CA Montpellier, ch. com., 18 novembre 2025, n° 24/01268
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Demont
Conseillers :
M. Graffin, M. Vetu
Avocats :
Me Auché, Me Bardeau Frappa, Me Cadoret
FAITS ET PROCEDURE :
Le 21 décembre 2019, Mme [G] [Y] a signé un contrat d'agent commercial prenant effet au 2 janvier 2020, à durée indéterminée, avec la SARL [F] Marketing, offrant aux entreprises des services de conseil, de formation et d'accompagnement en marketing.
Par assemblée générale extraordinaire du 31 octobre 2020, la société [F] Marketing a décidé sa dissolution sans liquidation, laquelle a fait l'objet d'une publication le 7 décembre 2020.
Par lettre du 11 janvier 2021, M. [F] a informé Mme [Y] par message WhatsApp de son intention d'expatrier la société et de mettre fin à son contrat d'agent commercial.
Mme [Y] a répondu par messagerie que la rupture devait être notifiée par lettre recommandée qu'un délai de préavis devait être respecté, outre le paiement à son profit d'une indemnité
Par lettre recommandée du 20 janvier 2021, la société [F] marketing a résilié le contrat d'agent commercial de Mme [Y], en invoquant une négligence grave.
Par lettre du 18 février 2021, Mme [Y] a mis en demeure la société [F] Marketing d'avoir à lui régler son préavis pour la somme de 2 482 euros ainsi qu'une indemnité de rupture de contrat d'un montant de 29 784 euros.
Le 5 mai 2021 la transmission universelle du patrimoine à M. [H] [F], associé unique, a été publiée.
Après une vaine demande de résolution amiable du 18 février 2021, et une vaine assignation délivrée à la société de M. [F] le 27 mai 2021 devant le tribunal judiciaire d'Avignon, par exploit du 1er février 2022, Mme [Y] a assigné devant le tribunal de commerce de Montpellier M. [F] en responsabilité civile personnelle aux fins d'obtenir le paiement de dommages-intérêts.
Par jugement contradictoire du 7 février 2024, le tribunal de commerce de Montpellier a :
constaté la rupture du contrat d'agent commercial de Mme [G] [Y] ;
constaté que M. [H] [F] a commis volontairement une faute détachable de ses fonctions ;
jugé que Mme [G] [Y] n'a pas commis de faute grave ;
condamné M. [F] en sa qualité de liquidateur amiable de la société [F] Marketing au paiement de la somme de 29 784 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial à Mme [Y];
condamné M. [F] au paiement de la somme 3 050 euros au titre des factures des mois de janvier 2021 et février 2021 de Mme [Y] ;
débouté Mme [Y] au titre de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice économique et de sa demande au titre du préjudice moral ;
débouté M. [F] de sa demande reconventionnelle et de ses autres demandes ;
et l'a condamné à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration du 7 mars 2024, M. [H] [F] a relevé appel de ce jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [G] [Y] de ses demandes en dommages et intérêts pour préjudice économique et préjudice moral.
Par conclusions du 15 novembre 2024, il demande à la cour, au visa des articles 1104, 1134 du code civil, des articles L. 134-4, L. 134-11, L. 134-12, L. 134-13, L. 223-22 du code de commerce, et de l'article 32-7 du code de procédure civile, de :
recevoir son appel et le déclarer bien fondé ;
infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [G] [Y] de ses demandes en dommages et intérêts pour préjudice économique et pour préjudice moral ;
Statuant à nouveau,
juger qu'elle a commis une faute grave ; que la faute grave commise est exclusive du versement de l'indemnité de résiliation ; que la société [F] Marketing a respecté le délai de préavis contractuellement prévu ; et que la faute grave commise est exclusive du versement de l'indemnité de préavis ;
la débouter de l'ensemble de ses demandes ;
Sur l'appel incident,
la débouter de sa demande de paiement de la somme de 2 482 euros en réparation de son préjudice économique et de celle de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
En tout état de cause,
la débouter de sa demande de paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice occasionné par ses actions et demandes abusives ;
statuer sur ce que de droit sur l'application des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, s'agissant de l'amende civile ;
et la condamner à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions du 13 février 2025, formant appel incident, Mme [G] [Y] demande à la cour, au visa des articles L. 134-11, L. 134-12 du code de commerce, de l'article 1103 du code civil et de l'article 909 du code de procédure civile, de :
débouter M. [H] [F] de son appel ;
confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes en dommages et intérêts pour préjudice économique et pour préjudice moral ;
Sur l'appel incident,
déclarer son appel incident recevable et bien fondé ;
Statuant à nouveau,
le condamner à lui payer la somme de 2 482 euros en réparation de son préjudice et celle de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
En tout état de cause,
le débouter de l'ensemble de ses demandes ;
et le condamner à payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 23 septembre 2025.
