CA Rennes, 1re ch., 18 novembre 2025, n° 22/04530
RENNES
Arrêt
Autre
1e chambre
ARRÊT N°
N° RG 22/04530
N° Portalis DBVL-V-B7G-S6RR
(Réf 1e instance : 19/00271)
M. [L] [Z]
SCI SIAM PATRIMOINE anciennement dénommée SCI DSF PATRIMOINE
c/
[O] [M] - décédée le 05.10.2024 -
Mme [K] [V]
Mme [N] [A]
M. [D] [A]
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me [U]
Me Tardivel
Me Nadreau
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Président : Madame Véronique VEILLARD, présidente de chambre
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, président de chambre
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, conseillère
GREFFIER
Madame Elise BEZIER lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS
A l'audience publique du 11 février 2025
ARRÊT
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 novembre 2025 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré
****
APPELANTS
Monsieur [L] [P] [J] [Z]
né le 29 avril 1970 à [Localité 11]
[Adresse 9]
[Localité 5]
SCI SIAM PATRIMOINE anciennement dénommée SCI DSF PATRIMOINE, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de RENNES sous le numéro 842.241.101, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 10]
[Localité 8]
Tous deux représentés par Me Mathieu DEBROISE de la SELARL CABINET MATHIEU DEBROISE, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS
[O] [M]
Madame [N] [G] [A], es qualité d'héritière de Mme [O] [M], décédée
- INTERVENANTE VOLONTAIRE-
née le 13 septembre 1969 à [Localité 14]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Monsieur [D] [C] [Y] [A], ès qualités d'héritier de Mme [O] [M], décédée
- INTERVENANT VOLONTAIRE-
né le 31 janvier 1973 à [Localité 14]
[Adresse 1]
[Localité 7]
Tous deux représentés par Me Cyril TARDIVEL, avocat au barreau de SAINT-MALO
Madame [K] [V]
née le 9 octobre 1960 à [Localité 12]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Xavier-Pierre NADREAU de la SELARL SELARL KERJEAN-LE GOFF-NADREAU-NEYROUD,avocat au barreau de SAINT-MALO
FAITS ET PROCÉDURE
1. Par acte notarié reçu les 10 juillet et 15 septembre 2014 par maître [H], notaire à [Localité 15], [O] [M] a loué à Mme [K] [W] pour neuf années à compter du 1er avril 2014 des locaux à usage de café-hôtel (11 chambres) situés [Adresse 4] à [Localité 15] (35) moyennant un loyer annuel de 13.200 € payable trimestriellement.
2. Suivant compromis de vente sous seing privé du 22 juin 2018, [O] [M] s'est engagée à ventre ce bien immobilier à M. [L] [Z] au prix de 200.000 € sous réserve de la purge du droit de préemption de la locataire en place.
3. La réitération de cette vente était prévue pour le 30 octobre 2018 au plus tard sans pouvoir excéder la date du 15 novembre 2018 dans le cas où le notaire ne recevait pas toutes les pièces administratives utiles.
4. Par courrier du 25 juin 2018, maître [R], notaire de [O] [M], a informé la locataire Mme [V] de l'intention de la bailleresse de vendre le bien immobilier.
5. Par courrier du 20 juillet 2018, Mme [V] a fait connaître son souhait d'exercer son droit de préemption et informé maître [R] de ce qu'elle sollicitait un crédit auprès de sa banque afin de financer cet achat.
6. Le 2 août, maître [R] lui rappelait le délai de quatre mois pour réaliser la vente - soit jusqu'au 20 novembre 2018 - et lui demandait si elle souhaitait "substituer une Société de type SCI pour l'acquisition des murs", demande à laquelle Mme [V] donnait suite en constituant la "SCI Hôtel [V]" qui obtenait son financement le 19 octobre 2018.
7. Par courriel du 13 novembre 2018, maître [R] informait Mme [V] et sa banque de l'obligation d'acquérir le bien en nom propre.
8. La banque alertait maître [R] du fait qu'il était impossible d'envisager une signature de la vente avant le 10 décembre 2018 en raison de l'obligation de constituer un nouveau dossier de prêt.
9. En l'absence de réitération de la vente au profit de la locataire en place à l'issue du délai imparti de quatre mois, soit à la date du 20 novembre 2018, M. [Z] faisait, par l'intermédiaire de son notaire maître [B], savoir au notaire de Mme [V] le 29 novembre 2018 qu'il estimait l'offre de la locataire sans effet juridique sur le compromis de vente auquel la venderesse demeurait tenue.
10. Par courrier du 17 décembre 2018 de son conseil maître [T] [U], M. [Z] manifestait son intention de réitérer la vente au profit de la SCI "Dsf Patrimoine" constituée en vue de le substituer.
11. Par courrier officiel du 15 janvier 2019, le conseil de Mme [W] faisait valoir auprès de la venderesse que l'exercice de son droit de préemption avait entrainé la caducité du compromis de vente.
12. C'est dans ces circonstances que par acte d'huissier du 22 janvier 2019, M. [Z] et la SCI Dsf Patrimoine ont fait assigner Mme [V] et [O] [M] devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo aux fins de vente parfaite à leur profit.
13. Par jugement du 13 juin 2022, le tribunal judiciaire de Saint-Malo a :
- déclaré M. [Z] et la SCI Dsf Patrimoine recevables en leur action dirigée contre Mmes [M] et [V],
- constaté la caducité du compromis de vente signé le 22 juin 2018 entre [O] [M] et M. [Z],
- en conséquence,
- dit que tout projet de vente de l'immeuble litigieux entre [O] [M] et M. [Z] était subordonné à l'établissement d'un nouveau compromis de vente et que le droit de préemption de Mme [V] devait être purgé dans les conditions de l'article L.145-46-1 du code de commerce,
- débouté M. [Z] et la SCI Dsf Patrimoine de leurs prétentions,
- condamné ces derniers in solidum à payer à Mme [V] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les mêmes in solidum à payer à [O] [M] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [Z] et la SCI Dsf Patrimoine aux dépens recouvrés conformément à l'article 699, avec distraction au profit de la selarl Kerjean-Le Goff-Nadreau,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
14. Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que M. [Z], signataire du compromis de vente, avait qualité à agir en exécution forcée dudit compromis entre [O] [M] et la SCI ayant vocation à se substituer à lui, laquelle faculté n'avait toutefois pas encore été juridiquement constatée.
15. Sur le fond, le tribunal a jugé que l'exercice du droit de préemption par Mme [V] avait eu pour conséquence de rendre caduc le compromis signé par M. [Z] et de rompre définitivement tous les rapports de droit ayant uni [O] [M] et ce dernier quand bien même la vente avec Mme [V] n'était pas concrétisée, le tout impliquant d'établir un nouveau compromis donnant lieu à la purge du droit de préemption au profit de la locataire en place.
16. Par déclaration du 15 juillet 2022, M. [Z] et la SCI Dsf Patrimoine ont interjeté appel du jugement sauf en ce qu'il les a déclarés recevables en leur action.
17. Par conclusions du 21 novembre 2022, [O] [M] a interjeté appel incident des chefs de jugement ayant :
- déclaré la SCI Siam Patrimoine et M. [Z] recevables en leur action dirigée contre [O] [M],
- condamné la SCI Siam Patrimoine anciennement SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] à payer à [O] [M] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
18. Par ordonnance du 17 novembre 2022, [O] [M] a été placée sous le régime de la sauvegarde de justice, l'APM 22 ayant été désignée en qualité de mandataire spécial pour la durée de l'instance. Par ordonnance du 7 juillet 2023, elle a été placée sous le régime de la tutelle, l'APM 22 ayant été désignée en qualité de tuteur aux biens et Mme [N] [A], fille de l'intéressée, en qualité de tuteur à la personne.
19. [O] [M] est décédée le 5 octobre 2024.
20. Par conclusions remises au greffe le 3 janvier 2025, Mme [N] [A] et M. [D] [A] (les consorts [A]) sont intervenus volontairement à la procédure en qualité d'ayants-droit de leur mère [O] [M].
21. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 janvier 2025.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
22. M. [Z] et la SCI Siam Patrimoine (anciennement SCI Dsf Patrimoine) exposent leurs prétentions et moyens (lesquels seront repris dans la motivation) dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 6 janvier 2025 aux termes desquelles ils demandent à la cour de :
- les dire et juger recevables et bien fondés en leur appel,
- infirmer le jugement en ce qu'il :
* a constaté la caducité du compromis de vente conclu le 22 juin 2018 entre [O] [M] et M. [Z],
* a dit que tout projet de vente de l'immeuble litigieux entre ces derniers était subordonné à l'établissement d'un nouveau compromis de vente et que le droit de préemption de Mme [V] devra être purgé dans les conditions de l'article L.145-46-1 du code de commerce,
* les a déboutés de leurs demandes aux fins de voir :
- constater le caractère parfait de la vente au profit de M. [Z],
- ordonner à Mme [M] de réitérer la vente par devant maître [F] [B] avec la participation de maître [L] [R] sous astreinte de 150 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours courant à compter de la signification de la décision à intervenir,
- dire que cette astreinte jouera pour une durée de 3 mois et que passé ce délai, il y sera à nouveau fait droit par devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire compétent,
- débouter [O] [M] et Mme [V] de l'ensemble de
leurs demandes plus amples ou contraires,
* les a condamnés in solidum à verser à Mme [V] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* les a condamnés in solidum à verser à Mme [M] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* les a condamnées aux entiers dépens,
- statuant à nouveau,
- dire et juger que le compromis de vente signé le 22 juin 2018 entre M. [Z], avec faculté de substitution au profit de toute personne physique ou morale, et [O] [M], représentée par les consorts [A], ses héritiers, portant sur l'ensemble immobilier litigieux, lie définitivement les parties sur le principe de la vente au prix de 200.000 € net vendeur,
- constater le caractère parfait de la vente au profit de M. [Z] à la date du 22 juin 2018, date de signature du compromis de vente, au prix de 200.000 € net vendeur, portant sur l'ensemble immobilier litigieux,
- dire et juger que M. [Z] dispose d'un droit de se substituer la SCI Siam Patrimoine, nouvelle dénomination de la SCI Dsf Patrimoine, pour la réitération de l'acte définitif de vente qui sera reçu par devant les notaires désignés,
- ordonner aux consorts [A], héritiers de [O] [M], de réitérer la vente par devant maître [F] [B], notaire à [Localité 15], avec la participation de maître [L] [R], sous astreinte de 150 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours courant à compter de la signification de la décision à intervenir,
- dire que cette astreinte courra pendant 3 mois et que passé ce délai, il y sera à nouveau fait droit par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire,
- débouter les consorts [A] et Mme [V] de leurs demandes,
- condamner in solidum ces derniers, ou à défaut l'une ou l'autre de ces parties, à leur verser la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront le coût de l'acte et des formalités à accomplir et qui seront recouvrés par la selarl Mathieu Debroise, avocat à [Localité 13], conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
23. Mme [V] expose ses prétentions et moyens (lesquels seront repris dans la motivation) dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 6 janvier 2025 aux termes desquelles elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- en conséquence,
- débouter la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] de toutes leurs demandes,
- constater la caducité du compromis de vente conclu le 22 juin 2018,
- juger qu'un nouveau compromis doit être formé et que son droit de préemption devra être purgé dans les conditions de l'article L.145-46-1 du code de commerce,
- condamner la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] solidairement, ou l'un à défaut de l'autre, à lui payer la somme de 3.300 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- à titre plus subsidiaire,
- juger que la perte de son droit de préférence lui est inopposable en ce que l'absence de réalisation de la vente dans les délais ne lui est pas imputable,
- juger que la réalisation de la vente entre [O] [M] et elle devra intervenir dans tel délai et conditions qu'il plaira à la cour,
- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
- débouter la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] de toutes leurs demandes,
- en tout état de cause,
- condamner ces derniers et plus largement tout succombant à lui payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel.
24. Les consorts [A], venus aux droits de leur mère [O] [M], exposent leurs prétentions et moyens (lesquels seront repris dans la motivation) dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 3 janvier 2025 aux termes desquelles ils demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* débouté la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] de leurs prétentions à l'encontre de [O] [M],
* condamné ces derniers aux entiers dépens,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
- déclaré la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] recevables en leur action dirigée contre [O] [M],
- condamné la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] à payer à [O] [M] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- et, statuant à nouveau,
- déclarer M. [Z] irrecevable à agir en son nom personnel dans la présente instance,
- condamner la SCI Dsf Patrimoine, M. [Z] et Mme [V] à supporter les dépens de l'instance, et à leur payer solidairement ou l'un à défaut de l'autre les sommes suivantes :
* indemnité de procédure de première instance : 2.500 €,
* indemnité de procédure d'appel : 2.500 €.
25. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIVATION DE LA COUR
26. À titre liminaire, il convient de rappeler que l'office de la cour d'appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de "constater", "dire" ou "dire et juger" qui, hors les cas prévus par la loi, ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile lorsqu'elles sont seulement la reprise des moyens censés les fonder.
1. Sur la qualité à agir de M. [Z] et de la SCI Siam Patrimoine
27. Les consorts [A] font valoir que M. [Z] est le seul signataire du compromis de vente dont il est sollicité l'exécution forcée, et partant, le seul à pouvoir agir, la SCI Siam Patrimoine n'ayant pas qualité à agir tant qu'elle n'a pas exercé sa faculté de substitution.
28. La SCI Siam Patrimoine et M. [Z] rappellent qu'il est évident que la SCI n'avait pas qualité à agir tant que la substitution n'était pas juridiquement constatée, celle-ci n'ayant qu'un droit en germe au stade du compromis de vente à défaut d'avoir exercé la substitution.
29. Mme [V] n'a pas conclu sur ce point.
Réponse de la cour
30. Conformément à l'article 31 du code de procédure civile, "L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé."
31. En l'espèce, le compromis de vente du 22 juin 2018 signé entre M. [Z] en qualité d'acquéreur et [O] [M] en qualité de venderesse prévoyait en page 19 une faculté de substitution ainsi libellée : "la réalisation par acte authentique pourra avoir lieu soit au profit de l'ACQUEREUR aux présentes soit au profit de toute autre personne physique ou morale que ce dernier se réserve de désigner."
32. Cette clause stipule que la substitution n'a vocation à être opérante que le jour de la réitération de la vente.
33. Or, au jour de l'assignation en vente parfaite délivrée par M. [Z], la réitération de la vente n'était pas intervenue de sorte que la substitution par la SCI Dsf Patrimoine n'était elle-même pas encore opérante.
34. C'est donc par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu qu'à la date de l'assignation en vente parfaite, M. [Z], qui était signataire du compromis de vente à l'exclusion de la SCI prévue de se substituer à lui, avait qualité à agir à l'encontre de [O] [M] et Mme [V] en perfection de la vente.
35. Le jugement qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité à agir de M. [Z] sera confirmé sur ce point.
2) Sur le caractère parfait de la vente [M]-[Z]
36. M. [Z] considère que l'exercice effectif du droit de préemption par Mme [V] est subordonné à l'obtention du financement ainsi qu'à la signature de l'acte de vente dans un délai de quatre mois à compter de l'acceptation et qu'à défaut, cette acceptation est sans effet d'où il suit qu'elle n'a pu entraîner la caducité de son compromis de vente signé le 22 juin 2018, qu'en outre, aucune faculté de dédit n'ayant été prévue au profit de [O] [M], ses ayants-droit sont liés par le compromis et ne peuvent se prévaloir d'un quelconque droit de retrait, ni renoncer à réitérer la vente, que dans la mesure où aucune des parties ne s'est prévalue de la caducité du compromis de vente, le délai de réalisation des conditions suspensives est toujours en cours, qu'enfin, Mme [V] n'étant pas partie au compromis liant M. [Z] et [O] [M], elle ne peut valablement contester la validité de ce compromis, a fortiori dans la mesure où elle n'est pas en position de bénéficier de la vente.
