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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 18 novembre 2025, n° 23/01735

CHAMBÉRY

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CA Chambéry n° 23/01735

18 novembre 2025

GS/SL

N° Minute

[Immatriculation 1]/649

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 18 Novembre 2025

N° RG 23/01735 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HMBP

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'[Localité 4] en date du 22 Novembre 2023

Appelante

S.A.S. SNC INTERNATIONAL, dont le siège social est situé [Adresse 3]

Représentée par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELAS RTA AVOCATS, avocats plaidants au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimée

S.C.I. LES JONCHERES 4, dont le siège social est situé [Adresse 2]

Représentée par la SARL JUDIXA, avocats au barreau d'ANNECY

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Date de l'ordonnance de clôture : 23 Juin 2025

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 14 octobre 2025

Date de mise à disposition : 18 novembre 2025

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Composition de la cour :

- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

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Faits et procédure

Suivant acte sous seing privé en date du 21 octobre 2013, la SCI Les Jonchères IV a donné à bail commercial à la société BCM 74, filiale du groupe SNC (Sport Neige Compétition) International, exerçant une activité de fabrication de vêtements de sport, pour une durée de neuf ans, des locaux industriels d'une surface totale de 1 135 m² situés à [Adresse 8], moyennant un loyer annuel de 53.345 euros HT, outre une provision sur charges de 10 135 euros HT.

Souhaitant procéder à la démolition et à la reconstruction des locaux loués, la SCI Les Jonchères IV a, par acte d'huissier signifié le 30 avril 2019, notifié à sa locataire un congé sans offre de renouvellement du bail, prenant effet le 31 octobre 2019, à l'issue de la deuxième période triennale.

Suite à ce congé, la société BCM 74 a quitté les lieux le 31 mars 2020, pour s'installer dans de nouveaux locaux situés à [Localité 5].

Aucun accord n'est cependant intervenu entre les parties sur le montant de l'indemnité d'éviction due à la locataire, ce qui a conduit cette dernière à saisir le 19 novembre 2020 le juge des référés du tribunal judiciaire d'Annecy qui a, par ordonnance du 25 janvier 2021, ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [O] [L].

Par décision de l'associé unique de la société BCM 74 du 31 mars 2021, déposée au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce d'Annecy le 8 mai 2021, la société BCM 74 a été dissoute et absorbée par sa société mère, la société SNC International.

L'expert judiciaire a déposé son rapport d'expertise définitif le 11 août 2021.

Suivant exploit en date du 28 octobre 2021, la société SNC International a fait assigner la SCI Les Jonchères IV devant le tribunal judiciaire d'Annecy en fixation de l'indemnité d'éviction.

Par jugement du 22 novembre 2023, le tribunal judiciaire d'Annecy a :

- Condamné la SCI Les Jonchères IV à payer à la société Snc International, venant aux droits de la société BCM 74, au titre de l'indemnité d'éviction les sommes suivantes :

- 120.000 euros au titre de l'indemnité principale (droit au bail),

- 10.500 euros au titre de l'indemnité de remploi,0

- 9.961,2 euros TTC au titre des frais de réinstallation,

- 15.360 euros TTC au titre du double loyer ;

- Débouté les parties du surplus des demandes ;

- Condamné la SCI Les Jonchères IV aux dépens, et ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

- Condamné la SCI Les Jonchères IV à verser à la société SNC International la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au visa principalement des motifs suivants :

' le principe du droit à une indemnité d'éviction au profit de la société SNC International n'est pas contesté par les parties ;

' l'expert a intégré dans son évaluation la vétusté des locaux et la requérante ne démontre pas que les locaux litigieux se situaient dans une zone de commercialité particulière qui justifierait un coefficient d'emplacement supérieur à 3 ;

' les éléments contraires produits par les parties n'étant pas probants, il convient de retenir la valeur locative proposée par l'expert judiciaire, à hauteur de 85,56 euros/m² ;

' les factures établies par M. [K] et par les sociétés Itbs et Socagi, qui sont douteuses, doivent être écartées ;

' la société SNC International ne justifie pas des frais de licenciement qu'elle prétend avoir dû supporter ;

' elle ne démontre pas non plus en quoi elle aurait été dans l'obligation de maintenir un double loyer durant 6 mois.

Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 12 décembre 2023, la société SNC International a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a :

- Condamné la SCI Les Jonchères IV à payer à la société SNC International, venant aux droits de la société BCM 74, au titre de l'indemnité d'éviction les sommes suivantes :

- 120.000 euros au titre de l'indemnité principale (droit au bail),

- 10.500 euros au titre de l'indemnité de remploi,

- 9.961,2 euros TTC au titre des frais de réinstallation,

- 15.360 euros TTC au titre du double loyer ;

- Débouté les parties du surplus des demandes.

Par ordonnance du 19 mars 2024, la première présidente de la cour d'appel de Chambéry, statuant sur la demande d'arrêt de l'exécution provisoire, a :

- Déclaré irrecevables les demandes formulées par la SCI Les Jonchères IV,

- Condamné la SCI Les Jonchères IV à verser à la société SNC International une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la SCI Les Jonchères IV à supporter la charge des dépens de l'instance.

Prétentions et moyens des parties

Aux termes de ses dernières écritures du 11 septembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Snc International, venant aux droits et obligations de la société Bcm 74, sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

A titre principal,

- Fixer l'indemnité principale d'éviction à la somme de 160.856 euros ;

- Condamner la SCI Les Jonchères IV à lui payer les sommes suivantes :

- Indemnité principale d'éviction : 160.856 euros,

- Indemnité de remploi : 13.000 euros,

- Frais de déménagement : 31.200 euros HT soit 37.440 euros TTC,

- Frais de réinstallation : 8.301 euros HT soit 9.961,20 euros TTC,

- Honoraires droit social : 4.500 euros HT soit 5.400 euros TTC,

- Frais de licenciement : 23.038 euros,

- Double loyer : 38.400 euros HT soit 46.080 euros TTC,

- Trouble commercial : 10.000 euros ;

A titre subsidiaire,

- Fixer l'indemnité principale d'éviction à la somme de 120.000 euros ;

- Condamner la SCI Les Jonchères IV à lui payer les sommes suivantes :

- Indemnité principale d'éviction : 120.000 euros,

- Indemnité de remploi : 13.000 euros,

- Frais de déménagement : 31.200 euros HT soit 37.440 euros TTC,

- Frais de réinstallation : 8.301 euros HT soit 9.961,20 euros TTC,

- Honoraires droit social : 4.500 euros HT soit 5.400 euros TTC,

- Frais de licenciement : 23.038 euros,

- Double loyer : 38.400 euros HT soit 46.080 euros TTC,

- Trouble commercial : 10.000 euros,

- Juger la demande de la SCI Les Jonchères IV tendant à fixer une l'indemnité d'occupation postérieurement à la résiliation du bail et correspondant à la valeur locative irrecevable en ce que constituant une demande nouvelle en cause d'appel d'une part et en ce que prescrite puisque non formulée dans le délai de deux ans à compter de l'expiration du bail d'autre part ;

- Débouter la SCI Les Jonchères IV de l'intégralité de ses fins demandes et conclusions ;

- Condamner la SCI Les Jonchères IV à lui payer une indemnité de 8.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la SCI Les Jonchères IV aux entiers frais et dépens de l'instance, en ce y compris le coût de l'expertise judiciaire de M. [L], avec application pour les dépens d'appel des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELURL Bollonjeon, Avocat.

Au soutien de ses prétentions, la société SNC International fait notamment valoir que:

' la vétusté des locaux se trouve compensée par leur polyvalence et l'adéquation à son activité ;

' dans la mesure où l'expert a expressément reconnu le bon emplacement des locaux dont elle a été évincée, le coefficient d'emplacement aurait dû être fixé à 4 ;

' elle démontre, par la facture dont elle s'est acquittée, avoir exposé des frais de déménagement ;

' le transfert d'activité imposé par le non-renouvellement du bail l'a contrainte à procéder à des licenciements dont elle justifie ;

' elle s'est acquittée d'un double loyer durant 6 mois justifiant une indemnisation à ce titre ;

' elle a nécessairement subi un trouble commercial dont elle est fondée à obtenir la réparation.

