CA Pau, 2e ch - sect. 1, 17 novembre 2025, n° 25/00302
PAU
Arrêt
Autre
PhD/PM
Numéro 25/3127
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 17 NOVEMBRE 2025
Dossier : N° RG 25/00302 - N° Portalis DBVV-V-B7J-JCRK
Nature affaire :
Action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre des dirigeants
Affaire :
S.E.L.A.R.L. [18]
C/
[P] [V]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 17 NOVEMBRE 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 15 Septembre 2025, devant :
Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,
assisté de Mme DENIS, Greffier présent à l'appel des causes,
Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Laurence BAYLAUCQ et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Laurence BAYLAUCQ, Conseillère
Mme Véronique FRANCOIS, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
Le Ministère Public a eu connaissance de la procédure le 14/02/2025
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
S.E.L.A.R.L. [18] prise en la personne de Me [R] [S] ès-qualité de
lliquidateur judiciaire de la SAS [16], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me François PIAULT, avocat au barreau de PAU
assistée de Me Laurent BENOUAICH, de BBO SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
INTIME :
Monsieur [P] [V]
né le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 19] (GABON)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Caroline CROZET, avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 27 JANVIER 2025
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE
FAITS-PROCEDURE -PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES :
La société [16] (sas), immatriculée au RCS de [Localité 9] le 9 avril 2020, a notamment pour objet social « l'intermédiation entre des entreprises et des investisseurs privés et institutionnels sur une plateforme informatique à des fins d'affacturage et cession de créances, et plus généralement intermédiaire en opérations de banque et services de paiement, financement participatif via des opérations d'affacturage et cession de créances ».
M. [P] [V] est le principal actionnaire et dirigeant de la société.
La société est immatriculée en qualité d'intermédiaire en financement participatif auprès de l'ORIAS, organisme en charge du registre officiel des intermédiaires en assurance, banque et finance tenu par l'Orias, depuis le 29 avril 2020.
Le 23 février 2023, la société [16] a été assignée en liquidation judiciaire par un prestataire de services informatiques.
Par jugement du 27 mars 2023, le tribunal de commerce de Bayonne a ouvert une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire le 19 juin 2023, la selarl [18] étant nommée en qualité de liquidateur judiciaire. Suivant exploit du 9 février 2024, la selarl [18] ès qualités a fait assigner M. [V] par devant le tribunal de commerce de Bayonne en responsabilité et indemnisation de l'insuffisance d'actif d'un montant de 597.422,68 euros, sur le fondement de l'article L651-2 du code de commerce.
Par jugement contradictoire du 4 février 2025, le tribunal de commerce a :
- condamné M. [V] à payer à la selarl [18] ès qualités la somme de 100.000 euros au titre de l'insuffisance d'actif
- prononcé une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, en tout cas toute personne morale pour une durée de 2 ans à compter du jugement
- inscrit cette sanction au fichier national des interdits de gérer
- condamné M. [V] à verser à la selarl [18] ès qualités la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la selarl [18] ès qualités du complément de sa demande
- ordonné l'exécution provisoire du jugement -condamné M. [V] aux dépens.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 4 février 2025, la selarl [18] ès qualités a relevé appel de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 9 septembre 2025.
***
Vu les dernières conclusions notifiées le 27 juin 2025 par la selarl [18] ès qualités qui a demandé à la cour de :
In limine litis :
- se déclarer non saisie de l'appel incident de M. [V]
- en conséquence, confirmer les dispositions du jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [V] à une interdiction de gérer de deux ans et inscrit cette sanction au fichier national des interdits de gérer.
A titre principal :
- infirmer le jugement entrepris sur le montant de la condamnation mise à la charge de M. [V] et, statuant à nouveau de :
- condamner M. [V] à lui verser la somme de 597.422,68 euros au titre de l'insuffisance d'actif.
Sur l'appel incident de M. [V] :
- le juger mal fondé et, en conséquence, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [V] à une interdiction de gérer de deux ans et inscrit cette sanction au fichier national des interdits de gérer.
En tout état de cause :
- condamner M. [V] aux dépens, outre au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées le 1er mai 2025 par M. [V] qui a demandé à la cour de :
A titre principal :
sur l'appel principal :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [V] pour insuffisance d'actif.
sur appel incident :
- le déclarer recevable en son appel incident
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a l'a condamné à une peine d'interdiction de gérer.
A titre subsidiaire :
- réduire le quantum de la condamnation pour insuffisance d'actif à de plus justes proportions
- réduire le quantum de l'interdiction de gérer à de plus justes proportions.
En tout état de cause :
- condamner la selarl [18] ès qualités à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions remises et notifiées le 3 septembre 2025 par le procureur général près la cour d'appel qui a demandé à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris sur le principe de la responsabilité de M. [V] dans l'insuffisance d'actif
- condamner M. [V] à payer la somme de 597.422,68 euros au titre de l'insuffisance d'actif
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il sanctionne les fautes de gestion de M. [V] dans la gestion de la société [16]
- condamner M. [V] à la faillite personnelle pour une durée de 10 ans.
MOTIFS :
observations liminaires :
Le 12 septembre 2025, M° [B], conseil de M. [V], a informé la cour qu'elle « n'intervenait plus pour le compte de M. [V] » dans la présente affaire.
M° [B] a fait déposer son dossier de plaidoiries à l'audience de plaidoiries du 15 septembre 2025.
M. [V] s'est présenté en personne à l'audience de la cour en sollicitant un renvoi de l'affaire au motif que l'essentiel du passif déclaré avait fait l'objet de contestations devant être examinées à l'audience du juge-commissaire du 9 octobre 2025.
La cour a indiqué à M. [V] qu'il ne pouvait pas, dans la présente procédure écrite avec constitution d'avocat, présenter une demande en justice sans l'assistance d'un avocat.
La cour a également rappelé que, en application de l'article 419 du code de procédure civile, M° [B] n'est pas déchargée de son mandat de représentation tant qu'elle n'est pas remplacée par un nouveau représentant constitué par M. [V].
Par ailleurs, la cour a demandé au conseil de la selarl [18] ès qualités de produire une note en délibéré comportant la communication de la liste des créances vérifiées et arrêtées par le juge-commissaire et le compte analytique actualisé de la liquidation judiciaire, avec copie à M° [B].
Le 19 septembre 2025, l'appelante a produit les pièces sollicitées par la cour accompagnées de ses observations par note en délibéré communiquée à M° [B] constituée pour l'intimé.
sur l'appel incident de M. [V] :
Aux termes du dispositif de ses conclusions, lequel seul saisit la cour des prétentions des parties qu'il énonce, conformément à l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, M. [V] a expressément formé un appel incident en demandant à la cour d'infirmer le jugement «en ce qu'il l'a condamné à une peine d'interdiction de gérer ».
Malgré une maladresse rédactionnelle indiquant « sur l'appel principal », M. [V], en demandant l'infirmation du jugement « en ce qu'il l'a condamné pour insuffisance d'actif » a également formé un appel incident de ce chef.
Cependant, dans les deux cas, M. [V] n'a pas formé de prétention en conséquence de l'infirmation sollicitée sur le principe des deux condamnations, et notamment n'a pas demandé le débouté des demandes de la selarl [18] ès qualités.
Par conséquent, la cour n'est saisie d'aucune prétention de nature à remettre en cause le principe des deux condamnations prononcées contre M. [V], principe dont l'appelante sollicite la confirmation.
sur les demandes du ministère public :
S'agissant de l'interdiction de gérer d'une durée de deux années prononcée par le jugement entrepris contre M. [V], la selarl [18] ès qualités a demandé la confirmation du jugement de ce chef.
Le ministère public a demandé d'aggraver la sanction en condamnant M. [V] à la faillite personnelle pour une durée de 10 ans.
Si en matière de sanctions du dirigeant d'une personne morale objet d'une procédure collective, le ministère public, partie jointe en première instance, peut former un appel, en l'espèce, le ministère public n'a pas demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris sur la condamnation.
