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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-1, 18 novembre 2025, n° 23/02901

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/02901

18 novembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63B

Chambre civile 1-1

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 18 NOVEMBRE 2025

N° RG 23/02901 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V2T2

AFFAIRE :

[S] [C]

C/

[I], [B] [G]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Février 2023 par le tribunal judiciaire de VERSAILLES

N° RG : 20/02087

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

- Me FONTAINE

- Me POMMEL

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [S] [C]

né le [Date naissance 8] 1951 à [Localité 21] (GRÈCE)

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Localité 11]

représenté par Me Ophélia FONTAINE, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 672 - N° du dossier 2023.565

Me Frédéric LEPLAT, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0314

APPELANT

****************

Monsieur [I], [B] [G], pris en sa qualité d'ayant droit de M. [D] [G], décédé à [Localité 18] le [Date décès 7] 2021

né le [Date naissance 5] 2001 à [Localité 17] (GRECE)

de nationalité Franco-Grecque

[Adresse 16]

[Localité 18] (GRECE)

Madame [O] [J] veuve [G], prise en sa qualité d'ayant droit de M. [D] [G], décédé le [Date décès 7] 2021

née le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 18] (GRECE)

de nationalité Grecque

[Adresse 16]

[Localité 18] (GRECE)

Madame [H], [Z], [T] [G], prise en sa qualité d'ayant droit de M. [D] [G], décédé à [Localité 18] le [Date décès 7] 2021

née le [Date naissance 6] 2005 à [Localité 17] (GRECE)

de nationalité Franco-Grecque

[Adresse 16]

[Localité 18] (GRECE)

[22] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 15]

[Adresse 2]

[Localité 13]

S.A. [22] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 10]

[Adresse 2]

[Localité 13]

représentés par Me Christine POMMEL de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 118 - N° du dossier 023104

Me Jean-Louis BIGOT de la SCP LYONNET BIGOT BARET ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0458, substitué par Me Aude LYONNET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0458

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marina IGELMAN, Conseillère chargée du rapport et Madame Anna MANES, Présidente,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Marina IGELMAN, Conseillère,

Madame Isabelle CHESNOT, Présidente de chambre,

Greffier, lors des débats : Madame Rosanna VALETTE,

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [S] [C] français d'origine grecque, exerçait sous la forme d'une entreprise personnelle, le commerce d'import-export alimentaire, et avait pour activité principale l'exportation de la pommes de terre vers des grossistes grecs.

Reprochant au gouvernement grec d'avoir interdit en février 2008 aux grossistes grecs l'importation de pommes de terre françaises en vrac telles que celles de 1ère catégorie conditionnées en sac de 1.200 kg qu'il commercialisait, ce qui a entraîné l'arrêt de leur exportation et une baisse de son chiffre d'affaires, il a pris contact avec diverses institutions sans succès puis il a sollicité l'intervention de la Commission Européenne et du Travail.

Souhaitant parallèlement engager une procédure en indemnisation contre l'État grec, il s'est rapproché de M. [D] [G], inscrit au barreau d'Athènes.

Par courriel du 15 avril 2010, M. [G] informait M. [C] qu'il avait procédé au dépôt et à l'enregistrement de son action en justice contre l'État grec et sollicitait le règlement de la somme de 2 200 euros à titre d'honoraires. L'affaire allait être audiencée 7 ans plus tard, le 27 mars 2018.

Le 30 mai 2011, les autorités grecques ont annoncé qu'elles allaient abroger les dispositions prises début février 2008.

Par ailleurs, par jugement du 25 février 2015, le tribunal de commerce de Douai a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de l'entreprise [C] [23].

Puis, par jugement du 4 mai 2017, M. [C] a été condamné à une mesure d'interdiction de gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise et toute personne morale d'une durée de 5 ans.

La procédure de liquidation a été clôturée et l'entreprise a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 14 juin 2017.

L'affaire pendante devant le tribunal administratif de première instance d'Athènes était renvoyée à l'audience du 25 septembre 2018.

Par courriel du 14 juin 2018, M. [D] [G] a informé M. [C] mettre un terme à leur collaboration en raison d'une rupture du lien de confiance et lui retourner le plus rapidement possible son dossier afin qu'il puisse le remettre à un autre avocat.

