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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 18 novembre 2025, n° 21/02094

CHAMBÉRY

Autre

Autre

PARTIES

Demandeur :

Ycenna Factory (SARL)

Défendeur :

Ma Femme Prefere Le Bleu (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hacquard

Conseiller :

Mme Reaidy

Avocats :

SELARL TG Avocats, SELARL Bollonjeon, Me Meiller, SELARL Cabinet d'avocat Weber

T. com. Annecy, du 21 sept. 2021

21 septembre 2021

Faits et procédure

En février 2018, la société [I] consulting, société de communication et de marketing, a sollicité de la société Ycenna factory, qui exerce une activité de design, de création et de production d'accessoires à la personne et de décoration de maison destinés aux particuliers et aux professionnels, la mise au point d'un échantillon pour une commande de 200 à 300 lampes PLV (publicité sur le lieu de vente) incluant le logo de la société La Brasserie du [Localité 6] Blanc, sa cliente, lampes destinées aux cafés et brasseries distribuant les bières de cette dernière.

Cependant, la société [I] consulting a fait produire ces lampes en juillet 2019 à la société Ma femme préfère le bleu, sur la base, selon la société Ycenna factory, de cet échantillon.

Par courrier du 9 août 2019, la société Ycenna factory, par l'intermédiaire de son conseil, a adressé une mise en demeure à la société [I] consulting faisant valoir l'existence d'une contrefaçon commise par cette dernière et réclamant au titre du préjudice subi une somme de 19.100 euros HT se décomposant ainsi :

- 12.600 euros au titre de la non exécution de la commande ;

- 5.000 euros au titre de la contrefaçon des droits moraux et patrimoniaux d'auteur ;

- 1.500 euros pour le travail de conception non facturé.

Il réitérait cette mise en demeure par courrier du 26 septembre 2019 et n'obtenant pas de réponse, la société Ycenna factory par acte du 21 février 2020 a fait assigner la société [I] consulting devant le tribunal de commerce d'Annecy, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, pour rupture abusive et fautive de pourparlers en sollicitant sa condamnation à lui payer la somme de 20 300 euros à titre de dommages et intérêts.

Puis par acte en date du 9 novembre 2020, la société Ycenna Factory a fait assigner la société Ma femme préfère le bleu, devant ledit tribunal sur le fondement de l'article 1240 du code civil, en invoquant l'existence d'agissements parasitaires de cette dernière et en sollicitant sa condamnation à lui payer une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement en date du 8 décembre 2020, le tribunal de commerce a joint les deux instances.

Par jugement du 21 septembre 2021, le tribunal de commerce d'Annecy a :

- Débouté la société Ycenna factory de l'ensemble de ses prétentions ;

- Dit que le prototype de la société Ycenna factory ne procède d'aucun savoir-faire particulier ;

- Condamné la société Ycenna factory à verser à la société [I] consulting et à la société Ma femme préfère le bleu la somme de 2.500 euros à chacune au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- Condamné la société Ycenna factory à verser à la société [I] consulting et à la société Ma femme préfère le bleu la somme de 2.000 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Ycenna factory aux entiers dépens ;

- Ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Au visa principalement des motifs suivants :

' La société Ycenna factory échoue à démontrer que le modèle de lampe proposé par la société Ma femme préfère le bleu serait une copie servile ;

' La société [I] consulting a su démontrer que la société Ycenna factory, en refusant de modifier le modèle proposé, a rompu la relation d'affaire engagée.

Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 21 octobre 2021, la société Ycenna factory a interjeté appel de la décision dans toutes ses dispositions.

Par ordonnance du 27 octobre 2022, le conseiller de la mise en état a :

- Déclaré irrecevables les conclusions et pièces déposées au fond par la société [I] consulting les 14 février et 28 février 2022 ;

- Rejeté la demande de la société [I] consulting et de la société Ma femme préfère le bleu tendant à voir déclarer l'appel caduc pour irrégularité de la déclaration d'appel ;

- Rejeté la demande de la société [I] consulting tendant à voir déclarer l'appel caduc pour nullité de l'acte de signification des conclusions d'appelant à l'intimé en date du 26 novembre 2021 ;

- Rejeté la demande de la société Ma femme préfère le bleu tendant voir déclarer l'appel irrecevable à son encontre pour défaut de la possibilité d'interjeter appel contre le jugement entrepris ;

- S'est déclaré incompétent pour connaître de la recevabilité du grief fondée sur la partialité d'un magistrat composant le tribunal de première instance ;

- Débouté les parties du surplus de leurs prétentions ;

- Condamné la société [I] consulting aux dépens de l'incident ;

- Condamné la société [I] consulting à payer la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Débouté la société [I] consulting et la société Ma femme préfère le bleu de leurs demandes d'indemnité procédurale et de dépens, et la société Ycenna factory de sa demande d'indemnité procédurale formée à l'encontre de la société Ma femme préfère le bleu.

Par requête du 10 novembre 2022, la société [I] consulting a déféré l'ordonnance à la cour d'appel.