Dès lors, la cour n'est pas saisie d'un appel incident du ministère public sur la sanction personnelle de M. [V].
sur l'insuffisance d'actif :
En droit, si l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif de l'article L 651-2 du code de commerce, qui implique dans tous les cas la vérification du passif chirographaire en application de l'article L 641-4 alinéa 2 du même code, n'impose pas que le passif antérieur au jugement d'ouverture soit définitivement arrêté que l'actif soit entièrement réalisé, il faut que l'insuffisance d'actif soit certaine, son existence et son montant devant être appréciés par le juge où il statue.
En l'espèce, il ressort des pièces produites à la demande de la cour, précisant la liste succincte des créances que, par décision apposée sur l'état des créances en date du 22 janvier 2024, le juge-commissaire a arrêté la liste des créances privilégiées antérieures au jugement d'ouverture pour un montant de 70.886,61 euros dont 19.872,25 euros à titre provisionnel.
Et, par décision apposée sur l'état des créances en date du 26 juin 2025, le juge-commissaire a arrêté la liste des créances chirographaires antérieures au jugement d'ouverture pour un montant de 554.336,77 euros avec les propositions d'admission et de rejet du mandataire au vu des contestations du débiteur.
La selarl [18] ès qualités chiffre l'insuffisance d'actif à la somme de 597.422,68 euros dont elle réclame le paiement intégral.
Cependant, le passif privilégié provisionnel, qui n'a pas fait l'objet d'un titre définitif à ce jour, ne peut être pris en compte dans l'insuffisance d'actif.
Le surplus n'étant pas contesté, le passif privilégié certain est donc, à ce jour, de 51.014,36 euros.
Le passif chirographaire antérieur est contesté par le débiteur à concurrence de 473.424,51 euros dont 300.998 euros déclarés par trois investisseurs de la plateforme [16] et 121.003 euros par la société de services de paiement [20].
Le passif contesté par le débiteur, devant faire l'objet d'une instance en admission devant le juge-commissaire, ne peut être pris en compte dans l'insuffisance d'actif déterminable à ce jour.
Par conséquent, le passif chirographaire définitif de 80.912,26 euros est certain à ce jour.
Au total, le passif certain, privilégié et chirographaire, est donc de 51.014,36 + 80.912,26 = 131.926,62 euros.
S'agissant de l'actif, il ressort du relevé du compte analytique de la liquidation judiciaire actualisé au 16 septembre 2025, produit à la demande de la cour, que la liquidation judiciaire a encaissé la somme totale de 79.510,90 euros.
Si une fraction de ces fonds a été employée au paiement de créances postérieures, il reste qu'il y a lieu de prendre en compte, au titre de l'insuffisance d'actif, la totalité des fonds recouvrés.
Il résulte des considérations qui précèdent que l'insuffisance d'actif certaine, à ce jour, doit être fixée à : 131.926,62 ' 79.510,90 = 52.415,72 euros.
Si M. [V] n'a pas spécialement conclu sur l'insuffisance d'actif, sa contestation de l'essentiel des déclarations de créance revient à élever une contestation sur l'insuffisance d'actif dont l'indemnisation est réclamée par la selarl [18] ès qualités.
sur les fautes de gestion :
En application de l'article L 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion, à l'exception de la simple négligence, ayant contribué à l'insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par tous dirigeants de droit ou de fait [...] ayant contribué à cette faute de gestion.
En l'espèce, la selarl [18] ès qualités reproche à M. [V] :
- l'absence de déclaration de la cessation des paiements dans les 45 jours de la cessation des paiements, en violation de l'article L631-4 du code de commerce
- l'exercice illégal et frauduleux de l'activité d'affacturage par la société [16]
- la poursuite de l'activité déficitaire de la société [16]
- l'irrégularité comptable de la société [16]
1°-sur l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements :
L'article L 631-4 du code de commerce dispose que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas été, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
En application de l'article L 653-8 du même code, la tardiveté ou l'omission de la déclaration de cessation des paiements peut être sanctionnée par une mesure d'interdiction de gérer si le dirigeant s'est sciemment abstenu de procéder à la déclaration de la cessation des paiements dans les 45 jours, sans avoir, par ailleurs demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
En matière de responsabilité pour insuffisance d'actif, la déclaration tardive de cessation des paiements, sauf si elle procède d'une simple négligence, constitue une faute de gestion .
Et, la faute tenant à la déclaration tardive de cessation des paiements ne pouvant exister avant l'expiration du délai de 45 jours pour la déclarer, elle ne peut contribuer à accroître qu'une insuffisance d'actif née postérieurement à l'expiration de ce délai. Dans tous les cas, la date de la cessation des paiements à retenir ne peut être différente de celle fixée par le jugement d'ouverture de la procédure collective ou d'un jugement de report.
En l'espèce, le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société [16] en date du 27 mars 2023 a provisoirement fixé la date de cessation des paiements à la date du jugement d'ouverture, et celle-ci n'a pas fait l'objet d'un jugement de report. Par conséquent, la faute prise d'une déclaration tardive de la cessation des paiements ne peut être caractérisée contre M. [V].
2°-sur l'exercice illégal de l'activité d'affacturage :
La selarl [18] ès qualités expose que la faute de gestion prise de l'exercice illégal de l'activité d'affacturage réside :
- dans le fait d'avoir organisé une pratique frauduleuse tendant à faire croire que la société [16] avait la qualité de société d'affacturage et ainsi avoir fait supporter le risque de non-paiement sur les investisseurs
- dans le fait d'avoir organisé une activité d'affacturage sous le couvert du statut d'intermédiaire en financement participatif (IFP), via la régularisation de contrat de cession-subrogation de créances avec les entreprises cédantes de factures, en violation avec les dispositions du code monétaire et financier dès lors que l'activité d'affacturage est assimilée à une opération de crédit réservée aux établissements de crédit et sociétés de financement agréés par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement et contrôlés par la Commission bancaire (loi 24 janvier 1984). M. [V] objecte que la société [16] n'exerçait pas une activité d'affacturage mais d'intermédiaire en financement participatif (IFP), sous le statut de l'article L 548-1 du code monétaire et financier, par laquelle elle mettait en relation des entreprises en recherche de financement et des investisseurs (individuels ou professionnels) souhaitant financer des créances d'entreprises (factures) via un mécanisme de cession de créances entre l'entreprise et les investisseurs. L'intimé précise que les investisseurs ne confiaient pas les fonds à la société [16] et que celle-ci ne finançait pas de factures sur ses fonds propres. L'intimé ajoute que, dans ce financement participatif, les investisseurs ne sont pas créanciers de la société [16] mais des entreprises financées, les factures impayées n'étant pas garanties par la société [16].
Cela posé, s'agissant de l'exercice illégal de l'activité de prêteur, il sera rappelé que, en janvier 2010, le [13] ([11]), la Commission Bancaire, l'Autorité de contrôle des assurances et le Comité des entreprises d'assurances ont fusionné pour former l'Autorité de contrôle prudentiel, puis l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ([6]), depuis 2014.
L'article L. 313-1 du code monétaire et financier, alinéa 1 dispose que constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne ou prend, dans l'intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu'un aval, un cautionnement, ou une garantie'.
L'article L 511-5 du code monétaire et financier interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel.
Il est constant que l'affacturage, en ce qu'il constitue une avance de fonds de trésorerie de l'entreprise, est assimilé à une opération de crédit.
A ce titre, l'affacturage est réservé aux établissements de crédit ou aux sociétés de financement agréés par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, voire par la [8], en application de l'article L 511-9 du même code.
Il ressort des conclusions de M. [V] que la société [16] exerçait une activité d'affacturage participatif en qualité d'intermédiaire en financement participatif de l'article L 548-1 du code monétaire et financier, immatriculée depuis le 29 avril 2020 sur le registre obligatoire tenu par l'Orias.
Cependant, M. [V] vise et reproduit le nouvel article L 548-1 du code monétaire et financier issu de l'ordonnance n° 2021-1735 du 22 décembre 2021, entrée en vigueur le 24 décembre 2021.
Cette ordonnance du 22 décembre 2021 a transposé en droit interne le Réglement européen (UE) 2020/1503 du 7 octobre 2020 relatif aux prestataires européens de services de financement participatif, publié au journal officiel de l'Union européenne le 20 octobre 2020, entré en vigueur le 10 novembre 2021.