Par jugement du 9 octobre 2018, le tribunal administratif grec a rejeté l'assignation en justice aux motifs que les actes précédant l'audience avaient été signés par un avocat qui n'avait pas reçu de pouvoir légalement conforme.

Reprochant à M. [D] [G] de lui avoir laissé croire qu'il était avocat au barreau de Lille, de lui avoir fait des promesses inconsidérées et d'avoir manqué à son obligation d'information quant au déroulement de la procédure et à son coût, M. [C] a fait assigner M. [D] [G], avocat depuis inscrit au barreau de Paris, en responsabilité par acte d'huissier de justice délivré le 23 avril 2020. Il a également fait assigner la société [22] et la société [22], ses assureurs.

[D] [G] est décédé le [Date décès 7] 2021.

Par jugement contradictoire rendu le 9 février 2023, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- déclaré irrecevable la demande de M. [C],

- rejeté la demande de M. [C], au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande de [D] [G] et les sociétés [22] et [22] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [C] aux dépens et autorise la SCP COURTAIGNE à recouvrer les dépens dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile,

- appelé l'exécution provisoire du présent jugement,

Le 26 avril 2023, M. [C] a interjeté appel de la décision à l'encontre de M. [I] [G] et Mmes [O] et [H] [G], pris en leur qualité d'ayants droit de [D] [G], la Société [22] et la SA [22].

Par dernières conclusions notifiées au greffe le 23 septembre 2024, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens M. [C], appelant, demande à la cour de :

« Vu l'article 1147 du Code civil, les moyens qui précèdent et les pièces versées aux débats,

Infirmer le jugement rendu le 3 février 2023 par le Tribunal Judiciaire sous le numéro RG 20/02087, en ce qu'il a :

Déclaré irrecevable la demande de M. [S] [C]

Rejeté la demande de M. [S] [C] au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Rejeté la demande de M. [D] [G] et les sociétés [22] et [22] au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Condamné M. [S] [C] aux dépens et autorise la SCP COURTAIGNE à recouvrer les dépens dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile

Statuant à nouveau

Dire et juger que :

- La faute de Me [D] [G] a fait perdre à l'entreprise de Monsieur [S] [C] une chance d'obtenir gain de cause dans la procédure engagée ;

- Cette faute de Me [D] [G] a contribué à la liquidation de l'entreprise de Monsieur [S] [C] qui n'a pu être redressée en l'absence de l'indemnisation que Me [D] [G] était chargé de demander

- La liquidation de l'entreprise de Monsieur [S] [C] a occasionné à Monsieur [S] [C] un préjudice personnel et distinct des autres créanciers

En conséquence,

- Condamner les ayants cause de Me [D] [G] à payer à Monsieur [S] [C] la somme de 367.192 euros au titre du préjudice financier personnellement subi par Monsieur [S] [C] et distinct de celui des autres créanciers

- Condamner les ayants cause de Me [D] [G] à payer à Monsieur [S] [C] la somme de 50.000 euros au titre du préjudice moral qui est un préjudice personnel et distinct

- Condamner les ayants cause de Me [D] [G] à payer à Monsieur [S] [C] la somme de 30.000 euros au titre de Pertes affectives et sentimentales qui est un préjudice personnel et distinct.

Condamner les ayants cause de Me [D] [G] à payer à Monsieur [S] [C] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 CPC ainsi qu'aux entiers dépens

Condamner [22] et [22] solidairement à garantir à Monsieur [S] [C] le paiement de toute somme due par les ayants cause de Me [D] [G] à Monsieur [S] [C]. »

Par dernières conclusions notifiées au greffe le 24 octobre 2024, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [I] [G] et Mmes [O] et [H] [G], pris ès qualités d'ayants-droit de [D] [G], la Société [22] et la SA [22], intimés, demandent à la cour de :

« Vu l'article 462 du code de procédure civile,

Recevoir Madame [O] [J] veuve [G], Mademoiselle [H] [G] représentée par Madame [O] [J], Monsieur [I] [G], la société [22] et la société [22] en leur demande de rectification d'erreur matérielle du Jugement du Tribunal judiciaire de Versailles du 9 février 2023