37. Mme [V] réplique que le simple exercice par elle de son droit de préemption a emporté la caducité du compromis de vente quand bien même la vente à son profit n'a pas abouti, que telle est la position du Cridon interrogé par le notaire de [O] [M] en 2018, qu'en tout état de cause, le compromis contient une clause rappelant que la caducité est acquise "si un bénéficiaire de ces droits de préemption déclarait exercer son droit aux prix et conditions fixées aux présentes[...]" et que cette clause est applicable au droit de préemption du preneur à bail commercial contrairement ce que soutient l'appelant.
38. Les consorts [A] s'en rapportent à justice sur l'identité de l'acquéreur que la cour voudra bien leur désigner tout en soulignant - ce qui ne peut manquer d'interroger quant au but poursuivi - "qu'il s'est écoulé plus de quatre ans [en réalité sept ans à la date de l'appel] depuis la signature de ce compromis pendant lesquels le marché immobilier malouin s'est envolé dans des proportions considérables, de sorte que le prix de 200 000 € net vendeur, convenu en juin 2018, ne représente plus la valeur vénale réelle du bien."
Ils rappellent que maître [R] a été désigné au titre du compromis du 22 juin 2018 pour réitérer la vente [M]-[Z] dans le cas où celle-ci venait à être validée outre que la signature du nouveau bail commercial est en cours.
Réponse de la cour
2.1) sur la qualité à agir de Mme [V]
39. C'est par de justes motifs que le tribunal a retenu que le régime du droit de préférence prévu par l'article L.145-46-1 du code de commerce est une disposition d'ordre public, que la signature du compromis ouvrait à Mme [V], locataire en place, le bénéfice de ce droit de préférence et qu'elle avait à ce titre qualité pour invoquer la sanction affectant le compromis de vente conclu sous la condition suspensive de la purge du droit de préemption dès lors qu'elle prétendait en faire usage.
40. Le jugement sera confirmé sur ce point.
2.2) Sur le sort du compromis de vente [M]-[Z]
41. L'article L. 145-46-1 du code de commerce dans sa version en vigueur du 18 décembre 2014 au 23 février 2022, dispose que "Lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois.
Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet.
[']."
42. Ces dispositions instaurent un droit légal de préférence pour le locataire d'un bail commercial en cas de vente du local qu'il occupe en vertu de ce bail. Selon une réponse ministérielle n° 92592 du secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, Journal Officiel du 12 avril 2016, ce texte a eu pour objectif de "permettre au locataire de poursuivre son activité dans de meilleures conditions, notamment économiques, puisqu'il n'aurait plus à s'acquitter du montant de son loyer."
43. Le droit de préférence du preneur à bail s'applique aux ventes intervenant à compter du 18 décembre 2014 même si le bail est en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi.
44. Il est constant que ce droit de préférence est d'ordre public (Civ 3e, 28 juin 2018, n° 17-14605).
45. De même, il est désormais acquis qu'une promesse de vente peut valablement être conclue sous condition suspensive de non-exercice dudit droit de préférence (Cass. 3e civ., 23 sept. 2021, n° 20-17799).
Cette pratique courante de l'avant-contrat conclu avec un tiers sous réserve de ce que le preneur n'achète pas, en érigeant une obligation d'ordre public de ne rien faire avant la purge du droit du preneur,
ne méconnaît pas le droit de préférence du preneur en raison du caractère rétroactif de la condition suspensive de non préemption qui anéantira la promesse en cas d'exercice de ce droit par le locataire. Le caractère préalable de la notification de l'offre de vente s'entend donc comme interdisant la conclusion d'une vente avec un tiers mais non d'une promesse avant la purge du droit de préemption.
46. Enfin, l'exercice du droit de préemption par un locataire a pour conséquence de rendre caduque une promesse initialement donnée entre un vendeur-bailleur et un acquéreur et de rompre définitivement tous les rapports de droits ayant uni le promettant et le bénéficiaire de la promesse, lesquels rapports de droit ne sauraient revivre dans ses dispositions antérieures même si par la suite le locataire devait renoncer à son droit de préemption (Cass. civ. 3e, 10 octobre 2012, n° 11-15.473).
47. En l'espèce, le compromis stipule en pages 15 et 16 au chapitre des "CONDITIONS SUSPENSIVES-REALISATION" que :
"Les VENDEUR et ACQUEREUR s'obligent formellement chacun en ce qui les concerne à la réalisation de la présente VENTE SOUS CONDITIONS SUSPENSIVES ci-après, sans lesquelles ils n'auraient pas contracté, lesquelles conditions suspensives devront être réalisées dans un délai maximal de DEUX MOIS à compter de l'expiration du délai de rétractation bénéficiant à l'acquéreur.
Etant convenu que, si toutes les conditions suspensives stipulées ne sont pas réalisées dans ledit délai (à l'exception de celles du paiement du prix et des frais), les présentes seront considérées comme nulles et non avenues, sans aucune indemnité de part ni d'autre, par la simple notification par le VENDEUR ou l'ACQUEREUR à l'autre partie, de son intention à cet égard, par lettre recommandée avec A.R.
A défaut de notification à l'expiration de ce délai, celui-ci se prorogera tacitement de huit jours francs en huit jours francs.
SAVOIR :
(')
4°) que pour le cas où la présente vente mette en 'uvre l'exercice d'un droit de préemption quelconque au profit de toutes personnes physiques ou morales ou de toutes administrations, ce droit de préemption ne soit exercé dans le délai légal par la partie intéressée.
Si un bénéficiaire de ces droits de préemption déclarait exercer son droit aux prix et conditions fixées aux présentes, VENDEUR et ACQUEREUR déclarent dès à présent accepter cet exercice, sans indemnité de part ni d'autre" (souligné par la cour).
48. Il s'infère de cette dernière clause contractuelle, insérée en application de l'article L. 145-46-1 du code du commerce, que l'absence d'exercice de la faculté de préempter par le locataire en place est érigé en condition suspensive de la réalisation de la vente avec un tiers et ce, quelle que soit l'issue de cette faculté lorsqu'elle a été exercée.
49. Au cas particulier, en réponse au courrier du 25 juin 2018 de sa bailleresse portant information de son intention de vendre le bien immobilier, Mme [V], locataire en place en vertu d'un bail en cours, a, par courrier du 20 juillet 2018, fait connaître d'une part qu'elle exerçait son droit de préemption et, d'autre part, qu'elle informait le notaire de ce qu'elle sollicitait un crédit auprès de sa banque pour financer cet achat.
50. Ainsi Mme [V] a exercé son droit de préemption tandis que la promesse de vente a précisément prévu que dans ce cas, vendeur et acquéreur déclaraient accepter cet exercice sans indemnité de part ni d'autre.
51. Contrairement à ce que soutiennent les appelants à la faveur d'une confusion entre les notions "d'exercice" de la préemption et "d'acceptation" de l'offre, l'exercice du droit de préemption n'est pas subordonné à l'obtention du financement sollicité ni à la signature de l'acte de vente dans le délai imparti.
52. C'est en effet, ainsi que l'édicte clairement l'article L. 145-46-1 du code de commerce, seulement l'acceptation de l'offre de vente par le locataire qui est subordonnée à l'obtention du financement et à la signature de la vente.
53. Et lier l'exercice du droit de préemption au financement et à la vente serait ajouter deux exigences à la loi que celle-ci ne prévoit pas.
54. Du reste, la réalisation de la vente ne saurait être érigée en condition suspensive de la vente elle-même sauf à priver ladite condition suspensive de toute portée.
55. Ainsi l'exercice du droit de préemption porte-t-il pleinement effet au jour où il est matérialisé et notifié par le locataire en place puisqu'il engage le processus de purge à l'égard du locataire, et ce indépendamment de l'obtention du financement par ce dernier et de la réitération de la vente qui intéresseront dans un deuxième temps l'acceptation de l'offre par celui-ci.
56. Autrement dit, la non obtention du financement et/ou la non réalisation de la vente sont de nature à impacter l'acceptation de l'offre seulement mais demeurent sans effet sur la validité de l'exercice de la préemption.
