Cass. crim., 19 septembre 1996, n° 95-83.569
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
CULIE
Rapporteur :
Fabre
Avocat général :
Le Foyer de Costil
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 437-3° de la loi du 24 juillet 1966, L. 121-3 et L. 122-3 du Code pénal nouveau, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;
"en ce que l'arrêt confirmatif a déclaré le prévenu coupable d'abus de biens sociaux au préjudice de la société X... III à raison de prêts consentis au bénéfice de la société Margat et d'avoir prononcé en conséquence une peine d'emprisonnement de 3 ans avec sursis et 500 000 francs d'amende;
"aux motifs que, par délibérations des 19 mai 1989 et 7 février 1990, le conseil d'administration d'X... III composé des prévenus a engagé cette société à prendre en charge les échéances de l'emprunt contracté par la société Margat pour l'acquisition de la Cie d'assurance Antverpia Vie; que ces engagements, pris sans garantie au profit de la société Margat dont Christian Y... était propriétaire, portaient sur des sommes de 15 000 000 francs et 3 224 036 francs alors qu'X... III éprouvait déjà des difficultés financières ;
qu'X... II, qui avait dû céder des actifs, n'a pas été remboursée de ces sommes soit 18 224 036 francs; que ces engagements ont été pris dans l'intérêt exclusif de la société Margat entièrement contrôlée par Christian Y... qui connaissait les risques encourus dans ces opérations par X... III, société d'assurance à laquelle incombaient des obligations particulières à l'égard des assurés, ainsi qu'il résulte d'une lettre adressée à M. B... le 20 décembre 1989 par son responsable financier et son directeur : "nous vous rappelons l'incidence que ce prêt aura au niveau de la représentation des réserves et qui risque de se traduire par une insuffisance de couverture des provisions à charge de la société"; que cet avertissement, qui prenait forcément en compte le taux d'intérêt convenu à la charge de la société Margat, oblige la Cour à écarter l'argument selon lequel la rémunération du prêt consenti rendait l'opération régulière à la date à laquelle elle était effectuée ; qu'il convient d'ajouter ensuite : 1°) que la responsabilité du concepteur des opérations, la société d'avocats KPMG, ne fait pas disparaître celle de Christian Y... qui les a réalisées en qualité d'auteur principal; 2°) que même si X... III est une société de droit belge, celle-ci a son principal établissement en France (Roubaix) et le délit reproché à Christian Y... a été commis, au moins en partie, en France, au profit de la société Margat, société française, de sorte que l'exception d'inapplicabilité de la loi pénale française ne peut être retenue; que de ce premier chef de prévention, le jugement doit être confirmé sur la déclaration de culpabilité de Christian Y... et les relaxes prononcées au profit des autres prévenus;
"alors que n'est pas constitutive d'un abus de biens sociaux l'avance de trésorerie consentie par une société à une autre société du même groupe en vue de la réalisation d'un objectif commun dès lors que le concours financier n'est pas dépourvu de contrepartie et ne rompt pas l'équilibre entre les engagements respectifs des différentes sociétés concernées; que le prêt de 18 224 036 francs consenti par la société de droit belge X... III à la société Margat s'insérait dans un contexte d'ensemble lié au rachat en avril 1989 des sociétés du groupe X... par le groupe Y... suivant un plan conçu et piloté par les sociétés KPMG, le Crédit Suisse et la Suisse de Réassurance; que le montage financier intergroupe ainsi élaboré sous l'égide d'un holding de droit belge, le SEFA, n'avait, au moment de sa constitution, fait l'objet d'aucune réserve de la part des autorités de contrôle et poursuivait un objectif à la fois licite et équilibré; qu'en limitant cependant son examen de la prévention aux seuls rapports existant entre la société X... III et la société Margat et en s'abstenant dès lors de rechercher, au regard du droit applicable au moment des actes incriminés, si le financement litigieux n'était pas justifié par l'objectif commun poursuivi par le groupe dans le respect de l'équilibre des différentes sociétés concernées, la cour d'appel a privé sa décision de toute base
légale";
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 437-3° de la loi du 24 juillet 1966, L. 113-2 et suivants, L. 121-3 et L. 122-3 du Code pénal nouveau, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné pénalement le prévenu du chef d'abus de biens sociaux;
"aux motifs que, sur les faits d'abus de biens sociaux reprochés à Christian Y..., il est reproché au prévenu d'avoir transféré, entre le 16 février 1990 et le 2 juillet 1990, le portefeuille titre d'X... III au Crédit Suisse à Paris d'un montant de 125 000 000 francs sur son compte personnel ouvert à la Banque Internationale du Luxembourg (BIL) et en détournant les intérêts produits évalués à 973 804,14 francs ou, au moins, à 780 927,71 francs ;
