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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 18 novembre 2025, n° 21/09257

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/09257

18 novembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 18 NOVEMBRE 2025

N° 2025/454

Rôle N° RG 21/09257 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHVPJ

[W] [C] épouse [R]

C/

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[N] [R]

[Z] [R] épouse [M]

[Y] [R]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Gaëtan LE MERLUS

Me Clémence AUBRUN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'[Localité 9] en date du 10 Mai 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/05274.

APPELANTE

Madame [W] [C] épouse [R]

née le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 11] (13) et décédée le [Date décès 5] 2025 à [Localité 13] (13)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Gaëtan LE MERLUS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIME

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

représentant l'Etat Français

demeurant [Adresse 10]

représenté par Me Clémence AUBRUN de la SELARL BREU-AUBRUN-GOMBERT ET ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine GERARDOT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

PARTIES INTERVENANTES VOLONTAIRES

Monsieur [N] [R] es qualités d'ayant-droit de Madame [W] [C] épouse [R] née le [Date naissance 8] 1944 à [Localité 11] (13) et décédée le [Date décès 5] 2025 à [Localité 13] (13)

né le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 12] (YOUGOSLAVIE), demeurant [Adresse 4]

Madame [Z] [R] épouse [M] es qualités d'ayant-droit de Madame [W] [C] épouse [R] née le [Date naissance 8] 1944 à [Localité 11] (13) et décédée le [Date décès 5] 2025 à [Localité 13] (13)

née le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 14] (04), demeurant [Adresse 4]

Monsieur [Y] [R] es qualités d'ayant-droit de Madame [W] [C] épouse [R] née le [Date naissance 8] 1944 à [Localité 11] (13) et décédée le [Date décès 5] 2025 à [Localité 13] (13)

né le [Date naissance 7] 1966 à [Localité 15], demeurant [Adresse 4]

tous trois représentés par Me Gaëtan LE MERLUS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Septembre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre, et Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, chargées du rapport.

Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

Madame Anne DAMPFHOFFER, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier lors des débats : Mme Anastasia LAPIERRE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2025,

Signé par Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre et Mme Anastasia LAPIERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 17 décembre 2003, Mme [W] [C] épouse [R] a été mise en examen des faits d'abus de confiance aggravé, abus de confiance et faux en écritures qui auraient été commis à l'occasion de son activité professionnelle.

Le 28 mars 2003, Mme [R] a saisi le conseil des prud'hommes de [Localité 13] afin de contester le licenciement dont elle a fait l'objet en raison de ces faits.

Par décision du 17 juin 2004, le conseil de prud'hommes a fait droit à la demande de ré-enrôlement de l'affaire formulée par la requérante avant d'ordonner un nouveau sursis à statuer dans l'attente de la procédure pénale.

L'affaire a été radiée le 12 juin 2013 en l'état de la procédure pénale pendante, puis réenrôlée avant de faire l'objet d'une nouvelle radiation pour défaut de diligence des parties le 3 juin 2016.

Par jugement du 6 octobre 2017, le conseil des prud'hommes de [Localité 13] a fait droit à la demande de sursis à statuer.

Estimant que la durée de la procédure pénale et de la procédure devant le conseil de prud'hommes était constitutive d'un déni de justice, par acte du 16 juillet 2019, Mme [R] et son époux, M. [N] [R], ont assigné l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, aux fins de voir l'Etat condamné sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, à payer à Mme [R] la somme de 80 000 euros au titre du déni relatif à la procédure pénale, 80 000 euros au titre du déni relatif à la procédure prud'hommale et 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 10 mai 2021, le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :

- déclaré recevable la fin de non-recevoir soulevée par l'agent judiciaire de l'Etat tirée de l'irrecevabilité de l'action de M. [R] ;

- déclaré irrecevable l'action de M. [R] pour défaut de qualité à agir ;

- débouté Mme [R] de l'intégralité de ses demandes, fins, et conclusions ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 code de procédure civile ;

- condamné Mme [R] aux entiers dépens de l'instance ;

- dit n'y avoir pas lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Le tribunal a déclaré M. [R] dépourvu de qualité à agir sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire dès lors que celui-ci est tiers aux procédures prud'hommale et pénale concernées.

Sur le fond, le tribunal a rejeté l'action de Mme [R] au motif que le seul avis à partie du 8 avril 2016 produit par elle ne suffisait pas à établir l'existence du déni de justice allégué dans le cadre de la procédure pénale et dont la durée n'est pas injustifiée au regard de la complexité du dossier.

