Cass. com., 19 novembre 2025, n° 23-19.521
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Le Mardin (SARL), BTSG (Sté)
Défendeur :
Théâtre Antoine (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Schmidt
Rapporteur :
M. Bedouet
Avocat général :
M. de Monteynard
Avocats :
Me Galy, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société FHB, devenue FHBX, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Le Mardin, et à la société Axyme, en qualité de mandataire judiciaire de la société Le Mardin, du désistement de leur pourvoi.
Reprise d'instance
2. Il est donné acte à la société BTSG de sa reprise d'instance en qualité de liquidateur judiciaire de la société Le Mardin.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 juin 2023), et les productions, le 11 septembre 2009, la société Théâtre Antoine (le bailleur) a consenti à M. [D], aux droits duquel vient la société Le Mardin (la locataire), un bail commercial.
4. Le 25 janvier 2016, reprochant à sa locataire un manquement à son obligation de payer le loyer à son échéance, elle l'a assignée en résiliation du bail, expulsion, et paiement d'un arriéré de loyers ainsi qu'une indemnité d'occupation.
5. Au cours de l'instance d'appel contre le jugement ayant rejeté ces demandes, la locataire a été mise en redressement judiciaire le 10 octobre 2019. L'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire ont été mis en cause.
6. Le 4 décembre 2020, un jugement a arrêté le plan de redressement de la locataire et maintenu le mandataire judiciaire dans ses fonctions.
7. Le 12 janvier 2024, le plan de redressement a été résolu et la locataire mise en liquidation judiciaire.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La locataire et son liquidateur font grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du bail et de faire droit à la demande de son expulsion, alors « que le juge est tenu de relever d'office la fin de non-recevoir d'ordre public tirée de l'arrêt des poursuites individuelles consécutive à l'ouverture d'une procédure collective; qu'en prononçant en l'espèce la résiliation judiciaire du bail sur l'assignation du bailleur en date du 25 janvier 2016, aux motifs que le bailleur démontre la permanence depuis 2015 d'un compte systématiquement débiteur et que le caractère répété des manquements au paiement des loyers depuis le début de l'occupation des lieux caractérise la gravité de l'infraction reprochée au locataire, quand il résultait de ses propres constatations que la locataire avait été placée en redressement judiciaire en cours d'instance par un jugement du 10 octobre 2019, ce qui lui imposait de relever d'office l'irrecevabilité de l'action en résiliation judiciaire du bail pour défaut de paiement des loyers antérieurs au jugement d'ouverture, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21, L. 622-22 et L. 631-14 du code de commerce, ensemble l'article 125 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L.622-21, I et L. 622-22 du code de commerce rendus applicables au redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code :
9. Selon le premier de ces textes, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 du code de commerce et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent. Selon le second, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance ; elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
10. Pour prononcer la résiliation du bail, l'arrêt retient que la locataire a manqué à son obligation de payer régulièrement les loyers depuis le début de l'occupation des lieux.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la locataire avait été mise en redressement judiciaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
12. La locataire et son liquidateur font grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du bail, de la condamner à payer au bailleur les loyers impayés au 10 octobre 2019 outre une indemnité d'occupation et d'ordonner son expulsion alors :
« 2°/ que les instances en cours à la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire qui tendent à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait déclaré sa créance ; elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation de la créance et à la fixation de son montant ; qu'en condamnant la locataire à payer la somme de 28 021,57 euros au titre de l'arriéré locatif selon décompte de créance arrêté au 10 octobre 2019, date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire, sans vérifier, au besoin d'office, si le bailleur avait déclaré sa créance, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21, L. 622-22 et L. 631-14 du code de commerce, ensemble l'article 125 du code de procédure civile ;»
3°/ qu'en condamnant la locataire à payer la somme de 28 021,57 euros au bailleur au titre de l'arriéré locatif selon décompte de créance arrêté au 10 octobre 2019, date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire quand l'instance en paiement des loyers dus antérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire ne pouvait tendre, à la supposer régulièrement reprise, qu'à la constatation de la créance du bailleur et à sa fixation au passif du redressement judiciaire, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21, et L. 631-14 du code de commerce, ensemble l'article 125 du code de procédure civile »
Réponse de la Cour
Vu les articles L.622-21, I et L.622-22 du code de commerce rendus applicables au redressement judiciaire par l'article L.631-14 du même code:
13. Pour condamner la locataire à payer les loyers restant dûs au 10 octobre 2019, l'arrêt retient que l'extrait de compte locatif produit laisse apparaître un débit de 30 352,44 euros.
14. En statuant ainsi, alors que l'ouverture du redressement judiciaire de la locataire avait interrompu l'instance, laquelle ne pouvait reprendre qu'une fois la créance déclarée et ne tendre qu'à la constatation et à la fixation de cette créance, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Théatre Antoine SCI aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Théatre Antoine SCI à payer à la société BTSG en qualité de liquidateur de la société Le Mardin la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le dix-neuf novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.