Les déclarants bien fondés en celle-ci,

Remplacer en page 1 du jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 9 février 2023 :

« 1 - Maitre [D] [G] demeurant [Adresse 1] »,

par :

« 1/ Madame [O] [J] veuve [G],

Née le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 18] (GRECE), de nationalité Grecque, demeurant [Adresse 16] (GRECE)

2/ Madame [O] [J] veuve [G], agissant en sa qualité de représentant légal de sa fille mineure, [H] [G]

Née le [Date naissance 6] 2005 à [Localité 18] (GRECE), de nationalités Grecque et Française, demeurant [Adresse 16] (GRECE)

3/ Monsieur [I] [G],

Né le [Date naissance 5] 2001 à [Localité 18] (GRECE), de nationalités Grecque et Française, demeurant [Adresse 16] (GRECE)

En leur qualité d'ayants droit de Monsieur [D] [G], Avocat aux barreaux de Paris et d'Athènes, né le [Date naissance 4] 1968 à [Localité 19] (62), de nationalité française, Domicilié à [Localité 14], exerçant en Grèce [Adresse 12] et décédé à [Localité 18] le [Date décès 7] 2021,

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de M. [C] et rejeté sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En tout état de cause :

Vu les articles 31 et 122 et suivants du code de procédure civile

Déclarer irrecevable M.[S] [C] en ses demandes à toutes fins qu'elles comportent,

Subsidiairement :

Vu l'article 1231-1 (anciennement 1147) du Code civil,

Dire et juger mal fondé M. [S] [C] en l'ensemble de ses demandes en toutes fins qu'elles comportent,

En conséquence,

L'en débouter purement et simplement,

Recevoir Madame [O] [J] veuve [G], Mademoiselle [H] [G] représentée par Madame [O] [J], Monsieur [I] [G], la société [22] et la société [22] en leur appel incident du jugement en ce qu'il a rejeté la demande des sociétés [22] et [22] SA au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

Infirmer le jugement sur ce point,

En conséquence :

Condamner M. [S] [C] à leur verser à Madame [O] [J] veuve [G], à Mademoiselle [H] [G] représentée par Madame [O] [J], à Monsieur [I] [G] et aux sociétés [22] et [22] une somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Y ajouter au titre de la procédure d'appel :

Condamner M. [C] à verser à Madame [O] [J] veuve [G], à Mademoiselle [H] [G] représentée par Madame [O] [J], à Monsieur [I] [G] et aux sociétés [22] et [22] une somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Le condamner aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par la SCP COURTAIGNE Avocats par Mme Pommel, avocate, dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile. »

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 26 juin 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Saisine de la cour

La cour est saisie d'une demande d'infirmation de l'intégralité du jugement de la part de l'appelant, les intimés sollicitant quant à eux l'infirmation de cette décision en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande d'article 700 du code de procédure civile des sociétés d'assurances.

Sur la demande en rectification d'erreur matérielle

Les ayants droit de [D] [G] et ses assureurs forment une demande de rectification d'erreur matérielle concernant le chapeau du jugement et l'indication des héritiers en lieu et place de [D] [G], demande à l'égard de laquelle l'appelant ne formule pas d'observation.

Selon l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.

Au cas d'espèce, alors que [D] [G] est décédé le [Date décès 7] 2021 et que ses héritiers sont intervenus en ses lieu et place selon conclusions déposées le 13 mai 2022 devant le tribunal judiciaire, il convient de rectifier l'erreur figurant dans le chapeau du jugement querellé afin de régulariser cette intervention et ce, comme il sera indiqué au dispositif du présent arrêt.

Sur la recevabilité de l'action de M. [C] à titre personnel

Le premier juge a déclaré M. [C] irrecevable en son action au motif qu'il ne justifie pas d'un intérêt personnel distinct de celui de l'entreprise, laquelle a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, dont il n'a au demeurant pas informé le tribunal grec afin que le liquidateur puisse intervenir dans la procédure pendante devant lui.

Il a ajouté que dans la procédure grecque, M. [C] demandait clairement l'indemnisation du préjudice subi par l'entreprise du fait de la décision de l'État grec et que toute somme qui aurait éventuellement été obtenue aurait dû être affectée à l'entreprise et aux créanciers.

