Cass. crim., 26 novembre 2025, n° 24-82.486
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
N° E 24-82.486 FS-B
N° 01455
RB5
26 NOVEMBRE 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 NOVEMBRE 2025
MM. [V] [J], [B] [T], [L] [E] et [Z] [W] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 14 février 2024, qui a condamné, le premier, pour usage de faux, escroquerie et complicité de financement illégal de campagne électorale, à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis et cinq ans d'inéligibilité, les deuxième et troisième, pour usage de faux, complicité d'escroquerie, abus de confiance et complicité de financement illégal de campagne électorale, à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis et cinq ans d'inéligibilité, et le quatrième, pour financement illégal de campagne électorale, à un an d'emprisonnement dont six mois avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [V] [J], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [B] [T], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [L] [E], les observations de la SCP Spinosi et la SCP Piwnica et Molinié, avocats de M. [Z] [W], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 8 octobre 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, M. Samuel, Mme Piazza, M. de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, M. Vouaux, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, M. Gillis, Mmes Chafaï, Bloch, conseillers référendaires, Mme Viriot-Barrial, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces soumises à l'examen de la Cour de cassation ce qui suit.
2. M. [Z] [W], candidat présent aux deux tours de l'élection présidentielle de 2012, a déposé son compte de campagne auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).
3. Par décision du 19 décembre 2012, cette commission a réformé et rejeté ce compte de campagne, considérant que le montant réel des dépenses excédait de 363 615 euros le plafond des dépenses autorisées par la loi.
4. M. [W] a formé un recours contre cette décision devant le Conseil constitutionnel, qui, par décision du 4 juillet 2013, a confirmé le rejet du compte et retenu qu'il s'établissait en recettes à 23 094 932 euros et en dépenses à 22 975 118 euros, excédant de 466 118 euros le plafond autorisé.
5. Le 5 mars 2014, une enquête préliminaire a été ouverte à la suite de la publication d'un article de presse évoquant des soupçons de fausse facturation entre la société [4] (la société [3]), filiale de la société [2], organisatrice des meetings de la campagne, et l'[5] ([5]), parti politique soutenant M. [W].
6. Une information a été ouverte le 27 juin 2014, à l'issue de laquelle le juge d'instruction a renvoyé quatorze personnes physiques et une personne morale devant le tribunal correctionnel des chefs notamment de financement illégal de campagne électorale et complicité, faux et usage, abus de confiance, escroquerie et complicité.
7. Il était reproché en substance à des membres de l'équipe de campagne de M. [W] ainsi qu'à des membres de l'[5] et des dirigeants des sociétés [2] et [3] d'avoir agi de façon à permettre au candidat de dépasser le plafond légal de dépenses en faisant assumer l'excédent de celles-ci par l'[5] tout en dissimulant le montant réel de ces dépenses à la CNCCFP afin d'éviter le rejet du compte de campagne.
8. Ainsi, des dépenses auraient été payées à la société [3], non par le mandataire financier du candidat, en l'espèce l'[1] de [Z] [W] 2012 ([1]), mais par l'[5], sous couvert de factures soit surévaluées, soit totalement fictives, censées correspondre à des conventions ou autres événements non considérés comme des dépenses électorales.
9. Par ailleurs, la société [3] aurait établi des factures minorées pour des dépenses électorales destinées à être inscrites au compte de campagne, notamment les meetings.
10. Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal correctionnel a, notamment, condamné M. [V] [J], directeur de la campagne électorale de M. [W], pour escroquerie et complicité d'engagement par candidat de dépenses électorales dépassant le plafond légal, à trois ans et six mois d'emprisonnement, dont deux ans avec sursis, M. [B] [T], directeur général des services de l'[5], pour complicité d'escroquerie, abus de confiance et complicité d'engagement par candidat de dépenses électorales dépassant le plafond légal, à trois ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis, et cinq ans d'inéligibilité, M. [L] [E], directeur de la communication et des nouveaux médias de l'[5] et directeur adjoint de cabinet du secrétaire général de ce parti, pour complicité d'escroquerie, abus de confiance et complicité d'engagement par candidat de dépenses électorales dépassant le plafond légal, à trois ans d'emprisonnement, dont deux ans avec sursis, et cinq ans d'inéligibilité, et M. [W], pour engagement par candidat de dépenses électorales dépassant le plafond légal, à un an d'emprisonnement. Le tribunal a également prononcé sur les intérêts civils.
11. Les prévenus, le ministère public et certaines parties civiles ont fait appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, et le quatrième moyen, pris en ses première et troisième branches, proposés pour M. [W], les deuxième et quatrième moyens, le sixième moyen, pris en ses première et quatrième branches, et le septième moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, proposés pour M. [J], les deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, huitième et neuvième moyens proposés pour M. [T], les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, septième et huitième moyens proposés pour M. [E]
12. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [J]
Énoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [J] coupable d'escroquerie, d'usage de faux et de complicité de financement illégal de campagne électorale, alors :
« 1°/ que d'une part, la chambre des appels correctionnels est composée d'un président de chambre et de deux conseillers ; que si les magistrats supplémentaires désignés par le président assistent aux débats, ils ne peuvent y participer, sauf dans le cas où ils remplacent un magistrat du siège composant la juridiction qui serait empêché de suivre les débats jusqu'au prononcé de la décision ; qu'en l'espèce, il ressort des notes d'audiences que Mme Chaulet, magistrat désigné comme assesseur supplémentaire (arrêt, p. 7), a participé activement aux débats en interrogeant des prévenus et un témoin alors que ni le président ni les deux assesseurs composant la juridiction n'était empêché ; que la cour d'appel a par conséquent violé les articles 398, 442, 442-1, 510, 512 et 592 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. Dès lors que l'assesseur supplémentaire désigné pour compléter le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 398, alinéa 2, du code de procédure pénale peut être appelé à remplacer à tout moment un des magistrats du siège qui serait empêché, il est légalement investi au cours des débats de tous les droits que le code de procédure pénale confère aux juges correctionnels.
15. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, proposé pour M. [J], le premier moyen proposé pour M. [T] et le sixième moyen proposé pour M. [E]
Énoncé des moyens
16. Le moyen proposé pour M. [J] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable d'escroquerie, d'usage de faux et de complicité de financement illégal de campagne électorale, alors :
« 2°/ que d'autre part, les décisions sont déclarées nulles lorsqu'elles ne sont pas rendues par le nombre de juges prescrit ; que la chambre des appels correctionnels est composée d'un président de chambre et de deux conseillers ; qu'en l'espèce, il résulte des mentions circonstanciées de l'arrêt attaqué qui ne sauraient être contredites par la seule mention stéréotypée selon laquelle la décision a été « rendue après en avoir délibéré conformément à la loi » (arrêt, p. 63), que la cour était composée « lors des débats et du délibéré » de Mme Chammboncel-Saligue, président, Mme Bamberger et Mme Picardat, conseillers, et Mme Chaulet, magistrat honoraire désigné comme assesseur supplémentaire (arrêt, p. 7) ; que cet arrêt viole par conséquent les articles 398, 510, 512, 591 et 592 du Code de procédure pénale ;
3°/ qu'en tout état de cause, tout jugement ou arrêt doit établir la régularité de la composition de la juridiction qui l'a rendu ; qu'en l'espèce, après avoir mentionné que la cour était composée « lors des débats et du délibéré » de Mme Chammboncel-Saligue, président, Mme Bamberger et Mme Picardat, conseillers, et Mme Chaulet, magistrat honoraire désigné comme assesseur supplémentaire (arrêt, p. 7), l'arrêt indique qu'il a été rendu « après en avoir délibéré conformément à la loi » (arrêt, p. 62) ; qu'en l'état de ces mentions contradictoires de l'arrêt attaqué, la Cour de cassation n'est pas en mesure de s'assurer de la régularité de la composition de la juridiction qui l'a rendu. »
17. Le moyen proposé pour M. [T] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable des chefs d'usage de faux, d'abus de confiance, de complicité d'escroquerie et de complicité de financement illégal de campagne électorale, après avoir indiqué que la cour d'appel comprenait lors des débats et du délibéré Mme [K] [P], désignée par ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris du 7 novembre 2023, alors « que tout arrêt doit faire la preuve par lui-même de la composition légale de la juridiction dont il émane ; que les magistrats supplémentaires désignés pour compléter la juridiction répressive ne peuvent pas participer au délibéré ; qu'en énonçant que la cour d'appel était composée, non seulement lors des débats, mais aussi lors du délibéré, de Mme [P] qui avait été désignée par ordonnance du 7 novembre 2023 pour compléter la cour en qualité d'assesseur supplémentaire, la cour d'appel a violé les articles 398, 510, 512 591 et 592 du code de procédure pénale. »
18. Le moyen proposé pour M. [E] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a énoncé que la cour d'appel était composée lors des débats et du délibéré de Mme Chamboncel-Saligue, président, de Mme Bamberger et de Mme Picardat, conseillers, et de Mme [P], désignée comme assesseur supplémentaire, alors « que les décisions rendues par les cours d'appel qui sont composées d'un président et de deux conseillers, sont déclarées nulles lorsqu'elles n'ont pas été rendues par le nombre de juges prescrits ; que la cour d'appel était composée « lors des débats et du délibéré » par Mme Chammboncel-Saligue, président, Mme Bamberger et Mme Picardat, conseillers, et Mme Chaulet, magistrat honoraire désigné comme assesseur supplémentaire ; que dès lors la cour d'appel a méconnu les articles 398, 510, 512, 591 et 592 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
19. Les moyens sont réunis.
20. L'arrêt attaqué, après avoir indiqué que la cour d'appel était composée lors des débats et du délibéré de Mme Chamboncel-Saligue, président, de Mmes Bamberger et Picardat, conseillers, de Mme Chaulet, magistrat honoraire désigné comme assesseur supplémentaire par ordonnance du premier président de la cour d'appel en date du 7 novembre 2023, mentionne, au début de sa motivation, que la décision a été rendue après que la cour a délibéré conformément à la loi, et, dans son dispositif, que la cour d'appel a statué après en avoir délibéré régulièrement, ce qui suffit à établir que l'assesseur qui a assisté aux débats en application de l'article 398, alinéa 2, du code de procédure pénale n'a ni assisté ni participé au délibéré.
