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Décisions

Cass. com., 24 mars 2021, n° 19-14.082

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Rémery

Rapporteur :

Fevre

Avocat général :

Lecaroz

Cass. com. n° 19-14.082

23 mars 2021

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à la société [...] , prise en la personne de M. P... en sa qualité d'administrateur judiciaire des sociétés JJW France, JJW Luxury Hotels, Amarante et Median, et à la société Actis, prise en la personne de M. O... en sa qualité de mandataire judiciaire de ces mêmes sociétés placées en redressement judiciaire par jugements du 26 juin 2020, de leur reprise d'instance.

2. Il est donné acte à M. N... et M. W..., en leur qualité de liquidateurs conjoints de la société JJW Limited nommés par décision de la Cour royale de l'Ile de Guernesey du 31 juillet 2020, de leur reprise d'instance.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 mars 2019) et les productions, par un acte du 19 avril 2007, la société de droit allemand Aareal Bank AG (la banque) a consenti un prêt de restructuration d'un montant de 97 000 000 euros, remboursable en cinq ans, aux sociétés Hôtel Balzac, Hôtel de Vigny, ultérieurement absorbées par la société JJW Luxury Hotels, Amarante et Median, co-emprunteurs solidaires, appartenant toutes au groupe hôtelier JJW.

4. Par un acte séparé du même jour, la société JJW Limited, immatriculée à Guernesey et société mère du groupe hôtelier JJW, a signé une « first demand guarantee. »

5. En 2010 et 2011, la banque a sollicité en vain de la société JJW Limited le paiement de diverses sommes au titre de la garantie, puis l'a assignée en paiement. Les sociétés JJW France, JJW Luxury Hotels, Amarante et Median sont intervenues volontairement à l'instance en invoquant la nullité de la convention de crédit pour défaut de cause par voie de conclusions du 14 mai 2013.

6. Les sociétés emprunteuses ayant été placées sous sauvegarde, la banque a déclaré sa créance à titre privilégié au passif de chacune d'elles, laquelle a été contestée. Le juge-commissaire, s'estimant incompétent pour statuer sur la validité de la convention de crédit, a sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir dans l'instance au fond.

7. Un plan de sauvegarde a été arrêté et la banque a assigné en intervention forcée la SCP [...] en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan des sociétés emprunteuses et la société Actis en sa qualité de mandataire judiciaire de ces mêmes sociétés, puis elle a assigné au fond les sociétés débitrices et les mandataires afin qu'il soit statué sur les contestations soulevées relatives à la nullité de la convention de crédit et à la nullité de la stipulation d'intérêt conventionnel en raison d'un taux effectif global erroné. Les instances ont été jointes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Les sociétés JJW Limited, JJW France, Amarante, JJW Luxury Hotels et Median font grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de leurs demandes et de condamner la société JJW Limited à payer à la société Aareal Bank AG la somme de 22 091 922,13 euros, en principal et, ajoutant au jugement, de fixer à titre privilégié la créance de la société Aareal Bank au passif des sociétés JJW Luxury Hotels, JJW France, Amarante et Median la somme de 96 885 807,78 euros portant intérêts capitalisés selon les modalités de l'article 1343-2 du code civil et déclarer irrecevable la demande fondée sur l'article L. 650-1 du code de commerce, alors « qu'est dépourvu de tout caractère autonome, l'engagement de payer qui a pour objet la dette du débiteur principal ; que la cour d'appel, citant les termes de l'acte souscrit, a constaté que la société JJW Limited s'est engagée à payer au bénéficiaire "toute somme que le Bénéficiaire peut réclamer jusqu'à un montant maximum égal au total des sommes échues et payables tel que défini par la Convention d'Ouverture de Crédit au moment de la demande de paiement visée par la garantie" ; qu'il résulte de ce constat que la garantie consentie, a pour objet la dette des sociétés emprunteuses, partant ne peut être qualifiée de garantie autonome ; qu'en retenant cependant la qualification de garantie autonome, aux motifs, erronés en droit, que la loi française, à laquelle les parties se sont soumises et qui a consacré la validité de cette sûreté, "ne distingue pas selon l'objet de la garantie", de sorte que les parties, qui ont rejeté le cautionnement classique, "ne sauraient se voir imposer une requalification de leur convention" et que "la liberté contractuelle s'y oppose", la cour d'appel a violé par fausse application les articles 2321 et 1103, anciennement 1134, alinéa 1, du code civil, ensemble et par refus d'application l'article 2288 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2321, alinéa 1er, du code civil :

9. Aux termes de ce texte, la garantie autonome est l'engagement par lequel le garant s'oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant les modalités convenues. Il en résulte que le garant s'oblige à payer la dette d'un tiers de manière autonome au regard du contrat de base et que son obligation a un objet distinct de celle du débiteur principal.

10. Pour condamner la société JJW Limited à payer à la banque la somme de 22 091 922,13 euros, l'arrêt, après avoir reproduit la clause par laquelle cette société s'engageait pour « toute somme que le bénéficiaire peut réclamer jusqu'à un montant maximum égal au total des sommes échues et payables tel que défini par la convention d'ouverture de crédit au moment de la demande en paiement visée par la garantie », retient que les parties sont des commerçants avisés et sont convenues, par une convention dépourvue d'ambiguïté, excluant toute interprétation du juge, d'une sûreté reconnue par la loi française à laquelle elles se sont soumises, laquelle ne distingue pas selon l'objet de la garantie, et retient que la liberté contractuelle s'oppose à la qualification de cautionnement.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait du libellé de la clause litigieuse que l'obligation de la société JJW Limited avait le même objet que celle des sociétés JJW Luxury Hotels, Amarante et Median, co-emprunteurs solidaires, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

12. Les mêmes sociétés font le même grief à l'arrêt, alors « que la contradiction entre les motifs et le dispositif d'une décision équivaut à un défaut de motif ; qu'en confirmant le chef du dispositif du jugement, ayant écarté, au fond, la demande en nullité du prêt pour cause illicite, après avoir relevé, dans ses motifs, que "cette demande ayant été formée pour la première fois dans des conclusions du 4 septembre 2013, l'action est également prescrite", la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

13. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Une contradiction entre les motifs et le dispositif constitue un défaut de motifs.

14. Pour confirmer le jugement qui avait rejeté la demande de nullité de l'ouverture de crédit fondée sur une cause illicite en l'absence de preuve de la fraude alléguée, l'arrêt retient que cette demande présentée, pour la première fois, par conclusions du 4 septembre 2013, est atteinte par la prescription extinctive dont le délai a été réduit à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur, le 19 juin et, ce, depuis le 19 juin 2013 et qu'il n'y a pas eu d'interruption de la prescription en l'absence d'effet interruptif de l'assignation délivrée par la banque contre la société JJW Limited en paiement de la garantie.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Aareal Bank AG aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Aareal Bank AG et la condamne à payer à M. N... et M. W... en leur qualité de liquidateurs conjoints de la société JJW Limited la somme de 3 000 euros ainsi qu'à la SCP [...] , en sa qualité d'administrateur judiciaire des sociétés JJW France, JJW Luxury Hotels, Amarante et Median et à la société Actis, en sa qualité de mandataire judiciaire des mêmes sociétés, la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mars deux mille vingt et un.

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