M. [C] conclut à hauteur d'appel à la recevabilité de son action, entendant démontrer qu'il justifie d'un préjudice distinct et personnel qui résulte de la perte pour l'avenir de rémunérations ainsi que de la minoration de sa retraite qui en résulte.

Les ayants droit de [D] [G] et ses assureurs sollicitent la confirmation du jugement querellé.

Ils rappellent que l'assignation contre l'État grec a été faite en avril 2010 au nom de « [C] [20] » et tendait à la réparation du préjudice subi, en termes de pertes commerciales, par cette entreprise.

Ils font également valoir que M. [C] ne justifie pas de préjudices personnels, faisant observer que le montant de la perte de revenus alléguée est calqué sur le montant des résultats imposables de l'entreprise.

Ils indiquent enfin qu'en tout état de cause, les prétendus préjudices personnels ne sont pas imputables à [D] [G].

Appréciation de la cour

Selon l'article 31 du code de procédure civile l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé et selon l'article 32 suivant, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

Lorsqu'un commerçant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, il est, en vertu des dispositions de l'article L. 641-9 du code de commerce, dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens, de sorte qu'à compter de l'ouverture de cette procédure, le débiteur est représenté par le liquidateur pour tous les actes exigés par son activité professionnelle et personnelle. En particulier, le liquidateur, qui représente le débiteur, a seul qualité à agir pour exercer une action relative à son patrimoine.

Toutefois, dès lors que la clôture de la liquidation judiciaire a été prononcée, il est mis fin au dessaisissement frappant le débiteur et celui-ci recouvre le droit d'agir seul.

Par ailleurs, la perte, pour l'avenir, des rémunérations qu'un débiteur, entrepreneur individuel, aurait pu percevoir, étrangère à la protection et à la reconstitution du gage commun des créanciers, ne relève pas du monopole du liquidateur, de sorte que l'action en réparation de ce préjudice lui appartient en propre (voir notamment Com., 7 novembre 2018, pourvoi n° 15-28.802).

Au cas présent, la procédure de liquidation judiciaire de l'entreprise personnelle [C] [S] a été clôturée selon jugement du tribunal de commerce de Douai en date du 4 mai 2017, de sorte que lorsque M. [C] a introduit la présente action par acte du 23 avril 2020, il n'était plus dessaisi de ses biens et actions.

En outre, en formulant aux termes de cette action une demande de réparation de la perte pour l'avenir de ses rémunérations et de la minoration de sa retraire, M. [C] exerce une action personnelle, et non une action dans l'intérêt collectif des créanciers.

Ces deux raisons commandent en conséquence de le déclarer recevable en son action, les autres arguments avancés par les intimés tenant au fond du droit. Le jugement critiqué sera infirmé en ce sens.

Sur le fond

Moyens et arguments des parties

M. [C] soutient que [D] [G] a manqué à son obligation information en faisant valoir que l'avocat n'était pas en droit de se dessaisir du dossier datant de 10 ans en juin 2018, qu'il l'avait informé le 25 mai 2018 que pour des raisons familiales, il serait indisponible de fin juin à fin septembre et que l'absence de l'avocat à l'audience et l'absence de dépôt de conclusions constituent une faute dès lors qu'il n'était pas en droit de se dessaisir du dossier.

L'appelant entend démontrer que la faute de [D] [G] a fait perdre à son entreprise une chance d'obtenir gain de cause dans la procédure engagée et que cette faute a contribué à la liquidation de l'entreprise qui n'a pu être redressée en l'absence de l'indemnisation que [D] [G] était chargé de demander.

Les intimés concluent tout d'abord à l'absence de lien de causalité entre les préjudices personnels revendiqués par M. [C] (pertes de revenus, retraite et fonds de commerce), résultant de la liquidation de son entreprise, et la faute invoquée puisque l'Etat grec a levé les mesures de restrictions dès 2011, soit près de 4 ans avant la liquidation de l'entreprise.

Ils concluent ensuite à l'absence de faute commise par [D] [G], faisant valoir en substance qu'il ne saurait être tenu responsable des délais extrêmement longs de traitement des dossiers devant le tribunal grec saisi.

