CA Pau, 2e ch - sect. 1, 18 novembre 2025, n° 24/01118
PAU
Autre
Autre
JP/PM
Numéro 25/3142
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 18 NOVEMBRE 2025
Dossier : N° RG 24/01118 - N° Portalis DBVV-V-B7I-I2H4
Nature affaire :
Autres demandes en matière de vente de fonds de commerce
Affaire :
S.A.R.L. CERADOUR
C/
S.A.S. ACCRODONTE
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 18 NOVEMBRE 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 23 Septembre 2025, devant :
Jeanne PELLEFIGUES, magistrat chargé du rapport,
assisté de Mme SAYOUS, Greffier présent à l'appel des causes,
Jeanne PELLEFIGUES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
Madame Laurence BAYLAUCQ, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.R.L. CERADOUR
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-bernard PENEAU de la SCP SCP PENEAU-DESCOUBES PENEAU, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
INTIMEE :
S.A.S. ACCRODONTE Société par actions simplifiée au capital de 7.622,45 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des sociétés de BAYONNE sous le numéro 410 745 426, ayant son siège sis à [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [U] [O], domicilié audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Céline REGNIER, avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 11 MARS 2024
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE
Par jugement en date du 11 mars 2024, le tribunal de commerce de Bayonne a :
Vu l'article 369 du code de procédure civile,
Vu les articles 1112-1, 1137 et 2224 du Code civil
Vu les articles L. 141-2, L622-21 à 23 du Code de commerce,
Reçu les parties en leurs demandes, fins et conclusions,
In limine litis :
Débouté la SAS ACCRODONTE de sa demande d'exception de procédure pour que soit prononcée l'interruption de la présente instance,
Débouté la SAS ACCRODONTE de sa demande de fin de non recevoir des demandes de CERADOUR,
Statuant au fond :
Débouté la SARL CERADOUR de ses demandes fins et prétentions,
Débouté la SSAS ACCRODONTE de ses demandes reconventionnelles,
Condamné la SARL CERADOUR au paiement à la SAS ACCRODONTE de la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du CPC, et débouté la SAS ACCRODONTE du complément de sa demande,
Condamné la SARL CERADOUR aux entiers dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 69, 59€.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 12 avril 2024, la Sarl CERADOUR a relevé appel de cette décision.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 septembre 2025.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 05 septembre 2025, la Sarl CERADOUR a demandé à la cour de
Vu les pièces,
Vu les articles L. 141-2 du Code de commerce, 1112-1 et 1137 du Code civil,
DECLARER recevable et bien-fondé l'appel interjeté par Société ACCRODONTE ;
REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a décidé ce qui suit :
' Déboute la SARL CERADOUR de ses demandes, fins et prétentions,
' Condamne la SARL CERADOUR au paiement à la SAS ACCRODONTE de la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
' Condamne la SARL CERADOUR aux entiers dépens dont les frais de greffe liquidés à la somme de 69.59 €.
Statuant de nouveau :
RECEVOIR l'intégralité des moyens et prétentions de l'appelante ;
DIRE RECEVABLE l'augmentation du quantum à 105.000 € comme ne constituant pas une demande nouvelle mais un rehaussement d'une prétention tendant aux mêmes fins ;
DIRE que la SAS ACCRODONTE a manqué à son devoir d'information (art. L. 141-2 C. com. et 1112-1 C. civ.) et s'est rendue coupable de réticence dolosive (art. 1137 C. civ.) lors de la cession du 4 janvier 2022 ;
CONDAMNER la SAS ACCRODONTE à payer à la SARL CERADOUR la somme de 105.000 € à titre de dommages-intérêts (à défaut, 90.000 €) ;
CONDAMNER la SAS ACCRODONTE à payer à la Société CERADOUR la somme de 7 000 € au titre de l'article 700 du CPC ;
CONDAMNER la SAS ACCRODONTE à payer les entiers dépens de première instance et d'appel ;
À titre subsidiaire,
DECLARER en tout état de cause recevable la demande à hauteur de 90.000 € ;
Dans ses dernières conclusions notifiées le 10 septembre 2025, la Sarl ACCRODONTE a demandé à la cour de :
Sur les conclusions signifiées tardivement par l'Appelante,
Conformément aux articles 783, 15 et 16, 135, 913 et 913-1 du CPC et à la jurisprudence
- ÉCARTER des débats les conclusions n° 2 signifiées par RPVA par la SARL CERADOUR à la SAS ACCRODONTE ainsi qu'au Greffe de la Cour d'Appel de PAU le 05 septembre 2025 à 17h24, soit deux jours ouvrés avant la date de clôture fixée selon bulletin de fixation transmis aux Parties en date du 24 février 2025.
Sur l'irrecevabilité de la demande nouvelle à hauteur d'appel, Conformément à l'article 564 du CPC
- CONSTATER que la SARL CERADOUR formule une demande nouvelle à hauteur d'appel consistant à condamner la SAS ACCRODONTE à payer à la SARL CERADOUR la somme de 105.000 € à titre de dommages-intérêts, tandis que cette demande s'élevait à 90.000 € en première instance ;
- CONSTATER que la demande nouvelle de la SARL CERADOUR ne tend pas à opposer de compensation, faire écarter les prétentions de la SAS ACCRODONTE ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait nouveau depuis l'audience de plaidoirie du Tribunal de Commerce du 15 janvier 2024 ;
- DIRE ET JUGER la demande de dommages-intérêts de 105.000 € irrecevable à hauteur de la somme de 15.000 €.
Au fond, à titre principal,
Vu l'article L. 141-2 du Code de commerce et vu les articles 1112-1 et 1137 du Code civil, Ensemble les pièces et la jurisprudence versées :
- DÉCLARER recevable mais mal fondé l'appel interjeté par la SARL CERADOUR à l'encontre du jugement rendu le 11 mars 2024 par le Tribunal de Commerce de BAYONNE ;
- CONFIRMER le jugement rendu le 11 mars 2024 par le Tribunal de Commerce de BAYONNE en ce qu'il:
- DÉBOUTE la SARL CERADOUR de ses demandes, fins et prétentions,
- CONDAMNE la SARL CERADOUR au paiement à la SAS ACCRODONTE de la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du CPC,
- CONDAMNE la SARL CERADOUR aux entiers dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 69,59 €.
STATUANT A NOUVEAU :
- DÉBOUTER la SARL CERADOUR de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
Conformément aux articles 696, 699 et 700 du Code de procédure civile :
- CONDAMNER la SARL CERADOUR à régler à la SAS ACCRODONTE une indemnité de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- CONDAMNER la SARL CERADOUR aux entiers dépens de la première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du Code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Céline REGNIER en application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
SUR CE
Le 28 septembre 2021, la Sas ACCRODONTE, en qualité de cédant, et la Sarl CERADOUR en qualité de cessionnaire, ont conclu, en présence de la SCI AMAGIL propriétaire des locaux dans lesquels est exploité le fonds, un compromis de cession portant sur un fonds artisanal et commercial de fabrication, réparation de prothèses dentaires sous toutes leurs formes situé [Adresse 9], moyennant le prix de 225 000 euros.
Le compromis de vente mentionnait les déclarations relatives aux chiffres d'affaires et aux résultats d'exploitation des trois exercices précédant l'acte. Les chiffres d'affaires suivants ont été déclarés :
Exercice du 1er avril 2018 au 31 mars 2019 : 314 474 €
Exercice du 1er avril 2019 au 31 mars 2020 : 314 474 €
Exercice du 1er avril 2020 au 30 mars 2021 : 338 916 €
Avril 2021 : 13 014 €
Mai 2021 : 16 842 €
Juin 2021 : 20 570 €
Juillet 2021 : 17 285 €
Août 2021 : 2 552 €
Par ailleurs, l'expert-comptable de la société ACCRODONTE a établi une attestation certifiant le montant des chiffres d'affaires mensuels enregistrés entre le 1er avril 2021 et le 30 septembre 2021, le chiffre d'affaires du mois de septembre s'élevant à 17 610 euros.