Sur la procédure prud'hommale, il a retenu que Mme [R] était elle-même à l'origine des différentes demandes de sursis à statuer de sorte que la preuve d'une durée excessive de la procédure imputable à un dysfonctionnement de la juridiction n'était pas établie.

Par déclaration du 22 juin 2021, Mme [R] a interjeté appel de ce jugement.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 19 août 2025.

Mme [W] [C] épouse [R] est décédée à [Localité 13] le [Date décès 5] 2025.

Aux termes d'un acte de notoriété dressé le 26 août 2025 par Maître [P], notaire, sont héritiers de [W] [C] épouse [R] :

- M. [N] [R], conjoint survivant, en vertu de la donation entre époux du 3 juillet 1993,

- Mme [Z] [R] épouse [M], leur fille,

- M. [Y] [R], leur fils.

Avant l'ouverture des débats, la clôture de l'instruction a été révoquée avec l'accord des parties et la nouvelle clôture a été fixée par ordonnance du 16 septembre 2025 de sorte que l'ensemble des dernières conclusions ont été admises aux débats.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 12 septembre 2025, les consorts [R] venant aux droits de Mme [W] [C] épouse [R] demandent à la cour de :

- ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture,

- juger recevable et bien fondée l'intervention volontaire des ayants-droit de [W] [C] épouse [R],

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- juger que la responsabilité de l'État est engagée,

- condamner l'agent judiciaire de l'État à leur verser, ès-qualités, les sommes suivantes :

Déni de justice en matière pénale :

- 78 000 euros au titre du préjudice moral

- 22 000 euros au titre de l'atteinte à la vie privée et familiale

- 20 000 euros au titre de la perte de chance d'obtenir une décision d'innocence ou de classement sans suite dans un délai raisonnable

Total : 120 000 euros

Déni de justice en matière prud'hommale :

- 50 000 euros au titre du préjudice moral

- 30 000 euros au titre du préjudice économique

Total : 80 000 euros.

- juger que ces condamnations porteront intérêt à compter de l'assignation introductive d'instance du 16 juillet 2019,

- ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil,

A titre subsidiaire

- ordonner une expertise psychologique afin de déterminer les conséquences du déni de justice sur Mme [R],

En toutes hypothèses

- condamner l'agent judiciaire de l'État à leur verser, ès-qualités, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'agent judiciaire de l'État aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction.

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 septembre 2025, au visa des articles L. 141-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire, 9 du code de procédure civile et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, Mme l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- débouter Mme [R] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Mme [R] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1- Liminairement, sur la recevabilité des interventions volontaires

Par conclusions, les héritiers de Mme [W] [R] sont intervenus volontairement à l'instance afin de régulariser la procédure suite au décès de l'appelante. Leur intervention est recevable et M.[R] est désormais dans la cause en sa seule qualité d'ayants-droit.

2- Sur la responsabilité de l'Etat

Moyens des parties

Les consorts [R] font valoir que la responsabilité de l'Etat est engagée en raison du manquement à son obligation de rendre la justice dans un délai raisonnable, en violation des articles L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire et 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Selon eux ces manquements constituent une faute lourde résultant de l'absence de toute décision rendue en matière pénale ou prud'hommale depuis plus de vingt ans alors que les faits reprochés sont dépourvus de complexité.

Ils font grief au tribunal dans sa décision de rejet d'avoir procédé à un inversement de la charge de la preuve en demandant à Mme [R] de rapporter la preuve des circonstances particulières justifiant un délai aussi long.

Ils ajoutent que la situation vécue par Mme [R] s'apparente à un déni de justice puisque mis en examen en décembre 2003, un avis article 175 sera rendu le 8 avril 2016 et placée sous contrôle judiciaire en 2003 celui-ci sera levé le 4 novembre 2020 alors que l'affaire a fait l'objet d'un renvoi à l'instruction le 6 avril 2021 et n'est toujours pas fixée pour jugement.

Ils estiment que la faute de l'Etat est à l'origine d'un important préjudice moral supporté par la défunte en raison de l'angoisse spécifique occasionnée par l'attente prolongée indemnisable sur la base forfaitaire de 300 euros par mois de dépassement.

Ils considèrent entre outre que leur mère et épouse a subi un préjudice économique constituée par une perte de chance professionnelle et l'exclusion du marché du travail en lien avec la procédure pénale. Son préjudice est également caractérisé par l'impossibilité d'obtenir une décision favorable et l'allocation d'indemnités dans le cadre de la procédure prud'hommale.