Par dernières écritures du 4 novembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la SCI Les Jonchères IV demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du 22 novembre 2023 en ce qu'il a :

« Condamné la SCI Les Jonchères IV à payer à la société Snc International, venant aux droits de la société BCM 74, au titre de l'indemnité d'éviction les sommes suivantes :

- 120 000 euros au titre de l'indemnité principale (droit au bail),

- 10 500 euros au titre de l'indemnité de remploi,

- 9 961,2 euros TTC au titre des frais de réinstallation

- 15 360 euros TTC au titre du double loyer » ;

Statuant à nouveau,

- Juger que la société SNC International venant au droit de la société BCM 74 est fondée à obtenir le versement d'une indemnité d'éviction composée :

- D'une indemnité principale fixée à 42.000 euros ;

- D'indemnités accessoires comprenant :

- Une indemnité de réemploi fixée à 10.500 euros

- Une indemnité de frais de déménagement et de réinstallation fixée à 8.301 euros ;

- Une indemnité de double loyer fixée à 12.800 euros ;

- Condamner la société SNC International à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société SNC International aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la SCI Les Jonchères IV fait notamment valoir que :

' l'objet de l'indemnité d'éviction est d'indemniser le préjudice réellement subi à cause de la résiliation du bail. Aussi, comme le preneur s'est en l'espèce relogé, son préjudice est constitué par la différence entre l'ancienne et la nouvelle valeur locative des lieux loués ;

' l'expert judiciaire a établi une valorisation locative à partir des données de marché de 2021 sur lesquelles il a seulement appliqué une décote de 8 % sans prendre en compte les données objectives de marché ;

' le refus d'appliquer une décote du bien immobilier pour prendre en compte son état de vétusté est une faute qui impose une rectification de la valeur locative ;

' la facture afférente aux frais de déménagement, établie par une société s'ur, plus d'un an après le départ des lieux, ne peut être prise en compte ;

' il n'est pas justifié de la réalité des licenciements et surtout de leur lien avec l'éviction du preneur ;

' il est d'usage que le poste dit des doubles loyers ne soit admis que pour une

période ne pouvant excéder 2 mois.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise. Une ordonnance du 23 juin 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été retenue à l'audience du 14 octobre 2025.

Motifs de la décision

Il convient d'observer, à titre liminaire, que la SCI Les Jonchères IV ne conteste pas être redevable d'une indemnité d'éviction suite au congé qu'elle a délivré à sa locataire. Les parties sont par contre en désaccord sur l'évaluation de cette indemnité.

La cour constate, ensuite, que la société SNC International conclut à l'irrecevabilité de la demande adverse tendant à fixer une indemnité d'occupation postérieurement à la résiliation du bail. Force est de constater cependant qu'aucune demande n'a été maintenue de ce chef par l'intimée dans ses dernières écritures.

Aux termes de l'article L. 145-14 du code de commerce, « le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ».

I - Sur l'indemnité principale

Il est de jurisprudence constante qu'en cas de refus de renouvellement d'un bail n'entraînant pas, comme en l'espèce, la perte du fonds de commerce, l'indemnité principale d'éviction correspond à la valeur du droit au bail, qui doit être appréciée en tenant compte des locaux dont le preneur a été évincé. Cette indemnité, dite de déplacement ou de transfert, doit ainsi être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le locataire est évincé, lequel est un élément du fonds de commerce.

Le droit au bail mesure l'intérêt pour un exploitant d'être situé à un emplacement donné pour exploiter un commerce donné moyennant un loyer donné, et correspond à la valeur de l'emplacement commercial occupé par le preneur évincé.

S'il n'existe aucune méthode impérative de calcul de cette indemnité, et si son évaluation relève de l'appréciation souveraine des juges du fond (voir sur ce point notamment : Cour de cassation, Civ 3ème, 15 octobre 2008, n°07-17.727 P), celle qui est la plus usitée, et sur laquelle se fondent du reste les parties, est la méthode dite de la capitalisation du différentiel de loyers, qui consiste à retenir la différence entre le loyer théorique, c'est-à-dire le loyer tel qu'il aurait été fixé si le bail avait été renouvelé avec un plafonnement, et la valeur locative des mêmes locaux, puis à capitaliser ce différentiel selon un coefficient de situation, tenant à la nature et à la commercialité des locaux.

En l'espèce, l'expert judiciaire a retenu une indemnité principale de 120 000 euros, qui a été entérinée par le premier juge, en se fondant sur une valeur locative de marché de 85,56 euros /m2, à la date du départ des lieux de la locataire, en mars 2020, suivant le calcul suivant : 1 135 m² x 85,56 euros ' 56.897 euros (loyer payé dans le cadre du bail conclu avec l'intimée) x 3 (coefficient d'emplacement) = 120.642 euros, arrondi à 120.000 euros.