Appréciation de la cour

L'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 applicable au présent litige, dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il se forme entre l'avocat et son client un contrat de mandat obligeant l'avocat, dans le cadre de son activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, à veiller à la défense des intérêts de son client en mettant en oeuvre les moyens adéquats et à prendre toutes les initiatives qu'il juge conformes à l'intérêt de son client.

Ainsi, dans le cadre de son mandat ad litem, l'avocat est tenu d'une obligation de diligence quant aux actes procéduraux. Par ailleurs, l'avocat est tenu dans le cadre de son obligation contractuelle d'information de fournir à ses clients les renseignements juridiques nécessaires à la bonne conduite des instances judiciaires introduites en leur nom ou à leur encontre et de nature à contribuer au succès de leurs prétentions.

La responsabilité de l'avocat, de nature contractuelle, peut ainsi être engagée pour faute, en cas d'inexécution d'une de ses obligations, de sorte qu'il est civilement responsable des actes professionnels préjudiciables qu'il accomplit pour le compte de son client.

Au cas présent, la cour relève que M. [C] fonde exclusivement ses demandes sur la responsabilité contractuelle de l'avocat, en visant dans ses conclusions les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause, alors qu'il ressort des faits de l'espèce et en particulier de l'assignation enregistrée le 30 mars 2010 devant le tribunal administratif de 1ère instance d'Athènes, que [D] [G] a été mandaté par l'entreprise individuelle exerçant sous la dénomination sociale [C] [20], alors inscrite au registre du commerce et des sociétés de Douai sous le nom de [C] [S].

Ainsi, force est de constater que la seule contractante de [D] [G] était l'entreprise individuelle de M. [C].

Si ce dernier n'a pas tenu informé le liquidateur judiciaire désigné dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de l'entreprise [C] [23] ouverte le 25 février 2015 de l'action introduite en Grèce pour le compte de l'entreprise individuelle, cette carence lui est exclusivement imputable, [D] [G] n'étant pas mandaté dans le cadre de cette procédure collective.

Dès lors, M. [C], exerçant dans le présent litige une action à titre personnel, il n'est pas fondé à formuler des demandes en vertu d'un contrat auquel il n'était pas partie en cette qualité.

De par ce seul constat, les demandes de M. [C] doivent être rejetées.

Surabondamment, sur la faute, si M. [C] consacre dans ses conclusions de longs développements quant aux contextes factuel et juridique de l'affaire, dans la partie « discussion » de ses écritures, et en particulier sur la faute, l'appelant limite ainsi les griefs qu'il élève (page 27 de ses conclusions) :

- sous un intitulé « - Manquement a' l'obligation d'information » :

« Me [G] n'était pas en droit de se dessaisir du dossier datant depuis 10 ans dès lors que l'intégralité des honoraires réclamés à tort, postérieurement au dépôt de la plainte, avaient été payés sur le compte personnel en France de Me [G].

Utile est de préciser que le dossier retourné était incomplet sans aucune note, sans aucune conclusion, sans le bordereau de pièces restituées, sans aucune pièce de l'adversaire.

Et surtout

Monsieur [C] a informé Me [G] par email du 25/05/2018 ,

« que pour de raisons familiales et personnelles il serait indisponible de fin Juin à fin Septembre »,

et sous un intitulé « - Absence a' l'audience et absence de conclusions » :

« L'absence de Me [G] à l'audience et l'absence de dépôt de conclusion est une faute engageant sa responsabilité dès lors qu'il n'était pas en droit de se dessaisir du dossier, l'intégralité des honoraires réclamés à tort lui ayant été payés.

Le fait de ne pas se présenter à une audience de première instance sans que l'avocat dépose de conclusions, ni ne demande de report est fautif (CA Paris, 27 mars 2008, Juris-Data no 2008-36-3847). ».

Il en infère que les manquements reprochés concernent le fait pour [D] [G] de s'être dessaisi du dossier le 14 juin 2018 et consécutivement, de ne pas s'être déplacé à l'audience du 25 septembre 2018, audience de renvoi à la demande de l'avocat lors de l'audience initialement fixée le 27 mars 2018, ni n'avoir déposé de conclusions.

