avoir constaté que le débiteur principal avait failli dès le 10 novembre 1996, ce dont il résultait que la valeur des actions devait être fixée à cette date, de sorte que les cautions ne pouvaient être intégralement déchargés de leur engagement, la cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient que la banque n'a pas fait jouer le nantissement dont elle disposait sur la totalité des actions, soit 2 274 actions de SEO à compter du 10 novembre 1996, date à laquelle cette dernière a été défaillante et qu'elle ne s'est pas préoccupée de son gage qui a totalement dépéri en raison de la liquidation de SEO, suivant de peu la cession d'actions intervenue le 27 avril 1999 pour le prix de 4 570 000 francs soit 696 692 euros, au profit d'Europartners ; que par ces seuls motifs, la cour d'appel a caractérisé la faute exclusive de la banque résultant de son inaction jusqu'au 27 avril 1999 ;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté que le solde dû sur le montant du prêt s'élevait à la somme de 2 882 988,46 francs, en principal et intérêts, au jour de la cession, l'arrêt ne dit pas que les abstentions de la banque n'avaient eu aucune influence sur l'existence et la valeur des actions constituant l'assiette du nantissement, mais retient que les actions gagées n'avaient pas disparu ni été dévaluées après un apport partiel d'actif de 4 570 000 francs intervenu le 11 mars 1999 au profit de la société Le Havre EC, qui a remis à SEO 45 700 actions d'une valeur nominale chacune de 100 francs ; qu'il relève encore que les actions cédées le 27 avril 1999 par SEO à la société Europartners avaient une valeur de 4 570 000 francs, faisant ainsi ressortir que la valeur des actions gagées avait été constante du jour de la défaillance de SEO jusqu'au jour de la cession d'avril 1999 ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire, sans être tenue de procéder à la recherche invoquée à la cinquième branche, que la mise en oeuvre du gage aurait permis de désintéresser le créancier gagiste et Interfimo, subrogée dans ses droits, et décharger en conséquence les cautions de leur engagement ;
D'où il suit que le moyen qui manque en fait en sa première branche, ne peut être accueilli en ses deuxième, troisième et quatrième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Interfimo aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille onze.