21. Dès lors, les moyens ne sont pas fondés.
Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa première branche, proposés pour M. [W]
Énoncé des moyens
22. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception prise de l'autorité de chose jugée attachée à la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013 et de l'application du principe ne bis in idem, alors :
« 1°/ que d'une part, l'autorité de chose jugée qui s'attache aux décisions, même erronées, du Conseil constitutionnel statuant sur la régularité d'un compte de campagne d'un candidat à une élection s'oppose à ce que des poursuites pénales soient ensuite engagées contre ce candidat sur le fondement de l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral, sanctionnant le dépassement du plafond des dépenses électorales, à raison de dépenses qui n'ont pas été intégrées au compte de campagne par le Conseil constitutionnel ; que, dès lors, en retenant, pour rejeter l'exception de nullité prise de l'autorité de chose jugée attachée à la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013 qui a fixé à la somme de 22 975 118 euros le montant des dépenses électorales engagées par M. [W] pour la campagne présidentielle de 2012, et dire que le montant de ces dépenses devait être fixé à la somme d'au moins 42,722 millions d'euros, que cette décision était dépourvue de l'autorité de chose jugée « s'agissant des dépenses dissimulées » et qu'elle ne s'imposait aux juridictions judiciaires que « pour les dépenses qui ont été soumises à cette instance » (arrêt, p. 103, § 2), lorsque, même à la supposée avérée, la dissimulation de certaines dépenses au Conseil constitutionnel ne pouvait conduire à remettre en cause l'autorité de chose jugée absolue attachée à sa décision, laquelle n'est susceptible d'aucun recours et ne peut faire l'objet d'un réexamen par l'autorité judiciaire, quand bien même celle-ci aurait connaissance d'éléments qui étaient inconnus du Conseil constitutionnel, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de chose jugée, l'article 62 de la Constitution et l'article 6 du Code de procédure pénale ;
2°/ que d'autre part, en affirmant, pour rejeter l'exception prise de l'autorité de chose jugée de la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013, que, dans son arrêt du 1er octobre 2019 (pourvoi n°18-86.428), la Cour de cassation avait statué dans le sens de l'absence d'autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel sur les comptes de campagne s'agissant des dépenses dissimulées, lorsque, par cet arrêt, la Chambre criminelle, faisant application des dispositions de l'article 574 du Code de procédure pénale encadrant la recevabilité des pourvois formés contre des arrêts de renvoi devant le tribunal correctionnel, s'est bornée à déclarer irrecevable le pourvoi formé par M. [W] après avoir constaté que « l'arrêt attaqué, rendu sur l'appel d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, ne comporte aucune disposition définitive s'imposant à cette juridiction », la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de cette décision de la Cour de cassation ;
3°/ qu'enfin, les dispositions de l'article L.113-1, I, 3° du Code électoral qui incriminent le dépassement par un candidat à une élection du plafond des dépenses électorales et celles de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 qui prévoient le prononcé d'une sanction financière par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) en cas de dépassement de ce même plafond « tendent à réprimer les mêmes faits qualifiés de manière identique » (Cons. constit., Décision n°2019-783 QPC du 17 mai 2019, cons. 11) ; qu'il s'ensuit que le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision de la CNCCFP a matériellement le même objet que celui qu'exerce le juge répressif lorsqu'il est saisi de poursuites fondées sur l'article L. 113-1, I, 3°, du Code électoral ; que, dès lors, en affirmant, pour dire que la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013 ne saurait s'imposer de manière absolue au juge pénal, que « la décision du Conseil constitutionnel se prononçant sur les comptes de campagne de [Z] [W] a un objet différent de celui des investigations menées par l'autorité judiciaire » (arrêt, p. 103, § 4), la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée, l'article 62 de la Constitution et l'article 6 du Code de procédure pénale. »
23. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable du délit d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, alors :
« 1°/ que d'une part, l'autorité de chose jugée qui s'attache aux décisions, même erronées, du Conseil constitutionnel statuant sur la régularité d'un compte de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle s'applique au regard des infractions prévues par l'article L. 113-1 du code électoral ; que, dès lors, en se fondant, pour déclarer M. [W] coupable du délit prévu par l'article L. 113, I, 3° du Code électoral, sur des dépenses qui n'avaient pas été intégrées à son compte de campagne par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2013-156 PDR du 4 juillet 2013, au motif – inopérant au regard de la portée de ce principe – que celles-ci avaient été dissimulées (arrêt, p. 190, § 8), la cour d'appel a violé l'autorité de chose jugée attachée à cette décision, l'article 62 de la Constitution et l'article L. 113, I, 3° du Code électoral. »
Réponse de la Cour
24. Les moyens sont réunis.
25. L'article 62 de la Constitution dispose, notamment, que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles.
26. Appréciant la portée de ce texte s'agissant du pouvoir confié par la Constitution au Conseil constitutionnel en matière de contrôle de conformité des lois, la Cour de cassation en a déduit que les décisions qu'il rend en cette matière ne s'imposent aux autorités juridictionnelles qu'en ce qui concerne le texte soumis à son examen (Ass. plén., 10 octobre 2001, pourvoi n° 01-84.922, Bull. civ., Ass. plén., n° 11).
27. L'article 3, III, de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ouvre au candidat concerné un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel contre les décisions de la CNCCFP.
28. La Cour de cassation juge que l'autorité de la chose jugée de la décision rendue par le Conseil constitutionnel en application de ce texte ne trouve à s'appliquer qu'au regard des infractions prévues par l'article L. 113-1 du code électoral sanctionnant l'absence de respect des obligations visées par ce texte et imposées à un candidat (Ass. plén., 13 mars 2020, pourvoi n° 19-86.609, publié au Bulletin).
29. Le Conseil constitutionnel juge que les répressions prévues en cas de dépassement du plafond de dépenses électorales par un candidat à l'élection présidentielle, d'une part, à l'article L. 113-1, I, 3°, du code électoral, d'autre part, à l'article 3, II, alinéas 1 et 2, de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, relèvent de corps de règles qui protègent des intérêts sociaux distincts aux fins de sanctions de nature différente (Cons. const., 17 mai 2019, décision n° 2019-783 QPC).
30. Il en résulte que, si les décisions du Conseil constitutionnel rendues en application du second de ces textes sont revêtues de l'autorité de la chose jugée, celle-ci ne s'impose au juge pénal saisi en application du premier qu'en ce qui concerne les dépenses sur lesquelles le Conseil constitutionnel a statué.
31. En l'espèce, pour écarter le moyen selon lequel, en raison de l'autorité absolue de la chose jugée découlant de l'article 62 de la Constitution, le juge pénal ne peut, postérieurement à une décision du Conseil constitutionnel sur la validation des comptes de campagne, retenir d'autres montants de dépassement que celui définitivement fixé par le Conseil constitutionnel, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que les dépenses dont la cour d'appel est saisie ne correspondent pas à celles qui ont été réintégrées par la CNCCFP et le Conseil constitutionnel dans le compte de campagne et visées dans leurs décisions.
32. Les juges relèvent qu'il en est notamment ainsi, d'une part, des fausses factures de la société [3] correspondant aux conventions fictives ou aux quatre événements surévalués pris en charge par l'[5] pour un montant de 16 247 000 euros, d'autre part, des dépenses correspondant au document intitulé certificat administratif, non inscrites dans le compte de campagne, représentant 3 500 000 euros.
33. Ils ajoutent que le tribunal correctionnel a constaté à juste titre que certaines dépenses, de montants importants, n'ont jamais été mentionnées au cours des échanges avec la CNCCFP et n'ont pas été réintégrées dans le compte de campagne par la suite, et, qu'à l'inverse, des dépenses réintégrées par le Conseil constitutionnel sont antérieures à la période de la prévention.
34. En l'état de ces seules énonciations, dont il résulte que les dépenses retenues par les juges pour entrer en voie de condamnation avaient été dissimulées tant à la CNCCFP qu'au Conseil constitutionnel, ce qui a par ailleurs justifié la condamnation de plusieurs prévenus du chef d'escroquerie pour avoir trompé ces deux institutions afin d'obtenir d'elles des décisions favorables, et abstraction faite de motifs erronés mais surabondants critiqués dans la deuxième branche du premier moyen, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens.
35. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
Sur le troisième moyen proposé pour M. [J]
Énoncé du moyen
36. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception d'illégalité du décret n° 2009-1730 du 30 décembre 2009 et a déclaré M. [J] coupable de complicité de financement illicite de campagne électorale, alors :
« 1°/ que d'une part, en rejetant l'exception d'illégalité du décret n°2009-1730 du 30 décembre 2009 dont elle était régulièrement saisie, sans s'expliquer sur la légalité de ce décret dont dépendait la solution du procès pénal qui lui était soumis (arrêt, p. 110, § 1), la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 111-5 et 121-6 du Code pénal, L. 52-11 et L. 113, I, 3° du Code électoral, 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que d'autre part, en rejetant l'exception d'illégalité du décret n°2009-1730 du 30 décembre 2009 aux motifs inopérants qu' « en discutant la référence à l'indice du coût de la vie, les conseils de [V] [J] critiquent davantage les dispositions de l'article L. 52-11 du code électoral » que ce décret, et qu'il ne lui appartient pas d'apprécier la constitutionnalité d'un texte de loi (arrêt, p. 110, §§ 6 et 7), sans rechercher si l'imprécision alléguée de ce critère légal d'actualisation du montant du plafond des dépenses électorales, dont dépend la caractérisation du délit objet des poursuites, n'était pas contraire au principe de légalité et à l'exigence de clarté de la loi pénale garantis par l'article 7 de la Convention européenne dont la violation était invoquée en substance devant elle, quand l'éventuelle inconventionnalité de ce texte aurait été de nature à entraîner l'illégalité du décret critiqué pris pour son application, dont l'objet est précisément de mettre en uvre ce critère d'actualisation imprécis, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 7 de la Convention européenne, 111-3, 111-5, 121-6 du Code pénal, L. 113-1, I, 3° et L. 52-11 du Code électoral et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
37. Pour rejeter l'exception d'illégalité du décret n° 2009-1730 du 30 décembre 2009, l'arrêt attaqué énonce que ce texte a été pris en application de l'article L. 52-11 du code électoral dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 2002, et non en application de celle entrée en vigueur le 1er septembre 1990 comme le soutiennent les avocats de M. [J].
38. Les juges ajoutent qu'en discutant la référence à l'indice du coût de la vie, les avocats du prévenu critiquent davantage les dispositions de l'article L. 52-11 du code électoral que le décret précité.
39. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée et qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, n'a pas méconnu les textes visés au moyen.
40. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième à sixième branches, et le troisième moyen, pris en sa première branche, proposés pour M. [W]
Énoncé des moyens
41. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable du délit d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, alors :
« 2°/ que d'autre part, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; que le délit prévu par l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral exige, pour être matériellement constitué, que les dépenses électorales ayant conduit au dépassement du plafond légal aient été engagées par le candidat ; que la cour d'appel a constaté que le candidat avait « confié l'organisation matérielle de sa campagne à une équipe logistique dirigée par [V] [J] » (arrêt, p. 195, § 9), qu'il a « personnellement choisi les personnes chargées d'organiser, sur le plan matériel, sa campagne et de régler les dépenses afférentes » (arrêt, p. 196, § 5) et qu'il « n'est pas reproché à [Z] [W] d'avoir engagé les dépenses » (arrêt, p. 202, § 2); qu'ayant ainsi établi que les actes de dépenses et d'organisation de la campagne électorale étaient commis par d'autres personnes que le candidat, la cour d'appel qui est cependant entrée en voie de condamnation à son encontre, a méconnu le principe de responsabilité du fait personnel ainsi que les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-1 du Code pénal, L 113-1 I 3° du Code électoral, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
3°/ que de troisième part, le délit de dépassement du plafond des dépenses électorales impose un acte positif d'engagement des dépenses dépassant le plafond légal et imputable au prévenu ; qu'en entrant en voie de condamnation en ce que M. [W] a « omis, en sa qualité de candidat, d'exercer un quelconque contrôle sur les dépenses » (arrêt, p. 202, § 11), ou encore qu'il en est le « bénéficiaire » (arrêt, p. 199, § 1), la cour d'appel n'a pas caractérisé un acte positif d'engagement des dépenses commis par le prévenu et a méconnu les dispositions susvisées ;
4°/ que de quatrième part, l'élément matériel du délit prévu par l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral consiste dans l'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond fixé en application de l'article L. 52-11 du même Code ; que, dès lors, en retenant que M. [W] avait dépassé ce plafond « à compter de l'organisation du meeting du 31 mars 2012 » (arrêt, p. 195, § 3) au motif inopérant qu'à cette date « le montant des dépenses afférentes à l'organisation des premiers meetings par la société [4], auquel il convient d'ajouter celui des principes dépenses électorales omises, s'élève à 10 605 414,40 euros » (arrêt, p. 195, § 2), sans établir que l'organisation de ce meeting avait conduit au dépassement du plafond légal fixé à la somme de 22 509 000 euros pour les candidats présents au second tour de l'élection présidentielle, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral, ensemble l'article L. 52-12 du même Code, le principe de légalité des délits et le principe d'interprétation stricte de la loi pénale énoncés respectivement par les articles 111-3 et 111-4 du Code pénal ;
5°/ qu'au demeurant, pour fixer à la somme de 10 154 860 euros le montant des dépenses à ne pas dépasser pour les meetings du premier tour (arrêt, p. 193, § 12) et retenir en conséquence que le délit reproché à M. [W] était matériellement caractérisé « à compter de l'organisation du meeting du 31 mars 2012 » ayant porté le montant total des dépenses à la somme de 10 695 414,40 euros (arrêt, p. 195, § 2 et §3), la cour d'appel, après avoir abaissé le plafond légal à la somme de 20 258 100 euros pour tenir compte de la marge d'erreur de 10% préconisée dans la note du 6 mars 2012 (arrêt, p. 192, § 14), a retenu que les réunions publiques représentaient environ 60% des dépenses, correspondant à un montant total à ne pas dépasser de 12 154 860 euros (arrêt, p. 193, § 1), auquel devait être retranchée la somme de 2 millions d'euros dans la mesure où il avait été « convenu », selon la même note, de réserver cette somme pour les seuls meetings du second tour (arrêt, p. 193,§ 4) ; qu'en se déterminant ainsi, lorsque le délit prévu par l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral ne doit s'apprécier qu'au regard du plafond légalement prévu, qui ne peut être abaissé par la juridiction pour quelque motif que ce soit, et des dépenses effectivement engagées par le candidat, et non des dépenses simplement budgétées, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral, ensemble le principe de légalité des délits et le principe d'interprétation stricte de la loi pénale énoncés par les articles 111-3 et 111-4 du Code pénal ;
6°/ qu'enfin, en retenant qu' « à compter du 31 mars 2012, chaque décision du candidat de procéder à un meeting supplémentaire, de même que la réalisation effective desdits meetings ( ) ont constitué autant d'actes matériels positifs de dépassement d'une infraction sans cesse renouvelée » (arrêt, p. 195, § 3), sans avoir préalablement établi qu'à la date du 31 mars 2012 le plafond légal des dépenses électorales autorisées avait été dépassé, la cour d'appel, pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de M. [W], s'est de fait fondée au moins en partie sur des dépenses électorales que celui-ci était en droit d'engager postérieurement à cette date ; qu'elle a par conséquent violé l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral. »
42. Le troisième moyen proposé critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable du délit d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, alors :
« 1°/ que d'une part, le délit prévu par l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral est un délit intentionnel qui requiert, pour être caractérisé, que le candidat à l'élection ait dépassé le plafond légal des dépenses électorales autorisées en connaissance de cause ; qu'en l'espèce, après avoir retenu en droit que ce délit « s'apprécie au regard d'éventuelles imprudences ou négligences du candidat » (arrêt, p. 199, § 8) qui, doté d'un pouvoir de direction et de contrôle sur ses collaborateurs, doit veiller à l'application du plafond par ses équipes (arrêt attaqué, p. 199, § 9), et qu'il existe donc « une quasi-présomption de responsabilité du candidat » en cette matière (arrêt, p. 199, § 7), la cour d'appel, pour déclarer M. [W] coupable de ce délit, a énoncé, après lui avoir nié le droit d'invoquer une erreur de fait en affirmant qu'il « ne peut se retrancher derrière la non-connaissance des comptes » (arrêt, p. 202, § 3) compte tenu de l'obligation de vigilance qui lui incombait, qu'il a «volontairement omis, en sa qualité de candidat, d'exercer un quelconque contrôle sur les dépenses » (arrêt, p. 202, § 11); qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a envisagé le délit susvisé comme un délit purement matériel consommé par le seul dépassement du plafond légal des dépenses électorales autorisées, celui-ci résulterait-il d'une simple négligence, a méconnu le sens et la portée des articles L. 113-1, I, 3° du Code électoral et 121-3 du Code pénal, et a retenu une interprétation de ce texte contraire au principe de la présomption d'innocence garanti par les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et préliminaire du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
43. Les moyens sont réunis.
44. Pour déclarer M. [W] coupable du délit de financement illégal de campagne électorale, l'arrêt attaqué énonce qu'il a lui-même choisi les personnes chargées d'organiser, sur le plan matériel, sa campagne et de régler les dépenses afférentes.
45. Les juges ajoutent que M. [J], désigné comme directeur de campagne, a déclaré que M. [W] a, dans les faits, dirigé la campagne, décidant non seulement du format mais aussi du nombre et du lieu des meetings et que ce dernier a reconnu avoir décidé de faire un événement par jour, ces événements, même de taille réduite, s'étant accompagnés de location de salles, avec des contraintes et majorations financières dictées par la précipitation.
46. Ils retiennent encore qu'il n'était pas nécessaire que le candidat donne son accord exprès et préalable pour chaque dépense ou que des factures ou un budget prévisionnel lui soient soumis dès lors qu'il était suffisamment informé pour comprendre le risque de surcoût et, qu'étant présent sur tous les événements, il était à même de mesurer le coût des prestations.
47. Ils en concluent que le prévenu a décidé et approuvé les dépenses litigieuses et qu'il en a tiré profit, de sorte qu'elles ont été faites pour son compte, au sens de l'article L. 52-12 du code électoral.
48. S'agissant de l'élément intentionnel, l'arrêt attaqué relève que, dès lors qu'il est doté d'un pouvoir de direction et de contrôle des collaborateurs choisis pour le seconder dans l'organisation et le déroulement de la campagne, le candidat doit veiller à l'application par ses équipes des dispositions relatives au plafond de dépenses et, à tout le moins, s'abstenir de donner des instructions tendant au dépassement de celui-ci.
49. Les juges retiennent que M. [W], qui avait déjà conduit une campagne présidentielle, exercé de nombreuses fonctions électives et gouvernementales et dirigé l'[5], et avait connaissance du plafond des dépenses, a déclaré, devant tant le tribunal correctionnel que la cour d'appel, que donner des instructions pour ne pas dépasser le plafond des dépenses n'était pas sa priorité.
50. Ils ajoutent que M. [W] a été averti par écrit, tout d'abord, du risque de dépassement et, ensuite, du dépassement effectif du plafond légal pour le premier tour qui s'est tenu le 22 avril 2012, et ce par deux notes des 7 mars et 26 avril 2012 rédigées par l'un des associés du cabinet d'expertise-comptable, dont il a admis avoir eu connaissance, et qui l'informaient du montant précis des dépenses déjà engagées et du risque avéré de dépassement du plafond.
51. Ils constatent que, malgré la première note du 7 mars 2012, dont l'auteur a confirmé qu'elle avait valeur d'alerte et qui tenait compte à la fois des dépenses déjà engagées et des dépenses à venir ou prévisionnelles, M. [W], loin de donner des instructions pour éviter le dépassement du plafond, a, au contraire, fixé des directives afin d'organiser un nouveau meeting, puis pour en porter le rythme jusqu'à un par jour.
52. Ils relèvent encore que la seconde note, nominativement adressée à M. [W], faisait état d'un dépassement du plafond de dépenses fixé pour le premier tour de l'élection déjà constaté à cette date.
53. Ils observent que malgré cette nouvelle note, sept meetings ont encore été organisés, ainsi que des soirées électorales.
54. La cour d'appel retient enfin que M. [W] a admis ne pas avoir imparti d'objectif précis à son directeur de campagne et a par ailleurs reconnu devant le juge d'instruction que le montant élevé des dépenses lui avait été opposé à maintes reprises.
55. Elle en déduit qu'il ne pouvait ignorer ni l'accumulation des dépenses, qu'il aurait pu pourtant endiguer à temps, ni les conséquences inéluctables de celles-ci, sur lesquelles il avait la maîtrise.
56. En l'état de ces seules énonciations, déduites de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, dont il résulte que M. [W] a donné personnellement son accord pour que ses collaborateurs engagent pour son compte des dépenses de campagne, en sachant que le montant total de celles-ci dépasserait le plafond prévu par la loi, la cour d'appel, qui a mis en évidence des actes positifs imputables personnellement au prévenu, et a caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, a justifié sa décision.
57. Par ailleurs, les quatrième, cinquième et sixième branches du deuxième moyen, qui critiquent des motifs surabondants en ce que, d'une part, ils ne remettent en cause ni le principe ni le montant du dépassement, d'autre part, ils fixent une date à partir de laquelle le plafond de dépenses a commencé à être dépassé, alors qu'une telle date est par elle-même sans conséquence pénale dès lors qu'il suffit que le dépassement ait été constaté à l'issue de la campagne électorale, sont inopérantes.
58. Par conséquent, les moyens doivent être écartés.
Sur le cinquième moyen proposé pour M. [J]
Énoncé du moyen
59. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [J] coupable du délit d'usage de faux, alors :
« 1°/ que d'une part, le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs ; que dès lors, en déclarant M. [J] coupable d'usage de faux aux motifs inopérants qu'en sa qualité de directeur de campagne il avait apposé son visa sur l'engagement de dépenses correspondant au premier meeting du second tour et que l'absence de visa relatif aux engagements suivants n'est pas incompatible avec une utilisation des factures falsifiées (arrêt, p. 151, § 4 et § 5), sans caractériser un fait positif d'utilisation de ces fausses factures qui serait imputable au prévenu, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 441-1 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que d'autre part, la présomption d'innocence implique que la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante et que le doute doit profiter au prévenu ; qu'en affirmant, pour déclarer M. [J] coupable d'usage de faux pour un ensemble de factures falsifiées de la société [4] à hauteur d'un montant de dépenses de 22 558 497, 85 euros, que si son visa n'a plus figuré sur les engagements de dépenses postérieurs à celui du premier meeting du second tour, « cette omission ( ) n'est pas incompatible avec une utilisation des factures falsifiées par la suite « au fil de l'eau », qui ne nécessitait pas l'apposition du visa » (arrêt attaqué, p. 151, § 5), la cour d'appel s'est fondée sur des motifs hypothétiques et a violé le principe de la présomption d'innocence tel qu'il est garanti par les articles préliminaire du Code de procédure pénale et 6§2 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
3°/ que de troisième part, en se fondant, pour déclarer M. [J] coupable d'usage de faux, sur la circonstance qu'il « était partie prenante au processus d'engagement des dépenses de l'AFCNS et ( ) l'ordonnateur de ces dépenses » (arrêt attaqué, p. 151, § 5), sans mieux expliquer, comme elle y était pourtant invitée par les conclusions régulièrement déposées devant elle qui faisaient valoir d'une part, que les factures litigieuses n'avaient elles-mêmes jamais été communiquées à M. [J], ce dont il se déduisait qu'il n'avait pu en faire usage, d'autre part, que ces factures relevaient du processus d'engagement des dépenses de l'[5], à l'ordre de laquelle elles étaient libellées et à laquelle elles étaient adressées, et non du processus d'engagement des dépenses de l'AFCNS, enfin, qu'une partie importante de ces factures avaient été élaborées par la société [4] postérieurement à la campagne présidentielle, alors que M. [J] avait cessé ses fonctions de directeur de campagne, en quoi la participation de M. [J] au processus d'engagement des dépenses de l'AFCNS impliquait nécessairement de sa part un fait positif d'utilisation des fausses factures d'Event, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 313-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ;
4°/ qu'à tout le moins, en déclarant M. [J] coupable d'avoir fait usage de l'ensemble des factures falsifiées de la société [4], y compris de celles qui n'ont pas été comptabilisées dans le compte de campagne de M. [W], à savoir les factures adressées à l'[5] correspondant à des conventions fictives ou à des événements internes à ce parti politique, sans établir un fait positif d'utilisation de ces factures qui lui serait imputable, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 441-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ;
5°/ qu'enfin, le délit d'usage de faux est un délit intentionnel qui suppose que soit caractérisée la connaissance de la fausseté du document utilisé; qu'en se bornant à relever que M. [J] « avait tous les moyens légaux et matériels pour déceler la fraude » (arrêt, p. 151, § 11), sans constater sa connaissance du caractère minoré des factures relatives aux meetings de campagne, du caractère surévalué des factures relatives aux événements internes à l'[5] et de l'existence de factures correspondant à des conventions fictives de ce parti politique, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 441-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
60. Pour déclarer M. [J] coupable d'usage de faux pour un ensemble de factures falsifiées à hauteur d'un montant de dépenses de 22 558 497,85 euros, l'arrêt attaqué énonce que le fait positif imputable au prévenu est démontré par ses fonctions et son nom figurant sur le formulaire d'engagement de dépenses de l'AFCNS trouvé en perquisition, ainsi que par l'apposition de son visa sur un engagement de dépenses correspondant au premier meeting du second tour.