Les échanges de courriels versés aux débats par les intimés indiquent qu'à compter du mois de mars 2018, les relations des parties ont achoppé sur deux points, soit en premier lieu le paiement par M. [C] des frais et honoraires liés à la rédaction et au dépôt des conclusions que [D] [G] lui réclamait, et en second lieu, sur la transmission par M. [C] d'une procuration authentifiée, selon la procédure grecque ou par un notaire avec l'apostille de la cour d'appel en France.

Au mois de mars 2018, [D] [G] envoyait un courriel à M. [C] pour lui indiquer notamment que la procuration qu'il avait transmise n'était pas conforme à la forme exigée. En réponse, l'appelant, lui indiquait qu'il n'aurait pas le temps d'ici l'audience fixée au 27 mars 2018 de faire établir une telle procuration authentifiée et lui demandait de solliciter un renvoi de l'affaire, ce que faisait l'avocat qui obtenait gain de cause et le renvoi de l'affaire au 27 septembre 2018.

Par courriel du 29 avril 2018, [D] [G], précisant répondre à un courriel de M. [C] du 4 avril précédent, non versé aux débats, lui donnait sa version sur le fait que les frais et honoraires liés à la rédaction et au dépôt des conclusions n'étaient pas inclus dans le montant montant payé en 2010 et contestait tout retard dans la demande de transmission d'une procuration authentifiée au regard des informations que lui avait données son client, à savoir qu'il résidait désormais en Grèce, outre qu'il ignorait que M. [C] avait changé d'adresse mail.

Il lui rappelait avoir obtenu un report de l'audience au mois de septembre suivant.

Par courriel du 14 juin 2018, [D] [G] dénonçait le mandat le liant à l'entreprise [C] [20] en ces termes :

« Cher Monsieur, en vous rappelant que c'est sur vos instructions et sur la base des renseignements que vous nous avez fournis que nous avons déposé l'assignation en justice en date du 26/3/2010 intentée par votre entreprise « [C] [20] » à l'encontre de l'Etat grec devant le tribunal administratif de 1ère instance d'Athènes, à la suite de quoi nous vous avons remis la facture n° 382/23-4-2010 pour prestation de services rendus qui vous avez réglée.

La date d'audience de notre requête a été fixée au 27 mars 2018 et nous vous avons informé suffisamment à l'avance pour que vous remettiez le pouvoir nécessaire pour vous représenter à l'audience et pour que vous puissiez effectuer le paiement du « paravolo » d'un montant de 1.190€ nécessaire pour que l'affaire puisse être discutée en audience ainsi que la somme de 584,04€ au titre de nos honoraires, montant qui doit être enregistré et dont le reçu établi par les services du Barreau doit être annexé au dossier pour que le tribunal puisse déclarer recevable et permettre la discussion en audience.

Parce que vous n'avez pas envoyé le pouvoir et le paravolo nécessaires pour la discussion en audience, nous avons été contraints de demander un report de celle-ci, la nouvelle date d'audience étant fixée au 25/9/2018.

En conséquence de quoi, je mets un terme à notre collaboration, étant donné qu'une communication fiable reposant sur une confiance réciproque ne peut plus être maintenue entre nous, et vous retournons immédiatement par courrier rapide votre dossier afin que vous puissiez le remettre à un autre avocat qui pourra représenter les intérêts de votre société lors de la discussion en audience de l'assignation intentée contre l'Etat grec le 26 mars 2010. »

Par jugement publié le 22 octobre 2018, le tribunal administratif de 1ere instance d'Athènes, après avoir relevé que la société [C] [20] n'était ni présente ni représentée lors de l'audience du 25 septembre 2018, n'avait pas fourni au tribunal avant la discussion de l'affaire une procuration notariée ou sous seing privé donnant pouvoir de représentation en justice à l'avocat, a considéré que les actes de la phase précédant l'audience, signés par l'avocat, étaient nuls de plein droit, en raison du fait qu'il n'a pas reçu légalement pouvoir conformément à l'un des modes par lequel ce pouvoir peut être conféré, et qu'il y avait lieu en conséquence de rejeter l'assignation en justice, non recevable.