L'acte définitif de cession a été signé entre les parties le 4 janvier 2022.
Entre la prise de jouissance des lieux et le 30 septembre 2022 inclus, la société CERADOUR a réalisé un chiffre d'affaires de 95 991,70 euros, ce qui a entraîné des difficultés de trésorerie.
À compter du mois de juillet 2022, elle a cessé de régler les loyers.
En sa qualité de bailleur, la Sci Amagil a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Bayonne aux fins de résiliation du bail, d'expulsion et de paiement des loyers impayés. Par ordonnance en date du 17 janvier 2023, le juge des référés a fait droit à l'ensemble de ses demandes.
Estimant avoir été trompée par la société ACCRODONTE sur les éléments constitutifs du fonds de commerce ainsi que sur sa réalité économique, la société CERADOUR l'a fait assigner, par acte de commissaire de justice du 21 avril 2023, devant le tribunal de commerce de Bayonne, afin de voir condamner cette dernière à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 90 000 euros.
Par la suite sa situation financière a conduit CERADOUR à procéder le 9 mai 2023 à une déclaration de cessation des paiements , sollicitant ainsi l'ouverture à son égard d'une procédure de redressement judiciaire décidée par le tribunal de commerce de Mont-de-Marsan selon jugement du 12 mai 2023 qui a fixé la date de cessation des paiements au premier janvier 2023.
Par jugement dont appel, le tribunal de commerce de BAYONNE a débouté au fond la SARL CERADOUR de ses demandes .
I) In limine litis , sur l'irrecevabilité des conclusions N°2 signifiées par CERADOUR et l'irrecevabilité de la demande nouvelle de dommages-intérêts formulée par CERADOUR :
- Sur l'irrecevabilité des conclusions :
La SAS ACCRODONTE soulève l' irrecevabilité des conclusions N°2 signifiées par la SARL CERADOUR tardivement soit le 5 septembre 2025 alors que la date de clôture annoncée par le bulletin de fixation émis par le greffe de la cour d'appel était prévue au 10 septembre 2025.
Elle invoque les dispositions de l'article 783 du code de procédure civile suivant lesquelles après l'ordonnance de clôture aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
Elle cite également les articles 15 et 16 du code de procédure civile, 135 et 913 alinéa un du même code ainsi que la jurisprudence en demandant que ces conclusions soient écartées des débats.
L'article 16 du code de procédure civile dispose que : « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. »
Aux termes de l'article 802 du code de procédure civile , après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
L'ordonnance de clôture est datée du 10 septembre2025 à 9h 11.
Les conclusions N° 2 signifiées le 5 septembre 2025 par CERADOUR l'ont été, non pas la veille de l'ordonnance de clôture, mais plusieurs jours avant celle-ci et la SAS ACCRODONTE ne démontre pas avoir été mise dans l'incapacité d'y répondre alors même que le jour de l'ordonnance de clôture 10 septembre 2025 elle y a répliqué par des conclusions récapitulatives du 10 septembre 2025 signifiées dans l'après-midi après que l'ordonnance de clôture soit intervenue à 9h11.
Ces conclusions déposées le jour même de l'ordonnance de clôture en réplique aux conclusions adverses déposées quelques jours auparavant ne soulèvent aucuns moyens nouveaux ni prétentions nouvelles et seront donc déclarées recevables.
Dans ces conditions et dans le respect du principe du contradictoire, les conclusions N°2 de la SARL CERADOUR ainsi que les conclusions d'intimée N°2 récapitulatives de la SAS ACCRODONTE seront également déclarées recevables.
- Sur l'irrecevabilité de la demande nouvelle en appel :
La SAS ACCRODONTE soulève également l' irrecevabilité de la demande nouvelle de dommages-intérêts formulée par CERADOUR en se fondant sur les dispositions de l'article 564 du code de procédure civile suivant lesquelles à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
La SARL CERADOUR réplique que l'augmentation du montant demandé ne change ni l'objet ni la cause de la prétention et ne constitue donc pas une demande nouvelle mais un simple rehaussement du quantum, recevable dès lors qu'il tend aux mêmes fins que la demande initiale.
L'article 566 du code de procédure civile prévoit que : « les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. »
En l'espèce, la SARL CERADOUR a sollicité devant les premiers juges l'indemnisation de son préjudice à hauteur de la somme de 90 000 € à titre de dommages et intérêts correspondant à 40 % du prix de cession du fonds de commerce.
En cause d'appel elle y ajoute une demande d'indemnisation à hauteur de la somme supplémentaire de 15 000 € destinée à compenser son préjudice moral et financier soit la somme totale de 105 000 €.
Une telle demande ne constitue pas une demande nouvelle au sens de l'article 566 du code de procédure civile puisqu'elle se rattache à la demande principale d'indemnisation par un lien suffisant et qu'elle tend aux mêmes fins.
Cette demande d'indemnisation à hauteur de la somme de 105 000 € sera donc déclarée recevable.
II) au fond :
- sur le manquement au devoir d'information reproché au cédant :
La SARL CERADOUR reproche à la SAS ACCRODONTE de ne pas avoir honoré son devoir d'information en ne la renseignant pas sur les données comptables des mois d'octobre novembre et décembre 2021 contrevenant ainsi aux dispositions de l'article L 141 ' 2 du code de commerce prévoyant qu'« au jour de la cession, le vendeur et l'acquéreur visent un document présentant les chiffres d'affaires mensuels réalisés entre la clôture du dernier exercice comptable et le mois précédent celui de la vente. »
En effet, le compromis de cession en date du 28 septembre 2021, préalable à l'acte de cession du fonds de commerce artisanal de prothésiste dentaire intervenu le 4 janvier 2022, ne faisait état que des chiffres d'affaires mensuels réalisés entre le mois d'avril 2021 et le mois d'août 2021 en l'absence de clôture provisoire des comptes sociaux à la date du compromis. Une attestation comptable a bien été transmise mais postérieurement en date du 26 octobre 2021.
Ainsi la SARL CERADOUR n'a jamais été mise au courant de l'effondrement du chiffre d'affaires de l'exploitation dans le courant de l'exercice 2021 -2022 puisqu'elle n'a pris connaissance que des conditions de l'exploitation et des revenus de l'activité découlant des exercices antérieurs et donc des bilans des années 2018, 2019, 2020 lesquels étaient effectivement rentables.
L'attestation jointe à l'acte définitif ne couvrait que septembre 2021 en violation du texte et des engagements contractuels contenus dans le compromis de vente du 28 septembre 2021 par lesquels le vendeur s'était engagé à remettre les chiffres d'affaires mensuels jusqu'au mois précédant la vente et à ne rien faire qui amoindrisse la valeur du fonds.
Même si la perte de clientèle n'est pas au nombre des mentions obligatoires de la loi de 1935, cela est indifférent à l'application du devoir d'information précontractuel tel que prévu à l'article 1112-1 et à la réticence dolosive découlant de l'article 1137 du code civil lesquels sanctionnent l'omission d'une information déterminante indépendamment des mentions « obligatoires » de l'acte.
Elle reproche au cédant de ne pas l'avoir avisée des départs de clients représentant la plus grosse part du chiffre d'affaires et qui ont cessé leur collaboration avec le cédant au cours de l'année 20 21 ou étaient au stade du préavis de départ lors de la signature de l'acte de cession. Elle cite le départ du Docteur [R], du Docteur [I], la fin de collaboration avec le cabinet GOCHOA, avec le Docteur [G].
Elle réfute les critiques émises par la SAS ACCRODONTE quant à son manque d'expérience professionnelle et soutient que les griefs présentés à son encontre sur la qualité de ses prestations son inexpérience ou sa gestion sont étrangers à la faute d'information initiale.
