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Décisions

CA Douai, ch. 7 sect. 3, 17 novembre 2025, n° 24/04345

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 24/04345

17 novembre 2025

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 7 SECTION 3

ARRÊT DU 17/11/2025

***

N° MINUTE : 25/ 244

N° RG : N° RG 24/04345 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VYNG

Jugement (N° 20/00448)

rendu le 30 Juillet 2024

par le Juge aux affaires familiales d'Arras

APPELANT

M. [K] [U]

né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 13]

de nationalité française

[Adresse 8]

[Localité 6]

représenté par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assisté de Me Véronique Marre, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉE

Mme [C] [D]

née le [Date naissance 4] 1961 à [Localité 10]

de nationalité française

[Adresse 5]

[Localité 7]

représentée par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Maître Jean Philippe Verague, avocat au barreau d'Arras, avocat plaidant

DÉBATS à l'audience publique du 08 septembre 2025 tenue par Laurence Berthier magistrat chargé d'instruire l'affaire et Camille Colonna, conseillère qui ont entendu seules les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 805 du Code de Procédure Civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Sylvie Genel

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Laurence Berthier, présidente de chambre

Sandrine Provensal, conseillère

Camille Colonna, conseillère

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Laurence Berthier, présidente et Christelle Bouwyn, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 4 septembre 2025

*****

EXPOSE DU LITIGE

M. [K] [U] et Mme [C] [D] se sont mariés le [Date mariage 2] 1983 devant l'officier d'état civil de la commune de [Localité 10] (62), après avoir adopté le régime de la communauté réduite aux acquêts par contrat de mariage du 18 juillet 1983 reçu par Maître [L], notaire à [Localité 12].

De leur union sont issus trois enfants, majeurs et indépendants.

M. [U] a formé une requête en divorce déposée le 27 mars 2012.

Par ordonnance de non conciliation du 19 juin 2012, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Arras a notamment :

- Attribué à M. [U] la jouissance du domicile conjugal s'agissant d'une location

- Attribué à Mme [D] la jouissance de l'immeuble situé à [Adresse 14] ;

- Réparti par moitié entre les époux le bénéfice de leurs revenus fonciers ;

- Désigné M. [S], expert agricole et foncier afin de procéder à l'évaluation des parts sociales des EARL [U] et [15], dresser un inventaire estimatif de l'exploitation agricole et faire des propositions de règlement des intérêts pécuniaires des parties la concernant.

L'expert a déposé son rapport le 13 septembre 2013.

Par acte d'huissier du 30 octobre 2014, M. [U] a fait assigner Mme [D] en divorce sur le fondement de l'article 237 du code civil.

Par jugement du 7 avril 2016, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire d'Arras a notamment:

- Prononcé le divorce des époux sur le fondement de l'article 237 du code civil ;

- Homologué l'état liquidatif du patrimoine immobilier des époux reçu le 29 juillet 2013 par Maître [H], notaire à [Localité 13] ;

- Débouté M. [U] de sa demande d'homologation du protocole transactionnel souscrit par les parties du 5 juillet 2013 sur leur patrimoine mobilier ;

- Ordonné la liquidation et le partage du patrimoine mobilier des parties ;

- Renvoyé les parties à procéder amiablement aux opérations de compte liquidation partage du reliquat de leurs intérêts patrimoniaux et en cas de litige à saisir par voie d'assignation le juge de la liquidation ;

- Condamné M. [U] à verser à Mme [D] une prestation compensatoire en capital de 200 000 euros ;

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par arrêt du 14 décembre 2017, sur appel de M. [U] concernant les modalités de paiement de la prestation compensatoire et l'homologation du protocole du 5 juillet 2013, la cour d'appel de Douai a confirmé le jugement, à l'exception des dispositions relatives au paiement de la prestation compensatoire et, statuant à nouveau, a notamment :

- dit que M. [U] pourrait s'acquitter de la prestation compensatoire due à son épouse, Mme [D], d'un montant de 200 000 euros au moyen de 96 mensualités de 2 083,33 euros chacune, avec indexation,

- débouté Mme [D] de sa demande tendant à voir justifier par M. [U] de l'ensemble des avoirs bancaires détenus par la communauté à la date de séparation,

- déclaré Mme [D] irrecevable en ses demandes relatives à l'affectation des résultats des sociétés.