61. Les juges ajoutent que si son visa n'a plus figuré sur les engagements suivants, cette omission n'est pas incompatible avec une utilisation des factures falsifiées par la suite, qui ne nécessitait pas l'apposition du visa, M. [J] étant partie prenante au processus d'engagement des dépenses de l'AFCNS dont il était l'ordonnateur.
62. Ils retiennent que, s'agissant de l'élément intentionnel, M. [J], qui avait tous les moyens légaux et matériels pour déceler la fraude, a fait le choix d'y participer activement, puis de ne pas la dénoncer et de la faire perdurer, en prenant la précaution de ne plus apposer son visa, mais en utilisant sciemment les factures falsifiées dans le processus d'ordonnancement dont il était responsable.
63. Ils relèvent encore que la cellule de vigilance budgétaire, dont il a revendiqué l'instauration, a été le moyen de l'usage collectif des faux par les participants à la fraude membres de cette cellule.
64. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
65. En effet, en premier lieu, elle a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, considéré que le visa apposé par M. [J] sur le formulaire d'engagement de dépenses était constitutif d'un usage des fausses factures associées à ce formulaire dès lors qu'il déterminait leur paiement.
66. En deuxième lieu, elle a retenu qu'il résultait des fonctions exercées par M. [J] dans la campagne et de sa position d'ordonnateur de fait des dépenses que l'approbation par celui-ci du paiement des fausses factures associées découlait de la seule mention de son nom sur le formulaire d'engagement de dépenses, nonobstant l'absence formelle de son visa sur ledit formulaire.
67. Enfin, elle a déduit, d'une part, du rôle qu'il a tenu dans la conception et la mise en oeuvre de la fraude, qui nécessitait d'assurer le paiement des fausses factures destinées tant à l'AFCNS qu'à l'[5], d'autre part, de sa participation à la cellule de vigilance budgétaire qu'il avait lui-même mise en place, que M. [J] a sciemment participé à l'usage de l'ensemble des fausses factures.
68. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
Sur le sixième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour
M. [J]
Énoncé du moyen
69. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [J] coupable de complicité d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, alors :
« 2°/ que d'autre part, la complicité légale n'existe qu'autant qu'il y a un fait principal punissable ; que la cassation à intervenir sur le pourvoi formé par M. [W] déclaré coupable d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, entraînera, faute de fait principal punissable, l'annulation par voie de conséquence du chef de dispositif de l'arrêt ayant déclaré M. [J] coupable de ce délit. »
Réponse de la Cour
70. Compte tenu du rejet des deuxième et troisième moyens proposés pour M. [W], le grief ne peut qu'être écarté.
Sur le sixième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [J], et le septième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [T]
Énoncé des moyens
71. Le moyen proposé pour M. [J] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, alors :
« 3°/ qu'en outre, nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que la complicité requiert l'accomplissement d'un acte positif ; que, dès lors, en se fondant, pour déclarer M. [J] complice du délit de financement illégal de campagne électorale reproché à M. [W], sur sa présence aux réunions hebdomadaires en sa qualité de directeur de campagne et sur de prétendus manquements aux obligations qui lui auraient incombé en cette qualité, sans établir sa participation personnelle active aux actes de complicité reprochés, la cour d'appel a violé les articles 121-1 et 1217 du Code pénal. »
72. Le moyen proposé pour M. [T] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de financement illégal de campagne électorale, alors :
« 3°/ enfin que seule l'aide ou l'assistance apportée en connaissance de cause à l'auteur du délit de financement illégal de campagne électorale, même par l'intermédiaire d'un autre complice, peut constituer la complicité incriminée par l'article 121-7 du code pénal ; que pour retenir la culpabilité de M. [T] du chef de complicité de financement illégal de campagne électorale, la cour d'appel affirme qu'il importe peu qu'il n'ait « participé ni à l'établissement du compte de campagne, ni à son dépôt auprès de la CNCCFP » (arrêt p. 209 §3), dans la mesure où il a été désigné par M. [X] comme « si ce n'est le concepteur de la fraude, en tout cas son vecteur et son porte-parole » (arrêt p. 209 §4), et que sa présence dans les meetings comme dans les locaux de l'[5] lui procurait « un positionnement essentiel pour prendre conscience de la fraude et de ses conséquences, certes bénéfiques pour le candidat » (arrêt p. 209 §5) ; qu'elle ajoute que « sans son aide et son assistance, [Z] [W] n'aurait pas disposé d'informations concrètes sur la « jauge » des salles pour les événements, que ce soit meetings ou réunions publiques, sur les relais avec les fédérations locales, sur la mobilisation des militants. Ces informations ont été données en parallèle du déroulement de la fraude, dont [B] [T] assurait la pérennité grâce aux signatures de toute une série de faux écrits, y compris ceux afférents aux meetings de campagne » (arrêt p. 209 §6) ; qu'en justifiant ainsi la culpabilité du prévenu des seules accusations de M. [X] particulièrement sujettes à caution, et de sa présence dans les meetings comme dans les locaux de l'[5], aux fins de mobilisation des militants, sans qu'aucun élément objectif et tangible ne permette d'établir une quelconque volonté de sa part de s'associer d'une quelconque manière au délit de financement illégal de campagne, la signature des devis et de formulaires d'expression des besoins qui lui était seule reprochée, très en amont de l'établissement et du dépôt du compte de campagne, n'ayant eu aucune incidence sur le paiement des dépenses litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 121-7 du code pénal, L. 113-1 3° du code électoral, et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la cour
73. Les moyens sont réunis.
74. Pour déclarer M. [J] coupable de complicité de financement illégal de campagne électorale, l'arrêt attaqué et le jugement qu'il confirme énoncent, notamment, que celui-ci a participé aux réunions hebdomadaires de campagne, qu'il dirigeait, lors desquelles ont été évoquées les notes d'alerte des 7 mars et 26 avril 2012, et qu'il avait accès aux mêmes données chiffrées que les autres participants aux réunions.
75. Les juges observent qu'en raison de cette qualité de directeur de campagne, M. [J] était au contact direct du candidat et pouvait s'opposer à la commission de l'infraction principale.
76. Ils ajoutent qu'il avait connaissance du schéma de fausse facturation, qu'il a accepté le principe de dépenses sous-évaluées, corrélatif de l'organisation d'un nombre de meetings nettement supérieur aux prévisions initiales, et que, ce faisant, il a permis que la campagne se poursuive et que de nouvelles dépenses électorales soient engagées, nonobstant les deux notes d'alerte précitées.
77. Ils en concluent que M. [J] a sciemment apporté son aide et son assistance au dépassement illégal du plafond de dépenses commis par M. [W].
78. Pour déclarer M. [T] coupable de complicité de financement illégal de campagne électorale, l'arrêt attaqué et le jugement qu'il confirme énoncent que celui-ci a participé à un système de fausse facturation destiné à dissimuler le dépassement du plafond des dépenses électorales et a en outre validé des engagements de dépenses électorales supplémentaires.
79. Les juges rappellent que M. [T] a été désigné par M. [X] comme un élément clé du dispositif, dont il aurait été, si ce n'est le concepteur, du moins le vecteur.
80. Ils le décrivent comme un acteur de la fraude, dont il assurait la pérennité par le moyen de faux écrits, afférents notamment aux meetings, et retiennent que l'escroquerie qu'il a commise par ailleurs aux fins de tromper la CNCCFP et le Conseil constitutionnel a servi au dépassement du plafond de dépenses par le candidat.
81. Ils ajoutent que le prévenu était présent à la fois dans les locaux de l'[5] et dans les meetings, ce qui lui procurait un positionnement essentiel pour prendre conscience de la fraude et de ses conséquences.
82. Ils retiennent enfin que M. [T], compte tenu de sa position incontournable à la fois dans l'organisation de la campagne et au sein de l'[5], avait la possibilité d'alerter M. [W] plutôt que d'augmenter les dépenses, ce dont il s'est abstenu.
83. En l'état de ces motifs, qui caractérisent la participation personnelle active des prévenus aux faits reprochés et traduisent leur volonté de s'associer aux agissements ayant abouti au dépassement du plafond des dépenses électorales, la cour d'appel a justifié sa décision.
84. Ainsi, les moyens, qui reviennent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis.
Sur le septième moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposé pour M. [T]
Énoncé du moyen
85. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [T] coupable de complicité de financement illégal de campagne électorale, alors :
« 1°/ d'une part que la cassation à intervenir sur le quatrième comme sur le cinquième moyen de cassation privera de tout fondement la déclaration de culpabilité de M. [T] du chef de complicité de financement illégal de campagne électorale dès lors que cette qualification ne pouvait être cumulée avec le délit de complicité d'escroquerie, et qu'en tout état de cause, l'acte de complicité reproché à M. [T], strictement identique, pour l'une et l'autre qualifications - à savoir la signature de devis non communiqués à la NCCFP, comme la signature de l'engagement de dépenses du 26 avril 2012 -, étaient insusceptibles de faciliter le délit de financement illégal de campagne, faute de pouvoir avoir une incidence sur le paiement des dépenses litigieuses ;
2°/ d'autre part que la complicité suppose un fait principal punissable ; que la cassation susceptible d'intervenir sur les dispositions de l'arrêt ayant déclaré M. [Z] [W] coupable de financement illégal suite au pourvoi qu'il a formé à l'encontre de l'arrêt attaqué entraînera nécessairement la cassation de l'arrêt en ses dispositions relatives à la culpabilité de M. [T] du chef de complicité de ce délit. »
Réponse de la cour
86. Compte tenu du rejet des premier, deuxième et troisième moyens proposés pour M. [W], et de la non-admission des quatrième et cinquième moyens proposés pour M. [T], les griefs ne peuvent qu'être écartés.
Sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [W]
Énoncé du moyen
87. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [W] à la peine d'un an d'emprisonnement dont six mois assortis du sursis, alors :
« 2°/ que d'autre part, en retenant que la peine d'un an d'emprisonnement dont six mois ferme prononcée à l'encontre de M. [W] était justifiée au regard notamment du « montant des sommes constitutives du dépassement, soit plus de 19 millions d'euros » (arrêt, p. 214, § 6), lorsqu'elle ne pouvait, sans violer l'autorité de chose jugée de la décision du Conseil constitutionnel n°2013-156 PDR du 4 juillet 2013 qui avait fixé à la somme de 466 118 euros le montant du dépassement du plafond des dépenses électorales autorisées (cons. 22), fonder son appréciation sur un montant de dépassement supérieur à celui qui résultait de cette décision qui s'imposait à elle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1, 132-19 du Code pénal, 464-2 et 485-1 du Code de procédure pénale et du principe de l'autorité de la chose jugée. »
Réponse de la cour
88. Compte tenu du rejet du premier moyen proposé pour M. [W], le moyen ne peut qu'être écarté.
89. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt-cinq.
