Cass. com., 19 juin 2024, n° 22-19.826
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Vigneau
Rapporteur :
Graff-Daudret
Avocat général :
Bonthoux
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° E 22-19.826 et V 22-20.484 sont joints.
Mise hors de cause
2. M. [M], ancien liquidateur à la liquidation judiciaire de la société du Village, de la société La Pierre plantée et de la société Thirix est mis hors de cause à sa demande et à celle de la société SBCMJ, prise en la personne de M. [N], en qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Thirix, du Village et La Pierre plantée, et en qualité de mandataire judiciaire de la société Vigacha.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 15 juin 2022), et les productions, en 2004, la société Vigacha, dirigée par M. [T], a acquis la totalité des titres de la société Thirix, qui détenait un magasin à [Localité 5], pour le prix de 2 600 000 euros, financé par un prêt d'un montant de 2 000 000 euros, consenti le 30 juin 2004 par la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc (la banque) à la société Vigacha. Par acte du même jour, M. [T] s'est rendu caution du remboursement de ce prêt à hauteur de 1 200 000 euros.
4. Le 6 octobre 2005, la banque a accordé à la société Thirix un prêt d'un montant de 1 200 000 euros, destiné à financer des travaux d'extension de son magasin. Deux sociétés civiles immobilières ont été créées à cette occasion, la société du Village et la société La Pierre plantée.
5. Le 24 octobre 2005, la banque a consenti à la société Vigacha un prêt d'un montant de 390 000 euros, garanti par le cautionnement de M. [T] à hauteur de 468 000 euros.
6. En août 2006, la banque a consenti à la société La Pierre plantée un prêt d'un montant de 2 227 580 euros afin d'acquérir les murs commerciaux occupés par la société Thirix.
7. Le 27 avril 2009, la banque a consenti à la société du Village un prêt d'un montant de 4 000 000 euros pour couvrir ses besoins en trésorerie et la construction d'un bâtiment à usage commercial. Ce prêt n'a cependant pas été entièrement débloqué par la banque.
8. Un second prêt, d'un montant de 800 000 euros, a été accordé par la banque à la société du Village, aux fins de constituer une réserve foncière.
9. En octobre 2010, la banque a encore accordé un prêt d'un montant de 2 000 000 euros à la société La Pierre plantée afin de constituer des réserves foncières.
10. La banque ayant, à la fin d'année 2011, rejeté le paiement d'un chèque tiré par la société du Village, cette dernière l'a mise en demeure de procéder au déblocage du solde du prêt du 27 avril 2009.
11. Le 16 avril 2012, la banque, qui n'avait pas répondu favorablement à la demande de déblocage du solde du prêt, a prononcé de la déchéance des termes des prêts, puis, le 12 août 2012, a assigné la société Vigacha et M. [T] en paiement.
12. La société Vigacha a été mise en redressement judiciaire et les sociétés Thirix, La Pierre plantée et du Village, en liquidation judiciaire.
13. La société Vigacha, ainsi que les sociétés [Localité 8], Thirix, du Village, et La Pierre plantée ont assigné la banque en responsabilité. Les deux instances ont été jointes.
Recevabilité du « pourvoi incident » formé par M. [T], contestée par la banque concernant le pourvoi n° V 22-20.484
14. Contrairement à ce que soutient la banque, M. [T], qui a formé, le 3 août 2022, un pourvoi enregistré sous le numéro E 22-19.826 contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 15 juin 2022, n'a pas, le 17 février 2023, formé de pourvoi incident sur le pourvoi de la société SBCMJ, en qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Thirix, du Village et La Pierre plantée, et de la société SBCMJ, en qualité de mandataire judiciaire de la société Vigacha, et de la société Vigacha, du 22 août 2022, enregistré sous le numéro V 22-20.484, mais s'est borné à déclarer s'associer à ce pourvoi.
15. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la banque.
