Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-14.632
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mouillard
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Fortis banque France, aux droits de laquelle est venue la société BNP Paribas (la banque), a consenti à la société Habitat gestion transaction (la société) cinq prêts garantis par les engagements de caution de M. [X] ; que la société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné en paiement la caution, qui a demandé sa décharge sur le fondement de l'article 2314 du code civil, en reprochant au créancier de n'avoir pas fait procéder, dès la défaillance du débiteur principal, à la vente du fonds de commerce de la société qui était nanti à son profit ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. [X] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque diverses sommes alors, selon le moyen :
1°/ qu'est fautif le fait, pour le créancier bénéficiaire d'un cautionnement, de tarder à procéder à la réalisation d'un nantissement de fonds de commerce qui aurait permis de rembourser la dette garantie ; qu'en jugeant que la banque n'avait commis aucune faute au motif inopérant que le nantissement de fonds de commerce ne faisait pas naître un droit à l'attribution judiciaire du gage, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la banque n'avait pas commis une faute en s'abstenant de solliciter la vente judiciaire du fonds de commerce, dans les semaines qui avaient suivi la défaillance de la débitrice principale quand ledit fonds avait encore une valeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil, ensemble l'article L. 143-5 du code de commerce ;
2°/ que le non exercice, par le créancier bénéficiaire d'un cautionnement, de la faculté de réaliser un nantissement de fonds de commerce, est constitutif d'une faute s'il avait permis au créancier d'être désintéressé ; qu'en jugeant, pour exclure toute faute de l'établissement de crédit, que la vente du fonds de commerce n'était qu'une simple faculté offerte au créancier « celui-ci restant libre de la mettre en oeuvre ou non dans le contexte notamment de ses relations avec la société débitrice », sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la réalisation du nantissement dans les semaines qui avaient suivi la défaillance de la débitrice principale n'aurait pas permis à la banque d'être désintéressée de sorte qu'en omettant d'exercer une telle faculté, l'établissement de crédit avait commis une faute à l'égard de la caution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil, ensemble l'article L. 143-5 du code de commerce ;
3°/ que le créancier gagiste peut, en vertu d'un titre sous-seing privé, faire ordonner la vente du fonds de commerce qui constitue son gage, huit jours après la sommation de payer demeurée infructueuse faite au débiteur et au tiers détenteur ; qu'en excluant toute faute de la banque aux motifs inopérant qu'elle avait « dès le mois d'août 2007, assigné la société Habitat gestion transaction en paiement des mensualités d'emprunts concernés » sans rechercher, comme elle y était invitée, si la banque n'avait pas tardé à procéder à la réalisation de son nantissement alors qu'elle était en mesure de le faire dès l'exigibilité de la dette principale sans avoir à solliciter l'obtention d'un titre exécutoire constant l'existence et le quantum de sa créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil, ensemble l'article L. 143-5 du code de commerce ;
4°/ que le non exercice par le créancier de la faculté de réaliser un nantissement de fonds de commerce, est constitutif d'une faute s'il avait permis au créancier d'être désintéressé ; qu'en jugeant, pour exclure toute faute de l'établissement de crédit, que la valeur du fonds de commerce au jour de l'ouverture de la procédure collective n'était pas établie et qu'il résultait d'un courrier du liquidateur de la société que la procédure aurait été
impécunieuse de sorte qu'« aucune faute ne [pouvait] être imputée à la banque pour n'avoir pas engagé une poursuite individuelle vouée à l'échec » sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée si, dans les semaines qui avaient suivi la défaillance de la débitrice principale, le nantissement avait encore une valeur qui aurait justifié sa réalisation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil, ensemble l'article L. 143-5 du code de commerce ;
5°/ que la perte de valeur du bien donné en nantissement constitue la perte d'un droit préférentiel ; qu'en jugeant que la caution n'établissait pas « le droit précis qu'elle aurait perdu du fait de l'inaction de la banque » cependant qu'elle constatait elle-même que la caution reprochait à la banque de ne pas avoir mis en oeuvre son nantissement et de s'être ainsi désintéressée « du sort de ses gages », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et ainsi violé l'article 2314 du code civil ;
6°/ que c'est à la banque qui ne sollicite pas la réalisation de son nantissement après l'ouverture de la procédure collective de prouver que la perte de ce droit n'a causé aucun préjudice à la caution ; qu'en jugeant qu'« aucune faute ne [pouvait] être imputée à la banque pour n'avoir pas engagé une poursuite individuelle vouée à l'échec » après l'ouverture de la procédure collective aux motifs que la valeur du fonds de commerce au jour de l'ouverture de la procédure collective n'était pas établie et que le droit de poursuite individuelle n'avait pas pour effet de modifier l'ordre des paiements des différents créanciers, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et ainsi violé les articles 1315 et 2314 du code civil, ensemble l'article L. 643-2 du code de commerce ;
7°/ que M. [X] faisait valoir, dans ses conclusions, que la valeur du fonds de commerce donné en gage n'aurait nullement été absorbée par les créances qui primaient celle de l'établissement de crédit ; qu'en jugeant que la réalisation du nantissement aurait été vaine, aux motifs que « l'article L. 643-2 du code de commerce n'a[vait] pas pour effet de modifier l'ordre de paiement des différents créanciers » sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
8°/ que commet une faute le créancier bénéficiaire d'un nantissement qui s'abstient d'exercer son droit de poursuite individuelle dans l'intérêt de la caution ; qu'en jugeant qu'« aucune faute ne [pouvait] être imputée à la banque pour n'avoir pas engagé une poursuite individuelle vouée à l'échec » après l'ouverture de la procédure collective aux motifs qu'il résultait d'un courrier du liquidateur que la procédure était impécunieuse, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la perte de valeur du fonds n'était pas consécutive à l'inaction du créancier pendant la durée de la procédure collective, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil, ensemble l'article L. 643-2 du code de commerce ;
Mais attendu que le seul fait pour le créancier bénéficiaire du nantissement d'un fonds de commerce de ne pas faire ordonner la vente de ce dernier, sur le fondement de l'article L. 143-5 du code de commerce, dès la défaillance du débiteur principal, ou, sur le fondement de l'article L. 643-2 du même code, après l'ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur, ne constitue pas en soi une faute au sens de l'article 2314 du code civil ; qu'il incombe, en outre, à la caution, qui se prévaut des dispositions de ce texte, de démontrer la perte, par le fait exclusif du créancier, du droit dans lequel elle pouvait être subrogée, cette perte pouvant résulter du dépérissement de l'assiette du gage ; qu'après avoir relevé que M. [X] avait été informé, les 23 et 29 mai 2007, des mises en demeure adressées par la banque à la débitrice principale, qui a été mise en liquidation judiciaire le 12 septembre 2007, l'arrêt retient, par motifs propres, que si la caution justifie de l'évaluation du fonds de commerce de la société Habitat gestion transaction, lors de la cession de celle-ci, le 28 février 2006, à la somme de 1 069 418 euros, cette évaluation a été réalisée un an et demi avant l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société, et que les bilans des années 2004 et 2005 n'ont aucune force probante, seule la lecture du bilan de 2006, non versé aux débats, permettant de démontrer que le fonds avait gardé toute sa consistance au jour de l'ouverture de la procédure, intervenue peu après la défaillance du débiteur ; que l'arrêt retient encore, par motifs adoptés, que les débats n'ont pas permis d'expliquer la perte de valeur du fonds de commerce exploité par la société Habitat gestion transaction entre, d'une part, l'acquisition de la société Conseils services immobiliers par la société Habitat gestion transaction, puis la cession de cette dernière par la société CIPI à la société Immobilière Bord de Seine, le 28 février 2006, et d'autre part, la liquidation judiciaire de la société Habitat gestion transaction, ouverte le 12 septembre 2007 ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la perte du nantissement n'était pas imputable exclusivement au fait du créancier, ni fautive, et n'avait causé aucun préjudice à la caution, la cour d'appel, qui a effectué les recherches invoquées et répondu en les écartant aux conclusions prétendument délaissées, a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. [X] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque la somme de 76 260,03 euros assortie des intérêts contractuels alors, selon le moyen :
1°/ que l'ambiguïté née du rapprochement de deux actes rend nécessaire leur interprétation ; qu'en jugeant que l'acte de cautionnement qui stipulait que la caution s'était engagée dans la limite du plafond de 84 600 euros était parfaitement clair sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le contrat de prêt qui prévoyait que la caution devrait garantir 60 % de l'encours ne rendait pas nécessaire l'interprétation du contrat de cautionnement dès lors que la caution soutenait que l'intention des parties avait été de garantir 60 % de l'encours, dans la limite de 84 600 euros et cependant qu'elle constatait elle-même que telle avait été la rédaction adoptée pour un autre contrat de cautionnement conclu entre les mêmes parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1156 du code civil ;
2°/ que l'ambiguïté rendant nécessaire l'interprétation d'un contrat peut naître du rapprochement de plusieurs actes qui concourent à la même opération ; qu'en jugeant, par motifs adoptés, que « seul l'acte de cautionnement du 25 mars 2004 définissait l'engagement souscrit par M. [P] [X] » et que ce dernier n'était pas fondé à se prévaloir des stipulations de l'acte de prêt par laquelle les parties avaient prévu comme
condition de mise en place du crédit que la caution devrait garantir 60 % de l'encours du prêt sans rechercher si l'ambiguïté née du rapprochement de ces deux actes dont le premier, signé par la caution en qualité de représentant du débiteur principal, avait déterminé les conditions du cautionnement, ne rendait pas nécessaire leur interprétation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1156 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que l'acte de cautionnement du prêt de 141 000 euros, du 25 mars 2004, stipulait que M. [X] se rendait « caution de Habitat gestion transaction, dans la limite de la somme de 84 600 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard », la cour d'appel, qui a exactement retenu que l'engagement de la caution était clair, et qui, dès lors, n'avait pas à le rapprocher d'autres actes pour l'interpréter, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que M. [X] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque la somme de 46 200 euros assortie des intérêts contractuels alors, selon le moyen :
1°/ que l'ambiguïté née du rapprochement de deux actes rend nécessaire leur interprétation ; qu'en jugeant que M. [X] s'était porté caution dans la limite de 46 200 euros sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le contrat de prêt qui prévoyait que la caution devrait garantir 60 % de l'encours ne rendait pas nécessaire l'interprétation du contrat de cautionnement dès lors que la caution soutenait que l'intention des parties avait été de garantir 60 % de l'encours, dans la limite de 46 200 euros et cependant qu'elle constatait elle-même que telle avait été la rédaction adoptée pour un autre engagement de caution conclu entre les mêmes parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1156 du code civil ;
2°/ que l'ambiguïté rendant nécessaire l'interprétation d'un contrat peut naître du rapprochement de plusieurs actes qui concourent à la même opération ; qu'en jugeant, par motifs adoptés, que seul l'acte de cautionnement définissait l'obligation de la caution et que cette dernière n'était pas fondée à se prévaloir des stipulations de l'acte de prêt par laquelle les parties avaient prévu comme condition de mise en place du crédit que la caution devrait garantir 60 % de l'encours du crédit sans rechercher si l'ambiguïté née du rapprochement de ces deux actes dont le premier, signé par la caution en qualité de représentant du débiteur principal, avait déterminé les conditions du cautionnement, ne rendait pas nécessaire leur interprétation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1156 du code civil ;
Mais attendu que l'acte de cautionnement du prêt de 77 000 euros, du 25 mars 2004, stipulait que M. [X] se rendait « caution de Habitat gestion transaction, dans la limite de la somme de 46 200 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard » ; qu'en l'état de ces termes clairs de l'engagement de la caution, la cour d'appel, qui n'avait pas à le rapprocher d'autres actes pour l'interpréter, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour condamner M. [X] à payer à la banque les sommes de 76 260,03 euros avec intérêts au taux de 9,70 % l'an à compter du 1er juin 2007, de 21 177,75 euros avec intérêts au taux de 9,70 % l'an à compter du 1er juin 2007, de 46 200 euros avec intérêts au taux de 10,20 % l'an à compter du 1er juin 2007, de 108 166,08 euros avec intérêts au taux de 10,65 % à compter du 1er juin 2007, avec capitalisation, l'arrêt retient que la banque verse aux débats les lettres annuelles d'information envoyées à la caution, de l'année suivant la conclusion de chacun des contrats d'emprunt à mars 2007, précédant la « déconfiture » de la société débitrice ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [X] qui lui demandait de constater que la banque, qui devait se conformer aux prescriptions de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier jusqu'à l'extinction de la dette garantie par le cautionnement, ne justifiait pas avoir procédé à l'information annuelle de la caution pour la période postérieure au 31 décembre 2006, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [X] à payer à la société BNP Paribas les sommes de 76 260,03 euros avec intérêts au taux de 9,70 % l'an à compter du 1er juin 2007, 21 177,75 euros avec intérêts au taux de 9,70 % l'an à compter du 1er juin 2007, 46 200 euros avec intérêts au taux de 10,20 % l'an à compter du 1er juin 2007, 108 166,08 euros avec intérêts au taux de 10,65 % l'an à compter du 1er juin 2007, et capitalisation, et en ce qu'il statue sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, l'arrêt rendu le 17 décembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société BNP Paribas aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille dix-sept.