CA Versailles, ch. com. 3-2, 18 novembre 2025, n° 23/00794
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4ID
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 18 NOVEMBRE 2025
N° RG 23/00794 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VVG4
AFFAIRE :
[P], [H] [K]
...
C/
[T] [F]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Janvier 2023 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° RG : 2018L03189
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Pierre-antoine CALS
Me Stéphanie TERIITEHAU
Me Anne-laure DUMEAU
Me Katell FERCHAUX-
LALLEMENT
PG
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANT ET INTIME
Monsieur [P], [H] [K]
né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 18] (91)
[Adresse 13]
[Localité 14] / FRANCE
Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 23/01034 (Fond)
Représentant : Me Pierre-antoine CALS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 719
Plaidant : Me Raphaël BENILLOUCHE de la SELARL RDB ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0519
S.E.L.A.R.L. [U] [D] SELARL
mission conduite par Maître [U] [D] pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés SAS [17]
Ayant son siège
[Adresse 1]
[Localité 15]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 23/01034 (Fond)
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20230052 -
Plaidant : Me Marie NEGREL substituée par Me Morgane VALLA de la SELEURL SELARL NEGREL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 1097
****************
INTIMES
Monsieur [T] [F]
[Adresse 4]
[Localité 16]
Représentant : Me Anne-laure DUMEAU de la SELAS ANNE-LAURE DUMEAU & CLAIRE RICARD prise en la personne d'Anne-Laure DUMEAU avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628
Monsieur [V] [L]
[Adresse 8]
[Localité 12]
Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629
Plaidant : Me Julien TURCZYNSKI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0042
LE PROCUREUR GENERAL
POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 7]
[Localité 11]
SAS [28] représentée par Monsieur [T] [F]
Ayant son siège
[Adresse 6]
[Localité 9]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Anne-laure DUMEAU de la SELAS ANNE-LAURE DUMEAU & CLAIRE RICARD prise en la personne d'Anne-Laure DUMEAU avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628
S.A.S. [24]
Ayant son siège
[Adresse 3]
[Localité 10]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 -
Plaidant : Me Julien TURCZYNSKI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0042
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Octobre 2024, Madame Gwenael COUGARD, conseillère ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,
Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,
Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN
En la présence du Ministère Public, représenté par Madame Anne CHEVALIER, Avocat Général dont l'avis du 3 avril 2023 a été transmis le 5 avril 2023 au greffe par la voie électronique.
EXPOSE DU LITIGE
La société [17], immatriculée en 1997, a eu successivement pour mandataires sociaux M. [F], M. [L], la SAS [24] et M. [K].
Le 21 décembre 2016, le tribunal de commerce de Nanterre l'a placée en liquidation judiciaire et désigné la société [U] [D] en qualité de liquidateur.
Les 23 et 27 novembre 2018, le liquidateur a assigné MM. [F], [L] et [K] et les sociétés [28] et [24] devant le tribunal de commerce de Nanterre en vue de sanctions pécuniaires et personnelles.
Le 18 février 2020, la cour d'appel de Versailles, infirmant partiellement un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 8 août 2019, a étendu la procédure collective de la société [17] aux sociétés [26] et [19].
Le 10 mars 2021, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt par celles-ci.
Le 27 janvier 2023, par jugement contradictoire, le tribunal de commerce de Nanterre a notamment :
- débouté la société [24] et M. [L] de leur demande d'irrecevabilité fondée sur le principe de l'estoppel ;
- débouté M. [K] de sa demande d'irrecevabilité ;
- condamné M. [F] à payer la somme de 85 000 euros entre les mains de la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] ;
- dit que les fonds correspondants à hauteur de 85 000 euros seront déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations jusqu'à l'obtention d'une décision définitive ayant autorité de la chose jugée ;
- dit la société [U] [D] irrecevable en sa demande de condamnation des sociétés [28] et [24] à une sanction personnelle ;
- prononcé une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 5 ans à l'encontre de M. [F] ;
- débouté la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], de sa demande à l'encontre de la société [28] ;
- débouté la société [U] [D] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], de sa demande à l'encontre de M. [L] ;
- condamné in solidum la société [24] et M. [K] à payer la somme de 250 000 euros entre les mains de la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] ;
- dit que les fonds correspondants à hauteur de 250 000 euros seront déposés à la Caisse des dépôts et consignations jusqu'à l'obtention d'une décision définitive ayant autorité de la chose jugée ;
- prononcé une interdiction de gérer de 5 ans à l'encontre de M. [K] ;
- condamné in solidum MM. [F] et [K] et la société [24] à payer à la société [U] [D], ès-qualités, la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement sur l'ensemble des condamnations prononcées ;
- condamné in solidum MM. [F] et [K] et la société [24] aux dépens, à l'exception des frais de greffe lesquels seront avancés par la procédure ou à défaut par le Trésor public sur le fondement de l'article L. 663-1 du code de commerce, le recouvrement des sommes étant dans ce cas assuré à la diligence du Trésor public à l'encontre des personnes sus désignées.
Le 3 février 2023, le liquidateur a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :
- condamné M. [F] à payer la somme de 85 000 euros entre les mains de la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] ;
- dit que les fonds correspondants à hauteur de 85 000 euros seront déposés à la Caisse des dépôts et consignations jusqu'à l'obtention d'une décision définitive ayant autorité de la chose jugée ;
- dit la société [U] [D] irrecevable en sa demande de condamnation des sociétés [28] et [24] à une sanction personnelle ;
- débouté la société [U] [D], prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], de ses demandes tendant à voir condamner :
in solidum, M. [F] et la société [28] à payer à la société [U] [D] prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur de la société [17], la somme de 5 986 781,63 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux trois entités société [17], [26] et SCI [19] ;
M. [L] à payer à la société [U] [D] prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur de la société [17], la somme de 5 310 441,95 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux deux entités de la société [17] et la société [26], in solidum avec M. [K] et la société [24] ;
M. [F], la société [28], M. [L], M. [K] et la société [24] à régler la somme de 6 000 euros chacun à M. [D] ès qualité de liquidateur de la société [17], au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
- débouté la société [U] [D], prise en la personne de M. [D], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société [17], de sa demande tendant à voir prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre des sociétés [28] et [24] et M. [L] pour une durée minimale de 5 années, et subsidiairement une mesure d'interdiction de gérer à leur égard pour la même durée.
L'appel du liquidateur a été enregistré sous le numéro RG 23/00794.
Le 14 février 2023, M. [K] a à son tour interjeté appel du jugement du 27 janvier 2023. Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 23/01034.
Le 5 avril 2023, le liquidateur s'est désisté de son appel à l'égard de M. [K].
Le 20 avril 2023, M. [K] a accepté ce désistement et s'est désisté de l'appel qu'il avait formé.
Le 15 mai 2023, le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction des deux affaires.
Par dernières conclusions du 31 août 2023, la société [U] [D] demande à la cour de :
- la recevoir en son appel et ses demandes ;
- réformer le jugement en ce qu'il a :
condamné M. [F] à lui payer la somme de 85 000 euros ;
dit que les fonds correspondants à hauteur de 85 000 euros seront déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations jusqu'à l'obtention d'une décision définitive ayant autorité de la chose jugée ;
l'a dite irrecevable en sa demande de condamnation des sociétés [28] et [24] à une sanction personnelle ;
l'a déboutée de ses demandes tendant à voir condamner :
- in solidum, M. [F] et la société [28] à lui payer la somme de 5 986 781,63 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux trois entités [17], [26] et [19] ;
- M. [L] à lui payer la somme de 5 310 441,95 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux deux entités [17] et [26], in solidum avec la société [24] ;
- MM. [F] et [L] et la société [28] et [24] à lui régler la somme de 6 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
l'a déboutée de sa demande tendant à voir prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre des sociétés [28] et [24] et de M. [L] pour une durée minimale de 5 années, et subsidiairement une mesure d'interdiction de gérer pour la même durée ;
En conséquence, statuant à nouveau :
- condamner :
in solidum M. [F] et la société [28] à lui payer la somme de 3 506 781,63 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux trois entités [17], [26] et [19] ;
in solidum M. [L] et la société [24] à lui payer la somme de 5 310 441,95 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux deux entités [17] et [26], ou à toute somme qu'il estimera en proportion des fautes commises ;
- condamner MM. [F] et [L] et les sociétés [28] et [24] à lui régler la somme de 8 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
- prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre des sociétés [28] et [24] et M. [L] pour une durée minimum de cinq années, et subsidiairement une mesure d'interdiction de gérer pour la même durée ;
Pour le surplus :
- confirmer le jugement en ses dispositions plus amples et non contraires.
Par dernières conclusions d'intimés et d'appelants incidents du 7 avril 2023, M. [F] et la société [28] demandent à la cour de :
A titre principal :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit la société [U] [D] irrecevable en sa demande de condamnation de la société [28] et la société [24] à une sanction personnelle ;
- débouté la société [U] [D], prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], de ses demandes tendant à voir condamner :
- in solidum, M. [F] et la société [28] à payer à la société [U] [D] prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur de la société [17], la somme de 5 986 781,63 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux trois entités [17], [26] et [19] ;
- M. [L] à payer à la société [U] [D] prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur de la société [17], la somme de 5 310 441,95 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux deux entités [17] et [26], in solidum avec M. [K] et la société [24] ;
- MM. [F], [L], [K] et les sociétés [28] et [24] à régler la somme de 6 000 euros chacun à M. [D] en qualité de liquidateur de la société [17], au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
- infirmer partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau,
- déclarer irrecevable l'action en comblement de passif engagée par la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] à leur encontre, faute de démontrer leur qualité de dirigeant de droit ou de fait ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société [17] ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [F] à payer la somme de 85 000 euros entre les mains de la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] ;
- débouter en conséquence, et en tout état de cause, la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés [17], [26] et [19], de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire :
- juger la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés [17], [26] et [19] mal fondée en ses demandes ;
- débouter en conséquence, et en tout état de cause, la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés [17], [26] et [19], de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- renvoyer la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] à mieux se pourvoir et à mettre en cause la société [25] ;
- condamner la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés [17], [26] et [19], à leur payer une somme de 7 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières conclusions d'intimés et d'appelants incidents du 28 août 2023, la société [24] et M. [L] demandent à la cour de :
- juger la société [U] [D] irrecevable et mal fondée en son appel en l'en débouter ;
- juger la société [24] recevable et bien fondée en son appel incident ;
- confirmer partiellement le jugement en ce qu'il a dit la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], mal fondée en sa demande de condamnation de sanctions pécuniaires et personnelles à l'égard de M. [L] ;
- recevoir partiellement le jugement en ce qu'il a dit la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], irrecevable en sa demande de condamnation de la société [24] à une sanction personnelle ;
- infirmer partiellement le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, débouter purement et simplement M. [D] de toutes ses demandes à leur encontre ;
Subsidiairement,
- juger le règlement fait par M. [K], codébiteur solidaire, totalement libératoire à leur égard ;
En tout état de cause,
- débouter la société [U] [D], ès qualités, de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes ;
- condamner la société [U] [D], ès qualités, à leur payer la somme de 10 000 euros chacun, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société [U] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel et juger qu'ils seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Le 3 avril 2023, le ministère public a émis un avis tendant à ce que la cour infirme partiellement le jugement entrepris et condamne MM. [F] et [K] à une interdiction de gérer d'une durée de cinq ans ; il s'en remet à la sagesse de la cour quant à l'éventuelle aggravation de l'insuffisance d'actif à faire supporter à M. [F], à M. [K] et à la société [24] solidairement, ainsi qu'à la condamnation de M. [L] à des sanctions pécuniaires et personnelles.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 11 septembre 2023.
