Cass. com., 17 février 2021, n° 19-16.075
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Rémery
Rapporteur :
Graff-Daudret
Avocat général :
Guinamant
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 5 mars 2019), le 17 mars 2009, la société Banque populaire Atlantique, aux droits de laquelle est venue la société Banque populaire Grand Ouest (la banque), a ouvert dans ses livres un compte courant au profit de la société Financière Ampère Lavoisier (la société FIAL), qui a demandé un prêt destiné à financer l'acquisition de la nue-propriété des 7 497 actions composant le capital de la société SN Intercycles (société Intercycles) dont elle détenait déjà l'usufruit. Par un acte du 24 mars 2009, la banque s'est fait consentir, préalablement à l'octroi du prêt, le cautionnement de M. B..., gérant de la société. Par un acte du 30 mars 2009, la banque a accordé à la société le prêt demandé, également garanti par le nantissement de la pleine propriété des 7 497 actions de la société Intercycles.
2. Le 8 avril 2011, dans le cadre de la cession de la société Intercycles, est intervenue la cession des 25 % du capital de cette société détenus par la société FIAL, l'intégralité du prix de cette dernière cession étant virée par la banque directement sur le compte de la société FIAL, la banque renonçant ainsi au nantissement dont elle bénéficiait en garantie du prêt du 30 mars 2009.
3. Le 20 octobre 2014, après avoir prononcé la déchéance du terme et la clôture des comptes, la banque a assigné la société FIAL et M. B..., en qualité de caution, en paiement de sommes au titre du solde débiteur du compte courant et du prêt. La caution a invoqué sa décharge, sur le fondement de l'article 2314 du code civil, en soutenant avoir été privée de la possibilité de se voir subrogée dans les droits de la banque, qui n'avait pas mis en oeuvre le nantissement dont elle bénéficiait lors de la vente des actions de la société Intercycles. L'arrêt attaqué a accueilli cette demande.
4. Par jugement du 11 février 2015, la société FIAL a été mise en sauvegarde.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La banque fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de décharge de M. B..., alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, l'article 5 de l'acte de cautionnement solidaire souscrit par M. B... le 24 mars 2009 stipulait qu' "en tant que de besoin, il est précisé que le présent engagement de caution s'ajoute aux autres garanties que LA CAUTION a déjà pu ou qu'elle pourra donner à la BANQUE en faveur de l'EMPRUNTEUR ainsi qu'à celles constituées par ce dernier ou par un tiers" ; que dès lors, en déclarant qu'il importait peu que M. B... soit dans l'ignorance du nantissement qui ne sera constitué que postérieurement à son engagement de caution, puisque les termes de son engagement lui permettaient de se prévaloir de toute garantie existante ou future, quand l'acte de cautionnement solidaire litigieuse ne prévoyait pas que l'engagement de caution s'ajouterait aux garanties futures constituées par l'emprunteur ou par un tiers, cette extension ne concernant que les garanties prises par la caution elle-même, la cour d'appel a dénaturé l'acte de caution, en violation du principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
6. Pour décharger M. B... de son engagement de caution, l'arrêt retient que l'acte de cautionnement contient une clause 5 aux termes de laquelle il est indiqué qu' « En tant que de besoin, il est précisé que le présent engagement de caution s'ajoute aux autres garanties que LA CAUTION a déjà pu ou qu'elle pourra donner à la BANQUE en faveur de L'EMPRUNTEUR ainsi qu'à celles constituées par ce dernier ou par un tiers » et que, dès lors, il importe peu que M. B... ait été dans l'ignorance du nantissement qui ne sera constitué que postérieurement à son engagement, puisque les termes du cautionnement lui permettaient de se prévaloir de toute garantie existante ou future.
7. En statuant ainsi, alors que la clause 5 de l'acte de cautionnement, laquelle se bornait à préciser que l'engagement litigieux s'ajouterait aux autres garanties déjà constituées par l'emprunteur ou des tiers et à celles, déjà existantes ou futures, que la caution aurait elle-même accordées n'avait pas pour objet de permettre à M. B... de se prévaloir de la perte d'une sûreté constituée postérieurement à son engagement par l'emprunteur ou un tiers, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de cette clause, a violé le principe susvisé.
Et sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
8. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ que la décharge de la caution suppose qu'elle ne puisse plus être subrogée dans le bénéfice de droits en considération desquels elle s'est engagée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que le nantissement des actions de la société SN Intercycles a été constitué postérieurement à la date à laquelle M. B... a souscrit son engagement ; qu'ainsi, le droit préférentiel prétendument perdu par la faute de la banque n'existait pas lorsque M. B... s'est engagé en qualité de caution ; qu'en retenant néanmoins que M. B... devait être déchargé de son engagement de caution en application de l'article 2314 du code civil, pour avoir été privé de la possibilité de se voir subrogé dans les droits que la banque, qui n'avait pas mis en oeuvre le nantissement dont elle bénéficiait lors de la vente des parts sociales, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation dudit article 2314 du code civil ;
3°/ que dans ses conclusions d'appel, invoquant la jurisprudence de la Cour de cassation à ce titre, la société Banque populaire Atlantique soutenait que M. B... ne démontrait pas, comme il y était pourtant tenu, avoir fait de la constitution d'un nantissement un élément déterminant de son engagement de caution, aucune référence n'étant notamment faite dans le cautionnement à un éventuel nantissement ; que dès lors, en se bornant à retenir que M. B..., gérant de la société bénéficiaire du prêt cautionné, connaissait parfaitement l'existence du nantissement pris en garantie et qui sera formalisé dans l'acte de prêt conclu six jours après son engagement de caution, sans rechercher, comme elle y était invitée, si celui-ci avait fait de cette garantie supplémentaire, non encore prise à la date de la souscription du cautionnement, un élément déterminant de son engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2314 du code civil :
9. Aux termes de ce texte, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.
10. Pour décharger M. B... de son engagement de caution, l'arrêt retient encore que ce dernier, gérant de la société bénéficiaire du prêt cautionné, connaissait parfaitement l'existence du nantissement pris en garantie et qui sera formalisé dans l'acte de prêt conclu six jours après son engagement de caution et dont les conditions étaient nécessairement arrêtées et connues à la date du cautionnement souscrit.
11. En se déterminant ainsi, alors que la caution n'est libérée, lorsque la subrogation aux droits, privilèges et hypothèques du créancier ne peut plus s'opérer en sa faveur, que si ces garanties existaient antérieurement à son engagement ou étaient entrées dans les prévisions des parties, la cour d'appel qui, constatant que le nantissement des actions avait été consenti à la banque postérieurement au cautionnement, n'a pas recherché si la banque s'était engagée à l'obtenir ou si la caution avait légitimement pu croire qu'elle le prendrait, n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement du 22 août 2017, il décharge M. B... de son cautionnement du 24 mars 2009, l'arrêt rendu le 5 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Condamne M. B... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. B... à payer à la société Banque populaire Grand Ouest la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février deux mille vingt et un.