Recevabilité du pourvoi n° E 22-19.826, en ce qu'il est formé par les sociétés Thirix, du Village, La Pierre plantée et Vigacha contestée par la banque, et par la société SBCMJ, ès qualités
16. En premier lieu, il résulte des constatations de l'arrêt que la société Thirix a été placée en liquidation judiciaire le 26 juillet 2016 et que cette procédure a été étendue aux sociétés du Village et La Pierre plantée le 28 février 2017.
17. Le pourvoi formé par ces sociétés le 3 août 2022, cependant qu'elles étaient, en application de l'article L. 641-9 du code de commerce, dessaisies de l'administration et de la disposition de leurs biens, est irrecevable.
18. Leur liquidateur judiciaire, la société SBCMJ, est certes intervenu à la procédure, mais seulement pour s'associer aux trois derniers moyens de cassation présentés par la société Vigacha, la société [Localité 8] et M. [T].
19. En second lieu, il résulte des constatations de l'arrêt que la société Vigacha a été placée en redressement judiciaire le 26 janvier 2022.
20. Cependant, le jugement d'ouverture de cette procédure n'étant pas produit, il n'est pas démontré qu'un administrateur judiciaire ait été désigné, de sorte que le pourvoi formé par cette société seule, le 3 août 2022, est recevable.
Recevabilité du « pourvoi incident », en ce qu'il est formé par la société SBCMJ, en qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Thirix, du Village et La Pierre plantée et de mandataire judiciaire de la société Vigacha, contestée par la banque
21. Contrairement à ce que soutient la banque, la société SBCMJ, en qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Thirix, du Village et La Pierre plantée, et de mandataire judiciaire de la société Vigacha, qui a formé, le 22 août 2022, un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 15 juin 2022, enregistré sous le numéro V 22-20.484, n'a pas formé, le 6 février 2023, un pourvoi incident contre la même décision, mais s'est bornée à déclarer s'associer à ce pourvoi.
22. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la banque.
Sur le moyen du pourvoi n° V 22-20.484 et le cinquième moyen du pourvoi n° E 22-19.826
Enoncé des moyens
23. En son moyen du pourvoi n° V 22-20.484, la société SBCMJ, ès qualités, fait grief à l'arrêt de dire que la demande tendant à voir prononcer l'irrégularité des stipulations conventionnelles des prêts n° 01WY07013PR du 28 juillet 2009 de la société du Village et n° 01UZRX012PR du 27 avril 2009 de la société du Village est prescrite et de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Vigacha, la société Village, la société La Pierre plantée, la société [Localité 8] et la société Thirix, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de toutes leurs demandes, fins et conclusions, alors :
« 1°/ que la cour d'appel a constaté que le prêt n° 01WY07013PR avait été conclu par la SCI du Village le 28/07/2009 ; qu'elle a déclaré l'action en nullité de l'intérêt conventionnel prescrite en ce que, intentée le 11 janvier 2014, le délai de 5 ans qui avait commencé à courir à compter de la date de signature du prêt aurait expiré ; qu'en statuant ainsi cependant que moins de cinq ans s'étaient écoulés entre le 28 juillet 2009, date de signature du prêt, et le 11 janvier 2014, date de formation de la demande, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 2224 du code civil ;