En synthèse, la combinaison de l'omission des chiffres d'affaires d'octobre- décembre 2021, de la perte ou du départ imminent des prescripteurs majeurs (représentant plus de la moitié du chiffre d'affaires), de l'information tardive post- cession et la violation des engagements contractuels de ne rien faire diminuant la valeur, caractérisent à la fois le manquement au devoir d'information et la réticence dolosive.
S'agissant du non exercice de l'action spéciale dans l'année prévue par l'article L141-2, la SARL CERADOUR précise exerçait ici l'action de droit commun fondée sur les articles 1112-1 et 1137 du Code civil de telle sorte que l'absence d'action spéciale ne purge ni le manquement d'information ni le dol.
La SAS ACCRODONTE rappelle le contexte dans lequel son dirigeant [U] [O] maître artisan et auparavant enseignant à la chambre des métiers et de l'artisanat de [Localité 6] a été amené à vendre son affaire en raison de préoccupations de santé.
Par acte sous signature privée du 28 septembre 2021 elle a cédé son fonds à la SARL CERADOUR moyennant un prix ramené à 225 000 € sous condition suspensive notamment de l'obtention d'un emprunt par la SARL CERADOUR.
À la date du compromis la société ACCRODONTE n' employait plus aucun salarié tandis qu'elle employait deux salariés sur les exercices précédant la vente ce qui a été mentionné expressément dans l'acte de sorte que CERADOUR ne pouvait l'ignorer ;
Par acte sous signature privée du 4 janvier 2022 soit avec presque deux mois de retard les parties ont réitéré la vente avec entrée en jouissance rétroactivement fixée au 1er janvier 2022. Ce retard est dû à l' obtention tardive de son emprunt par la SARL CERADOUR.
Les chiffres d'affaires et résultats des trois exercices clos ayant précédé la vente ont été indiqués dans l'acte en page 5. Enfin les chiffres d'affaires HT mensuels de la société ACCRODONTE ont été attestés par l'expert-comptable le 26 octobre 2021, d'avril à septembre 2021 et annexés.
La société ACCRODONTE reproche à la gérante de CERADOUR de ne s'être pas impliquée avec sérieux pendant la période conventionnelle d'accompagnement que Monsieur [O] avait proposé gracieusement pour présentation de son successeur à la clientèle.
La société ACCRODONTE fait valoir également que dès le mois de février 2022, soit un mois à peine après le rachat du fonds, la société CERADOUR a évoqué des difficultés de trésorerie auprès de Monsieur [O] qui est également indirectement propriétaire des murs du fonds via la SA SCI AMAGIL dont il est l'associé gérant ; elle a manqué à son obligation de paiement du loyer et des charges mensuelles. Ces manquements ont abouti à la procédure de résiliation du bail commercial et à l'expulsion de la SARL CERADOUR des lieux loués le 17 janvier 2023.
La société ACCRODONTE indique avoir partiellement répondu aux obligations qui lui incombaient en application des dispositions de l'article L 141 ' 2 du code de commerce puisqu'elle a simplement omis de présenter à son successeur le chiffre d'affaires HT mensuel des mois d'octobre à décembre 2021 avant la vente (chiffres qui lui ont été accessibles dès le lendemain de la vente).
Cependant les chiffres d'affaires des trois derniers exercices précédant la vente ayant été communiqués au stade du compromis de cession signé le 28 septembre 2021, une analyse du chiffre d'affaires HT mensuel de la SAS ACCRODONTE à compter du mois d'avril 2021 et jusqu'à la cession intervenue en janvier 2022 permet de constater que les informations manquantes n'auraient pu altérer le consentement de l'acquéreur, en ce que le chiffre d'affaires n'a connu aucune diminution en moyenne, comme relevé par le tribunal de commerce de Bayonne.
ACCRODONTE n'a pas réalisé des chiffres d'affaires équivalents lorsqu'elle employait encore deux salariés pendant les trois exercices clos avant la cession or le nombre de salariés était visible dans les comptes annuels versés dont CERADOUR avait eu communication avant la cession.
En l'absence de salariés, Monsieur [O] a réalisé seul un chiffre d'affaires HT mensuel moyen (arrondi) de 14 000 € sur la période d'avril à décembre 2021. Ramené sur 12 mois le chiffre d'affaires HT annuel de Monsieur [O] s'élèvait à 168 000 € HT, soit 212 000 € HT environ 44 % de moins que le plus haut des chiffres d'affaires des exercices clos avant cession savoir celui-ci avant (arrondi) de 380 000 €.
Se prévalant de ces chiffres, ACCRODONTE considère que CERADOUR ne peut sérieusement invoquer une perte de 70 % du chiffre d'affaires HT dès lors que le rapport entre le chiffre réalisé avec deux salariés et un chiffre d'affaires réalisé par Monsieur [O] seul, souffrant d'une maladie chronique, n'est pas incohérent. Ce dernier a continué d'exploiter normalement son fonds sans interruption dans l'exploitation et sans salarié dans la logique de cession de son affaire à un successeur. Il a d'ailleurs pris le soin d'intégrer un nouveau chirurgien-dentiste dans la clientèle d' ACCRODONTE pour le début de l'année 2022.
ACCRODONTE reproche à la société CERADOUR de s'être elle-même placée dans une situation délicate en accroissant ses charges dès l'année de reprise du fonds acquis, du fait de l'embauche d'une personne salariée pour la fabrication et la réparation de prothèses dentaires à temps plein et du recours aux services d'une société indépendante pour des prestations de ménage dès le mois suivant la reprise, postes de charges qui n'existaient pas chez ACCRODONTE.
La société ACCRODONTE fait remarquer qu' aucune action n'a été intentée sur le fondement des articles L 141 ' 2 et suivants du code de commerce dans l'année de l'entrée en jouissance. La SARL CERADOUR dont l'action est prescrite sur ce fondement invoque le dol de droit commun dont l'élément matériel n'est pas caractérisé puisque la société CERADOUR ne démontre pas en quoi l'importance de ces informations sur la connaissance des derniers chiffres d'affaires mensuels était déterminante de son consentement, consentement par ailleurs éclairé par son conseil de l'époque. En outre l'élément intentionnel de ce prétendu dol par réticence ne saurait non plus être établi par CERADOUR en l'espèce faute de démontrer toute man'uvre ou dissimulation des informations dont elles présume seulement que le gérant de la société ACCRODON TE en avait connaissance sans en rapporter la preuve .
Par ailleurs elle estime à peine concevable que la SARL CERADOUR ait pu voir dans ces omissions une information déterminante dont elle aurait été privée pour contracter voire une valorisation frauduleuse du fonds cédé alors que le prix de vente de 225 000 € était ventilé comme suit : éléments incorporels 67 590 €, éléments corporels : 157 410 €. La clientèle d' ACCRODONTE a donc été évaluée à seulement 67 590 € dans une démarche tout à fait cohérente. Cette évaluation est parfaitement justifiée par le chiffre d'affaires HT que réalise CERADOUR sur seulement neuf mois et qu'elle détaille en page 11 de ses écritures. Le chiffre qu'elle donne projeté sur 12 mois s'élève environ à 80 018 € pour une clientèle évaluée à 67 590 €.
XXX
L'article 1112 '1du code civil dispose que : « celle des parties connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant... Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l' a fournie' »
L'article 1137 du Code civil définit le dol notamment comme : « la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. »
L'article L 141 '2 du code de commerce dispose que : « au jour de la cession, le vendeur et l'acquéreur visent un document présentant les chiffres d'affaires mensuels réalisés entre la clôture du dernier exercice comptable et le mois précédent celui de la vente. »
En l'espèce la société CERADOUR invoque un défaut d'information précontractuelle et une dissimulation d'information à caractère déterminant puisque portant sur le montant des chiffres d'affaires avant la cession concernant l'exercice d'octobre à décembre 2021.
Elle reproche également le défaut d'information en ce qui concerne le départ des principaux clients du fonds et le manquement par la société ACCRODONTE à ses obligations précontractuelles de ne rien faire qui puisse entraîner la dévalorisation du fonds.