Le 16 mars 2020, Mme [D] a assigné M. [U] devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire d'Arras aux fins d'ouverture des opérations de partage de l'indivision post-communautaire avec désignation d'un notaire pour y procéder et commission d'un juge pour veiller les dites opérations. Aux termes de ses dernières conclusions elle sollicitait du juge qu'il déboute M. [U] de sa demande tendant à voir dire que le protocole d'accord du 5 juillet 2013 était irrévocable et constituait la liquidation partage des intérêts patrimoniaux des époux, de dire nul et de nul effet ce protocole, de dire que Mme [D] n'avait pas renoncé à solliciter d'autres sommes que celles visées à celui-ci, de dire que les bénéfices agricoles de l'EARL [U] et de l'EARL [15] perçus par M. [U] intégreraient l'actif de l'indivision tant qu'un partage ne serait pas intervenu, et elle formait diverses demandes à titre subsidiaire.

M. [U] estimait à titre principal les demandes de Mme [D] irrecevables, se prévalant du protocole d'accord du 5 juillet 2013, et non fondées en tout état de cause. Il estimait qu'il devait être considéré que Mme [D] avait renoncé à solliciter d'autres sommes que celles visées au protocole et demandait qu'il soit jugé qu'elle devait recevoir la somme de 560 125 euros au titre de la liquidation du régime matrimonial.

Subsidiairement, il sollicitait notamment la désignation d'un notaire pour faire les comptes, tenir des récompenses lui étant dues et plus subsidiairement, qu'il lui soit alloué des dommages et intérêts du fait du versement de la prestation compensatoire indûment perçue par Mme [D], si le tribunal faisait droit à la demande de Mme [D] de bénéficier de sommes au-delà du 23 février 2013.

Par ordonnance du 24 juin 2021, le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [U], déclaré l'assignation recevable et réservé les dépens.

Par ordonnance du 14 juin 2022, le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme [D], déclaré les demandes de M. [U] recevables et réservé les dépens.

Par ordonnance du 8 juin 2023, le juge de la mise en état a donné injonction aux parties de rencontrer un médiateur dans un délai de trois mois.

Par jugement du 30 juillet 2024, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire d'Arras a notamment :

- Déclaré l'action en partage recevable ;

- Rappelé que le jugement de divorce a ordonné l'ouverture des opérations de compte liquidation partage de la communauté ayant existé entre Mme [D] et M. [U] ;

- Déclaré le protocole d'accord signé entre les parties le 5 juillet 2013, relatif au partage de leur patrimoine mobilier, nul et dépourvu de tout effet sur la liquidation du régime matrimonial à intervenir entre Mme [D] et M. [U] ;

- Déclaré la demande d'avance à valoir sur ses droits à venir dans le partage, formée par Mme [D], irrecevable ;

- Dit qu'il convient de réintégrer à la masse indivise partageable les bénéfices agricoles perçus par les parties provenant de l'EARL [U] et de l'EARL [15] ;

- Rappelé que le partage du patrimoine immobilier dépendant de la communauté est régi par l'état liquidatif dressé le 29 juillet 2013 par Maître [H], lequel a été homologué par le jugement de divorce du 7 avril 2016 confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 14 décembre 2017 ;

- Désigné pour procéder à la poursuite des opérations de liquidation et partage Maître [I] [J], notaire à [Localité 9], [Adresse 1] ;

- Désigné le juge aux affaires familiales (Cabinet 2) ou tout autre juge en cas d'empêchement pour surveiller le déroulement de ces opérations ;

- Enjoint aux parties d'apporter, dès le premier rendez-vous auprès du notaire, tous les documents que le notaire commis aura pris soin de demander notamment ;

- Dit que le notaire désigné procèdera, notamment, à l'estimation globale des bénéfices agricoles perçus par M. [U] depuis la substitution des parts sociales entre Mme [D] et M. [U], effective au 1er août 2013 ;

- Dit que le notaire devra accéder à l'ensemble des liasses fiscales communiquées au service des Impôts pour les exercices demandés ;

- Etendu la mission de Maître [I] [J] à la consultation des fichiers Ficoba et Ficovie;

- Rappelé que le notaire commis pourra s'adjoindre, si la valeur ou la consistance des biens le justifie, un expert immobilier, foncier ou comptable choisi d'un commun accord entre les parties ou, à défaut, désigné par le juge commis ;

- Débouté les parties de leurs demandes indemnitaires ;

- Condamné M. [U] à verser à Mme [D] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- Condamné les parties aux dépens de l'instance ;

- Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage et supportés par les parties à proportion de leur part dans l'indivision.