L'agent judiciaire de l'Etat réplique que la durée de la procédure pénale n'est pas manifestement excessive au regard de la complexité de l'affaire et considère que c'est bien sur Mme [R] que pèse la charge de la preuve du déni de justice alors qu'elle ne produit pas d'éléments suffisant au soutien de ses prétentions. S'agissant de la procédure prud'hommale, il considère que les multiples demandes de sursis à statuer formulées à la demande des parties démontrent que l'affaire n'était pas en état d'être jugée et ne peut être à ce titre l'objet d'un déni de justice.

Subsidiairement, il estime qu'il n'est pas rapporté la preuve du préjudice moral ni celle d'un lien de causalité entre les dénis de justices allégués et un quelconque préjudice économique.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice.

Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Ainsi, selon les dispositions de l'article L. 141-1 précité, deux faits générateurs peuvent asseoir la responsabilité de l'Etat : la faute lourde et le déni de justice.

La faute lourde est constituée « par toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi» (Cass. Ass. Plén., 23 fév. 2001).

Le déni de justice désigne non seulement le refus de répondre aux requêtes ou le fait de refuser de juger les affaires en l'état de l'être. Il permet de reconnaître la responsabilité de l'État pour délai de jugement déraisonnable et le manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

L'appréciation d'un allongement excessif du délai de réponse judiciaire, susceptible d'être assimilé à un refus de juger et, partant, à un déni de justice engageant la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, s'effectue de manière concrète, au regard des circonstances propres à chaque procédure, en prenant en considération :

- les conditions de déroulement de la procédure,

- la nature de l'affaire, son degré de complexité,

- le comportement des parties en cause ;

Etant précisé que le seul non-respect d'un délai même légal n'est pas suffisant pour caractériser un déni de justice.

Il sera enfin rappelé que les procédures en matière de litiges du travail appellent par nature une décision rapide (CEDH Frydlender c. France [GC], 2000, § 45 ; [E] c. Italie, 1991, § 17 ; [U] c. Italie, 1992, § 17).

En l'espèce, il y a lieu d'évaluer le caractère excessif de la procédure pénale et de la procédure prud'hommale litigieuse en considération de leur interdépendance.

Ainsi, en considération de ces critères, il convient de relever que :

- Mme [R] a été mise en examen le 1er décembre 2003 pour des faits d'abus de confiance aggravé et de vol au préjudice de consorts [A] et qu'elle a bénéficié d'un non-lieu partiel pour les faits de vol par ordonnance de renvoi et de non -lieu partiel du 4 novembre 2020 tel que cela résulte de l'arrêt de la chambre de l'instruction du 20 avril 2021 ;

- elle a été entendu en 2003 et 2004, et confronté avec le principal mis en cause M. [O] aux victimes [A] le 19 mars 2008 ;

- M. [O] a été à nouveau interrogé en 2008 puis en 2010 et en 2013 un réquisitoire demandera un complément d'expertise ;

- après de nouvelles confrontations en 2016, l'avis 175 a été rendu le 8 avril 2016 ;

- en 2018, elle a écrit au juge d'instruction et au procureur de la république pour rappeler qu'elle avait saisi le conseil de prud'homme pour contester son licenciement fondé notamment sur la procédure pénale et que le conseil de prud'homme avait sursis à statuer dans l'attente des résultats de l'affaire pénale et aucune réponse ne lui a été apportée ;

- l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et de non -lieu partiel a été rendue le 4 novembre 2020 ;

- l'affaire est toujours à l'instruction suite à l'arrêt de la chambre de l'instruction de 2021.

Le délai de l'instruction est, selon l'agent judiciaire de l'Etat, justifié par la complexité de l'affaire qui aurait demandé de multiples investigations.

Toutefois, l'arrêt de la chambre de l'instruction produit aux débats démontre que si l'affaire ne concernait pas uniquement Mme [R] et rendait nécessaire des investigations, auditions de nombreuses victimes, expertises graphologiques etc', Mme [R] n'était impliquée que dans la situation des victimes [A] ; qu'elle a été placée sous contrôle judiciaire pendant 17 ans et qu'un délai de 22 ans s'est écoulé depuis sa mise en examen. L'absence de jugement dans le dossier pénal a entraîné l'absence de jugement dans le dossier prud'hommal.

L'enjeu de l'examen pour Mme [R] de son affaire pénale était de pouvoir obtenir une décision sur la contestation de son licenciement devant le conseil de prud'hommes et une éventuelle indemnisation.