2°/ que la cour d'appel a constaté que le prêt n° 01UZRX012PR avait été conclu par la SCI du Village le 27/04/2009 ; qu'elle a déclaré l'action en nullité de l'intérêt conventionnel prescrite en ce que, intentée le 11 janvier 2014, le délai de 5 ans qui avait commencé à courir à compter de la date de signature du prêt aurait expiré ; qu'en statuant ainsi cependant que moins de cinq ans s'étaient écoulés entre le 27 avril 2009, date de signature du prêt, et le 11 janvier 2014, date de formation de la demande, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 2224 du code civil ;
3°/ que la Selarl SBCMJ faisait valoir que le TEG du prêt n° 016K1P011PR conclu le 1er octobre 2010 entre la CRCAML et la SCI La Pierre plantée était erroné et demandait en conséquence que le taux légal soit substitué au taux conventionnel erroné ; que, pour débouter les exposantes de l'ensemble de leurs demandes, la cour d'appel a relevé que seuls auraient été visés dans les écritures des parties les prêts n° 529675011PR du 29/06/2004, n° G01P8C015PR du 24/10/2005, prêt n° G03UU1010PR du 19/12/2006, n° G03CYW019PR du 5/10/2006, n° 01BV1B015PR du 14/09/2007, n° 01WY07013PR du 28/07/2009, n° G04P7E014PR de décembre 2006, n° G05AW8018PR débloqué partiellement le 6/02/2007, n° G052R3012PR du 16/04/2007, et n° 01UZRX012PR du 27/04/2009, de la SCI du Village, et qu'à leur égard, l'action serait prescrite ; qu'en statuant ainsi cependant qu'était également visé dans les écritures des parties le prêt n° 016K1P011PR conclu le 1er octobre 2010 entre la CRCAML et la SCI La Pierre plantée, pour lequel l'action n'était au demeurant pas prescrite, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
24. En leur cinquième moyen du pourvoi n° E 22-19.826, les sociétés Vigacha et [Localité 8], et M. [T] font grief à l'arrêt de dire que la demande tendant à voir prononcer l'irrégularité des stipulations conventionnelles du prêt n° 01UZRX012PR du 27/04/2009 de la SCI du Village est prescrite, alors « que le délai de prescription quinquennale de l'action en déchéances des intérêts en raison de l'irrégularité de la stipulation d'intérêts ne commence à courir, s'agissant d'un prêt à finalité professionnelle, qu'à compter de la conclusion du prêt ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que le prêt n° 01UZRX012PR a été conclu le 27 avril 2009 et que ''les demandes de substitution du taux légal au taux conventionnel ont été faites par conclusions du 11 janvier 2014'' ; qu'en retenant pourtant que ''plus de 5 ans s'étant écoulés entre la date de signature des crédits et la demande portant sur l'irrégularité des stipulations conventionnelles'', la demande relative au prêt n° 01UZRX012PR serait prescrite, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
25. En application de l'article L. 313-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, le taux effectif global, déterminé selon les modalités prévues par les dispositions du code de la consommation communes, au crédit à la consommation et au crédit immobilier, doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de crédit.
26. En cas d'omission du taux effectif global dans l'écrit constatant un contrat de crédit conclu avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, comme en cas d'erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard, notamment, du préjudice subi par l'emprunteur.
27. Il en résulte que les demandes dont la cour d'appel était saisie, en ce qu'elles tendaient au prononcé de la nullité des stipulations des intérêts conventionnels des prêts concernés et à la substitution de l'intérêt au taux légal aux intérêts au taux contractuel, cependant que seule la déchéance du créancier de son droit aux intérêts dans la mesure fixée par le juge était encourue, ne pouvaient qu'être rejetées.