57. Au cas particulier, Mme [V] a valablement exercé son droit de préemption dans le délai imparti et aux prix et conditions fixées au compromis de vente [M]-[Z] et cet exercice a entraîné par application combinée de l'article L. 145-46-1 du code de commerce et de la clause particulière dudit compromis l'acceptation de cette préemption par la venderesse [O] [M] et son acquéreur M. [Z].
58. Cet exercice a encore entraîné par application des mêmes dispositions la renonciation automatique des vendeur et acquéreur à l'indemnité d'immobilisation, ce qui s'analyse, quoi qu'en disent les appelants, en la mise en 'uvre d'un mécanisme de caducité de la promesse synallagmatique de vente par défaillance d'une condition suspensive.
59. Il doit enfin être précisé que la sanction de la caducité est prévue au compromis de vente comme étant "acceptée" par les parties et ce "dès à présent" et "sans indemnité de part ni d'autre", ce qui a pour effet de les dispenser de la formalité de la lettre recommandée avec accusé de réception prévue pour les conditions suspensives qui sont propres aux parties au compromis, ladite formalité demeurant inopérante à l'égard de la condition suspensive de non exercice du droit de préemption impliquant la locataire en place. De ce fait, le compromis ne s'est pas prorogé de huit jours en huit jours comme le soutiennent à tort les appelants.
60. Dès lors que Mme [V] a exercé son droit de préemption ' indépendamment de l'acceptation de l'offre par elle ', elle a engagé le processus de purge et la condition suspensive de non exercice de ce droit de préférence a défailli, entraînant la caducité du compromis de vente.
61. Dans son avis du 27 novembre 2018, le Cridon n'a pas dit autre chose en rappelant que "Le compromis de vente est caduc : c'est l'exercice du droit de préemption Pinel qui compte".
62. Si, en définitive, il peut être retenu que le compromis de vente signé entre [O] [M] et M. [Z] a pu être mené sans violation de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, cette démarche de la bailleresse-venderesse ne saurait toutefois avoir pour effet, en présence d'une offre non acceptée par le locataire en place, de conférer au tiers bénéficiaire dudit compromis un droit définitif sur le bien objet de la préemption, sauf à cautionner une technique de blocage du foncier par anticipation, ce d'autant que la non-acceptation de l'offre par le locataire est susceptible de contestation en considération des circonstances de l'espèce.
63. Au cas particulier, Mme [V] a été induite en erreur par un courrier du notaire du 2 août 2018 lui demandant si elle souhaitait "substituer une société de type SCI pour l'acquisition des murs". Se fondant sur ce courrier, elle a réalisé les démarches bancaires et obtenu le financement nécessaire sur la base d'un prêt établi au nom de la SCI Ker [K].
64. Ce n'est que par un courriel du 13 novembre 2018, soit moins de huit jours avant l'expiration du délai le 20 novembre 2018, que le notaire a informé Mme [V] qu'elle devait finalement réaliser l'acquisition en son nom propre, impliquant alors, ainsi que la BPGO l'indique dans un mail du lendemain 14 novembre 2018, de "tout recommencer" pour "mettre le crédit à titre personnel" et de "repousser" le délai "a minima d'un mois, délai technique pour le remontage du dossier".
65. Ainsi, les conditions de l'acceptation de l'offre par le locataire en place ' ou de son échec ' participent-elles du droit de préemption dudit locataire et le simple constat factuel de l'absence de réitération de la vente à son profit à la date butoir impartie peut n'être pas suffisante à purger définitivement ce droit de préférence. En tout état de cause, l'échec de l'acceptation de l'offre n'invalide pas l'exercice de la préemption, lequel a pleinement produit ses effets et a, par lui-même, rendu caduc le compromis de vente.
66. C'est le sens de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 3 mars 2020 qui, saisie de la question de l'acceptation de l'offre et non de celle de l'exercice de la préemption et de ses effets sur le compromis de vente comme dans le cas présent, retient que la perte du bénéfice du droit de préférence peut n'être pas opposée au preneur lorsque c'est par l'effet d'une faute ou d'une inertie du vendeur ou du notaire ou que c'est en raison de difficultés propres à la rédaction de l'acte de vente que la signature de l'acte authentique n'a pas pu intervenir dans le délai de quatre mois, qu'au cas particulier, les preneurs n'avaient pas accompli les diligences bancaires dans les délais impartis et que l'acceptation de leur offre était sans effet. Les appelants n'indiquent pas si cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi et, dans l'affirmative, ne font pas connaître la décision rendue par la Cour de cassation.
67. Sous le bénéfice de ces observations, c'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a jugé premièrement que l'exercice par Mme [V] de son droit de préemption dans les conditions et délais exigés a emporté d'une part la défaillance de la condition suspensive de non-exercice dudit droit de préemption et, d'autre part, la caducité de la promesse de vente conclue entre [O] [M] et M. [Z] et, deuxièmement, que l'absence de réalisation de la vente entre Mme [E] et Mme [V] a rendu l'acceptation de l'offre par le locataire sans effet sans pour autant relever de sa caducité le compromis, laquelle sanction s'est trouvée acquise dès le 20 juillet 2018, date d'exercice par la locataire en place de son droit de préemption.
68. Le jugement qui a rejeté la demande de M. [Z] et de Siam Patrimoine tendant à voir déclarée parfaite la vente leur profit sera confirmé sur ce point.
69. Il n'y a pas lieu à préciser que "tout projet de vente de l'immeuble litigieux entre [O] [M] et M. [Z] est subordonné à l'établissement d'un nouveau compromis de vente" comme l'a retenu à tort le jugement et sans que cela soit demandé, chef de jugement dont les appelants demandent d'ailleurs l'infirmation, dans la mesure où en effet, il relève de la seule liberté contractuelle des consorts [A], vendeurs venus aux droits de [O] [M], de signer un compromis de vente avec qui bon leur semble et, qui plus est, au prix du marché en 2025 (et non plus en 2018), la seule obligation pesant sur eux en présence d'un locataire en place, bénéficiant d'un bail renouvelé depuis lors, étant de purger le droit de préemption de ce dernier.
70. Enfin, la demande formée par M. [Z] tendant à mettre à la charge des intimés le coût des formalités de réitération authentique de la vente [M]-[Z] devient sans objet du fait de la caducité du compromis de vente, étant précisé que cette demande n'aurait en tout état de cause pas pu prospérer dans la mesure où ces frais d'acte ne sont pas liés à l'instance judiciaire en cours et qu'ils sont communément mis à la charge de l'acquéreur comme ne l'ignore pas M. [Z].
3) Sur les dépens et les frais irrépétibles
71 Succombant, M. [Z] supportera les dépens d'appel.
72. Le jugement sera confirmé s'agissant des dépens de première instance.
73. Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de condamner M. [Z] à payer au titre des frais irrépétibles exposés en appel les sommes de :
- 2.500 € aux consorts [A],
- 4.000 € à Mme [V].