Le 13 mai 2024, l'ordonnance de clôture a été révoquée en raison du décès de l'avocat plaidant de M. [F] et de la société [24].
La clôture de l'instruction a été à nouveau prononcée le 12 septembre 2024.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
I Sur les désistements
Il convient de constater que le liquidateur s'est désisté de son appel principal en ce qu'il était dirigé contre les chefs du dispositif du jugement ayant condamné M. [K] ; que ce désistement est parfait ; que M. [K] s'est désisté de son propre appel et que ce désistement est parfait.
II Sur la recevabilité de l'appel principal du liquidateur
La société [24] et M. [L] prétendent que l'appel principal du liquidateur est irrecevable, car celui-ci a transigé avec M. [K] et qu'en application de l'article 1315 du code civil, un codébiteur solidaire peut se prévaloir d'une transaction ou d'une remise de dette intervenue entre le créancier et un autre codébiteur pour bénéficier de l'avantage qui en résulte ; qu'ils sont pour leur part ainsi libérés de toute obligation envers la procédure collective ; que par l'effet de la solidarité prononcée par les premiers juges, l'appel de la société [D] à leur encontre sont irrecevables.
Le liquidateur fait valoir que la société [24] et M. [F] n'ont aucunement acquitté les causes du jugement, pourtant revêtu de l'exécution provisoire ; qu'en suite de son désistement partiel à l'égard de M. [K], la cour demeure saisie de l'appel formé contre eux ; qu'il a communiqué en mars 2023 à la société [24] et à M. [L] l'accord passé avec M. [K], qui ne constitue pas une transaction.
Réponse de la cour
L'article 1315 du code civil invoqué dispose que le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions communes à tous les codébiteurs et celles qui lui sont personnelles ; qu'il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d'autres codébiteurs, telle que l'octroi d'un terme ; que toutefois, lorsqu'une exception personnelle à un autre codébiteur éteint la part divise de celui-ci, notamment en cas de remise de dette, il peut s'en prévaloir pour la faire déduire tu total de la dette.
Selon la jurisprudence invoquée, un codébiteur solidaire peut invoquer la transaction intervenue entre le créancier commun et l'un de ses coobligés, dès lors qu'il en résulte pour ce dernier un avantage dont il peut lui-même bénéficier (Com, 28 mars 2006, n°04-12.197, publié).
Mais aucune règle de droit ne peut conduire à l'irrecevabilité de l'appel interjeté par le créancier contre les codébiteurs solidaires institués par une décision du premier degré en cas de désistement de l'appel dirigé contre les chefs du jugement condamnant l'un d'eux.
Un tel désistement n'a pas pour effet de priver le créancier de faire exécuter le jugement, et l'existence d'un accord quant aux modalités de règlement de la dette ne constitue pas une transaction.
Le jugement entrepris condamne in solidum M. [K] et la société [24] à payer au liquidateur, ès qualités, la somme de 250 000 euros.
Il n'est établi l'existence d'aucune transaction entre le liquidateur et M. [K].
L'appel principal du liquidateur ne peut ainsi qu'être déclaré recevable.
III Sur les demandes au titre de l'insuffisance d'actif
Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. ('). Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
A Sur la recevabilité des demandes du liquidateur contre M. [F] et la société [28]
M. [F] et la société [28] soutiennent que l'action du liquidateur est irrecevable à l'encontre d'un dirigeant qui a cessé ses fonctions sociales avant la cessation des paiements ; qu'à la période où M. [F] était dirigeant de la société [23] la société était in bonis ; qu'il n'était pas dirigeant de fait.
Le liquidateur expose que M. [F], et [28] par son intermédiaire, ont agit comme dirigeants de fait après le 16 février 2015.
Réponse de la cour
Il résulte des dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce que le liquidateur d'une personne morale a qualité pour agir en responsabilité pour insuffisance d'actif contre tout dirigeant de droit ou de fait.
La question de savoir s'il existe une insuffisance d'actif imputable à un dirigeant est une question de fond, non de recevabilité de cette action.
Il est constant que M. [F] a été dirigeant de droit de la société [23], devenue [17]. De là suit que l'action dirigée contre lui est recevable. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce que, implicitement mais nécessairement, il a déclaré cette action recevable.
La qualité pour défendre de la société [28] n'est pas discutée dans les motifs de ses conclusions relatifs à la recevabilité de l'action du liquidateur.
De là suit que l'action dirigée contre elle doit également être déclarée recevable. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce que, implicitement mais nécessairement, en rejetant la demande dirigée contre la société [28], il l'a déclarée recevable.
Les décisions du tribunal de commerce sur ces points étant implicites, il sera ajouté à son dispositif.
B Sur la recevabilité des demandes du liquidateur contre la société [24] et M. [L]
M. [L] et la société [24] soutiennent qu'il existe une contradiction flagrante entre la position soutenue par le liquidateur à l'occasion de la présente instance et celle qu'il a soutenue au cours l'action en extension, de sorte que ses prétentions à leur encontre sont irrecevables en application du principe de l'estoppel.
Le liquidateur ne réplique pas explicitement sur ce point.
Réponse de la cour
La fin de non-recevoir dite de l'estoppel, tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions (voir par exemple 3e Civ., 3 nov. 2016, n°15-25.427, publié ; Com, 10 fév. 2015, n°13-28.262, publié ; Soc., 12 mars 2025, pourvoi n° 23-21.660, 23-21.662).
Dans le dispositif de leurs conclusions, M. [L] et la société [24] ne demandent pas à la cour de déclarer irrecevable un quelconque moyen avancé par le liquidateur, ni d'ailleurs de déclarer irrecevable l'action du liquidateur contre eux. Leur argumentation prise de de la règle de l'estoppel est donc sans portée.
Au reste, l'instance en extension achevée par l'arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2021 est distincte de la présente instance en sanctions, si bien que le tribunal ne pouvait qu'écarter l'argument pris d'une atteinte au principe de l'estoppel, ce qu'il a fait pour d'autres motifs.
C Sur le montant de l'insuffisance d'actif
Le liquidateur expose que l'insuffisance d'actif de la société [17] seule est de 3 354 762,92 euros ; que son insuffisance d'actif agglomérée à celle de la société [26] est de de 5 310 441,95 euros ; que l'insuffisance d'actif de l'ensemble constitué par la société [17], la société [26] et la société [19] est de 3 506 781,63 euros, compte tenu du prix de la cession à venir de l'immeuble possédé par la société [19].
La société [24] et M. [L] soutiennent que seule l'insuffisance d'actif de la société [17] doit être prise en considération, dès lors que l'extension de la procédure collective à la société [26] a été prononcée pour confusion des patrimoines et non pour fictivité.
M. [F] et la société [28] font valoir qu'il n'existe pas d'insuffisance d'actif pour la société [19], dont l'actif est supérieur au passif.
Réponse de la cour
L'insuffisance d'actif visée à l'article L. 651-2 du code de commerce correspond à la différence entre le montant du passif admis à la procédure collective et le montant de l'actif réalisé ou dont la valorisation est certaine.
L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est recevable même si les opérations de vérification du passif et de réalisation d'actifs ne sont pas achevées, dès lors que l'insuffisance d'actif est certaine (Com., 28 mai 1991, n° 89-21.116 ; 7 juin 2005, n° 04-13.262).
L'action en extension prévue à l'article L. 621-2 reposant sur la confusion du patrimoine du débiteur avec celui d'autres personnes ou la fictivité d'une personne morale, a pour effet de consolider ces patrimoines, de sorte que l'actif et le passif à prendre en considération pour calculer l'insuffisance d'actif sont ceux de l'ensemble des personnes physiques ou morales objets de la procédure collective après extension (voir par exemple Com, 8 mars 2017, n°15-22.337, publié).
Les affirmations chiffrées du liquidateur quant au montant de l'insuffisance d'actif de chacun des trois personnes morales désormais objet de la procédure collective ne sont contestées par aucun des intimés.
La cour retient que l'insuffisance d'actif à prendre en considération pour apprécier les demandes formulées contre M. [F] est ainsi celle de l'ensemble économique formé par ces trois personnes morales, d'un montant de 3 506 781,63 euros.
Les questions de savoir, d'une part, quelle partie de l'insuffisance d'actif globale doit être prise en considération pour apprécier les demandes formulées contre les autres dirigeants poursuivis, d'autre part, quelle proportion de cette insuffisance d'actif peut être imputée aux fautes reprochées à chacun d'eux sont distinctes ; elles seront traitées ci-après.
D Sur la qualité de dirigeant des intimés
L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif prévue à l'article L. 651-2 précité peut être dirigée contre une personne physique ou morale dirigeante de droit ou de fait d'une personne morale.
Est considéré comme dirigeant de fait celui qui, de manière indépendante, accomplit des actes positifs de direction et de gestion de l'entreprise.
1 Sur la qualité de dirigeant de M. [F] et la société [28]
Il est constant, d'une part, que M. [F] a eu la qualité de dirigeant de droit de la société [23], devenue [17], à compter du 14 janvier 2012.
Si, le 11 février 2015, le tribunal a autorisé la cession des parts de la société [17] à la société [29], dirigée par M. [L], cette décision n'a pas, contrairement à ce que soutient M. [F], emporté la cessation de son mandat de président, lequel a pris fin par décision d'assemblée générale du 17 février 2015.
Il convient donc de retenir que M. [F] a eu la qualité de dirigeant de droit de la société [23] jusqu'au 16 février 2015.
Le 11 février 2015, la société [28], que contrôlait M. [F], a conclu avec la société [23] un contrat d'agent commercial.
Les parties s'opposent sur la qualité de dirigeant de fait de M. [F] et de la société [28] après le 16 février 2015, que le tribunal a écartée, retenant que si M. [F] avait une influence significative sur la marge des affaires commerciales d'[17], il n'était pas caractérisé d'actes positifs de gestion.