28. Les moyens, qui, en leurs différentes branches, postulent le contraire, ne sont donc pas fondés.
Sur le premier moyen du pourvoi n° E 22-19.826
Enoncé du moyen
29. M. [T] fait grief à l'arrêt de dire qu'il est revenu à meilleure fortune au moment où il a été appelé et que la banque pouvait se prévaloir des engagements de caution qu'il avait signés les 30 juin 2004 et 24 octobre 2005 et de le condamner, en conséquence, à payer à la banque une somme de 1 539 619,21 euros à majorer des intérêts au taux conventionnel de 3,9 % l'an du 10 mai 2012 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n° 529675011PR et une somme de 291 667,20 euros, à majorer des intérêts au taux conventionnel de 3,5 % l'an du 10 mai 2012 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n° G01P8C015PR, et de l'avoir débouté de toutes ses demandes fins et conclusions, alors :
« 1°/ que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins qu'il n'établisse que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, lui permet de faire face à son obligation ; qu'en l'espèce, M. [T] soutenait expressément que la valeur de l'actif social de la SCI du Village dont la société Vigacha détenait la quasi-totalité des parts sociales, les parts sociales de la société Vigacha étant elles-mêmes détenues par M. [T], ne correspondait pas à l'évaluation de 12 000 000 euros proposée par un expert immobilier en 2010 ; qu'il soutenait en effet expressément que cette évaluation de la réserve foncière de la SCI du Village n'avait été réalisée que pour l'hypothèse dans laquelle le projet d'aménagement foncier avec le groupe Auchan aurait été mené à terme, ce qui n'avait pu être le cas ensuite de la rupture des concours de la banque ; qu'en retenant pourtant, pour dire que le patrimoine de M. [T] lui permettait de faire face à ses engagements à la date de l'assignation, que la SCI Village ''est propriétaire d'un foncier, dont l'expert mandaté par la caution valorise le bien immobilier à la somme de 12 000 000 euros en octobre 2010'', sans aucunement rechercher, comme elle était invitée à le faire, si cette évaluation n'avait pas été faite au regard du projet immobilier qui, finalement, n'avait pas abouti, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, applicable en la cause ;
2°/ que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins qu'il n'établisse que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, lui permet de faire face à son obligation ; que lorsque le patrimoine de la caution consiste en des parts sociales, les juges du fond doivent tenir compte du passif social pour les évaluer ; qu'en l'espèce, M. [T] soutenait expressément que l'actif social de la SCI du Village était grevé d'un très important passif auquel ses revenus ne lui permettaient aucunement de faire face ; qu'il était ainsi relevé qu'en 2007, elle était tenue de rembourser des prêts à hauteur de 57 880,18 euros, quand ses revenus étaient de 3 497 euros ; qu'en 2009, la charge annuelle de remboursement des crédits s'élevait à 135 702,67 euros pour des revenus de 3 026 euros ; qu'en 2011, immédiatement avant l'assignation de la caution, la charge de remboursement était de 359 973,31 euros, la SCI du Village n'ayant alors plus la moindre ressource ; que pour dire que le patrimoine de M. [T] lui permettait de faire face à ses engagements à la date de l'assignation, la cour d'appel s'est bornée à retenir que la SCI du Village ''est propriétaire d'un foncier, dont l'expert mandaté par la caution valorise le bien immobilier à la somme de 12 000 000 euros en octobre 2010'' ; qu'en statuant ainsi sans aucunement rechercher, pour évaluer la valeur des parts sociales de la SCI du Village, l'importance du passif social auquel elle était manifestement dans l'impossibilité de faire face, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, applicable en la cause ;
3°/ que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins qu'il n'établisse que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, c'est-à-dire à la date de l'assignation en paiement, lui permet de faire face à son obligation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'à la date où la banque a assigné M. [T] en paiement, le 12 août 2012, la société Vigacha avait été placée en procédure de sauvegarde par jugement du 8 août 2013 ; qu'en s'abstenant totalement de rechercher s'il n'en résultait pas que la valeur des parts sociales de la société Vigacha, détentrice de la quasi-totalité du capital social de la société du Village s'en trouvait nécessairement, et considérablement, diminuée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
30. Après avoir relevé que les cautionnements de M. [T] des 30 juin 2004 et 24 octobre 2005 étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus lors de leur conclusion, l'arrêt retient que M. [T] est associé de la société du Village, avec la société Vigacha, laquelle est propriétaire d'un patrimoine foncier, valorisé par l'expert mandaté par la caution à la somme de 12 000 000 euros en octobre 2010, et que la réserve foncière existait encore au moment de l'assignation de la caution. Il ajoute que, si les statuts de la société du Village ne sont pas communiqués, il ressort du jugement du 15 décembre 2016 que le capital de cette société est détenu à 99,93 % par la société Vigacha, elle-même détenue par M. [T], et à 0,07 % par ce dernier. L'arrêt en déduit qu'eu égard à son patrimoine foncier, détenu au travers des sociétés qu'il contrôlait, M. [T], auquel la banque réclamait les sommes de 1 539 619,21 euros et 291 667,20 euros, outre intérêts conventionnels, était en mesure de faire face à son obligation au moment où il a été appelé.
31. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui a effectué la recherche invoquée par la première branche, et qui n'était pas tenue d'effectuer celles invoquées par les deuxième et troisième branches, qui ne lui étaient pas demandées, a légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen du pourvoi n° E 22-19.826
Enoncé du moyen
32. Les sociétés Vigacha et [Localité 8], et M. [T] font grief à l'arrêt de ne pas retenir la responsabilité contractuelle de la banque pour rupture abusive et brutale des concours et de dire n'y avoir lieu à dommages et intérêts, et de rejeter toutes leurs demandes, alors :
« 1°/ qu'engage sa responsabilité contractuelle à l'égard de l'emprunteur le prêteur qui, s'agissant d'un prêt devant être débloqué par tranches, se dessaisit des fonds dans des conditions contraires aux stipulations contractuelles ; qu'en l'espèce, il est constant que, s'agissant du prêt à débloquer par tranches conclu par la société du Village, le dernier déblocage partiel des fonds a eu lieu le 28 octobre 2011 ; que la banque a notamment refusé de débloquer une fraction du prêt ce qui a mené au rejet, en fin d'année 2011, d'un chèque émis par la SCI du Village au profit du bureau d'études techniques architecturales et coordination ; qu'à cette date, au mois d'octobre 2011, aucun défaut de paiement n'était pourtant imputable à la SCI du Village, en sorte qu'en adoptant ce comportement, la banque a manqué à ses obligations contractuelles ; que pour dire l'inverse, la cour d'appel s'est fondée sur la circonstance que le 16 avril 2012, date de la déchéance du prêt, il existait un impayé à la charge de la SCI du Village ; qu'en statuant ainsi, quand, pour apprécier la correcte exécution de ses obligations par la banque, il appartenait à la cour d'appel de rechercher si, à la date du refus du déblocage des fonds, et non à celle, postérieure, de la déchéance du terme, la SCI du Village avait manqué à ses obligations, la cour d'appel a statué par un motif impropre et a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
2°/ que toute faute contractuelle constitue à l'égard des tiers auxquels elle a causé un dommage une faute délictuelle ; qu'engage sa responsabilité délictuelle à l'égard des tiers le prêteur qui, s'agissant d'un prêt devant être débloqué par tranches, se dessaisit des fonds dans des conditions contraires aux stipulations contractuelles ; qu'en l'espèce, il est constant que, s'agissant du prêt à débloquer par tranches conclu par la société du Village, le dernier déblocage partiel des fonds a eu lieu le 28 octobre 2011 ; que la banque a notamment refusé de débloquer une fraction du prêt ce qui a mené au rejet, en fin d'année 2011, d'un chèque émis par la SCI du Village au profit du bureau d'études techniques architecturales et coordination ; qu'à cette date, au mois d'octobre 2011, aucun défaut de paiement n'était pourtant imputable à la SCI du Village, en sorte qu'en adoptant ce comportement, la banque a manqué à ses obligations contractuelles ; que pour dire l'inverse, la cour d'appel s'est fondée sur la circonstance que le 16 avril 2012, date de la déchéance du prêt, il existait un impayé à la charge de la SCI du Village ; qu'en statuant ainsi, quand, pour apprécier la correcte exécution de ses obligations par la banque, et donc la commission d'une faute délictuelle à l'égard des tiers, il appartenait à la cour d'appel de rechercher si, à la date du refus du déblocage des fonds, et non à celle, postérieure, de la déchéance du terme, l'emprunteur avait manqué à ses obligations, la cour d'appel a statué par un motif impropre et a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
3°/ qu'est abusif le prononcé de la déchéance du terme lorsque le prêteur a lui-même provoqué la défaillance qu'il invoque pour mettre en oeuvre la clause d'exigibilité anticipée ; qu'en l'espèce, en refusant, sans raison valable, de débloquer une nouvelle tranche de prêt après le 28 octobre 2011, quand le concours accordé à la SCI du Village avait notamment pour objet de financer la trésorerie de la société et lui permettait donc, entre autres, d'honorer les échéances du concours, la banque a provoqué la défaillance de l'emprunteur qu'elle a ensuite invoquée pour mettre en oeuvre la clause de déchéance du terme ; qu'en retenant pourtant que la mise en oeuvre de la clause de déchéance du terme du prêt de la société Vigacha ne serait pas abusive dans la mesure où, à la date de celle-ci, il existait un impayé de 105 423,39 euros, sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si cet impayé n'avait pas lui-même été provoqué par la propre faute de la banque qui, antérieurement, avait refusé de débloquer une tranche du crédit de trésorerie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, alinéa 3, devenu 1104, du code civil ;