que ce portefeuille n'a été rapatrié, au moins en partie, en France que le 2 juillet 1990 sur ordre de la commission de contrôle des assurances; que la décision de transfert du portefeuille prise par Christian Y... lui profitait en ce qu'il avait contracté auprès de la BIL un emprunt personnel de 25 millions de francs et qu'il offrait, de fait, par ce transfert, une garantie pour le prêteur; qu'il est acquis que les revenus produits en cours de transfert du portefeuille n'ont pas totalement réintégré les comptes d'X... et Christian Y... n'établit pas le contraire; que la confusion des patrimoines et l'intérêt personnel que le prévenu tirait du transfert du portefeuille résulte du fait que le compte de transfert était intitulé "Christian Z... et de cet autre fait que Christian Y... n'établit pas que le transfert du portefeuille aurait été bénéfique à la société alors qu'il est établi au contraire, que ce transfert a été néfaste à la société X... III en ce qu'il était contraire aux intérêts des assurés et à la législation de l'époque comme l'a révélé l'intervention de la commission de contrôle des assurances; que le 26 juin 1990 Christian Y... a signé avec le syndicat intercommunal de l'agglomération roubaisienne (SIAR) une convention engageant les sociétés d'assurance X... à édifier une construction de 6085 m2 et à transférer 400 emplois moyennant une diminution de prix du terrain (2 120 000 francs au lieu de 3 320 000 francs) à l'acheteur, la société Motte Bossut qui s'est elle-même engagée à répercuter le rabais ainsi consenti au profit de la SCI Les Paraboles, propriété de Christian Y..., sous acquéreur; qu'en vertu de la clause 7 de cette convention, X... s'engageait à reverser au SIAR le montant du rabais consenti augmenté des frais financiers en cas de non-respect des dispositions relatives aux créations d'emploi dans le délai imparti; que les risques étaient encourus par les sociétés X... dans cette opération conclue sans intérêt pour elles; que les avantages étaient pour la SCI Les Paraboles; qu'il est aussi reproché à Christian Y... d'avoir à Roubaix, le 17 mai 1990, en sa qualité de "président du conseil d'administration d'X... III" et d'administrateur de la société
Antverpia-Incendie, commis un abus de biens sociaux au préjudice de ces sociétés en accordant une garantie à première demande de 30 000 000 francs à Indosuez pour le compte de la Financière Beaulieu; que cette garantie avait été donnée pour garantir le remboursement d'un crédit de 240 millions de francs consenti à la Financière Beaulieu pour recapitaliser la SA Sedri, filiale de la Financière Beaulieu (à 60 %), elle-même liée à la DGTR, filiale de Margat, propriété de Christian Y..., par un contrat d'assurance à hauts risques (la Financière Beaulieu a déposé son bilan le 17 août 1990); que si l'opération resta sans suite d'après le prévenu, il convient toutefois de relever qu'elle ne présentait aucun intérêt pour les sociétés X... et même tous les désavantages pour elles d'un engagement sans contrepartie et que, au contraire, par lettre du 20 août 1990, la Banque Indosuez sommait X... France, en exécution de ces engagements, de lui verser immédiatement 30 millions de francs; qu'il est enfin reproché à Christian Y... d'avoir à Roubaix, les 13 juin et 31 juillet 1990, en sa qualité de président du conseil d'administration d'Antverpia-Incendie, commis un abus de biens sociaux au préjudice de cette société en détournant une somme de 562 275 francs au profit de la SCI Les Paraboles; que ce délit résulte de la location des bureaux de la SCI Les Paraboles à Antverpia-Incendie à un prix presque double du loyer payé par les autres locataires, ainsi qu'il résulte du rapport non contredit en fait, de M. A..., du 3 janvier 1991; qu'il suit de ces observations que le jugement déféré, par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, doit être confirmé sur le principe de la culpabilité de Christian Y...;
"1°) alors que, d'une part, le transfert du portefeuille de titres de la société belge X... II auprès de la Banque Internationale du Luxembourg (BIL) ne présentant aucun rattachement avec la loi pénale française, c'est à la faveur de motifs inopérants - et d'ailleurs formellement erronés - que la cour de Douai a dit que le prévenu avait un intérêt personnel dans cette opération;
"2°) alors que, d'autre part, la Cour a encore violé le principe de la présomption d'innocence en considérant que le prévenu n'établirait pas que le transfert initial aurait été bénéfique à la société X... III et ne rapporterait pas non plus la preuve d'avoir rapatrié en France l'intégralité des intérêts produits par le portefeuille géré par la BIL;
"3°) alors que, de troisième part, qu'en s'abstenant de rechercher si la convention du 26 juin 1990 passée avec le SIAR n'était pas également avantageuse pour les sociétés X... en l'état de l'implantation de leur siège prévue à Roubaix, la Cour a privé sa décision de toute base légale;
"4°) alors que, de même, en l'état des conclusions circonstanciées de Christian Y... qui démontraient que les loyers consentis aux société X... étaient identiques à ceux consentis aux sociétés tierces en termes de m2/an (concl. p 32), la cour d'appel, qui n'a pas tenu compte des surfaces louées, a entaché sa décision d'un défaut de motifs;
"5°) alors, enfin, que la garantie donnée à un tiers par le représentant d'une société n'engage pas celle-ci, dès lors que son organe délibérant n'a pas donné son accord préalable; qu'en retenant dès lors la culpabilité du prévenu au seul motif pris d'un acte juridiquement inopérant et dont le créancier n'a poursuivi l'exécution à l'égard de quiconque, la cour d'appel n'a caractérisé aucun abus de biens sociaux au préjudice des sociétés X... III et Antverpia-Incendie";
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les abus de biens sociaux dont elle a déclaré le prévenu coupable;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;