Le liquidateur prétend que la société [28] a dirigé de fait la société [17], car par son intermédiaire, M. [F] a été l'interlocuteur principal, voire exclusif, des fournisseurs et des clients, ce qu'a montré le rapport [22].
M. [F] soutient qu'au travers de la société [28], il n'était qu'agent commercial pour le compte d'[17], dont seuls MM. [L] et [K] avaient la direction ; que l'arrêt du 18 février 2020 a rejeté la demande d'extension de la procédure collective dirigée contre M. [F] et la société [28] ; que le contrat d'agent commercial de la société [28] ne comportait pas de clause d'exclusivité ; que le rapport d'[22] est inexact et incomplet ; que la société [28] n'a perçu aucune rémunération de la société [17] et que sa créance a été admise à la procédure collective ; que le chiffre d'affaires généré par son activité d'agent ne représentait qu'une fraction minime du chiffre d'affaires d'[17].
Réponse de la cour
Doit être considéré comme dirigeant de fait d'une personne morale celui qui accomplit en toute indépendance des actes positifs de gestion ou de direction.
Le 11 février 2015, le tribunal de commerce de Nanterre a décidé la cession de l'ensemble des parts détenues par la société [20] dans le capital de la société [23] à la société [29], dirigée par M. [L].
Le même jour, la société [23], représentée par son nouveau président, M. [L], a conclu un contrat d'agent commercial avec la société [28], au travers de laquelle M. [F] exerçait son activité.
Le 20 juin 2018, le juge-commissaire a autorisé le liquidateur à se faire assister du cabinet [22], société d'expertise comptable, pour procéder à un audit des comptes de la société [17] ; celui-ci a rendu son rapport le 1er mars 2017.
Pour étendre la procédure collective à la société [26], l'arrêt du 18 février 2020 retient que M. [F] a, directement ou par l'intermédiaire de la société [28], transmis les clients et les fournisseurs de la société [17] à cette entité.
Ce détournement n'implique pas, en lui-même, un pouvoir de direction autonome sur la société [17], d'autant que la société [26] n'a a été immatriculée que le 26 avril 2016.
Le premier juge a exactement relevé qu'aucune des pièces versées aux débats n'accréditait la thèse selon laquelle M. [F] ou la société [28] ont accompli des actes positifs de gestion de la société [17] postérieurement au 16 février 2015.
En outre, M. [L] conclut qu'ayant pris les rênes de l'entreprise, il a tout tenté pour la sauver, notamment par un apport important en compte courant d'associé, par la résiliation du contrat de sous-location avec la société [19], par la recherche de partenaires financiers et d'actionnaires ; qu'il est parvenu à diminuer la dette fournisseur et la dette de TVA ; qu'il a été victime du détournement de clientèle imputable à M. [F].
Cette argumentation du dirigeant de droit de la société [17] à compter du 17 février 2015 corrobore le constat selon lequel M. [F] a effectivement cessé de diriger l'entreprise à cette date.
Le jugement entrepris doit en conséquence être approuvé en ce qu'il a retenu que le liquidateur ne rapportait pas la preuve lui incombant de ce que M. [F] et la société [28] avaient dirigé de fait la société [17] après le 16 février 2015.
2. Sur la qualité de dirigeant de M. [L]
Il est constant que M. [L] a eu la qualité de dirigeant de droit de la société [23], devenue [17], du 17 février 2015 au 12 mai 2015.
Dans le dernier état de ses écritures, le liquidateur ne lui impute aucune direction de fait postérieure.
3. Sur la qualité de dirigeant de la société [24]
Il est constant que la société [24] est le dirigeant de droit de la société [17] depuis le 13 mai 2015.
E. Sur l'insuffisance d'actif au 16 février 2015
Le montant de la condamnation d'un dirigeant au titre de l'article L. 651-2 du code de commerce ne peut excéder celui de l'insuffisance d'actif constatée au jour où le juge statue (Com, 21 janvier 2023, n°01-03.656).
Mais en cas de cessation de fonctions du dirigeant, sa responsabilité ne peut être engagée que s'il existait une insuffisance d'actif à la date de cette cessation (Com, 19 avril 2023, n°22-11.229 ; 16 juin 202, n°19-16.359 ; 24 mars 2021, n°20-10.677 ; 5 mai 2021, n°19-18.207).
Pour déclarer M. [F] en partie responsable de l'insuffisance d'actif, le tribunal a retenu qu'il avait, durant la période où il était dirigeant de droit de la société [17], commis diverses fautes de gestion ayant aggravé son passif.
Il a été constaté que M. [F] et la société [28] avaient cessé d'être dirigeants de la société [17] le 16 février 2015. Aucune faute ne leur est reprochée dans la gestion de la société [19]. La société [26], à qui la procédure collective a été étendue en raison de sa fictivité, n'ayant été immatriculée qu'en avril 2016, elle ne pouvait avoir aucun passif propre au 16 février 2015.
Il incombe donc à la cour, pour apprécier si les fautes reprochées à M. [F] ont pu avoir une incidence sur l'insuffisance d'actif, de déterminer son existence et le cas échéant son importance au 16 février 2015, dans l'ensemble économique, compte tenu de l'extension de la procédure collective, alors constitué par les deux sociétés [17] et [19].
Le liquidateur soutient que l'état de cessation des paiements de la société [17] est antérieur au 16 février 2015 ; que le rapport d'[22] montre que l'exercice clos le 31 décembre 2014 s'est achevé sur un déficit de 379 480 euros ; qu'entre novembre 2014 et février 2015, sa dette fournisseurs a augmenté d'environ 900 000 euros.
La société [24] et M. [L] affirment qu'au 31 décembre 2014, le passif fournisseurs de la société [17] était de 2 480 000 euros et que la TVA impayée s'élevait à 527 981 euros.
M. [F] et la société [28] prétendent que la société [17] était in bonis au jour de sa cession, autorisée le 11 février 2015 par le tribunal de commerce ; qu'elle avait généré un EBE de 425 593 euros en 2014 et que le capital avait été augmenté en septembre 2014 de 1 299 975 euros, ce qui l'avait porté à 2 400 000 euros.
Réponse de la cour
La date de la cessation des paiements de la société [17] a été définitivement fixée au 22 juin 2015 par un jugement du 31 janvier 2018.
Selon le rapport [22], cette société était en réalité constamment en cessation des paiements depuis l'exercice 2013, ce sur quoi il n'appartient pas à la cour de se prononcer.
Mais, d'une part, là où la cessation des paiements, notion de trésorerie, se caractérise par l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible, l'insuffisance d'actif, notion patrimoniale, correspond à la différence entre le passif admis à la procédure collective, antérieur au jugement d'ouverture, et l'actif réalisé ou facilement réalisable.
Or, en décidant, le 11 février 2015, d'autoriser la cession de 84,58% des parts de la société [23] au prix de 290 000 euros, le tribunal a reconnu à cette entreprise une valeur patrimoniale positive, ce dont il résulte suffisamment qu'au 16 février 2015, cinq jours après, il n'existait pas d'insuffisance d'actif .
D'autre part, il n'est pas soutenu qu'au 16 février 2015, il existait une insuffisance d'actif dans la société [19], société civile immobilière dont le seul objet social était la possession d'un immeuble.
Il est constant en effet qu'à cette date, cette société était crédit-preneuse d'un immeuble sis à [Localité 21], sous-loué à la société [17], qui y exploitait son activité, de sorte que la valeur patrimoniale nette de cet immeuble pour elle au 16 février 2015 doit être prise en considération pour déterminer l'existence d'une insuffisance d'actif à cette date.
Cette valeur ne peut être appréciée à partir du montant de l'option d'achat à une date donnée, dès lors que ce prix d'acquisition contractuel est sans lien avec la valeur réelle de marché de l'immeuble. Le 25 janvier 2021, le juge-commissaire a autorisé la cession de l'immeuble au prix de 2 905 000 euros ; la mairie de [Localité 21] a exercé son droit de préemption en en proposant 1 900 000 euros, ce que le liquidateur a refusé en raison du fait que ce prix ne couvrait pas l'option d'achat ; le liquidateur a finalement transigé en juin 2023 en vue de sa cession au prix de 2 480 000 euros HT.
En juillet 2022, selon les chiffres du liquidateur, le passif admis de la société [19] s'élevait à 1 206 051,84 euros ; son actif réalisé à 529 712,16 euros ; l'actif immédiatement réalisable constitué par l'immeuble à 2 480 000 euros, soit un solde positif de 1 803 660,03 euros. Ce constat corrobore la thèse d'une absence d'insuffisance d'actif de la société [19] au 16 février 2015, sept années auparavant.
La cour retient qu'il n'existait pas au 16 février 2015 d'insuffisance d'actif dans l'ensemble économique constitué par les deux sociétés concernées à cette date par la procédure collective.
Ce constat implique le rejet de la demande présentée contre M. [F] au titre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif de la société [17] après extension de la procédure collective.
Le jugement entrepris doit en conséquence être infirmé en ce qu'il l'a accueillie.
F Sur les fautes de gestion reprochées à M. [L]
Le liquidateur soutient en premier lieu que M. [L] a durant son mandat abusivement poursuivi une activité qu'il savait déficitaire, alors que la société était déjà en état de cessation des paiements, ce qui est établi par le rapport du cabinet [22].
Il prétend en second lieu que M. [L] a eu une gestion contraire à l'intérêt social ; qu'il n'a pas obtenu de moratoire et que grâce à la poursuite artificielle de l'activité, il a assuré le remboursement préférentiel de la société [19], contrôlée par M. [F], au détriment de l'autre bailleur, la société [30] ; qu'ainsi, il a aggravé le passif de la société.
M. [L] fait valoir que sa brève direction de l'entreprise n'a pas aggravé son insuffisance d'actif ; qu'il a été victime des man'uvres de M. [F], qui lui a dissimulé un passif fournisseur de plus de 900 000 euros et un passif fiscal de plus de 500 000 euros ; que s'il avait payé la société [30], c'est la dette de l'entreprise envers la société [19] qui aurait été augmentée.
Réponse de la cour
Il n'est pas loisible au juge saisi en vue d'une sanction pécuniaire d'apprécier la date de la cessation des paiements autrement que l'a fait le juge de la procédure collective (Com, 4 nov. 2014, n°13-23.070, publié ; 28 juin 2017, n°14-29.936).
La cour ne peut apprécier la date de la cessation des paiements autrement que l'a fait le jugement du 31 janvier 2018, qui l'a définitivement fixée au 22 juin 2015, soit à une date postérieure à celle à laquelle M. [L] a cessé ses fonctions de mandataire social.
Le mandat de M. [L] a duré moins de trois mois, du 17 février 2015 au 12 mai 2015.