Cependant elle ne tire pas la conséquence des griefs invoqués basés sur une réticence dolosive de la part du cédant en sollicitant la nullité de l'acte de cession, le non-respect des dispositions de l'article L 141 ' 2 n'étant pas sanctionné par la nullité de la cession du fonds de commerce contrairement au dol.
La Cour de cassation a jugé que le manquement à une obligation précontractuelle d'information ne peut servir à caractériser le dol par réticence si ne s'y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement même en cas de non-respect de l'obligation légale d'information précontractuelle.
La société CERADOUR sollicite des dommages-intérêts pour sanctionner l'inexécution de ses obligations précontractuelles par la société ACCRODONTE.
S'agissant de l'absence de communication du chiffre d'affaires sur la période d'octobre à décembre 2021 précédant l'acte de cession intervenu le 4 janvier 2022, la société ACCRODONTE s'en est expliquée reconnaissant cette omission mais expliquant le contexte de la cession et le retard pris dans la passation de l'acte définitif de cession qui ne lui est pas imputable. Lors du compromis de vente intervenu le 28 septembre 2021 les déclarations relatives aux chiffres d'affaires des trois exercices précédant l'acte étaient jointes ainsi qu'une attestation de l'expert-comptable.
L'acte définitif de cession n'est intervenu que le 4 janvier 2022.
Il n'est pas démontré par la société CERADOUR que l'absence de mention des derniers chiffres d'affaires pour la période d'octobre à décembre 2021 ait été faite intentionnellement par le cédant en vue de dissimuler la réalité de son activité pour la tromper sur la rentabilité de l'entreprise.
La société ACCRODONTE s'est en effet expliquée sur cette omission et l'information complète avait été délivrée sur les chiffres d'affaires au moment du compromis de vente et dès le lendemain de la vente.
Elle a également précisé que l'activité de la société avait été poursuivie les derniers temps avant la cession par le seul gérant Monsieur [O] et que l'on ne pouvait comparer les chiffre d'affaires réalisés alors que la société employait deux salariés avec l'activité déployée par le seul Monsieur [O].
Il n'est pas démontré par la société CERADOUR que cette information lui ait été dissimulée par Monsieur [O] avec lequel les relations, comme le montrent les mails échangés, étaient cordiales et directes.
S'agissant du départ d' une partie de la clientèle, la société ACCRODONTE démontre par les attestations versées aux débats qu'il s'agissait de départs à la retraite dont la société CERADOUR a été avisée par les intéressés ou de clients déçus par les prestations proposées par la société CERADOUR .
En définitive il peut être uniquement reproché à la société ACCRODONTE de n'avoir que partiellement respecté les dispositions de l'article L141-2 en ce qui concerne la communication des derniers chiffres d'affaires.
Il n'est pas démontré le caractère intentionnel et dolosif de ce manquement ni le lien de causalité existant entre celui-ci et le préjudice allégué par la société CERADOUR dont l'activité a péréclité et qui a été expulsée de son local commercial.
Il y a donc lieu de considérer qu'aucune faute contractuelle ni dol ne sont caractérisés de nature à ouvrir droit à des dommages-intérêts.
- Sur la perte de clientèle alléguée par la SARL CERADOUR :
La SARL CERADOUR déplore la perte d'environ 80 % de la clientèle cédée par la SAS ACCRODONTE entraînant un préjudice considérable pour elle puisqu'elle doit désormais rembourser le crédit bancaire à hauteur de 2800 € mensuel souscrit pour l'acquisition de cette entreprise.
Sur la base des informations fournies par la société ACCRODONTE, l'exploitation permettait de générer à minima 300 000 € HT par année.
Le chiffre d'affaires réalisé par la société CERADOUR du 1er janvier 2022 au 30 septembre 2022 atteint seulement 95 991,71 € TTC , soit 79 993 €HT.
Sur ce chiffre d'affaires, il faut retrancher la somme de 35 977 € HT provenant de ses clients antérieurs à la vente ou des marchés conclus postérieurement à la vente .
En définitive elle soutient que la clientèle cédée par la société ACCRODONTE n'a permis de rapporter que 60 014 € HT de chiffre d'affaires.
La société ACCRODONTE ,s'agissant du dol prétendument tiré des départs de clientèle, fait valoir que le départ du Docteur [R] est antérieur de 10 mois à la cession intervenue le 4 janvier 2022 et ne saurait constituer une information déterminante du consentement de l'appelante. S'agissant du départ du Docteur [I], celui-ci a attesté avoir prévenu CERADOUR début janvier 2022.
La société ACCRODONTE passe en revue les autres départs de clientèle, en expliquant les circonstances de ces départs dont la responsabilité ne saurait lui incomber alors qu'il ressort des attestations produites par certains de ces médecins que la qualité des services proposés laissait à désirer.
S'agissant du départ d'une partie de la clientèle, la société ACCRODONTE en déduit que CERADOUR n' a tout simplement pas eu la capacité de répondre aux attentes de la clientèle d ACCRODONTE qui existait pourtant indubitablement et qu'elle a elle-même repoussée par son comportement en raison de ses prestations.
Elle se base sur le manque d'expérience de la société CERADOUR attesté par Monsieur [L] [M] prothésiste dentaire à [Localité 7] qui a reçu Madame [F] gérante de la SARL CERADOUR, dans le cadre d'une mesure d'action de formation préalable au recrutement accordée par pôle emploi le 24 août 2020,16 mois avant l'acquisition d'ACCRODONTE.
Elle considère que la société n'apporte pas la preuve de la qualité et du caractère satisfactoire du travail de fabrication de prothèses fourni à cette période à la clientèle d' ACCRODONTE localisée sur son secteur d'activité. Elle produit en effet des attestations postérieures à la perte du bail commercial et au mois de janvier 2023 concernant une période où la société a été contrainte de revenir exploiter dans le secteur de son siège social à [Localité 8].
XXX
Le préjudice indemnisable doit être direct personnel et certain.
La société CERADOUR ne démontre pas la responsabilité de la société ACCRODONTE en ce qui concerne les départs de certains clients et le lien de causalité entre la perte d'une partie de la clientèle et la baisse de son chiffre d'affaires.
La société ACCRODONTE ne peut être tenue pour responsable de ces départs à la retraite dont il n'est pas démontré qu'elle les ait dissimulés à la société CERADOUR pour valoriser son fonds.
La société ACCRODONTE en effet a cédé le fonds moyennant un prix de vente de 225 000 € ventilé comme suit :
éléments incorporels 67 590 € et éléments corporels 157 410 €. La clientèle d' ACCRODONTE a donc été évaluée à la somme de 67 590 € ce qui correspond à une fourchette basse comme le démontre le cédant auquel ne peut être reprochée aucune valorisation frauduleuse. Ce d'autant plus que cette évaluation se justifie par le chiffre d'affaires que réalise CERADOUR sur neuf mois d'exercice à savoir, après soustraction du chiffre d'affaires provenant de ses clients antérieurs à la vente, 60 014 € HT.
Ainsi projeté sur 12 mois ce chiffre s'élève à environ 80 018 € pour une clientèle évaluée à 67 590 €.
Ces éléments ne sont pas contestés par la société CERADOUR.
Il y a donc lieu de débouter celle-ci de ses chefs de contestation et de ses prétentions, aucune faute contractuelle ni dol n'étant imputable à la société ACCRODONTE de nature à lui ouvrir droit à des dommages-intérêts.
Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions et y ajoutant la somme de 2000 € sera allouée à la société ACCRODONTE sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à dispositon au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevables les conclusions N°2 signifiées par la SARL CERADOUR ainsi que l'ensemble de ses demandes formulées en cause d'appel
Déboute la SARL CERADOUR l'ensemble de ses prétentions
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Y ajoutant :
Condamne la SARL CERADOUR à payer à la société ACCRODONTE la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit la SARL CERADOUR tenue aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Président, et par M. MAGESTE, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Numéro 25/3142
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 18 NOVEMBRE 2025
Dossier : N° RG 24/01118 - N° Portalis DBVV-V-B7I-I2H4
Nature affaire :
Autres demandes en matière de vente de fonds de commerce
Affaire :
S.A.R.L. CERADOUR
C/
S.A.S. ACCRODONTE
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 18 NOVEMBRE 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 23 Septembre 2025, devant :
Jeanne PELLEFIGUES, magistrat chargé du rapport,
assisté de Mme SAYOUS, Greffier présent à l'appel des causes,
Jeanne PELLEFIGUES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
Madame Laurence BAYLAUCQ, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.R.L. CERADOUR
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-bernard PENEAU de la SCP SCP PENEAU-DESCOUBES PENEAU, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
INTIMEE :
S.A.S. ACCRODONTE Société par actions simplifiée au capital de 7.622,45 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des sociétés de BAYONNE sous le numéro 410 745 426, ayant son siège sis à [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [U] [O], domicilié audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Céline REGNIER, avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 11 MARS 2024
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE
Par jugement en date du 11 mars 2024, le tribunal de commerce de Bayonne a :
Vu l'article 369 du code de procédure civile,
Vu les articles 1112-1, 1137 et 2224 du Code civil
Vu les articles L. 141-2, L622-21 à 23 du Code de commerce,
Reçu les parties en leurs demandes, fins et conclusions,
In limine litis :
Débouté la SAS ACCRODONTE de sa demande d'exception de procédure pour que soit prononcée l'interruption de la présente instance,
Débouté la SAS ACCRODONTE de sa demande de fin de non recevoir des demandes de CERADOUR,
Statuant au fond :
Débouté la SARL CERADOUR de ses demandes fins et prétentions,
Débouté la SSAS ACCRODONTE de ses demandes reconventionnelles,
Condamné la SARL CERADOUR au paiement à la SAS ACCRODONTE de la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du CPC, et débouté la SAS ACCRODONTE du complément de sa demande,
Condamné la SARL CERADOUR aux entiers dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 69, 59€.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 12 avril 2024, la Sarl CERADOUR a relevé appel de cette décision.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 septembre 2025.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 05 septembre 2025, la Sarl CERADOUR a demandé à la cour de
Vu les pièces,
Vu les articles L. 141-2 du Code de commerce, 1112-1 et 1137 du Code civil,
DECLARER recevable et bien-fondé l'appel interjeté par Société ACCRODONTE ;
REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a décidé ce qui suit :
' Déboute la SARL CERADOUR de ses demandes, fins et prétentions,
' Condamne la SARL CERADOUR au paiement à la SAS ACCRODONTE de la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
' Condamne la SARL CERADOUR aux entiers dépens dont les frais de greffe liquidés à la somme de 69.59 €.
Statuant de nouveau :
RECEVOIR l'intégralité des moyens et prétentions de l'appelante ;
DIRE RECEVABLE l'augmentation du quantum à 105.000 € comme ne constituant pas une demande nouvelle mais un rehaussement d'une prétention tendant aux mêmes fins ;
DIRE que la SAS ACCRODONTE a manqué à son devoir d'information (art. L. 141-2 C. com. et 1112-1 C. civ.) et s'est rendue coupable de réticence dolosive (art. 1137 C. civ.) lors de la cession du 4 janvier 2022 ;
CONDAMNER la SAS ACCRODONTE à payer à la SARL CERADOUR la somme de 105.000 € à titre de dommages-intérêts (à défaut, 90.000 €) ;
CONDAMNER la SAS ACCRODONTE à payer à la Société CERADOUR la somme de 7 000 € au titre de l'article 700 du CPC ;
CONDAMNER la SAS ACCRODONTE à payer les entiers dépens de première instance et d'appel ;
À titre subsidiaire,
DECLARER en tout état de cause recevable la demande à hauteur de 90.000 € ;
Dans ses dernières conclusions notifiées le 10 septembre 2025, la Sarl ACCRODONTE a demandé à la cour de :
Sur les conclusions signifiées tardivement par l'Appelante,
Conformément aux articles 783, 15 et 16, 135, 913 et 913-1 du CPC et à la jurisprudence
- ÉCARTER des débats les conclusions n° 2 signifiées par RPVA par la SARL CERADOUR à la SAS ACCRODONTE ainsi qu'au Greffe de la Cour d'Appel de PAU le 05 septembre 2025 à 17h24, soit deux jours ouvrés avant la date de clôture fixée selon bulletin de fixation transmis aux Parties en date du 24 février 2025.
Sur l'irrecevabilité de la demande nouvelle à hauteur d'appel, Conformément à l'article 564 du CPC
- CONSTATER que la SARL CERADOUR formule une demande nouvelle à hauteur d'appel consistant à condamner la SAS ACCRODONTE à payer à la SARL CERADOUR la somme de 105.000 € à titre de dommages-intérêts, tandis que cette demande s'élevait à 90.000 € en première instance ;
- CONSTATER que la demande nouvelle de la SARL CERADOUR ne tend pas à opposer de compensation, faire écarter les prétentions de la SAS ACCRODONTE ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait nouveau depuis l'audience de plaidoirie du Tribunal de Commerce du 15 janvier 2024 ;
- DIRE ET JUGER la demande de dommages-intérêts de 105.000 € irrecevable à hauteur de la somme de 15.000 €.
Au fond, à titre principal,
Vu l'article L. 141-2 du Code de commerce et vu les articles 1112-1 et 1137 du Code civil, Ensemble les pièces et la jurisprudence versées :
- DÉCLARER recevable mais mal fondé l'appel interjeté par la SARL CERADOUR à l'encontre du jugement rendu le 11 mars 2024 par le Tribunal de Commerce de BAYONNE ;
- CONFIRMER le jugement rendu le 11 mars 2024 par le Tribunal de Commerce de BAYONNE en ce qu'il:
- DÉBOUTE la SARL CERADOUR de ses demandes, fins et prétentions,
- CONDAMNE la SARL CERADOUR au paiement à la SAS ACCRODONTE de la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du CPC,
- CONDAMNE la SARL CERADOUR aux entiers dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 69,59 €.
STATUANT A NOUVEAU :
- DÉBOUTER la SARL CERADOUR de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
Conformément aux articles 696, 699 et 700 du Code de procédure civile :
- CONDAMNER la SARL CERADOUR à régler à la SAS ACCRODONTE une indemnité de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- CONDAMNER la SARL CERADOUR aux entiers dépens de la première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du Code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Céline REGNIER en application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
SUR CE
Le 28 septembre 2021, la Sas ACCRODONTE, en qualité de cédant, et la Sarl CERADOUR en qualité de cessionnaire, ont conclu, en présence de la SCI AMAGIL propriétaire des locaux dans lesquels est exploité le fonds, un compromis de cession portant sur un fonds artisanal et commercial de fabrication, réparation de prothèses dentaires sous toutes leurs formes situé [Adresse 9], moyennant le prix de 225 000 euros.
Le compromis de vente mentionnait les déclarations relatives aux chiffres d'affaires et aux résultats d'exploitation des trois exercices précédant l'acte. Les chiffres d'affaires suivants ont été déclarés :
Exercice du 1er avril 2018 au 31 mars 2019 : 314 474 €
Exercice du 1er avril 2019 au 31 mars 2020 : 314 474 €
Exercice du 1er avril 2020 au 30 mars 2021 : 338 916 €
Avril 2021 : 13 014 €
Mai 2021 : 16 842 €
Juin 2021 : 20 570 €
Juillet 2021 : 17 285 €
Août 2021 : 2 552 €
Par ailleurs, l'expert-comptable de la société ACCRODONTE a établi une attestation certifiant le montant des chiffres d'affaires mensuels enregistrés entre le 1er avril 2021 et le 30 septembre 2021, le chiffre d'affaires du mois de septembre s'élevant à 17 610 euros.
