CA Pau, 2e ch - sect. 1, 18 novembre 2025, n° 25/00136
PAU
Arrêt
Autre
PhD/RP
Numéro 25/3150
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 18 NOVEMBRE 2025
Dossier :
N° RG 25/00136
N° Portalis DBVV-V-B7J-JCAR
Nature affaire :
Demande en paiement des loyers et charges et/ou tendant à la résiliation du bail et/ou à l'expulsion
Affaire :
S.A.R.L. A MUVRA
C/
[B] [H]
[V] [H]
S.C.I. PAVILLON CECIL
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 18 NOVEMBRE 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 23 Septembre 2025, devant :
Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,
assisté de Mme SAYOUS, Greffier présent à l'appel des causes,
Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition, a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Jeanne PELLEFIGUES et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame PELLEFIGUES, Président
Monsieur DARRACQ, Conseiller
Madame BAYLAUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.R.L. A MUVRA
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Maître Philippe BORDENAVE, avocat au barreau de PAU
INTIMES :
Madame [B] [H]
née le 03 Juillet 1972 à [Localité 4] (64)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 2]
Monsieur [V] [H]
né le 21 Juillet 1971 à [Localité 5] (64)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 2]
S.C.I. PAVILLON CECIL
prise en la personne de ses associés ci-avant désignés
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentés par Maître Jean Philippe LABES de la SELARL ABL ASSOCIES, avocat au barreau de PAU
Assistés de Maître Aline DIVO de la SELFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau des HAUTS DE SEINES
sur appel de la décision
en date du 08 JANVIER 2025
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PAU
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
Par acte sous seing privé des 4 et 6 avril 2005, la SCI Pavillon Cecil, aux droits de laquelle sont venus Mme [B] [H] et M. [V] [H] (les consorts [H]), a donné à bail commercial divers locaux, sis à Pau, à la société A Muvra (sarl).
En 2019, la locataire a contesté en justice la validité de la clause d'indexation des loyers stipulée dans le bail.
Par jugement du tribunal judiciaire de Pau du 6 septembre 2022, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de céans du 4 avril 2024, la contestation de la locataire a été rejetée.
Entre-temps, et par acte extrajudiciaire du 31 mars 2022, les bailleurs ont donné congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction à effet au 31 janvier 2023.
Les bailleurs ont obtenu en référé l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire sur la fixation de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation légale.
Par acte extrajudiciaire du 26 juillet 2024, les bailleurs ont délivré un commandement, visant la clause résolutoire, de payer la somme de 53.050,83 euros hors charges au titre des arriérés d'indexation sur les loyers et indemnités d'occupation de janvier 2021 à juillet 2024.
Suivant exploit du 17 septembre 2024, la SCI Pavillon Cecil, Mme [H] et M. [H] ont fait assigner la société A Muvra par devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Pau en constatation de la résiliation du bail, expulsion et paiement d'une provision de 25.082,32 euros.
Par ordonnance contradictoire du 8 janvier 2025, le juge des référés a':
déclaré recevable l'action initiée par les consorts [H]
constaté l'acquisition au profit des bailleurs de la clause résolutoire contenue dans le bail des 4 et 6 avril 2005 à la date du 27 août 2024
ordonné en tant que de besoin l'expulsion de la société A Muvra et de tous occupants de son chef avec, en cas de besoin, l'assistance de la force publique
condamné la société A Muvra à payer aux consorts [H] à titre provisionnel des intérêts de retard au taux légal conformément aux stipulations du bail, sur les sommes impayées à leur date d'exigibilité
condamné la société A Muvra à payer aux consorts [H] une indemnité d'occupation égale au loyer en cours au moment de la résiliation du bail et jusqu'à libération effective et complète des lieux
ordonné l'exécution provisoire
dit n' avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
condamné la société A Muvra aux dépens
rejeté toutes les demandes plus amples et contraires.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 17 janvier 2025, la société A Muvra a relevé appel de cette ordonnance.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 septembre 2025.