S'il est établi que durant cette période, l'exploitation est demeurée déficitaire, aucune des pièces versées aux débats ne démontre qu'elle se serait aggravée.
Il n'est pas contesté qu'il a personnellement apporté des fonds significatifs à l'entreprise, dont 300 000 euros en compte courant d'associé.
La collusion de M. [L] avec M. [F] ne ressort d'aucune des pièces versées aux débats ; elle ne peut être déduite du paiement des loyers de la société [19] ; le fait que M. [F] ait conservé deux actions de la société n'en est pas un indice.
L'extension de la procédure collective à des entités contrôlées par M. [F] accrédite la thèse selon laquelle le comportement de celui-là a contribué de manière déterminante à la déconfiture de l'entreprise.
C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu que les fautes de gestion imputées à M. [L] n'étaient pas démontrées.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dirigée contre lui.
G Sur les fautes de gestion reprochées à la société [24] et leurs conséquences
Le liquidateur reproche à la société [24], en premier lieu, d'avoir tardé à déclarer la cessation des paiements ; en deuxième lieu, d'avoir poursuivi une exploitation déficitaire pendant un an et demi ; en troisième lieu, d'avoir géré l'entreprise contrairement à son intérêt social, mais dans l'intérêt de créanciers liés à M. [F], notamment en n'accomplissant aucune démarche pour l'empêcher de détourner la clientèle ni pour empêcher la société [28] de rompre brutalement son contrat d'agent commercial.
La société [24] fait valoir que l'état de cessation des paiements existait depuis 2013, de sorte que ne peut lui être reprochée la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements ; que l'insuffisance d'actif n'a pas augmenté sous son mandat ; que la cause unique de l'échec de l'entreprise est la création frauduleuse par M. [F] d'un passif fournisseur de 900 000 euros juste avant la reprise et le détournement de clientèle qui lui est imputable ; qu'il n'existe aucune collusion entre elle et M. [F], ainsi qu'en atteste le fait qu'elle a elle-même initié l'action en extension.
Réponse de la cour
La date de la cessation des paiements a été définitivement fixée au 22 juin 2015.
En application de l'article L. 640-4 du code de commerce, la société [24] aurait dû déclarer la cessation des paiements avant le 7 août 2015, et non avant le 7 juillet 2015, comme le premier juge l'a relevé au prix d'une erreur purement matérielle.
Elle a commis une faute en ne procédant à cette déclaration que le 13 décembre 2016, soit 16 mois après, à quoi le fait que l'entreprise était déjà précédemment en déconfiture est indifférent.
La cour fait siens les motifs pertinents par lesquels le tribunal a retenu qu'au cours de la période suspecte, l'insuffisance d'actif s'était aggravée de 238 667 euros.
Elle fait également siens les motifs par lesquels le tribunal a retenu que la société [24] a poursuivi sciemment une activité déficitaire et par là commis une faute de gestion.
Enfin, la cour fait siens les motifs pertinents ayant conduit le tribunal à retenir que la collusion entre M. [K], qui a dirigé la société [24] depuis le 15 juin 2016 jusqu'au jugement d'ouverture de la procédure collective de la société [17], et M. [F] n'était pas établie ; partant, le grief de gestion de l'entreprise dans l'intérêt social ce dernier et des sociétés qu'il contrôlait formulé par le liquidateur contre la société [24] n'est pas établi.
H Sur la contribution la société [24] à l'insuffisance d'actif
Le liquidateur soutient qu'en cas d'extension en raison de la fictivité de la société [26], dont il résulte qu'elle n'a jamais été distincte de la société [17], la société [24] doit voir mise à sa charge le passif des deux sociétés ;
La société [24] souligne avoir pris des mesures positives pour sauver l'entreprise, en diminuant la dette fournisseurs, la dette de TVA, le passif global, en résiliant le contrat de sous-location avec la société [19]. Elle prétend que seule l'insuffisance d'actif de la société [17] peut être prise en compte, sauf à lui faire supporter le détournement d'actif commis à son préjudice par M. [F].
Réponse de la cour
Le dirigeant d'une personne morale peut être condamné, en application de l'article L. 651-2 du code de commerce, à supporter la totalité des dette sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles (Com, 21 juin 2005, n°04-12.0874, publié ; 31 mai 2011, n°09-13.975, publié ; 10 janvier 2012, n°10-24.426, publié).
Les dettes que ce texte permet de mettre à la charge d'un dirigeant ne peuvent comprendre celles de personnes morales dont il n'a pas été le dirigeant et à laquelle la procédure collective a été étendue (Com, 23 mai 2000, n°97-21.080, publié ; 17 juillet 2001, n°98-22.916 ; 30 oct. 2007, n°06-14.672 ; 19 avril 2023, n°22-11.229).
Il est constant que la société [24] n'a jamais été la dirigeante de la société [19] ni de la société [26].
Contrairement à ce que soutient le liquidateur, sa condamnation ne saurait en conséquence excéder le montant de l'insuffisance d'actif de la seule société [17], soit 3 354 762,92 euros.
Il a été précédemment relevé qu'au cours de la période suspecte, sous la direction de la société [24], l'insuffisance d'actif s'était aggravée de 238 667 euros. Cette aggravation est directement liée à l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal qui lui est imputable.
Il résulte toutefois du rapport du cabinet [22] que la dette de l'entreprise a significativement diminué sous le mandat de la société [24], jusqu'au détournement de clientèle imputable à M. [F].
La cour fait donc sienne l'appréciation du premier juge, qui a estimé qu'il convenait de limiter la condamnation de la société [24] à contribuer à l'insuffisance d'actif à la somme de 250 000 euros. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
IV Sur les demandes tendant à des sanctions personnelles
A Sur les demandes de sanctions personnelles dirigées contre les sociétés [28] et [24]
Il résulte des dispositions de l'article L. 653-1 du code de commerce que la faillite personnelle et l'interdiction de gérer ne peuvent être prononcées que contre des personnes physiques.
C'est donc à bon droit que le jugement entrepris a déclaré irrecevables les demandes de sanction personnelle dirigées par le liquidateur contre les sociétés [28] et [24]. Il ne peut qu'être confirmé de ce chef.
B Sur la demande de sanction personnelle dirigée contre M. [L]
Le jugement entrepris a rejeté la demande de sanction personnelle dirigée contre M. [L].
Invoquant les dispositions de l'article L. 653-4 du code de commerce, le liquidateur soutient que celui-ci a géré la société contrairement à son intérêt dans le but de favoriser d'autres sociétés contrôlées par M. [F] et sa famille ; que le détournement des actifs lui est en partie imputable, ainsi que la poursuite de l'exploitation déficitaire et une augmentation frauduleuse du passif, ce qui appelle le prononcé d'une mesure de faillite personnelle, à défaut une interdiction de gérer d'une durée de cinq ans.
Réponse de la cour
En substance, le liquidateur invoque les dispositions des 3°, 4° et 5° de l'article L. 653-4 du code de commerce, selon lesquelles est passible de faillite personnelle le dirigeant contre lequel a été relevé l'un des faits suivants :
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
Selon l'article L. 653-8 du code de commerce, le tribunal de la procédure collective peut prononcer une interdiction de gérer à l'encontre du dirigeant ayant omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation dans le délai de quarante-cinq jours de la cessation des paiements.
La cour n'a retenu contre M. [L] aucune des fautes de gestion par ailleurs passibles de ces sanctions personnelles.
Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a décidé qu'il n'y avait lieu contre lui ni à faillite personnelle ni à interdiction de gérer.
C Sur la demande de sanction personnelle dirigée contre M. [F]
Le tribunal a condamné M. [F] à une interdiction de gérer d'une durée de cinq années, retenant que celui-ci avait, en violation du 5° de l'article L. 653-4 du code de commerce, détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
En l'absence de précision au dispositif du jugement entrepris, il doit être considéré que cette interdiction est de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale.
M. [F] soutient qu'il n'a commis aucune faute, sans conclure de manière spécifique sur les conditions d'application des articles L. 653-4 et L. 653-8 du code de commerce.
Le liquidateur se borne à solliciter la confirmation du jugement.
Réponse de la cour
Selon l'article L. 653-4, 5°, du code de commerce, le tribunal de la procédure collective peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
Selon l'article L. 653-8 de ce code, dans ce cas, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
Il est établi par le rapport du cabinet [22], par les constats opérés par cette cour dans son arrêt d'extension du 18 février 2020, par les profils Linked In de M. [F] produits par le liquidateur, par un article de la presse spécialisée du 16 mars 2017 que, quelques mois avant la cession de la société [23], devenue [17], M. [F] a détourné sa clientèle au profit d'une société [26], contrôlée par des membres de sa famille immédiate.
Il résulte en outre des pièces versées aux débats qu'il a frauduleusement augmenté le passif de l'entreprise en éludant ses obligations fiscales, ce qui a entraîné des redressements d'un montant significatif au titre des exercices 2013, 2014 et 2015.
M. [F] est âgé de 46 ans comme né le [Date naissance 5] 1979.
Il ne formule aucune allégation et ne produit aucune pièce relative à sa situation patrimoniale ou familiale.
Mais il ressort de ses profils Linked In versés aux débats par le liquidateur qu'il est ingénieur d'affaires diplômé de l'Ecole [31] de [Localité 27] et dirige depuis une vingtaine d'années des entreprises dans le secteur de la revente de pièces détachées automobiles.
Le ministère public ne produit aucune pièce relative à ses antécédents pénaux.
Au regard de l'ensemble de ces éléments d'appréciation, la cour retient qu'il importe d'écarter temporairement M. [F] de la vie des affaires et que la sanction d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans prononcée en première instance contre lui est pleinement justifiée.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
V Sur les demandes accessoires
L'équité commande de mettre les entiers dépens à la charge de M. [F] et d'allouer au liquidateur, ès qualités, les indemnités de procédure prévues au dispositif ; de rejeter les autres demandes formulées au titre des frais non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant contradictoirement,
Constate que la société [U] [D] s'est valablement désisté de son appel en ce qu'il portait sur les chefs du dispositif du jugement relatifs à M. [K] ;
Constate que M. [K] s'est valablement désisté de son appel principal ;
Dit recevable l'appel principal interjeté par la société [U] [D] ;
Confirme le jugement entrepris, notamment en ce qu'il a décidé qu'était recevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dirigée contre M. [F] et la société [28] , sauf en ce qu'il a condamné M. [F] à payer au liquidateur, ès qualités, la somme de 85 000 euros au titre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif ;
Statuant à nouveau de ce chef,
Rejette la demande dirigée contre M. [F] au titre de l'insuffisance d'actif ;
Condamne M. [F] aux dépens d'appel ;
Condamne M. [F] à verser à la société [U] [D], ès qualités, la somme de 8 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;
Condamne la société [24] à verser à la société [U] [D], ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT,
DE
VERSAILLES
Code nac : 4ID
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 18 NOVEMBRE 2025
N° RG 23/00794 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VVG4
AFFAIRE :
[P], [H] [K]
...