74. Le jugement sera confirmé s'agissant des frais irrépétibles de première instance.
75. Les demandes de M. [Z] et de la société Siam Patrimoine de ce chef seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Malo le 13 juin 2022 sauf en ce qu'il a dit que tout projet de vente de l'immeuble litigieux entre "[O] [M]" et M. [L] [Z] est subordonné à l'établissement d'un nouveau compromis de vente,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à subordonner la vente du bien immobilier litigieux à l'établissement d'un nouveau compromis de vente entre les consorts [A], ayants-droit de [O] [M], et M. [L] [Z],
Condamne M. [L] [Z] aux dépens d'appel à l'exclusion du coût de l'acte et des formalités à accomplir en vue de la réalisation du nouveau compromis de vente,
Condamne M. [L] [Z] à payer à Mme [N] [A] et M. [D] [A] à la somme de 2.500 € au titre des frais irrépétibles supportés par eux et non compris dans les dépens,
Condamne M. [L] [Z] à payer à Mme [K] [V] la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles supportés par elle et non compris dans les dépens,
Rejette le surplus des demandes.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
ARRÊT N°
N° RG 22/04530
N° Portalis DBVL-V-B7G-S6RR
(Réf 1e instance : 19/00271)
M. [L] [Z]
SCI SIAM PATRIMOINE anciennement dénommée SCI DSF PATRIMOINE
c/
[O] [M] - décédée le 05.10.2024 -
Mme [K] [V]
Mme [N] [A]
M. [D] [A]
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me [U]
Me Tardivel
Me Nadreau
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Président : Madame Véronique VEILLARD, présidente de chambre
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, président de chambre
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, conseillère
GREFFIER
Madame Elise BEZIER lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS
A l'audience publique du 11 février 2025
ARRÊT
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 novembre 2025 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré
****
APPELANTS
Monsieur [L] [P] [J] [Z]
né le 29 avril 1970 à [Localité 11]
[Adresse 9]
[Localité 5]
SCI SIAM PATRIMOINE anciennement dénommée SCI DSF PATRIMOINE, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de RENNES sous le numéro 842.241.101, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 10]
[Localité 8]
Tous deux représentés par Me Mathieu DEBROISE de la SELARL CABINET MATHIEU DEBROISE, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS
[O] [M]
Madame [N] [G] [A], es qualité d'héritière de Mme [O] [M], décédée
- INTERVENANTE VOLONTAIRE-
née le 13 septembre 1969 à [Localité 14]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Monsieur [D] [C] [Y] [A], ès qualités d'héritier de Mme [O] [M], décédée
- INTERVENANT VOLONTAIRE-
né le 31 janvier 1973 à [Localité 14]
[Adresse 1]
[Localité 7]
Tous deux représentés par Me Cyril TARDIVEL, avocat au barreau de SAINT-MALO
Madame [K] [V]
née le 9 octobre 1960 à [Localité 12]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Xavier-Pierre NADREAU de la SELARL SELARL KERJEAN-LE GOFF-NADREAU-NEYROUD,avocat au barreau de SAINT-MALO
FAITS ET PROCÉDURE
1. Par acte notarié reçu les 10 juillet et 15 septembre 2014 par maître [H], notaire à [Localité 15], [O] [M] a loué à Mme [K] [W] pour neuf années à compter du 1er avril 2014 des locaux à usage de café-hôtel (11 chambres) situés [Adresse 4] à [Localité 15] (35) moyennant un loyer annuel de 13.200 € payable trimestriellement.
2. Suivant compromis de vente sous seing privé du 22 juin 2018, [O] [M] s'est engagée à ventre ce bien immobilier à M. [L] [Z] au prix de 200.000 € sous réserve de la purge du droit de préemption de la locataire en place.
3. La réitération de cette vente était prévue pour le 30 octobre 2018 au plus tard sans pouvoir excéder la date du 15 novembre 2018 dans le cas où le notaire ne recevait pas toutes les pièces administratives utiles.
4. Par courrier du 25 juin 2018, maître [R], notaire de [O] [M], a informé la locataire Mme [V] de l'intention de la bailleresse de vendre le bien immobilier.
5. Par courrier du 20 juillet 2018, Mme [V] a fait connaître son souhait d'exercer son droit de préemption et informé maître [R] de ce qu'elle sollicitait un crédit auprès de sa banque afin de financer cet achat.
6. Le 2 août, maître [R] lui rappelait le délai de quatre mois pour réaliser la vente - soit jusqu'au 20 novembre 2018 - et lui demandait si elle souhaitait "substituer une Société de type SCI pour l'acquisition des murs", demande à laquelle Mme [V] donnait suite en constituant la "SCI Hôtel [V]" qui obtenait son financement le 19 octobre 2018.
7. Par courriel du 13 novembre 2018, maître [R] informait Mme [V] et sa banque de l'obligation d'acquérir le bien en nom propre.
8. La banque alertait maître [R] du fait qu'il était impossible d'envisager une signature de la vente avant le 10 décembre 2018 en raison de l'obligation de constituer un nouveau dossier de prêt.
9. En l'absence de réitération de la vente au profit de la locataire en place à l'issue du délai imparti de quatre mois, soit à la date du 20 novembre 2018, M. [Z] faisait, par l'intermédiaire de son notaire maître [B], savoir au notaire de Mme [V] le 29 novembre 2018 qu'il estimait l'offre de la locataire sans effet juridique sur le compromis de vente auquel la venderesse demeurait tenue.
10. Par courrier du 17 décembre 2018 de son conseil maître [T] [U], M. [Z] manifestait son intention de réitérer la vente au profit de la SCI "Dsf Patrimoine" constituée en vue de le substituer.
11. Par courrier officiel du 15 janvier 2019, le conseil de Mme [W] faisait valoir auprès de la venderesse que l'exercice de son droit de préemption avait entrainé la caducité du compromis de vente.
12. C'est dans ces circonstances que par acte d'huissier du 22 janvier 2019, M. [Z] et la SCI Dsf Patrimoine ont fait assigner Mme [V] et [O] [M] devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo aux fins de vente parfaite à leur profit.
13. Par jugement du 13 juin 2022, le tribunal judiciaire de Saint-Malo a :
- déclaré M. [Z] et la SCI Dsf Patrimoine recevables en leur action dirigée contre Mmes [M] et [V],
- constaté la caducité du compromis de vente signé le 22 juin 2018 entre [O] [M] et M. [Z],
- en conséquence,
- dit que tout projet de vente de l'immeuble litigieux entre [O] [M] et M. [Z] était subordonné à l'établissement d'un nouveau compromis de vente et que le droit de préemption de Mme [V] devait être purgé dans les conditions de l'article L.145-46-1 du code de commerce,
- débouté M. [Z] et la SCI Dsf Patrimoine de leurs prétentions,
- condamné ces derniers in solidum à payer à Mme [V] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les mêmes in solidum à payer à [O] [M] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [Z] et la SCI Dsf Patrimoine aux dépens recouvrés conformément à l'article 699, avec distraction au profit de la selarl Kerjean-Le Goff-Nadreau,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
14. Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que M. [Z], signataire du compromis de vente, avait qualité à agir en exécution forcée dudit compromis entre [O] [M] et la SCI ayant vocation à se substituer à lui, laquelle faculté n'avait toutefois pas encore été juridiquement constatée.
15. Sur le fond, le tribunal a jugé que l'exercice du droit de préemption par Mme [V] avait eu pour conséquence de rendre caduc le compromis signé par M. [Z] et de rompre définitivement tous les rapports de droit ayant uni [O] [M] et ce dernier quand bien même la vente avec Mme [V] n'était pas concrétisée, le tout impliquant d'établir un nouveau compromis donnant lieu à la purge du droit de préemption au profit de la locataire en place.
16. Par déclaration du 15 juillet 2022, M. [Z] et la SCI Dsf Patrimoine ont interjeté appel du jugement sauf en ce qu'il les a déclarés recevables en leur action.
17. Par conclusions du 21 novembre 2022, [O] [M] a interjeté appel incident des chefs de jugement ayant :
- déclaré la SCI Siam Patrimoine et M. [Z] recevables en leur action dirigée contre [O] [M],
- condamné la SCI Siam Patrimoine anciennement SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] à payer à [O] [M] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
18. Par ordonnance du 17 novembre 2022, [O] [M] a été placée sous le régime de la sauvegarde de justice, l'APM 22 ayant été désignée en qualité de mandataire spécial pour la durée de l'instance. Par ordonnance du 7 juillet 2023, elle a été placée sous le régime de la tutelle, l'APM 22 ayant été désignée en qualité de tuteur aux biens et Mme [N] [A], fille de l'intéressée, en qualité de tuteur à la personne.
19. [O] [M] est décédée le 5 octobre 2024.
20. Par conclusions remises au greffe le 3 janvier 2025, Mme [N] [A] et M. [D] [A] (les consorts [A]) sont intervenus volontairement à la procédure en qualité d'ayants-droit de leur mère [O] [M].
21. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 janvier 2025.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
22. M. [Z] et la SCI Siam Patrimoine (anciennement SCI Dsf Patrimoine) exposent leurs prétentions et moyens (lesquels seront repris dans la motivation) dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 6 janvier 2025 aux termes desquelles ils demandent à la cour de :
- les dire et juger recevables et bien fondés en leur appel,
- infirmer le jugement en ce qu'il :
* a constaté la caducité du compromis de vente conclu le 22 juin 2018 entre [O] [M] et M. [Z],
* a dit que tout projet de vente de l'immeuble litigieux entre ces derniers était subordonné à l'établissement d'un nouveau compromis de vente et que le droit de préemption de Mme [V] devra être purgé dans les conditions de l'article L.145-46-1 du code de commerce,
* les a déboutés de leurs demandes aux fins de voir :
- constater le caractère parfait de la vente au profit de M. [Z],
- ordonner à Mme [M] de réitérer la vente par devant maître [F] [B] avec la participation de maître [L] [R] sous astreinte de 150 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours courant à compter de la signification de la décision à intervenir,
- dire que cette astreinte jouera pour une durée de 3 mois et que passé ce délai, il y sera à nouveau fait droit par devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire compétent,
- débouter [O] [M] et Mme [V] de l'ensemble de
leurs demandes plus amples ou contraires,
* les a condamnés in solidum à verser à Mme [V] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* les a condamnés in solidum à verser à Mme [M] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* les a condamnées aux entiers dépens,
- statuant à nouveau,
- dire et juger que le compromis de vente signé le 22 juin 2018 entre M. [Z], avec faculté de substitution au profit de toute personne physique ou morale, et [O] [M], représentée par les consorts [A], ses héritiers, portant sur l'ensemble immobilier litigieux, lie définitivement les parties sur le principe de la vente au prix de 200.000 € net vendeur,
- constater le caractère parfait de la vente au profit de M. [Z] à la date du 22 juin 2018, date de signature du compromis de vente, au prix de 200.000 € net vendeur, portant sur l'ensemble immobilier litigieux,
- dire et juger que M. [Z] dispose d'un droit de se substituer la SCI Siam Patrimoine, nouvelle dénomination de la SCI Dsf Patrimoine, pour la réitération de l'acte définitif de vente qui sera reçu par devant les notaires désignés,
- ordonner aux consorts [A], héritiers de [O] [M], de réitérer la vente par devant maître [F] [B], notaire à [Localité 15], avec la participation de maître [L] [R], sous astreinte de 150 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours courant à compter de la signification de la décision à intervenir,
- dire que cette astreinte courra pendant 3 mois et que passé ce délai, il y sera à nouveau fait droit par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire,
- débouter les consorts [A] et Mme [V] de leurs demandes,
- condamner in solidum ces derniers, ou à défaut l'une ou l'autre de ces parties, à leur verser la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront le coût de l'acte et des formalités à accomplir et qui seront recouvrés par la selarl Mathieu Debroise, avocat à [Localité 13], conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
23. Mme [V] expose ses prétentions et moyens (lesquels seront repris dans la motivation) dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 6 janvier 2025 aux termes desquelles elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- en conséquence,
- débouter la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] de toutes leurs demandes,
- constater la caducité du compromis de vente conclu le 22 juin 2018,
- juger qu'un nouveau compromis doit être formé et que son droit de préemption devra être purgé dans les conditions de l'article L.145-46-1 du code de commerce,
- condamner la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] solidairement, ou l'un à défaut de l'autre, à lui payer la somme de 3.300 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- à titre plus subsidiaire,
- juger que la perte de son droit de préférence lui est inopposable en ce que l'absence de réalisation de la vente dans les délais ne lui est pas imputable,
- juger que la réalisation de la vente entre [O] [M] et elle devra intervenir dans tel délai et conditions qu'il plaira à la cour,
- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
- débouter la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] de toutes leurs demandes,
- en tout état de cause,
- condamner ces derniers et plus largement tout succombant à lui payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel.
24. Les consorts [A], venus aux droits de leur mère [O] [M], exposent leurs prétentions et moyens (lesquels seront repris dans la motivation) dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 3 janvier 2025 aux termes desquelles ils demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* débouté la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] de leurs prétentions à l'encontre de [O] [M],
* condamné ces derniers aux entiers dépens,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
- déclaré la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] recevables en leur action dirigée contre [O] [M],
- condamné la SCI Dsf Patrimoine et M. [Z] à payer à [O] [M] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- et, statuant à nouveau,
- déclarer M. [Z] irrecevable à agir en son nom personnel dans la présente instance,
- condamner la SCI Dsf Patrimoine, M. [Z] et Mme [V] à supporter les dépens de l'instance, et à leur payer solidairement ou l'un à défaut de l'autre les sommes suivantes :
* indemnité de procédure de première instance : 2.500 €,
* indemnité de procédure d'appel : 2.500 €.
25. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIVATION DE LA COUR
26. À titre liminaire, il convient de rappeler que l'office de la cour d'appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de "constater", "dire" ou "dire et juger" qui, hors les cas prévus par la loi, ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile lorsqu'elles sont seulement la reprise des moyens censés les fonder.
1. Sur la qualité à agir de M. [Z] et de la SCI Siam Patrimoine
27. Les consorts [A] font valoir que M. [Z] est le seul signataire du compromis de vente dont il est sollicité l'exécution forcée, et partant, le seul à pouvoir agir, la SCI Siam Patrimoine n'ayant pas qualité à agir tant qu'elle n'a pas exercé sa faculté de substitution.
28. La SCI Siam Patrimoine et M. [Z] rappellent qu'il est évident que la SCI n'avait pas qualité à agir tant que la substitution n'était pas juridiquement constatée, celle-ci n'ayant qu'un droit en germe au stade du compromis de vente à défaut d'avoir exercé la substitution.
29. Mme [V] n'a pas conclu sur ce point.
Réponse de la cour
30. Conformément à l'article 31 du code de procédure civile, "L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé."
31. En l'espèce, le compromis de vente du 22 juin 2018 signé entre M. [Z] en qualité d'acquéreur et [O] [M] en qualité de venderesse prévoyait en page 19 une faculté de substitution ainsi libellée : "la réalisation par acte authentique pourra avoir lieu soit au profit de l'ACQUEREUR aux présentes soit au profit de toute autre personne physique ou morale que ce dernier se réserve de désigner."
32. Cette clause stipule que la substitution n'a vocation à être opérante que le jour de la réitération de la vente.
33. Or, au jour de l'assignation en vente parfaite délivrée par M. [Z], la réitération de la vente n'était pas intervenue de sorte que la substitution par la SCI Dsf Patrimoine n'était elle-même pas encore opérante.
34. C'est donc par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu qu'à la date de l'assignation en vente parfaite, M. [Z], qui était signataire du compromis de vente à l'exclusion de la SCI prévue de se substituer à lui, avait qualité à agir à l'encontre de [O] [M] et Mme [V] en perfection de la vente.
35. Le jugement qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité à agir de M. [Z] sera confirmé sur ce point.
2) Sur le caractère parfait de la vente [M]-[Z]
36. M. [Z] considère que l'exercice effectif du droit de préemption par Mme [V] est subordonné à l'obtention du financement ainsi qu'à la signature de l'acte de vente dans un délai de quatre mois à compter de l'acceptation et qu'à défaut, cette acceptation est sans effet d'où il suit qu'elle n'a pu entraîner la caducité de son compromis de vente signé le 22 juin 2018, qu'en outre, aucune faculté de dédit n'ayant été prévue au profit de [O] [M], ses ayants-droit sont liés par le compromis et ne peuvent se prévaloir d'un quelconque droit de retrait, ni renoncer à réitérer la vente, que dans la mesure où aucune des parties ne s'est prévalue de la caducité du compromis de vente, le délai de réalisation des conditions suspensives est toujours en cours, qu'enfin, Mme [V] n'étant pas partie au compromis liant M. [Z] et [O] [M], elle ne peut valablement contester la validité de ce compromis, a fortiori dans la mesure où elle n'est pas en position de bénéficier de la vente.