Par arrêt du 21 mars 2023, la chambre sociale de la cour d'appel de Chambéry a :

- Confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance en date du 27 octobre 2022 rendue par la conseillère de la mise en état de la 1ère chambre civile de la cour d'appel ;

- Condamné la société [I] consulting aux dépens de la procédure de déféré ;

- Condamné la société [I] consulting à payer à la société Ycenna factory une somme de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 3 septembre 2024, la 1e section de la chambre civile de la cour d'appel a :

Avant-dire droit,

- Ordonné une mesure d'enquête consistant à obtenir la date de naissance de M. [S] [B], cogérant du cabinet Poncet, et auprès du parquet général un acte de naissance de ce dernier,

- Révoquant l'ordonnance de clôture, ordonné le renvoi de l'affaire à l'audience de mise en état du 3 octobre 2024, pour permettre aux parties de conclure sur le résultat de la mesure d'enquête.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 18 décembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Ycenna factory sollicite l'infirmation des seuls chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :

- Déclarer recevables et bien fondées ses demandes ;

- Annuler le jugement du tribunal de commerce d'Annecy compte tenu du défaut d'impartialité du président de ladite juridiction ;

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce d'Annecy en ce qu'il l'a condamnée au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce d'Annecy en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes ;

- Constater l'incompétence du tribunal de commerce d'Annecy en ce qu'il a réfuté les accusations liées à la création artistique ;

- En conséquence, infirmer le jugement du tribunal de commerce d'Annecy en ce qu'il a dit et jugé que son prototype ne procède d'aucun savoir-faire particulier ;

- Déclarer que les agissements des sociétés [I] consulting et Ma femme préfère le bleu constituent des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ;

- En conséquence, condamner la société [I] consulting à lui payer la somme de 7.700 euros au titre des préjudices subis du fait des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ;

- Condamner la société Ma femme préfère le bleu à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des préjudices subis du fait des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ;

- Débouter les sociétés [I] consulting et Ma femme préfère le bleu de toutes demandes, fins et conclusions contraires ou divergentes aux présentes écritures ;

- Condamner la société [I] consulting à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Ma femme préfère le bleu à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner solidairement les sociétés [I] consulting et Ma femme préfère le bleu aux entiers dépens.

Par dernières écritures du 26 mai 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société [I] consulting sollicite de la cour de :

- Statuer ce que de droit au vu du résultat de la mesure d'instruction ordonnée par arrêt avant dire droit du 3 septembre 2024 ;

- Recevoir les présentes conclusions de la société [I] consulting et les dire bien fondées ;

- Rappeler qu'au cas d'annulation du jugement, la cour n'est saisie à raison d'un effet dévolutif total que si elle a été saisie par l'appelante d'un appel tendant à l'annulation du jugement ;

En conséquence,

- Renvoyer la société Ycenna factory à saisir le juge de première instance de ses demandes ;

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour estimerait devoir relever d'office la cause d'annulation du jugement sans égard au périmètre de la déclaration d'appel fixant l'effet dévolutif ;

- L'autoriser à faire valoir son droit d'accès au juge d'appel au cas d'annulation du jugement relevée d'office et l'inviter à faire part de ses observations par application de l'article 16 du code de procédure civile ;

En conséquence,

- Rouvrir les débats et l'enjoindre de conclure au fond et produire ses pièces à raison de l'effet dévolutif total attaché à une annulation du jugement entrepris ;

En l'absence de réouverture des débats suite à l'annulation du jugement,

- Déclarer irrecevables les conclusions de la société Ycenna factory du 18 décembre 2024 en ce qu'elles sollicitent à la fois l'annulation et l'infirmation du jugement par application de l'article 542 code de procédure civile ;

- Constater que ni le « prototype » de lampe, ni le modèle argué de concurrence déloyale conçu par la société Ma femme préfère le bleu, ne sont versés au débat par la société Ycenna factory au soutien de ses griefs ;

- Dire et juger que le prototype de lampe invoqué est un concept non protégeable et ne procède surtout d'aucun savoir-faire propre à la société Ycenna factory ;

- Débouter la société Ycenna factory de ses demandes pour concurrence déloyale et parasitisme formées pour la première fois à son encontre ;

- Débouter la société Ycenna factory de toutes ses demandes

- Condamner la société Ycenna factory à lui verser la somme de 10.000 euros pour procédure abusive et dénigrement ;

- Condamner la société Ycenna factory à lui payer une indemnité de 20.000 euros pour ses frais de procès d'instance et d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Ycenna factory aux entiers dépens, avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Bollonjeon, avocat.

Par dernières écritures du 7 février 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Ma femme préfère le bleu sollicite de la cour de :

- Dire que seul l'acte d'appel opère dévolution des chefs critiqués du jugement et qu'en toute hypothèse l'impartialité du tribunal ne constitue pas un motif d'infirmation mais de nullité du jugement ;

- Juger irrecevable la demande d'infirmation du jugement du chef d'une prétendue impartialité du tribunal de commerce d'Annecy ;

- Subsidiairement, juger non fondée cette demande d'infirmation du jugement du chef d'une prétendue impartialité du tribunal de commerce d'Annecy ;

En tout état de cause,

- Confirmer le jugement rendu le 21 septembre 2021 en toutes ses dispositions et notamment, en ce qu'il a débouté la société Ycenna factory de ses demandes pour concurrence déloyale, en ce qu'il a dit que le « prototype » de lampe PLV La brasserie du [Localité 6] Blanc exécuté par la société Ycenna factory ne procédait d'aucun savoir-faire particulier ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Ycenna factory à lui payer une indemnité de 2.500 euros pour abus de procédure ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Ycenna factory à lui payer une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouter la société Ycenna factory de toutes ses demandes ;

Y ajoutant,

- Condamner la société Ycenna factory à lui payer une indemnité de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile exposés en cause d'appel ;

- Condamner la société Ycenna factory aux entiers dépens d'instance et d'appel dont distraction au profit de la selarl cabinet d'avocats Weber.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 16 juin 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été retenue à l'audience du 7 octobre 2025.

Motifs et décision

I - Sur l'annulation du jugement déféré

A - Sur l'effet dévolutif de l'appel interjeté par la société Ycenna factory

Après réouverture des débats, la société [I] consulting a conclu au fond en faisant valoir la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle une cour d'appel tenue de respecter le principe de la contradiction, peut ayant rouvert les débats aux fins d'obtenir des observations des parties sur un point précis, statuer au vu de celles déposées sur ce point par l'intimé bien que les conclusions de ce dernier aient été déclarées irrecevables en application de l'article 909 du code de procédure civile.(Civ 2e 16 mai 2019 n°18-10.825).