C/
[T] [F]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Janvier 2023 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° RG : 2018L03189
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Pierre-antoine CALS
Me Stéphanie TERIITEHAU
Me Anne-laure DUMEAU
Me Katell FERCHAUX-
LALLEMENT
PG
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANT ET INTIME
Monsieur [P], [H] [K]
né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 18] (91)
[Adresse 13]
[Localité 14] / FRANCE
Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 23/01034 (Fond)
Représentant : Me Pierre-antoine CALS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 719
Plaidant : Me Raphaël BENILLOUCHE de la SELARL RDB ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0519
S.E.L.A.R.L. [U] [D] SELARL
mission conduite par Maître [U] [D] pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés SAS [17]
Ayant son siège
[Adresse 1]
[Localité 15]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 23/01034 (Fond)
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20230052 -
Plaidant : Me Marie NEGREL substituée par Me Morgane VALLA de la SELEURL SELARL NEGREL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 1097
****************
INTIMES
Monsieur [T] [F]
[Adresse 4]
[Localité 16]
Représentant : Me Anne-laure DUMEAU de la SELAS ANNE-LAURE DUMEAU & CLAIRE RICARD prise en la personne d'Anne-Laure DUMEAU avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628
Monsieur [V] [L]
[Adresse 8]
[Localité 12]
Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629
Plaidant : Me Julien TURCZYNSKI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0042
LE PROCUREUR GENERAL
POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 7]
[Localité 11]
SAS [28] représentée par Monsieur [T] [F]
Ayant son siège
[Adresse 6]
[Localité 9]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Anne-laure DUMEAU de la SELAS ANNE-LAURE DUMEAU & CLAIRE RICARD prise en la personne d'Anne-Laure DUMEAU avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628
S.A.S. [24]
Ayant son siège
[Adresse 3]
[Localité 10]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 -
Plaidant : Me Julien TURCZYNSKI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0042
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Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Octobre 2024, Madame Gwenael COUGARD, conseillère ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,
Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,
Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN
En la présence du Ministère Public, représenté par Madame Anne CHEVALIER, Avocat Général dont l'avis du 3 avril 2023 a été transmis le 5 avril 2023 au greffe par la voie électronique.
EXPOSE DU LITIGE
La société [17], immatriculée en 1997, a eu successivement pour mandataires sociaux M. [F], M. [L], la SAS [24] et M. [K].
Le 21 décembre 2016, le tribunal de commerce de Nanterre l'a placée en liquidation judiciaire et désigné la société [U] [D] en qualité de liquidateur.
Les 23 et 27 novembre 2018, le liquidateur a assigné MM. [F], [L] et [K] et les sociétés [28] et [24] devant le tribunal de commerce de Nanterre en vue de sanctions pécuniaires et personnelles.
Le 18 février 2020, la cour d'appel de Versailles, infirmant partiellement un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 8 août 2019, a étendu la procédure collective de la société [17] aux sociétés [26] et [19].
Le 10 mars 2021, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt par celles-ci.
Le 27 janvier 2023, par jugement contradictoire, le tribunal de commerce de Nanterre a notamment :
- débouté la société [24] et M. [L] de leur demande d'irrecevabilité fondée sur le principe de l'estoppel ;
- débouté M. [K] de sa demande d'irrecevabilité ;
- condamné M. [F] à payer la somme de 85 000 euros entre les mains de la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] ;
- dit que les fonds correspondants à hauteur de 85 000 euros seront déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations jusqu'à l'obtention d'une décision définitive ayant autorité de la chose jugée ;
- dit la société [U] [D] irrecevable en sa demande de condamnation des sociétés [28] et [24] à une sanction personnelle ;
- prononcé une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 5 ans à l'encontre de M. [F] ;
- débouté la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], de sa demande à l'encontre de la société [28] ;
- débouté la société [U] [D] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], de sa demande à l'encontre de M. [L] ;
- condamné in solidum la société [24] et M. [K] à payer la somme de 250 000 euros entre les mains de la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] ;
- dit que les fonds correspondants à hauteur de 250 000 euros seront déposés à la Caisse des dépôts et consignations jusqu'à l'obtention d'une décision définitive ayant autorité de la chose jugée ;
- prononcé une interdiction de gérer de 5 ans à l'encontre de M. [K] ;
- condamné in solidum MM. [F] et [K] et la société [24] à payer à la société [U] [D], ès-qualités, la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement sur l'ensemble des condamnations prononcées ;
- condamné in solidum MM. [F] et [K] et la société [24] aux dépens, à l'exception des frais de greffe lesquels seront avancés par la procédure ou à défaut par le Trésor public sur le fondement de l'article L. 663-1 du code de commerce, le recouvrement des sommes étant dans ce cas assuré à la diligence du Trésor public à l'encontre des personnes sus désignées.
Le 3 février 2023, le liquidateur a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :
- condamné M. [F] à payer la somme de 85 000 euros entre les mains de la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] ;
- dit que les fonds correspondants à hauteur de 85 000 euros seront déposés à la Caisse des dépôts et consignations jusqu'à l'obtention d'une décision définitive ayant autorité de la chose jugée ;
- dit la société [U] [D] irrecevable en sa demande de condamnation des sociétés [28] et [24] à une sanction personnelle ;
- débouté la société [U] [D], prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], de ses demandes tendant à voir condamner :
in solidum, M. [F] et la société [28] à payer à la société [U] [D] prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur de la société [17], la somme de 5 986 781,63 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux trois entités société [17], [26] et SCI [19] ;
M. [L] à payer à la société [U] [D] prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur de la société [17], la somme de 5 310 441,95 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux deux entités de la société [17] et la société [26], in solidum avec M. [K] et la société [24] ;
M. [F], la société [28], M. [L], M. [K] et la société [24] à régler la somme de 6 000 euros chacun à M. [D] ès qualité de liquidateur de la société [17], au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
- débouté la société [U] [D], prise en la personne de M. [D], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société [17], de sa demande tendant à voir prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre des sociétés [28] et [24] et M. [L] pour une durée minimale de 5 années, et subsidiairement une mesure d'interdiction de gérer à leur égard pour la même durée.
L'appel du liquidateur a été enregistré sous le numéro RG 23/00794.
Le 14 février 2023, M. [K] a à son tour interjeté appel du jugement du 27 janvier 2023. Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 23/01034.
Le 5 avril 2023, le liquidateur s'est désisté de son appel à l'égard de M. [K].
Le 20 avril 2023, M. [K] a accepté ce désistement et s'est désisté de l'appel qu'il avait formé.
Le 15 mai 2023, le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction des deux affaires.
Par dernières conclusions du 31 août 2023, la société [U] [D] demande à la cour de :
- la recevoir en son appel et ses demandes ;
- réformer le jugement en ce qu'il a :
condamné M. [F] à lui payer la somme de 85 000 euros ;
dit que les fonds correspondants à hauteur de 85 000 euros seront déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations jusqu'à l'obtention d'une décision définitive ayant autorité de la chose jugée ;
l'a dite irrecevable en sa demande de condamnation des sociétés [28] et [24] à une sanction personnelle ;
l'a déboutée de ses demandes tendant à voir condamner :
- in solidum, M. [F] et la société [28] à lui payer la somme de 5 986 781,63 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux trois entités [17], [26] et [19] ;
- M. [L] à lui payer la somme de 5 310 441,95 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux deux entités [17] et [26], in solidum avec la société [24] ;
- MM. [F] et [L] et la société [28] et [24] à lui régler la somme de 6 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
l'a déboutée de sa demande tendant à voir prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre des sociétés [28] et [24] et de M. [L] pour une durée minimale de 5 années, et subsidiairement une mesure d'interdiction de gérer pour la même durée ;
En conséquence, statuant à nouveau :
- condamner :
in solidum M. [F] et la société [28] à lui payer la somme de 3 506 781,63 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux trois entités [17], [26] et [19] ;
in solidum M. [L] et la société [24] à lui payer la somme de 5 310 441,95 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux deux entités [17] et [26], ou à toute somme qu'il estimera en proportion des fautes commises ;
- condamner MM. [F] et [L] et les sociétés [28] et [24] à lui régler la somme de 8 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
- prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre des sociétés [28] et [24] et M. [L] pour une durée minimum de cinq années, et subsidiairement une mesure d'interdiction de gérer pour la même durée ;
Pour le surplus :
- confirmer le jugement en ses dispositions plus amples et non contraires.
Par dernières conclusions d'intimés et d'appelants incidents du 7 avril 2023, M. [F] et la société [28] demandent à la cour de :
A titre principal :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit la société [U] [D] irrecevable en sa demande de condamnation de la société [28] et la société [24] à une sanction personnelle ;
- débouté la société [U] [D], prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], de ses demandes tendant à voir condamner :
- in solidum, M. [F] et la société [28] à payer à la société [U] [D] prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur de la société [17], la somme de 5 986 781,63 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux trois entités [17], [26] et [19] ;
- M. [L] à payer à la société [U] [D] prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur de la société [17], la somme de 5 310 441,95 euros correspondant à l'insuffisance d'actif commune aux deux entités [17] et [26], in solidum avec M. [K] et la société [24] ;
- MM. [F], [L], [K] et les sociétés [28] et [24] à régler la somme de 6 000 euros chacun à M. [D] en qualité de liquidateur de la société [17], au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
- infirmer partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau,
- déclarer irrecevable l'action en comblement de passif engagée par la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] à leur encontre, faute de démontrer leur qualité de dirigeant de droit ou de fait ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société [17] ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [F] à payer la somme de 85 000 euros entre les mains de la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] ;
- débouter en conséquence, et en tout état de cause, la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés [17], [26] et [19], de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire :
- juger la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés [17], [26] et [19] mal fondée en ses demandes ;
- débouter en conséquence, et en tout état de cause, la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés [17], [26] et [19], de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- renvoyer la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] à mieux se pourvoir et à mettre en cause la société [25] ;
- condamner la société [U] [D] prise en la personne de M. [D] en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés [17], [26] et [19], à leur payer une somme de 7 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières conclusions d'intimés et d'appelants incidents du 28 août 2023, la société [24] et M. [L] demandent à la cour de :
- juger la société [U] [D] irrecevable et mal fondée en son appel en l'en débouter ;
- juger la société [24] recevable et bien fondée en son appel incident ;
- confirmer partiellement le jugement en ce qu'il a dit la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], mal fondée en sa demande de condamnation de sanctions pécuniaires et personnelles à l'égard de M. [L] ;
- recevoir partiellement le jugement en ce qu'il a dit la société [U] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], irrecevable en sa demande de condamnation de la société [24] à une sanction personnelle ;
- infirmer partiellement le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, débouter purement et simplement M. [D] de toutes ses demandes à leur encontre ;
Subsidiairement,
- juger le règlement fait par M. [K], codébiteur solidaire, totalement libératoire à leur égard ;
En tout état de cause,
- débouter la société [U] [D], ès qualités, de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes ;
- condamner la société [U] [D], ès qualités, à leur payer la somme de 10 000 euros chacun, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société [U] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel et juger qu'ils seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Le 3 avril 2023, le ministère public a émis un avis tendant à ce que la cour infirme partiellement le jugement entrepris et condamne MM. [F] et [K] à une interdiction de gérer d'une durée de cinq ans ; il s'en remet à la sagesse de la cour quant à l'éventuelle aggravation de l'insuffisance d'actif à faire supporter à M. [F], à M. [K] et à la société [24] solidairement, ainsi qu'à la condamnation de M. [L] à des sanctions pécuniaires et personnelles.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 11 septembre 2023.
