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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 18 novembre 2025, n° 25/03373

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 25/03373

18 novembre 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 18 NOVEMBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 25/03373 - N° Portalis DBVK-V-B7J-QWWP

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du 20 JUIN 2025

JUGE COMMISSAIRE DE MONTPELLIER

N° RG 2025007421

APPELANTE :

S.A.S. LA TOMATE

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Guy ROCHE substituant Me Didier FAVRE, avocats au barreau de MONTPELLIER

INTIMES :

Madame [Z] [S]

née le [Date naissance 1] 1937 à

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée par Me Aristide BLANC substituant Me Philippe BEZ de la SCP BEZ, DURAND, DELOUP, GAYET, avocat au barreau de MONTPELLIER

Monsieur [H] [X] agissant au nom et pour le compte de la SELARL BLEU SUD, agissant en qualité de mandataire judiciaire de LA TOMATE SAS, désigné suivant jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire en date du 29 avril 2024 par le Tribunal de commerce de MONTPELLIER, dont le siège est sis à [Adresse 8].

[Adresse 2]

[Localité 5] - FRANCE

non constitué

signification de déclaration d'appel et des conclusions à personne habilitée le 26 août 2025

S.E.L.A.R.L. BLEU SUD Maître [H] [X] agissant au nom et pour le compte de la SELARL BLEU SUD, agissant en qualité de mandataire judiciaire de LA TOMATE SAS, désigné suivant jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire en date du 29 avril 2024 par le Tribunal de commerce de MONTPELLIER, dont le siège est sis à [Adresse 8].

[Adresse 2]

[Localité 4]

non constitué

signification de la déclaration d'appel à personne habilitée le 21 août 2025

Ordonnance de clôture du 17 Septembre 2025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 906-5 et 914-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Septembre 2025,en chambre du conseil, devant M. Fabrice VETU, conseiller, chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre

M. Thibault GRAFFIN, conseiller

M. Fabrice VETU, conseiller

Greffier lors des débats : Mme Elodie CATOIRE

en présence de Mme Marie PECOURT, greffier stagiaire

Ministère public :

L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis le 17 septembre 2025.

ARRET :

- réputé contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour le 04 novembre 2025 prorogé au 18 novembre 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Elodie CATOIRE, greffière.

FAITS ET PROCEDURE

Suivant acte sous seing privé daté du 18 mars 1998, M. [T] [W] et Mme [Z] [W] épouse [S] ont conclu un bail commercial avec M. [O] [I] portant sur un local en rez-de-chaussée sis [Adresse 6] sur la commune de [Localité 5].

Le 27 mars 2004, la SAS La Tomate a acquis le fonds de commerce.

Le bail commercial a fait l'objet de deux renouvellements les 2 janvier 2007 et 28 juin 2017.

Le 4 janvier 2024, un incendie est survenu dans le local commercial.

Le 19 janvier 2024, la sous-commission départementale de sécurité a adressé un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation ; et le 1er février 2024, le maire de la commune de [Localité 5] a pris un arrêté de fermeture administrative du local jusqu'à réalisation des travaux.

Par lettre du 23 février 2024, la société La Tomate a mis en demeure le cabinet Hugon-[Localité 9], mandataire des bailleurs de procéder à la mise aux normes des locaux pour permettre la réouverture de l'établissement et, dans l'attente de pouvoir exploiter les lieux loués, a sollicité la suspension des loyers commerciaux.

Par lettre du 11 mars 2024, Mme [W] épouse [S] s'est opposée à toute prise en charge des travaux et à toute suspension des loyers, relevant que l'incendie avait pour origine un équipement privatif et qu'aux termes du bail commercial, les travaux qui ne relèvent pas des grosses réparations sont à la charge du preneur.

A la suite, des discussions sont intervenues entre les parties sans qu'un accord aboutisse.

Par exploit du 25 avril 2024, la société La Tomate a assigné Mme [W] épouse [S] en résolution judiciaire du bail commercial à ses torts exclusifs pour défaut de mise aux normes des locaux et en paiement de la somme de 230 209 euros à titre de dommages et intérêts, outre aux dépens.

Par jugement du 29 avril 2024, le tribunal de commerce de Montpellier a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société La Tomate, et désigné la SELARL Bleu Sud, prise en la personne de Me [H] [X]-[D], en qualité de mandataire judiciaire.

Par lettre du 29 mai 2024, Mme [W] épouse [S] a déclaré ses créances pour les sommes de 2 489,62 euros au titre de loyers impayés des mois de novembre 2023 et avril 2024 et 110 000 euros au titre des devis de réparation relatif au sinistre incendie et elle a réclamé du mandataire qu'il prenne position sur la poursuite, ou non, du bail commercial.

Par ordonnance valant état des créances complémentaire du 20 juin 2025, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Montpellier a :

arrêté l'état des créances complémentaire de la procédure de redressement judiciaire sous références comportant la déclaration de créances et l'admission conforme de Mme [Z] [W] épouse [S], créancière pour la somme de 110 000 euros à titre provisionnel chirographaire ;

admis ladite créance ;

ordonné que l' état des créances complémentaire soit joint à l'état des créances arrêté initialement, de telle manière qu'il fasse corps avec lui ;

et ordonné qu'il soit procédé aux formalités de publicité prévues par la loi pour l'arrêté de l'état des créances.

Par déclaration du 27 juin 2025, la SAS La Tomate a relevé appel de cette ordonnance.

Par conclusions du 9 septembre 2025, elle demande à la cour, au visa des articles 1719 et suivants, 1755 du code civil et des articles L. 624-1, R. 622-23, R. 145-35 du code de commerce, de :

la juger recevable et bien fondée en ses écritures ;

rejeter, dès lors, toute exception de procédure, tout moyen d'irrecevabilité ou toute défense au fond ;

réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle admis à titre chirographaire un état de créance complémentaire d' [Z] [W] épouse [S] à hauteur de 110 000 euros ;

la débouter de l'ensemble de ses demandes, en particulier sa demande d'irrecevabilité ;

Statuant à nouveau,

rejeter sa créance complémentaire à hauteur de 110 000 euros ;

et la condamner à payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions du 27 août 2025, Mme [Z] [W] épouse [S] demande à la cour, au visa des articles L. 622-24, L. 624-1 et suivants et R. 624-1 et suivants du code de commerce, de :

À titre principal,

juger la demande de la société La Tomate irrecevable et mal fondée ;

confirmer l'ordonnance entreprise ;

À titre subsidiaire,

surseoir à statuer dans l'attente du jugement au fond à intervenir ;

renvoyer le dossier à telle audience utile ;

Et en tout état de cause,

la condamner à payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par avis du 17 septembre 2025, communiqué aux parties par RPVA, le ministère public s'en rapporte à l'appréciation de la cour considérant qu'il s'agit par cette ordonnance, valant état des créances complémentaire, d'une véritable erreur matérielle.

Par exploit daté du 26 août 2025, la SELARL Me [H] [X], ès qualités de mandataire judiciaire de la SAS La Tomate, a été destinataire à personne habilitée de la déclaration d'appel et des conclusions de l'appelante, mais n'a pas constitué avocat.

La SELARL Bleu Sud, prise en la personne de M. [H] [X]-[D], destinataire de la déclaration d'appel par actes de commissaire de justice en date du 21 août 2025, délivré à personne habilitée, n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est datée du 17 septembre 2025.

MOTIFS

Sur la recevabilité

Moyens des parties :

1. Mme [Z] [W] fait valoir que le débiteur ayant omis de soumettre au mandataire sa demande de rejet de la créance afin que le juge-commissaire en soit saisi, puis statue sur cette demande conformément aux articles L.624-1 et suivants du code de commerce, les prétentions de l'appelante présentées pour la première fois en appel, sans respecter le double degré de juridiction, ne sont pas recevables.

Selon elle, sa créance de 110 000 euros, même si elle a été omise à l'enregistrement dans l'état des créances arrêté initialement, figurait expressément dans sa déclaration de créance transmise au mandataire judiciaire le 29 mai 2024 de sorte que la SAS La Tomate, a été nécessairement appelée dans le cadre de la procédure de vérification des créances afin de prendre connaissance de l'intégralité de ses prétentions, en ce compris cette créance.

2. N'ayant fourni aucune observation dans le délai de l'article R. 124-1 du code de commerce, la SAS La Tomate serait désormais irrecevable à contester cette créance.

3. La SAS La Tomate réplique que dans l'état des créances communiquée par mail du 9 janvier 2025 par le mandataire judiciaire, au visa de l'article L. 624-1 du code de commerce, la présupposée créance de Mme [Z] [W], à hauteur de 110 000 euros, n'apparaît nulle part.

Il en serait de même en ce qui concerne la liste déposée par le mandataire judiciaire, validée par ordonnance du juge-commissaire le 30 janvier 2025 où ne figure pas davanatge cette présupposée créance de Mme [Z] [W] à hauteur de 110 000 euros.

4. Au regard de ces éléments, l'appelante conclut :

- que le débiteur en la personne de la SAS La Tomate n'a pas été en mesure de discuter du bienfondé de la déclaration de créances portée par Mme [Z] [W] puisque cette créance a tout simplement été omise par le mandataire judiciaire ;

- que pour ce seul motif, le juge commissaire aurait dû rejeter la requête du mandataire judiciaire en sollicitant à tout le moins les observations du débiteur dans le cadre d'un débat contradictoire.

Réponse de la cour :

5. Selon l'article R. 624-1 du code de commerce :

« La vérification des créances est faite par le mandataire judiciaire, le débiteur et, le cas échéant, les contrôleurs désignés, présents ou dûment appelés.

Si une créance autre que celle mentionnée à l'article L. 625-1 est discutée, le mandataire judiciaire en avise le créancier ou son mandataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le délai de trente jours prévu à l'article L. 622-27 court à partir de la réception de la lettre. Cette lettre précise l'objet de la discussion, indique le montant de la créance dont l'inscription est proposée et rappelle les dispositions de l'article L. 622-27.

Le délai prévu par le deuxième alinéa de l'article L. 624-1 est de trente jours. Il court à compter de la date à laquelle le débiteur a été mis en mesure, par le mandataire judiciaire, de formuler ses observations.

Lorsque le débiteur ne participe pas à la vérification des créances, le délai court à compter de la réception de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception qui lui est adressée par le mandataire judiciaire. Cette lettre comporte les propositions d'admission, de rejet ou de renvoi mentionnées au premier alinéa de l'article L. 624-1.

Il appartient au mandataire judiciaire de justifier de la date à laquelle il a sollicité les observations du débiteur. »

6. En l'état des productions, Mme [Z] [W] a bien déclaré une créance de 110 000 € à titre conservatoire, suivant déclaration datée du 29 mai 2024. Toutefois, cette somme n'a pas été portée sur la liste des créances soumises au juge-commissaire de la procédure et n'a pas été davantage prise en compte par ce dernier dans son ordonnance établissant la liste des créances, datée du 31 janvier 2025.

7. Partant, la vérification de cette créance n'a jamais été réalisée en présence du débiteur et l'ordonnance du 20 juin 2025, qui motive l'admission de la créance complémentaire de 110 000 euros au regard d'une erreur matérielle entachant l'état des créances initial n'a jamais été discutée en présence du débiteur.

8. Ainsi, aucun des délais envisagés à l'article R. 624-1 ne peut être opposé au débiteur qui n'a pu faire valoir son point de vue comme les textes le requièrent.

9. L'appel de la SAS La Tomate est donc recevable.

Sur l'admission de la créance

Moyens des parties :

10. La SAS rappelle qu'à la suite de l'incendie des locaux qu'elle louait, le 24 janvier 2024, et de leur fermeture administrative, elle a demandé par lettre de mise en demeure du 23 février 2024, la mise aux normes des locaux (estimée selon devis à la somme de 110 000 euros), pour permettre la réouverture de l'établissement, outre, dans l'attente de pouvoir exploiter à nouveau les lieux, une demande de suspension des loyers commerciaux, mais qu'aucune de ces mesures n'a reçues l'assentiment du bailleur.

Elle rappelle encore, que se prévalant du manquement du bailleur à ses obligations contractuelles et ne pouvant plus exercer dans les locaux, elle a diligenté par assignation du 25 avril 2024 une demande en résolution judiciaire du bail commercial aux torts exclusifs du bailleur et sollicité, dans ce cadre, la condamnation du bailleur à lui payer la somme de 230 209 euros en réparation du préjudice subi.

11. L'appelante soutient que cette assignation, délivrée au visa de l'article R 145-35 du code de commerce, tenant l'obligation du bailleur de ne pas imputer aux locataires « les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l'immeuble dans lequel il se trouve' » est restée sans réponse, le litige n'ayant pas été tranché.

12. Il s'ensuivrait, a minima, une obligation de surseoir à statuer après déclaration d'incompétence, en vertu de l'article R. 624-5 du code de commerce, ou alors, un rejet de la créance, celle-ci étant infondée au sens de l'article R. 622-23 du même code, aucun document, de nature à prouver l'existence ou le montant de la créance n'étant produit.

13. Mme [Z] [W] réplique que l'obligation de déclaration concerne, au premier chef, les créanciers disposant d'une créance certaine, mais également ceux pouvant prétendre à l'existence d'une créance simplement éventuelle, de sorte que sa déclaration de créance est régulière.

14. Elle plaide que si un procès au fond est d'ores et déjà engagé entre les parties afin de déterminer qui, du bailleur ou du preneur, devra supporter le coût des travaux de remise en état des locaux, dont fait partie la créance litigieuse de 110 000 euros, il n'en demeure pas moins que ce différend n'a pas d'incidence sur la régularité de sa déclaration de créance.

Réponse de la cour :

15. Aux termes de l'article L.624-2 du code de commerce :

« Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire, si la demande d'admission est recevable, décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission. »

16. Seule une instance en cours devant un juge du fond au jour du jugement d'ouverture enlève au juge-commissaire le pouvoir de décider l'admission ou le rejet.

17. Or en l'espèce les parties s'accordent sur l'existence d'une instance en cours, engagée antérieurement au jugement d'ouverture, et portant, notamment, sur la créance alléguée de 110 000 euros.

18. Elles versent l' assignation devant le tribunal judiciaire de Montpellier délivrée le 25 avril 2024 par la SAS La Tomate à Mme [W] établissant l'existence d'une instance en cours au sens du texte supra.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée,

Confirme l'ordonnance du juge-commissaire du tribunal de commerce de Montpellier valant état des créances complémentaires en date du 27 mai 2025, sauf en ce qu'elle a admis à titre provisionnel chirographaire la somme de 110 000 euros,

Statuant à nouveau du chef infirmé et ajoutant

Constate l'existence d'une instance en cours devant le tribunal judiciaire de Montpellier engagée le 25 avril 2024,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens seront employés en frais de procédure collective.

Le greffier La présidente

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