Il en résulte que la société [I] consulting, ne peut faire d'observations que sur la question de l'impartialité du tribunal et de l'annulation du jugement découlant de la violation de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de sorte que ses écritures ne seront prises en compte que sur ces seuls points.

La société [I] consulting soutient que l'appel formé par la société Ycenna factory est un appel tendant à l'infirmation du jugement et qu'ainsi cette dernière ne peut solliciter l'annulation du jugement comme elle le fait aux termes de ses dernières écritures.

L'article 901, du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, applicable en l'espèce, énonce :

« La déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 58, et à peine de nullité ;

1° La constitution de l'avocat de l'appelant ;

2° L'indication de la décision attaquée ;

3° L'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;

4° Les chefs du jugement expressément critiqués auquel l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Elle est signée par l'avocat constitué. Elle est accompagnée d'une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d'inscription au rôle. »

L'article 542 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017 précité, énonce ce qu'est la finalité de l'appel en ces termes :

« L'appel tend par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel. »

L'article 562 du même code, également dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017, apporte des précisions sur l'effet dévolutif de l'appel :

« L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. »

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu'il n'est exigé, ni des articles 562 et 901 du code de procédure civile, dans leur rédaction précitée, ni d'aucune autre disposition, que la déclaration d'appel qui énonce des chefs de jugement expressément critiqués, mentionne qu'il en est demandé l'infirmation.

2ème Civ, 25 mai 2023, pourvoi n° 21-15.842, publié :

« En application de l'article 901, 4°, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la déclaration d'appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à la nullité du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
En application de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du même décret, seul l'acte d'appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.
Aucun de ces textes ni aucune autre disposition n'exige que la déclaration d'appel mentionne, s'agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu'il en est demandé l'infirmation.
Ayant constaté que l'appelant avait énuméré dans sa déclaration d'appel les chefs de jugement critiqués, c'est ans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait.
Le moyen n'est dès lors pas fondé. »

La déclaration d'appel indiquait qu'il était fait appel du jugement du tribunal judiciaire d'Aix en Provence puis énumérait les chefs de dispositifs critiqués. De ce fait la cour d'appel ne pouvait en déduire l'absence d'effet dévolutif au seul motif que cet acte ne précisait pas si l'appel tendait à la réformation ou à l'annulation du jugement.

La première chambre civile avait retenu antérieurement une solution similaire (1ère Civ, 23 novembre 2022, pourvoi n°21-13.031.

Voir également 2ème Civ, 11 septembre 2025 n°23-14.781 :

« Vu les articles 901,4° et 562 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n°2017-891 du 6 mai 2017,

En application du premier de ces textes, la déclaration d'appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs de jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à la nullité du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

En application du second, seul l'acte d'appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.

Aucun de ces textes ni aucune autre disposition n'exige que la déclaration d'appel mentionne, s'agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu'il en est demandé l'infirmation. »

Par ailleurs, lorsque la déclaration d'appel vise l'ensemble des chefs de dispositif du jugement, l'appelant a la faculté de solliciter dans ses conclusions, soit la réformation, soit l'annulation de cette décision :

2e Civ., 14 septembre 2023, pourvoi n° 20-18.169 :

« En premier lieu, il résulte des articles 562 et 901, 4° du code de procédure civile que la déclaration d'appel défère à la cour d'appel la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
En second lieu, il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que l'appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation du jugement.
Il en résulte que la déclaration d'appel qui mentionne les chefs de dispositif du jugement critiqués délimite l'étendue de l'effet dévolutif de l'appel quand les conclusions, par l'énoncé dans leur dispositif, de la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement déterminent, quant à elles, la finalité de l'appel, qui tend à l'annulation ou à la réformation du jugement, dans les limites de la dévolution opérée par la déclaration d'appel.Il en découle que lorsque la déclaration d'appel vise l'ensemble des chefs de dispositif du jugement, l'appelant a la faculté de solliciter dans ses conclusions, soit la réformation, soit
l'annulation de cette décision.

Ayant relevé qu'elle était saisie par voie de conclusions d'une demande d'annulation de l'ordonnance d'un juge-commissaire et que la déclaration d'appel visait l'ensemble des chefs de dispositif de l'ordonnance critiquée, c'est sans excéder ses pouvoirs que la cour d'appel a statué sur la demande d'annulation de l'ordonnance figurant dans les conclusions de l'appelant. »

En l'espèce, la déclaration d'appel de la société Ycenna factory est ainsi rédigée :

« Objet/Portée de l'appel : La société Ycenna factory interjette appel des chefs du jugement suivants :

- de ce que le tribunal de commerce a réfuté les accusations de copie servile, et ce alors qu'il n'est pas compétent en la matière ;

- de ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir dire et juger que les pourparlers ont été rompus de manière abusive ; -

- de ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner la société [I] consulting et à la société Ma femme préfère le bleu au paiement de dommages et intérêts compte tenu des agissements parasitaires et de concurrence déloyale

- de ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner la société [I] consulting et à la société Ma femme préfère le bleu au paiement de dommages et intérêts compte tenu des préjudices subis ;

- de ce qu'il dit que le prototype de la société Ycenna factory ne procède d'aucun savoir-faire particulier ;

- de ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes ;

- de ce qu'il l'a condamnée à verser à la société [I] consulting et à la société Ma femme préfère le bleu la somme de 2 500 euros chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- de ce qu'il l'a condamnée à verser à la société [I] consulting et à la société Ma femme préfère le bleu la somme de 2000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de ce qu'il l'a condamné aux entiers dépens ;

- de ce qu'il a ordonné l'exécution provisoire ; »

La déclaration d'appel visant l'ensemble des chefs de dispositif du jugement déféré, la cour est saisie de l'entier litige de sorte que la société Ycenna est parfaitement recevable à solliciter l'annulation du jugement et il ne peut lui être reproché d'avoir formé cette demande dans ses dernières conclusions, lesquelles résultent des faits révélés par la mesure d'enquête ordonnée, avant-dire droit, par la cour, aux termes de son arrêt du 3 septembre 2024.