Le 13 mai 2024, l'ordonnance de clôture a été révoquée en raison du décès de l'avocat plaidant de M. [F] et de la société [24].
La clôture de l'instruction a été à nouveau prononcée le 12 septembre 2024.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
I Sur les désistements
Il convient de constater que le liquidateur s'est désisté de son appel principal en ce qu'il était dirigé contre les chefs du dispositif du jugement ayant condamné M. [K] ; que ce désistement est parfait ; que M. [K] s'est désisté de son propre appel et que ce désistement est parfait.
II Sur la recevabilité de l'appel principal du liquidateur
La société [24] et M. [L] prétendent que l'appel principal du liquidateur est irrecevable, car celui-ci a transigé avec M. [K] et qu'en application de l'article 1315 du code civil, un codébiteur solidaire peut se prévaloir d'une transaction ou d'une remise de dette intervenue entre le créancier et un autre codébiteur pour bénéficier de l'avantage qui en résulte ; qu'ils sont pour leur part ainsi libérés de toute obligation envers la procédure collective ; que par l'effet de la solidarité prononcée par les premiers juges, l'appel de la société [D] à leur encontre sont irrecevables.
Le liquidateur fait valoir que la société [24] et M. [F] n'ont aucunement acquitté les causes du jugement, pourtant revêtu de l'exécution provisoire ; qu'en suite de son désistement partiel à l'égard de M. [K], la cour demeure saisie de l'appel formé contre eux ; qu'il a communiqué en mars 2023 à la société [24] et à M. [L] l'accord passé avec M. [K], qui ne constitue pas une transaction.
Réponse de la cour
L'article 1315 du code civil invoqué dispose que le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions communes à tous les codébiteurs et celles qui lui sont personnelles ; qu'il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d'autres codébiteurs, telle que l'octroi d'un terme ; que toutefois, lorsqu'une exception personnelle à un autre codébiteur éteint la part divise de celui-ci, notamment en cas de remise de dette, il peut s'en prévaloir pour la faire déduire tu total de la dette.
Selon la jurisprudence invoquée, un codébiteur solidaire peut invoquer la transaction intervenue entre le créancier commun et l'un de ses coobligés, dès lors qu'il en résulte pour ce dernier un avantage dont il peut lui-même bénéficier (Com, 28 mars 2006, n°04-12.197, publié).
Mais aucune règle de droit ne peut conduire à l'irrecevabilité de l'appel interjeté par le créancier contre les codébiteurs solidaires institués par une décision du premier degré en cas de désistement de l'appel dirigé contre les chefs du jugement condamnant l'un d'eux.
Un tel désistement n'a pas pour effet de priver le créancier de faire exécuter le jugement, et l'existence d'un accord quant aux modalités de règlement de la dette ne constitue pas une transaction.
Le jugement entrepris condamne in solidum M. [K] et la société [24] à payer au liquidateur, ès qualités, la somme de 250 000 euros.
Il n'est établi l'existence d'aucune transaction entre le liquidateur et M. [K].
L'appel principal du liquidateur ne peut ainsi qu'être déclaré recevable.
III Sur les demandes au titre de l'insuffisance d'actif
Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. ('). Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
A Sur la recevabilité des demandes du liquidateur contre M. [F] et la société [28]
M. [F] et la société [28] soutiennent que l'action du liquidateur est irrecevable à l'encontre d'un dirigeant qui a cessé ses fonctions sociales avant la cessation des paiements ; qu'à la période où M. [F] était dirigeant de la société [23] la société était in bonis ; qu'il n'était pas dirigeant de fait.
Le liquidateur expose que M. [F], et [28] par son intermédiaire, ont agit comme dirigeants de fait après le 16 février 2015.
Réponse de la cour
Il résulte des dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce que le liquidateur d'une personne morale a qualité pour agir en responsabilité pour insuffisance d'actif contre tout dirigeant de droit ou de fait.
La question de savoir s'il existe une insuffisance d'actif imputable à un dirigeant est une question de fond, non de recevabilité de cette action.
Il est constant que M. [F] a été dirigeant de droit de la société [23], devenue [17]. De là suit que l'action dirigée contre lui est recevable. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce que, implicitement mais nécessairement, il a déclaré cette action recevable.
La qualité pour défendre de la société [28] n'est pas discutée dans les motifs de ses conclusions relatifs à la recevabilité de l'action du liquidateur.
De là suit que l'action dirigée contre elle doit également être déclarée recevable. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce que, implicitement mais nécessairement, en rejetant la demande dirigée contre la société [28], il l'a déclarée recevable.
Les décisions du tribunal de commerce sur ces points étant implicites, il sera ajouté à son dispositif.
B Sur la recevabilité des demandes du liquidateur contre la société [24] et M. [L]
M. [L] et la société [24] soutiennent qu'il existe une contradiction flagrante entre la position soutenue par le liquidateur à l'occasion de la présente instance et celle qu'il a soutenue au cours l'action en extension, de sorte que ses prétentions à leur encontre sont irrecevables en application du principe de l'estoppel.
Le liquidateur ne réplique pas explicitement sur ce point.
Réponse de la cour
La fin de non-recevoir dite de l'estoppel, tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions (voir par exemple 3e Civ., 3 nov. 2016, n°15-25.427, publié ; Com, 10 fév. 2015, n°13-28.262, publié ; Soc., 12 mars 2025, pourvoi n° 23-21.660, 23-21.662).
Dans le dispositif de leurs conclusions, M. [L] et la société [24] ne demandent pas à la cour de déclarer irrecevable un quelconque moyen avancé par le liquidateur, ni d'ailleurs de déclarer irrecevable l'action du liquidateur contre eux. Leur argumentation prise de de la règle de l'estoppel est donc sans portée.
Au reste, l'instance en extension achevée par l'arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2021 est distincte de la présente instance en sanctions, si bien que le tribunal ne pouvait qu'écarter l'argument pris d'une atteinte au principe de l'estoppel, ce qu'il a fait pour d'autres motifs.
C Sur le montant de l'insuffisance d'actif
Le liquidateur expose que l'insuffisance d'actif de la société [17] seule est de 3 354 762,92 euros ; que son insuffisance d'actif agglomérée à celle de la société [26] est de de 5 310 441,95 euros ; que l'insuffisance d'actif de l'ensemble constitué par la société [17], la société [26] et la société [19] est de 3 506 781,63 euros, compte tenu du prix de la cession à venir de l'immeuble possédé par la société [19].
La société [24] et M. [L] soutiennent que seule l'insuffisance d'actif de la société [17] doit être prise en considération, dès lors que l'extension de la procédure collective à la société [26] a été prononcée pour confusion des patrimoines et non pour fictivité.
M. [F] et la société [28] font valoir qu'il n'existe pas d'insuffisance d'actif pour la société [19], dont l'actif est supérieur au passif.
Réponse de la cour
L'insuffisance d'actif visée à l'article L. 651-2 du code de commerce correspond à la différence entre le montant du passif admis à la procédure collective et le montant de l'actif réalisé ou dont la valorisation est certaine.
L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est recevable même si les opérations de vérification du passif et de réalisation d'actifs ne sont pas achevées, dès lors que l'insuffisance d'actif est certaine (Com., 28 mai 1991, n° 89-21.116 ; 7 juin 2005, n° 04-13.262).
L'action en extension prévue à l'article L. 621-2 reposant sur la confusion du patrimoine du débiteur avec celui d'autres personnes ou la fictivité d'une personne morale, a pour effet de consolider ces patrimoines, de sorte que l'actif et le passif à prendre en considération pour calculer l'insuffisance d'actif sont ceux de l'ensemble des personnes physiques ou morales objets de la procédure collective après extension (voir par exemple Com, 8 mars 2017, n°15-22.337, publié).
Les affirmations chiffrées du liquidateur quant au montant de l'insuffisance d'actif de chacun des trois personnes morales désormais objet de la procédure collective ne sont contestées par aucun des intimés.
La cour retient que l'insuffisance d'actif à prendre en considération pour apprécier les demandes formulées contre M. [F] est ainsi celle de l'ensemble économique formé par ces trois personnes morales, d'un montant de 3 506 781,63 euros.
Les questions de savoir, d'une part, quelle partie de l'insuffisance d'actif globale doit être prise en considération pour apprécier les demandes formulées contre les autres dirigeants poursuivis, d'autre part, quelle proportion de cette insuffisance d'actif peut être imputée aux fautes reprochées à chacun d'eux sont distinctes ; elles seront traitées ci-après.
D Sur la qualité de dirigeant des intimés
L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif prévue à l'article L. 651-2 précité peut être dirigée contre une personne physique ou morale dirigeante de droit ou de fait d'une personne morale.
Est considéré comme dirigeant de fait celui qui, de manière indépendante, accomplit des actes positifs de direction et de gestion de l'entreprise.
1 Sur la qualité de dirigeant de M. [F] et la société [28]
Il est constant, d'une part, que M. [F] a eu la qualité de dirigeant de droit de la société [23], devenue [17], à compter du 14 janvier 2012.
Si, le 11 février 2015, le tribunal a autorisé la cession des parts de la société [17] à la société [29], dirigée par M. [L], cette décision n'a pas, contrairement à ce que soutient M. [F], emporté la cessation de son mandat de président, lequel a pris fin par décision d'assemblée générale du 17 février 2015.
Il convient donc de retenir que M. [F] a eu la qualité de dirigeant de droit de la société [23] jusqu'au 16 février 2015.
Le 11 février 2015, la société [28], que contrôlait M. [F], a conclu avec la société [23] un contrat d'agent commercial.
Les parties s'opposent sur la qualité de dirigeant de fait de M. [F] et de la société [28] après le 16 février 2015, que le tribunal a écartée, retenant que si M. [F] avait une influence significative sur la marge des affaires commerciales d'[17], il n'était pas caractérisé d'actes positifs de gestion.