Il convient d'observer, tout d'abord, que contrairement à ce qu'indique la SCI Les Jonchères IV, c'est bien à la date du départ des lieux de la locataire que l'expert s'est placé pour évaluer la valeur locative de marché, puisqu'il a appliqué un abattement de 8 % sur le niveau du marché de 93 euros /m², en 2021, date à laquelle il a réalisé son expertise, en se fondant sur l'évolution moyenne, au cours de cette période, des prix de vente sur les biens récents et anciens. Aucun élément ne permet de remettre en cause une telle approche.

L'intimée soutient que la vétusté des locaux devrait conduire à leur attribuer une valeur bien inférieure, de 60 euros/m². L'expert a cependant clairement intégré dans son analyse une telle vétusté, qui n'est pas contestée par les parties, mais a considéré que celle-ci était compensée par la polyvalence et l'adéquation des lieux à l'activité exercée. M. [L] a relevé à cet égard que le preneur était surtout à la recherche de surface de stockage et bureaux répondant à ses besoins en termes de superficies, de volume et d'emplacement, et qu'elle se trouvait confrontée à une offre rare en proche périphérie d'[Localité 4]. En outre, comme l'a noté le premier juge, les éléments de comparaison qui sont analysés par l'expert font apparaître que les locaux récents et fonctionnels qui présenteraient une superficie équivalente sont proposés à des prix bien supérieurs, compris entre 106 et 110 euros/m².

La SCI Les Jonchères IV prétend ensuite que la valeur locative du marché devrait être fixée conformément au nouveau bail qui a été pris par la Snc International à [Adresse 6], suite à son départ des lieux, soit à hauteur de 60 euros/m². Elle ne saurait cependant être suivie dans son argumentation de ce chef, dès lors que les nouveaux locaux de l'appelante se situent à plus de 10 kilomètres des anciens, au sein d'une commune plus éloignée des axes de circulation et dont le marché locatif est différent et ne permet aucune comparaison fiable. L'expert a par ailleurs indiqué sans ambiguïté qu'un tel niveau de loyer pouvait « difficilement correspondre » aux valeurs du marché annécien, au regard des éléments de comparaison qu'il a analysés, et qu'en réalité, il s'agissait d'une opportunité qui n'était pas transposable.

L'intimée ne peut pas non plus utilement se prévaloir des conclusions du rapport établi par M. [S] [G], qu'elle verse aux débats, et qui retient une valeur de marché comprise entre 55 et 60 euros/m². Il est important d'observer, en effet, que cet expert, mandaté par la SCI Les Jonchères IV, n'a pris en compte que les seuls éléments qui lui ont été fournis par cette dernière. Par ailleurs, comme l'a noté l'expert judiciaire, M. [G] ne s'est pas basé sur les valeurs locatives, mais sur les prix de vente capitalisés de locaux comparables, ce qui n'est pas la méthode la plus pertinente. Il s'est fondé en outre sur des ventes réalisées entre 2012 et 2017, soit bien avant le départ des lieux de la locataire.

S'agissant enfin du nouveau bail que la SCI Les Jonchères IV a conclu avec la société Snowleader, suite au départ de l'appelante, moyennant un loyer de 53 euros/m², il ne peut de toute évidence être pris en compte pour définir la valeur locative du marché, dès lors qu'il s'agit d'un bail précaire, souscrit pour une durée d'un an, dans l'attente de la démolition des locaux, et sans chauffage.

Force est de constater, en définitive, que l'intimée n'apporte aucun élément susceptible de remettre en cause l'évaluation de la valeur locative de marché retenue par l'expert judiciaire. Cette évaluation apparaît du reste en cohérence avec les expertises précédemment réalisées par M. [P] et M. [E], qui avaient respectivement retenu des valeurs de 83 et de 85 euros/m².

La société SNC International conteste de son côté le coefficient d'emplacement de 3 qui a été retenu par l'expert judiciaire, au regard du bon emplacement des locaux dont elle a été évincée pour l'exercice de son activité. Elle prétend que ce coefficient aurait dû être fixé à 4, ce qui lui permettrait d'obtenir une indemnité principale de 160.000 euros.