Elle a mis fin aux anciens statuts de conseiller en investissement participatif et d'intermédiaire en financement participatif.
Le nouvel article L 547-1 du code monétaire et financier transpose le statut de prestataire de services de financement participatif, tel que défini par le Réglement 2020/1503, et le conditionne à l'obtention d'un agrément délivré par l'Autorité des Marchés financiers. Selon le Règlement, le prestataire européen de prestataire de services de financement participatif, fournit un service consistant dans la mise en relation des intérêts d'investisseurs et de porteurs de projets en matière de financement d'entrepreneurs, faisant appel à une plate-forme de financement participatif et consistant en l'une quelconque des activités suivantes:
i) la facilitation de l'octroi de prêts;
ii) le placement sans engagement ferme, visé à l'annexe I, section A, point 7, de la directive 2014/65/UE, de valeurs mobilières et d'instruments admis à des fins de financement participatif émis par des porteurs de projets ou par une entité ad hoc, ainsi que la réception et la transmission d'ordres de clients, telles qu'elles sont visées à l'annexe I, point 1, de ladite section portant sur ces valeurs mobilières et instruments admis à des fins de financement participatif;
Le prêt est défini comme : un contrat par lequel un investisseur met à la disposition d'un porteur de projet une somme d'argent convenue, pendant une période convenue, et par lequel le porteur de projet s'engage à respecter une obligation inconditionnelle de rembourser cette somme à l'investisseur, avec les intérêts courus, conformément au tableau d'amortissement;
Le prestataire de services de financement participatif (PSFP) de l'article L 547-1 du code monétaire et financier intervient dans le financement de projets de nature commerciale au moyen de prêts à titre onéreux.
Le nouvel article L 548-1 a conservé le statut d'intermédiaire en financement participatif mais en le cantonnant au financement de projets de nature non commerciale ;
l'intermédiaire en financement participatif est soumis à l'obligation d'immatriculation sur le registre de l'ORIAS.
Par conséquent, l'activité de la société [16], qui intervient dans le financement des besoins de trésorerie court terme pour les entreprises, n'entre pas dans le champ d'application du nouvel article L 548-1.
Cependant, l'ancien article L 548-1 permettait à un intermédiaire en financement participatif, immatriculé à l'Orias, d'intervenir dans le financement de projets commerciaux au moyen de prêts à titre onéreux (ancien article L 511-6 7°).
Et, le nouveau droit a autorisé les intermédiaires en financement participatif qui étaient inscrits à l'Orias au 10 novembre 2021, à poursuivre leur activité en matière de financement de projets commerciaux pendant une période transitoire expirant le 10 novembre 2023, date à compter de laquelle leur activité ne pouvait être poursuivie que sous le statut de [21] agréé par l'AMF.
En l'espèce, la question posée est donc de savoir si la société [16], qui a cessé son activité en juin 2023, a exercé une activité d'intermédiaire en financement participatif en matière d'affacturage participatif (crowdfactoring) pour laquelle l'immatriculation à l'Orias suffisait, ou bien une activité illégale d'affacturage réservée aux établissements de crédit et sociétés financières agréées par l'ACPR.
* Il convient donc de rechercher la qualification juridique de la prestation fournie par la société [16], non pas en considération de la dénomination des actes liant les parties, mais en considération des droits et obligations que ceux-ci renferment.
En l'espèce, il ressort des « conditions générales d'utilisation », opposables aux entreprises et aux investisseurs, que la plateforme [16] a pour objet de mettre en relation des sociétés détentrices de créances et souhaitant bénéficier d'un financement à court-terme via la cession de leurs créances et des investisseurs souhaitant financer de façon participative aux besoins de trésorerie des entreprises détentrices de créances futures.
L'accès au site web est libre et soumis à la création préalable d'un compte utilisateur.
Il ressort encore des conditions générales de financement « Liqdrate », liant le « Client » (le porteur de projet) à la société [16], et opposable aux investisseurs, que :
- les conditions générales ont pour objet de définir les conditions dans lesquelles la plateforme www.lidtrade.com achète finance et garantit les créances du Client pour le compte de ses investisseurs mandants
- sous réserve de leur exigibilité, le Client peut transférer des créances à tout moment à partir de son compte client et au plus tard 30 jours après la date d'émission de la facture et 10 jours avant la date d'échéance de la facture
-[16], pour le compte de ses investisseurs acquiert la propriété des créances du Client par voie de subrogation conventionnelle conformément à l'article 1346-1 du code civil, ce que le Client accepte expressément
- conformément à l'article 1346-4 du code civil, le Client subroge [16] dans tous les droits et accessoires attachés à la créance, à l'exception des droits exclusivement attachés à la personne du client. La subrogation et le transfert de propriété de toute créance interviendront à la date d'inscription du montant net (TTC) du prix de cession de la créance sur le compte de crédit du Client.
-[16] achète 100 % du montant nominal inscrit sur la facture. Toutefois, le Client accepte que par compensation, [16] déduise des sommes dues par le Client, le montant des frais visés à l'article 8. En conséquence, le client recevra sur son compte de crédit le montant net de son financement, soit le montant de la facture moins les frais visés à l'article 8.
- sous réserve l'éligibilité des créances, de l'approbation du débiteur et du respect de l'intégralité des conditions des [12], [16] procédera au versement du montant du financement sur le compte de crédit du client au plus tard 72 heures après la validation par [16] de la demande de financement.
- article 8 : -pour chaque créance transférée [16] facturera des commissions de financement égales à 3 % du montant de la créance TTC. Les frais sont déduits automatiquement de sorte que le Client reçoit sur son compte de crédit le montant net de son financement -un taux de financement est appliqué dans le calcul de la valeur net de cession de la créance. Le taux de financement est inscrit dans la proposition financière faite au cessionnaire. Les intérêts de financement sont précomptés et déduits automatiquement de sorte que le client reçoit sur son compte de crédit le montant net de son financement.
-à compter de l'émission d'un avec de refus de paiement ou avis de paiement partiel par [16] ou de contestation confirmée par le débiteur [cédé], le Client dispose d'un délai maximum de 7 jours pour obtenir du débiteur qu'il paie [16] le montant total de la créance. Après ce délai, [16] pourra révoquer le financement à due concurrence du montant restant impayé, par prélèvement sur le compte bancaire du Client ou tout autre moyen.
- lorsque des moyens de paiement sont adressés directement au Client ou à des tiers mandatés ou non par ce dernier, en règlement des créances transférées à [16], le Client ne peut les recevoir qu'en qualité de dépositaire de [16] et doit, à réception des règlements ou d'un avis de refus de paiement, restituer ou rembourser ces règlements à [16], sans délai et au plus tard dans les 48 heures.
-[16] a seule qualité pour opérer l'encaissement et poursuivre le recouvrement de toutes les créances dont la propriété lui est transférée par voie de subrogation conventionnelle.
Un modèle de contrat de cession-subrogation de créances est annexé aux conditions générales : la société [16] est désignée en qualité de cessionnaire, intermédiaire en financement participatif agissant, pour le compte de ses clients investisseurs en vertu du mandat qui lui a été conféré.
L'expression « affacturage » figure sur le site web de la société [16] et sur la convention de compte de services d'intermédiation en financement participatif investissement sur créances d'entreprises dont les conditions générales sont également versées aux débats.
Par ailleurs, en vertu d'une convention de partenariat, la société [16] a confié à la société [17], prestataire de services de paiement, la gestion et l'exécution de toutes les opérations de paiement (flux financiers) pour le compte de la société [16].
La plateforme de paiement procède aux vérifications réglementaires avant validation et activation du compte sur la plateforme [16].
Ainsi, un compte est ouvert au nom de l'entreprise cédante, de l'investisseur et de la société [16].
L'investisseur procède au paiement de la facture cédée directement sur le compte de l'entreprise cédante.
Les paiements faits par le débiteur cédé sont inscrits sur le compte de l'entreprise cédante et crédités sur le compte de l'investisseur cessionnaire.
La société [16] mouvemente le compte de l'entreprise pour l'encaissement de sa commission.