Le liquidateur prétend que la société [28] a dirigé de fait la société [17], car par son intermédiaire, M. [F] a été l'interlocuteur principal, voire exclusif, des fournisseurs et des clients, ce qu'a montré le rapport [22].
M. [F] soutient qu'au travers de la société [28], il n'était qu'agent commercial pour le compte d'[17], dont seuls MM. [L] et [K] avaient la direction ; que l'arrêt du 18 février 2020 a rejeté la demande d'extension de la procédure collective dirigée contre M. [F] et la société [28] ; que le contrat d'agent commercial de la société [28] ne comportait pas de clause d'exclusivité ; que le rapport d'[22] est inexact et incomplet ; que la société [28] n'a perçu aucune rémunération de la société [17] et que sa créance a été admise à la procédure collective ; que le chiffre d'affaires généré par son activité d'agent ne représentait qu'une fraction minime du chiffre d'affaires d'[17].
Réponse de la cour
Doit être considéré comme dirigeant de fait d'une personne morale celui qui accomplit en toute indépendance des actes positifs de gestion ou de direction.
Le 11 février 2015, le tribunal de commerce de Nanterre a décidé la cession de l'ensemble des parts détenues par la société [20] dans le capital de la société [23] à la société [29], dirigée par M. [L].
Le même jour, la société [23], représentée par son nouveau président, M. [L], a conclu un contrat d'agent commercial avec la société [28], au travers de laquelle M. [F] exerçait son activité.
Le 20 juin 2018, le juge-commissaire a autorisé le liquidateur à se faire assister du cabinet [22], société d'expertise comptable, pour procéder à un audit des comptes de la société [17] ; celui-ci a rendu son rapport le 1er mars 2017.
Pour étendre la procédure collective à la société [26], l'arrêt du 18 février 2020 retient que M. [F] a, directement ou par l'intermédiaire de la société [28], transmis les clients et les fournisseurs de la société [17] à cette entité.
Ce détournement n'implique pas, en lui-même, un pouvoir de direction autonome sur la société [17], d'autant que la société [26] n'a a été immatriculée que le 26 avril 2016.
Le premier juge a exactement relevé qu'aucune des pièces versées aux débats n'accréditait la thèse selon laquelle M. [F] ou la société [28] ont accompli des actes positifs de gestion de la société [17] postérieurement au 16 février 2015.
En outre, M. [L] conclut qu'ayant pris les rênes de l'entreprise, il a tout tenté pour la sauver, notamment par un apport important en compte courant d'associé, par la résiliation du contrat de sous-location avec la société [19], par la recherche de partenaires financiers et d'actionnaires ; qu'il est parvenu à diminuer la dette fournisseur et la dette de TVA ; qu'il a été victime du détournement de clientèle imputable à M. [F].
Cette argumentation du dirigeant de droit de la société [17] à compter du 17 février 2015 corrobore le constat selon lequel M. [F] a effectivement cessé de diriger l'entreprise à cette date.
Le jugement entrepris doit en conséquence être approuvé en ce qu'il a retenu que le liquidateur ne rapportait pas la preuve lui incombant de ce que M. [F] et la société [28] avaient dirigé de fait la société [17] après le 16 février 2015.
2. Sur la qualité de dirigeant de M. [L]
Il est constant que M. [L] a eu la qualité de dirigeant de droit de la société [23], devenue [17], du 17 février 2015 au 12 mai 2015.
Dans le dernier état de ses écritures, le liquidateur ne lui impute aucune direction de fait postérieure.
3. Sur la qualité de dirigeant de la société [24]
Il est constant que la société [24] est le dirigeant de droit de la société [17] depuis le 13 mai 2015.
E. Sur l'insuffisance d'actif au 16 février 2015
Le montant de la condamnation d'un dirigeant au titre de l'article L. 651-2 du code de commerce ne peut excéder celui de l'insuffisance d'actif constatée au jour où le juge statue (Com, 21 janvier 2023, n°01-03.656).
Mais en cas de cessation de fonctions du dirigeant, sa responsabilité ne peut être engagée que s'il existait une insuffisance d'actif à la date de cette cessation (Com, 19 avril 2023, n°22-11.229 ; 16 juin 202, n°19-16.359 ; 24 mars 2021, n°20-10.677 ; 5 mai 2021, n°19-18.207).
Pour déclarer M. [F] en partie responsable de l'insuffisance d'actif, le tribunal a retenu qu'il avait, durant la période où il était dirigeant de droit de la société [17], commis diverses fautes de gestion ayant aggravé son passif.
Il a été constaté que M. [F] et la société [28] avaient cessé d'être dirigeants de la société [17] le 16 février 2015. Aucune faute ne leur est reprochée dans la gestion de la société [19]. La société [26], à qui la procédure collective a été étendue en raison de sa fictivité, n'ayant été immatriculée qu'en avril 2016, elle ne pouvait avoir aucun passif propre au 16 février 2015.
Il incombe donc à la cour, pour apprécier si les fautes reprochées à M. [F] ont pu avoir une incidence sur l'insuffisance d'actif, de déterminer son existence et le cas échéant son importance au 16 février 2015, dans l'ensemble économique, compte tenu de l'extension de la procédure collective, alors constitué par les deux sociétés [17] et [19].
Le liquidateur soutient que l'état de cessation des paiements de la société [17] est antérieur au 16 février 2015 ; que le rapport d'[22] montre que l'exercice clos le 31 décembre 2014 s'est achevé sur un déficit de 379 480 euros ; qu'entre novembre 2014 et février 2015, sa dette fournisseurs a augmenté d'environ 900 000 euros.
La société [24] et M. [L] affirment qu'au 31 décembre 2014, le passif fournisseurs de la société [17] était de 2 480 000 euros et que la TVA impayée s'élevait à 527 981 euros.
M. [F] et la société [28] prétendent que la société [17] était in bonis au jour de sa cession, autorisée le 11 février 2015 par le tribunal de commerce ; qu'elle avait généré un EBE de 425 593 euros en 2014 et que le capital avait été augmenté en septembre 2014 de 1 299 975 euros, ce qui l'avait porté à 2 400 000 euros.
Réponse de la cour
La date de la cessation des paiements de la société [17] a été définitivement fixée au 22 juin 2015 par un jugement du 31 janvier 2018.
Selon le rapport [22], cette société était en réalité constamment en cessation des paiements depuis l'exercice 2013, ce sur quoi il n'appartient pas à la cour de se prononcer.
Mais, d'une part, là où la cessation des paiements, notion de trésorerie, se caractérise par l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible, l'insuffisance d'actif, notion patrimoniale, correspond à la différence entre le passif admis à la procédure collective, antérieur au jugement d'ouverture, et l'actif réalisé ou facilement réalisable.
Or, en décidant, le 11 février 2015, d'autoriser la cession de 84,58% des parts de la société [23] au prix de 290 000 euros, le tribunal a reconnu à cette entreprise une valeur patrimoniale positive, ce dont il résulte suffisamment qu'au 16 février 2015, cinq jours après, il n'existait pas d'insuffisance d'actif .
D'autre part, il n'est pas soutenu qu'au 16 février 2015, il existait une insuffisance d'actif dans la société [19], société civile immobilière dont le seul objet social était la possession d'un immeuble.
Il est constant en effet qu'à cette date, cette société était crédit-preneuse d'un immeuble sis à [Localité 21], sous-loué à la société [17], qui y exploitait son activité, de sorte que la valeur patrimoniale nette de cet immeuble pour elle au 16 février 2015 doit être prise en considération pour déterminer l'existence d'une insuffisance d'actif à cette date.
Cette valeur ne peut être appréciée à partir du montant de l'option d'achat à une date donnée, dès lors que ce prix d'acquisition contractuel est sans lien avec la valeur réelle de marché de l'immeuble. Le 25 janvier 2021, le juge-commissaire a autorisé la cession de l'immeuble au prix de 2 905 000 euros ; la mairie de [Localité 21] a exercé son droit de préemption en en proposant 1 900 000 euros, ce que le liquidateur a refusé en raison du fait que ce prix ne couvrait pas l'option d'achat ; le liquidateur a finalement transigé en juin 2023 en vue de sa cession au prix de 2 480 000 euros HT.
En juillet 2022, selon les chiffres du liquidateur, le passif admis de la société [19] s'élevait à 1 206 051,84 euros ; son actif réalisé à 529 712,16 euros ; l'actif immédiatement réalisable constitué par l'immeuble à 2 480 000 euros, soit un solde positif de 1 803 660,03 euros. Ce constat corrobore la thèse d'une absence d'insuffisance d'actif de la société [19] au 16 février 2015, sept années auparavant.
La cour retient qu'il n'existait pas au 16 février 2015 d'insuffisance d'actif dans l'ensemble économique constitué par les deux sociétés concernées à cette date par la procédure collective.
Ce constat implique le rejet de la demande présentée contre M. [F] au titre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif de la société [17] après extension de la procédure collective.
Le jugement entrepris doit en conséquence être infirmé en ce qu'il l'a accueillie.
F Sur les fautes de gestion reprochées à M. [L]
Le liquidateur soutient en premier lieu que M. [L] a durant son mandat abusivement poursuivi une activité qu'il savait déficitaire, alors que la société était déjà en état de cessation des paiements, ce qui est établi par le rapport du cabinet [22].
Il prétend en second lieu que M. [L] a eu une gestion contraire à l'intérêt social ; qu'il n'a pas obtenu de moratoire et que grâce à la poursuite artificielle de l'activité, il a assuré le remboursement préférentiel de la société [19], contrôlée par M. [F], au détriment de l'autre bailleur, la société [30] ; qu'ainsi, il a aggravé le passif de la société.
M. [L] fait valoir que sa brève direction de l'entreprise n'a pas aggravé son insuffisance d'actif ; qu'il a été victime des man'uvres de M. [F], qui lui a dissimulé un passif fournisseur de plus de 900 000 euros et un passif fiscal de plus de 500 000 euros ; que s'il avait payé la société [30], c'est la dette de l'entreprise envers la société [19] qui aurait été augmentée.
Réponse de la cour
Il n'est pas loisible au juge saisi en vue d'une sanction pécuniaire d'apprécier la date de la cessation des paiements autrement que l'a fait le juge de la procédure collective (Com, 4 nov. 2014, n°13-23.070, publié ; 28 juin 2017, n°14-29.936).
La cour ne peut apprécier la date de la cessation des paiements autrement que l'a fait le jugement du 31 janvier 2018, qui l'a définitivement fixée au 22 juin 2015, soit à une date postérieure à celle à laquelle M. [L] a cessé ses fonctions de mandataire social.
Le mandat de M. [L] a duré moins de trois mois, du 17 février 2015 au 12 mai 2015.