B - Sur la violation de l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950

L'article 6 §1 de la convention dispose que :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (v. notamment CEDH, 15 octobre 2009, [N] c/ Malte, n°17056/06, §93, 96, 101), l'impartialité doit s'apprécier selon une double démarche :

- l'une, subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, afin de déterminer s'il a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel, étant précisé que l'impartialité personnelle d'un magistrat ou celle d'un tribunal se présume jusqu'à la preuve contraire ;

- l'autre, objective, amène à s'assurer que le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité. Cette dernière démarche conduit à se demander, lorsqu'une juridiction collégiale est en cause, si, indépendamment de l'attitude personnelle de tel de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause l'impartialité de celle-ci. En la matière, l'élément déterminant étant de savoir si les appréhensions des parties peuvent passer pour objectivement justifiées (CEDH, 21 décembre 2000,Wettstein c/ Suisse, n°33958/96, § 44 ; - 22 juin 2004,, [W] [L] c/ Finlande, n°47221/99, § 34).

La décision avant-dire droit de la présente chambre, portant sur une mesure d'enquête, a fait suite à l'argumentation de la société Ycenna factory qui a fait valoir l'absence d'impartialité du tribunal de commerce ayant prononcé la décision déférée, au motif de la composition de ce dernier, en exposant qu'il était présidé par M. [E] [B], alors que la société Ma femme préfère le bleu, antérieurement à la procédure, avait eu recours au cabinet Poncet, spécialisé en propriété industrielle et intellectuelle, en la personne de M. [S] [B], cogérant, lequel avait adressé le 8 octobre 2020 une lettre de mise en garde au conseil de la société Ycenna factory et dont le tribunal de commerce, dans son jugement, a fait état en ces termes :

« A plusieurs reprises, Ycenna Factory s'est vue répondre par l'un ou l'autre de ses contradicteurs qu'aucun fondement juridique ne justifiait une suite judiciaire. Le conseil de Ma femme Préfère le Bleu a même pris attache avec un cabinet spécialiste en propriété industrielle et intellectuelle (Cabinet Poncet à [Localité 4]) qui a prévenu par écrit le conseil de la demanderesse que si sa cliente persistait dans réclamation et s'avisait à saisir un juge, il « n'aurait d'autre choix que de faire sanctionner Ycenna Factory au titre d'un abus de procédure. »

La présente chambre a donc ordonné une mesure d'enquête consistant à obtenir la date de naissance de M. [S] [B] cogérant du cabinet Poncet (figurant sur l'extrait Kbis de la société Poncet) puis, auprès du parquet général, un acte de naissance de ce dernier.

Il résulte de la copie intégrale de cet acte de naissance, qui a été communiquée aux parties, que M. [S], [A], [K], [E] [B], né le 7 juin 1981 à Bourgoin Jallieu (38) est le fils de M. [E], [A] [V], [D], [X] [B], lequel a présidé la composition du tribunal de commerce qui a eu à connaître de cette affaire et a signé le jugement.

Le lien d'affaires existant entre le fils du magistrat consulaire qui a jugé cette affaire, et l'une des parties concernant précisément ce litige ne peut que conduire à considérer que le tribunal n'offrait pas, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité.

Le jugement sera donc annulé, étant précisé qu'en cas d'annulation, hormis le cas où l'annulation du jugement déféré découle de l'annulation de l'acte introductif d'instance, la cour est tenue de statuer sur l'affaire elle-même par l'effet dévolutif prévu par les articles 562 et 561 du code de procédure civile, étant précisé également qu'après réouverture des débats, les parties ont conclu au fond, qu'il n'y a donc pas lieu de rouvrir les débats pour leurs conclusions, et que les conclusions au fond de la société [I] consulting doivent être écartées.

II - Sur les causes de la rupture de la relation contractuelle entre la société [I] consulting et la société Ycenna factory

Les parties sont en désaccord sur les causes de la rupture de leur relation contractuelle, la société Ycenna faisant valoir que celle-ci est intervenue pour des questions budgétaires, la société [I] consulting ayant soutenu quant à elle en première instance que la société Ycenna avait refusé de procéder aux modifications que la Brasserie du [Localité 6] Blanc avait souhaité sur l'échantillon de lampe qui lui a été présenté.

Il résulte des pièces produites les éléments de fait suivants :

- Aux termes d'un courriel du 19 février 2018 Mme [I] [Z] dirigeante de la société [I] consulting avisait Mme [C] [Y] gérante d'Ycenna de ce qu'elle avait reçu les logos de la Brasserie du [Localité 6] Blanc « et même des explications de la responsable marketing » et lui transmettait les fichiers du logo de la société Brasserie du [Localité 6] Blanc

- Par courriel du 21 février Mme [Y] indiquait, après avoir « vu avec son fournisseur de base pour faire un bon prix, » que le prix de la lampe finie serait pour 200 pièces de 33 euros HT et pour 300 pièces de 28 euros HT. Elle proposait à Mme [Z] de réaliser un échantillon du plexiglass pour le lendemain ce que cette dernière approuvait. (pièce 14 Ycenna et pièce II n°14 MFPLB).

La société Ycenna a émis une facture en date du 5 juin 2018 n° [Numéro identifiant 5] à l'attention de [I] Consulting comprenant notamment la commande de la Brasserie du [Localité 6] Blanc d'un montant HT de 45 euros se décomposant ainsi :

- 1 socle en bois naturel, de dimension 13,5 x 4,7 avec gravure personnalisée d'un montant HT de 30 euros,

- Plexiglass 8 mm constitué du logo de la brasserie du [Localité 6] Blanc d'un montant de 15 euros HT. .

Il n'est pas contesté que la facture a été réglée.

Il est produit une attestation de Mme [J] en charge du marketing au sein de la Brasserie du [Localité 6] Blanc, laquelle indique :

« La Brasserie du [Localité 6] Blanc est en relation d'affaires avec la société [I] consulting depuis mi 2017.

Avec l'assistance de Brigite consulting nous avons mené un projet de lampe PLV destinée à équiper l'intérieur des cafés ou des brasseries distribuant les bières de la société Brasserie distillerie du [Localité 6] Blanc.

En juin 2018, [I] consulting nous a remis par colis postal un modèle de lampe constitué d'un socle bois de dimension 13,5 cm x 4,7 cm surmonté d'une gravure en plexiglass représentant notre marque et son emblème.

Après discussion en interne, nous sommes revenus vers [I] consulting en sollicitant des modifications de structure :

- d'abord en allongeant le socle en bois de façon importante de manière à accroître les moyens d'éclairage, afin d'assurer une meilleure diffusion du rayonnement de la lumière sur l'ensemble de la gravure de notre marque dès lors que celle-ci est appelée à être installée sur des lieux de vente souvent sombres ;

- Ensuite la possibilité d'assurer à l'objet une certaine modularité en prévoyant la possibilité non plus simplement de poser la lampe sur une table mais de la fixer au mur à la façon d'une applique afin de lui offrir une meilleure visibilité et éviter son maniement répété par la clientèle.

[I] consulting a pris note de ces demandes et a promis de nous adresser un exemplaire modifié, ce qui a été fait au mois de mai 2019. » (pièce II n°4 MFPLB)

Il est par ailleurs produit une attestation de Mme [R] qui exerce la profession de designer graphiste indépendante, laquelle indique :

« J'ai connu Mme [Z] et sa société [I] consulting à l'occasion de projets menés pour des clients communs. Je n'ai aucun lien de parenté ou de subordination avec Mme [Z] et sa société.

J'ai personnellement accompagné Mme [I] [Z], lors de son rendez-vous le 5 décembre 2018 dans les locaux de la société Ycenna factory.

L'objectif premier de ce rendez-vous consistait pour Mme [Z] à lui rendre compte de la réaction de la Brasserie distillerie du [Localité 6] Blanc au sujet du prototype de lampe PLV qui lui avait été remis par Ycenna Factory et de discuter des améliorations qu'il convenait de lui apporter pour satisfaire les demandes de la cliente finale, la Brasserie distillerie du [Localité 6] Blanc.

De mon côté, j'étais intéressée à visiter la société Ycenna factory car j'avais un projet à base d'une feuille de pierre à graver et/ou découper et j'étais curieuse de voir l'atelier d'[8] factory qui était susceptible de m'aider sur les aspects techniques de ce projet. A cet égard, Ycenna factory m'a gravé et découpé les feuilles de pierre illustrées en annexe I pour un test qui s'est avéré, hélas, infructueux.

Je me souviens que la conversation entre Mme [Z] et Mme [Y] a rapidement tourné court car Ycenna factory lui a clairement fait savoir qu'elle ne pouvait pas fournir d'autres socles que les deux modèles de son fournisseur habituel et qu'il était également inenvisageable de permettre la fixation d'une équerre sur la lampe pour en faire une applique et lui rendre ainsi son usage modulable. » (pièce II n°5 MFPLB).

Les extraits du site internet de la société Ycena factory produits par la société Ma femme préfère le bleu, ainsi que les photographies insérées dans les conclusions d'Ycenna factory confirment cette attestation, dans la mesure où les photographies montrent que toutes les lampes créées par cette société ont le même socle en bois ovale ou rond et sont de la taille du socle de l'échantillon de la lampe destinée à la Brasserie du [Localité 6] Blanc (pièce II n° 1 MFPLB).

Pour contester cette attestation circonstanciée, qu'elle qualifie de mensongère, la société Ycenna factory, qui soutient que la relation contractuelle a pris fin pour des raisons budgétaires, produit un échange de courriels intervenu les 19 et 20 décembre 2018 entre elle et la société [I] consulting.

Aux termes de son courriel, la société [I] consulting indiquait être interrogée par sa cliente la Brasserie du [Localité 6] Blanc sur l'existence d'une plus-value « pour la taille que vous m 'avez fait sur la lampe ».

La réponse d'Ycenna factory a été la suivante: « Oui, je vous confirme qu'il y a bien une incidence puisque la surface de matière utilisée et le temps de gravure sont plus importants, cela représente 35 % de + ».

Contrairement à ce qu'indique la société Ycenna factory, il n'est pas évoqué une plus-value pour les modifications demandées par la Brasserie du [Localité 6] Blanc mais une plus-value pour la taille de l'échantillon présenté.

A cet égard, il sera constaté que Ycenna factory a facturé à Brigittte consulting son échantillon de lampe pour une somme de 45 euros HT et que la prise en compte d'une plus value de 35 % sur le prix envisagé de 33 euros HT pour chaque lampe en février 2018 donne un prix de 44,55 euros HT.

Il sera par ailleurs constaté qu'aucun cahier des charges, ni échange écrit, n'est produit sur la taille de la lampe à créer, sur son design, son aspect quant au socle, et que par ailleurs, la société Ycenna factory n'a manifestement émis aucun devis en bonne et due forme pour le travail prévu.

Or, suivant lettre recommandée avec AR en date du 23 juillet 2019, faisant suite à une conversation téléphonique avec la gérante de [I] consulting du 22 juillet, Mme [Y] de la société Ycenna indiquait :

« Nous constatons que vous avez fait réaliser par une entreprise concurrente notre concept de lampe ainsi que notre composition graphique. Nous vous rappelons que nous possédons tous nos échanges dans lesquels vous nous demandiez : idées, conception, conseil, devis, prototypes et modifications, et pour lesquels vous n'avez pas donné suite prétextant une réflexion sur le projet de la part du client final. » Elle demandait à [I] consulting de lui verser l'équivalent du chiffre d'affaires qu'elle aurait dû réaliser.(Pièce I, 3 MFPLB)

Force est de constater que ces échanges, qui auraient pu éclairer la cour sur l'avancée des pourparlers et leur teneur, ne sont pas produits par les parties.

Au vu de ces éléments, il sera retenu que la rupture des relations contractuelles entre la société [I] consulting et la société Ycenna factory est imputable à cette dernière de sorte que ses demandes indemnitaires dirigées contre la première ne peuvent qu'être rejetées, étant précisé au surplus que devant la cour, elle fonde désormais sa demande indemnitaire dirigée contre la société [I] consulting sur la concurrence déloyale.

III -Sur la concurrence déloyale et le parasitisme

A ' Sur la concurrence déloyale

Fondée sur les articles 1240 et 1241 du code civil, l'action en concurrence déloyale se trouve soumise aux conditions classiques de la responsabilité civile délictuelle, soit une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux.

Les professeurs [G] et [O] définissent l'acte de concurrence déloyale « comme tout comportement qui s'écarte de la conduite normale du professionnel avisé et qui, faussant l'équilibre dans les relations concurrentielles, rompt l'égalité des chances qui doit exister entre les concurrents dans un système d'économie libre ». (extrait Jurisclasseur Concurrence consommation - fascicule 240).

S'agissant de la faute, les tribunaux sanctionnent la simple imprudence ou négligence et notamment le simple fait de n'avoir pas pris les précautions nécessaires pour éviter un risque de confusion avec des produits concurrents.

S'agissant du préjudice la jurisprudence retient « qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale » (Cass.com. 3 mars 2021 n°1824373 ' Cass.com. 12 mai 2021, n°1922707 ' Cass.com, 16 mars 2022, n°2014916).

Cependant, l'octroi de dommages intérêts suppose, que par delà son existence, le préjudice soit établi dans son étendue, compte tenu de la fonction strictement réparatrice des dommages-intérêts.

Selon la jurisprudence, l'action en concurrence déloyale a pour objet d'assurer la protection de celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif., mais la Cour de cassation précise qu'en l'absence de tout droit privatif le seul fait de commercialiser des produits identiques à ceux distribués par un concurrent n'est pas fautif.

Il en résulte que l'action en concurrence déloyale ne peut prospérer que si le demandeur rapporte la preuve d'une faute dommageable.

Ainsi « constitue un acte de concurrence déloyale la copie servile d'un produit commercialisé par une entreprise susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle » (Cass.1re civ. 9 avril 2015 n°14 11853)

S'agissant du risque de confusion invoqué par la société Ycenna factory, la reconnaissance de ce risque suppose en premier lieu que les parties se trouvent en situation de concurrence c'est à dire qu'elles exploitent toutes deux le signe ou le produit ou le service considéré sur un même marché.

Elle suppose en second lieu que le demandeur rapporte la preuve d'une priorité d'usage, c'est à dire qu'il prouve qu'il a exploité la création dans le commerce avant le défendeur. C'est à cette seule condition que l'on pourra reprocher à ce dernier d'avoir méconnu l'obligation qu'il avait de différencier sa production.

En revanche, le demandeur n'a pas à démontrer qu'il est l'auteur de la création ou qu'il l'a fabriquée en premier : cette preuve concerne en effet celui qui invoquerait un droit privatif à son profit, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

L'échantillon produit par la société Ycenna factory n'a pas été agréé par le client final, la Brasserie du [Localité 6] Blanc, qui a demandé que soient effectuées des modifications que la société Ycenna n'a pas réalisées, ce qui a contraint la société [I] consulting à chercher un autre fournisseur, capable de satisfaire aux demandes précises du client final.

La lampe PLV de la société Ycenna n'a donc jamais été commercialisée ce qui n'a, d'ailleurs, pas empêché cette société d'afficher la photographie de celle-ci sur son site internet alors que ce n'est pas ce modèle que l'on peut retrouver dans les cafés et brasseries servant de la bière de la marque Brasserie du [Localité 6] Blanc (pièce II n°9 MFPLB). Ce faisant elle a joué sur la ressemblance des produits, qu'elle critique pourtant, pour entretenir une confusion à son profit.

Elle se verra déboutée de son action en concurrence déloyale tant à l'encontre de la société [I] consulting que de la société Ma femme préfère le bleu.

B - Sur le parasitisme

Par deux arrêts importants du 26 juin 2024, publiés au Bulletin et au Rapport annuel,la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue apporter des précisions sur cette notion, en réaffirmant l'existence d'une faute civile de parasitisme et en en délimitant les contours de façon plus restrictive.

Com. 26 juin 2024 n° 23-13.535 rejet du pourvoi dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 20 janvier 2023 qui a rejeté une demande de dommages intérêts pour actes de parasitisme :

« Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542 ; Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 16-23.694, Bull. 2018, IV, n° 87 ; Com., 27 juin 1995, pourvoi n° 93-18.601, Bulletin 1995, IV n°193).

Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque (Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535 ; Com., 20 septembre 2016, pourvoi n° 14-25.131, Bull. 2016, IV, n° 116), ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage (Com., 3 juillet 2001, pourvoi n° 98-23.236, 99-10.406, Bull. 2001, IV, n° 132).

Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit (Com., 5 juillet 2016, pourvoi n° 14-10.108, Bull. 2016, IV, n° 101) et, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme (1re Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 14-20.310, Bull. 2017, I, n° 152).

Après avoir relevé que le tableau sur toile dénommé « Pub 50's », commercialisé par la société Maisons du monde, était composé de différents clichés, disponibles en droit libre sur internet, qui ont été acquis, reproduits et agencés sur la toile, et considéré que les décors des tasses et bols commercialisés par les sociétés Auchan n'étaient pas des copies serviles de ces clichés, l'arrêt relève, d'abord, que la toile « Pub 50's » a été commercialisée sur une période limitée, qu'elle n'a jamais été mise en avant comme étant emblématique de la collection « vintage », genre alors en vogue, et que la société Maisons du monde n'était pas la seule à exploiter, et qu'elle n'était pas même caractéristique de l'univers des produits de cette société, qui développait simultanément d'autres collections « folk », « Bovary » et « rétro ». Elle retient, ensuite, qu'il ressort de l'attestation de la styliste de la société Maisons du monde que celle-ci a conçu seule un décor constitué « d'images cultes » évocatrices du style de vie américain des années cinquante, disponibles sur internet, et que la société Maisons du monde n'avait aucun droit de propriété intellectuelle sur les éléments de ces décors, que le décor du tableau y figurant n'a pas ensuite été décliné sur d'autres produits et qu'il constituait une combinaison banale d'images préexistantes qui n'avait jamais été mise en avant comme emblématique de l'univers de sa marque.

En l'état de ces seules constatations et appréciations souveraines, desquelles il ressort qu'en créant et commercialisant la toile « Pub 50's », la société Maisons du monde n'a pas produit une valeur économique identifiée et individualisée, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise visée à la deuxième branche, a, par une motivation suffisante, exactement retenu qu'aucun acte de parasitisme n'avait été commis. »

Com. 26 juin 2024 n° 22-17.647, 22-21.497 : rejet du pourvoi dirigée contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 janvier 2022 intervenu entre les sociétés Decathlon d'une part, Intersport et Phoenix, d'autre part, qui a reconnu des faits de parasitisme :

Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque, ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage.
Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit et, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en 'uvre par un concurrent ne constitue pas,en soit un acte de parasitisme.

Doit être approuvée la cour d'appel ayant retenu le grief de parasitisme après avoir retenu, d'une part qu'était démontrée la valeur économique identifiée et individualisée du produit invoqué comme ayant été parasité, caractérisée par sa grande notoriété, la réalité du travail de conception et de développement, le caractère innovant de la démarche conduite, ainsi que les investissements publicitaires, d'autre part la commercialisation d'un produit identique d'un point de vue fonctionnel et fortement inspiré de l'apparence du produit invoqué, par un concurrent ne justifiant d'aucun travail de mise au point ni de coût exposés relatifs à son produit, dès lors que cette commercialisation est intervenue à une période au cours de laquelle la société demanderesse investissait encore pour la promotion de son produit, devenu phare et connu d'une large partie du grand public grâce aux lourds investissements publicitaires consentis depuis plusieurs années, quand il n'était pas établi ni même allégué que des articles équivalents auraient existé sur le marché au moment de son lancement, l'ensemble de ces éléments démontrant la volonté de la société concurrente de se placer dans le sillage d'autrui pour bénéficier du succès rencontré auprès de la clientèle par le produit et, sans aucune contrepartie ni prise de risque, d'un avantage concurrentiel.

Voir également Com., 5 mars 2025, pourvoi n° 23-21.157 publié au bulletin.

Le parasitisme apparaît désormais comme étant une faute civile spécifique, constituée au regard d'une valeur économique identifiée et individualisée qu'un tiers va volontairement capter en profitant, en dehors des règles normales de la concurrence des efforts d'un premier opérateur économique.

Pour MM [G] et [O] :

« la notion de parasitisme envisagée ici s'entend d'une forme de concurrence déloyale qui se caractérise par le fait pour un professionnel, de se placer dans le sillage d'un concurrent et de tirer profit, sans contrepartie, du fruit de ses investissements et de son travail ou de sa renommée ' sans porter atteinte à un droit privatif-, en réalisant ainsi des économies considérées comme injustifiées ». (Jurisclasseur Concurrence consommation, Fasc 240)

Il s'agit souvent de la copie d'un produit en ce qu'elle permet à l'auteur de cette copie de se placer dans le sillage d'un autre en profitant indûment soit de la notoriété acquise par celui-ci, soit des investissements consentis, voire des deux.

Il a ainsi été jugé que le parasitisme résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion (Com., 20 mai 2014, n°13-16.943).

De cette jurisprudence , trois conditions cumulatives se dégagent :

- Le moyen utilisé par l'auteur du parasitisme : il se place dans le sillage de la victime.

- La valeur à laquelle il est porté atteinte : celle-ci se décline sous différentes formes : efforts, savoir-faire, notoriété, renommée, investissements, avantage concurrentiel, travail intellectuel.

- La conséquence : l'auteur du parasitisme tire profit de cette valeur.

La faute constitutive d'acte de parasitisme est caractérisée lorsque sont réunies plusieurs conditions cumulatives, le demandeur devant au préalable, établir une valeur économique identifiée et individualisée puis prouver la volonté de se placer dans le sillage d'autrui et enfin la preuve du parasitisme découle d'une appréciation globale.

S'agissant de la valeur économique à retenir pour caractériser des actes de parasitisme, qui constitue une condition préalable à la démonstration de la faute commise par le parasite, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle régulièrement la nécessité de la part du parasité de faire état d'investissements ou d'efforts particuliers.

En l'espèce, la société Ycenna factory affirme qu'elle a été chargée de réaliser un travail de transformation du fichier contenant le logo de la Brasserie du [Localité 6] Blanc en un fichier vectoriel utilisable sur une machine de découpe laser, processus ayant nécessité un travail d'adaptation précis de mise en forme de l'idée en fonction des contraintes spécifiques.

Contrairement à ses affirmations la société Ycenna factory n'a pas réalisé ce travail de transformation ainsi qu'il résulte de l'échange de courriels précité intervenu en février 2018 avec la société [I] consulting.

S'agissant du socle de la lampe qui contient les ampoules led, elle s'est adressée à son fournisseur habituel.

S'agissant de la découpe laser du plexiglas sur lequel figure le logo de la Brasserie et qui s'insère dans le socle, il était joint au courriel du 19 février 2018, différents fichiers dont le fichier « LOGO BRASSERIE [Localité 6] BLANC + DIEU au trait NEW.ai» dont il est justifié qu'il a été créé le 8 juin 2017 et qu'il s'agit du fichier vectoriel natif du logo, propriété d'Adobe illustrator (utilisé pour le graphisme professionnel permettant l'agrandissement sans perte de qualité et permettant de réaliser ensuite la découpe laser du logo).

Il n'y a donc eu aucun travail de transformation, à telle enseigne qu'à réception des fichiers, la société Ycenna factory a proposé de soumettre dès le lendemain l'échantillon plexiglas du logo à la société [I] consulting. (pièce 14 Ycenna factory).

Ainsi la société Ycenna factory a simplement fabriqué un prototype demandé par [I] consulting dans le cadre d'un contrat de prestations.

Le client final, la Brasserie du [Localité 6] Blanc n'ayant pas retenu son produit tel qu'il a été élaboré et ayant sollicité des modifications que la société Ycenna n'a pas voulu effectuer, il n'existe aucune valeur économique qui aurait été captée à son détriment.

Faute de commercialisation il ne peut être évoqué une quelconque notoriété du produit et il n'est pas justifié par la société Ycenna factory des investissements qu'elle aurait engagés pour la réalisation de cette lampe.

Il n'existe pas de marché perdu, pas de production lancée, pas de perte de clientèle établie faute de commercialisation.

De son côté, la société Ma femme préfère le bleu a pour activité principale déclarée celle de graphiste, conception, réalisation, commercialisation de tout support visuel et de communication.

Ainsi qu'il résulte d'un article du Dauphiné libéré du 9 septembre 2017 la marque de fabrique de cette entreprise est la création d'enseignes, de signalétiques ou d'autres objets de décoration gravés au laser. Elle utilise notamment le bois et le plexiglas et elle possède donc un savoir faire dans ce domaine (pièce I 1 MFPLB)

Elle a été approchée par la société [I] consulting et le 2 avril 2019 cette dernière lui a transmis par courriel les fichiers nécessaires à la découpe laser des signes distinctifs de son client la Brasserie [Localité 6] Blanc.

Deux directives spécifiques du client final lui avaient été précisées concernant la longueur du socle recevant la découpe plexiglas et la possibilité de la fixer au mur à la manière d'une applique.

Elle indique avoir conçu un socle en bois spécialement dédié et la découpe laser qui obéit à de simples opérations d'exécution par une machine dédiée a été réalisée sur la base d'un dessin vectoriel fourni par [I] consulting.

Ainsi qu'elle le fait valoir dans ses écritures, ce type de lampe composé d'une plaque en plexiglas découpée autour d'un logo ou d'une image associée à un socle muni de moyens d'éclairage et présentant la gravure d'un texte se trouve habituellement dans le commerce. Il s'agit d'un classique sur le marché de la PLV.

Elle produit des extraits de site qui montrent l'existence de plusieurs tutoriels accessibles sur You tube permettant de réaliser ce type de PLV datant de janvier 2016, septembre 2016, février 2017, avril 2017.

Ces tutoriels proposent la réalisation de lampes constituées des mêmes caractéristiques soit :

- une image gravée sur plexiglas,

- un socle en bois,

- un éclairage led.

La société Ycenna factory qui exerce une activité de design a été créée en juin 2016 et en novembre 2017, elle annonçait sur son compte facebook, une nouveauté : « des lampes led. Vous pouvez changer la partie plexiglas au gré de vos envies » (piéce II n°7 MFPLB).

Ces tutoriels sont antérieurs à la « création » par Ycenna factory de lampes en plexiglas de sorte que le savoir faire invoqué par cette dernière est public et antérieur, donc de libre disposition.

Enfin la société Ycenna factory échoue à établir que la société Ma femme préfère le bleu se serait placé dans son sillage.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, les demandes indemnitaires de la société Ycenna factory, dirigées tant à l'encontre de la société [I] consulting que de la société Ma femme préfère le bleu, seront intégralement rejetées.

IV - Sur les demandes indemnitaires au titre d'une procédure abusive

L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol., lesquelles ne sont pas établies en l'espèce.

La demande indemnitaire de la société Ma femme préfère le bleu sera donc rejetée.

V - Sur les mesures accessoires

La société Ycenna factory qui succombe en ses prétentions est tenue aux dépens exposés en première instance et devant la cour.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Ma femme préfère le bleu.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant pubiquement et contradictoirement,

Annule le jugement déféré,

Déboute la société Ycenna factory de l'intégralité de ses demandes,

Condamne la société Ycenna factory aux dépens de première instance et d'appel avec distraction de ceux d'appel au profit de Me Weber avocat au barreau d'Annecy,

Condamne la société Ycenna factory à payer à la société Ma femme préfère le bleu la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

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