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Cass. com., 26 novembre 2025, n° 24-10.041

COUR DE CASSATION

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Cassation

Cass. com. n° 24-10.041

26 novembre 2025

COMM.

HM

COUR DE CASSATION
______________________

Arrêt du 26 novembre 2025

Cassation partielle

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 607 F-B

Pourvoi n° K 24-10.041

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 NOVEMBRE 2025

M. [B] [H], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 24-10.041 contre l'arrêt rendu le 30 octobre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l'opposant :

1°/ au directeur général des douanes et droits indirects, domicilié [Adresse 1],

2°/ au ministre de l'Action et des comptes publics, domicilié [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Gauthier, conseiller, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de M. [H], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du directeur général des douanes et droits indirects et du ministre de l'Action et des comptes publics, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 octobre 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Gauthier, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, M. Doyen, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée du président et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 30 octobre 2023), rendu sur renvoi après cassation (Com., 14 avril 2021, pourvoi n° 19-10.700), un tribunal correctionnel a condamné M. [H], par jugement contradictoire du 12 février 1999, à une peine d'emprisonnement pour une infraction douanière et, statuant sur l'intervention de l'administration des douanes, à une amende à titre de pénalité douanière.

2. Après notification, le 30 janvier 2014, par une recette régionale des douanes, de deux avis à tiers détenteur pour obtenir le paiement de cette pénalité, M. [H] a saisi le juge de l'exécution pour obtenir l'annulation et la mainlevée de ces deux avis ainsi que des dommages-intérêts, invoquant subsidiairement la prescription de la dette.

3. Le 7 février 2022, l'administration des douanes a fait pratiquer, pour le paiement de cette dette, une saisie administrative à tiers détenteur dont M. [H] a demandé l'annulation devant la cour d'appel.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