* * *
Vu les conclusions notifiées le 4 mars 2025 par la société A Muvra qui a demandé à la cour':
liminairement, de déclarer irrecevable à agir la SCI Pavillon Cecil
réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail et refusé les délais de paiement sollicités par la société A Muvra
lui accorder les plus larges délais pour avoir à acquitter les sommes qui seraient jugées être dues et, ce faisant, suspendre pendant le cours de ces délais les effets de la clause résolutoire
débouter les consorts [H] de toutes leurs demandes contraires ou plus amples
à titre reconventionnel, condamner provisionnellement les consorts [H] au paiement d'une indemnité de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir engagé cette instance dans le seul but de priver le locataire de l'indemnité d'éviction à laquelle il a droit
dans tous les cas, condamner les consorts [H] aux dépens et au paiement d'une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions notifiées le 28 avril 2025 par les consorts [H] et la SCI Pavillon Cecil qui ont demandé à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté leurs demandes plus et amples ou contraires et leur demande tendant à voir constater la perte par la société A Muvra de son droit au maintien dans les lieux et de son droit au paiement d'une indemnité d'éviction, et, statuant à nouveau, de':
constater la perte par la société A Muvra du droit au maintien dans les lieux de l'article L 145-28 du code de commerce
constater la perte par la société A Muvra de tout droit au paiement d'une indemnité d'éviction
en toutes hypothèses, condamner la société A Muvra à leur payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de commandement de payer visant la clause résolutoire du 26 juillet 2024, de la levée de l'état d'endettement de la société A Muvra et de la signification de l'assignation du 17 septembre 2024, en application de l'article 696 du code de procédure civile.
MOTIFS
Observations liminaires
Par acte remis au greffe de la cour le 27 mai 2025, via le RPVA, la selarl ABL associés, prise en la personne de Maître Labes, avocat au barreau de Pau, a déclaré se constituer pour le compte de la SCI Pavillon Cecil et des consorts [H] aux lieu et place de Maître [W] qui s'était constitué pour les mêmes intimés.
Cet acte de constitution a été simultanément notifié à l'avocat de la société A Muvra et à Maître [W].
Le 8 septembre 2025, la société A Muvra a remis au greffe des conclusions responsives qu'elle a notifiées à Maître [W].
A l'audience, la question de la recevabilité de ces conclusions a été mise dans les débats.
Le conseil de l'appelante a indiqué qu'il avait été induit en erreur par la présence du nom de Maître [W] dans le dossier de la procédure accessible via le RPVA.
Mais, en droit, le mandat de représentation de Maître [W] ayant été révoqué, l'appelante devait notifier ses conclusions à l'avocat régulièrement constitué pour le compte des intimés, dûment enregistré dans le dossier numérique à la suite du nom de l'avocat révoqué.
La cour étant saisie par les conclusions remises au greffe et notifiées aux parties, les conclusions remises le 8 septembre 2025 seront déclarées irrecevables.
Sur la qualité à agir de la SCI Pavillon Cecil
Le dispositif de l'ordonnance entreprise s'est borné à déclarer recevable «'l'action initiée par les consorts [H]'», sans statuer sur le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes de la SCI Pavillon Cecil pour défaut de personnalité juridique.
En droit, il résulte de l'article 1842 du code civil que les sociétés autres que celles en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
Il en résulte que l'attribution du numéro «'système d'identification du répertoire des entreprises (Siren) par l'Institut national de la statistique et des études économiques, qui n'est destiné qu'à l'identification de la société auprès des administrations et des personnes ou organismes énumérés à l'article 1er de la loi n° 94-126 du 11 février 1994, ne conditionne pas l'acquisition de sa personnalité juridique.
En l'espèce, le jugement du tribunal judiciaire en date du 6 septembre 2022 a constaté que la SCI Pavillon Cecil n'était pas immatriculée et que l'intervention volontaire des consorts [H], propriétaires indivis des locaux commerciaux, avait régularisé l'action en défense de la SCI.