Les termes de cette décision et la chronologie des événements telle que ci-dessus retracée démontrent, sans nécessité de s'appesantir sur la problématique relative à la charge des frais, que la requête de l'entreprise [C] auprès de la juridiction d'Athènes n'a pu prospérer à cause de l'absence de fourniture par le requérant d'une procuration dans les formes requises, comme l'avait pourtant réclamée [D] [G] à M. [C].

Ce dernier fait vainement valoir qu'il avait informé [D] [G] qu'il serait indisponible de fin juin à fin septembre 2018 alors qu'en tout état de cause, il n'a jamais répondu au message par lequel [D] [G] dénonçait son mandat et qui lui avait pourtant été envoyé avant la « fin juin » 2018, et qu'il connaissait depuis plusieurs mois la nécessité de transmettre une procuration répondant aux formes prescrites par la justice grecque.

Dans ces conditions, faute pour M. [C] d'avoir mis son avocat en mesure de mener à bien la mission qui lui avait confiée, aucun manquement n'est caractérisé à son encontre.

Surabondamment également, il convient d'observer que même à considérer qu'une faute ait été commise par [D] [G] dans la conduite du procès que l'entreprise [C] lui avait confié à l'encontre de l'Etat grec, l'éventualité de l'obtention d'une indemnisation dans ce cadre n'aurait pas pu être de nature à éviter la liquidation de l'entreprise [C] [23], prononcée bien antérieurement à la fixation de l'affaire par la justice grecque et ce, sans procédure de redressement judiciaire préalable, de sorte que toute continuation de cette entreprise était exclue et qu'aucun lien de causalité ne pourrait être caractérisé avec les préjudices invoqués par l'appelant, constitués par la perte de revenus que M. [C] a subi par suite de la liquidation de son entreprise.

Il découle de tout ce qui précède que M. [C] doit être débouté de ses demandes.

Sur les demandes accessoires :

Compte tenu du sens de la présente décision, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens de première instance mais infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de « [D] [G] » au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Partie perdante, M. [C] ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles en appel. Il devra en outre supporter les dépens d'appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice de l'avocat qui en a fait la demande.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser aux intimés la charge des frais irrépétibles. L'appelant sera en conséquence condamné à leur verser une somme globale de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Ordonne la rectification du chapeau du jugement rendu le 9 février 2023 par le tribunal judiciaire de Versailles sous le numéro RG 20/02087 comme suit :

Dit que les mentions suivantes concernant les défendeur figurant en page 1 du jugement :

1 - Maître [D] [G] demeurant [Adresse 1] »,

sont remplacés par les mentions ainsi rédigées :

« 1 - Madame [O] [J] veuve [G],

Née le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 18] (GRECE), de nationalité Grecque, demeurant [Adresse 16] (GRECE)

Madame [O] [J] veuve [G], agissant en sa qualité de représentant légal de sa fille mineure, [H] [G]

Née le [Date naissance 6] 2005 à [Localité 18] (GRECE), de nationalités Grecque et Française, demeurant [Adresse 16] (GRECE)

Monsieur [I] [G],

Né le [Date naissance 5] 2001 à [Localité 18] (GRECE), de nationalités Grecque et Française, demeurant [Adresse 16] (GRECE)

En leur qualité d'ayants droit de Monsieur [D] [G], Avocat aux barreaux de Paris et d'Athènes, né le [Date naissance 4] 1968 à [Localité 19] (62), de nationalité française, Domicilié à [Localité 14], exerçant en Grèce [Adresse 12] et décédé à [Localité 18] le [Date décès 7] 2021,

Dit que le présent arrêt rectificatif sera mentionné en marge de la minute et des expéditions du jugement du 9 février 2023 et notifié comme ledit jugement,

Infirme le jugement du 9 février 2023, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de M. [S] [C] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a statué sur les dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Déclare l'action M. [S] [C] recevable,

Déboute M. [S] [C] de toutes ses demandes,

Condamne M. [S] [C] aux dépens d'appel avec distraction au bénéfice de avocat qui en a fait la demande,

Condamne M. [S] [C] à payer à M. [I] [G] et Mmes [O] et [H] [G], pris ès qualités d'ayants droit de [D] [G], la société [22] et la SA [22], ensemble, la somme globale de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Anna MANES, Présidente et par Madame VALETTE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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