N° 01455
RB5
26 NOVEMBRE 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 NOVEMBRE 2025
MM. [V] [J], [B] [T], [L] [E] et [Z] [W] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 14 février 2024, qui a condamné, le premier, pour usage de faux, escroquerie et complicité de financement illégal de campagne électorale, à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis et cinq ans d'inéligibilité, les deuxième et troisième, pour usage de faux, complicité d'escroquerie, abus de confiance et complicité de financement illégal de campagne électorale, à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis et cinq ans d'inéligibilité, et le quatrième, pour financement illégal de campagne électorale, à un an d'emprisonnement dont six mois avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [V] [J], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [B] [T], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [L] [E], les observations de la SCP Spinosi et la SCP Piwnica et Molinié, avocats de M. [Z] [W], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 8 octobre 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, M. Samuel, Mme Piazza, M. de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, M. Vouaux, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, M. Gillis, Mmes Chafaï, Bloch, conseillers référendaires, Mme Viriot-Barrial, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces soumises à l'examen de la Cour de cassation ce qui suit.
2. M. [Z] [W], candidat présent aux deux tours de l'élection présidentielle de 2012, a déposé son compte de campagne auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).
3. Par décision du 19 décembre 2012, cette commission a réformé et rejeté ce compte de campagne, considérant que le montant réel des dépenses excédait de 363 615 euros le plafond des dépenses autorisées par la loi.
4. M. [W] a formé un recours contre cette décision devant le Conseil constitutionnel, qui, par décision du 4 juillet 2013, a confirmé le rejet du compte et retenu qu'il s'établissait en recettes à 23 094 932 euros et en dépenses à 22 975 118 euros, excédant de 466 118 euros le plafond autorisé.
5. Le 5 mars 2014, une enquête préliminaire a été ouverte à la suite de la publication d'un article de presse évoquant des soupçons de fausse facturation entre la société [4] (la société [3]), filiale de la société [2], organisatrice des meetings de la campagne, et l'[5] ([5]), parti politique soutenant M. [W].
6. Une information a été ouverte le 27 juin 2014, à l'issue de laquelle le juge d'instruction a renvoyé quatorze personnes physiques et une personne morale devant le tribunal correctionnel des chefs notamment de financement illégal de campagne électorale et complicité, faux et usage, abus de confiance, escroquerie et complicité.
7. Il était reproché en substance à des membres de l'équipe de campagne de M. [W] ainsi qu'à des membres de l'[5] et des dirigeants des sociétés [2] et [3] d'avoir agi de façon à permettre au candidat de dépasser le plafond légal de dépenses en faisant assumer l'excédent de celles-ci par l'[5] tout en dissimulant le montant réel de ces dépenses à la CNCCFP afin d'éviter le rejet du compte de campagne.
8. Ainsi, des dépenses auraient été payées à la société [3], non par le mandataire financier du candidat, en l'espèce l'[1] de [Z] [W] 2012 ([1]), mais par l'[5], sous couvert de factures soit surévaluées, soit totalement fictives, censées correspondre à des conventions ou autres événements non considérés comme des dépenses électorales.
9. Par ailleurs, la société [3] aurait établi des factures minorées pour des dépenses électorales destinées à être inscrites au compte de campagne, notamment les meetings.
10. Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal correctionnel a, notamment, condamné M. [V] [J], directeur de la campagne électorale de M. [W], pour escroquerie et complicité d'engagement par candidat de dépenses électorales dépassant le plafond légal, à trois ans et six mois d'emprisonnement, dont deux ans avec sursis, M. [B] [T], directeur général des services de l'[5], pour complicité d'escroquerie, abus de confiance et complicité d'engagement par candidat de dépenses électorales dépassant le plafond légal, à trois ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis, et cinq ans d'inéligibilité, M. [L] [E], directeur de la communication et des nouveaux médias de l'[5] et directeur adjoint de cabinet du secrétaire général de ce parti, pour complicité d'escroquerie, abus de confiance et complicité d'engagement par candidat de dépenses électorales dépassant le plafond légal, à trois ans d'emprisonnement, dont deux ans avec sursis, et cinq ans d'inéligibilité, et M. [W], pour engagement par candidat de dépenses électorales dépassant le plafond légal, à un an d'emprisonnement. Le tribunal a également prononcé sur les intérêts civils.
11. Les prévenus, le ministère public et certaines parties civiles ont fait appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, et le quatrième moyen, pris en ses première et troisième branches, proposés pour M. [W], les deuxième et quatrième moyens, le sixième moyen, pris en ses première et quatrième branches, et le septième moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, proposés pour M. [J], les deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, huitième et neuvième moyens proposés pour M. [T], les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, septième et huitième moyens proposés pour M. [E]
12. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [J]
Énoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [J] coupable d'escroquerie, d'usage de faux et de complicité de financement illégal de campagne électorale, alors :
« 1°/ que d'une part, la chambre des appels correctionnels est composée d'un président de chambre et de deux conseillers ; que si les magistrats supplémentaires désignés par le président assistent aux débats, ils ne peuvent y participer, sauf dans le cas où ils remplacent un magistrat du siège composant la juridiction qui serait empêché de suivre les débats jusqu'au prononcé de la décision ; qu'en l'espèce, il ressort des notes d'audiences que Mme Chaulet, magistrat désigné comme assesseur supplémentaire (arrêt, p. 7), a participé activement aux débats en interrogeant des prévenus et un témoin alors que ni le président ni les deux assesseurs composant la juridiction n'était empêché ; que la cour d'appel a par conséquent violé les articles 398, 442, 442-1, 510, 512 et 592 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. Dès lors que l'assesseur supplémentaire désigné pour compléter le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 398, alinéa 2, du code de procédure pénale peut être appelé à remplacer à tout moment un des magistrats du siège qui serait empêché, il est légalement investi au cours des débats de tous les droits que le code de procédure pénale confère aux juges correctionnels.
15. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, proposé pour M. [J], le premier moyen proposé pour M. [T] et le sixième moyen proposé pour M. [E]
Énoncé des moyens
16. Le moyen proposé pour M. [J] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable d'escroquerie, d'usage de faux et de complicité de financement illégal de campagne électorale, alors :
« 2°/ que d'autre part, les décisions sont déclarées nulles lorsqu'elles ne sont pas rendues par le nombre de juges prescrit ; que la chambre des appels correctionnels est composée d'un président de chambre et de deux conseillers ; qu'en l'espèce, il résulte des mentions circonstanciées de l'arrêt attaqué qui ne sauraient être contredites par la seule mention stéréotypée selon laquelle la décision a été « rendue après en avoir délibéré conformément à la loi » (arrêt, p. 63), que la cour était composée « lors des débats et du délibéré » de Mme Chammboncel-Saligue, président, Mme Bamberger et Mme Picardat, conseillers, et Mme Chaulet, magistrat honoraire désigné comme assesseur supplémentaire (arrêt, p. 7) ; que cet arrêt viole par conséquent les articles 398, 510, 512, 591 et 592 du Code de procédure pénale ;
3°/ qu'en tout état de cause, tout jugement ou arrêt doit établir la régularité de la composition de la juridiction qui l'a rendu ; qu'en l'espèce, après avoir mentionné que la cour était composée « lors des débats et du délibéré » de Mme Chammboncel-Saligue, président, Mme Bamberger et Mme Picardat, conseillers, et Mme Chaulet, magistrat honoraire désigné comme assesseur supplémentaire (arrêt, p. 7), l'arrêt indique qu'il a été rendu « après en avoir délibéré conformément à la loi » (arrêt, p. 62) ; qu'en l'état de ces mentions contradictoires de l'arrêt attaqué, la Cour de cassation n'est pas en mesure de s'assurer de la régularité de la composition de la juridiction qui l'a rendu. »
17. Le moyen proposé pour M. [T] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable des chefs d'usage de faux, d'abus de confiance, de complicité d'escroquerie et de complicité de financement illégal de campagne électorale, après avoir indiqué que la cour d'appel comprenait lors des débats et du délibéré Mme [K] [P], désignée par ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris du 7 novembre 2023, alors « que tout arrêt doit faire la preuve par lui-même de la composition légale de la juridiction dont il émane ; que les magistrats supplémentaires désignés pour compléter la juridiction répressive ne peuvent pas participer au délibéré ; qu'en énonçant que la cour d'appel était composée, non seulement lors des débats, mais aussi lors du délibéré, de Mme [P] qui avait été désignée par ordonnance du 7 novembre 2023 pour compléter la cour en qualité d'assesseur supplémentaire, la cour d'appel a violé les articles 398, 510, 512 591 et 592 du code de procédure pénale. »
18. Le moyen proposé pour M. [E] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a énoncé que la cour d'appel était composée lors des débats et du délibéré de Mme Chamboncel-Saligue, président, de Mme Bamberger et de Mme Picardat, conseillers, et de Mme [P], désignée comme assesseur supplémentaire, alors « que les décisions rendues par les cours d'appel qui sont composées d'un président et de deux conseillers, sont déclarées nulles lorsqu'elles n'ont pas été rendues par le nombre de juges prescrits ; que la cour d'appel était composée « lors des débats et du délibéré » par Mme Chammboncel-Saligue, président, Mme Bamberger et Mme Picardat, conseillers, et Mme Chaulet, magistrat honoraire désigné comme assesseur supplémentaire ; que dès lors la cour d'appel a méconnu les articles 398, 510, 512, 591 et 592 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
19. Les moyens sont réunis.
20. L'arrêt attaqué, après avoir indiqué que la cour d'appel était composée lors des débats et du délibéré de Mme Chamboncel-Saligue, président, de Mmes Bamberger et Picardat, conseillers, de Mme Chaulet, magistrat honoraire désigné comme assesseur supplémentaire par ordonnance du premier président de la cour d'appel en date du 7 novembre 2023, mentionne, au début de sa motivation, que la décision a été rendue après que la cour a délibéré conformément à la loi, et, dans son dispositif, que la cour d'appel a statué après en avoir délibéré régulièrement, ce qui suffit à établir que l'assesseur qui a assisté aux débats en application de l'article 398, alinéa 2, du code de procédure pénale n'a ni assisté ni participé au délibéré.