Par déclaration au greffe du 9 septembre 2024, M. [U] a relevé appel de ce jugement des chefs suivants :

- Nullité du protocole signé le 5 juillet 2013 relatif au partage du patrimoine immobilier ;

- Réintégration à la masse indivise des bénéfices agricoles perçus par les parties provenant de l'EARL [U] et de l'EARL [15],

- Désignation de Maître [I] [J] et du juge aux affaires familiales,

- Injonction d'apporter au notaire tout document demandé, établissement du calendrier des rendez-vous par le notaire, mission du notaire concernant l'estimation globale des bénéfices agricoles qu'il a perçus par le notaire, l'accès du notaire aux liasses fiscales, la consultation des fichiers Ficoba et Ficovie, la possibilité pour le notaire de s'adjoindre d'un expert,

- Rejet de sa demande indemnitaire,

- Condamnation au titre des frais irrépétibles,

- Rejet du surplus de ses demandes.

Par ses dernières conclusions, communiquées le 22 mai 2025, M. [U] demande à la cour de :

- Juger qu'il n'a formé aucune demande nouvelle et débouter Mme [D] de sa demande de faire juger que les demandes " nouvelles " seraient irrecevables ;

- Infirmer le jugement des chefs visés à sa déclaration d'appel ;

Statuant à nouveau,

- Juger que Mme [D] a renoncé à contester les attributions reçues au titre de la liquidation de son régime matrimonial et qu'en conséquence ses demandes de réintégrations supplémentaires sont irrecevables ;

- Juger que Mme [D] a renoncé à solliciter d'autres sommes que celles visées au protocole transactionnel du 5 juillet 2013 et à l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 14 décembre 2017;

- Juger qu'au titre de la liquidation du régime matrimonial il doit être attribué à Mme [D] la somme de 560 125 euros, pour solde de ses droits liquidatifs ;

- Juger que cette somme sera versée à Mme [D] dès que la décision à intervenir sera définitive ;

- Débouter Mme [D] de toutes autres demandes plus amples ou contraires

A titre subsidiaire,

- Désigner tel notaire qu'il plaira à la cour pour procéder aux opérations de liquidation partage ;

- Désigner un juge pour surveiller le déroulement de ces opérations ;

- Juger en conséquence que le notaire devra procéder à la liquidation du régime matrimonial des ex-époux en fixant à 560 125 euros le montant des sommes restent dues à Mme [D], à l'exclusion de toute autre somme et, notamment, des bénéfices agricoles de l'Earl [U] et de l'Earl [15] depuis 2012 ;

- Juger que le notaire commis n'aura pas à consulter les fichiers Ficoba, ni se faire communiquer les liasses fiscales des deux sociétés ;

- Juger que le notaire n'aura pas à s'adjoindre un expert immobilier, foncier ou comptable ;

- Annuler toutes les autres dispositions concernant le calendrier du notaire et les documents à solliciter ;

- Débouter Mme [D] de toutes autres demandes plus amples ou contraires

A titre infiniment subsidiaire,

- Juger que le notaire désigné devra établir la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des ex-époux en tenant compte des récompenses qui lui sont dues du fait de ses apports propres en communauté ;

- Faire droit, dans cette hypothèse, à sa demande reconventionnelle ;

- Condamner Mme [D] à lui verser la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts (équivalents à la prestation compensatoire indue), correspondant au préjudice subi du fait de ce versement qui constitue alors un enrichissement sans cause ;

- Condamner Mme [D] à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions, communiquées le 1er septembre 2025, Mme [D] demande à la cour de :

- Juger irrecevables les demandes nouvelles présentées par M. [U], à savoir :

- " Juger que le protocole d'accord du 5 juillet 2013 a produit des effets juridiques irréversibles,

- Juger que Mme [D] a renoncé à solliciter toute autre somme que celles visées au protocole d'accord de juillet 2013,