Il n'est par ailleurs pas démontré par l'agent judiciaire de l'Etat que des circonstances particulières ont justifié un délai d'instruction de plus de 22 ans et non encore terminé au jour de son décès s'agissant des faits reprochés à Mme [R] et son placement sous contrôle judiciaire pendant plus de 17 ans lui interdisant toutes possibilités de reprendre un emploi dans son domaine de compétence, et, enfin, empêchant surtout, toute décision du conseil des prud'hommes.

Il ne peut pas plus, être reproché à Mme [R] d'avoir demandé le sursis à statuer en 2004 et en 2017, devant le conseil de prud'hommes dès lors que de l'issue de la procédure pénale (pour laquelle l'avis 175 venait d'être rendue et permettait d'espérer une issue proche), dépendait la décision qui pourrait être rendue et la validité ou non de son licenciement.

Enfin, l'absence de réponse des autorités judiciaires à ses demandes formées par la représentation de son conseil, ne viennent que renforcer l'absence de prise en compte de sa situation de justiciable et la possibilité pour cette dernière de voir statuer sur ses prétentions en matière prud'hommale ; la complexité de l'affaire fut elle évidente au regard des multiples victimes et des investigations d'expertises à mener, ne saurait justifier la longueur de ces procédures qui ne se sont terminées en ce qui la concerne, que par le décès de Mme [R].

Il s'en déduit que le délai de la procédure pénale et par voie de conséquence celui de la procédure civile, est excessif et donc déraisonnable au sens de l'article 6§1 de la CEDH, et engage la responsabilité de l'Etat.

S'agissant du préjudice, la demande formée au titre du préjudice moral est justifiée en son principe, dès lors qu'un procès est nécessairement source d'une inquiétude pour le justiciable et qu'une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d'inquiétude supplémentaire. Dans le cas de l'espèce, il est indéniable que Mme [R] qui n'a pu connaître l'issue de ses affaires avant son décès ne pouvait qu'en être particulièrement affectée désespérant de la justice, lorsque ses forces de vie l'abandonnait.

Ces ayants-droit ne justifient cependant pas d'un préjudice moral à hauteur de la somme demandée. En effet, rien n'établit justement, ni qu'elle ait été coupable ni qu'elle ait pu au final être innocentée de sorte que seul son préjudice lié au fait de n'avoir pu faire valoir que ses causes soient entendues dans un délai raisonnable doit être indemnisé. Le lien de causalité entre l'atteinte à sa vie privée plus particulièrement et le délai déraisonnable de jugement de sa cause n'est par ailleurs pas démontrée. Enfin, au regard de l'absence des éléments permettant de retenir l'existence d'une perte de chance directe et certaine qu'elle ait obtenue une décision d'innocence ou de classement sans suite , ce préjudice de perte de chance sera également écarté.

Les deux procédures étant interdépendantes comme rappelé ci-dessus, son préjudice moral sera entièrement réparé par l'octroi de la somme de 20 000 euros.

En application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision de première instance, intérêts qui seront capitalisés en application de l'article 1343-2 du même code.

S'agissant du préjudice économique ou financier, il est sollicité la réparation du préjudice lié à la perte de chance d'obtenir une indemnisation pour rupture abusive de son contrat de travail et de meilleurs droits pour sa retraite contrainte qu'elle a été de se mettre en retraite à 59 ans.

Il convient néanmoins de rappeler qu'il appartient à Mme [R] et donc à ses ayants-droit de rapporter la preuve de la réalité du préjudice invoqué. Or, il n'est produit aux débats aucune pièce justifiant d'un préjudice économique.

La demande sera en conséquence rejetée.

Au final le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [R] de toutes ses demandes.

2- Sur les demandes accessoires

Partie perdante, l'agent judiciaire de l'Etat supportera la charge des dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile. Il sera nécessairement débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code civil.

Enfin, compte tenu des situations économiques respectives des parties, de la durée de l'instance et des démarches judiciaires qu'a dû accomplir la demanderesse et ses ayants-droit en cause d'appel, l'équité commande d'allouer à ces derniers la somme de 3 500 euros au titre de leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Reçoit l'intervention volontaire de M. [N] [R], conjoint survivant, Mme [Z] [R] épouse [M], sa fille, M. [Y] [R], son fils, es-qualités d'ayants-droit de Mme [W] [R] ;

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer M. [N] [R], Mme [Z] [R] épouse [M] et M. [Y] [R], es-qualités d'ayants-droit la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

Le condamne à supporter les dépens de première instance et d'appel ;

Le déboute de sa demande au titre de ses frais irrépétibles ;

Le condamne à leur payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

La greffière, La présidente.

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