MOTIFS :
Sur la rupture du contrat d'agent commercial
M. [F] fait valoir au soutien de son appel que Mme [Y] était chargée en qualité d'agent commercial de démarcher des marques en vue de partenariats avec des influenceurs pour promotionner un produit ; qu'elle a démarché deux marques, à savoir Foodspring et Waterdrop, générant entre quatre et six placements par mois environ ; qu'elle n'a plus démarché ensuite d'autres clients de façon sérieuse ; que par des échanges des 20 et 21 décembre 2020 il a demandé la liste des marques démarchées qui aurait dû être régulièrement communiquée ; [Y] a répondu chercher à reprendre ses études "pour un métier à côté qui lui plaise", et avoir admis « n'être pas à 100 % je travaille avec mes marques » ; qu'elle a reconnu ainsi par ses messages WhatsApp des 20 et 21 décembre 2020 son manque d'implication par rapport à d'autres agents commerciaux et devoir se remettre en question, et avoir délaissé le démarchage ; et qu'il a dû ainsi mettre fin à son contrat le 11 janvier 2021.
Mais le tribunal lui a déjà exactement répondu en ses motifs que :
« - la faute grave dans l'exercice de ses fonctions d'agent commercial invoquée par M. [F] est une faute qui « porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel » ; il appartient par conséquent à M. [F] de démontrer que Mme [Y] a commis une faute qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel;
- à l'appui de son affirmation selon laquelle Mme [Y] a montré du désintérêt pour son activité M. [F] produit des messages instantanés du 20 et du 21 décembre 2020 dans lesquels Mme [Y] indique ne pas être à 100 % de son engagement ;
- toutefois la suite de la conversation montre que l'activité de Mme [Y] continue de générer des revenus, ce que M. [F] reconnait ;
' elle indique également vouloir poursuivre son activité ;
' les échanges produits par les deux parties démontrent l'existence d'un Investissement réel de Mme [Y] tout au long de l'année 20201 ponctués de succès et d'échecs comme il est normal dans ce type de fonction commerciale ;
' elle produit des messages de félicitations de ses clients pour son engagement;
' M. [F] a informé Mme [Y] de son intention de mettre fin à son contrat par message Instantané le 11 janvier 2021 ; il justifiait alors sa décision par le manque d'investissement de Madame [Y] et sa volonté de travailler désormais avec des personnes qui « s'investissent à 200 % » ; alors qu'un manque d'investissement ponctuellement constaté ne saurait constituer à lui seul une faute qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rende impossible le maintien du lien contractuel ;
' la lettre recommandée avec accusé de réception de résiliation du contrat datée du 20 janvier 2021 produite par M. [F] ne fait de surcroît état d'aucune faute grave. »
La cour ajoute seulement à ces motifs pertinents qu'il a été laissé moins d'un mois à l'agent commercial pour « se ressaisir » sur les reproches qui lui était adressés, de surcroît en période de fin d'année peu favorable pour répondre aux sollicitations commerciales, de sorte que la rapidité de la résiliation du contrat par l'appelant sitôt après des griefs formulés pour la première fois, ne permet pas de retenir l'existence d'une faute grave de la part de Mme [Y], et son prétendu délaissement de l'activité de manière si conséquente qu'elle rende impossible le maintien du mandat d'intérêt commun et la priver d'indemnité compensatrice, contrairement à ce qui est allégué par M [F].
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la responsabilité personnelle de M. [F] en sa qualité de gérant et de liquidateur
Aux termes de l'article L.223-22 du code de commerce, les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
La SARL [F] Marketing avait pour associé unique, gérant, M. [F]; ce dernier a volontairement pris la décision de dissoudre la société [F] markéting dès le 31 octobre 2020 ; décision qui a été publiée le 16 décembre 2020 et M. [F] ayant été désigné comme liquidateur.