Cela posé, il ressort des constatations qui précèdent que l'intermédiation de la plateforme [16] n'a pas pour objet de faciliter le financement des entreprises par l'octroi de prêts rémunérés garantis par les factures des entreprises, via notamment un nantissement ou une délégation de paiement, à charge pour celles-ci de rembourser les prêts, caractérisant l'affacturage participatif, mais de faciliter le financement des entreprises via une opération de cession-subrogation des factures financés par les investisseurs cessionnaires.
La cession de créances n'est pas un prêt relevant de l'intermédiation financière participative autorisée.
Elle est assimilable à une opération de crédit en ce que les investisseurs cessionnaires financent les factures cédées en avances de trésorerie des entreprises.
Les investisseurs cessionnaires agissent comme des affactureurs (factors) supportant le risque final, à charge de recouvrer les factures cédées auprès des débiteurs cédés ou, dans certains cas, auprès des entreprises cédants.
Sur son site web, elle propose aux investisseurs une garantie financière dont, au demeurant, l'existence, notamment au travers d'une assurance, n'est pas justifiée par M. [V].
Il suit des constatations qui précèdent que la société [15] a mis en place et organisé une activité d'affacturage dont elle avait le contrôle, sous couvert des mandats des investisseurs, échappant au statut de l'intermédiation financière participative, peu important le fait qu'elle ne finançait pas les factures sur ses fonds propres.
L'activité déployée par la plateforme [16] relève donc de l'affacturage réservé aux établissements de crédit et sociétés de financement agrées par l'ACPR.
La faute de gestion prise de l'exercice illégal de l'activité d'affacturage est donc caractérisée, au visa de l'article L 511-5 du code monétaire et financier.
Cette faute de gestion se suffit à elle même de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner les fraudes alléguées visant à tromper les investisseurs sur le sens et la portée de leurs engagements, étant observé que le ministère public a indiqué qu'une plainte avait été déposée par messieurs [O], [U] et [T], investisseurs, à l'encontre de M. [V] pour des faits de banqueroute, escroquerie simple et usurpation de titre, diplôme ou qualité, en lien avec leurs créances déclarées au passif de la procédure collective.
sur la tenue régulière de la comptabilité sociale et la poursuite d'une activité déficitaire :
La selarl [18] ès qualités fait valoir que M. [V] n'a pas remis ni déposé les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2022. Elle en déduit que M. [V] n'a pas satisfait à son obligation légale de tenue des comptes sociaux caractérisant une faute de gestion commise au cours de l'année précédant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire. M. [V] objecte que, après avoir déposé les comptes des deux premiers exercices 2020 et 2021, son expert-comptable, le cabinet [7], a bien procédé à la clôture des comptes de l'exercice 2022 mais a refusé de fournir les documents comptables tant qu'il ne serait pas réglé de ses honoraires. Ce paiement n'a pas pu être fait dans le cadre de la procédure collective. Dès lors la faute de gestion alléguée n'est pas établie.
Cela posé, la demande de règlement de la facture [10], versée aux débats (pièce 21), ne concerne pas la clôture des comptes de l'exercice 2022 mais la facture des « travaux liés au social ».
M. [V] n'a produit aux débats aucun élément justifiant de la tenue d'une comptabilité sociale au titre de l'exercice 2022.
Par ailleurs, il ressort des pièces comptables versées aux débats que les deux premiers exercices 2020 et 2021 ont été clôturés avec des résultats négatifs de ' 66.778 euros et ' 24.457 euros, et que les capitaux propres sont passés de + 3.222 euros à -21.045 euros, trahissant une situation financière particulièrement précaire, au 31 décembre 2021, malgré des apports en compte courant d'associé passés de 17.033 euros à 60.783 euros.
La société [16] a fait l'objet d'un jugement de condamnation prononcée le 15 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Paris pour un montant de 25.633,81 euros au profit de la société [14], prestataire de services informatiques.
La société [16] n'a pas été en mesure de régler l'intégralité de la prime d'assurance pour l'année 2023, l'assureur ayant résilié le contrat d'assurance de responsabilité professionnelle à compter du 24 février 2023.
Elle n'a pas pu régler également, selon M. [V], les honoraires de l'expert-comptable pour l'exercice 2022.
La cour constate que l'endettement social était de 106.447 euros, dont 60.783 euros en compte courant d'associé, et que le seul passif définitivement admis, privilégié (organismes sociaux pour l'essentiel) et chirographaire, s'élève à 131.926,62 euros, hors créances contestées. M. [V] ne justifie d'aucune mesure de restructuration sérieuse au cours des exercices 2021 et 2022, malgré les pertes enregistrées dans un contexte de fragilités structurelles précoces liées au financement de fausses factures mettant en cause la fiabilité de son logiciel de gestion des risques censés optimiser la sélection des factures et la sécurité des investissements, et de viabilité de son modèle économique, notamment au regard du profil des investisseurs et de la masse salariale inadaptée à l'activité sociale, comme M. [V] a dû l'admettre dans son mail du 16 avril 2023, adressé au mandataire judiciaire (pièce 4).
Le projet d'une augmentation du capital social porté de 70.000 à 200.000 euros, conçu en septembre 2022, au delà de sa tardiveté, n'a reçu aucune exécution concrète, tandis que les prévisionnels de croissance de l'activité, remis au liquidateur, ne sont étayés par aucune données commerciales et financières qui pouvaient suggérer un plausible redressement de l'activité déficitaire.
Il résulte des considérations qui précèdent que, alors même qu'il ne justifie pas de la tenue régulière d'une comptabilité lui permettant d'appréhender exactement la situation de la société [16] au cours de l'année 2022, M. [V] a poursuivi abusivement, et dans son intérêt personnel en percevant les commissions des investisseurs, une activité sociale qui était structurellement déficitaire qui ne pouvait, en l'absence de toutes mesures correctrices, que tendre à la cessation des paiements.
sur l'indemnisation de l'insuffisance d'actif :
Les fautes de gestion ci-avant établies ont nécessairement un lien avec l'insuffisance d'actif certaine telle que ci-avant caractérisée.
Cependant, l'insuffisance d'actif est susceptible d'évoluer en fonction de l'issue des opérations de vérification des créances déclarées notamment par les trois investisseurs et la société [20] et qui sont en lien direct avec l'activité d'affacturage mise en place par la société [16].
Dans l'hypothèse où tout ou partie des créances contestées seront admises, il est certain que les fautes de gestion commises par M. [V] ont contribué à ce passif en cours de vérification.
Il convient donc de surseoir à statuer sur le chiffrage définitif de l'insuffisance d'actif indemnisable et sur la demande de condamnation au titre de l'insuffisance d'actif dans l'attente des décisions passées en force de chose jugée relatives aux instances d'admission des créances déclarées par ces 4 créanciers.
sur l'interdiction de gérer :
En application des articles L 653-4 4°, L 653-5 1° et L 653-8 du code de commerce, une mesure d'interdiction de gérer peut être prononcée contre le dirigeant d'une personne morale qui a :
- poursuivi abusivement, dans son intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, peut être condamné à une mesure d'interdiction de gérer
- exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi.
Ces fautes de gestion ont été caractérisés ci-avant.
Compte tenu de leur gravité, la mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 2 ans, qui ne peut faire l'objet d'une aggravation en l'absence d'appel incident de ce chef, sera confirmée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé contre M. [V] une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, en tout cas toute personne morale pour une durée de 2 ans à compter du jugement, avec inscription de la sanction au fichier national des interdits de gérer, et en ce qu'il a condamnés M. [V] aux dépens de première instance,
DIT que M. [V] a commis les fautes de gestion ayant consisté dans l'exercice illégal de l'activité d'affacturage et dans la poursuite abusive, et dans son intérêt personnel, d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait tendre qu'à la cessation des paiements,
SURSOIT à statuer sur le chiffrage de l'insuffisance d'actif ainsi que sur la demande de condamnation au titre de l'insuffisance d'actif de la société [16] jusqu'à ce qu'une décision soit passée en force de chose jugée dans les instances en admission des créances déclarées par messieurs [O], [U] et [T] et par la société [20],
SURSOIT à statuer sur les dépens d'appel et les frais irrépétibles,
RENVOIE l'affaire à l'audience de mise en état du 9 SEPTEMBRE 2026.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président, et par M. MAGESTE, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Numéro 25/3127
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 17 NOVEMBRE 2025
Dossier : N° RG 25/00302 - N° Portalis DBVV-V-B7J-JCRK
Nature affaire :
Action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre des dirigeants
Affaire :
S.E.L.A.R.L. [18]
C/
[P] [V]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 17 NOVEMBRE 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 15 Septembre 2025, devant :
Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,
assisté de Mme DENIS, Greffier présent à l'appel des causes,
Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Laurence BAYLAUCQ et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Laurence BAYLAUCQ, Conseillère
Mme Véronique FRANCOIS, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
Le Ministère Public a eu connaissance de la procédure le 14/02/2025
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
S.E.L.A.R.L. [18] prise en la personne de Me [R] [S] ès-qualité de
lliquidateur judiciaire de la SAS [16], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me François PIAULT, avocat au barreau de PAU
assistée de Me Laurent BENOUAICH, de BBO SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
INTIME :
Monsieur [P] [V]
né le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 19] (GABON)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Caroline CROZET, avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 27 JANVIER 2025
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE
FAITS-PROCEDURE -PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES :
La société [16] (sas), immatriculée au RCS de [Localité 9] le 9 avril 2020, a notamment pour objet social « l'intermédiation entre des entreprises et des investisseurs privés et institutionnels sur une plateforme informatique à des fins d'affacturage et cession de créances, et plus généralement intermédiaire en opérations de banque et services de paiement, financement participatif via des opérations d'affacturage et cession de créances ».
M. [P] [V] est le principal actionnaire et dirigeant de la société.
La société est immatriculée en qualité d'intermédiaire en financement participatif auprès de l'ORIAS, organisme en charge du registre officiel des intermédiaires en assurance, banque et finance tenu par l'Orias, depuis le 29 avril 2020.
Le 23 février 2023, la société [16] a été assignée en liquidation judiciaire par un prestataire de services informatiques.
Par jugement du 27 mars 2023, le tribunal de commerce de Bayonne a ouvert une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire le 19 juin 2023, la selarl [18] étant nommée en qualité de liquidateur judiciaire. Suivant exploit du 9 février 2024, la selarl [18] ès qualités a fait assigner M. [V] par devant le tribunal de commerce de Bayonne en responsabilité et indemnisation de l'insuffisance d'actif d'un montant de 597.422,68 euros, sur le fondement de l'article L651-2 du code de commerce.
Par jugement contradictoire du 4 février 2025, le tribunal de commerce a :
- condamné M. [V] à payer à la selarl [18] ès qualités la somme de 100.000 euros au titre de l'insuffisance d'actif
- prononcé une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, en tout cas toute personne morale pour une durée de 2 ans à compter du jugement
- inscrit cette sanction au fichier national des interdits de gérer
- condamné M. [V] à verser à la selarl [18] ès qualités la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la selarl [18] ès qualités du complément de sa demande
- ordonné l'exécution provisoire du jugement -condamné M. [V] aux dépens.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 4 février 2025, la selarl [18] ès qualités a relevé appel de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 9 septembre 2025.
***
Vu les dernières conclusions notifiées le 27 juin 2025 par la selarl [18] ès qualités qui a demandé à la cour de :
In limine litis :
- se déclarer non saisie de l'appel incident de M. [V]
- en conséquence, confirmer les dispositions du jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [V] à une interdiction de gérer de deux ans et inscrit cette sanction au fichier national des interdits de gérer.
A titre principal :
- infirmer le jugement entrepris sur le montant de la condamnation mise à la charge de M. [V] et, statuant à nouveau de :
- condamner M. [V] à lui verser la somme de 597.422,68 euros au titre de l'insuffisance d'actif.
Sur l'appel incident de M. [V] :
- le juger mal fondé et, en conséquence, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [V] à une interdiction de gérer de deux ans et inscrit cette sanction au fichier national des interdits de gérer.
En tout état de cause :
- condamner M. [V] aux dépens, outre au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées le 1er mai 2025 par M. [V] qui a demandé à la cour de :
A titre principal :
sur l'appel principal :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [V] pour insuffisance d'actif.
sur appel incident :
- le déclarer recevable en son appel incident
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a l'a condamné à une peine d'interdiction de gérer.
A titre subsidiaire :
- réduire le quantum de la condamnation pour insuffisance d'actif à de plus justes proportions
- réduire le quantum de l'interdiction de gérer à de plus justes proportions.
En tout état de cause :
- condamner la selarl [18] ès qualités à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions remises et notifiées le 3 septembre 2025 par le procureur général près la cour d'appel qui a demandé à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris sur le principe de la responsabilité de M. [V] dans l'insuffisance d'actif
- condamner M. [V] à payer la somme de 597.422,68 euros au titre de l'insuffisance d'actif
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il sanctionne les fautes de gestion de M. [V] dans la gestion de la société [16]
- condamner M. [V] à la faillite personnelle pour une durée de 10 ans.
MOTIFS :
observations liminaires :
Le 12 septembre 2025, M° [B], conseil de M. [V], a informé la cour qu'elle « n'intervenait plus pour le compte de M. [V] » dans la présente affaire.
M° [B] a fait déposer son dossier de plaidoiries à l'audience de plaidoiries du 15 septembre 2025.
M. [V] s'est présenté en personne à l'audience de la cour en sollicitant un renvoi de l'affaire au motif que l'essentiel du passif déclaré avait fait l'objet de contestations devant être examinées à l'audience du juge-commissaire du 9 octobre 2025.
La cour a indiqué à M. [V] qu'il ne pouvait pas, dans la présente procédure écrite avec constitution d'avocat, présenter une demande en justice sans l'assistance d'un avocat.
La cour a également rappelé que, en application de l'article 419 du code de procédure civile, M° [B] n'est pas déchargée de son mandat de représentation tant qu'elle n'est pas remplacée par un nouveau représentant constitué par M. [V].
Par ailleurs, la cour a demandé au conseil de la selarl [18] ès qualités de produire une note en délibéré comportant la communication de la liste des créances vérifiées et arrêtées par le juge-commissaire et le compte analytique actualisé de la liquidation judiciaire, avec copie à M° [B].
Le 19 septembre 2025, l'appelante a produit les pièces sollicitées par la cour accompagnées de ses observations par note en délibéré communiquée à M° [B] constituée pour l'intimé.
sur l'appel incident de M. [V] :
Aux termes du dispositif de ses conclusions, lequel seul saisit la cour des prétentions des parties qu'il énonce, conformément à l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, M. [V] a expressément formé un appel incident en demandant à la cour d'infirmer le jugement «en ce qu'il l'a condamné à une peine d'interdiction de gérer ».
Malgré une maladresse rédactionnelle indiquant « sur l'appel principal », M. [V], en demandant l'infirmation du jugement « en ce qu'il l'a condamné pour insuffisance d'actif » a également formé un appel incident de ce chef.
Cependant, dans les deux cas, M. [V] n'a pas formé de prétention en conséquence de l'infirmation sollicitée sur le principe des deux condamnations, et notamment n'a pas demandé le débouté des demandes de la selarl [18] ès qualités.
Par conséquent, la cour n'est saisie d'aucune prétention de nature à remettre en cause le principe des deux condamnations prononcées contre M. [V], principe dont l'appelante sollicite la confirmation.
sur les demandes du ministère public :
S'agissant de l'interdiction de gérer d'une durée de deux années prononcée par le jugement entrepris contre M. [V], la selarl [18] ès qualités a demandé la confirmation du jugement de ce chef.
Le ministère public a demandé d'aggraver la sanction en condamnant M. [V] à la faillite personnelle pour une durée de 10 ans.
Si en matière de sanctions du dirigeant d'une personne morale objet d'une procédure collective, le ministère public, partie jointe en première instance, peut former un appel, en l'espèce, le ministère public n'a pas demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris sur la condamnation.