La SCI Pavillon Cecil ne conteste pas qu'elle n'est toujours pas immatriculée au RCS à ce jour, de sorte qu'elle n'a pas la capacité juridique à agir contre la société A Muvra.
La disposition de l'ordonnance entreprise ayant déclaré recevable l'action initiée par les consorts [H] n'a pas fait l'objet d'un appel'; il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de confirmation de l'ordonnance de ce chef.
Sur la constatation de la résiliation du bail
L'article L 145-41 alinéa 2 du code de commerce dispose que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Il s'ensuit que le juge peut, sur le fondement de l'article L 145-41 précité, accorder rétroactivement des délais de paiement au locataire, suspendre les effets de la clause résolutoire et dire qu'elle n'a jamais produit ses effets après avoir constaté que les paiements intervenus ont permis l'apurement de la dette locative au jour de l'audience.
En l'espèce, le commandement de payer visant la clause résolutoire insérée dans le bail liant les parties a été signifié le 26 juillet 2024.
Le 2 septembre 2024, la société A Muvra a réglé la somme de 31.333,69 euros.
Le 9 septembre, elle a réglé la somme de 25.082,34 euros soldant l'intégralité des causes du commandement de payer avant même l'assignation en référé délivrée le 17 septembre 2024.
Il est exact que les causes du commandement n'ont pas été réglées dans le mois du commandement de payer, de sorte que la clause résolutoire a produit ses effets au 26 août 2024.
Les consorts [H] s'opposent à l'octroi de délais rétroactifs en raison de la mauvaise foi de leur locataire qui a refusé de régler les compléments de loyers depuis le mois de janvier 2021, se faisant justice à elle-même et résistant encore à la mise en demeure du 24 juin 2024 délivrée avant le commandement de payer, et alors qu'elle a bénéficié de fait de larges délais de paiement pour s'exécuter et ne justifie pas de sa situation financière, comme l'a retenu l'ordonnance entreprise.
Mais, la société A Muvra a agi, en mars 2019, en déclaration de réputation non-écrite de la clause d'indexation censée jouer uniquement en cas de hausse de l'indice de référence.
Le jugement du tribunal judiciaire de Pau du 6 septembre 2022, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel du 4 avril 2024, a dit que la clause d'indexation était neutralisée dans ses effets contraires au jeu de l'indexation pleine et réciproque mais que l'indexation demeurait.
L'action de la société A Muvra n'a pas été jugée abusive, tandis que l'anomalie de la clause d'indexation a bien été constatée.
Il ne peut être considéré, dans ces conditions, que la société A Muvra a exécuté de mauvaise foi ses obligations contractuelles en retenant, à compter du mois de janvier 2021, le paiement des compléments de loyers indexés.
Compte tenu du montant de la dette locative, représentant plus d'une année de loyers, le règlement de celle-ci dans les deux mois du commandement de payer, et avant même l'assignation du 17 septembre 2024, a régularisé la situation locative de la société A Muvra dont il n'est pas soutenu qu'elle n'aurait pas réglé à leurs échéances les indemnités d'occupation légales postérieures, ni même les intérêts de retard mis à sa charge par l'ordonnance entreprise, jusqu'à son expulsion forcée des lieux en juin 2025.
Dès lors, eu égard à la situation de la société A Muvra qui sollicite une indemnité d'éviction, et alors que les besoins des bailleurs n'en seront pas sérieusement affectés, il convient d'accorder rétroactivement à la société A Muvra un délai jusqu'au 17 septembre 2024, date de l'assignation en référé, pour s'acquitter des causes du commandement de payer et de suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire pendant ce délai.
Il y a lieu ensuite de constater que les causes du commandement de payer ont été réglées dans le délai fixé et, par voie de conséquence, de débouter les consorts [H] de leur demande de constatation de la résiliation du bail, d'expulsion et de fixation d'une indemnité d'occupation.
