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Décisions

Cass. 1re civ., 6 janvier 2021, n° 19-16.346

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Batut

Rapporteur :

Avel

Cass. 1re civ. n° 19-16.346

5 janvier 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 novembre 2018), par acte notarié du 14 juin 2004, la société civile immobilière Tomago (la SCI) a acquis, pour un prix de 258 000 euros, un bien immobilier financé en totalité par un prêt consenti par la société Banque populaire du Sud (la banque), dont M. C... et Mme H..., son épouse, se sont portés cautions solidaires. Le 11 août suivant, la banque a fait inscrire son privilège de prêteur de deniers. Par acte du 13 juin 2005, elle a consenti un second prêt à la SCI pour lequel elle a fait inscrire une hypothèque conventionnelle. Le 31 mars 2008, la SCI a vendu le bien pour un montant de 540 000 euros et, au vu d'un décompte établi par la banque des sommes restant dues au titre des deux prêts, celle-ci a reçu paiement par le notaire de la somme de 102 399,92 euros.

2. Le 13 janvier 2017, la banque a signifié un commandement de payer aux fins de saisie-vente à Mme H..., ayant entre temps divorcé (la caution).

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt de décharger Mme H... de son engagement de caution, de déclarer nul et de nul effet le commandement de payer aux fins de saisie-vente, et d'ordonner la mainlevée et la radiation de l'inscription d'hypothèque judiciaire, alors :

« 1°/ que la caution, qui dispose de la faculté d'exercer le droit de suite, bien que celui-ci soit affecté d'aléas procéduraux, ne perd pas le droit de préférence dans lequel elle a vocation à être subrogée, lequel peut être exercé dans des conditions différentes de celles dont bénéficiait le créancier lors de l'inscription de sa sûreté ; qu'en énonçant, pour juger que la banque avait commis une faute ayant fait perdre à la caution les avantages de la subrogation dans ses droits, que si l'article 2314 ne conditionnait pas la décharge de la caution à la preuve de l'impossibilité que la subrogation s'opère dans les conditions dont le créancier bénéficiait lors de l'inscription de la sureté, le droit préférentiel n'existait que s'il était susceptible de conférer une véritable position privilégiée à la caution, et en retenant que Mme H..., contrainte d'exercer le droit de suite dont l'issue était incertaine, ne bénéficiait dès lors plus d'une telle position privilégiée en sorte qu'elle avait perdu un droit de préférence dans lequel elle avait vocation à être subrogée, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute du créancier au sens de l'article 2037 dans sa rédaction applicable au litige devenu l'article 2314 du code civil, a violé cette disposition ;

2°/ qu'en toute hypothèse, les motifs hypothétiques équivalent à un défaut de motifs ; qu'en énonçant, pour retenir que la banque avait commis une faute ayant fait perdre à la caution les avantages de la subrogation dans ses droits, que la caution aurait dû se trouver déchargée après paiement du prix de vente et qu'elle était désormais contrainte d'exercer le droit de suite à l'encontre de l'acquéreur du bien, que ce dernier qui aurait se trouver propriétaire d'un bien libre de toute inscription ne manquera pas de s'opposer aux poursuites en mettant en cause le notaire, lequel ne manquera pas d'appeler en cause la banque, la cour d'appel, qui a ainsi statué par des motifs hypothétiques, n'a pas motivé sa décision en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que ne constitue pas une faute, au sens de l'article 2037 devenu 2314 du code civil, le fait pour le créancier, au moment de la vente du bien immobilier sur lequel est inscrit son privilège de prêteur de deniers, de présenter un décompte erroné impliquant qu'il ne puisse, à cette occasion, voir sa créance intégralement réglée et d'en solliciter le paiement du solde à la caution ; qu'en retenant, pour juger que la banque avait commis une faute ayant fait perdre à la caution les avantages de la subrogation dans ses droits, que le 31 mars 2008, lors de la vente du bien appartenant à la société débitrice dont le prix permettait de solder la créance, la banque avait produit un décompte erroné ne comportant pas le montant exact de la dette, qu'elle avait attendu le 2 septembre 2008 pour produire un nouveau décompte, date à laquelle le notaire s'était déjà libéré auprès du débiteur du solde de prix, et qu'elle s'était ainsi privée de la possibilité d'obtenir le règlement total de sa créance qui aurait eu pour conséquence de décharger les cautions, la cour d'appel, qui a de nouveau statué par des motifs impropres à caractériser une faute au sens de l'article 2037 dans sa rédaction applicable au litige devenu l'article 2314 du code civil, a violé cette disposition ;