Dès lors, la cour n'est pas saisie d'un appel incident du ministère public sur la sanction personnelle de M. [V].
sur l'insuffisance d'actif :
En droit, si l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif de l'article L 651-2 du code de commerce, qui implique dans tous les cas la vérification du passif chirographaire en application de l'article L 641-4 alinéa 2 du même code, n'impose pas que le passif antérieur au jugement d'ouverture soit définitivement arrêté que l'actif soit entièrement réalisé, il faut que l'insuffisance d'actif soit certaine, son existence et son montant devant être appréciés par le juge où il statue.
En l'espèce, il ressort des pièces produites à la demande de la cour, précisant la liste succincte des créances que, par décision apposée sur l'état des créances en date du 22 janvier 2024, le juge-commissaire a arrêté la liste des créances privilégiées antérieures au jugement d'ouverture pour un montant de 70.886,61 euros dont 19.872,25 euros à titre provisionnel.
Et, par décision apposée sur l'état des créances en date du 26 juin 2025, le juge-commissaire a arrêté la liste des créances chirographaires antérieures au jugement d'ouverture pour un montant de 554.336,77 euros avec les propositions d'admission et de rejet du mandataire au vu des contestations du débiteur.
La selarl [18] ès qualités chiffre l'insuffisance d'actif à la somme de 597.422,68 euros dont elle réclame le paiement intégral.
Cependant, le passif privilégié provisionnel, qui n'a pas fait l'objet d'un titre définitif à ce jour, ne peut être pris en compte dans l'insuffisance d'actif.
Le surplus n'étant pas contesté, le passif privilégié certain est donc, à ce jour, de 51.014,36 euros.
Le passif chirographaire antérieur est contesté par le débiteur à concurrence de 473.424,51 euros dont 300.998 euros déclarés par trois investisseurs de la plateforme [16] et 121.003 euros par la société de services de paiement [20].
Le passif contesté par le débiteur, devant faire l'objet d'une instance en admission devant le juge-commissaire, ne peut être pris en compte dans l'insuffisance d'actif déterminable à ce jour.
Par conséquent, le passif chirographaire définitif de 80.912,26 euros est certain à ce jour.
Au total, le passif certain, privilégié et chirographaire, est donc de 51.014,36 + 80.912,26 = 131.926,62 euros.
S'agissant de l'actif, il ressort du relevé du compte analytique de la liquidation judiciaire actualisé au 16 septembre 2025, produit à la demande de la cour, que la liquidation judiciaire a encaissé la somme totale de 79.510,90 euros.
Si une fraction de ces fonds a été employée au paiement de créances postérieures, il reste qu'il y a lieu de prendre en compte, au titre de l'insuffisance d'actif, la totalité des fonds recouvrés.
Il résulte des considérations qui précèdent que l'insuffisance d'actif certaine, à ce jour, doit être fixée à : 131.926,62 ' 79.510,90 = 52.415,72 euros.
Si M. [V] n'a pas spécialement conclu sur l'insuffisance d'actif, sa contestation de l'essentiel des déclarations de créance revient à élever une contestation sur l'insuffisance d'actif dont l'indemnisation est réclamée par la selarl [18] ès qualités.
sur les fautes de gestion :
En application de l'article L 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion, à l'exception de la simple négligence, ayant contribué à l'insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par tous dirigeants de droit ou de fait [...] ayant contribué à cette faute de gestion.
En l'espèce, la selarl [18] ès qualités reproche à M. [V] :
- l'absence de déclaration de la cessation des paiements dans les 45 jours de la cessation des paiements, en violation de l'article L631-4 du code de commerce
- l'exercice illégal et frauduleux de l'activité d'affacturage par la société [16]
- la poursuite de l'activité déficitaire de la société [16]
- l'irrégularité comptable de la société [16]
1°-sur l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements :
L'article L 631-4 du code de commerce dispose que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas été, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
En application de l'article L 653-8 du même code, la tardiveté ou l'omission de la déclaration de cessation des paiements peut être sanctionnée par une mesure d'interdiction de gérer si le dirigeant s'est sciemment abstenu de procéder à la déclaration de la cessation des paiements dans les 45 jours, sans avoir, par ailleurs demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
En matière de responsabilité pour insuffisance d'actif, la déclaration tardive de cessation des paiements, sauf si elle procède d'une simple négligence, constitue une faute de gestion .
Et, la faute tenant à la déclaration tardive de cessation des paiements ne pouvant exister avant l'expiration du délai de 45 jours pour la déclarer, elle ne peut contribuer à accroître qu'une insuffisance d'actif née postérieurement à l'expiration de ce délai. Dans tous les cas, la date de la cessation des paiements à retenir ne peut être différente de celle fixée par le jugement d'ouverture de la procédure collective ou d'un jugement de report.
En l'espèce, le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société [16] en date du 27 mars 2023 a provisoirement fixé la date de cessation des paiements à la date du jugement d'ouverture, et celle-ci n'a pas fait l'objet d'un jugement de report. Par conséquent, la faute prise d'une déclaration tardive de la cessation des paiements ne peut être caractérisée contre M. [V].
2°-sur l'exercice illégal de l'activité d'affacturage :
La selarl [18] ès qualités expose que la faute de gestion prise de l'exercice illégal de l'activité d'affacturage réside :
- dans le fait d'avoir organisé une pratique frauduleuse tendant à faire croire que la société [16] avait la qualité de société d'affacturage et ainsi avoir fait supporter le risque de non-paiement sur les investisseurs
- dans le fait d'avoir organisé une activité d'affacturage sous le couvert du statut d'intermédiaire en financement participatif (IFP), via la régularisation de contrat de cession-subrogation de créances avec les entreprises cédantes de factures, en violation avec les dispositions du code monétaire et financier dès lors que l'activité d'affacturage est assimilée à une opération de crédit réservée aux établissements de crédit et sociétés de financement agréés par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement et contrôlés par la Commission bancaire (loi 24 janvier 1984). M. [V] objecte que la société [16] n'exerçait pas une activité d'affacturage mais d'intermédiaire en financement participatif (IFP), sous le statut de l'article L 548-1 du code monétaire et financier, par laquelle elle mettait en relation des entreprises en recherche de financement et des investisseurs (individuels ou professionnels) souhaitant financer des créances d'entreprises (factures) via un mécanisme de cession de créances entre l'entreprise et les investisseurs. L'intimé précise que les investisseurs ne confiaient pas les fonds à la société [16] et que celle-ci ne finançait pas de factures sur ses fonds propres. L'intimé ajoute que, dans ce financement participatif, les investisseurs ne sont pas créanciers de la société [16] mais des entreprises financées, les factures impayées n'étant pas garanties par la société [16].
Cela posé, s'agissant de l'exercice illégal de l'activité de prêteur, il sera rappelé que, en janvier 2010, le [13] ([11]), la Commission Bancaire, l'Autorité de contrôle des assurances et le Comité des entreprises d'assurances ont fusionné pour former l'Autorité de contrôle prudentiel, puis l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ([6]), depuis 2014.
L'article L. 313-1 du code monétaire et financier, alinéa 1 dispose que constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne ou prend, dans l'intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu'un aval, un cautionnement, ou une garantie'.
L'article L 511-5 du code monétaire et financier interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel.
Il est constant que l'affacturage, en ce qu'il constitue une avance de fonds de trésorerie de l'entreprise, est assimilé à une opération de crédit.
A ce titre, l'affacturage est réservé aux établissements de crédit ou aux sociétés de financement agréés par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, voire par la [8], en application de l'article L 511-9 du même code.
Il ressort des conclusions de M. [V] que la société [16] exerçait une activité d'affacturage participatif en qualité d'intermédiaire en financement participatif de l'article L 548-1 du code monétaire et financier, immatriculée depuis le 29 avril 2020 sur le registre obligatoire tenu par l'Orias.
Cependant, M. [V] vise et reproduit le nouvel article L 548-1 du code monétaire et financier issu de l'ordonnance n° 2021-1735 du 22 décembre 2021, entrée en vigueur le 24 décembre 2021.
Cette ordonnance du 22 décembre 2021 a transposé en droit interne le Réglement européen (UE) 2020/1503 du 7 octobre 2020 relatif aux prestataires européens de services de financement participatif, publié au journal officiel de l'Union européenne le 20 octobre 2020, entré en vigueur le 10 novembre 2021.
Elle a mis fin aux anciens statuts de conseiller en investissement participatif et d'intermédiaire en financement participatif.