L'ordonnance entreprise sera infirmée en ce sens.
Sur la demande de paiement des intérêts de retard sur les compléments de loyers
Le bail liant les parties stipulent que toute somme due mais non payée à son échéance exacte donnera lieu à des intérêts au taux légal qui, depuis le jour de l'exigibilité de la somme, seront dus de plein droit et le resteront jusqu'à l'entier paiement de toutes les sommes dues.
L'obligation de payer les intérêts de retard courus sur les compléments de loyers indexés n'est donc pas sérieusement contestable, peu important que les bailleurs n'aient pas visé cette créance moratoire dans le commandement de payer.
L'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.
Sur la demande de constat de la déchéance du droit du locataire à se maintenir dans les lieux et à percevoir une indemnité d'éviction
En premier lieu, cette demande de «'constat'», fondée sur la résiliation du bail et la prescription biennale de l'action en fixation d'une indemnité d'éviction, ne vient au soutien d'aucune prétention qui devrait nécessairement en découler, les intimés n'ayant pas demandé, dans le dispositif de leurs conclusions, d'ordonner l'expulsion de la société A Muvra en conséquence de la déchéance de son droit au maintien dans les lieux, tandis que la demande de résiliation du bail a été rejetée.
Cette demande de «'constat'» n'est donc pas une prétention saisissant le juge, au sens de l'article 4 du code de procédure civile.
Et, serait-elle ainsi accueillie, l'absence d'autorité de la chose jugée au principal de l'ordonnance de référé lui ôterait tout intérêt.
En outre, elle excède les pouvoirs du juge des référés en ce qu'elle implique, en l'espèce, de connaître le fond du droit sur l'acquisition de la prescription biennale de l'action en fixation de l'indemnité d'éviction.
L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté ces demandes de «'constat'».
Sur la demande dommages et intérêts pour procédure abusive
En droit, et en l'absence de circonstances particulières démontrées, dès lors que le bien fondé de leur action a été accueilli pour l'essentiel en première instance, il ne peut être considéré que les consorts [H] ont abusivement agi en justice en sollicitant la constatation de la résiliation du bail malgré le rejet de cette demande par la cour.
La société A Muvra sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
L'ordonnance entreprise sera confirmée sur les dépens mis à la charge de la société A Muvra, en ce compris les frais de commandement de payer, de lever de l'état des créanciers inscrits et d'assignation, ces frais ayant été nécessairement engagés pour les besoins de la procédure suivie en première instance.
Chaque partie conservera à sa charge les dépens d'appel.
Les parties seront déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DECLARE irrecevables les conclusions remises le 8 septembre 2025 par la société A Muvra,
DECLARE irrecevable la SCI Pavillon Cecil en son action dirigée contre la société A Muvra,
CONFIRME l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société A Muvra au paiement provisionnel des intérêts de retard au taux légal sur les sommes impayées à leur date d'exigibilité et condamné la société A Muvra aux dépens,
y ajoutant,
DIT que les frais de commandement de payer, de lever de l'état des créanciers inscrits et d'assignation en référé sont inclus dans les dépens de première instance,
INFIRME l'ordonnance entreprise pour le surplus de ses dispositions déférées à la connaissance de la cour,
et, statuant à nouveau,
ACCORDE rétroactivement à la société A Muvra un délai expirant au 17 septembre 2024 pour s'acquitter des causes du commandement de payer du 26 juillet 2024,
SUSPEND les effets de la clause résolutoire pendant ce délai,
CONSTATE que les causes du commandement de payer ont été réglées dans le délai fixé,
DEBOUTE les consorts [H] de l'ensemble de leurs demandes,
DEBOUTE la société A Muvra de sa demande de dommages et intérêts provisionnels pour procédure abusive,
DIT que chaque partie conservera à sa charge des propres dépens d'appel,
DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Président, et par Monsieur MAGESTE, Greffier, suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Numéro 25/3150
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 18 NOVEMBRE 2025
Dossier :
N° RG 25/00136
N° Portalis DBVV-V-B7J-JCAR