21. Dès lors, les moyens ne sont pas fondés.
Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa première branche, proposés pour M. [W]
Énoncé des moyens
22. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception prise de l'autorité de chose jugée attachée à la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013 et de l'application du principe ne bis in idem, alors :
« 1°/ que d'une part, l'autorité de chose jugée qui s'attache aux décisions, même erronées, du Conseil constitutionnel statuant sur la régularité d'un compte de campagne d'un candidat à une élection s'oppose à ce que des poursuites pénales soient ensuite engagées contre ce candidat sur le fondement de l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral, sanctionnant le dépassement du plafond des dépenses électorales, à raison de dépenses qui n'ont pas été intégrées au compte de campagne par le Conseil constitutionnel ; que, dès lors, en retenant, pour rejeter l'exception de nullité prise de l'autorité de chose jugée attachée à la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013 qui a fixé à la somme de 22 975 118 euros le montant des dépenses électorales engagées par M. [W] pour la campagne présidentielle de 2012, et dire que le montant de ces dépenses devait être fixé à la somme d'au moins 42,722 millions d'euros, que cette décision était dépourvue de l'autorité de chose jugée « s'agissant des dépenses dissimulées » et qu'elle ne s'imposait aux juridictions judiciaires que « pour les dépenses qui ont été soumises à cette instance » (arrêt, p. 103, § 2), lorsque, même à la supposée avérée, la dissimulation de certaines dépenses au Conseil constitutionnel ne pouvait conduire à remettre en cause l'autorité de chose jugée absolue attachée à sa décision, laquelle n'est susceptible d'aucun recours et ne peut faire l'objet d'un réexamen par l'autorité judiciaire, quand bien même celle-ci aurait connaissance d'éléments qui étaient inconnus du Conseil constitutionnel, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de chose jugée, l'article 62 de la Constitution et l'article 6 du Code de procédure pénale ;
2°/ que d'autre part, en affirmant, pour rejeter l'exception prise de l'autorité de chose jugée de la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013, que, dans son arrêt du 1er octobre 2019 (pourvoi n°18-86.428), la Cour de cassation avait statué dans le sens de l'absence d'autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel sur les comptes de campagne s'agissant des dépenses dissimulées, lorsque, par cet arrêt, la Chambre criminelle, faisant application des dispositions de l'article 574 du Code de procédure pénale encadrant la recevabilité des pourvois formés contre des arrêts de renvoi devant le tribunal correctionnel, s'est bornée à déclarer irrecevable le pourvoi formé par M. [W] après avoir constaté que « l'arrêt attaqué, rendu sur l'appel d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, ne comporte aucune disposition définitive s'imposant à cette juridiction », la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de cette décision de la Cour de cassation ;
3°/ qu'enfin, les dispositions de l'article L.113-1, I, 3° du Code électoral qui incriminent le dépassement par un candidat à une élection du plafond des dépenses électorales et celles de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 qui prévoient le prononcé d'une sanction financière par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) en cas de dépassement de ce même plafond « tendent à réprimer les mêmes faits qualifiés de manière identique » (Cons. constit., Décision n°2019-783 QPC du 17 mai 2019, cons. 11) ; qu'il s'ensuit que le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision de la CNCCFP a matériellement le même objet que celui qu'exerce le juge répressif lorsqu'il est saisi de poursuites fondées sur l'article L. 113-1, I, 3°, du Code électoral ; que, dès lors, en affirmant, pour dire que la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013 ne saurait s'imposer de manière absolue au juge pénal, que « la décision du Conseil constitutionnel se prononçant sur les comptes de campagne de [Z] [W] a un objet différent de celui des investigations menées par l'autorité judiciaire » (arrêt, p. 103, § 4), la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée, l'article 62 de la Constitution et l'article 6 du Code de procédure pénale. »
23. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable du délit d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, alors :
« 1°/ que d'une part, l'autorité de chose jugée qui s'attache aux décisions, même erronées, du Conseil constitutionnel statuant sur la régularité d'un compte de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle s'applique au regard des infractions prévues par l'article L. 113-1 du code électoral ; que, dès lors, en se fondant, pour déclarer M. [W] coupable du délit prévu par l'article L. 113, I, 3° du Code électoral, sur des dépenses qui n'avaient pas été intégrées à son compte de campagne par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2013-156 PDR du 4 juillet 2013, au motif – inopérant au regard de la portée de ce principe – que celles-ci avaient été dissimulées (arrêt, p. 190, § 8), la cour d'appel a violé l'autorité de chose jugée attachée à cette décision, l'article 62 de la Constitution et l'article L. 113, I, 3° du Code électoral. »
Réponse de la Cour
24. Les moyens sont réunis.
25. L'article 62 de la Constitution dispose, notamment, que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles.
26. Appréciant la portée de ce texte s'agissant du pouvoir confié par la Constitution au Conseil constitutionnel en matière de contrôle de conformité des lois, la Cour de cassation en a déduit que les décisions qu'il rend en cette matière ne s'imposent aux autorités juridictionnelles qu'en ce qui concerne le texte soumis à son examen (Ass. plén., 10 octobre 2001, pourvoi n° 01-84.922, Bull. civ., Ass. plén., n° 11).
27. L'article 3, III, de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ouvre au candidat concerné un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel contre les décisions de la CNCCFP.
28. La Cour de cassation juge que l'autorité de la chose jugée de la décision rendue par le Conseil constitutionnel en application de ce texte ne trouve à s'appliquer qu'au regard des infractions prévues par l'article L. 113-1 du code électoral sanctionnant l'absence de respect des obligations visées par ce texte et imposées à un candidat (Ass. plén., 13 mars 2020, pourvoi n° 19-86.609, publié au Bulletin).
29. Le Conseil constitutionnel juge que les répressions prévues en cas de dépassement du plafond de dépenses électorales par un candidat à l'élection présidentielle, d'une part, à l'article L. 113-1, I, 3°, du code électoral, d'autre part, à l'article 3, II, alinéas 1 et 2, de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, relèvent de corps de règles qui protègent des intérêts sociaux distincts aux fins de sanctions de nature différente (Cons. const., 17 mai 2019, décision n° 2019-783 QPC).
30. Il en résulte que, si les décisions du Conseil constitutionnel rendues en application du second de ces textes sont revêtues de l'autorité de la chose jugée, celle-ci ne s'impose au juge pénal saisi en application du premier qu'en ce qui concerne les dépenses sur lesquelles le Conseil constitutionnel a statué.
31. En l'espèce, pour écarter le moyen selon lequel, en raison de l'autorité absolue de la chose jugée découlant de l'article 62 de la Constitution, le juge pénal ne peut, postérieurement à une décision du Conseil constitutionnel sur la validation des comptes de campagne, retenir d'autres montants de dépassement que celui définitivement fixé par le Conseil constitutionnel, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que les dépenses dont la cour d'appel est saisie ne correspondent pas à celles qui ont été réintégrées par la CNCCFP et le Conseil constitutionnel dans le compte de campagne et visées dans leurs décisions.
32. Les juges relèvent qu'il en est notamment ainsi, d'une part, des fausses factures de la société [3] correspondant aux conventions fictives ou aux quatre événements surévalués pris en charge par l'[5] pour un montant de 16 247 000 euros, d'autre part, des dépenses correspondant au document intitulé certificat administratif, non inscrites dans le compte de campagne, représentant 3 500 000 euros.
33. Ils ajoutent que le tribunal correctionnel a constaté à juste titre que certaines dépenses, de montants importants, n'ont jamais été mentionnées au cours des échanges avec la CNCCFP et n'ont pas été réintégrées dans le compte de campagne par la suite, et, qu'à l'inverse, des dépenses réintégrées par le Conseil constitutionnel sont antérieures à la période de la prévention.
34. En l'état de ces seules énonciations, dont il résulte que les dépenses retenues par les juges pour entrer en voie de condamnation avaient été dissimulées tant à la CNCCFP qu'au Conseil constitutionnel, ce qui a par ailleurs justifié la condamnation de plusieurs prévenus du chef d'escroquerie pour avoir trompé ces deux institutions afin d'obtenir d'elles des décisions favorables, et abstraction faite de motifs erronés mais surabondants critiqués dans la deuxième branche du premier moyen, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens.
35. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
Sur le troisième moyen proposé pour M. [J]
Énoncé du moyen
36. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception d'illégalité du décret n° 2009-1730 du 30 décembre 2009 et a déclaré M. [J] coupable de complicité de financement illicite de campagne électorale, alors :
« 1°/ que d'une part, en rejetant l'exception d'illégalité du décret n°2009-1730 du 30 décembre 2009 dont elle était régulièrement saisie, sans s'expliquer sur la légalité de ce décret dont dépendait la solution du procès pénal qui lui était soumis (arrêt, p. 110, § 1), la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 111-5 et 121-6 du Code pénal, L. 52-11 et L. 113, I, 3° du Code électoral, 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que d'autre part, en rejetant l'exception d'illégalité du décret n°2009-1730 du 30 décembre 2009 aux motifs inopérants qu' « en discutant la référence à l'indice du coût de la vie, les conseils de [V] [J] critiquent davantage les dispositions de l'article L. 52-11 du code électoral » que ce décret, et qu'il ne lui appartient pas d'apprécier la constitutionnalité d'un texte de loi (arrêt, p. 110, §§ 6 et 7), sans rechercher si l'imprécision alléguée de ce critère légal d'actualisation du montant du plafond des dépenses électorales, dont dépend la caractérisation du délit objet des poursuites, n'était pas contraire au principe de légalité et à l'exigence de clarté de la loi pénale garantis par l'article 7 de la Convention européenne dont la violation était invoquée en substance devant elle, quand l'éventuelle inconventionnalité de ce texte aurait été de nature à entraîner l'illégalité du décret critiqué pris pour son application, dont l'objet est précisément de mettre en uvre ce critère d'actualisation imprécis, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 7 de la Convention européenne, 111-3, 111-5, 121-6 du Code pénal, L. 113-1, I, 3° et L. 52-11 du Code électoral et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
37. Pour rejeter l'exception d'illégalité du décret n° 2009-1730 du 30 décembre 2009, l'arrêt attaqué énonce que ce texte a été pris en application de l'article L. 52-11 du code électoral dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 2002, et non en application de celle entrée en vigueur le 1er septembre 1990 comme le soutiennent les avocats de M. [J].
38. Les juges ajoutent qu'en discutant la référence à l'indice du coût de la vie, les avocats du prévenu critiquent davantage les dispositions de l'article L. 52-11 du code électoral que le décret précité.
39. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée et qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, n'a pas méconnu les textes visés au moyen.
40. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième à sixième branches, et le troisième moyen, pris en sa première branche, proposés pour M. [W]
Énoncé des moyens
41. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable du délit d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, alors :
« 2°/ que d'autre part, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; que le délit prévu par l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral exige, pour être matériellement constitué, que les dépenses électorales ayant conduit au dépassement du plafond légal aient été engagées par le candidat ; que la cour d'appel a constaté que le candidat avait « confié l'organisation matérielle de sa campagne à une équipe logistique dirigée par [V] [J] » (arrêt, p. 195, § 9), qu'il a « personnellement choisi les personnes chargées d'organiser, sur le plan matériel, sa campagne et de régler les dépenses afférentes » (arrêt, p. 196, § 5) et qu'il « n'est pas reproché à [Z] [W] d'avoir engagé les dépenses » (arrêt, p. 202, § 2); qu'ayant ainsi établi que les actes de dépenses et d'organisation de la campagne électorale étaient commis par d'autres personnes que le candidat, la cour d'appel qui est cependant entrée en voie de condamnation à son encontre, a méconnu le principe de responsabilité du fait personnel ainsi que les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-1 du Code pénal, L 113-1 I 3° du Code électoral, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
3°/ que de troisième part, le délit de dépassement du plafond des dépenses électorales impose un acte positif d'engagement des dépenses dépassant le plafond légal et imputable au prévenu ; qu'en entrant en voie de condamnation en ce que M. [W] a « omis, en sa qualité de candidat, d'exercer un quelconque contrôle sur les dépenses » (arrêt, p. 202, § 11), ou encore qu'il en est le « bénéficiaire » (arrêt, p. 199, § 1), la cour d'appel n'a pas caractérisé un acte positif d'engagement des dépenses commis par le prévenu et a méconnu les dispositions susvisées ;
4°/ que de quatrième part, l'élément matériel du délit prévu par l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral consiste dans l'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond fixé en application de l'article L. 52-11 du même Code ; que, dès lors, en retenant que M. [W] avait dépassé ce plafond « à compter de l'organisation du meeting du 31 mars 2012 » (arrêt, p. 195, § 3) au motif inopérant qu'à cette date « le montant des dépenses afférentes à l'organisation des premiers meetings par la société [4], auquel il convient d'ajouter celui des principes dépenses électorales omises, s'élève à 10 605 414,40 euros » (arrêt, p. 195, § 2), sans établir que l'organisation de ce meeting avait conduit au dépassement du plafond légal fixé à la somme de 22 509 000 euros pour les candidats présents au second tour de l'élection présidentielle, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral, ensemble l'article L. 52-12 du même Code, le principe de légalité des délits et le principe d'interprétation stricte de la loi pénale énoncés respectivement par les articles 111-3 et 111-4 du Code pénal ;
5°/ qu'au demeurant, pour fixer à la somme de 10 154 860 euros le montant des dépenses à ne pas dépasser pour les meetings du premier tour (arrêt, p. 193, § 12) et retenir en conséquence que le délit reproché à M. [W] était matériellement caractérisé « à compter de l'organisation du meeting du 31 mars 2012 » ayant porté le montant total des dépenses à la somme de 10 695 414,40 euros (arrêt, p. 195, § 2 et §3), la cour d'appel, après avoir abaissé le plafond légal à la somme de 20 258 100 euros pour tenir compte de la marge d'erreur de 10% préconisée dans la note du 6 mars 2012 (arrêt, p. 192, § 14), a retenu que les réunions publiques représentaient environ 60% des dépenses, correspondant à un montant total à ne pas dépasser de 12 154 860 euros (arrêt, p. 193, § 1), auquel devait être retranchée la somme de 2 millions d'euros dans la mesure où il avait été « convenu », selon la même note, de réserver cette somme pour les seuls meetings du second tour (arrêt, p. 193,§ 4) ; qu'en se déterminant ainsi, lorsque le délit prévu par l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral ne doit s'apprécier qu'au regard du plafond légalement prévu, qui ne peut être abaissé par la juridiction pour quelque motif que ce soit, et des dépenses effectivement engagées par le candidat, et non des dépenses simplement budgétées, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral, ensemble le principe de légalité des délits et le principe d'interprétation stricte de la loi pénale énoncés par les articles 111-3 et 111-4 du Code pénal ;
6°/ qu'enfin, en retenant qu' « à compter du 31 mars 2012, chaque décision du candidat de procéder à un meeting supplémentaire, de même que la réalisation effective desdits meetings ( ) ont constitué autant d'actes matériels positifs de dépassement d'une infraction sans cesse renouvelée » (arrêt, p. 195, § 3), sans avoir préalablement établi qu'à la date du 31 mars 2012 le plafond légal des dépenses électorales autorisées avait été dépassé, la cour d'appel, pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de M. [W], s'est de fait fondée au moins en partie sur des dépenses électorales que celui-ci était en droit d'engager postérieurement à cette date ; qu'elle a par conséquent violé l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral. »
42. Le troisième moyen proposé critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable du délit d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, alors :
« 1°/ que d'une part, le délit prévu par l'article L. 113-1, I, 3° du Code électoral est un délit intentionnel qui requiert, pour être caractérisé, que le candidat à l'élection ait dépassé le plafond légal des dépenses électorales autorisées en connaissance de cause ; qu'en l'espèce, après avoir retenu en droit que ce délit « s'apprécie au regard d'éventuelles imprudences ou négligences du candidat » (arrêt, p. 199, § 8) qui, doté d'un pouvoir de direction et de contrôle sur ses collaborateurs, doit veiller à l'application du plafond par ses équipes (arrêt attaqué, p. 199, § 9), et qu'il existe donc « une quasi-présomption de responsabilité du candidat » en cette matière (arrêt, p. 199, § 7), la cour d'appel, pour déclarer M. [W] coupable de ce délit, a énoncé, après lui avoir nié le droit d'invoquer une erreur de fait en affirmant qu'il « ne peut se retrancher derrière la non-connaissance des comptes » (arrêt, p. 202, § 3) compte tenu de l'obligation de vigilance qui lui incombait, qu'il a «volontairement omis, en sa qualité de candidat, d'exercer un quelconque contrôle sur les dépenses » (arrêt, p. 202, § 11); qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a envisagé le délit susvisé comme un délit purement matériel consommé par le seul dépassement du plafond légal des dépenses électorales autorisées, celui-ci résulterait-il d'une simple négligence, a méconnu le sens et la portée des articles L. 113-1, I, 3° du Code électoral et 121-3 du Code pénal, et a retenu une interprétation de ce texte contraire au principe de la présomption d'innocence garanti par les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et préliminaire du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
43. Les moyens sont réunis.
44. Pour déclarer M. [W] coupable du délit de financement illégal de campagne électorale, l'arrêt attaqué énonce qu'il a lui-même choisi les personnes chargées d'organiser, sur le plan matériel, sa campagne et de régler les dépenses afférentes.
45. Les juges ajoutent que M. [J], désigné comme directeur de campagne, a déclaré que M. [W] a, dans les faits, dirigé la campagne, décidant non seulement du format mais aussi du nombre et du lieu des meetings et que ce dernier a reconnu avoir décidé de faire un événement par jour, ces événements, même de taille réduite, s'étant accompagnés de location de salles, avec des contraintes et majorations financières dictées par la précipitation.
46. Ils retiennent encore qu'il n'était pas nécessaire que le candidat donne son accord exprès et préalable pour chaque dépense ou que des factures ou un budget prévisionnel lui soient soumis dès lors qu'il était suffisamment informé pour comprendre le risque de surcoût et, qu'étant présent sur tous les événements, il était à même de mesurer le coût des prestations.
47. Ils en concluent que le prévenu a décidé et approuvé les dépenses litigieuses et qu'il en a tiré profit, de sorte qu'elles ont été faites pour son compte, au sens de l'article L. 52-12 du code électoral.
48. S'agissant de l'élément intentionnel, l'arrêt attaqué relève que, dès lors qu'il est doté d'un pouvoir de direction et de contrôle des collaborateurs choisis pour le seconder dans l'organisation et le déroulement de la campagne, le candidat doit veiller à l'application par ses équipes des dispositions relatives au plafond de dépenses et, à tout le moins, s'abstenir de donner des instructions tendant au dépassement de celui-ci.
49. Les juges retiennent que M. [W], qui avait déjà conduit une campagne présidentielle, exercé de nombreuses fonctions électives et gouvernementales et dirigé l'[5], et avait connaissance du plafond des dépenses, a déclaré, devant tant le tribunal correctionnel que la cour d'appel, que donner des instructions pour ne pas dépasser le plafond des dépenses n'était pas sa priorité.
50. Ils ajoutent que M. [W] a été averti par écrit, tout d'abord, du risque de dépassement et, ensuite, du dépassement effectif du plafond légal pour le premier tour qui s'est tenu le 22 avril 2012, et ce par deux notes des 7 mars et 26 avril 2012 rédigées par l'un des associés du cabinet d'expertise-comptable, dont il a admis avoir eu connaissance, et qui l'informaient du montant précis des dépenses déjà engagées et du risque avéré de dépassement du plafond.
51. Ils constatent que, malgré la première note du 7 mars 2012, dont l'auteur a confirmé qu'elle avait valeur d'alerte et qui tenait compte à la fois des dépenses déjà engagées et des dépenses à venir ou prévisionnelles, M. [W], loin de donner des instructions pour éviter le dépassement du plafond, a, au contraire, fixé des directives afin d'organiser un nouveau meeting, puis pour en porter le rythme jusqu'à un par jour.
52. Ils relèvent encore que la seconde note, nominativement adressée à M. [W], faisait état d'un dépassement du plafond de dépenses fixé pour le premier tour de l'élection déjà constaté à cette date.
53. Ils observent que malgré cette nouvelle note, sept meetings ont encore été organisés, ainsi que des soirées électorales.
54. La cour d'appel retient enfin que M. [W] a admis ne pas avoir imparti d'objectif précis à son directeur de campagne et a par ailleurs reconnu devant le juge d'instruction que le montant élevé des dépenses lui avait été opposé à maintes reprises.
55. Elle en déduit qu'il ne pouvait ignorer ni l'accumulation des dépenses, qu'il aurait pu pourtant endiguer à temps, ni les conséquences inéluctables de celles-ci, sur lesquelles il avait la maîtrise.
56. En l'état de ces seules énonciations, déduites de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, dont il résulte que M. [W] a donné personnellement son accord pour que ses collaborateurs engagent pour son compte des dépenses de campagne, en sachant que le montant total de celles-ci dépasserait le plafond prévu par la loi, la cour d'appel, qui a mis en évidence des actes positifs imputables personnellement au prévenu, et a caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, a justifié sa décision.
57. Par ailleurs, les quatrième, cinquième et sixième branches du deuxième moyen, qui critiquent des motifs surabondants en ce que, d'une part, ils ne remettent en cause ni le principe ni le montant du dépassement, d'autre part, ils fixent une date à partir de laquelle le plafond de dépenses a commencé à être dépassé, alors qu'une telle date est par elle-même sans conséquence pénale dès lors qu'il suffit que le dépassement ait été constaté à l'issue de la campagne électorale, sont inopérantes.
58. Par conséquent, les moyens doivent être écartés.
Sur le cinquième moyen proposé pour M. [J]
Énoncé du moyen
59. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [J] coupable du délit d'usage de faux, alors :
« 1°/ que d'une part, le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs ; que dès lors, en déclarant M. [J] coupable d'usage de faux aux motifs inopérants qu'en sa qualité de directeur de campagne il avait apposé son visa sur l'engagement de dépenses correspondant au premier meeting du second tour et que l'absence de visa relatif aux engagements suivants n'est pas incompatible avec une utilisation des factures falsifiées (arrêt, p. 151, § 4 et § 5), sans caractériser un fait positif d'utilisation de ces fausses factures qui serait imputable au prévenu, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 441-1 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que d'autre part, la présomption d'innocence implique que la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante et que le doute doit profiter au prévenu ; qu'en affirmant, pour déclarer M. [J] coupable d'usage de faux pour un ensemble de factures falsifiées de la société [4] à hauteur d'un montant de dépenses de 22 558 497, 85 euros, que si son visa n'a plus figuré sur les engagements de dépenses postérieurs à celui du premier meeting du second tour, « cette omission ( ) n'est pas incompatible avec une utilisation des factures falsifiées par la suite « au fil de l'eau », qui ne nécessitait pas l'apposition du visa » (arrêt attaqué, p. 151, § 5), la cour d'appel s'est fondée sur des motifs hypothétiques et a violé le principe de la présomption d'innocence tel qu'il est garanti par les articles préliminaire du Code de procédure pénale et 6§2 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
3°/ que de troisième part, en se fondant, pour déclarer M. [J] coupable d'usage de faux, sur la circonstance qu'il « était partie prenante au processus d'engagement des dépenses de l'AFCNS et ( ) l'ordonnateur de ces dépenses » (arrêt attaqué, p. 151, § 5), sans mieux expliquer, comme elle y était pourtant invitée par les conclusions régulièrement déposées devant elle qui faisaient valoir d'une part, que les factures litigieuses n'avaient elles-mêmes jamais été communiquées à M. [J], ce dont il se déduisait qu'il n'avait pu en faire usage, d'autre part, que ces factures relevaient du processus d'engagement des dépenses de l'[5], à l'ordre de laquelle elles étaient libellées et à laquelle elles étaient adressées, et non du processus d'engagement des dépenses de l'AFCNS, enfin, qu'une partie importante de ces factures avaient été élaborées par la société [4] postérieurement à la campagne présidentielle, alors que M. [J] avait cessé ses fonctions de directeur de campagne, en quoi la participation de M. [J] au processus d'engagement des dépenses de l'AFCNS impliquait nécessairement de sa part un fait positif d'utilisation des fausses factures d'Event, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 313-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ;
4°/ qu'à tout le moins, en déclarant M. [J] coupable d'avoir fait usage de l'ensemble des factures falsifiées de la société [4], y compris de celles qui n'ont pas été comptabilisées dans le compte de campagne de M. [W], à savoir les factures adressées à l'[5] correspondant à des conventions fictives ou à des événements internes à ce parti politique, sans établir un fait positif d'utilisation de ces factures qui lui serait imputable, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 441-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ;
5°/ qu'enfin, le délit d'usage de faux est un délit intentionnel qui suppose que soit caractérisée la connaissance de la fausseté du document utilisé; qu'en se bornant à relever que M. [J] « avait tous les moyens légaux et matériels pour déceler la fraude » (arrêt, p. 151, § 11), sans constater sa connaissance du caractère minoré des factures relatives aux meetings de campagne, du caractère surévalué des factures relatives aux événements internes à l'[5] et de l'existence de factures correspondant à des conventions fictives de ce parti politique, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 441-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
60. Pour déclarer M. [J] coupable d'usage de faux pour un ensemble de factures falsifiées à hauteur d'un montant de dépenses de 22 558 497,85 euros, l'arrêt attaqué énonce que le fait positif imputable au prévenu est démontré par ses fonctions et son nom figurant sur le formulaire d'engagement de dépenses de l'AFCNS trouvé en perquisition, ainsi que par l'apposition de son visa sur un engagement de dépenses correspondant au premier meeting du second tour.