S'il est établi que durant cette période, l'exploitation est demeurée déficitaire, aucune des pièces versées aux débats ne démontre qu'elle se serait aggravée.
Il n'est pas contesté qu'il a personnellement apporté des fonds significatifs à l'entreprise, dont 300 000 euros en compte courant d'associé.
La collusion de M. [L] avec M. [F] ne ressort d'aucune des pièces versées aux débats ; elle ne peut être déduite du paiement des loyers de la société [19] ; le fait que M. [F] ait conservé deux actions de la société n'en est pas un indice.
L'extension de la procédure collective à des entités contrôlées par M. [F] accrédite la thèse selon laquelle le comportement de celui-là a contribué de manière déterminante à la déconfiture de l'entreprise.
C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu que les fautes de gestion imputées à M. [L] n'étaient pas démontrées.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dirigée contre lui.
G Sur les fautes de gestion reprochées à la société [24] et leurs conséquences
Le liquidateur reproche à la société [24], en premier lieu, d'avoir tardé à déclarer la cessation des paiements ; en deuxième lieu, d'avoir poursuivi une exploitation déficitaire pendant un an et demi ; en troisième lieu, d'avoir géré l'entreprise contrairement à son intérêt social, mais dans l'intérêt de créanciers liés à M. [F], notamment en n'accomplissant aucune démarche pour l'empêcher de détourner la clientèle ni pour empêcher la société [28] de rompre brutalement son contrat d'agent commercial.
La société [24] fait valoir que l'état de cessation des paiements existait depuis 2013, de sorte que ne peut lui être reprochée la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements ; que l'insuffisance d'actif n'a pas augmenté sous son mandat ; que la cause unique de l'échec de l'entreprise est la création frauduleuse par M. [F] d'un passif fournisseur de 900 000 euros juste avant la reprise et le détournement de clientèle qui lui est imputable ; qu'il n'existe aucune collusion entre elle et M. [F], ainsi qu'en atteste le fait qu'elle a elle-même initié l'action en extension.
Réponse de la cour
La date de la cessation des paiements a été définitivement fixée au 22 juin 2015.
En application de l'article L. 640-4 du code de commerce, la société [24] aurait dû déclarer la cessation des paiements avant le 7 août 2015, et non avant le 7 juillet 2015, comme le premier juge l'a relevé au prix d'une erreur purement matérielle.
Elle a commis une faute en ne procédant à cette déclaration que le 13 décembre 2016, soit 16 mois après, à quoi le fait que l'entreprise était déjà précédemment en déconfiture est indifférent.
La cour fait siens les motifs pertinents par lesquels le tribunal a retenu qu'au cours de la période suspecte, l'insuffisance d'actif s'était aggravée de 238 667 euros.
Elle fait également siens les motifs par lesquels le tribunal a retenu que la société [24] a poursuivi sciemment une activité déficitaire et par là commis une faute de gestion.
Enfin, la cour fait siens les motifs pertinents ayant conduit le tribunal à retenir que la collusion entre M. [K], qui a dirigé la société [24] depuis le 15 juin 2016 jusqu'au jugement d'ouverture de la procédure collective de la société [17], et M. [F] n'était pas établie ; partant, le grief de gestion de l'entreprise dans l'intérêt social ce dernier et des sociétés qu'il contrôlait formulé par le liquidateur contre la société [24] n'est pas établi.
H Sur la contribution la société [24] à l'insuffisance d'actif
Le liquidateur soutient qu'en cas d'extension en raison de la fictivité de la société [26], dont il résulte qu'elle n'a jamais été distincte de la société [17], la société [24] doit voir mise à sa charge le passif des deux sociétés ;
La société [24] souligne avoir pris des mesures positives pour sauver l'entreprise, en diminuant la dette fournisseurs, la dette de TVA, le passif global, en résiliant le contrat de sous-location avec la société [19]. Elle prétend que seule l'insuffisance d'actif de la société [17] peut être prise en compte, sauf à lui faire supporter le détournement d'actif commis à son préjudice par M. [F].
Réponse de la cour
Le dirigeant d'une personne morale peut être condamné, en application de l'article L. 651-2 du code de commerce, à supporter la totalité des dette sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles (Com, 21 juin 2005, n°04-12.0874, publié ; 31 mai 2011, n°09-13.975, publié ; 10 janvier 2012, n°10-24.426, publié).
Les dettes que ce texte permet de mettre à la charge d'un dirigeant ne peuvent comprendre celles de personnes morales dont il n'a pas été le dirigeant et à laquelle la procédure collective a été étendue (Com, 23 mai 2000, n°97-21.080, publié ; 17 juillet 2001, n°98-22.916 ; 30 oct. 2007, n°06-14.672 ; 19 avril 2023, n°22-11.229).
Il est constant que la société [24] n'a jamais été la dirigeante de la société [19] ni de la société [26].
Contrairement à ce que soutient le liquidateur, sa condamnation ne saurait en conséquence excéder le montant de l'insuffisance d'actif de la seule société [17], soit 3 354 762,92 euros.
Il a été précédemment relevé qu'au cours de la période suspecte, sous la direction de la société [24], l'insuffisance d'actif s'était aggravée de 238 667 euros. Cette aggravation est directement liée à l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal qui lui est imputable.
Il résulte toutefois du rapport du cabinet [22] que la dette de l'entreprise a significativement diminué sous le mandat de la société [24], jusqu'au détournement de clientèle imputable à M. [F].
La cour fait donc sienne l'appréciation du premier juge, qui a estimé qu'il convenait de limiter la condamnation de la société [24] à contribuer à l'insuffisance d'actif à la somme de 250 000 euros. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
IV Sur les demandes tendant à des sanctions personnelles
A Sur les demandes de sanctions personnelles dirigées contre les sociétés [28] et [24]
Il résulte des dispositions de l'article L. 653-1 du code de commerce que la faillite personnelle et l'interdiction de gérer ne peuvent être prononcées que contre des personnes physiques.
C'est donc à bon droit que le jugement entrepris a déclaré irrecevables les demandes de sanction personnelle dirigées par le liquidateur contre les sociétés [28] et [24]. Il ne peut qu'être confirmé de ce chef.
B Sur la demande de sanction personnelle dirigée contre M. [L]
Le jugement entrepris a rejeté la demande de sanction personnelle dirigée contre M. [L].
Invoquant les dispositions de l'article L. 653-4 du code de commerce, le liquidateur soutient que celui-ci a géré la société contrairement à son intérêt dans le but de favoriser d'autres sociétés contrôlées par M. [F] et sa famille ; que le détournement des actifs lui est en partie imputable, ainsi que la poursuite de l'exploitation déficitaire et une augmentation frauduleuse du passif, ce qui appelle le prononcé d'une mesure de faillite personnelle, à défaut une interdiction de gérer d'une durée de cinq ans.
Réponse de la cour
En substance, le liquidateur invoque les dispositions des 3°, 4° et 5° de l'article L. 653-4 du code de commerce, selon lesquelles est passible de faillite personnelle le dirigeant contre lequel a été relevé l'un des faits suivants :
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
Selon l'article L. 653-8 du code de commerce, le tribunal de la procédure collective peut prononcer une interdiction de gérer à l'encontre du dirigeant ayant omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation dans le délai de quarante-cinq jours de la cessation des paiements.
La cour n'a retenu contre M. [L] aucune des fautes de gestion par ailleurs passibles de ces sanctions personnelles.
Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a décidé qu'il n'y avait lieu contre lui ni à faillite personnelle ni à interdiction de gérer.
C Sur la demande de sanction personnelle dirigée contre M. [F]
Le tribunal a condamné M. [F] à une interdiction de gérer d'une durée de cinq années, retenant que celui-ci avait, en violation du 5° de l'article L. 653-4 du code de commerce, détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
En l'absence de précision au dispositif du jugement entrepris, il doit être considéré que cette interdiction est de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale.
M. [F] soutient qu'il n'a commis aucune faute, sans conclure de manière spécifique sur les conditions d'application des articles L. 653-4 et L. 653-8 du code de commerce.
Le liquidateur se borne à solliciter la confirmation du jugement.
Réponse de la cour
Selon l'article L. 653-4, 5°, du code de commerce, le tribunal de la procédure collective peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
Selon l'article L. 653-8 de ce code, dans ce cas, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
Il est établi par le rapport du cabinet [22], par les constats opérés par cette cour dans son arrêt d'extension du 18 février 2020, par les profils Linked In de M. [F] produits par le liquidateur, par un article de la presse spécialisée du 16 mars 2017 que, quelques mois avant la cession de la société [23], devenue [17], M. [F] a détourné sa clientèle au profit d'une société [26], contrôlée par des membres de sa famille immédiate.
Il résulte en outre des pièces versées aux débats qu'il a frauduleusement augmenté le passif de l'entreprise en éludant ses obligations fiscales, ce qui a entraîné des redressements d'un montant significatif au titre des exercices 2013, 2014 et 2015.
M. [F] est âgé de 46 ans comme né le [Date naissance 5] 1979.
Il ne formule aucune allégation et ne produit aucune pièce relative à sa situation patrimoniale ou familiale.
Mais il ressort de ses profils Linked In versés aux débats par le liquidateur qu'il est ingénieur d'affaires diplômé de l'Ecole [31] de [Localité 27] et dirige depuis une vingtaine d'années des entreprises dans le secteur de la revente de pièces détachées automobiles.
Le ministère public ne produit aucune pièce relative à ses antécédents pénaux.
Au regard de l'ensemble de ces éléments d'appréciation, la cour retient qu'il importe d'écarter temporairement M. [F] de la vie des affaires et que la sanction d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans prononcée en première instance contre lui est pleinement justifiée.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
V Sur les demandes accessoires
L'équité commande de mettre les entiers dépens à la charge de M. [F] et d'allouer au liquidateur, ès qualités, les indemnités de procédure prévues au dispositif ; de rejeter les autres demandes formulées au titre des frais non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant contradictoirement,
Constate que la société [U] [D] s'est valablement désisté de son appel en ce qu'il portait sur les chefs du dispositif du jugement relatifs à M. [K] ;
Constate que M. [K] s'est valablement désisté de son appel principal ;
Dit recevable l'appel principal interjeté par la société [U] [D] ;
Confirme le jugement entrepris, notamment en ce qu'il a décidé qu'était recevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dirigée contre M. [F] et la société [28] , sauf en ce qu'il a condamné M. [F] à payer au liquidateur, ès qualités, la somme de 85 000 euros au titre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif ;
Statuant à nouveau de ce chef,
Rejette la demande dirigée contre M. [F] au titre de l'insuffisance d'actif ;
Condamne M. [F] aux dépens d'appel ;
Condamne M. [F] à verser à la société [U] [D], ès qualités, la somme de 8 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;
Condamne la société [24] à verser à la société [U] [D], ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT,