CA Rennes, 3e ch. com., 18 novembre 2025, n° 24/06824
RENNES
Arrêt
Autre
3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°340
N° RG 24/06824 - N° Portalis DBVL-V-B7I-VPOX
(Réf 1ère instance : 2023004109)
M. [U] [L]
C/
Société [9]
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me PRENEUX
Me CHAUDET
Copie certifiée conforme délivrée
le :
à :TC de NANTES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, Rapporteur
Assesseur : Madame Sophie RAMIN, Conseiller,
Assesseur : Mme Constance DESMORAT, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 23 Septembre 2025
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
***
APPELANT :
Monsieur [U] [L]
Dirigeant de société, né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 10] (02)
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Chloé MORIN substituant Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Marie ROBINEAU de la SELARL KACERTIS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
Société [9]
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTES sous le n°403.184.179 , prise en la personne de ses représentants légaux domiciiés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Cyrille LEPINE, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
FAITS ET PROCEDURE :
M. [L] était dirigeant de la société par actions simplifiée [6]. La société [9] (la société [9]) détenait 20% des actions, M. [L] 80%.
Le 13 février 2017, la société [6] a souscrit un emprunt obligataire auprès de la société [9]. Cet emprunt devait être remboursé le 31 décembre 2021, avec possibilité pour la société [9] de convertir ces obligations en actions à tout moment entre le 1er et le 31 décembre 2021 et pendant les trois mois postérieurs à la date de remboursement.
Le même jour, M. [L] a promis à la société [9] de lui acheter ses actions de la société [6], promesse consentie pour valoir entre le 1er décembre et le 15 décembre 2022. La société [9] a pour sa part promis d'acquérir ces actions, promesse consentie pour valoir entre le 16 décembre et le 31 décembre 2021.
Par lettre du 31 décembre 2021, M. [L] a activé la promesse de vente à son bénéfice des actions détenues par la société [9].
Par lettre 5 janvier 2022, la société [9] a refusé cette cession.
Le 26 avril 2022, M. [L] a fondé la société par actions simplifiée [7]. M. [L] en a été désigné président. Il en détient 85% des actions.
Par protocole d'accord du 21 juin 2022, les sociétés [6] et [9] ont convenu d'un étalement de remboursements de l'emprunt pour un total de 127.968 euros jusqu'au 5 novembre 2027.
La société [6] a été placée en liquidation judiciaire le 31 août 2022.
Le 16 mars 2023, la société [9] a mis en demeure M. [L] de lui payer la somme de 127.968 euros.
Le 20 juillet 2023, la procédure de liquidation judiciaire de la société [6] a été clôturée pour insuffisance d'actif.
Estimant que M. [L] avait commis des fautes détachables de ses fonctions de dirigeant en favorisant la société [7] au détriment de la société [6], la société [9] l'a assigné en paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 2 décembre 2024 le tribunal de commerce de Nantes a :
- Jugé qu'il y a faute détachable de ses fonctions de dirigeant imputable à M. [L],
- Jugé qu'il y a lien de causalité entre la faute du dirigeant et le préjudice subi par la société [9],
- Jugé que le préjudice subi par la société [9] s'établit à 123.441 euros,
- Condamné M. [L] au paiement de 1'entier préjudice de la société [9] soit la somme de 123.441 euros,
- Débouté M. [L] de l'intégralité de ses demandes,
- Condamné M. [L] à payer la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'artic1e 700 du code de procédure civile,
- Jugé que l'exécution provisoire ne se justifie pas dans cette affaire,
- Condamné M. [L] aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés.
M. [L] a interjeté appel le 20 décembre 2024.
Les dernières conclusions de M. [L] sont en date du 17 septembre 2025. Les dernières conclusions de la société [9] sont en date du 17 septembre 2025.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 septembre 2025.
La cour a relevé que :
- La recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société mise en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
- Lorsque la liquidation judiciaire d'une société fait apparaître une insuffisance d'actif, les dispositions des articles L. 651-2 et L. 651-3 du code de commerce, qui ouvrent, aux conditions qu'ils prévoient, une action en responsabilité pour insuffisance d'actif ne se cumulent pas avec celles de l'article L. 225-251 du code de commerce, ni avec celles de l'article 1240 du code civil, sauf allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
Le 26 septembre 2025, les parties ont donc été invitées, pour le 7 octobre 2025 au plus tard, à faire valoir toutes observations utiles sur la recevabilité des demandes formées contre M. [L] au titre des agissements allégués à son encontre en qualité de dirigeant de la société [6] pour la période antérieure à l'ouverture de la procédure collective.
La société [9] a par ailleurs été invitée à produire devant la cour, le 30 septembre 2025 au plus tard, l'original de sa pièce n°11 communiquée devant la cour, 'Constat d'huissier de Me [R] du 3 mai 2023".
La société [9] a déposé la pièce demandée au greffe et les parties ont fait valoir leurs observations respectives auxquelles il est renvoyé.
PRETENTIONS ET MOYENS :
M. [L] demande à la cour de :
A titre principal :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a :
' Jugé l'existence d'une faute détachable des fonctions de M. [L],
' Jugé l'existence du lien de causalité entre la faute du dirigeant et le préjudice subi par la société [9],
' Jugé que le préjudice subi par la société [9] s'établit à 123.441 euros,
' Condamné M. [L] au paiement de l'entier préjudice de la société [9] pour la somme de 123.441 euros,
' Débouté M. [L] de l'intégralité de ses demandes,
' Condamné M. [L] au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Confirmer la décision en ce qu'elle a écarté l'application de l'exécution provisoire,
- Et, statuant à nouveau de déclarer l'action formée par la société [9] à l'encontre de M. [L] irrecevable, et mal fondée et condamner la société [9] au paiement d'une somme 10.000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens,
A titre reconventionnel :
- Juger que la société [9] a commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard de M. [L],
- Par conséquent, condamner la société [9] à payer la somme de 50.000 euros à M. [L] au titre du préjudice moral qu'il a subi.
La société [9] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement qui a jugé que la faute détachable de ses fonctions de dirigeants est imputable à M. [L],
- Confirmer le jugement de première instance qui a jugé que le lien de causalité est établi entre la faute du dirigeant et le préjudice subi par la société [9],
- Confirmer le jugement qui a jugé que que le préjudice subi par la société [9] s'établit à 123.441euros,
- Confirmer le jugement qui a condamné M. [L] au paiement de l'entier préjudice de la société [9], soit la somme de 123.441euros,
- Confirmer le jugement qui a jugé que M. [L] à payer la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en sollicitant un montant de 15.000 euros, ainsi qu'aux entiers dépens dans le cadre de la présente instance.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
La société [9] fonde expressément ses demandes sur les dispositions de l'article 1240 du code civil tout en faisant valoir que M. [L] aurait commis une faute détachable de ses fonctions de dirigeant, notion qui correspond à une condition de mise en cause de la responsabilité d'un dirigeant sur le fondement des dispositions du code de commerce.
La responsabilité des dirigeants sociaux peut être engagée. Le régime de cette responsabilité ne diffère pas de celui du droit commun, il est nécessaire que soient établis une faute, un préjudice et un lien de causalité.
Le code de commerce prévoit les conditions de la mise en cause de la responsabilité personnelle d'un dirigeant de société par actions simplifiée.
Il résulte ainsi des dispositions des articles L.227-8 et L.225-251 du code de commerce que la responsabilité des dirigeants de société par actions simplifiée est engagée en cas d'infractions aux dispositions législatives, de violation des statuts ou de faute de gestion :
L227-8 du code de commerce :
Les règles fixant la responsabilité des membres du conseil d'administration et du directoire des sociétés anonymes sont applicables au président et aux dirigeants de la société par actions simplifiée.
Article L225-251 du code de commerce :
Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.
La responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions. Il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.
La recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société mise en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
La société [9] fait valoir que son préjudice résulterait du non remboursement de l'emprunt obligataire en date du 13 février 2017 et de la perte pour le futur des rémunérations associées. Cette demande est celle d'un créancier, tiers à la société. Le fait que la société [9] soit par ailleurs associée de la société [6] ne fait pas de sa créance la créance d'un associé pris en cette qualité.
Le préjudice allégué par la société [9] n'est pas distinct de celui des autres créanciers. Son action dirigée contre M. [L] est irrecevable en ce qu'elle vise des agissements de ce dernier en qualité de dirigeant de la société [6] antérieurs au 31 août 2022.
Il apparaît en outre que lorsque la liquidation judiciaire d'une société fait apparaître une insuffisance d'actif, les dispositions des articles L. 651-2 et L. 651-3 du code de commerce, qui ouvrent, aux conditions qu'ils prévoient, une action en responsabilité pour insuffisance d'actif ne se cumulent pas avec celles de l'article L. 225-251 du code de commerce, ni avec celles de l'article 1240 du code civil.
La conséquence en est qu'un créancier est irrecevable à exercer contre le dirigeant à qui il impute des fautes de gestion l'action en réparation du préjudice résultant du non paiement de sa créance.
L'action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant ne demeure possible sur le fondement des dispositions générales que si ce créancier peut exciper d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
La liquidation judiciaire de la société [6] a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 20 juillet 2023. L'insuffisance d'actif est donc caractérisée.
Il résulte du courriel du liquidateur judiciaire produit devant la cour par la société [9] en pièce n°17 que l'action en insuffisance d'actif n'a pas été engagée à l'encontre de M. [L].
Comme il a été vu supra, la société [9] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui des créanciers de la procédure collective.
Sauf à créer un privilège au profit d'un créancier lui permettant de tendre à reconstituer l'actif en dehors de l'action du liquidateur, l'action de la société [9] contre M. [L] au titre de ses agissements en qualité de dirigeant de la société [6] est également irrecevable à ce titre.
La société [9] invoque également des agissements postérieurs à la date d'ouverture de la procédure collective ou ne correspondant pas à des actes de gestion de M. [L] en sa qualité de dirigeant de la société [6]. L'action de la société [9] n'est pas irrecevable en ses demandes en ce qu'elle vise ces agissements.
La société [9] invoque ainsi l'embauche par la société [7] d'anciens salariés de la société [6]. Elle indique ainsi que M. [T], salarié de la société [6], y est resté jusqu'à la fin de l'activité de la société [6] et qu'il a enchaîné une activité au sein de la société [7].
Le fait pour la société [7], et indirectement pour M. [L], d'avoir engagé M. [T] après son licenciement de la société [6] n'est pas fautif. Cet agissement constitue encore moins une faute de M. [L] susceptible d'engager sa responsabilité en qualité de dirigeant de la société [7].
La société [9] fait valoir que M. [K], alors salarié de la société [6], aurait développé en juillet 2022 un projet [8] pour une société [8] concurrente de la société [6].
Ces éléments ne permettent pas d'imputer personnellement à M. [L] ces agissements, à les supposer établis.
Il n'est pas non plus établi que la société [7] ait effectivement débuté une activité avant le placement en liquidation judiciaire de la société [6].
La société [9] fait valoir que M. [K] aurait démarché d'anciens clients de la société [6]. Il ne résulte cependant pas des «'post'» de M. [K] produits par la société [9] en pièce n°11 qu'il ait démarché des clients de la société [6] alors qu'elle était encore en activité. Ainsi, notamment, l'envoi d'un lien à Mmes [H] et [N] figurant en pièce n°11 de la production devant la cour de la société [9] n'est pas spécifiquement daté. A supposer que la mention sur cet envoi internet '4 sem...' fasse référence à son ancienneté à la date du constat de commissaire de justice, cet envoi daterait d'avril 2023. L'envoi de ce lien ne caractérise pas un démarchage. En tout état de cause, un tel démarchage de l'ancienne clientèle d'une société placée en liquidation judiciaire depuis plusieurs mois n'est pas fautive.
Ces agissements allégués de démarchage d'anciens salariés ou de clients ne sont pas établis.
Il apparaît ainsi que les agissements allégués de M. [L] ne sont pas établis. Les demandes recevables de la société [9] formées contre lui seront rejetées.
Sur l'abus d'action en justice :
Il n'est pas justifié que la société [9] ait agi en justice dans un but autre que celui de faire valoir ses droits. La demande de M. [L] de paiement de dommages-intérêts au titre de cet abus sera rejetée.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société [9] aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à M. [L] la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant dans les limites de sa saisine :
- Infirme le jugement,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Déclare l'action de la société [9] dirigée contre M. [L] irrecevable en ce qu'elle vise des agissements de ce dernier en qualité de dirigeant de la société [6] antérieurs au 31 août 2022,
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne la société [9] société à payer à M. [L] la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la société [9] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,
ARRÊT N°340
N° RG 24/06824 - N° Portalis DBVL-V-B7I-VPOX
(Réf 1ère instance : 2023004109)
M. [U] [L]
C/
Société [9]
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me PRENEUX
Me CHAUDET
Copie certifiée conforme délivrée
le :
à :TC de NANTES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, Rapporteur
Assesseur : Madame Sophie RAMIN, Conseiller,
Assesseur : Mme Constance DESMORAT, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 23 Septembre 2025
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
***
APPELANT :
Monsieur [U] [L]
Dirigeant de société, né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 10] (02)
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Chloé MORIN substituant Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Marie ROBINEAU de la SELARL KACERTIS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
Société [9]
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTES sous le n°403.184.179 , prise en la personne de ses représentants légaux domiciiés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Cyrille LEPINE, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
FAITS ET PROCEDURE :
M. [L] était dirigeant de la société par actions simplifiée [6]. La société [9] (la société [9]) détenait 20% des actions, M. [L] 80%.
Le 13 février 2017, la société [6] a souscrit un emprunt obligataire auprès de la société [9]. Cet emprunt devait être remboursé le 31 décembre 2021, avec possibilité pour la société [9] de convertir ces obligations en actions à tout moment entre le 1er et le 31 décembre 2021 et pendant les trois mois postérieurs à la date de remboursement.
Le même jour, M. [L] a promis à la société [9] de lui acheter ses actions de la société [6], promesse consentie pour valoir entre le 1er décembre et le 15 décembre 2022. La société [9] a pour sa part promis d'acquérir ces actions, promesse consentie pour valoir entre le 16 décembre et le 31 décembre 2021.
Par lettre du 31 décembre 2021, M. [L] a activé la promesse de vente à son bénéfice des actions détenues par la société [9].
Par lettre 5 janvier 2022, la société [9] a refusé cette cession.
Le 26 avril 2022, M. [L] a fondé la société par actions simplifiée [7]. M. [L] en a été désigné président. Il en détient 85% des actions.
Par protocole d'accord du 21 juin 2022, les sociétés [6] et [9] ont convenu d'un étalement de remboursements de l'emprunt pour un total de 127.968 euros jusqu'au 5 novembre 2027.
La société [6] a été placée en liquidation judiciaire le 31 août 2022.
Le 16 mars 2023, la société [9] a mis en demeure M. [L] de lui payer la somme de 127.968 euros.
Le 20 juillet 2023, la procédure de liquidation judiciaire de la société [6] a été clôturée pour insuffisance d'actif.
Estimant que M. [L] avait commis des fautes détachables de ses fonctions de dirigeant en favorisant la société [7] au détriment de la société [6], la société [9] l'a assigné en paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 2 décembre 2024 le tribunal de commerce de Nantes a :
- Jugé qu'il y a faute détachable de ses fonctions de dirigeant imputable à M. [L],
- Jugé qu'il y a lien de causalité entre la faute du dirigeant et le préjudice subi par la société [9],
- Jugé que le préjudice subi par la société [9] s'établit à 123.441 euros,
- Condamné M. [L] au paiement de 1'entier préjudice de la société [9] soit la somme de 123.441 euros,
- Débouté M. [L] de l'intégralité de ses demandes,
- Condamné M. [L] à payer la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'artic1e 700 du code de procédure civile,
- Jugé que l'exécution provisoire ne se justifie pas dans cette affaire,
- Condamné M. [L] aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés.
M. [L] a interjeté appel le 20 décembre 2024.
Les dernières conclusions de M. [L] sont en date du 17 septembre 2025. Les dernières conclusions de la société [9] sont en date du 17 septembre 2025.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 septembre 2025.
La cour a relevé que :
- La recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société mise en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
- Lorsque la liquidation judiciaire d'une société fait apparaître une insuffisance d'actif, les dispositions des articles L. 651-2 et L. 651-3 du code de commerce, qui ouvrent, aux conditions qu'ils prévoient, une action en responsabilité pour insuffisance d'actif ne se cumulent pas avec celles de l'article L. 225-251 du code de commerce, ni avec celles de l'article 1240 du code civil, sauf allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
Le 26 septembre 2025, les parties ont donc été invitées, pour le 7 octobre 2025 au plus tard, à faire valoir toutes observations utiles sur la recevabilité des demandes formées contre M. [L] au titre des agissements allégués à son encontre en qualité de dirigeant de la société [6] pour la période antérieure à l'ouverture de la procédure collective.
La société [9] a par ailleurs été invitée à produire devant la cour, le 30 septembre 2025 au plus tard, l'original de sa pièce n°11 communiquée devant la cour, 'Constat d'huissier de Me [R] du 3 mai 2023".
La société [9] a déposé la pièce demandée au greffe et les parties ont fait valoir leurs observations respectives auxquelles il est renvoyé.
PRETENTIONS ET MOYENS :
M. [L] demande à la cour de :
A titre principal :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a :
' Jugé l'existence d'une faute détachable des fonctions de M. [L],
' Jugé l'existence du lien de causalité entre la faute du dirigeant et le préjudice subi par la société [9],
' Jugé que le préjudice subi par la société [9] s'établit à 123.441 euros,
' Condamné M. [L] au paiement de l'entier préjudice de la société [9] pour la somme de 123.441 euros,
' Débouté M. [L] de l'intégralité de ses demandes,
' Condamné M. [L] au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Confirmer la décision en ce qu'elle a écarté l'application de l'exécution provisoire,
- Et, statuant à nouveau de déclarer l'action formée par la société [9] à l'encontre de M. [L] irrecevable, et mal fondée et condamner la société [9] au paiement d'une somme 10.000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens,
A titre reconventionnel :
- Juger que la société [9] a commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard de M. [L],
- Par conséquent, condamner la société [9] à payer la somme de 50.000 euros à M. [L] au titre du préjudice moral qu'il a subi.
La société [9] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement qui a jugé que la faute détachable de ses fonctions de dirigeants est imputable à M. [L],
- Confirmer le jugement de première instance qui a jugé que le lien de causalité est établi entre la faute du dirigeant et le préjudice subi par la société [9],
- Confirmer le jugement qui a jugé que que le préjudice subi par la société [9] s'établit à 123.441euros,
- Confirmer le jugement qui a condamné M. [L] au paiement de l'entier préjudice de la société [9], soit la somme de 123.441euros,
- Confirmer le jugement qui a jugé que M. [L] à payer la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en sollicitant un montant de 15.000 euros, ainsi qu'aux entiers dépens dans le cadre de la présente instance.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
La société [9] fonde expressément ses demandes sur les dispositions de l'article 1240 du code civil tout en faisant valoir que M. [L] aurait commis une faute détachable de ses fonctions de dirigeant, notion qui correspond à une condition de mise en cause de la responsabilité d'un dirigeant sur le fondement des dispositions du code de commerce.
La responsabilité des dirigeants sociaux peut être engagée. Le régime de cette responsabilité ne diffère pas de celui du droit commun, il est nécessaire que soient établis une faute, un préjudice et un lien de causalité.
Le code de commerce prévoit les conditions de la mise en cause de la responsabilité personnelle d'un dirigeant de société par actions simplifiée.
Il résulte ainsi des dispositions des articles L.227-8 et L.225-251 du code de commerce que la responsabilité des dirigeants de société par actions simplifiée est engagée en cas d'infractions aux dispositions législatives, de violation des statuts ou de faute de gestion :
L227-8 du code de commerce :
Les règles fixant la responsabilité des membres du conseil d'administration et du directoire des sociétés anonymes sont applicables au président et aux dirigeants de la société par actions simplifiée.
Article L225-251 du code de commerce :
Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.
La responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions. Il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.
La recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société mise en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
La société [9] fait valoir que son préjudice résulterait du non remboursement de l'emprunt obligataire en date du 13 février 2017 et de la perte pour le futur des rémunérations associées. Cette demande est celle d'un créancier, tiers à la société. Le fait que la société [9] soit par ailleurs associée de la société [6] ne fait pas de sa créance la créance d'un associé pris en cette qualité.
Le préjudice allégué par la société [9] n'est pas distinct de celui des autres créanciers. Son action dirigée contre M. [L] est irrecevable en ce qu'elle vise des agissements de ce dernier en qualité de dirigeant de la société [6] antérieurs au 31 août 2022.
Il apparaît en outre que lorsque la liquidation judiciaire d'une société fait apparaître une insuffisance d'actif, les dispositions des articles L. 651-2 et L. 651-3 du code de commerce, qui ouvrent, aux conditions qu'ils prévoient, une action en responsabilité pour insuffisance d'actif ne se cumulent pas avec celles de l'article L. 225-251 du code de commerce, ni avec celles de l'article 1240 du code civil.
La conséquence en est qu'un créancier est irrecevable à exercer contre le dirigeant à qui il impute des fautes de gestion l'action en réparation du préjudice résultant du non paiement de sa créance.
L'action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant ne demeure possible sur le fondement des dispositions générales que si ce créancier peut exciper d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
La liquidation judiciaire de la société [6] a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 20 juillet 2023. L'insuffisance d'actif est donc caractérisée.
Il résulte du courriel du liquidateur judiciaire produit devant la cour par la société [9] en pièce n°17 que l'action en insuffisance d'actif n'a pas été engagée à l'encontre de M. [L].
Comme il a été vu supra, la société [9] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui des créanciers de la procédure collective.
Sauf à créer un privilège au profit d'un créancier lui permettant de tendre à reconstituer l'actif en dehors de l'action du liquidateur, l'action de la société [9] contre M. [L] au titre de ses agissements en qualité de dirigeant de la société [6] est également irrecevable à ce titre.
La société [9] invoque également des agissements postérieurs à la date d'ouverture de la procédure collective ou ne correspondant pas à des actes de gestion de M. [L] en sa qualité de dirigeant de la société [6]. L'action de la société [9] n'est pas irrecevable en ses demandes en ce qu'elle vise ces agissements.
La société [9] invoque ainsi l'embauche par la société [7] d'anciens salariés de la société [6]. Elle indique ainsi que M. [T], salarié de la société [6], y est resté jusqu'à la fin de l'activité de la société [6] et qu'il a enchaîné une activité au sein de la société [7].
Le fait pour la société [7], et indirectement pour M. [L], d'avoir engagé M. [T] après son licenciement de la société [6] n'est pas fautif. Cet agissement constitue encore moins une faute de M. [L] susceptible d'engager sa responsabilité en qualité de dirigeant de la société [7].
La société [9] fait valoir que M. [K], alors salarié de la société [6], aurait développé en juillet 2022 un projet [8] pour une société [8] concurrente de la société [6].
Ces éléments ne permettent pas d'imputer personnellement à M. [L] ces agissements, à les supposer établis.
Il n'est pas non plus établi que la société [7] ait effectivement débuté une activité avant le placement en liquidation judiciaire de la société [6].
La société [9] fait valoir que M. [K] aurait démarché d'anciens clients de la société [6]. Il ne résulte cependant pas des «'post'» de M. [K] produits par la société [9] en pièce n°11 qu'il ait démarché des clients de la société [6] alors qu'elle était encore en activité. Ainsi, notamment, l'envoi d'un lien à Mmes [H] et [N] figurant en pièce n°11 de la production devant la cour de la société [9] n'est pas spécifiquement daté. A supposer que la mention sur cet envoi internet '4 sem...' fasse référence à son ancienneté à la date du constat de commissaire de justice, cet envoi daterait d'avril 2023. L'envoi de ce lien ne caractérise pas un démarchage. En tout état de cause, un tel démarchage de l'ancienne clientèle d'une société placée en liquidation judiciaire depuis plusieurs mois n'est pas fautive.
Ces agissements allégués de démarchage d'anciens salariés ou de clients ne sont pas établis.
Il apparaît ainsi que les agissements allégués de M. [L] ne sont pas établis. Les demandes recevables de la société [9] formées contre lui seront rejetées.
Sur l'abus d'action en justice :
Il n'est pas justifié que la société [9] ait agi en justice dans un but autre que celui de faire valoir ses droits. La demande de M. [L] de paiement de dommages-intérêts au titre de cet abus sera rejetée.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société [9] aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à M. [L] la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant dans les limites de sa saisine :
- Infirme le jugement,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Déclare l'action de la société [9] dirigée contre M. [L] irrecevable en ce qu'elle vise des agissements de ce dernier en qualité de dirigeant de la société [6] antérieurs au 31 août 2022,
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne la société [9] société à payer à M. [L] la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la société [9] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,