- Juger que Mme [D] a renoncé à contester les attributions reçues au titre de la liquidation de son régime matrimonial et qu'en conséquence ses demandes de réintégrations supplémentaires sont irrecevables ;

- Juger que Mme [D] a renoncé à solliciter d'autres sommes autres que celles visées au protocole transactionnel du 5 juillet 2013 et à l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 14 décembre 2017,

- Juger qu'au titre de la liquidation du régime matrimonial il doit être attribué à Mme [D] la somme de 560 125 euros, pour solde de ses droits liquidatifs,

- Juger que cette somme sera versée à Mme [D] dès que la décision à intervenir sera définitive,

- Débouter Mme [D] de toutes autres demandes plus amples ou contraires.

- Débouter M. [U] de l'ensemble de ses moyens et prétentions,

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement de première instance.

A titre subsidiaire, sur la question des dividendes des sociétés,

- Juger que Mme [D] devra percevoir son affectation de résultat sur laquelle elle a été imposée au titre du bénéfice agricole dégagé par l'Earl [U] [D] au terme de l'exercice clos au 29 février 2012, soit la somme de 276 272,94 euros,

- Avant dire droit sur l'affectation du résultat de l'exercice clos au 28 février 2013 et 28 février 2014, enjoindre à M. [U] de communiquer le procès-verbal d'assemblée générale ordinaire d'approbation des comptes de la société Earl [U] [D] dans un délai de 2 mois à compter de la décision à intervenir et passé ce délai sous astreinte de 200 euros par jour de retard,

- Juger que Mme [D] percevra son affectation de résultat au titre du bénéfice agricole dégagé par l'Earl [15] au titre de l'exercice clos au 31 mars 2012, soit la somme de 21 238,46 euros,

- Avant dire droit sur l'affectation du résultat de l'exercice clos au 31 mars 2013 et 31 mars 2014, enjoindre à M. [U] de communiquer le procès-verbal d'assemblée générale ordinaire d'approbation des comptes de l'Earl [15] dans un délai de 2 mois à compter de la décision à intervenir et passé ce délai sous astreinte de 200 euros par jour de retard,

- En tant que de besoin, avant dire droit, interroger l'expert judiciaire M. [M] [S] à l'effet de savoir s'il a intégré les résultats litigieux dans son estimation des parts sociales des sociétés,

A titre infiniment subsidiaire, si par impossible et extraordinaire la cour venait à considérer que le bénéfice agricole des deux sociétés et tel que susvisé ne doit pas lui être distribué,

- Juger que M. [U] devra supporter l'intégralité de l'imposition sur le revenu et des prélèvements sociaux correspondant à l'affectation de résultat dû aux époux et à proportion des parts sociales détenues par la communauté au titre des exercices clos les 29 février 2012 et 28 février 2013 s'agissant de l'Earl [U] [11], et des exercices clos au 31 mars 2012 et 31 mars 2013 s'agissant de l'Earl [15],

- Condamner M. [U] à lui rembourser les sommes par elle avancées à tort auprès du Trésor public conformément à l'avis d'imposition versé aux débats,

En toute état de cause,

- Débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes de dommages et intérêts,

- Débouter M. [U] de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- Condamner M. [U] aux dépens d'appel,

- Condamner M. [U] à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure est intervenue le 4 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d'irrecevabilité des demandes nouvelles sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile

Mme [D] prétend que M. [U] a formé certaines demandes nouvelles en cause d'appel qui sont par conséquent irrecevables en application de l'article 564 du code de procédure civile. Ainsi, dans ses premières conclusions devant la cour d'appel il a demandé qu'il soit jugé que le protocole d'accord du 5 juillet 2013 a produit des effets juridiques irréversibles et que Mme [D] a renoncé à solliciter toute autre somme que celles visées au protocole d'accord de juillet 2013, avant de modifier à nouveau ses demandes par conclusions du 22 mai 2025 concernant les renonciations prétendues de Mme [D] et l'attribution d'une somme de 560 125 euros pour solde des droits liquidatifs de Mme [D].

M. [U] réplique que ses demandes ne sont pas nouvelles puisqu'il sollicite depuis le jugement de première instance de faire juger que Mme [D] a renoncé à toute autre demande que celles visées au protocole d'accord de juillet 2013. Il ajoute qu'il a simplement restructuré ses écritures avec un argumentaire complémentaire et qu'en aucun cas il n'a formé de nouvelles demandes.