Le nouvel article L 547-1 du code monétaire et financier transpose le statut de prestataire de services de financement participatif, tel que défini par le Réglement 2020/1503, et le conditionne à l'obtention d'un agrément délivré par l'Autorité des Marchés financiers. Selon le Règlement, le prestataire européen de prestataire de services de financement participatif, fournit un service consistant dans la mise en relation des intérêts d'investisseurs et de porteurs de projets en matière de financement d'entrepreneurs, faisant appel à une plate-forme de financement participatif et consistant en l'une quelconque des activités suivantes:
i) la facilitation de l'octroi de prêts;
ii) le placement sans engagement ferme, visé à l'annexe I, section A, point 7, de la directive 2014/65/UE, de valeurs mobilières et d'instruments admis à des fins de financement participatif émis par des porteurs de projets ou par une entité ad hoc, ainsi que la réception et la transmission d'ordres de clients, telles qu'elles sont visées à l'annexe I, point 1, de ladite section portant sur ces valeurs mobilières et instruments admis à des fins de financement participatif;
Le prêt est défini comme : un contrat par lequel un investisseur met à la disposition d'un porteur de projet une somme d'argent convenue, pendant une période convenue, et par lequel le porteur de projet s'engage à respecter une obligation inconditionnelle de rembourser cette somme à l'investisseur, avec les intérêts courus, conformément au tableau d'amortissement;
Le prestataire de services de financement participatif (PSFP) de l'article L 547-1 du code monétaire et financier intervient dans le financement de projets de nature commerciale au moyen de prêts à titre onéreux.
Le nouvel article L 548-1 a conservé le statut d'intermédiaire en financement participatif mais en le cantonnant au financement de projets de nature non commerciale ;
l'intermédiaire en financement participatif est soumis à l'obligation d'immatriculation sur le registre de l'ORIAS.
Par conséquent, l'activité de la société [16], qui intervient dans le financement des besoins de trésorerie court terme pour les entreprises, n'entre pas dans le champ d'application du nouvel article L 548-1.
Cependant, l'ancien article L 548-1 permettait à un intermédiaire en financement participatif, immatriculé à l'Orias, d'intervenir dans le financement de projets commerciaux au moyen de prêts à titre onéreux (ancien article L 511-6 7°).
Et, le nouveau droit a autorisé les intermédiaires en financement participatif qui étaient inscrits à l'Orias au 10 novembre 2021, à poursuivre leur activité en matière de financement de projets commerciaux pendant une période transitoire expirant le 10 novembre 2023, date à compter de laquelle leur activité ne pouvait être poursuivie que sous le statut de [21] agréé par l'AMF.
En l'espèce, la question posée est donc de savoir si la société [16], qui a cessé son activité en juin 2023, a exercé une activité d'intermédiaire en financement participatif en matière d'affacturage participatif (crowdfactoring) pour laquelle l'immatriculation à l'Orias suffisait, ou bien une activité illégale d'affacturage réservée aux établissements de crédit et sociétés financières agréées par l'ACPR.
* Il convient donc de rechercher la qualification juridique de la prestation fournie par la société [16], non pas en considération de la dénomination des actes liant les parties, mais en considération des droits et obligations que ceux-ci renferment.
En l'espèce, il ressort des « conditions générales d'utilisation », opposables aux entreprises et aux investisseurs, que la plateforme [16] a pour objet de mettre en relation des sociétés détentrices de créances et souhaitant bénéficier d'un financement à court-terme via la cession de leurs créances et des investisseurs souhaitant financer de façon participative aux besoins de trésorerie des entreprises détentrices de créances futures.
L'accès au site web est libre et soumis à la création préalable d'un compte utilisateur.
Il ressort encore des conditions générales de financement « Liqdrate », liant le « Client » (le porteur de projet) à la société [16], et opposable aux investisseurs, que :
- les conditions générales ont pour objet de définir les conditions dans lesquelles la plateforme www.lidtrade.com achète finance et garantit les créances du Client pour le compte de ses investisseurs mandants
- sous réserve de leur exigibilité, le Client peut transférer des créances à tout moment à partir de son compte client et au plus tard 30 jours après la date d'émission de la facture et 10 jours avant la date d'échéance de la facture
-[16], pour le compte de ses investisseurs acquiert la propriété des créances du Client par voie de subrogation conventionnelle conformément à l'article 1346-1 du code civil, ce que le Client accepte expressément
- conformément à l'article 1346-4 du code civil, le Client subroge [16] dans tous les droits et accessoires attachés à la créance, à l'exception des droits exclusivement attachés à la personne du client. La subrogation et le transfert de propriété de toute créance interviendront à la date d'inscription du montant net (TTC) du prix de cession de la créance sur le compte de crédit du Client.
-[16] achète 100 % du montant nominal inscrit sur la facture. Toutefois, le Client accepte que par compensation, [16] déduise des sommes dues par le Client, le montant des frais visés à l'article 8. En conséquence, le client recevra sur son compte de crédit le montant net de son financement, soit le montant de la facture moins les frais visés à l'article 8.
- sous réserve l'éligibilité des créances, de l'approbation du débiteur et du respect de l'intégralité des conditions des [12], [16] procédera au versement du montant du financement sur le compte de crédit du client au plus tard 72 heures après la validation par [16] de la demande de financement.
- article 8 : -pour chaque créance transférée [16] facturera des commissions de financement égales à 3 % du montant de la créance TTC. Les frais sont déduits automatiquement de sorte que le Client reçoit sur son compte de crédit le montant net de son financement -un taux de financement est appliqué dans le calcul de la valeur net de cession de la créance. Le taux de financement est inscrit dans la proposition financière faite au cessionnaire. Les intérêts de financement sont précomptés et déduits automatiquement de sorte que le client reçoit sur son compte de crédit le montant net de son financement.
-à compter de l'émission d'un avec de refus de paiement ou avis de paiement partiel par [16] ou de contestation confirmée par le débiteur [cédé], le Client dispose d'un délai maximum de 7 jours pour obtenir du débiteur qu'il paie [16] le montant total de la créance. Après ce délai, [16] pourra révoquer le financement à due concurrence du montant restant impayé, par prélèvement sur le compte bancaire du Client ou tout autre moyen.
- lorsque des moyens de paiement sont adressés directement au Client ou à des tiers mandatés ou non par ce dernier, en règlement des créances transférées à [16], le Client ne peut les recevoir qu'en qualité de dépositaire de [16] et doit, à réception des règlements ou d'un avis de refus de paiement, restituer ou rembourser ces règlements à [16], sans délai et au plus tard dans les 48 heures.
-[16] a seule qualité pour opérer l'encaissement et poursuivre le recouvrement de toutes les créances dont la propriété lui est transférée par voie de subrogation conventionnelle.
Un modèle de contrat de cession-subrogation de créances est annexé aux conditions générales : la société [16] est désignée en qualité de cessionnaire, intermédiaire en financement participatif agissant, pour le compte de ses clients investisseurs en vertu du mandat qui lui a été conféré.
L'expression « affacturage » figure sur le site web de la société [16] et sur la convention de compte de services d'intermédiation en financement participatif investissement sur créances d'entreprises dont les conditions générales sont également versées aux débats.
Par ailleurs, en vertu d'une convention de partenariat, la société [16] a confié à la société [17], prestataire de services de paiement, la gestion et l'exécution de toutes les opérations de paiement (flux financiers) pour le compte de la société [16].
La plateforme de paiement procède aux vérifications réglementaires avant validation et activation du compte sur la plateforme [16].
Ainsi, un compte est ouvert au nom de l'entreprise cédante, de l'investisseur et de la société [16].
L'investisseur procède au paiement de la facture cédée directement sur le compte de l'entreprise cédante.
Les paiements faits par le débiteur cédé sont inscrits sur le compte de l'entreprise cédante et crédités sur le compte de l'investisseur cessionnaire.
La société [16] mouvemente le compte de l'entreprise pour l'encaissement de sa commission.
