CA Douai, ch. 2 sect. 1, 1 juin 2023, n° 21/03358
DOUAI
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mimiague
Conseiller :
Deletang
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon convention du 15 novembre 2016 (contrat BG/LG/0816, le contrat 'sous-jacent'), la société Groupe Maisonneuve, société de construction de maisons individuelles, a obtenu de la société HCC International Insurance Company PLC (ci-après 'HCC International'), société d'assurance de droit anglais, en qualité de caution, l'émission au profit des maîtres d'ouvrages de garanties de livraison à prix et à délais convenus et des garanties de remboursement (en application de la loi n° 90-1129 du 19 décembre 1991 et son décret d'application n° 91-1201 du 27 novembre 1991) ainsi que des cautionnements d'achèvement des travaux au titre de l'article R. 261-21 du code de la construction et de l'habitation.
Suivant avenant au contrat sous-jacent du 21 novembre 2018 la ligne d'encours autorisée par la caution a été augmentée sous la condition, notamment, de l'obtention d'une garantie bancaire à première demande et le même jour, la société Banque populaire du Nord a émis au bénéfice de la société HCC International une garantie autonome d'un montant maximum de 350 000 euros, couvrant ses obligations au titre du contrat sous-jacent.
Par jugement du 7 janvier 2019, le tribunal de commerce de Lille Métropole a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Groupe Maisonneuve ; la SELAS MJS Partners représentée par M. [Y] [B] a été désignée en qualité de mandataire liquidateur de la société.
Le 20 juin 2019 la société Tokio Marine Europe SA ('TME'), société de droit luxembourgeois, filiale de la société HCC International, a sollicité auprès de la Banque populaire du Nord le règlement d'une somme de 350 000 euros en exécution de la garantie, en se présentant comme une entité créée par la société HCC International pour poursuivre ses activités dans l'espace économique européen après le 'Brexit'. La banque a refusé sa garantie au motif que la société TME n'était pas le bénéficiaire de la garantie autonome laquelle n'était pas transférable. Le 12 juillet 2019 la société HCC International s'est adressée à la banque pour solliciter le règlement à son profit de la somme de 350 000 euros en exécution de la garantie bancaire. La banque a décliné sa garantie considérant que la société HCC International ne pouvait plus en solliciter le paiement car elle ne disposait plus de créance sur la société Groupe Maisonneuve.
Par assignation du 28 janvier 2020, la société HCC International a saisi le tribunal de commerce de Lille métropole pour demander la condamnation de la Banque populaire du Nord au titre de la garantie.
Par jugement contradictoire du 25 mars 2021, le tribunal de commerce a :
- débouté la société HCC International de sa demande de condamnation de la Banque populaire du Nord à lui verser la somme de 350 000 euros,
- condamné la société HCC International à payer à la Banque populaire du Nord la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société HCC International aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 73,24 euros, en ce qui concerne les frais de greffe,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 25 juin 2021, la société HCC International a relevé appel aux fins d'annulation ou de réformation de l'ensemble des chefs de ce jugement, à l'exception du chef relatif à l'exécution provisoire.
Aux termes de ses conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 août 2021, la société HCC International demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- condamner la Banque populaire du Nord à lui verser le montant de la garantie autonome, soit 350 000 euros,
- la condamner à lui verser la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Au soutien de ses prétentions l'appelante fait valoir que :
- l'autonomie de la garantie a pour conséquence, d'une part, l'inopposabilité des exceptions tirées d'un rapport autre que la garantie autonome (article 2321 alinéa 3 du code civil), d'autre part, le paiement par le garant à la seule présentation d'une demande conforme en la forme,
- il y a lieu de faire application des Règles uniformes de la Chambre de Commerce International relatives aux garanties sur demande (RUGD), complétées par le recueil des pratiques normalisées publiées par la CCI (International Standard Demand Guarantee Practice ISDGP), auxquelles la garantie renvoie expressément et desquelles il résulte que la présentation par le bénéficiaire d'une demande conforme au titre de la garantie autonome entraîne automatiquement l'obligation du garant d'honorer son engagement ; la simple apparence de conformité suffit et en l'espèce la demande en paiement était conforme au regard des conditions fixées dans la garantie autonome,
- le tribunal a fait une confusion entre plusieurs rapports de droit distincts :
- il ne pouvait pas tenir compte de la première demande de la société TME pour apprécier la régularité de sa demande compte tenu du principe de l'indépendance des demandes (articles 17d et 18 des RUGD),
- l'inopposabilité des exceptions dans les garanties autonomes s'opposait à ce que le tribunal tienne compte de l'absence de justificatif des montants indemnisés aux bénéficiaires ou de l'absence de déclaration de créance, qui sont des considérations tirées du contrat sous-jacent et non des conditions exigées dans la garantie autonome,
- le fait qu'elle ait indiqué un tiers chargé de recevoir le paiement à sa place ne confère à celui-ci aucun droit de poursuite contre le débiteur (il s'agit d'un simple mandat de paiement) et ne constitue pas une manoeuvre pour obtenir la mise en paiement de la garantie au profit de ce tiers.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 10 novembre 2021, la Banque populaire du Nord demande à la cour de :
- juger la société HCC International mal fondée en son appel,
- l'en débouter,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- débouter purement et simplement la société HCC International de l'ensemble de ses demandes,
Y ajoutant,
- condamner la société HCC International au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
L'intimée fait valoir que :
- en application de l'article 2321 du code civil, alinéa 2, l'abus ou la fraude manifeste du bénéficiaire fait obstacle au paiement : elle estime que la HCC International procède à un abus manifeste de l'exercice de ses droits de bénéficiaire de la garantie autonome, la lettre du 20 juin 2019 de la société TME constituant l'élément fondateur de l'appel abusif en paiement régularisé ensuite, le 12 juillet 2019, par la société HCC International ; celle-ci détourne la garantie pour le compte d'un tiers,
- dans le cadre du transfert de l'activité de HCC International au profit de la société TME, cette dernière est devenue créancière de la société Groupe Maisonneuve, or, la garantie ne suit pas l'obligation garantie,
- en l'absence de créance entre le donneur d'ordre et le bénéficiaire, la garantie à première demande n'a pas lieu d'être activée ; il ne s'agit aucunement d'une exception purement personnelle du rapport principal entre le donneur d'ordre et le bénéficiaire mais de la simple application de la garantie à première demande.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé du surplus de leurs moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 16 mars 2023.
MOTIFS
Selon l'article 2321 du code civil, la garantie autonome est l'engagement par lequel le garant s'oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant les modalités convenues ; le garant n'est pas tenu en cas d'abus ou de fraude manifeste du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d'ordre ; le garant ne peut opposer aucune exception tenant à l'obligation garantie ; sauf convention contraire, cette sûreté ne suit pas l'obligation garantie.
L'article 19 ('examen d'une présentation') des RUGD dispose que le garant déterminera, sur la base de la seule présentation, si celle-ci a l'apparence d'être conforme.
Le recueil des pratiques normalisées publiées par la CCI précise, selon la traduction proposée par l'appelante, que le garant devra déterminer sur la base de la seule présentation, si elle présente l'apparence de conformité ; le garant ne s'occupe que de l'apparence du bon ordre des documents qui lui sont présentés et de leur conformité avec les termes de la garantie ; le garant ne doit pas prendre en considération les faits auxquels se rapportent les documents.
L'article 20 ('période pour l'examen d'une demande en paiement ; paiement') des RUGD précise que lorsque le garant détermine qu'une demande en paiement est conforme, il devra payer.
L'engagement du garant en vertu d'une garantie autonome à première demande est un engagement nouveau, distinct de l'obligation garantie et, comme il en résulte des dispositions rappelées ci-dessus, l'autonomie de la garantie signifie que le garant ne peut opposer au bénéficiaire de celle-ci les exceptions au contrat de base ou un litige relatif à celui-ci pour se soustraire à son obligation de paiement. Il est tenu de payer à première demande dès lors que les conditions prévues par la garantie sont réunies.
Le garant peut toutefois refuser d'exécuter la garantie en cas d'abus ou de fraude manifeste lors de l'appel du paiement. L'abus est manifeste lorsqu'il est certain que le droit d'appeler la garantie n'existe plus.
La cour relève que l'appelante ne prend pas position sur la question de l'abus manifeste soulevée par l'intimée, sauf à contester le fait qu'elle aurait fait la demande de paiement pour le compte de la société TME, ce qui ne résulte pas en effet des termes de sa demande.
La demande en paiement de la garantie par la société TME le 20 juin 2019 révèle que cette société a repris une partie des activités de la société HCC International, qu'à ce titre, elle a exécuté les engagements de caution en vertu du contrat sous-jacent et, en conséquence, qu'elle est créancière à l'égard de la société Groupe Maisonneuve. C'est d'ailleurs cette société qui a déclaré une créance en vertu du contrat sous-jacent à la procédure collective de la société Groupe Maisonneuve, comme en justifie la société HCC International elle-même.
Il est donc acquis que la société HCC International n'est pas créancière de la société Groupe Maisonneuve en vertu du contrat sous-jacent, mais une autre société, de sorte que l'appel en paiement de la garantie par la société HCC International, même strictement conforme aux termes de la garantie, constitue un abus manifeste au sens du deuxième alinéa de l'article 2321 du code civil.
C'est donc à bon droit que le premier juge, même s'il n'a pas véritablement caractérisé une fraude ou un abus manifeste, a rejeté la demande de la société HCC Internationale et le jugement sera en conséquence confirmé.
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement pour le surplus, de mettre les dépens d'appel à la charge de l'appelante, qui succombe, et d'allouer à l'intimée une indemnité de procédure de 5 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
y ajoutant,
Condamne la société HCC International Insurance Company PLC à payer à la société Banque populaire du Nord la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société HCC International Insurance Company PLC aux dépens d'appel.