* A titre liminaire, il sera rappelé que conformément à l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

En vertu de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 565 énonce que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

L'article 566 autorise les parties à ajouter à leurs prétentions toutes les demandes qui sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes soumises au premier juge.

Il ressort de la lecture du jugement entrepris que M. [U] avait alors sollicité notamment qu'il soit dit que Mme [D] a " renoncé à solliciter d'autres sommes que celles visées au protocole d'accord du 5 juillet 2013 et à l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 14 décembre 2017 " et de dire qu'il doit être attribué à celle-ci au titre de la liquidation du régime matrimonial, une somme totale de 560 125 euros.

Ces demandes sont les mêmes que celles formées dans les écritures de M. [U].

Si celui-ci ajoute à ses demandes en sollicitant de la cour de " Juger que Mme [D] a renoncé à contester les attributions reçues au titre de la liquidation de son régime matrimonial et qu'en conséquence ses demandes de réintégrations supplémentaires sont irrecevables ", force est de constater que ces demandes ne sont que l'accessoire des demandes soumises au premier juge.

Les demandes de M. [U] sont donc recevables.

Sur le protocole d'accord du 5 juillet 2013

M. [U] demande à la cour d'appel d'infirmer le jugement en ce qu'il a annulé le protocole d'accord du 5 juillet 2013 et l'a déclaré dépourvu de tout effet sur la liquidation du régime matrimonial.

Il sollicite qu'il soit jugé que Mme [D] a renoncé à contester les attributions reçues au titre de la liquidation du régime matrimonial et qu'en conséquence ses demandes de réintégrations supplémentaires sont irrecevables, celle-ci ayant renoncé à solliciter d'autres sommes que celles visées au protocole transactionnel du 5 juillet 2013 et à l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 14 décembre 2017. Il expose que le tribunal a relevé que ce protocole avait été signé en contravention des prescriptions de l'article 265-2 du code civil et que cela est incontestable. Toutefois, il ne peut selon lui être fait abstraction de ce document qui est un fait juridique, régi par les dispositions de l'article 1100-2 du code civil, qui a entraîné un certain nombre de conséquences, comme la renonciation de Mme [D] à toutes autres prétentions que celles visées à ce document. Il rappelle que ce protocole a été négocié avec l'assistance des avocats de chacun des époux, rédigé par le conseil de Mme [D], et signé après que les éléments d'actifs immobiliers aient été inventoriés mais aussi, après la tenue des assemblées générales des sociétés pour valider les comptes 2012 et notamment le fait que les résultats n'aient pas été distribués et après que les parties aient pris connaissance du rapport de l'expert M. [S]. Ainsi ce protocole a été signé après une estimation globale du patrimoine des parties, dans le respect des règles fiscales, et il a fixé une prestation compensatoire au regard de la situation des époux et de leurs patrimoines. Il conteste toute déloyauté de sa part dans ce contexte, notamment dans le règlement des impôts qu'il a opéré, tout comme son épouse, sur les bénéfices des sociétés qu'il n'avait pas perçus. Il ajoute que l'expert a parfaitement analysé la situation en tenant compte des résultats 2012 pour valoriser les sociétés, contrairement à ce que prétend Mme [D].