Cela posé, il ressort des constatations qui précèdent que l'intermédiation de la plateforme [16] n'a pas pour objet de faciliter le financement des entreprises par l'octroi de prêts rémunérés garantis par les factures des entreprises, via notamment un nantissement ou une délégation de paiement, à charge pour celles-ci de rembourser les prêts, caractérisant l'affacturage participatif, mais de faciliter le financement des entreprises via une opération de cession-subrogation des factures financés par les investisseurs cessionnaires.
La cession de créances n'est pas un prêt relevant de l'intermédiation financière participative autorisée.
Elle est assimilable à une opération de crédit en ce que les investisseurs cessionnaires financent les factures cédées en avances de trésorerie des entreprises.
Les investisseurs cessionnaires agissent comme des affactureurs (factors) supportant le risque final, à charge de recouvrer les factures cédées auprès des débiteurs cédés ou, dans certains cas, auprès des entreprises cédants.
Sur son site web, elle propose aux investisseurs une garantie financière dont, au demeurant, l'existence, notamment au travers d'une assurance, n'est pas justifiée par M. [V].
Il suit des constatations qui précèdent que la société [15] a mis en place et organisé une activité d'affacturage dont elle avait le contrôle, sous couvert des mandats des investisseurs, échappant au statut de l'intermédiation financière participative, peu important le fait qu'elle ne finançait pas les factures sur ses fonds propres.
L'activité déployée par la plateforme [16] relève donc de l'affacturage réservé aux établissements de crédit et sociétés de financement agrées par l'ACPR.
La faute de gestion prise de l'exercice illégal de l'activité d'affacturage est donc caractérisée, au visa de l'article L 511-5 du code monétaire et financier.
Cette faute de gestion se suffit à elle même de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner les fraudes alléguées visant à tromper les investisseurs sur le sens et la portée de leurs engagements, étant observé que le ministère public a indiqué qu'une plainte avait été déposée par messieurs [O], [U] et [T], investisseurs, à l'encontre de M. [V] pour des faits de banqueroute, escroquerie simple et usurpation de titre, diplôme ou qualité, en lien avec leurs créances déclarées au passif de la procédure collective.
sur la tenue régulière de la comptabilité sociale et la poursuite d'une activité déficitaire :
La selarl [18] ès qualités fait valoir que M. [V] n'a pas remis ni déposé les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2022. Elle en déduit que M. [V] n'a pas satisfait à son obligation légale de tenue des comptes sociaux caractérisant une faute de gestion commise au cours de l'année précédant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire. M. [V] objecte que, après avoir déposé les comptes des deux premiers exercices 2020 et 2021, son expert-comptable, le cabinet [7], a bien procédé à la clôture des comptes de l'exercice 2022 mais a refusé de fournir les documents comptables tant qu'il ne serait pas réglé de ses honoraires. Ce paiement n'a pas pu être fait dans le cadre de la procédure collective. Dès lors la faute de gestion alléguée n'est pas établie.
Cela posé, la demande de règlement de la facture [10], versée aux débats (pièce 21), ne concerne pas la clôture des comptes de l'exercice 2022 mais la facture des « travaux liés au social ».
M. [V] n'a produit aux débats aucun élément justifiant de la tenue d'une comptabilité sociale au titre de l'exercice 2022.
Par ailleurs, il ressort des pièces comptables versées aux débats que les deux premiers exercices 2020 et 2021 ont été clôturés avec des résultats négatifs de ' 66.778 euros et ' 24.457 euros, et que les capitaux propres sont passés de + 3.222 euros à -21.045 euros, trahissant une situation financière particulièrement précaire, au 31 décembre 2021, malgré des apports en compte courant d'associé passés de 17.033 euros à 60.783 euros.
La société [16] a fait l'objet d'un jugement de condamnation prononcée le 15 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Paris pour un montant de 25.633,81 euros au profit de la société [14], prestataire de services informatiques.
La société [16] n'a pas été en mesure de régler l'intégralité de la prime d'assurance pour l'année 2023, l'assureur ayant résilié le contrat d'assurance de responsabilité professionnelle à compter du 24 février 2023.
Elle n'a pas pu régler également, selon M. [V], les honoraires de l'expert-comptable pour l'exercice 2022.
La cour constate que l'endettement social était de 106.447 euros, dont 60.783 euros en compte courant d'associé, et que le seul passif définitivement admis, privilégié (organismes sociaux pour l'essentiel) et chirographaire, s'élève à 131.926,62 euros, hors créances contestées. M. [V] ne justifie d'aucune mesure de restructuration sérieuse au cours des exercices 2021 et 2022, malgré les pertes enregistrées dans un contexte de fragilités structurelles précoces liées au financement de fausses factures mettant en cause la fiabilité de son logiciel de gestion des risques censés optimiser la sélection des factures et la sécurité des investissements, et de viabilité de son modèle économique, notamment au regard du profil des investisseurs et de la masse salariale inadaptée à l'activité sociale, comme M. [V] a dû l'admettre dans son mail du 16 avril 2023, adressé au mandataire judiciaire (pièce 4).
Le projet d'une augmentation du capital social porté de 70.000 à 200.000 euros, conçu en septembre 2022, au delà de sa tardiveté, n'a reçu aucune exécution concrète, tandis que les prévisionnels de croissance de l'activité, remis au liquidateur, ne sont étayés par aucune données commerciales et financières qui pouvaient suggérer un plausible redressement de l'activité déficitaire.
Il résulte des considérations qui précèdent que, alors même qu'il ne justifie pas de la tenue régulière d'une comptabilité lui permettant d'appréhender exactement la situation de la société [16] au cours de l'année 2022, M. [V] a poursuivi abusivement, et dans son intérêt personnel en percevant les commissions des investisseurs, une activité sociale qui était structurellement déficitaire qui ne pouvait, en l'absence de toutes mesures correctrices, que tendre à la cessation des paiements.
sur l'indemnisation de l'insuffisance d'actif :
Les fautes de gestion ci-avant établies ont nécessairement un lien avec l'insuffisance d'actif certaine telle que ci-avant caractérisée.
Cependant, l'insuffisance d'actif est susceptible d'évoluer en fonction de l'issue des opérations de vérification des créances déclarées notamment par les trois investisseurs et la société [20] et qui sont en lien direct avec l'activité d'affacturage mise en place par la société [16].
Dans l'hypothèse où tout ou partie des créances contestées seront admises, il est certain que les fautes de gestion commises par M. [V] ont contribué à ce passif en cours de vérification.
Il convient donc de surseoir à statuer sur le chiffrage définitif de l'insuffisance d'actif indemnisable et sur la demande de condamnation au titre de l'insuffisance d'actif dans l'attente des décisions passées en force de chose jugée relatives aux instances d'admission des créances déclarées par ces 4 créanciers.
sur l'interdiction de gérer :
En application des articles L 653-4 4°, L 653-5 1° et L 653-8 du code de commerce, une mesure d'interdiction de gérer peut être prononcée contre le dirigeant d'une personne morale qui a :
- poursuivi abusivement, dans son intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, peut être condamné à une mesure d'interdiction de gérer
- exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi.
Ces fautes de gestion ont été caractérisés ci-avant.
Compte tenu de leur gravité, la mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 2 ans, qui ne peut faire l'objet d'une aggravation en l'absence d'appel incident de ce chef, sera confirmée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé contre M. [V] une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, en tout cas toute personne morale pour une durée de 2 ans à compter du jugement, avec inscription de la sanction au fichier national des interdits de gérer, et en ce qu'il a condamnés M. [V] aux dépens de première instance,
DIT que M. [V] a commis les fautes de gestion ayant consisté dans l'exercice illégal de l'activité d'affacturage et dans la poursuite abusive, et dans son intérêt personnel, d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait tendre qu'à la cessation des paiements,
SURSOIT à statuer sur le chiffrage de l'insuffisance d'actif ainsi que sur la demande de condamnation au titre de l'insuffisance d'actif de la société [16] jusqu'à ce qu'une décision soit passée en force de chose jugée dans les instances en admission des créances déclarées par messieurs [O], [U] et [T] et par la société [20],
SURSOIT à statuer sur les dépens d'appel et les frais irrépétibles,
RENVOIE l'affaire à l'audience de mise en état du 9 SEPTEMBRE 2026.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président, et par M. MAGESTE, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,