37. Mme [V] réplique que le simple exercice par elle de son droit de préemption a emporté la caducité du compromis de vente quand bien même la vente à son profit n'a pas abouti, que telle est la position du Cridon interrogé par le notaire de [O] [M] en 2018, qu'en tout état de cause, le compromis contient une clause rappelant que la caducité est acquise "si un bénéficiaire de ces droits de préemption déclarait exercer son droit aux prix et conditions fixées aux présentes[...]" et que cette clause est applicable au droit de préemption du preneur à bail commercial contrairement ce que soutient l'appelant.
38. Les consorts [A] s'en rapportent à justice sur l'identité de l'acquéreur que la cour voudra bien leur désigner tout en soulignant - ce qui ne peut manquer d'interroger quant au but poursuivi - "qu'il s'est écoulé plus de quatre ans [en réalité sept ans à la date de l'appel] depuis la signature de ce compromis pendant lesquels le marché immobilier malouin s'est envolé dans des proportions considérables, de sorte que le prix de 200 000 € net vendeur, convenu en juin 2018, ne représente plus la valeur vénale réelle du bien."
Ils rappellent que maître [R] a été désigné au titre du compromis du 22 juin 2018 pour réitérer la vente [M]-[Z] dans le cas où celle-ci venait à être validée outre que la signature du nouveau bail commercial est en cours.
Réponse de la cour
2.1) sur la qualité à agir de Mme [V]
39. C'est par de justes motifs que le tribunal a retenu que le régime du droit de préférence prévu par l'article L.145-46-1 du code de commerce est une disposition d'ordre public, que la signature du compromis ouvrait à Mme [V], locataire en place, le bénéfice de ce droit de préférence et qu'elle avait à ce titre qualité pour invoquer la sanction affectant le compromis de vente conclu sous la condition suspensive de la purge du droit de préemption dès lors qu'elle prétendait en faire usage.
40. Le jugement sera confirmé sur ce point.
2.2) Sur le sort du compromis de vente [M]-[Z]
41. L'article L. 145-46-1 du code de commerce dans sa version en vigueur du 18 décembre 2014 au 23 février 2022, dispose que "Lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois.
Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet.
[']."
42. Ces dispositions instaurent un droit légal de préférence pour le locataire d'un bail commercial en cas de vente du local qu'il occupe en vertu de ce bail. Selon une réponse ministérielle n° 92592 du secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, Journal Officiel du 12 avril 2016, ce texte a eu pour objectif de "permettre au locataire de poursuivre son activité dans de meilleures conditions, notamment économiques, puisqu'il n'aurait plus à s'acquitter du montant de son loyer."
43. Le droit de préférence du preneur à bail s'applique aux ventes intervenant à compter du 18 décembre 2014 même si le bail est en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi.
44. Il est constant que ce droit de préférence est d'ordre public (Civ 3e, 28 juin 2018, n° 17-14605).
45. De même, il est désormais acquis qu'une promesse de vente peut valablement être conclue sous condition suspensive de non-exercice dudit droit de préférence (Cass. 3e civ., 23 sept. 2021, n° 20-17799).
Cette pratique courante de l'avant-contrat conclu avec un tiers sous réserve de ce que le preneur n'achète pas, en érigeant une obligation d'ordre public de ne rien faire avant la purge du droit du preneur,
ne méconnaît pas le droit de préférence du preneur en raison du caractère rétroactif de la condition suspensive de non préemption qui anéantira la promesse en cas d'exercice de ce droit par le locataire. Le caractère préalable de la notification de l'offre de vente s'entend donc comme interdisant la conclusion d'une vente avec un tiers mais non d'une promesse avant la purge du droit de préemption.
46. Enfin, l'exercice du droit de préemption par un locataire a pour conséquence de rendre caduque une promesse initialement donnée entre un vendeur-bailleur et un acquéreur et de rompre définitivement tous les rapports de droits ayant uni le promettant et le bénéficiaire de la promesse, lesquels rapports de droit ne sauraient revivre dans ses dispositions antérieures même si par la suite le locataire devait renoncer à son droit de préemption (Cass. civ. 3e, 10 octobre 2012, n° 11-15.473).
47. En l'espèce, le compromis stipule en pages 15 et 16 au chapitre des "CONDITIONS SUSPENSIVES-REALISATION" que :
"Les VENDEUR et ACQUEREUR s'obligent formellement chacun en ce qui les concerne à la réalisation de la présente VENTE SOUS CONDITIONS SUSPENSIVES ci-après, sans lesquelles ils n'auraient pas contracté, lesquelles conditions suspensives devront être réalisées dans un délai maximal de DEUX MOIS à compter de l'expiration du délai de rétractation bénéficiant à l'acquéreur.
Etant convenu que, si toutes les conditions suspensives stipulées ne sont pas réalisées dans ledit délai (à l'exception de celles du paiement du prix et des frais), les présentes seront considérées comme nulles et non avenues, sans aucune indemnité de part ni d'autre, par la simple notification par le VENDEUR ou l'ACQUEREUR à l'autre partie, de son intention à cet égard, par lettre recommandée avec A.R.
A défaut de notification à l'expiration de ce délai, celui-ci se prorogera tacitement de huit jours francs en huit jours francs.
SAVOIR :
(')
4°) que pour le cas où la présente vente mette en 'uvre l'exercice d'un droit de préemption quelconque au profit de toutes personnes physiques ou morales ou de toutes administrations, ce droit de préemption ne soit exercé dans le délai légal par la partie intéressée.
Si un bénéficiaire de ces droits de préemption déclarait exercer son droit aux prix et conditions fixées aux présentes, VENDEUR et ACQUEREUR déclarent dès à présent accepter cet exercice, sans indemnité de part ni d'autre" (souligné par la cour).
48. Il s'infère de cette dernière clause contractuelle, insérée en application de l'article L. 145-46-1 du code du commerce, que l'absence d'exercice de la faculté de préempter par le locataire en place est érigé en condition suspensive de la réalisation de la vente avec un tiers et ce, quelle que soit l'issue de cette faculté lorsqu'elle a été exercée.
49. Au cas particulier, en réponse au courrier du 25 juin 2018 de sa bailleresse portant information de son intention de vendre le bien immobilier, Mme [V], locataire en place en vertu d'un bail en cours, a, par courrier du 20 juillet 2018, fait connaître d'une part qu'elle exerçait son droit de préemption et, d'autre part, qu'elle informait le notaire de ce qu'elle sollicitait un crédit auprès de sa banque pour financer cet achat.
50. Ainsi Mme [V] a exercé son droit de préemption tandis que la promesse de vente a précisément prévu que dans ce cas, vendeur et acquéreur déclaraient accepter cet exercice sans indemnité de part ni d'autre.
51. Contrairement à ce que soutiennent les appelants à la faveur d'une confusion entre les notions "d'exercice" de la préemption et "d'acceptation" de l'offre, l'exercice du droit de préemption n'est pas subordonné à l'obtention du financement sollicité ni à la signature de l'acte de vente dans le délai imparti.
52. C'est en effet, ainsi que l'édicte clairement l'article L. 145-46-1 du code de commerce, seulement l'acceptation de l'offre de vente par le locataire qui est subordonnée à l'obtention du financement et à la signature de la vente.
53. Et lier l'exercice du droit de préemption au financement et à la vente serait ajouter deux exigences à la loi que celle-ci ne prévoit pas.
54. Du reste, la réalisation de la vente ne saurait être érigée en condition suspensive de la vente elle-même sauf à priver ladite condition suspensive de toute portée.
55. Ainsi l'exercice du droit de préemption porte-t-il pleinement effet au jour où il est matérialisé et notifié par le locataire en place puisqu'il engage le processus de purge à l'égard du locataire, et ce indépendamment de l'obtention du financement par ce dernier et de la réitération de la vente qui intéresseront dans un deuxième temps l'acceptation de l'offre par celui-ci.
56. Autrement dit, la non obtention du financement et/ou la non réalisation de la vente sont de nature à impacter l'acceptation de l'offre seulement mais demeurent sans effet sur la validité de l'exercice de la préemption.