Il ajoute que le protocole avait prévu l'attribution des parts sociales des deux sociétés [U] [D] et [15] à l'époux ce qui a été réalisé dès le 16 juillet 2013 par la constatation de la substitution des parts sociales entre eux, suivant les comptes courants arrêtés au 22 février 2013. Mme [D] n'a donc plus aucun droit dans les parts de ces sociétés. Les biens immobiliers ont par ailleurs été répartis entre eux et l'acte de répartition a été signé chez le notaire. Chacun a aussi conservé les liquidités présentes sur ses propres comptes bancaires et Mme [D] s'est vu remettre par M. [U] une somme de 110 000 euros pour la remplir de ses droits, un solde de 17 245 euros restant dû, par application du protocole. La prestation compensatoire a été fixée judiciairement suivant l'accord des parties, à hauteur de 200 000 euros, seule les modalités de paiement ayant donné lieu à un désaccord, tranché par la cour d'appel de Douai suivant les modalités du protocole et en considération de la soulte de 466 500 euros devant être réglée par M. [U]. Il se déduit donc de la motivation de cet arrêt que Mme [D] a tout accepté, à savoir le périmètre de ses droits, les attributions de chacun, la prestation compensatoire et la soulte dues par M. [U] et celle-ci n'a pas formé de pourvoi en cassation à l'encontre du dit arrêt. Par voie de conséquence, Mme [D] a nécessairement renoncé à tous autres droits. M. [U] précise qu'une jurisprudence constante, notamment en matière de divorce, reconnaît que la renonciation à un droit n'a pas besoin d'être expressément énoncée dès lors que les circonstances établissent de façon non équivoque la volonté de renoncer à celui-ci. Tel est bien le cas en l'espèce, la cour d'appel ayant définitivement fixé le montant de la prestation compensatoire suivant l'accord des parties et en tenant compte de leur patrimoine respectif. Il considère que si Mme [D] pouvait aujourd'hui recevoir des sommes supérieures à son patrimoine tel que retenu par la cour d'appel pour fixer la prestation compensatoire, il y aurait un véritable enrichissement sans cause et un déni de justice.

Mme [D] sollicite la confirmation du jugement. Elle soutient qu'elle a toujours contesté la validité du protocole d'accord en question à raison des agissements frauduleux de M. [U] ayant consisté à détourner à son seul profit 100 % des bénéfices agricoles des sociétés dépendant de la communauté au titre des exercices comptables 2012 et 2013. C'est la raison pour laquelle le divorce par consentement mutuel envisagé n'a pu aboutir. Ainsi, le comportement de Mme [D] consiste non pas à renoncer à des droits autres que ceux prévus par le protocole nul mais bien à obtenir des juridictions qu'elles en écartent l'application à raison des agissements de M. [U], ce sur quoi la cour d'appel de Douai a déjà statué de manière définitive.

Elle précise que M. [U] ne peut expliquer comment Mme [D] pourrait supporter l'imposition sur le revenu des sociétés agricoles pour les années 2012 et 2013 alors qu'elle a été privée des bénéfices agricoles que M. [U] a seul appréhendés au moyen d'un report à nouveau. L'estimation des parts sociales des deux EARL ne comprend pas les résultats agricoles puisque la clôture comptable n'était pas encore intervenue alors que ces sociétés étaient soumises à l'impôt sur le revenu et donc fiscalement transparentes, et non à l'impôt sur les sociétés. La valorisation de l'expert est donc minorée. M. [U] a ainsi capté seul la totalité du résultat et a laissé son épouse réglé la moitié de l'imposition alors qu'elle n'avait rien perçu. Ce désaccord figure dans les conclusions de Mme [D] depuis la procédure de divorce. Ainsi pour les exercices des sociétés clos en 2012, 2013 et 2014, elle a droit aux bénéfices qu'elle n'a jamais perçus tout en s'acquittant des impositions afférentes.

Elle maintient que le protocole ne pouvait être conclu avant l'assignation en divorce de sorte qu'il est nul et ne peut être homologué. Ce document ne peut par conséquent être invoqué à l'appui d'une demande en justice. Elle conteste que celui-ci ait été exécuté et rappelle que les seuls points d'accord étaient le partage des actifs immobiliers. Le protocole prévoyait notamment une prestation compensatoire en capital que M. [U] souhaitait verser sous forme de rente. Aucune mise en 'uvre judiciaire ou amiable de ce document ne peut donc être relevée.

* Le premier juge après avoir rappelé que l'appréciation du montant de la prestation compensatoire et les opérations de liquidation du régime matrimonial ayant existé entre les parties étaient régies par des textes différents et ne pouvaient être confondues dans la détermination des comptes d'administration de chaque partie, a relevé que la production en justice du protocole litigieux du 5 juillet 2013 aux fins de régir les conséquences patrimoniales du divorce était irrecevable puisque l'acte était entaché de nullité, pour avoir été signé avant l'assignation en divorce du 30 octobre 2014, ce qui contrevenait aux prescriptions de l'article 265-2 du code civil, les parties ne pouvant transiger sur une liquidation anticipée alors qu'aucune instance en divorce n'était en cours. Il rappelait à titre surabondant l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 14 décembre 2017 qui avait écarté ledit protocole d'accord et refusé son homologation.