Nature affaire :
Demande en paiement des loyers et charges et/ou tendant à la résiliation du bail et/ou à l'expulsion
Affaire :
S.A.R.L. A MUVRA
C/
[B] [H]
[V] [H]
S.C.I. PAVILLON CECIL
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 18 NOVEMBRE 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
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APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 23 Septembre 2025, devant :
Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,
assisté de Mme SAYOUS, Greffier présent à l'appel des causes,
Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition, a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Jeanne PELLEFIGUES et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame PELLEFIGUES, Président
Monsieur DARRACQ, Conseiller
Madame BAYLAUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.R.L. A MUVRA
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Maître Philippe BORDENAVE, avocat au barreau de PAU
INTIMES :
Madame [B] [H]
née le 03 Juillet 1972 à [Localité 4] (64)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 2]
Monsieur [V] [H]
né le 21 Juillet 1971 à [Localité 5] (64)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 2]
S.C.I. PAVILLON CECIL
prise en la personne de ses associés ci-avant désignés
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentés par Maître Jean Philippe LABES de la SELARL ABL ASSOCIES, avocat au barreau de PAU
Assistés de Maître Aline DIVO de la SELFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau des HAUTS DE SEINES
sur appel de la décision
en date du 08 JANVIER 2025
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PAU
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
Par acte sous seing privé des 4 et 6 avril 2005, la SCI Pavillon Cecil, aux droits de laquelle sont venus Mme [B] [H] et M. [V] [H] (les consorts [H]), a donné à bail commercial divers locaux, sis à Pau, à la société A Muvra (sarl).
En 2019, la locataire a contesté en justice la validité de la clause d'indexation des loyers stipulée dans le bail.
Par jugement du tribunal judiciaire de Pau du 6 septembre 2022, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de céans du 4 avril 2024, la contestation de la locataire a été rejetée.
Entre-temps, et par acte extrajudiciaire du 31 mars 2022, les bailleurs ont donné congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction à effet au 31 janvier 2023.
Les bailleurs ont obtenu en référé l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire sur la fixation de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation légale.
Par acte extrajudiciaire du 26 juillet 2024, les bailleurs ont délivré un commandement, visant la clause résolutoire, de payer la somme de 53.050,83 euros hors charges au titre des arriérés d'indexation sur les loyers et indemnités d'occupation de janvier 2021 à juillet 2024.
Suivant exploit du 17 septembre 2024, la SCI Pavillon Cecil, Mme [H] et M. [H] ont fait assigner la société A Muvra par devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Pau en constatation de la résiliation du bail, expulsion et paiement d'une provision de 25.082,32 euros.
Par ordonnance contradictoire du 8 janvier 2025, le juge des référés a':
déclaré recevable l'action initiée par les consorts [H]
constaté l'acquisition au profit des bailleurs de la clause résolutoire contenue dans le bail des 4 et 6 avril 2005 à la date du 27 août 2024
ordonné en tant que de besoin l'expulsion de la société A Muvra et de tous occupants de son chef avec, en cas de besoin, l'assistance de la force publique
condamné la société A Muvra à payer aux consorts [H] à titre provisionnel des intérêts de retard au taux légal conformément aux stipulations du bail, sur les sommes impayées à leur date d'exigibilité
condamné la société A Muvra à payer aux consorts [H] une indemnité d'occupation égale au loyer en cours au moment de la résiliation du bail et jusqu'à libération effective et complète des lieux
ordonné l'exécution provisoire
dit n' avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
condamné la société A Muvra aux dépens
rejeté toutes les demandes plus amples et contraires.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 17 janvier 2025, la société A Muvra a relevé appel de cette ordonnance.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 septembre 2025.