L'acte définitif de cession a été signé entre les parties le 4 janvier 2022.
Entre la prise de jouissance des lieux et le 30 septembre 2022 inclus, la société CERADOUR a réalisé un chiffre d'affaires de 95 991,70 euros, ce qui a entraîné des difficultés de trésorerie.
À compter du mois de juillet 2022, elle a cessé de régler les loyers.
En sa qualité de bailleur, la Sci Amagil a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Bayonne aux fins de résiliation du bail, d'expulsion et de paiement des loyers impayés. Par ordonnance en date du 17 janvier 2023, le juge des référés a fait droit à l'ensemble de ses demandes.
Estimant avoir été trompée par la société ACCRODONTE sur les éléments constitutifs du fonds de commerce ainsi que sur sa réalité économique, la société CERADOUR l'a fait assigner, par acte de commissaire de justice du 21 avril 2023, devant le tribunal de commerce de Bayonne, afin de voir condamner cette dernière à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 90 000 euros.
Par la suite sa situation financière a conduit CERADOUR à procéder le 9 mai 2023 à une déclaration de cessation des paiements , sollicitant ainsi l'ouverture à son égard d'une procédure de redressement judiciaire décidée par le tribunal de commerce de Mont-de-Marsan selon jugement du 12 mai 2023 qui a fixé la date de cessation des paiements au premier janvier 2023.
Par jugement dont appel, le tribunal de commerce de BAYONNE a débouté au fond la SARL CERADOUR de ses demandes .
I) In limine litis , sur l'irrecevabilité des conclusions N°2 signifiées par CERADOUR et l'irrecevabilité de la demande nouvelle de dommages-intérêts formulée par CERADOUR :
- Sur l'irrecevabilité des conclusions :
La SAS ACCRODONTE soulève l' irrecevabilité des conclusions N°2 signifiées par la SARL CERADOUR tardivement soit le 5 septembre 2025 alors que la date de clôture annoncée par le bulletin de fixation émis par le greffe de la cour d'appel était prévue au 10 septembre 2025.
Elle invoque les dispositions de l'article 783 du code de procédure civile suivant lesquelles après l'ordonnance de clôture aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
Elle cite également les articles 15 et 16 du code de procédure civile, 135 et 913 alinéa un du même code ainsi que la jurisprudence en demandant que ces conclusions soient écartées des débats.
L'article 16 du code de procédure civile dispose que : « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. »
Aux termes de l'article 802 du code de procédure civile , après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
L'ordonnance de clôture est datée du 10 septembre2025 à 9h 11.
Les conclusions N° 2 signifiées le 5 septembre 2025 par CERADOUR l'ont été, non pas la veille de l'ordonnance de clôture, mais plusieurs jours avant celle-ci et la SAS ACCRODONTE ne démontre pas avoir été mise dans l'incapacité d'y répondre alors même que le jour de l'ordonnance de clôture 10 septembre 2025 elle y a répliqué par des conclusions récapitulatives du 10 septembre 2025 signifiées dans l'après-midi après que l'ordonnance de clôture soit intervenue à 9h11.
Ces conclusions déposées le jour même de l'ordonnance de clôture en réplique aux conclusions adverses déposées quelques jours auparavant ne soulèvent aucuns moyens nouveaux ni prétentions nouvelles et seront donc déclarées recevables.
Dans ces conditions et dans le respect du principe du contradictoire, les conclusions N°2 de la SARL CERADOUR ainsi que les conclusions d'intimée N°2 récapitulatives de la SAS ACCRODONTE seront également déclarées recevables.
- Sur l'irrecevabilité de la demande nouvelle en appel :
La SAS ACCRODONTE soulève également l' irrecevabilité de la demande nouvelle de dommages-intérêts formulée par CERADOUR en se fondant sur les dispositions de l'article 564 du code de procédure civile suivant lesquelles à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
La SARL CERADOUR réplique que l'augmentation du montant demandé ne change ni l'objet ni la cause de la prétention et ne constitue donc pas une demande nouvelle mais un simple rehaussement du quantum, recevable dès lors qu'il tend aux mêmes fins que la demande initiale.
L'article 566 du code de procédure civile prévoit que : « les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. »
En l'espèce, la SARL CERADOUR a sollicité devant les premiers juges l'indemnisation de son préjudice à hauteur de la somme de 90 000 € à titre de dommages et intérêts correspondant à 40 % du prix de cession du fonds de commerce.
En cause d'appel elle y ajoute une demande d'indemnisation à hauteur de la somme supplémentaire de 15 000 € destinée à compenser son préjudice moral et financier soit la somme totale de 105 000 €.
Une telle demande ne constitue pas une demande nouvelle au sens de l'article 566 du code de procédure civile puisqu'elle se rattache à la demande principale d'indemnisation par un lien suffisant et qu'elle tend aux mêmes fins.
Cette demande d'indemnisation à hauteur de la somme de 105 000 € sera donc déclarée recevable.
II) au fond :
- sur le manquement au devoir d'information reproché au cédant :
La SARL CERADOUR reproche à la SAS ACCRODONTE de ne pas avoir honoré son devoir d'information en ne la renseignant pas sur les données comptables des mois d'octobre novembre et décembre 2021 contrevenant ainsi aux dispositions de l'article L 141 ' 2 du code de commerce prévoyant qu'« au jour de la cession, le vendeur et l'acquéreur visent un document présentant les chiffres d'affaires mensuels réalisés entre la clôture du dernier exercice comptable et le mois précédent celui de la vente. »
En effet, le compromis de cession en date du 28 septembre 2021, préalable à l'acte de cession du fonds de commerce artisanal de prothésiste dentaire intervenu le 4 janvier 2022, ne faisait état que des chiffres d'affaires mensuels réalisés entre le mois d'avril 2021 et le mois d'août 2021 en l'absence de clôture provisoire des comptes sociaux à la date du compromis. Une attestation comptable a bien été transmise mais postérieurement en date du 26 octobre 2021.
Ainsi la SARL CERADOUR n'a jamais été mise au courant de l'effondrement du chiffre d'affaires de l'exploitation dans le courant de l'exercice 2021 -2022 puisqu'elle n'a pris connaissance que des conditions de l'exploitation et des revenus de l'activité découlant des exercices antérieurs et donc des bilans des années 2018, 2019, 2020 lesquels étaient effectivement rentables.
L'attestation jointe à l'acte définitif ne couvrait que septembre 2021 en violation du texte et des engagements contractuels contenus dans le compromis de vente du 28 septembre 2021 par lesquels le vendeur s'était engagé à remettre les chiffres d'affaires mensuels jusqu'au mois précédant la vente et à ne rien faire qui amoindrisse la valeur du fonds.
Même si la perte de clientèle n'est pas au nombre des mentions obligatoires de la loi de 1935, cela est indifférent à l'application du devoir d'information précontractuel tel que prévu à l'article 1112-1 et à la réticence dolosive découlant de l'article 1137 du code civil lesquels sanctionnent l'omission d'une information déterminante indépendamment des mentions « obligatoires » de l'acte.
Elle reproche au cédant de ne pas l'avoir avisée des départs de clients représentant la plus grosse part du chiffre d'affaires et qui ont cessé leur collaboration avec le cédant au cours de l'année 20 21 ou étaient au stade du préavis de départ lors de la signature de l'acte de cession. Elle cite le départ du Docteur [R], du Docteur [I], la fin de collaboration avec le cabinet GOCHOA, avec le Docteur [G].
Elle réfute les critiques émises par la SAS ACCRODONTE quant à son manque d'expérience professionnelle et soutient que les griefs présentés à son encontre sur la qualité de ses prestations son inexpérience ou sa gestion sont étrangers à la faute d'information initiale.