4°/ que toute faute contractuelle constitue à l'égard des tiers auxquels elle a causé un dommage une faute délictuelle ; qu'est abusif le prononcé de la déchéance du terme lorsque le prêteur a lui-même provoqué la défaillance qu'il invoque pour mettre en oeuvre la clause d'exigibilité anticipée ; qu'en l'espèce, en refusant, sans raison valable, de débloquer une nouvelle tranche de prêt après le 28 octobre 2011, quand le concours accordé à la SCI du Village avait notamment pour objet de financer la trésorerie de la société et lui permettait donc, entre autres, d'honorer les échéances du concours, la banque a provoqué la défaillance de l'emprunteur qu'elle a ensuite invoquée pour mettre en oeuvre la clause de déchéance du terme ; que ce manquement contractuel à l'égard de l'emprunteur constitue à l'égard des tiers une faute délictuelle ; qu'en retenant pourtant que la mise en oeuvre de la clause de déchéance du terme du prêt de la société Vigacha ne serait pas abusive dans la mesure où, à la date de celle-ci, il existait un impayé de 105 423,39 euros, sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si cet impayé n'avait pas lui-même été provoqué par la propre faute de la banque qui, antérieurement, avait refusé de débloquer une tranche du crédit de trésorerie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
5°/ que le manquement contractuel du débiteur qui contribue, fût-ce avec d'autres causes, au dommage en constitue la cause juridique ; qu'en l'espèce, la SCI du Village soulignait que le refus fautif de déblocage d'une tranche du prêt puis le prononcé, également fautif, de la déchéance du terme avaient concouru, serait-ce avec les difficultés extérieures rencontrées par M. [T] pour mener à bien son projet avec le groupe Auchan, à l'échec du projet et, finalement, à la déconfiture des sociétés du groupe Vigacha ; que le tribunal a pourtant retenu ''que les difficultés rencontrées par les requises sont liées à l'évolution et aux modifications du projet initial'' ; qu'en statuant ainsi, à supposer ce motif adopté, sans rechercher si les manquements contractuels de la banque à l'égard de la SCI du Village n'avaient pas contribué, serait-ce avec d'autres causes, au dommage invoqué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil ;
6°/ que la faute délictuelle qui contribue, fût-ce avec d'autres causes, au dommage en constitue la cause juridique ; qu'en l'espèce, les exposants soulignaient que le refus fautif de déblocage d'une tranche du prêt puis le prononcé, également fautif, de la déchéance du terme avaient concouru, serait-ce avec les difficultés extérieures rencontrées par M. [T] pour mener à bien son projet avec le groupe Auchan à l'échec du projet et, finalement, à la déconfiture des sociétés du groupe Vigacha ; que le tribunal a pourtant retenu ''que les difficultés rencontrées par les requises sont liées à l'évolution et aux modifications du projet initial'' ; qu'en statuant ainsi, à supposer ce motif adopté, sans rechercher si les fautes de la banque à l'égard des sociétés du groupe Vigacha n'avaient pas contribué, serait-ce avec d'autres causes, au dommage invoqué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
33. Après avoir relevé que l'objet du prêt du 4 juin 2009 d'un montant de 4 000 000 euros portait sur le financement de la trésorerie de l'emprunteur, la société du Village, et non de toutes les sociétés du groupe, et retenu que le déblocage des fonds était subordonné au respect par l'emprunteur de ses obligations, à savoir le paiement à bonne date des échéances du prêt, sauf à s'exposer à la déchéance du terme, l'arrêt constate que, le 16 avril 2012, la banque a adressé à l'emprunteur une lettre de mise en demeure récapitulant ses divers impayés, dont l'un d'un montant de 105 423,39 euros, et lui a demandé de régulariser sa situation dans le délai de huit jours, sous peine de voir prononcer la déchéance du terme conventionnellement stipulée.
34. L'arrêt en déduit à bon droit que le refus de la banque de débloquer le solde du prêt, et la défaillance de l'emprunteur qui lui serait consécutive, ne peuvent être imputés à faute à la banque.
35. Il s'ensuit que les quatre premières branches du moyen, qui reprochent une faute au créancier, sont mal fondées, et que les deux dernières, qui invoquent le préjudice qui en serait résulté, sont inopérantes.
36. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi n° E 22-19.826
Enoncé du moyen
37. M. [T] fait grief à l'arrêt de dire qu'il ne justifie pas que la banque disposait d'un avantage effectif dans les répartitions et les dividendes si elle avait déclaré sa créance au passif de la procédure de sauvegarde de la société Vigacha, et de le condamner, en conséquence, à payer à la banque une somme de 1 539 619,21 euros à majorer des intérêts au taux conventionnel de 3,9 % l'an du 10 mai 2012 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n° 529675011PR et une somme de 291 667,20 euros, à majorer des intérêts au taux conventionnel de 3,5 % l'an du 10 mai 2012 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n° G01P8C015PR, et de rejeter toutes ses demandes fins et conclusions, alors « que lorsque le créancier a omis de déclarer sa créance, peu important la nature de celle-ci, la caution est déchargée de son obligation si cette dernière aurait pu tirer un avantage effectif du droit d'être admise dans les répartitions et dividendes, susceptible de lui être transmis par subrogation ; qu'il incombe au créancier de prouver que la perte du droit préférentiel dont se plaint la caution n'a causé aucun préjudice à celle-ci ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que ''la banque ne conteste pas le défaut de déclaration de sa créance au passif de la procédure de sauvegarde de la société Vigacha en 2012/2013'', mais a retenu que ''la caution, qui invoque le bénéfice de subrogation, s'abstient de démontrer l'avantage effectif qu'aurait eu le créancier dans les répartitions et dividendes. Son moyen doit par conséquent être rejeté'' ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 devenu 1353 du code civil, ensemble l'article 2314 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2021-1191 du 15 septembre 2021, applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1315, devenu 1353, et 2314, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, du code civil :
38. Aux termes du second de ces textes, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.
39. Il incombe au créancier qui a omis de déclarer sa créance de prouver que la perte du droit préférentiel en résultant, invoquée par la caution, n'a causé aucun préjudice à celle-ci.
40. Pour refuser de décharger M. [T], après avoir relevé que la banque ne contestait pas le défaut de déclaration de sa créance au passif de la procédure de sauvegarde de la société Vigacha et énoncé qu'une créance non déclarée prive son titulaire des répartitions et dividendes, l'arrêt retient que ce dernier s'abstient de démontrer l'avantage effectif qu'aurait eu le créancier dans les répartitions et dividendes, de sorte qu'il ne justifie pas que la banque disposait d'un avantage effectif dans les répartitions et les dividendes si elle avait déclaré sa créance au passif de la procédure de sauvegarde de la société Vigacha.
41. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
Et sur le quatrième moyen du pourvoi n° E 22-19.826
Enoncé du moyen
42. M. [T] et la société [Localité 8] font grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à des dommages et intérêts, et de rejeter toutes leurs demandes, alors :
« 1°/ que pour établir que la banque avait frauduleusement apporté un concours ruineux aux sociétés du groupe Vigacha, et donc engagé sa responsabilité au titre du soutien abusif, les exposants développaient un moyen nouveau à hauteur d'appel, soutenu par des pièces également nouvelles, accompagnant la plainte déposée par M. [T], après le jugement, le 18 mars 2022 ; qu'il était ainsi soutenu que la banque avait intentionnellement fourni aux sociétés du groupe Vigacha des crédits ruineux, cependant que la banque savait qu'ils ne pourraient être remboursés, et ce dans l'intention frauduleuse de favoriser M. [I], client de la banque ; qu'à l'appui de ce moyen étaient produites en appel de nouvelles pièces, annexées à la plainte pénale, à savoir les bilans de la société Thirix de 2008 à 2010, les bilans de la société Vigacha de 2006 à 2011, ainsi qu'un courriel de la banque en date du 30 mai 2009, et un commentaire du tableau d'endettement, chacune de ces pièces étant régulièrement versée aux débats et précisément invoquée par les exposants ; que si les premiers juges avaient retenu que la preuve d'une fraude de la banque ne serait pas rapportée, la cour d'appel n'a aucunement répondu au moyen pris de l'existence d'un soutien abusif par apport frauduleux d'un concours ruineux, cependant qu'il était ainsi produit de nouvelles pièces pour l'établir ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que pour établir que la banque s'était immiscée dans la gestion des emprunteurs et avait apporté un concours ruineux aux sociétés du groupe Vigacha, engageant ainsi sa responsabilité au titre du soutien abusif, les exposants développaient un moyen nouveau à hauteur d'appel, soutenu par des pièces également nouvelles, accompagnant la plainte déposée par M. [T], après le jugement, le 18 mars 2022 ; qu'il était ainsi soutenu que la banque était le véritable maître de l'affaire, privant, par différentes initiatives fautives, M. [T] de toute capacité d'initiative pour dégager de nouveaux financements ; qu'à l'appui de ce moyen pertinent étaient produites de nouvelles pièces en cause d'appel, à savoir les pièces n° 34 à 184 accompagnant la plainte pénale du 18 mars 2022, lesdites pièces étant précisément invoquées par les exposantes dans leurs conclusions ; que si les premiers juges avaient retenu que la preuve d'une immixtion caractérisée de la banque ne serait pas rapportée, la cour d'appel n'a aucunement répondu au moyen pris de l'existence d'un soutien abusif par apport d'un concours ruineux par un dispensateur de crédit s'étant manifestement immiscé dans la gestion des emprunteurs, cependant qu'il était ainsi produit de nouvelles pièces à son appui ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
43. Tout jugement doit être motivé à peine de nullité. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
44. Pour rejeter la demande de dommages et intérêts de M. [T] et de la société [Localité 8], après avoir énoncé, par motifs adoptés, que, selon les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce, en cas d'ouverture d'une procédure collective, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou disproportion des garanties prises, l'arrêt retient qu'il n'est justifié d'aucune fraude ou immixtion de la part de la banque.
45. En statuant ainsi, sans répondre aux moyens de M. [T] et de la société [Localité 8], qui invoquaient, en produisaient de nouvelles pièces en cause d'appel, l'existence d'un soutien abusif par apport frauduleux d'un concours ruineux et l'immixtion par le dispensateur de crédit dans la gestion de l'emprunteur, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS,
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° E 22-19.826, en tant qu'il est formé par les sociétés Thirix, du Village et La Pierre plantée ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. [T] ne justifie pas que la banque disposait d'un avantage effectif dans les répartitions et les dividendes si elle avait déclaré sa créance au passif de la procédure de sauvegarde de la société Vigacha, en ce qu'il le condamne à payer à la banque la somme de 1 539 619,21 euros à majorer des intérêts au taux conventionnel de 3,9 % l'an du 10 mai 2012 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n° 529675011PR et la somme de 201 667,20 euros à majorer des intérêts au taux conventionnel de 3,5 % l'an du 10 mai 2012 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n° G01P8C015PR, et en ce qu'il dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts et rejette les demandes de M. [T] et de la société [Localité 8] du chef d'octroi abusif de crédit, l'arrêt rendu le 15 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
MET HORS DE CAUSE M. [M], ancien liquidateur à la liquidation judiciaire de la société du Village, de la société La Pierre plantée et de la société Thirix ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc à payer à la SCP Delamarre et Jéhannin la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;