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Vu les conclusions notifiées le 4 mars 2025 par la société A Muvra qui a demandé à la cour':
liminairement, de déclarer irrecevable à agir la SCI Pavillon Cecil
réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail et refusé les délais de paiement sollicités par la société A Muvra
lui accorder les plus larges délais pour avoir à acquitter les sommes qui seraient jugées être dues et, ce faisant, suspendre pendant le cours de ces délais les effets de la clause résolutoire
débouter les consorts [H] de toutes leurs demandes contraires ou plus amples
à titre reconventionnel, condamner provisionnellement les consorts [H] au paiement d'une indemnité de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir engagé cette instance dans le seul but de priver le locataire de l'indemnité d'éviction à laquelle il a droit
dans tous les cas, condamner les consorts [H] aux dépens et au paiement d'une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions notifiées le 28 avril 2025 par les consorts [H] et la SCI Pavillon Cecil qui ont demandé à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté leurs demandes plus et amples ou contraires et leur demande tendant à voir constater la perte par la société A Muvra de son droit au maintien dans les lieux et de son droit au paiement d'une indemnité d'éviction, et, statuant à nouveau, de':
constater la perte par la société A Muvra du droit au maintien dans les lieux de l'article L 145-28 du code de commerce
constater la perte par la société A Muvra de tout droit au paiement d'une indemnité d'éviction
en toutes hypothèses, condamner la société A Muvra à leur payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de commandement de payer visant la clause résolutoire du 26 juillet 2024, de la levée de l'état d'endettement de la société A Muvra et de la signification de l'assignation du 17 septembre 2024, en application de l'article 696 du code de procédure civile.
MOTIFS
Observations liminaires
Par acte remis au greffe de la cour le 27 mai 2025, via le RPVA, la selarl ABL associés, prise en la personne de Maître Labes, avocat au barreau de Pau, a déclaré se constituer pour le compte de la SCI Pavillon Cecil et des consorts [H] aux lieu et place de Maître [W] qui s'était constitué pour les mêmes intimés.
Cet acte de constitution a été simultanément notifié à l'avocat de la société A Muvra et à Maître [W].
Le 8 septembre 2025, la société A Muvra a remis au greffe des conclusions responsives qu'elle a notifiées à Maître [W].
A l'audience, la question de la recevabilité de ces conclusions a été mise dans les débats.
Le conseil de l'appelante a indiqué qu'il avait été induit en erreur par la présence du nom de Maître [W] dans le dossier de la procédure accessible via le RPVA.
Mais, en droit, le mandat de représentation de Maître [W] ayant été révoqué, l'appelante devait notifier ses conclusions à l'avocat régulièrement constitué pour le compte des intimés, dûment enregistré dans le dossier numérique à la suite du nom de l'avocat révoqué.
La cour étant saisie par les conclusions remises au greffe et notifiées aux parties, les conclusions remises le 8 septembre 2025 seront déclarées irrecevables.
Sur la qualité à agir de la SCI Pavillon Cecil
Le dispositif de l'ordonnance entreprise s'est borné à déclarer recevable «'l'action initiée par les consorts [H]'», sans statuer sur le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes de la SCI Pavillon Cecil pour défaut de personnalité juridique.
En droit, il résulte de l'article 1842 du code civil que les sociétés autres que celles en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
Il en résulte que l'attribution du numéro «'système d'identification du répertoire des entreprises (Siren) par l'Institut national de la statistique et des études économiques, qui n'est destiné qu'à l'identification de la société auprès des administrations et des personnes ou organismes énumérés à l'article 1er de la loi n° 94-126 du 11 février 1994, ne conditionne pas l'acquisition de sa personnalité juridique.
En l'espèce, le jugement du tribunal judiciaire en date du 6 septembre 2022 a constaté que la SCI Pavillon Cecil n'était pas immatriculée et que l'intervention volontaire des consorts [H], propriétaires indivis des locaux commerciaux, avait régularisé l'action en défense de la SCI.
La SCI Pavillon Cecil ne conteste pas qu'elle n'est toujours pas immatriculée au RCS à ce jour, de sorte qu'elle n'a pas la capacité juridique à agir contre la société A Muvra.
La disposition de l'ordonnance entreprise ayant déclaré recevable l'action initiée par les consorts [H] n'a pas fait l'objet d'un appel'; il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de confirmation de l'ordonnance de ce chef.
Sur la constatation de la résiliation du bail
L'article L 145-41 alinéa 2 du code de commerce dispose que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Il s'ensuit que le juge peut, sur le fondement de l'article L 145-41 précité, accorder rétroactivement des délais de paiement au locataire, suspendre les effets de la clause résolutoire et dire qu'elle n'a jamais produit ses effets après avoir constaté que les paiements intervenus ont permis l'apurement de la dette locative au jour de l'audience.
En l'espèce, le commandement de payer visant la clause résolutoire insérée dans le bail liant les parties a été signifié le 26 juillet 2024.
Le 2 septembre 2024, la société A Muvra a réglé la somme de 31.333,69 euros.
Le 9 septembre, elle a réglé la somme de 25.082,34 euros soldant l'intégralité des causes du commandement de payer avant même l'assignation en référé délivrée le 17 septembre 2024.
Il est exact que les causes du commandement n'ont pas été réglées dans le mois du commandement de payer, de sorte que la clause résolutoire a produit ses effets au 26 août 2024.
Les consorts [H] s'opposent à l'octroi de délais rétroactifs en raison de la mauvaise foi de leur locataire qui a refusé de régler les compléments de loyers depuis le mois de janvier 2021, se faisant justice à elle-même et résistant encore à la mise en demeure du 24 juin 2024 délivrée avant le commandement de payer, et alors qu'elle a bénéficié de fait de larges délais de paiement pour s'exécuter et ne justifie pas de sa situation financière, comme l'a retenu l'ordonnance entreprise.
Mais, la société A Muvra a agi, en mars 2019, en déclaration de réputation non-écrite de la clause d'indexation censée jouer uniquement en cas de hausse de l'indice de référence.
Le jugement du tribunal judiciaire de Pau du 6 septembre 2022, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel du 4 avril 2024, a dit que la clause d'indexation était neutralisée dans ses effets contraires au jeu de l'indexation pleine et réciproque mais que l'indexation demeurait.
L'action de la société A Muvra n'a pas été jugée abusive, tandis que l'anomalie de la clause d'indexation a bien été constatée.
Il ne peut être considéré, dans ces conditions, que la société A Muvra a exécuté de mauvaise foi ses obligations contractuelles en retenant, à compter du mois de janvier 2021, le paiement des compléments de loyers indexés.
Compte tenu du montant de la dette locative, représentant plus d'une année de loyers, le règlement de celle-ci dans les deux mois du commandement de payer, et avant même l'assignation du 17 septembre 2024, a régularisé la situation locative de la société A Muvra dont il n'est pas soutenu qu'elle n'aurait pas réglé à leurs échéances les indemnités d'occupation légales postérieures, ni même les intérêts de retard mis à sa charge par l'ordonnance entreprise, jusqu'à son expulsion forcée des lieux en juin 2025.
Dès lors, eu égard à la situation de la société A Muvra qui sollicite une indemnité d'éviction, et alors que les besoins des bailleurs n'en seront pas sérieusement affectés, il convient d'accorder rétroactivement à la société A Muvra un délai jusqu'au 17 septembre 2024, date de l'assignation en référé, pour s'acquitter des causes du commandement de payer et de suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire pendant ce délai.
Il y a lieu ensuite de constater que les causes du commandement de payer ont été réglées dans le délai fixé et, par voie de conséquence, de débouter les consorts [H] de leur demande de constatation de la résiliation du bail, d'expulsion et de fixation d'une indemnité d'occupation.
L'ordonnance entreprise sera infirmée en ce sens.
Sur la demande de paiement des intérêts de retard sur les compléments de loyers
Le bail liant les parties stipulent que toute somme due mais non payée à son échéance exacte donnera lieu à des intérêts au taux légal qui, depuis le jour de l'exigibilité de la somme, seront dus de plein droit et le resteront jusqu'à l'entier paiement de toutes les sommes dues.
L'obligation de payer les intérêts de retard courus sur les compléments de loyers indexés n'est donc pas sérieusement contestable, peu important que les bailleurs n'aient pas visé cette créance moratoire dans le commandement de payer.
L'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.
Sur la demande de constat de la déchéance du droit du locataire à se maintenir dans les lieux et à percevoir une indemnité d'éviction
En premier lieu, cette demande de «'constat'», fondée sur la résiliation du bail et la prescription biennale de l'action en fixation d'une indemnité d'éviction, ne vient au soutien d'aucune prétention qui devrait nécessairement en découler, les intimés n'ayant pas demandé, dans le dispositif de leurs conclusions, d'ordonner l'expulsion de la société A Muvra en conséquence de la déchéance de son droit au maintien dans les lieux, tandis que la demande de résiliation du bail a été rejetée.
Cette demande de «'constat'» n'est donc pas une prétention saisissant le juge, au sens de l'article 4 du code de procédure civile.
Et, serait-elle ainsi accueillie, l'absence d'autorité de la chose jugée au principal de l'ordonnance de référé lui ôterait tout intérêt.
En outre, elle excède les pouvoirs du juge des référés en ce qu'elle implique, en l'espèce, de connaître le fond du droit sur l'acquisition de la prescription biennale de l'action en fixation de l'indemnité d'éviction.
L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté ces demandes de «'constat'».
Sur la demande dommages et intérêts pour procédure abusive
En droit, et en l'absence de circonstances particulières démontrées, dès lors que le bien fondé de leur action a été accueilli pour l'essentiel en première instance, il ne peut être considéré que les consorts [H] ont abusivement agi en justice en sollicitant la constatation de la résiliation du bail malgré le rejet de cette demande par la cour.
La société A Muvra sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
L'ordonnance entreprise sera confirmée sur les dépens mis à la charge de la société A Muvra, en ce compris les frais de commandement de payer, de lever de l'état des créanciers inscrits et d'assignation, ces frais ayant été nécessairement engagés pour les besoins de la procédure suivie en première instance.
Chaque partie conservera à sa charge les dépens d'appel.
Les parties seront déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DECLARE irrecevables les conclusions remises le 8 septembre 2025 par la société A Muvra,
DECLARE irrecevable la SCI Pavillon Cecil en son action dirigée contre la société A Muvra,
CONFIRME l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société A Muvra au paiement provisionnel des intérêts de retard au taux légal sur les sommes impayées à leur date d'exigibilité et condamné la société A Muvra aux dépens,
y ajoutant,
DIT que les frais de commandement de payer, de lever de l'état des créanciers inscrits et d'assignation en référé sont inclus dans les dépens de première instance,
INFIRME l'ordonnance entreprise pour le surplus de ses dispositions déférées à la connaissance de la cour,
et, statuant à nouveau,
ACCORDE rétroactivement à la société A Muvra un délai expirant au 17 septembre 2024 pour s'acquitter des causes du commandement de payer du 26 juillet 2024,
SUSPEND les effets de la clause résolutoire pendant ce délai,
CONSTATE que les causes du commandement de payer ont été réglées dans le délai fixé,
DEBOUTE les consorts [H] de l'ensemble de leurs demandes,
DEBOUTE la société A Muvra de sa demande de dommages et intérêts provisionnels pour procédure abusive,
DIT que chaque partie conservera à sa charge des propres dépens d'appel,
DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Président, et par Monsieur MAGESTE, Greffier, suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,