En synthèse, la combinaison de l'omission des chiffres d'affaires d'octobre- décembre 2021, de la perte ou du départ imminent des prescripteurs majeurs (représentant plus de la moitié du chiffre d'affaires), de l'information tardive post- cession et la violation des engagements contractuels de ne rien faire diminuant la valeur, caractérisent à la fois le manquement au devoir d'information et la réticence dolosive.
S'agissant du non exercice de l'action spéciale dans l'année prévue par l'article L141-2, la SARL CERADOUR précise exerçait ici l'action de droit commun fondée sur les articles 1112-1 et 1137 du Code civil de telle sorte que l'absence d'action spéciale ne purge ni le manquement d'information ni le dol.
La SAS ACCRODONTE rappelle le contexte dans lequel son dirigeant [U] [O] maître artisan et auparavant enseignant à la chambre des métiers et de l'artisanat de [Localité 6] a été amené à vendre son affaire en raison de préoccupations de santé.
Par acte sous signature privée du 28 septembre 2021 elle a cédé son fonds à la SARL CERADOUR moyennant un prix ramené à 225 000 € sous condition suspensive notamment de l'obtention d'un emprunt par la SARL CERADOUR.
À la date du compromis la société ACCRODONTE n' employait plus aucun salarié tandis qu'elle employait deux salariés sur les exercices précédant la vente ce qui a été mentionné expressément dans l'acte de sorte que CERADOUR ne pouvait l'ignorer ;
Par acte sous signature privée du 4 janvier 2022 soit avec presque deux mois de retard les parties ont réitéré la vente avec entrée en jouissance rétroactivement fixée au 1er janvier 2022. Ce retard est dû à l' obtention tardive de son emprunt par la SARL CERADOUR.
Les chiffres d'affaires et résultats des trois exercices clos ayant précédé la vente ont été indiqués dans l'acte en page 5. Enfin les chiffres d'affaires HT mensuels de la société ACCRODONTE ont été attestés par l'expert-comptable le 26 octobre 2021, d'avril à septembre 2021 et annexés.
La société ACCRODONTE reproche à la gérante de CERADOUR de ne s'être pas impliquée avec sérieux pendant la période conventionnelle d'accompagnement que Monsieur [O] avait proposé gracieusement pour présentation de son successeur à la clientèle.
La société ACCRODONTE fait valoir également que dès le mois de février 2022, soit un mois à peine après le rachat du fonds, la société CERADOUR a évoqué des difficultés de trésorerie auprès de Monsieur [O] qui est également indirectement propriétaire des murs du fonds via la SA SCI AMAGIL dont il est l'associé gérant ; elle a manqué à son obligation de paiement du loyer et des charges mensuelles. Ces manquements ont abouti à la procédure de résiliation du bail commercial et à l'expulsion de la SARL CERADOUR des lieux loués le 17 janvier 2023.
La société ACCRODONTE indique avoir partiellement répondu aux obligations qui lui incombaient en application des dispositions de l'article L 141 ' 2 du code de commerce puisqu'elle a simplement omis de présenter à son successeur le chiffre d'affaires HT mensuel des mois d'octobre à décembre 2021 avant la vente (chiffres qui lui ont été accessibles dès le lendemain de la vente).
Cependant les chiffres d'affaires des trois derniers exercices précédant la vente ayant été communiqués au stade du compromis de cession signé le 28 septembre 2021, une analyse du chiffre d'affaires HT mensuel de la SAS ACCRODONTE à compter du mois d'avril 2021 et jusqu'à la cession intervenue en janvier 2022 permet de constater que les informations manquantes n'auraient pu altérer le consentement de l'acquéreur, en ce que le chiffre d'affaires n'a connu aucune diminution en moyenne, comme relevé par le tribunal de commerce de Bayonne.
ACCRODONTE n'a pas réalisé des chiffres d'affaires équivalents lorsqu'elle employait encore deux salariés pendant les trois exercices clos avant la cession or le nombre de salariés était visible dans les comptes annuels versés dont CERADOUR avait eu communication avant la cession.
En l'absence de salariés, Monsieur [O] a réalisé seul un chiffre d'affaires HT mensuel moyen (arrondi) de 14 000 € sur la période d'avril à décembre 2021. Ramené sur 12 mois le chiffre d'affaires HT annuel de Monsieur [O] s'élèvait à 168 000 € HT, soit 212 000 € HT environ 44 % de moins que le plus haut des chiffres d'affaires des exercices clos avant cession savoir celui-ci avant (arrondi) de 380 000 €.
Se prévalant de ces chiffres, ACCRODONTE considère que CERADOUR ne peut sérieusement invoquer une perte de 70 % du chiffre d'affaires HT dès lors que le rapport entre le chiffre réalisé avec deux salariés et un chiffre d'affaires réalisé par Monsieur [O] seul, souffrant d'une maladie chronique, n'est pas incohérent. Ce dernier a continué d'exploiter normalement son fonds sans interruption dans l'exploitation et sans salarié dans la logique de cession de son affaire à un successeur. Il a d'ailleurs pris le soin d'intégrer un nouveau chirurgien-dentiste dans la clientèle d' ACCRODONTE pour le début de l'année 2022.
ACCRODONTE reproche à la société CERADOUR de s'être elle-même placée dans une situation délicate en accroissant ses charges dès l'année de reprise du fonds acquis, du fait de l'embauche d'une personne salariée pour la fabrication et la réparation de prothèses dentaires à temps plein et du recours aux services d'une société indépendante pour des prestations de ménage dès le mois suivant la reprise, postes de charges qui n'existaient pas chez ACCRODONTE.
La société ACCRODONTE fait remarquer qu' aucune action n'a été intentée sur le fondement des articles L 141 ' 2 et suivants du code de commerce dans l'année de l'entrée en jouissance. La SARL CERADOUR dont l'action est prescrite sur ce fondement invoque le dol de droit commun dont l'élément matériel n'est pas caractérisé puisque la société CERADOUR ne démontre pas en quoi l'importance de ces informations sur la connaissance des derniers chiffres d'affaires mensuels était déterminante de son consentement, consentement par ailleurs éclairé par son conseil de l'époque. En outre l'élément intentionnel de ce prétendu dol par réticence ne saurait non plus être établi par CERADOUR en l'espèce faute de démontrer toute man'uvre ou dissimulation des informations dont elles présume seulement que le gérant de la société ACCRODON TE en avait connaissance sans en rapporter la preuve .
Par ailleurs elle estime à peine concevable que la SARL CERADOUR ait pu voir dans ces omissions une information déterminante dont elle aurait été privée pour contracter voire une valorisation frauduleuse du fonds cédé alors que le prix de vente de 225 000 € était ventilé comme suit : éléments incorporels 67 590 €, éléments corporels : 157 410 €. La clientèle d' ACCRODONTE a donc été évaluée à seulement 67 590 € dans une démarche tout à fait cohérente. Cette évaluation est parfaitement justifiée par le chiffre d'affaires HT que réalise CERADOUR sur seulement neuf mois et qu'elle détaille en page 11 de ses écritures. Le chiffre qu'elle donne projeté sur 12 mois s'élève environ à 80 018 € pour une clientèle évaluée à 67 590 €.
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L'article 1112 '1du code civil dispose que : « celle des parties connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant... Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l' a fournie' »
L'article 1137 du Code civil définit le dol notamment comme : « la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. »
L'article L 141 '2 du code de commerce dispose que : « au jour de la cession, le vendeur et l'acquéreur visent un document présentant les chiffres d'affaires mensuels réalisés entre la clôture du dernier exercice comptable et le mois précédent celui de la vente. »
En l'espèce la société CERADOUR invoque un défaut d'information précontractuelle et une dissimulation d'information à caractère déterminant puisque portant sur le montant des chiffres d'affaires avant la cession concernant l'exercice d'octobre à décembre 2021.
Elle reproche également le défaut d'information en ce qui concerne le départ des principaux clients du fonds et le manquement par la société ACCRODONTE à ses obligations précontractuelles de ne rien faire qui puisse entraîner la dévalorisation du fonds.
Cependant elle ne tire pas la conséquence des griefs invoqués basés sur une réticence dolosive de la part du cédant en sollicitant la nullité de l'acte de cession, le non-respect des dispositions de l'article L 141 ' 2 n'étant pas sanctionné par la nullité de la cession du fonds de commerce contrairement au dol.
La Cour de cassation a jugé que le manquement à une obligation précontractuelle d'information ne peut servir à caractériser le dol par réticence si ne s'y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement même en cas de non-respect de l'obligation légale d'information précontractuelle.
La société CERADOUR sollicite des dommages-intérêts pour sanctionner l'inexécution de ses obligations précontractuelles par la société ACCRODONTE.
S'agissant de l'absence de communication du chiffre d'affaires sur la période d'octobre à décembre 2021 précédant l'acte de cession intervenu le 4 janvier 2022, la société ACCRODONTE s'en est expliquée reconnaissant cette omission mais expliquant le contexte de la cession et le retard pris dans la passation de l'acte définitif de cession qui ne lui est pas imputable. Lors du compromis de vente intervenu le 28 septembre 2021 les déclarations relatives aux chiffres d'affaires des trois exercices précédant l'acte étaient jointes ainsi qu'une attestation de l'expert-comptable.
L'acte définitif de cession n'est intervenu que le 4 janvier 2022.
Il n'est pas démontré par la société CERADOUR que l'absence de mention des derniers chiffres d'affaires pour la période d'octobre à décembre 2021 ait été faite intentionnellement par le cédant en vue de dissimuler la réalité de son activité pour la tromper sur la rentabilité de l'entreprise.
La société ACCRODONTE s'est en effet expliquée sur cette omission et l'information complète avait été délivrée sur les chiffres d'affaires au moment du compromis de vente et dès le lendemain de la vente.
Elle a également précisé que l'activité de la société avait été poursuivie les derniers temps avant la cession par le seul gérant Monsieur [O] et que l'on ne pouvait comparer les chiffre d'affaires réalisés alors que la société employait deux salariés avec l'activité déployée par le seul Monsieur [O].
Il n'est pas démontré par la société CERADOUR que cette information lui ait été dissimulée par Monsieur [O] avec lequel les relations, comme le montrent les mails échangés, étaient cordiales et directes.
S'agissant du départ d' une partie de la clientèle, la société ACCRODONTE démontre par les attestations versées aux débats qu'il s'agissait de départs à la retraite dont la société CERADOUR a été avisée par les intéressés ou de clients déçus par les prestations proposées par la société CERADOUR .
En définitive il peut être uniquement reproché à la société ACCRODONTE de n'avoir que partiellement respecté les dispositions de l'article L141-2 en ce qui concerne la communication des derniers chiffres d'affaires.
Il n'est pas démontré le caractère intentionnel et dolosif de ce manquement ni le lien de causalité existant entre celui-ci et le préjudice allégué par la société CERADOUR dont l'activité a péréclité et qui a été expulsée de son local commercial.
Il y a donc lieu de considérer qu'aucune faute contractuelle ni dol ne sont caractérisés de nature à ouvrir droit à des dommages-intérêts.
- Sur la perte de clientèle alléguée par la SARL CERADOUR :
La SARL CERADOUR déplore la perte d'environ 80 % de la clientèle cédée par la SAS ACCRODONTE entraînant un préjudice considérable pour elle puisqu'elle doit désormais rembourser le crédit bancaire à hauteur de 2800 € mensuel souscrit pour l'acquisition de cette entreprise.
Sur la base des informations fournies par la société ACCRODONTE, l'exploitation permettait de générer à minima 300 000 € HT par année.
Le chiffre d'affaires réalisé par la société CERADOUR du 1er janvier 2022 au 30 septembre 2022 atteint seulement 95 991,71 € TTC , soit 79 993 €HT.
Sur ce chiffre d'affaires, il faut retrancher la somme de 35 977 € HT provenant de ses clients antérieurs à la vente ou des marchés conclus postérieurement à la vente .
En définitive elle soutient que la clientèle cédée par la société ACCRODONTE n'a permis de rapporter que 60 014 € HT de chiffre d'affaires.
La société ACCRODONTE ,s'agissant du dol prétendument tiré des départs de clientèle, fait valoir que le départ du Docteur [R] est antérieur de 10 mois à la cession intervenue le 4 janvier 2022 et ne saurait constituer une information déterminante du consentement de l'appelante. S'agissant du départ du Docteur [I], celui-ci a attesté avoir prévenu CERADOUR début janvier 2022.
La société ACCRODONTE passe en revue les autres départs de clientèle, en expliquant les circonstances de ces départs dont la responsabilité ne saurait lui incomber alors qu'il ressort des attestations produites par certains de ces médecins que la qualité des services proposés laissait à désirer.
S'agissant du départ d'une partie de la clientèle, la société ACCRODONTE en déduit que CERADOUR n' a tout simplement pas eu la capacité de répondre aux attentes de la clientèle d ACCRODONTE qui existait pourtant indubitablement et qu'elle a elle-même repoussée par son comportement en raison de ses prestations.
Elle se base sur le manque d'expérience de la société CERADOUR attesté par Monsieur [L] [M] prothésiste dentaire à [Localité 7] qui a reçu Madame [F] gérante de la SARL CERADOUR, dans le cadre d'une mesure d'action de formation préalable au recrutement accordée par pôle emploi le 24 août 2020,16 mois avant l'acquisition d'ACCRODONTE.
Elle considère que la société n'apporte pas la preuve de la qualité et du caractère satisfactoire du travail de fabrication de prothèses fourni à cette période à la clientèle d' ACCRODONTE localisée sur son secteur d'activité. Elle produit en effet des attestations postérieures à la perte du bail commercial et au mois de janvier 2023 concernant une période où la société a été contrainte de revenir exploiter dans le secteur de son siège social à [Localité 8].
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Le préjudice indemnisable doit être direct personnel et certain.
La société CERADOUR ne démontre pas la responsabilité de la société ACCRODONTE en ce qui concerne les départs de certains clients et le lien de causalité entre la perte d'une partie de la clientèle et la baisse de son chiffre d'affaires.
La société ACCRODONTE ne peut être tenue pour responsable de ces départs à la retraite dont il n'est pas démontré qu'elle les ait dissimulés à la société CERADOUR pour valoriser son fonds.
La société ACCRODONTE en effet a cédé le fonds moyennant un prix de vente de 225 000 € ventilé comme suit :
éléments incorporels 67 590 € et éléments corporels 157 410 €. La clientèle d' ACCRODONTE a donc été évaluée à la somme de 67 590 € ce qui correspond à une fourchette basse comme le démontre le cédant auquel ne peut être reprochée aucune valorisation frauduleuse. Ce d'autant plus que cette évaluation se justifie par le chiffre d'affaires que réalise CERADOUR sur neuf mois d'exercice à savoir, après soustraction du chiffre d'affaires provenant de ses clients antérieurs à la vente, 60 014 € HT.
Ainsi projeté sur 12 mois ce chiffre s'élève à environ 80 018 € pour une clientèle évaluée à 67 590 €.
Ces éléments ne sont pas contestés par la société CERADOUR.
Il y a donc lieu de débouter celle-ci de ses chefs de contestation et de ses prétentions, aucune faute contractuelle ni dol n'étant imputable à la société ACCRODONTE de nature à lui ouvrir droit à des dommages-intérêts.
Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions et y ajoutant la somme de 2000 € sera allouée à la société ACCRODONTE sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à dispositon au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevables les conclusions N°2 signifiées par la SARL CERADOUR ainsi que l'ensemble de ses demandes formulées en cause d'appel
Déboute la SARL CERADOUR l'ensemble de ses prétentions
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Y ajoutant :
Condamne la SARL CERADOUR à payer à la société ACCRODONTE la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit la SARL CERADOUR tenue aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Président, et par M. MAGESTE, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,