Le protocole litigieux conclu le 5 juillet 2013 (pièce 24 de l'appelant) décrivait notamment l'actif de communauté et prévoyait des attributions à chaque époux, en stipulant que par les concessions réciproques opérées, les époux fixaient " définitivement " par cet acte " les modalités et les conséquences de leur divorce ".

Les motifs du jugement qui a retenu la nullité du protocole entrepris avant toute introduction d'une procédure de divorce, sont pertinents, et ne sont pas critiqués par M. [U] qui admet lui-même que la violation des prescriptions de l'article 265-2 du code civil qui n'autorise la conclusion de conventions pour la liquidation et le partage du régime matrimonial des époux que pendant l'instance en divorce, est " incontestable " (page 13 de ses conclusions).

Le protocole doit par conséquent être déclaré nul et de nul effet, comme l'a retenu le premier juge dont le jugement sera confirmé sur ce point. Partant, les conditions de la signature de ce document sont indifférentes.

M. [U] ne peut soutenir que le protocole aurait pour conséquence, en tant que fait juridique au sens de l'article 1100-2 du code civil, que Mme [D] aurait renoncé à toutes autres prétentions que celles visées à ce document, alors que celui-ci est nul et de nul effet et que, partant, les parties signataires ne peuvent être considérées comme ayant renoncé à toute autre demande concernant les conséquences du divorce, et ainsi la liquidation du régime matrimonial. Autrement dit, l'annulation du protocole rend aux parties leur liberté d'action.

En revanche, il n'est pas contesté que les parties ont signé par la suite, le 16 juillet 2013, une substitution de parts sociales entre elles pour les EARL [U] [D] et [15], que par ailleurs M. [U] a versé une somme de 110 000 euros à Mme [D] outre que le partage des immeubles est intervenu, par l'effet d'un autre acte.

Si les parties se sont accordées ensuite sur le principe d'une prestation compensatoire versée par M. [U] à Mme [D], à hauteur de 200 000 euros, cet accord est intervenu devant le juge aux affaires familiales, qui a rejeté la demande de paiement sous forme de rente sollicité par M. [U], ce qu'a admis au contraire la cour d'appel de ce siège par arrêt infirmatif du 14 décembre 2017, suivant des modalités distinctes (96 mensualités de 2 083,33 euros) que celles qui avaient été arrêtées par le protocole d'accord (1 666 euros par mois durant dix ans).

Il convient de souligner que dans le cadre de ces instances en divorce, la validité du protocole était déjà remise en cause par Mme [D], et la cour d'appel a confirmé le jugement qui avait rejeté la demande d'homologation de celui-ci.

Il ne peut donc être soutenu que la cour d'appel aurait, par son arrêt du 14 décembre 2017, parce qu'elle a retenu le montant de la prestation compensatoire proposé par les parties, validé les droits de ces dernières dans la liquidation dont elle a certes évoqué la soulte envisagée, alors même que le protocole était contesté devant elle.

Le premier juge a au demeurant exactement rappelé dans le jugement entrepris que ces opérations étaient distinctes.

De plus, l'autorité de chose jugée n'ayant lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif en vertu des dispositions de l'article 480 du code de procédure civile, la motivation de l'arrêt de la cour d'appel évoquant la soulte ne peut servir à considérer que Mme [D] aurait renoncé à ses droits dans le partage de manière non équivoque.

Il ne peut donc pas être soutenu que les droits des parties ont ainsi été arrêtés et les comptes faits par l'effet du protocole partiellement mis en 'uvre alors même qu'il était contesté.

M. [U] est donc mal fondé à solliciter que le notaire procède à la liquidation du régime matrimonial en fixant à 560 125 euros les sommes restant dues à Mme [D] pour solde de ses droits liquidatifs.

M. [U] doit donc être débouté de ses demandes comme l'a retenu le premier juge dont le jugement sera confirmé et aussi en ce qu'il a désigné notaire et juge pour procéder aux opérations de compte liquidation partage et leur surveillance.

Sur la mission du notaire

M. [U] sollicite que le notaire ne consulte pas les fichiers Ficoba, ni ne se fasse communiquer les liasses fiscales des deux sociétés, points sur lesquels il n'apporte aucun fondement de droit ou de fait.

Mme [D] observe que cette demande témoigne de ce que M. [U] tente de dissimuler des liquidités probablement très importantes.

* Le premier juge a exactement déterminé les mission du notaire désigné dont il n'y a pas lieu de modifier le contenu au vu des opérations de compte liquidation partage restant à opérer.

Le premier juge a par ailleurs exactement relevé que les bénéfices agricoles perçus par M. [U] des sociétés [U] [D] et [15] pendant l'indivision post communautaire étaient des fruits accroissant à l'indivision à laquelle ils devaient être intégrés (Cass. Civ. 1ère, 28 mars 2018 pourvoi n°17-16.198).

Sur la demande au titre des récompenses

M. [U] sollicite à titre plus subsidiaire que le partage des intérêts patrimoniaux des ex-époux tienne compte des récompenses qui lui sont dues du fait de ses apports propres en communauté.

Mme [D] ne formule aucune observation.

* M. [U] fait valoir l'apport d'un terrain et d'une exploitation agricole et produit à cet effet l'avis de l'expert qu'il avait mandaté dans le cadre de l'expertise ordonnée par le juge conciliateur. Il lui incombera de fournir dans le cadre des opérations de compte liquidation partage les éléments utiles à la démonstration du bien-fondé de sa demande. Il sera donc renvoyé au notaire sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts formées par M. [U]

A titre plus subsidiaire, M. [U] sollicite au visa de l'article 1303 du code civil, la condamnation de Mme [D] au versement de la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts équivalents à la prestation compensatoire prononcée par le juge aux affaires familiales. Il fait valoir que la prestation compensatoire qui a été débattue entre les époux devant le juge aux affaires familiales, puis validée par la cour d'appel de Douai, a pris en compte précisément le montant des liquidités que Mme [D] était habile à percevoir, le montant des immeubles dont elle s'était vu attribuer la propriété, et le montant de la soulte que M. [U] devait lui verser. Il soutient que si ses droits liquidatifs devaient être nettement plus élevés, la prestation compensatoire versée à Mme [D] constituerait un enrichissement sans cause indéniable.

Mme [D] s'oppose à la demande estimant que le fait pour la cour d'appel d'appliquer le droit pour considérer que les dividendes des sociétés sont bien des actifs de l'indivision post-communautaire ne peut constituer un préjudice, et elle ajoute que la prestation compensatoire a été versée en vertu d'une décision définitive. Elle ajoute que M. [U] a conservé les parts sociales qu'il pourra céder au prix de son choix et en tirer avantage. Elle ajoute qu'elle n'a commis aucune faute et que lui-même n'a subi aucun préjudice.

* L'article 1303 du code civil énonce que celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.

M. [U] se prévaut d'un enrichissement injustifié de Mme [D], éventuel, et non actuel, se contentant d'invoquer l'hypothèse d'une évolution des droits dans le partage à son préjudice.

Il n'y a pas lieu par voie de conséquence de faire droit à sa demande aucun enrichissement injustifié n'étant démontré.

S'il qualifie sa demande de dommages et intérêts, il n'établit pas plus la faute commise par Mme [D] ce qui fait donc obstacle à sa demande, en vertu des dispositions de l'article 1240 du code civil. Il convient d'ailleurs d'observer de manière surabondante que les parties étaient d'accord dans le cadre de l'instance de divorce sur le montant de la prestation compensatoire alors même que la validité du protocole était débattue et que M. [U] n'avait pas subordonné son accord relatif au montant de la prestation compensatoire à la validation de cet accord.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de M. [U].

Sur les dépens et l'indemnité procédurale

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile ;

Le jugement n'est pas critiqué du chef des dépens.

Le premier juge a fait une exacte application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en condamnant M. [U] à verser la somme de 2 000 euros à Mme [D] au titre des frais irrépétibles.

M. [U] qui succombe en son recours sera condamné aux dépens d'appel et à verser à Mme [D] la somme de 4 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Dans les limites de sa saisine,

DECLARE les demandes de M. [U] recevables.

CONFIRME le jugement.

Y ajoutant,

RENVOIE au notaire la question des éventuelles récompenses dues à M. [U].

CONDAMNE M. [U] à verser à Mme [D] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Le CONDAMNE aux dépens d'appel.

Le greffier La présidente

Christelle Bouwyn Laurence Berthier

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