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Décisions

Cass. com., 12 octobre 2022, n° 21-11.039

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mollard

Rapporteur :

Gillis

Avocat général :

Gueguen

Cass. com. n° 21-11.039

11 octobre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 octobre 2020), le 2 mars 2009, la société Granit négoce a vendu à l'établissement public de droit syrien General Establishment for Cereal Processing and Trade, dit Hoboob, 150 000 tonnes métriques de blé tendre français en plusieurs livraisons. La société Banque commerciale syrienne (la société CBS) a consenti à l'Hoboob, le 16 février 2009, une garantie de bonne fin, à première demande, à hauteur de 5 % du prix de vente, qui a été contre-garantie par la société Union des banques françaises et arabes (la société UBAF) en application d'une convention conclue conclu avec la société Granit négoce le 18 juillet 2008.

2. Un litige étant né entre les parties quant à la conformité de la dernière livraison, celles-ci sont convenues de procéder à son analyse.

3. Le 18 mars 2010, la société Granit négoce a obtenu une ordonnance de référé enjoignant à la société UBAF de s'abstenir de payer, sur le fondement de la contre-garantie, à la société CBS ou à l'Hoboob « jusqu'à ce que les résultats d'analyse retenus par l'Hoboob soient produits aux débats et que Granit négoce puisse faire valoir ses observations ». Cette ordonnance est devenue irrévocable la suite du désistement, par la société UBAF, de l'appel qu'elle avait formé.

4. Ayant néanmoins, le 16 juillet 2010, réglé la contre-garantie, qui avait été appelée, la société UBAF a assigné la société Granit négoce en remboursement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. La société UBAF fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à la condamnation de la société Granit négoce, en sa qualité de donneur d'ordre, à lui rembourser la somme de 1 492 645 euros qu'elle a versée à la banque commerciale de Syrie en exécution de sa contre-garantie, alors :

« 3°/ que le paiement fait par la société UBAF à la société CBS, en méconnaissance de l'ordonnance de référé qui lui faisait défense de payer, ne dispense pas le juge du principal, saisi sur ce point, de statuer sur le bien-fondé de la demande de la société UBAF, qui impliquait d'apprécier le contenu de la convention entre la société UBAF et le donneur d'ordre, la société Granit négoce, et de se prononcer sur l'existence d'une créance détenue par la société UBAF à l'encontre de cette dernière ; qu'en se fondant uniquement sur les dispositions de l'ordonnance de référé pour débouter la société UBAF de sa demande, la cour d'appel a conféré à cette ordonnance provisoire une autorité de chose jugée dont elle n'était pas dotée et a encore violé l'article 488 du code de procédure civile ;

4°/ qu'un litige survenu à propos de l'exécution d'un contrat de base ne peut dispenser le contre-garant d'exécuter son obligation qu'en cas d'abus ou de fraude manifestes de l'appel de sa contre-garantie ; qu'en affirmant que les développements du litige, ayant donné lieu à la décision syrienne constatant que la société Granit négoce serait finalement débitrice à l'égard de l'Hoboob, étaient sans conséquence quant à l'appréciation de la validité du paiement de la contre-garantie de la société UBAF, alors que cette décision syrienne rendait impossible pour cette société de se soustraire à son obligation de paiement à l'égard de la société CBS, garante de premier rang, l'appel de sa garantie n'étant pas manifestement abusif ou frauduleux, la société Granit négoce étant alors dans l'obligation de lui rembourser cette somme, la cour d'appel a violé ensemble les articles 2321 du code civil et L. 313-22-1 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2321 du code civil, l'article 488 du code de procédure civile, l'article 489, alinéa 1er, de ce code, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, et l'article 514, alinéa 2, du même code :

6. Le paiement fait par le garant au bénéficiaire d'une garantie à première demande, en méconnaissance d'une ordonnance de référé lui faisant défense de payer, ne lui interdit pas d'obtenir, au fond, le remboursement de son donneur d'ordre, à condition qu'il démontre que l'appel de la garantie n'était ni frauduleux ni abusif. En ce cas, les intérêts sur les sommes en cause courent à compter de la décision qui tranche cette question.

7. Pour rejeter la demande de remboursement de la société UBAF, qui soutenait que l'appel de la contre-garantie n'avait été ni frauduleux ni abusif, l'arrêt, après avoir relevé que celle-ci faisait valoir, à juste titre, que la contre-garantie en cause était autonome de l'exécution du contrat sous-jacent, de sorte qu'elle ne pouvait se prévaloir de l'existence d'une dette, au demeurant encore contestée, de la société Granit négoce à l'égard de l'Hoboob, énonce que, si l'exécution d'une décision non revêtue de l'autorité de la chose jugée, telle une ordonnance de référé, a lieu aux risques et périls de la partie qui la poursuit, à charge pour elle de rétablir le débiteur dans ses droits, il n'en est pas de même de la partie qui passe outre une interdiction judiciaire de payer, cette dernière pouvant seulement obtenir de son contradicteur la réparation du préjudice éventuellement occasionné par son abstention judiciairement ordonnée, dans l'hypothèse où le titre est modifié et où elle s'était conformée à la décision provisoire d'interdiction. Il en déduit que le paiement effectué par la société UBAF en violation des dispositions de l'ordonnance de référé la prive de son recours contre le donneur d'ordre.

8. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait d'apprécier les conditions de mise en oeuvre de la garantie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Granit négoce de sa demande de révocation de clôture, déclare irrecevables les conclusions et pièces nouvellement produites de la société Union des banques françaises et arabes datées du 9 mars 2020, rappelle que la cour statue au vu des conclusions et bordereaux de pièces de la société Granit négoce du 2 mars 2020 et de la société Union des banques françaises et arabes du 14 février 2020 et déboute la société Granit négoce de ses demandes indemnitaires, l'arrêt rendu le 21 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Granit négoce aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Granit négoce et la condamne à payer à la société Union des banques arabes et françaises la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-deux.

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