La société était alors encore engagée contractuellement avec Mme [G] [Y] qui continuait de travailler pour son profit.
Le premier message a été envoyé le 20 décembre suivant et la lettre recommandée de rupture du contrat pour faute grave, a été adressée le 20 Janvier 2021 soit après la dissolution de la société [F] Marketing ;
Le tribunal a exactement retenu que la liquidation amiable d'une société impose l'apurement intégral du passif ; que les créances litigieuses doivent être garanties par une provision ; et que M. [F] aurait dû prévoir les provisions comptables nécessaires au titre de la rupture du contrat et du solde des éventuelles commissions à régler ; et que la décision de dissolution anticipée de la société, alors que cette dernière était encore engagée contractuellement avec Mme [G] [Y] constitue une faute intentionnelle grave, imputable en propre au gérant, détachable de ses fonctions engageant sa responsabilité personnelle.
Le tribunal l'a en conséquence justement condamné à paiement à titre personnel :
' de l'indemnité de compensatrice d'un montant qui n'est pas discuté par les parties de 29 780 euros prévue par l'article 2 du contrat d'agent commercial ayant les parties aux termes duquel « la résiliation par le Mandant, si elle n'est pas justifiée par une faute grave de l'Agent ouvrira droit au profit de ce dernier (...) à une indemnité compensatrice du préjudice subi, calculée selon les usages de la profession d'agent commercial » ;
S'agissant du préavis, le tribunal a écarté cette demande en retenant qu' aux termes de l'article 2 du contrat d'agent commercial signé le 21 décembre 2019 entre les parties « chaque partie pourra y mettre fin moyennant le respect d'un préavis (...) de deux mois pour la deuxième année commencée » ; que la société [F] marketing a notifié à Mme [Y] sa volonté de résilier le contrat le 20 janvier 2021, soit dans le courant de la seconde année ; elle est donc fondée contractuellement à réclamer l'exécution d'un préavis de deux mois ; que la résiliation du 20 janvier 2021 précise bien que la résiliation du contrat interviendra à l'issue d'une période de préavis de deux mois ; mais que Mme [Y] ne démontre pas son grief selon lequel elle aurait été empêchée de réaliser son préavis du fait de la suppression de son adresse électronique et qu'elle a été écartée au profit d'une autre Intervenante, dans la mesure où M. [F] répond que la suppression de son adresse électronique fait suite à un problème informatique général en cours de résolution et que l'ensemble des autres agents de la société ont pu poursuivre leur travail partir de leurs adresses personnelles ; et que celle-ci a effectivement pu continuer à exercer son activité comme le démontre la facturation de commissions au titre du mois de février 2021.
Faute d'éléments nouveaux probants, cette motivation sera approuvée, et le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que la société [F] Marketing a respecté le préavis contractuel et rejeté la demande de Mme [Y] tendant au versement de dommages et intérêts au titre d'un supposé préjudice économique.
Il en ira de même en ce qui concerne le règlement des factures de janvier et février 2021 accordé à Mme [Y] pour un montant de 3 050 euros, et qu' à l'examen des productions, la société ne lui a pas réglé, dans la mesure où, la charge de la preuve du paiement lui incombe, et non à Mme [Y], d'avoir «produire des éléments probants permettant de démontrer l'absence de règlement des factures litigieuses ». contrairement à ce que M. [F] affirme encore en cause d'appel,
Sur l'appel incident de Mme [Y] au titre de la réparation d'un préjudice moral, Mme [Y] ne rapporte pas suffisamment la preuve d'un préjudice moral en lien de causalité avec les conditions de la rupture de son contrat, l'empêchement de réaliser son préavis n'étant pas retenu supra, puisqu'elle pouvait continuer à travailler durant son préavis.
En conséquence, elle a été justement déboutée de sa demande au titre du préjudice moral, d'où il suit le rejet de son appel incident
Compte tenu du sens de l'arrêt, aucune faute ouvrant droit à des dommages-intérêts pour procédure abusive ne saurait être reprochée à Mme [Y].
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
y ajoutant
Déboute M. [H] [F] de sa demande tendant à l'octroi de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Condamne M. [H] [F] aux dépens d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [H] [F], et le condamne à payer à Mme [G] [Y] la somme de 4 000 €.