61. Les juges ajoutent que si son visa n'a plus figuré sur les engagements suivants, cette omission n'est pas incompatible avec une utilisation des factures falsifiées par la suite, qui ne nécessitait pas l'apposition du visa, M. [J] étant partie prenante au processus d'engagement des dépenses de l'AFCNS dont il était l'ordonnateur.
62. Ils retiennent que, s'agissant de l'élément intentionnel, M. [J], qui avait tous les moyens légaux et matériels pour déceler la fraude, a fait le choix d'y participer activement, puis de ne pas la dénoncer et de la faire perdurer, en prenant la précaution de ne plus apposer son visa, mais en utilisant sciemment les factures falsifiées dans le processus d'ordonnancement dont il était responsable.
63. Ils relèvent encore que la cellule de vigilance budgétaire, dont il a revendiqué l'instauration, a été le moyen de l'usage collectif des faux par les participants à la fraude membres de cette cellule.
64. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
65. En effet, en premier lieu, elle a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, considéré que le visa apposé par M. [J] sur le formulaire d'engagement de dépenses était constitutif d'un usage des fausses factures associées à ce formulaire dès lors qu'il déterminait leur paiement.
66. En deuxième lieu, elle a retenu qu'il résultait des fonctions exercées par M. [J] dans la campagne et de sa position d'ordonnateur de fait des dépenses que l'approbation par celui-ci du paiement des fausses factures associées découlait de la seule mention de son nom sur le formulaire d'engagement de dépenses, nonobstant l'absence formelle de son visa sur ledit formulaire.
67. Enfin, elle a déduit, d'une part, du rôle qu'il a tenu dans la conception et la mise en oeuvre de la fraude, qui nécessitait d'assurer le paiement des fausses factures destinées tant à l'AFCNS qu'à l'[5], d'autre part, de sa participation à la cellule de vigilance budgétaire qu'il avait lui-même mise en place, que M. [J] a sciemment participé à l'usage de l'ensemble des fausses factures.
68. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
Sur le sixième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour
M. [J]
Énoncé du moyen
69. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [J] coupable de complicité d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, alors :
« 2°/ que d'autre part, la complicité légale n'existe qu'autant qu'il y a un fait principal punissable ; que la cassation à intervenir sur le pourvoi formé par M. [W] déclaré coupable d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, entraînera, faute de fait principal punissable, l'annulation par voie de conséquence du chef de dispositif de l'arrêt ayant déclaré M. [J] coupable de ce délit. »
Réponse de la Cour
70. Compte tenu du rejet des deuxième et troisième moyens proposés pour M. [W], le grief ne peut qu'être écarté.
Sur le sixième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [J], et le septième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [T]
Énoncé des moyens
71. Le moyen proposé pour M. [J] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité d'engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal, alors :
« 3°/ qu'en outre, nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que la complicité requiert l'accomplissement d'un acte positif ; que, dès lors, en se fondant, pour déclarer M. [J] complice du délit de financement illégal de campagne électorale reproché à M. [W], sur sa présence aux réunions hebdomadaires en sa qualité de directeur de campagne et sur de prétendus manquements aux obligations qui lui auraient incombé en cette qualité, sans établir sa participation personnelle active aux actes de complicité reprochés, la cour d'appel a violé les articles 121-1 et 1217 du Code pénal. »
72. Le moyen proposé pour M. [T] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de financement illégal de campagne électorale, alors :
« 3°/ enfin que seule l'aide ou l'assistance apportée en connaissance de cause à l'auteur du délit de financement illégal de campagne électorale, même par l'intermédiaire d'un autre complice, peut constituer la complicité incriminée par l'article 121-7 du code pénal ; que pour retenir la culpabilité de M. [T] du chef de complicité de financement illégal de campagne électorale, la cour d'appel affirme qu'il importe peu qu'il n'ait « participé ni à l'établissement du compte de campagne, ni à son dépôt auprès de la CNCCFP » (arrêt p. 209 §3), dans la mesure où il a été désigné par M. [X] comme « si ce n'est le concepteur de la fraude, en tout cas son vecteur et son porte-parole » (arrêt p. 209 §4), et que sa présence dans les meetings comme dans les locaux de l'[5] lui procurait « un positionnement essentiel pour prendre conscience de la fraude et de ses conséquences, certes bénéfiques pour le candidat » (arrêt p. 209 §5) ; qu'elle ajoute que « sans son aide et son assistance, [Z] [W] n'aurait pas disposé d'informations concrètes sur la « jauge » des salles pour les événements, que ce soit meetings ou réunions publiques, sur les relais avec les fédérations locales, sur la mobilisation des militants. Ces informations ont été données en parallèle du déroulement de la fraude, dont [B] [T] assurait la pérennité grâce aux signatures de toute une série de faux écrits, y compris ceux afférents aux meetings de campagne » (arrêt p. 209 §6) ; qu'en justifiant ainsi la culpabilité du prévenu des seules accusations de M. [X] particulièrement sujettes à caution, et de sa présence dans les meetings comme dans les locaux de l'[5], aux fins de mobilisation des militants, sans qu'aucun élément objectif et tangible ne permette d'établir une quelconque volonté de sa part de s'associer d'une quelconque manière au délit de financement illégal de campagne, la signature des devis et de formulaires d'expression des besoins qui lui était seule reprochée, très en amont de l'établissement et du dépôt du compte de campagne, n'ayant eu aucune incidence sur le paiement des dépenses litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 121-7 du code pénal, L. 113-1 3° du code électoral, et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la cour
73. Les moyens sont réunis.
74. Pour déclarer M. [J] coupable de complicité de financement illégal de campagne électorale, l'arrêt attaqué et le jugement qu'il confirme énoncent, notamment, que celui-ci a participé aux réunions hebdomadaires de campagne, qu'il dirigeait, lors desquelles ont été évoquées les notes d'alerte des 7 mars et 26 avril 2012, et qu'il avait accès aux mêmes données chiffrées que les autres participants aux réunions.
75. Les juges observent qu'en raison de cette qualité de directeur de campagne, M. [J] était au contact direct du candidat et pouvait s'opposer à la commission de l'infraction principale.
76. Ils ajoutent qu'il avait connaissance du schéma de fausse facturation, qu'il a accepté le principe de dépenses sous-évaluées, corrélatif de l'organisation d'un nombre de meetings nettement supérieur aux prévisions initiales, et que, ce faisant, il a permis que la campagne se poursuive et que de nouvelles dépenses électorales soient engagées, nonobstant les deux notes d'alerte précitées.
77. Ils en concluent que M. [J] a sciemment apporté son aide et son assistance au dépassement illégal du plafond de dépenses commis par M. [W].
78. Pour déclarer M. [T] coupable de complicité de financement illégal de campagne électorale, l'arrêt attaqué et le jugement qu'il confirme énoncent que celui-ci a participé à un système de fausse facturation destiné à dissimuler le dépassement du plafond des dépenses électorales et a en outre validé des engagements de dépenses électorales supplémentaires.
79. Les juges rappellent que M. [T] a été désigné par M. [X] comme un élément clé du dispositif, dont il aurait été, si ce n'est le concepteur, du moins le vecteur.
80. Ils le décrivent comme un acteur de la fraude, dont il assurait la pérennité par le moyen de faux écrits, afférents notamment aux meetings, et retiennent que l'escroquerie qu'il a commise par ailleurs aux fins de tromper la CNCCFP et le Conseil constitutionnel a servi au dépassement du plafond de dépenses par le candidat.
81. Ils ajoutent que le prévenu était présent à la fois dans les locaux de l'[5] et dans les meetings, ce qui lui procurait un positionnement essentiel pour prendre conscience de la fraude et de ses conséquences.
82. Ils retiennent enfin que M. [T], compte tenu de sa position incontournable à la fois dans l'organisation de la campagne et au sein de l'[5], avait la possibilité d'alerter M. [W] plutôt que d'augmenter les dépenses, ce dont il s'est abstenu.
83. En l'état de ces motifs, qui caractérisent la participation personnelle active des prévenus aux faits reprochés et traduisent leur volonté de s'associer aux agissements ayant abouti au dépassement du plafond des dépenses électorales, la cour d'appel a justifié sa décision.
84. Ainsi, les moyens, qui reviennent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis.
Sur le septième moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposé pour M. [T]
Énoncé du moyen
85. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [T] coupable de complicité de financement illégal de campagne électorale, alors :
« 1°/ d'une part que la cassation à intervenir sur le quatrième comme sur le cinquième moyen de cassation privera de tout fondement la déclaration de culpabilité de M. [T] du chef de complicité de financement illégal de campagne électorale dès lors que cette qualification ne pouvait être cumulée avec le délit de complicité d'escroquerie, et qu'en tout état de cause, l'acte de complicité reproché à M. [T], strictement identique, pour l'une et l'autre qualifications - à savoir la signature de devis non communiqués à la NCCFP, comme la signature de l'engagement de dépenses du 26 avril 2012 -, étaient insusceptibles de faciliter le délit de financement illégal de campagne, faute de pouvoir avoir une incidence sur le paiement des dépenses litigieuses ;
2°/ d'autre part que la complicité suppose un fait principal punissable ; que la cassation susceptible d'intervenir sur les dispositions de l'arrêt ayant déclaré M. [Z] [W] coupable de financement illégal suite au pourvoi qu'il a formé à l'encontre de l'arrêt attaqué entraînera nécessairement la cassation de l'arrêt en ses dispositions relatives à la culpabilité de M. [T] du chef de complicité de ce délit. »
Réponse de la cour
86. Compte tenu du rejet des premier, deuxième et troisième moyens proposés pour M. [W], et de la non-admission des quatrième et cinquième moyens proposés pour M. [T], les griefs ne peuvent qu'être écartés.
Sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [W]
Énoncé du moyen
87. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [W] à la peine d'un an d'emprisonnement dont six mois assortis du sursis, alors :
« 2°/ que d'autre part, en retenant que la peine d'un an d'emprisonnement dont six mois ferme prononcée à l'encontre de M. [W] était justifiée au regard notamment du « montant des sommes constitutives du dépassement, soit plus de 19 millions d'euros » (arrêt, p. 214, § 6), lorsqu'elle ne pouvait, sans violer l'autorité de chose jugée de la décision du Conseil constitutionnel n°2013-156 PDR du 4 juillet 2013 qui avait fixé à la somme de 466 118 euros le montant du dépassement du plafond des dépenses électorales autorisées (cons. 22), fonder son appréciation sur un montant de dépassement supérieur à celui qui résultait de cette décision qui s'imposait à elle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1, 132-19 du Code pénal, 464-2 et 485-1 du Code de procédure pénale et du principe de l'autorité de la chose jugée. »
Réponse de la cour
88. Compte tenu du rejet du premier moyen proposé pour M. [W], le moyen ne peut qu'être écarté.
89. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt-cinq.