3. M. [H] fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que l'administration des douanes bénéficie de pouvoirs exorbitants de droit commun, tels que la dispense de signification préalable obligatoire à l'exécution forcée des décisions prononçant des amendes douanières, la possibilité pour certains de ses agents de réaliser des actes de commissaires de justice, et ce, au moyen des procédures de saisies administratives ; qu'en contrepartie de ces pouvoirs, et afin de ne pas porter une atteinte excessive aux principes de sécurité et de prévisibilité des situations juridiques, la douane doit procéder au recouvrement des créances conformément au principe du contradictoire et à l'obligation de loyauté à laquelle elle est tenue ; qu'au cas particulier de débiteurs solidaires condamnés par une même décision au paiement d'une amende douanière, ces exigences ne peuvent être satisfaites que dans la mesure où tous les débiteurs solidaires sont informés des actes d'exécution forcée réalisés et des commandements délivrés par la douane à l'un d'entre eux, et ce afin qu'ils aient connaissance de l'existence de telles mesures, qui produisent, en principe, un effet interruptif de prescription également à leur encontre du fait de cette solidarité ; qu'en l'absence d'information des codébiteurs solidaires, l'acte pratiqué contre l'un d'eux est inopposable aux autres, de sorte que la douane ne bénéficie pas, à l'encontre du codébiteur non informé, de l'effet interruptif de la mesure d'exécution ou du commandement en cause en ce qui concerne la prescription de sa créance ; qu'au cas présent, M. [H] soulignait, dans ses conclusions d'appel, que la douane devait, en présence de codébiteurs solidaires, informer chacun d'entre eux de la réalisation d'actes, en principe interruptifs de prescription, à l'encontre de l'un d'eux, sans quoi de tels actes leur seraient inopposables (en ce compris leur effet interruptif « de principe ») et ce au nom du respect des principes du contradictoire et de la loyauté des débats ; qu'en réponse, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que "les articles 1200, 1204 et 1205 du code civil, pris dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que chaque codébiteur solidaire doit être considéré comme le représentant nécessaire de ses coobligés, que les poursuites faites contre l'un d'eux n'empêchent pas le créancier d'en exercer de pareilles contre les autres et que ces poursuites interrompent la prescription à l'égard de tous. M. [H] n'est donc pas fondé à contester l'opposabilité à son égard des mesures d'exécution mises en oeuvre par l'administration des douanes à l'encontre de ses coobligés au paiement de l'amende douanière prononcée par jugement correctionnel du 12 février 1999. Ces poursuites et les actes mis en oeuvre par l'administration douanière dans le cadre des procédures administratives d'exécution sont ainsi tous opposables à chacun des codébiteurs solidaires de l'amende douanière, sans que chacun d'eux puisse exiger une dénonciation personnelle de ces actes" avant de conclure que la créance de la douane ne serait pas prescrite ; qu'en statuant ainsi, sans tenir aucun compte de la particularité des pouvoirs dont dispose la douane pour recouvrer les amendes douanières comme de l'absence d'information des autres codébiteurs en cas de mesures d'exécution forcée pratiquées ou de commandements de payer délivrés à l'encontre de l'un d'eux, la cour d'appel a violé les principes de sécurité juridique et de prévisibilité des situations juridiques, ensemble les principes de loyauté des débats, du contradictoire et l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que le commandement de payer, délivré à un codébiteur solidaire d'une amende douanière, n'a d'effet interruptif de la prescription à l'égard des autres codébiteurs que dans la mesure où ces derniers ont été informés de la délivrance de ce commandement ; qu'en l'absence de la communication d'une telle information, les autres codébiteurs peuvent, légitimement, se croire déchargé de la dette ; qu'au cas présent, la douane a dénoncé à M. [H] deux saisies administratives à tiers détenteur en date du 30 janvier 2014 en prétendant que sa créance ne serait pas prescrite en raison de plusieurs actes interruptifs de prescription concernant les autres coobligés, notamment un commandement de payer, délivré à M. [M], le 25 novembre 2003 ; que M. [H], qui se pensait légitimement libéré de sa dette douanière, tant en raison du protocole d'accord (qui apparaissait de nature à clore définitivement le litige entre les parties) aux termes duquel la contrainte par corps a été levée, en contrepartie de son engagement, depuis exécuté, de payer une part de l'amende en cause, que de l'écoulement du temps : quatorze années étaient passée entre ledit protocole et les saisies administratives à tiers détenteur en question, sans que la douane ne prenne aucune mesure à son encontre ni ne l'informe de l'existence d'actes interruptifs de prescription à l'encontre de ses codébiteurs ; qu'en réponse, la cour d'appel a constaté que l'administration fiscale concluait uniquement à la validité du commandement de payer délivré à M. [M], le 25 novembre 2003, sans démontrer qu'elle aurait informé M. [H] de la réalisation de acte, puis, a réaffirmé qu'aucune "dénonciation personnelle" de l'acte en question n'aurait été nécessaire avant de conclure à l'absence de prescription de la créance douanière ; qu'en statuant ainsi, lorsque le commandement de payer en cause n'avait pas été porté à la connaissance de M. [H], qui pouvait légitimement se croire libéré de son obligation à la dette douanière, et, partant, lui était inopposable, de sorte qu'aucun effet interruptif de prescription ne pouvant intervenir à son égard, la créance de la douane était prescrite au jour des saisies administratives à tiers détenteurs réalisées le 30 janvier 2014, a fortiori celle du 7 février 2022, la cour d'appel a violé les principes de sécurité juridique et de prévisibilité des situations juridiques, ensemble les principes de loyauté des débats, du contradictoire et l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article 382-5 du code des douanes, les amendes douanières se prescrivent dans les mêmes délais que les peines correctionnelles de droit commun et dans les mêmes conditions que les dommages-intérêts. Il en résulte que la prescription peut être régulièrement interrompue par l'un des actes visés à l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, tel un acte d'exécution forcée ou un commandement de payer.

5. Selon l'article 2249, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'interpellation faite, conformément aux articles ci-dessus, à l'un des débiteurs solidaires, ou sa
reconnaissance, interrompt la prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.

6. Selon l'article 2245 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d'exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.

7. Il résulte de l'ensemble de ces textes que la signification d'un acte d'exécution forcée, d'un commandement de payer à l'un des codébiteurs solidaires ou la reconnaissance du droit du créancier par l'un d'eux, notamment par un paiement partiel de la dette commune, interrompent valablement le cours de la prescription à l'égard de tous les codébiteurs d'une amende douanière.

8. Après avoir constaté que le jugement du tribunal correctionnel de Créteil du 12 février 1999 était devenu définitif le 23 février 1999, l'arrêt retient que le délai de la prescription quinquennale a été successivement interrompu à l'égard des quatre co-prévenus, condamnés au paiement de l'amende douanière par ce jugement :
- le 14 janvier 2000, par le paiement partiel de l'amende douanière auquel a procédé M. [H],
- le 25 novembre 2003, par la signification à M. [M] d'un commandement de payer l'amende douanière,
- le 17 juin 2008, par la notification à M. [O] d'un avis à tiers détenteur,
- le 30 janvier 2012, par la notification à M. [O] d'un avis à tiers détenteur ;
- le 2 avril 2012, par la reconnaissance expresse du droit de créance de l'administration des douanes par M. [O].

9. En l'état de ces énonciations, appréciations et constatations, dont il résulte que le commandement de payer délivré par l'administration des douanes le 25 novembre 2003, les avis à tiers détenteurs et la reconnaissance du droit de créance avaient eu un effet interruptif et étaient opposables à M. [H] sans qu'il soit nécessaire pour l'administration des douanes de le lui notifier, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les principes invoqués par le moyen, a exactement retenu que la prescription de l'amende douanière n'était pas acquise à l'égard de M. [H] lorsque l'administration des douanes a émis les deux avis à tiers détenteur du 30 janvier 2014 aux fins de recouvrement de l'amende douanière.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

11. M. [H] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes nouvelles d'annulation de la saisie administrative à tiers détenteur en date du 7 février 2022 et de condamnation solidaire de la direction régionale des douanes et droits Indirects et du ministère de l'action et des comptes publics à restituer les sommes saisies dans le cadre de cette mesure d'exécution, d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de rejeter toutes ses demandes, alors « que la nouveauté de la demande formulée pour la première fois en cause d'appel n'est une cause d'irrecevabilité que dans la mesure où ladite demande ne tend pas aux mêmes fins que celles présentées devant le premier juge ; qu'au cas présent, l'action introduite par M. [H] en première instance avait pour but final d'empêcher la douane de recouvrer une créance, issue d'un jugement pénal, qui est aujourd'hui, et depuis de nombreuses années, prescrite ; que cette prétention se matérialisait par des demandes tendant à la nullité des saisies administratives à tiers détenteur réalisées le 30 janvier 2014 (les seules qui pouvaient être contestées à cette date) et à l'indemnisation des conséquences préjudiciables de telles saisies, de sorte que les demandes en nullité de la saisie administrative diligentée le 7 février 2022, en exécution du même jugement pénal, et en restitution des sommes saisies, tendent aux mêmes fins que les demandes présentées au premier juge (note en délibéré sur le moyen relevé d'office par la cour d'appel) ; qu'en réponse la cour d'appel s'est bornée à affirmer que les demandes nouvelles ne pouvaient tendre aux mêmes fins que celles soumises au premier juge dans la mesure où lesdites demandes ne concernant que la saisie administrative pratiquée le 7 février 2022, elles ne pouvaient "fonder la demande en annulation des mesures d'exécution du 30 janvier 2014", de sorte qu'elles seraient irrecevables ; qu'en considérant que les demandes nouvelles de M. [H] seraient irrecevables en limitant la prétention de ce dernier à la seule nullité des saisies pratiquées le 30 janvier 2014, cependant que le but de son action était de faire cesser toutes les mesures d'exécution de la douane, faute pour cette dernière de justifier d'une créance non prescrite, la cour d'appel a méconnu les principes de célérité et du respect du droit de propriété, ensemble l'article 565 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 565 du code de procédure civile :

12. Pour déclarer irrecevables les demandes de M. [H] en annulation de la saisie administrative à tiers détenteur du 7 février 2022 et en restitution des sommes saisies, l'arrêt retient que la demande en annulation est distincte et autonome de la demande initiale, dont M. [H] avait saisi le juge de l'exécution, en annulation des deux précédentes mesures d'exécution par avis à tiers détenteurs pratiquées le 30 janvier 2014 sur ses comptes bancaires et, ce, même si les deux mesures ont été mises en oeuvre en vertu d'un même titre exécutoire. Il en déduit que la demande d'annulation litigieuse ne tend pas aux mêmes fins que la demande soumise au premier juge puisqu'elle ne peut fonder la demande en annulation des mesures d'exécution du 30 janvier 2014 et n'est en rien l'accessoire de cette demande initiale.

13. En statuant ainsi, alors que, devant le juge de l'exécution et au soutien de sa demande d'annulation des deux avis à tiers détenteurs, M. [H] avait contesté l'existence de la dette douanière en raison de sa prescription, ce qui était de nature à affecter tant ces avis à tiers détenteurs émis en 2014 que la saisie administrative à tiers détenteur pratiquée en 2022, de sorte que les deux actions tendaient ainsi aux mêmes fins, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE et ANNULE mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes d'annulation de la saisie administrative à tiers détenteur pratiquée le 7 février 2022 par l'administration des douanes sur les comptes de M. [H] et de restitution des sommes saisies par l'effet de cette mesure d'exécution, l'arrêt rendu le 30 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne le directeur général des douanes et droits indirects aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le vingt-six novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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