Force est cependant de constater que l'appelante n'apporte aucun élément qui serait susceptible de remettre en cause l'appréciation de l'expert judiciaire et de démontrer que l'emplacement des locaux litigieux offrirait des avantages particuliers pour son activité. Elle se contente en effet de produire des jurisprudences dont l'examen permet de s'apercevoir qu'elles se rapportent à des locaux présentant des caractéristiques, en termes de localisation, assez différentes des lieux donnés à bail en l'espèce.

Il est constant par ailleurs qu'il s'agit de locaux à usage industriel et commercial, comportant une partie industrielle d'environ 700 m², une partie à usage de bureaux de 135 m² et une partie à usage de stockage de 300 m², qui sont situés dans une zone où la commercialité est faible, justifiant, selon les usages en la matière, l'application d'un coefficient compris entre 2 et 3. C'est au regard des facilités d'accès à la rocade de contournement d'[Localité 4], aux autoroutes, et de l'intérêt que pouvait présenter pour la SNC la facilité de profiter gracieusement des bureaux de la société situés à proximité immédiate à [Localité 7] qu'un coefficient de 3 a été retenu.

Au regard de ces constatations, l'évaluation expertale ne pourra qu'être entérinée, et le jugement entrepris confirmé en ce qu'il a fixé l'indemnité principale à une somme de 120000 euros.

II - Sur les indemnités accessoires

Sur l'indemnité de réemploi

La somme de 13 000 euros qui est réclamée de ce chef par l'appelante se compose :

- d'une part, des honoraires d'agence qui lui ont été facturés à hauteur de 10.500 euros par l'agence immobilière Optimum ;

- d'autre part, des honoraires de recherche d'un nouveau local par M. [D] [K], représentant légal de la société SNC International, pour un montant de 2.500 euros.

Si le premier de ces deux postes n'est pas contesté et devra être retenu, le second n'apparaît nullement justifié, comme l'a retenu le premier juge, dès lors que l'appelante n'apporte aucune précision sur les prestations particulières qui auraient été réalisées par son. dirigeant en vue de trouver un nouveau local, alors qu'une agence immobilière était également mandatée à cette fin.

Sur les frais de déménagement

L'appelante sollicite à ce titre la prise en charge d'une facture établie le 26 avril 2021 par la société Itbs pour un montant de 31.200 euros HT, et qui décrit une prestation de déménagement des locaux d'[Localité 7] à [Localité 5]. Il se déduit par ailleurs des extraits de sa comptabilité ainsi que des relevés de son compte bancaire qu'elle verse aux débats que cette facture a bien été réglée par la société SNC International suite à la fusion de la société BCM 74.

Il convient d'observer, cependant, que cette facture a été émise par une filiale de la société SNC International, dont l'objet social ne porte pas sur une activité de déménageur, et à une date qui ne correspond nullement à la date à laquelle le déménagement a été effectué, puisque l'appelante a quitté les lieux loués au plus tard en mars 2020. Force est de constater que la société SNC International n'apporte aucune explication sur les motifs pour lesquels cette facture a été établie plus d'un an après la prestation qui aurait été réalisée à son profit, et précisément quatre jours après que l'expert lui ait demandé des justificatifs. Elle ne produit du reste aucun devis correspondant à cette facture.

Cette facture ne pourra dans ces conditions qu'être écartée, et l'appelante déboutée de ce chef de demande, comme l'a fait le premier juge.

Sur les frais de réinstallation

La somme de 8.301 euros HT versée à la société de déménagement [W], au titre des frais d'installation dans les nouveaux locaux, n'est pas contestée.

Le jugement entrepris sera par contre infirmé en ce qu'il a fixé ce poste à la somme de 9.961,2 euros TTC, dès lors que la TVA ne constitue pas un préjudice indemnisable pour la SNC International, qui la récupère.

Sur les frais de licenciement de personnel

La société SNC International prétend que le transfert de son lieu d'activité aurait engendré des frais de licenciement, dont le coût se serait élevé à la somme de 23.038 euros, outre des honoraires de 4.500 euros qui lui ont été facturés pour des prestations administratives afférentes.

Il peut être constaté cependant que, si l'appelante justifie avoir effectivement supporté de tels frais, elle n'apporte aucun élément susceptible de rapporter la preuve de ce que les licenciements intervenus seraient consécutifs à son déménagement. En effet, elle n'apporte aucune précision sur les personnels qui auraient été licenciés, et ne produit aucun contrat de travail ni lettre de licenciement.

Elle ne fait pas non plus état du moindre refus qui aurait été exprimé par des salariés de déplacer leur lieu de travail sur le nouveau site, qui n'est distant que de 10 kilomètres de l'ancien. Elle ne conteste pas, du reste, que le déménagement n'a engendré aucun déplacement supplémentaire pour les salariés concernés, comme le fait valoir l'intimée. Elle n'allègue ni ne prouve, en outre, avoir recruté de nouveaux salariés pour les remplacer.

Il est permis de penser, au contraire, que les licenciements qui figurent dans la comptabilité de la société SNC International s'expliquent en fait par la nécessité d'alléger sa masse salariale, alors qu'elle avait accumulé près de 130.000 euros de pertes entre 2017 et 2019 et que son chiffre d'affaires avait été amputé d'un quart sur la même période.

Compte tenu de cette carence probatoire, la demande indemnitaire qu'elle forme de ce chef ne pourra qu'être rejetée.

Sur les frais de double loyer

Il est constant que la société Snc International a réglé un double loyer entre octobre 2019, date à laquelle elle a pris possession de ses nouveaux locaux à [Localité 5], et mars 2020, date de la remise des clés de ses anciens locaux à [Localité 7]. Elle sollicite de ce fait la prise en charge de ce double loyer pendant six mois.

Elle n'apporte cependant aucun élément qui serait susceptible de justifier de ce qu'elle se serait trouvée dans l'obligation de supporter un double loyer sur une période aussi longue, alors qu'il est constant qu'elle n'a entrepris aucun aménagement dans ses nouveaux locaux avant de s'y installer. Il est d'usage, dans une telle hypothèse, de limiter le double loyer à deux mois, aboutissant à une indemnité de 12.800 euros HT (et non de 15.360 euros TTC comme retenu par erreur par le premier juge) qui lui est due de ce chef.

Sur le trouble commercial

Si aucune demande n'a été formée en première instance à ce titre, il n'est pas soutenu par la SCI Les Jonchères IV que cette prétention nouvelle serait irrecevable en application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, alors qu'elle peut constituer l'accessoire, la conséquence ou le complément de ses demandes initiales.

Ce poste de préjudice est généralement retenu à hauteur de trois mois de bénéfice d'exploitation. Or, en l'espèce, il est constant qu'entre 2017 et 2020, l'appelante n'a enregistré que des pertes ; c'est ce qui a conduit l'expert judiciaire à écarter un tel poste.

La société SNC International n'apporte par ailleurs aucun élément susceptible de démontrer qu'elle aurait subi un quelconque trouble commercial, distinct de ses autres postes de préjudice, suite à son déménagement. Elle ne précise du reste pas en quoi auraient consisté les perturbations qui ont été engendrées par le congé qui lui a été délivré.

Elle ne pourra donc qu'être déboutée de ce chef.

III - Sur les demandes accessoires

En tant que partie perdante, la société SNC International sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à verser à la SCI Les Jonchères IV la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d'appel.

La demande qu'elle forme de ce chef sera enfin rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement rendu le 22 novembre 2023 par le tribunal judiciaire d'Annecy en ce qu'il a condamné la SCI Les Jonchères IV à payer à la société SNC International, venant aux droits de la société BCM 74, les sommes de 9.961,2 euros TTC au titre des frais de réinstallation et de 15.360 euros TTC au titre du double loyer,

Et statuant à nouveau,

Condamne la SCI Les Jonchères IV à payer à la société SNC International, venant aux droits de la société Bcm 74, la somme de 8.301 euros HT au titre des frais de réinstallation

Condamne la SCI Les Jonchères IV à payer à la société SNC International, venant aux droits de la société BCM 74, la somme de 12.800 euros HT au titre du double loyer,

Rejette le surplus des demandes en paiement formées de ces chefs par la société Snc International,

Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Rejette la demande formée en cause d'appel par la société Snc International au titre du trouble commercial,

Condamne la société SNC International aux dépens d'appel,

Condamne la société SNC International à payer à la SCI Les Jonchères IV la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d'appel

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie simple et exécutoire délivrée le 18 novembre 2025

à

la SELARL BOLLONJEON

la SARL JUDIXA

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