4°/ que ne constitue pas une faute, au sens de l'article 2037 devenu l'article 2314 du code civil, le fait pour le créancier de demander à la caution le règlement du solde de sa créance, même plusieurs années après l'exécution du privilège de prêteurs de deniers qui n'en avait permis qu'un règlement partiel ; qu'en retenant, pour juger que la banque avait commis une faute ayant fait perdre à la caution les avantages de la subrogation dans ses droits, qu'alors que la débitrice principale était propriétaire de plusieurs biens immobiliers sur la vente desquels la banque aurait pu obtenir le paiement du solde de sa créance, cette dernière avait engagé des poursuites contre la caution neuf années après le premier paiement reçu, soit à une date à laquelle lesdits bien avaient été cédés, la cour d'appel, qui a, encore, statué par des motifs impropres à caractériser une faute au sens de l'article 2037 dans sa rédaction applicable au litige devenu l'article 2314 du code civil, a violé cette disposition ;

5°/ que seule constitue une faute de nature à décharger la caution de son engagement le fait pour le créancier de s'être abstenu de garantir le paiement de la dette par l'inscription d'une sûreté en considération de laquelle la caution s'était engagée ; qu'en jugeant que la banque avait commis une faute ayant fait perdre à la caution les avantages de la subrogation dans ses droits, dès lors qu'elle s'était abstenue de garantir le paiement de la dette par l'inscription de sûretés sur des biens dont la débitrice principale était encore propriétaire après la vente, ce qui ne s'imposait pourtant pas à elle en sa seule qualité de créancière garantie par un cautionnement, la cour d'appel a violé l'article 2037, dans sa rédaction applicable au litige, devenu l'article 2314 du code civil ;

6°/ que ne constitue pas une faute, au sens de l'article 2037 devenu l'article 2314 du code civil, le fait pour le créancier, qui bénéficie à la fois d'un cautionnement et d'une sûreté réelle garantissant la même dette, d'agir en priorité contre la caution au lieu d'exercer le droit de suite ; qu'en retenant, pour juger que la banque avait commis une faute ayant fait perdre à la caution les avantages de la subrogation dans ses droits, que la banque n'avait pas exercé le droit de suite dont elle était pourtant titulaire et avait préféré prendre une inscription d'hypothèque sur un bien dont était propriétaire Mme H..., la cour d'appel, qui a, encore, statué par des motifs impropres à caractériser une faute au sens de l'article 2037 dans sa rédaction applicable au litige devenu l'article 2314 du code civil, a violé cette disposition. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article 2037, devenu 2314 du code civil, la caution est déchargée lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution et toute clause contraire est réputée non écrite.

5. Ce texte s'applique aussi bien au cas où une simple négligence du créancier a rendu la subrogation impossible que lorsque cette impossibilité provient d'un fait direct et positif de sa part. Il appartient au créancier d'établir que la subrogation, devenue impossible par son inaction, n'aurait pas été efficace.

6. Après avoir relevé que la banque avait, lors de la vente du bien immobilier, produit un décompte erroné sur les sommes demeurant dues, en conséquence duquel elle s'était privée de la possibilité d'obtenir le règlement total de sa créance qui aurait eu pour effet de décharger les cautions, l'arrêt retient qu'elle a, ensuite, tardé à produire un nouveau décompte à une date à laquelle le notaire s'était déjà libéré du solde du prix. Il ajoute qu'elle est demeurée inactive pendant près de neuf années avant d'engager des poursuites à l'encontre de la caution, après que la SCI eut cédé d'autres biens immobiliers sur lesquels elle s'est abstenue d'inscrire des sûretés. Il ajoute que la banque n'a pas exercé le droit de suite dont elle était titulaire contre l'acquéreur du bien, en ne laissant à la caution que la possibilité d'exercer elle-même ce droit à l'issue incertaine.

7. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a statué par des motifs ni hypothétiques ni impropres, a pu déduire que la banque avait, par ses fautes exclusives, privé la caution du bénéfice de la subrogation et qu'elle ne démontrait pas que la subrogation n'aurait apporté aucun avantage à la caution, de sorte que celle-ci devait être déchargée de son engagement.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Banque populaire du Sud aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six janvier deux mille vingt et un.

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