57. Au cas particulier, Mme [V] a valablement exercé son droit de préemption dans le délai imparti et aux prix et conditions fixées au compromis de vente [M]-[Z] et cet exercice a entraîné par application combinée de l'article L. 145-46-1 du code de commerce et de la clause particulière dudit compromis l'acceptation de cette préemption par la venderesse [O] [M] et son acquéreur M. [Z].
58. Cet exercice a encore entraîné par application des mêmes dispositions la renonciation automatique des vendeur et acquéreur à l'indemnité d'immobilisation, ce qui s'analyse, quoi qu'en disent les appelants, en la mise en 'uvre d'un mécanisme de caducité de la promesse synallagmatique de vente par défaillance d'une condition suspensive.
59. Il doit enfin être précisé que la sanction de la caducité est prévue au compromis de vente comme étant "acceptée" par les parties et ce "dès à présent" et "sans indemnité de part ni d'autre", ce qui a pour effet de les dispenser de la formalité de la lettre recommandée avec accusé de réception prévue pour les conditions suspensives qui sont propres aux parties au compromis, ladite formalité demeurant inopérante à l'égard de la condition suspensive de non exercice du droit de préemption impliquant la locataire en place. De ce fait, le compromis ne s'est pas prorogé de huit jours en huit jours comme le soutiennent à tort les appelants.
60. Dès lors que Mme [V] a exercé son droit de préemption ' indépendamment de l'acceptation de l'offre par elle ', elle a engagé le processus de purge et la condition suspensive de non exercice de ce droit de préférence a défailli, entraînant la caducité du compromis de vente.
61. Dans son avis du 27 novembre 2018, le Cridon n'a pas dit autre chose en rappelant que "Le compromis de vente est caduc : c'est l'exercice du droit de préemption Pinel qui compte".
62. Si, en définitive, il peut être retenu que le compromis de vente signé entre [O] [M] et M. [Z] a pu être mené sans violation de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, cette démarche de la bailleresse-venderesse ne saurait toutefois avoir pour effet, en présence d'une offre non acceptée par le locataire en place, de conférer au tiers bénéficiaire dudit compromis un droit définitif sur le bien objet de la préemption, sauf à cautionner une technique de blocage du foncier par anticipation, ce d'autant que la non-acceptation de l'offre par le locataire est susceptible de contestation en considération des circonstances de l'espèce.
63. Au cas particulier, Mme [V] a été induite en erreur par un courrier du notaire du 2 août 2018 lui demandant si elle souhaitait "substituer une société de type SCI pour l'acquisition des murs". Se fondant sur ce courrier, elle a réalisé les démarches bancaires et obtenu le financement nécessaire sur la base d'un prêt établi au nom de la SCI Ker [K].
64. Ce n'est que par un courriel du 13 novembre 2018, soit moins de huit jours avant l'expiration du délai le 20 novembre 2018, que le notaire a informé Mme [V] qu'elle devait finalement réaliser l'acquisition en son nom propre, impliquant alors, ainsi que la BPGO l'indique dans un mail du lendemain 14 novembre 2018, de "tout recommencer" pour "mettre le crédit à titre personnel" et de "repousser" le délai "a minima d'un mois, délai technique pour le remontage du dossier".
65. Ainsi, les conditions de l'acceptation de l'offre par le locataire en place ' ou de son échec ' participent-elles du droit de préemption dudit locataire et le simple constat factuel de l'absence de réitération de la vente à son profit à la date butoir impartie peut n'être pas suffisante à purger définitivement ce droit de préférence. En tout état de cause, l'échec de l'acceptation de l'offre n'invalide pas l'exercice de la préemption, lequel a pleinement produit ses effets et a, par lui-même, rendu caduc le compromis de vente.
66. C'est le sens de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 3 mars 2020 qui, saisie de la question de l'acceptation de l'offre et non de celle de l'exercice de la préemption et de ses effets sur le compromis de vente comme dans le cas présent, retient que la perte du bénéfice du droit de préférence peut n'être pas opposée au preneur lorsque c'est par l'effet d'une faute ou d'une inertie du vendeur ou du notaire ou que c'est en raison de difficultés propres à la rédaction de l'acte de vente que la signature de l'acte authentique n'a pas pu intervenir dans le délai de quatre mois, qu'au cas particulier, les preneurs n'avaient pas accompli les diligences bancaires dans les délais impartis et que l'acceptation de leur offre était sans effet. Les appelants n'indiquent pas si cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi et, dans l'affirmative, ne font pas connaître la décision rendue par la Cour de cassation.
67. Sous le bénéfice de ces observations, c'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a jugé premièrement que l'exercice par Mme [V] de son droit de préemption dans les conditions et délais exigés a emporté d'une part la défaillance de la condition suspensive de non-exercice dudit droit de préemption et, d'autre part, la caducité de la promesse de vente conclue entre [O] [M] et M. [Z] et, deuxièmement, que l'absence de réalisation de la vente entre Mme [E] et Mme [V] a rendu l'acceptation de l'offre par le locataire sans effet sans pour autant relever de sa caducité le compromis, laquelle sanction s'est trouvée acquise dès le 20 juillet 2018, date d'exercice par la locataire en place de son droit de préemption.
68. Le jugement qui a rejeté la demande de M. [Z] et de Siam Patrimoine tendant à voir déclarée parfaite la vente leur profit sera confirmé sur ce point.
69. Il n'y a pas lieu à préciser que "tout projet de vente de l'immeuble litigieux entre [O] [M] et M. [Z] est subordonné à l'établissement d'un nouveau compromis de vente" comme l'a retenu à tort le jugement et sans que cela soit demandé, chef de jugement dont les appelants demandent d'ailleurs l'infirmation, dans la mesure où en effet, il relève de la seule liberté contractuelle des consorts [A], vendeurs venus aux droits de [O] [M], de signer un compromis de vente avec qui bon leur semble et, qui plus est, au prix du marché en 2025 (et non plus en 2018), la seule obligation pesant sur eux en présence d'un locataire en place, bénéficiant d'un bail renouvelé depuis lors, étant de purger le droit de préemption de ce dernier.
70. Enfin, la demande formée par M. [Z] tendant à mettre à la charge des intimés le coût des formalités de réitération authentique de la vente [M]-[Z] devient sans objet du fait de la caducité du compromis de vente, étant précisé que cette demande n'aurait en tout état de cause pas pu prospérer dans la mesure où ces frais d'acte ne sont pas liés à l'instance judiciaire en cours et qu'ils sont communément mis à la charge de l'acquéreur comme ne l'ignore pas M. [Z].
3) Sur les dépens et les frais irrépétibles
71 Succombant, M. [Z] supportera les dépens d'appel.
72. Le jugement sera confirmé s'agissant des dépens de première instance.
73. Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de condamner M. [Z] à payer au titre des frais irrépétibles exposés en appel les sommes de :
- 2.500 € aux consorts [A],
- 4.000 € à Mme [V].
74. Le jugement sera confirmé s'agissant des frais irrépétibles de première instance.
75. Les demandes de M. [Z] et de la société Siam Patrimoine de ce chef seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Malo le 13 juin 2022 sauf en ce qu'il a dit que tout projet de vente de l'immeuble litigieux entre "[O] [M]" et M. [L] [Z] est subordonné à l'établissement d'un nouveau compromis de vente,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à subordonner la vente du bien immobilier litigieux à l'établissement d'un nouveau compromis de vente entre les consorts [A], ayants-droit de [O] [M], et M. [L] [Z],
Condamne M. [L] [Z] aux dépens d'appel à l'exclusion du coût de l'acte et des formalités à accomplir en vue de la réalisation du nouveau compromis de vente,
Condamne M. [L] [Z] à payer à Mme [N] [A] et M. [D] [A] à la somme de 2.500 € au titre des frais irrépétibles supportés par eux et non compris dans les dépens,
Condamne M. [L] [Z] à payer à Mme [K] [V] la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles supportés par elle et non compris dans les dépens,
Rejette le surplus des demandes.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE